HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE
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HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE
OUVRAGE
COMMENCÉ PAR DES RELIGIEUX BÉ\ÉDICTI>S
DK LA CONGRÉGATIO> DE SAINT-MAUR
ET CONTINUÉ
PAR DES MEMBRES DE L'INSTITUT
(acadkmik des inscriptions et belles-letthes)
TOME XXXIII
SUITE DU QUATORZIÈME SIÈCLE
PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
MDCCCCVI
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AVERTISSEMENT.
Le tome XXXIII marque un progrès notable dans l'histoire litté-
raire du XIV* siècle. Les auteurs les plus récents dont nous avons
traité en notre précédent volume, Gilles Aicelin, archevêque de
Rouen, et Guillaume Baufet, évêque de Paris, moururent en 1 3i 8
et i3i9. Présentement nous atteignons l'année 1838 avec Jean
de Jandun. Nous ne voulons pas dire que nous ne reviendrons pas
en arrière dans un des prochains volumes. Un classement purement
chronologique est impossible. Pour beaucou]> d'écrivains les dates
précises, et particulièrement la date de la mort, font défaut. Et
cette lacune, que nous avons souvent à regretter en rédigeant la
notice d'écrivains connus, est constante lorsf[u'il s'agit des auteurs
anonymes, qui sont de beaucoup les plus nombreux. La littérature
en langue vulgaire, qui occupe une place si considérable dans nos
derniers volumes, est, en majeure partie, l'œuvre d'écrivains qui
n'ont pas jugé à propos de se faire connaître, et que nous ne pou-
vons dater qu'assez vaguement. D'ailleurs nous serons de plus en
plus amenés à rédiger des notices collectives sur des écrits d'un
même genre qui, pris isolément, n'offrent qu'un assez faible intérêt,
tandis que, groupés, ils peuvent donner lieu à des conclusions
générales d'une certaine portée. C'est ce que nous avons fait dans
le tome XXXII pour des chroniques monastiques d'un certain
type; c'est ce que nous tentons dans le présent volume pour les
coutumiers noraiands, œuvres d'époques diverses, dont il n'eût
a.
IV AVERTISSEMENT.
guère été possible d'établir les ra])ports vi\ des notices séparées,
et pour les innombrables vies de saints traduites en prose fran-
çaise an cours du xiii" siècle el au commencement du XIV^ Il
est assez indifférent que des notices de ce genre, où il n'est
guère question que d'écrits non datés, soient placées à un en-
droit on à un autre.
Dans le tome XXXIIÏ, comme dans les précédents, on trouvera
(pielques suppléments au\ tomes relatifs au xiii' siècle. Le plus
considérable est l'article que nous avons consacré aux légendes
hagiograj)]nques en vers, qui est rédigé en une forme inaccou-
tumée. Ce n'esl pas proprement une notice : c'est une sèche biblio-
graphie eu or(h'e alphabétique. La raison pour laquelle nous avons
cru devoir nous écarter de notre méthode habituelle est celle-ci :
les légendes en vers, toutes traduites ou imitées de compositions
latines, foisonnent dans notre littérature du xii® au xv'^ siècle. Nous
en avons relevé plus de deux cents, et nous n'osons afhrmer que
notre énumération soit complète. Entre ces poèmes il en est plu-
sieurs qui ont été composés à une époque à laquelle nous ne
sommes pas encore arrivés : nous les signalons à nos successeurs;
mais la pluj)art appartiennent à une période, maintenant close,
de ÏHistoire littéraire, et bien peu cependant ont obtenu de nos de-
vanciers les notices auxquelles ils avaient droit. Nous avons voulu
qu'ils eussent au moins une mention dans notre œuvre, et, sans
leur consacrer des articles qui ne seraient plus à leur place, nous
avons cru tlevoirfoiu'nirdes indications bibliogra|)hiques qui seront
utiles aux personnes qui voudront en entreprendre f étude.
On remarquera une innovation dans la disposition matérielle de
ce volume. À partir du présent tome, nous supprimons les man-
chettes, rejetant en note, suivant l'usage le plus généralement
adopté de nos jours, les ren\ois aux ouvrages cités. D'où résulte un
AVKRTISSK^[K^T. v
double avantage. D'une pari, nous élargissons la juslidcation, cl,
d'autre part, les renvois, formulés d'une façon souvent trop breAc,
lorsqu'ils étaient placés dans la marge, ont pu être donnés d'un(>
façon assez complète pour nous permettre de supprimer la lahle
des ouvrages cités, qui, jusqu'ici, a occupé dans nos volumes une
j)iace considérable.
Les auteurs de ce trente-troisième volume de ÏHisloirc llllcralre
(le la France, membres de l'institul ( Vcadémie des inscriptions el
l)elles-lettres), sont désignés à la fin de chaque article par les
initiales de leurs noms :
B. H. Barthélémy HvinÉvir.
G. P. Gaston Paris.
L. 1). LÉoi'or.i) Dkijsli;.
P. M. Pall Mkver, édili-iir.
P. V. Pall \ iollet.
N. V. Noël Valois.
i / ■) I
NOTICE
SUR
GASTON PARIS,
V\ DES AUTEURS DES TOMES XXVIU X XXXIJI
DE VaiSTOIBS LITTÉBAISE DE t,A FRAlfCE.
(moi,tlk5mai«.9o3.) '"" ■*^f^'itu'^\\ /
I
-*- I IfU/Bl II -iriliKIOI it'^.jl
.,,.,.11;, Yi :,.< . ..r.> ^|,
Élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres le 12 mai 1870,
Gaston Paris fut bientôt attaché comme membre adjoint à la Commission de {'Histoire
littéraire ^^\ dont il devint membre titulaire en 1881, à la mort de son père. Pen-
dant vingt-six ans il a collaboré activement à notre œuvre comrnùne , traitant de
préférence, comme avait fait Paulin Paris, des sujets de littérature française. Lies
notices que nous lui devons étaient, lorsqu'elles parurent, fort en avance sur l'état
des connaissances d'alors; actuellement encore, malgré les rapides progrès qui ont
été accomplis dans le domaine de l'ancienne littérature française , ses articles nous
donnent, sur presque tous les points, le dernier état de la science.
Mais, avant d'énumérer et d'apprécier les notices que G. Paris a données à YHis-
toire littéraire, il convient de jeter un coup d'oeil sur les écrits par lesquels il s'était
fait connaître avant son entrée dans notre Académie, et sur les directions variées
dans lesquelles s'exerça son activité scientifique. ' '
Doué d'une intelligence nette et vive , d'une mémoire tenace , d'une rare puissance
de travail, capable en outre de s'intéresser aux sujets Tés pïiis variés , G. 'Paris eût
brillé au premier rang, à quelque branche d'étude qu'il se fût voué! Et, en faîtj'îï
ne s'est pas occupé seulement des langues et des littératures romanes , à l'étude dés-
quelles il s'était attaché par devoir autant que par goût : il a publié des travaux sur
la littérature latine du moyen âge , il a fait des excursions sur le domaine de l'his-
toire pure , il a écrit des articles de critique sur la littérature moderne , et partout il a
montré la même supériorité que dans les sujets auxquels il s'appliquait ordinairement!
'1"'Il'y prit séance le 1 3 juillet 1877.
MU NOTICE SI H CVS'I'ON l>\IUS.
C'est que notre coiil'rère axail roinnit'iirf' par tics (''tudes très gi-nérales , et, si la
pliitologie du moyeu âge était devenue son domaine préféié, celui où il devait fain-
M's dérouvertes les plus importantes, il ne s'était pas renfermé dans les limitis
l'Iroites d'une science spéciale et n'avait jamais cessé de s'intéresser aux progrès (|ui
se manifestaient en d'autres branches de l'érudition.
Vprès de solides études au collège Rolliii, son père l'envoya l'n Allemagne, sur-
tout en vue d'apprendre l'allemand. H y passa près de deu\ ans (i856-i858). Il se
lit inscrire d'abord à l'Université de Bonn, ([uil abandonna après deux semestres
parce cju'il n'y avait pas assez cl'occasions d*- parler allemand , et se rendit <i (îottingue ,
où il se trouva, selon son désir, dans un milieu 'plus exclusivement germanique. Ce
séjour ••Il Allemagne eut, sur la formation de ses idées plutôt que sur la direction
de ses études, une influence considérable. Ce n'est pas là qu'il prit le goût de la philo-
logie romane: il l'avait déjà, et, pour l'acquérir, il n'avait pas eu besoin de sortii'
de chez lui. D'ailleurs, à cette époque, l'enseignement scientifique des langues et des
littératures modernes commençait à peine à s'organiser en Allemagne. En fail.
à (îottingue, il suivit de préférence des cours de grec cl d'ancien allemand. Mais,
vivant de la vie des étudiants allemands, il eut l'idée d'un genre d'enseignement qui,
alors, n'existait pas en France. 11 vit <les pidfesseurs faisant des cours techniques, ce
qui n'était guère l'usage dans nos Facultés des lettres, se mettant en rapport avec
leurs élèves , s'efforçant de leur doimer une instniction vraiment supérieure et surtoul
de les préparer à faire à leur tour des travaux originaux. C'est ainsi que, bien avant
la réforme des Facultés commencée par Duruy, il était arrivé à concevoir le haut
enseignement sous la forme qu'il avait dans les Universités allemandes.
De retour en France , il se fit inscrire à l'Ecole des chartes , où il trouva un sys-
tème d'études qui , à ceitains égards , se rapprochait de celui qui avait ses préférences ,
en ce qu'il tendait surtout à donner aux élèves l'habitude de la recherche personnelle
et des travaux de première main. L'Ecole tles chartes n'était jjoint alors ce qu'elle
est devenue depuis. Il y avait moins de chaires qu'aujourd'hui; les leçons étaient, en
général, plutôt pratiques que méthodiques. Quelques enseignements, cependant,
faisaient exception, notamment celui de J. Quicherat, dont toutes les parties s'en-
chainaient selon une logique rigoureuse, et ({ui, par sa forme surtout, exerça sur
(î. Paris une réelle influence. En somme, on exigeait des jeunes gens moins de travail ,
mais on leur laissait plus de liberté. Il sortait peut-être de l'école plus d'élèves mé-
diocres qu'aujourd'hui , mais les étudiants laborieux et bien doués y trouvaient ce-
pendant une direction sufllsante. Les homnu's dune intelligence supérieure n'ont pas
besoin qu'on leur inculque toutes les connaissances qu'ils devront posséder un jour :
il sufïit qu'on leur indique la manière de les acquérir. C'est à l'Ecole des chartes fpie
NOTICE SUR (lASTON PARIS. i%
G. Paris orienta définitivement ses études vers les langues et les littératures romanes
du moyen âge. Et il n'est pas douteux que l'enseignement de cette école , où il se
maintint toujours parmi les premiers , ail contribué pour une grande part à déve-
lopper chez lui l'esprit critique. Sa thèse [Etude sur le rôle de l'accent latin dans la
langue française) , soutenue en janvier 1862 et imprimée la même année, est un ou-
vrage demeuré classique, qui obtint les suffrages, non seidement de ses maîtres,
mais aussi de Diez, le fondateur de la philologie romane, k qui il l'avait dédiée (•'.
Dans sa dédicace, il se déclarait « l'un de ses disciples »; et il fêtait en effet, comme
le furent tous ceux qui se sont appli([ués à l'étude scientifique des langues romanes.
Mais c'est surtout depuis son retoui- d'Allemagne (pi'il l'était devenu. C'est alors qu'il
avait étudié à fond, dans la seconde édition, la Giummaire des langues romanes,
qu'il devait traduire plus tard en entier d'après la troisième'*', et dont, par avance,
en i863, il publia en français l'introduction. i*
Pour fétude dogmaticpie et historique du français, G. Paris n'avait guère de de-
vanciers en France. L'Histoire de la formation de la langue française d'Ampère était
ime œuvre superficielle qui n'avait d'original que ses erreurs. Le volumineux ou\Tage
de Chevallet , beaucoup plus récent (1 853-1 858), était un livre mort-né. G. Paris prit
poui" point de départ l'état de la science tel qu'il résultait des travaux de Uiez. Il n'en
était pas de même pour les recherches d'histoire littéraire. Là il suivit, avec liberté et
originalité toutefois, la tradition paternelle. Paulin Paris occupait, depuis i853, au
Collège de France, la seule chaire de langue et littérature française du moyen âge
qui existât en ce temps , et , depuis 1 83 1 , date de son édition de Berte aux grands pieds ,
avait consacré une longue série de travaux à des recherches sur fancienne littéra-
ture française dont la matière lui était fournie par les manuscrits de la Bibliothèque
nationale, où il était conservateur adjoint. G. Paris a reconnu en termes touchants,
dans la dédicace de son Histoire poétigue de Charlemagne, la dette de r<!Connaissance
qu'il avait contractée envers son jîère, qui, par ses entretiens, l'avait de bonne heure
familiarisé avec la vieille épopée française, et dont la riche bibliothèque lui fut d'un
si précieux secours. Mais il doit être bien entendu qu'il s'agit ici d'une influence gé-
nérale et non d'une direction. Bien que voués aux mêmes études, le père et le fds
différaient du tout au tout pour la méthode de travail, la manière d'exposer les faits
et l'appréciation générale des œuvres. Paulin Paris, esprit essentiellement littéraire,
s'attachait surtout à mettre en relief, quelquefois avec un peu trop de complaisance,
'■' Voir le compte rendu qu'en a fait Die/., mier en collaboration avec Aug. Brachet, les
Jahrbachf. romaniscke u. englUche Lilerular, V deux autres avec M. Morel-Falio. — Un volume
(i864), 4o6. de supplément avait été annoncé, qui ne fut
'"' 1874-1876, trois volumes in-8°, le pre- jamais rédigé.
HIST. LITTÉR. WXIII. h
X, NOTICE SUR GASTON PARIS.
la valeur esthétique des écrits qu'il publiait ou analysait; les œuvres qui n'avaient pas
ce genre de mérite l'intéressaient peu , et il les négligeait volontiers. L'étude de la
langue, la comparaison des textes, la recherche des origines d'une légende ou de ses
transformations, en un mot, tout ce qui était pure érudition, avait pour lui peu d'at-
trait. Son fds , au contraire , sans être le moins du monde indifférent au mérite litté-
raire, savait se placer à des points de vue plus variés et abordait l'examen des œuvres
du moyen âge avec plus de méthode et une idée plus nette des questions à traiteri .
Pourvu du diplôme de l'Ecole des chartes et , peu de mois après , de la licence en
droit, G. Paris se donna tout entier aux recherches qui devaient aboutir à {'Histoire
poétique de Chaiiemagne, publiée comme thèse de doctorat es lettres à la fin de
l'année 1 865. Lorsque, après quarante ans, on relit cet ouvrage avec la connaissance
des progrès réalisés depuis sa publication , on constate assurément que , sur beaucoup
de points , nos informations sont plus complètes et plus sûres , et que certaines des
hypothèses émises par le jeune auteur n'ont pas été confirmées. Mais on remarque
aussi que, bien souvent, le progrès est dû à quelque travail plus récent de G. Paris
lui-même, et en maint autre cas, les recherches nouvelles qui ont précisé nos connais-
sances sur des sujets étudiés dans ïHistoire poétique ont eu pour point de départ une
conjecture ou une observation incidente de G. Paris. Par sa manière claire et pré-
cise de poser les questions il indiquait lui-même ce qu'il y avait à faire pour contrôler
ses conclusions. Peu de livres ont eu sur le développement ultérieur des études une
influence aussi grande, et il n'est pas exagéré de dire que la valeur exceptionnelle
de cette œuvre d'un homme de vingt-cinq ans apparaît plus visiblement aujourd'hui
qu'au temps où elle fut publiée. La décision avec laquelle Paris avait résolu des ques-
tions embrouillées, la clarté qu'il avait su répandre sur des sujets obscurs dissimu-
laient bien des diflicultés que les discussions ultérieures ont fait pleinement apparaître.
Ceux qui ne l'ont pas vu à l'œuvre et n'ont pas été témoins de la promptitude avec
laquelle il embrassait toutes les parties d'un sujet, coordonnait les faits et voyait les
rapports qui les unissaient, auront peine à croire que la composition de ce livre de
plus de cinq cents pages, tout en discussions et en comparaisons de textes, n'exigea
guère plus d'une année.
''••Tandis que s'imprimait ÏHistoire poétique de Cliarleniagne , une entreprise se pré-
pai'ait à laquelle on avait demandé à G. Paris de s'associer, et qui devait absorber,
pendant plusieurs années, la meilleure part de son activité. Cette entreprise, qui
tient une place importante dans l'histoire de l'érudition française du xix' siècle, ce
fut la Revue critique d'histoire et de littérature, dont le premier numéro parut le 6 jan-
vier 1 866 , et qui avait pour directeurs , outre G. Paris, trois de ses ami.s, Charles Mo-
re! , Hermann Zotenberg et l'auteur de la présente notice. A cette époque l'état de la
NOTICE SUR GASTON PARIS. xi
critique en France , du moins en ce qxd concerne l'histoire , l'archéologie , la philo-
logie , était naisérable. L'érudition étrangère était presqxie ignorée , et , pour les livres
publiés chez nous, les comptes rendus qui paraissaient dans nos revues étaient,
en grande majorité, de banales annonces ou des articles de complaisance. La critique
sérieuse, lorsqu'elle se manifestait sous la plume d'un homme compétent, avait trop
souvent le caractère d'attaques personnelles. L' Athenœum français (i85a-i856),
puis la Correspondance littéraire (i856-i865), qui avaient cherché à introduire chez
nous des habitudes plus scientifiques, avaient dû cesser leur publication après
tpielques années, faute d'un appui suffisant de la part du public. En somme, il
n'existait en France aucun organe pour une critique indépendante et ennemie de
toute personnalité. La Revue critiifue voulut être cet organe. Le propectus, rédigé
par G. Paris, disait : rq
Le point auquel les rédacteurs tiennent le plus est l'abstexition de toute personnalité. Le livre
seul est l'objet de la critique; l'auteur pour elle n'existe pas. On écartera avec la même sévérité
la camaraderie et l'hostilité systématique , pour ne tenir compte que des seuls intérêts de la science.
Une des plus grandes conquêtes de notre époque est l'introduction dans les recherches historiques
de méthodes rigoureuses et sûres. La rédaction s'appliquera à propager ces méthodes , dont l'igno-
rance rend souvent incomplets et pénibles les travaux les plus consciencieux.
Cette idée de la méthode applicable aux travaux variés de l'érudition revient
souvent dans les écrits de G. Paris. Elle est devenue banale maintenant; elle ne
l'était pas en 1 866. Tous ceux qui avaient à cœur le relèvement de la science fran-
çaise apportèrent leur concours à la Revue critique, et parmi les collaborateurs de la
])remière heure on voit figurer les noms de savants qui étaient déjà ou qui devinrent
plus tard des maîtres. Mais leur nombre était fort limité, et les fondateurs du recueil
durent faire de grands efforts pour ne pas rester trop au-dessous de la tâche qu'ils
avaient assumée. Et c'est alors qu'on put admirer la variété de connaissances que
[wssédait G. Paris et sa rare puissance de travail. Les nombreux articles qu'il écrivit
dans les premiers volvunes de la Revue critique n'avaient pas trait seulement à la philo-
logie romane : les publications relatives à cette branche d'études étaient rares à cette
époque. Il rendait compte de livres d'histoire, même moderne, d'ouvrages sur la
littérature française de l'époque classique, ou sur les littératures étrangères. Lorsque
G. Paris, déjà absorbé par les exigences de l'enseignement''^, donnait ainsi une par-
tie de son temps à des travaux fugitifs qui le détournaient de ses études propres , il
'"' G. Paris professa au Collège de France remplaçant de son père, puis de nouveau en
pendant l'année scolaire 1866-1867 comme 1869. Il devint professeur titulaire en 1872.
h.
SOI NOTICE SUR GASTON PARIS.
se conformait à une haute conception de son rôle de critique; il voulait contribuer,
dans la mesure di^ ses moyens, à relever le niveau scientifique de son {jaysen faisant
connaître en France un mouvement d'érudition et, plus encore, des méthodes dont,
chez nous, on tenait trop peu de compte. C'était sa manière d'entendre le patriotisme.
Ce n'était pas celle de tout le monde, et beaucoup, en ce temps, furent choqués des
tendances d'une revue où il leur paraissait que les travaux des savants nationaux
étaient systématiquement critiqués avec sévérité , tandis que ceux des savants étran-
g;ers étaient loués et recommandés. Il n'y avait pourtant là rien de systématique. Mai.s
il est des cas où il faut savoir se résigner à avoir contre soi la masse des incompé-
tents. Lorsque , après une interruption d'une année , causée par la guerre , la Revue
rritinuc reprit sa publication, les directeurs purent écrire, dans l'avertissement im-
primé en tête du numéro du i" septembre 1871*":
L'oeuvre que nous avions entreprise ne nous seiublail pas dépoui-vue d'utilité : nous
croyons que si, dans toutes les branches de l'activilé nationale, on avait fait ce que nous avons
tenté dans notre humble sphère , on aurait évité les désastres qui viennent de frapper la France.
Les comptes rendus publiés par Gaston Paris dans la Revue critique méritent d'occu-
per dans son œuvre une place importante. On y trouve déjà en germe beaucoup des
idées qu'il développa plus tard. Ce qui frappe surtout, ce n'est pas tant sa précoce
érudition que la sûreté avec laquelle il savait poser les questions, l'ordre et la clarté
qu'il mettait dans l'exposé et la discussion des idées d'autrui. Dès lors son esprit
possédait les qualités éminentes qu'il appliqua par la suite à de plus grands sujets.
G. Paris continua à prendre part à la direction de la Revue rn</(/i/f jusqu'en 1 887,
mais, à partir de 1873, ses articles se firent de plus en plus rares, un nouveau
recueil, mieux adapté à ses études, la Romania, ayant, à partir de cette date et
jusqu'à la fin de sa vie, réclamé tous ses soins.
De toutes les œuvres auxquelles G. Paris attacha son nom, la Rnmania est certai-
nement celle qui lui tint le plus à cœur et à laquelle il s'est donné le plus complète-
ment. Jusqu'à l'époque où fut fondée cette revue , spécialement destinée aux études
romanes, les riires travaux qui paraissaient en France dans ce domaine étaient dis-
persés entre plusieurs recueils à compétence variée : la Bibliothèque de l'Ecole des
chartes, où G.Paris écrivit plusieurs mémoires (i863, i864, 1866), le Bulletin
du Bibitophile, qui eut aussi sa collaboration intermittente'*', les Mémoires de la
''' Numéros roiiipiémentaires de l'année deux importants articles sur l'histoire de l'or-
1870, p. Ii3. thographe française. Depuis, en diverses occa-
.*'' C'est là notamment qu'il |)ublia, en i8(>8, sions, G. Paris s'est occupé de cette question.
NOTfCE SUR GASTON PARIS. xm
Société de linguistique, fondée en 1866, où il inséra quelques étyniologies , lii
Revue des langues romanes, publiée depuis 1870 à Montpellier, qui était l'un des
organes préférés de la poésie dialectale du Midi de la France , et qui , par suite , ne
pouvait accorder à l'éiiidition qu'une place restreinte. Le recueil périodique qui cor-
respondait le mieux à l'objet que se proposait la Romania était allemand. C'était le
Jahrbach fiir mmanische and englische Literatar, publié à Berlin depuis iS'ig, qui
faisait une large partauv langues et aux littératures romanes pendant le moyen âge.
Plusieurs de nos compatriotes y publiaient des articles en français. G. Paris, encore
sur les bancs de l'Kcole des chartes, lui adressait des revues annuelles de la litté-
rature française. Il y appréciait ï Amour, de Michelet, Fanny, d'Ernest Feydeau, des
pièces de Mario Uchard, d'Kmile Augier et d'Alexandre Dumas fds, le Roman d'an
jeune homme pauvre, de Feuillet, la Légende des siècles, de V. ilugo, la Mireille, de
Mistral, divers poèmes de Laprade, d'Autran et d'autres maintenant un peu oubliés.
Ses jugements sont ceux d'un homme d^• sens, à idées plutôt conservatrices, et qu'on
n'aurait pas cru si jeune. Il est curieux de comparer le jugement assez banal et super-
ficiel qu'il portait sur Mistral en 1 860 , avec l'étude profondément fouillée et presque
enthousiaste qu'il consacra trente-quatre ans plus tard au même poète*". Le Jahrbach
renferme aussi deux articles de G. Paris (1861 et 1870) qui concernent la philo-
logie française. Mais ce recueil, peu répandu chez nous, qui d'ailleurs embrassait
trop de matières, eu égard à l'espace qu'il mettait à la disposition de ses colla-
borateurs, ne pouvait exercer aucune influence sur le développement des études
romanes en France. Aussi, dès que l'avenir de la Revue critique panit assuré, l'idée
vint naturellement à G. Paris et à un de ses compagnons d'études de fonder en France
une revue spéciale pour les langues et les littératures romanes pendant le moyen âge,
la France occupant naturellement la première place , comme ayant la littérature la
plus considérable et la moins connue. La guerre ne permit pas que ce dessein fût réa-
lisé aussi tôt qu'on l'eût désiré; toutefois, au commenceiTient de l'année 187a, le
nouveau périodique paraissait sous le nom de Romania, qui lui avait été donné pour
en faire en quelque sorte le pendant de la Germania, périodique consacré aux études
germaniques qui paraissait à Vienne depuis i855. L'article de début, par G. Paris,
était intitulé Romani, Romania, et exposait en quels sens ces deux vocables avaient
été employés à la fin de l'Empire romain et au commencement du moyen âge. C'était
à la fois l'explication du titre adopté et une digne introduction à l'œuvre qu'on
avait en vue.
C'est dans la Romania que Paris a publié ses travaux les plus originaux sur la lin-
''* Dans la Revue de Paris (1894), article reproduit dans Penseurs et poêles ( 189G).
xiT NOTICE SUR GASTON PARIS.
guistique française et sur notre ancienne littérature. Sans entrer dans une énuméra-
lion qui ne serait pas ici à sa place'*', on peut citer, pour la linguistique, son étude
sur l'o fermé en français ( i 88 1 ) , et de nombreuses recherches étymologiques publiées
à diverses époques; pour la littérature, ses mémoires sur la Chanson du Pèlerinage
de Charlemagne à Jérusalem (1880) où il refaisait et complétait un chapitre de
l'Histoire poétique de Charlemagne, sur les Romans de la Table ronde, et en parti-
culier sur Lancelot du Lac {1S81, 1 883), sur Henri de Valenciennes (1890), sur
Martin Le Franc (1887), sur Villon (1887, 1901 ), etc. Il ypublia aussi des textes
littéraires d'une réelle importance : les nouvelles éditions de la Vie de saint Léger et
delà Passion du manuscrit de Clermont-Ferrand (1872, 1873), YHistoria Daretis
Phrygii de origine Francorum, interpolée dans certains manuscrits du chroniqueur
connu sous le nom de Frédégaire (1874)1 des lais inédits (1879), le Carmen de
proditione Guenonis (1882), le Donneides Amants (1896), etc.
La Romania n'avait pas été fondée uniquement pour être un recueil de disserta-
tions et de textes. Elle avait aussi pour but de faire connaître par des comptes
rendus critiques tout ce qui paraissait de nouveau dans le domaine de la philologie
romane. A l'origine, cette tâche put être accomplie sans trop de difficultés; les publi-
cations de documents, les livres, les dissertations sur tel ou tel point de philologie
romane n'étaient pas tellement nombreux qu'il ne fût possible de les lire et de les
analyser. Mais peu à peu, à mesure que de nouvelles chaires de langues romanes
furent créées, en Allemagne, en Italie, en Amérique, la production devint si abon-
dante qu'il fut impossible de tout signaler. Et cependant, telle était l'importance que
G. Paris attachait à cette partie du programme de la Romania , que jusqu'à la fin de sa vie
il consacra la plus grande partie des loisirs que lui laissait l'accomplissement de ses
devoirs professionnels à rendre compte , soit en des articles étendus , soit sous forme
de notices succinctes, des publications nouvelles. Il y excellait. Il voyait rapidement
et juste, dégageant avec sfireté ce qu'il y avait de neuf dans l'ouvrage examiné, in-
diquant brièvement les défauts de la mise en œuvre et les lacunes. Dans ses critiques,
les questions de méthode tenaient toujours la première place. A cet égard, ses
comptes rendus étaient comme un prolongement de son enseignement. On a pu
regretter que le temps passé à faire connaître les œuvres d'autrui , à les rectifier, à
les compléter, n'ait pas été employé à des études plus personnelles; cependant il
faut reconnaître que certains de ces articles critiques ont la valeur de mémoires ori-
ginaux et qu'ils l'ont amené à exprimer ses idées sur maints sujets qu'il n'eût sans
doute pas abordés, si foccasion ne lui en avait pas été offerte.
''' On peut d'ailleurs recourir à la Bi6/ioyra- 190^ par deux de ses élèves, MM. Bédier
phie des travaux de Gaston Paris publiée en et Roques.
NOTICE SUR GASTOiN PARIS.
XV
Après la Romaiiia, c'est ÏHistoire littéraire qui renferme le plus grand nombre des
monographies consacrées pai' G. Paris à notre ancienne littérature. Ici son choix
était moins libre. Beaucoup des notices qu'il eût aimé à rédiger avaient été faites
par ses devanciers, et les matières dont il eut à s'occuper n'étaient pas toujours celles
qui avaient poui' lui le plus d'attrait. C'est là une condition à laquelle doivent se
soumettre tous ceux qui collaborent à notre œuvre commune. G. Paris, toutefois,
avait une prépiu^ation générale qui lui permettait de traiter d'une façon nouvelle
et intéressante les sujets en apparence les plus ingrats. Notre tome XXVIII (1881)
contient de lui cinq notices sur des écrits appartenant à des genres bien dilférents :
le Manuel de péchés de William de V\ addington , traité de théologie à l'usage des
laïques , qui eut en Angleterre le plus grand succès ; la Bible en vers français de Macé
de La Charité; les poèmes de Galien et de Lohier et Malarl, tous deux appartenant
à l'épopée carolingienne , le second perdu en original , mais conservé par une ver-
sion allemande; le Roman du Châtelain de Couci. Ces notices pourraient maintenant
être corrigées et complétées sur certains points , sans toutefois que les conclusions en
fussent modifiées. Il faut dire que G. Paris a lui-même indiqué en diverses occa-
sions les corrections et modifications que le progrès des études permet d'y intro-
duire "'.
''' Ainsi, lorsque G. Paris écrivit son ar-
ticle sur Galien, on ne connaissait ce poème
que par deux rédactions en prose, tpi du
reste permettaient de se former une idée assez
exacte de l'original. Depuis, cet original a été
retrouvé, et G. Paris lui a consacré une notice
qui a paru dans la Romania , XII , 1 et suiv. —
Au sujet de Macé de La Charité, nous avons
trouvé ,d ans les papiers de G. Paris , une courte
note qu'il se proposait d'insérer parmi les addi-
tions et corrections du tome XXIX, mais qui
toutefois n'y a pas pris place. La voici :
P. 208 et suiv. Il existe à Tours un second
manuscrit de l'œuvre de Macé de La Charité, que
nous ne connaissions pas quand nous avons fait la
notice de cet écrivain , et sur leqiiel on peut voir
des renseignements dans l'ouvrage de M. Bonnard
Les traductions de la Bible en vers franrais au
mojen âge (Paris, i884), p. 67-81. Au lieu du mot
puitei. qui nous était incompréhensible (p. ni),
le manuscrit de Tours porte Bedes, ce qui indique
que le commentaire biblique de Bède a été une des
principales sources de Macé; toutefois, comme l'a
montré M. Bonnard, ce n'a pas été à beaucoup
près sa source unique. — G. P.
G. Paris avait également rédigé un court
supplément à son article sur le Châtelain de
Couci. Nous croyons devoir l'insérer ici :
P. 367 et suiv. M. Fath, dans l'introduction
qu'il a mise à sa nouvelle édition des chansons du
châtelain de (x)uci (Heidelberg, i883), a fait va-
loir divers arguments pour établir que l'auteur de
ces chansons était, non pas Renaud I, mais Gui,
mort en i 3o3 pendant la quatrième croisade. Ces
arguments sont d'inégale valeur, mais il en est un
que nous avons maintenant tout lieu de croire dé-
cisif. Une chanson du châtelain est, comme nous
l'avons dit, citée dans le roman de Guillaumr dr
Dôle. Or ce roman, dont nous n'avions pu indiquer
la date qu'approximativement, a dû être écrit,
comme le dit M. Fath , avant 1218, ou plus pr/^-
cisément, comme le montrera M. Servois, qui en
prépare une édition, vers 12 u : il est donc im-
possible qu'une chanson de Renaud, qui ne fut
\V1
NOTJCE SUR GASTON PVRIS.
Dans le tome XXIX (1881) il publia, outre la notice sur son père'", un long
article sur « Chrestien Legouais et autres traducteurs et imitateurs «l'Ovide»®. Il
prit aussi part à la rédaction du vaste article sur Raimon IjuH , qui occupe plus de
la moitié de ce volume et qui est l'œuvre collective de la Commission.
Le tome XXX ( 1 888 ) est celui auquel G. Paris a fourni la plus forte contribution.
Sous le titie de « Romans en vers de la Table ronde », il y étudia , en une série d'articles ,
lous les romans en vers français ou provençaux qui se rattachent do près ou de
loin au cycle d'Arthur ou à celui de Tristan , divisant sa matière en quatre séries :
r les poèmes relatifs à Tristan ; a° les poèmes de Chrestien de Troyes ; 3" les romans
épisodiques, notamment ceux relatifs à Gauvain ; 4° les romans biographiques, ran-
gés dans l'ordre alphabétique des titres. Entre ces poèmes, plusieurs avaient déjà été
l'objet de notices, dans nos tomes X'Và XXII. Mais on conçoit cpie des articles com-
posés dans la première moitié du xix' siècle, sur des sujets que la critique n'avait pas
encore débrouillés, devaient paraître très arriérés. On poui lait même dire que la plu-
part des notices contenues dans nos anciens volumes , si on les envisage du point de
vue où sont arrivées les recherches sur le moyen âge littéraire, seraient à refaire.
Hauréau le pensait , et il ne manquait pas l'occasion de rectifier ou de compléter
l'œuvre de nos devanciers. Il eût voulu aller plus loin et consacrer une partie de
notre publication à de véritables suppléments aux anciennes notices. G. Paris n'était
pas éloigné de partager ce sentiment, sans se dissimuler que si on entreprenait de
mettre au courant de nos connaissances actuelles des travaux vieux de plus d'un
demi-siècle, c'était une portion considérable de notre œuvre qu'il faudiait récrire. La
l'IiÂlcInin. loiil jcuni: encore, qu'en U07, ail <^té
«vlèhre en m 2; d'ailleurs il est certain que l'au-
Icur lie ces chansons fit le pèlerinage d'outre-mcr,
ce qui ne parait pas a\oir <'l*i le cas pour Renaud.
Il faut donc, suivant toute prohahilité , regarder
Goi de ('x>uci , châtelain de Couci , comme l'auteur
des chansons qui passèrent de lionne heure pour
les meilleures de leur genre. [Cf. une noie de
(t. Paris, dans la Romaiiia, XIU, 485.]
La légou'Jc qui fait le fond du roman de Jako-
mon Sakesep a, depuis la publication de cet or-
licle, clé relrouïée dans l'Inde, et elle a probable-
ment une origine asiatique. Voyez llnmunin, l. \II,
p. 35g. — (r. P.
Nous pouvons ajouter encore «|u'il existe
en néerlaii'Inis une imilalion très libre du
('luUehiin de Couci, dont il nous est parvenu
quelques fragments qui ont été publiés i\ Leyde
en 1887. G. Paris en a rendu compte dans la
Romuniu, XVII, 456 et suiv.
"• Cette notice est tout à fait différente de
celle qu'il publia dans la liomunia, t. \I.
''•' H faut noter en passant que l'attribution
de YOvide moralisé à un écrivain nommé
Chrestien Lcgouais est le résultat d'une erreur
que notre confrère M. Thomas a expliquée et
rectifiée dans un article de la Roniania, XXII,
371. (i. Paris admit la rectification, elle nom
de Chrestien Legouais disparut de la 3" édi-
tion de sa lAuéralure française, au moyen âge.
Cf. ce qu'il a écrit à ce propos dans le Jour-
nul (les Savants, 1902, p. ugS.
NOTICE SUR GASTON PARIS. wii
Commission refusa, avec raison , d'entrer dans cette voie , persuadée que le progrès
des études est incessant, qu'il n'est jamais permis de déclarer close la période des
découvertes, et que, à revenir constamment sur le passé, nous retarderions, sans
beaucoup de profit, l'avancement de notre œuvie. G. Paris le comprit, et il sut garder
une juste mesure dans la rédaction des compléments qu'il Ht aux articles de nos de-
vanciers sur les Romans de la Table ronde. Il se borna le plus souvent à rectifier des
dates , à signaler des éditions et des travaux récents , à formuler brièvement les con-
clusions nouvelles que comportait l'état de nos connaissances. Et comme, dans nos
études, rien n'est définitif, s'il avait pu, dans les dernières années de sa vie, reviser ce
qu'il écrivait il y a vingt-cinq ans, il y eût trouvé assurément matière à correction '".
' Les suppléments à d'anciennes notices de Y Histoire littéraire ne forment, du reste,
(fue la moindre partie du travail considérable que G. Paris a consacré aux romans
du cycle d'Arthiu* dans notre tome trentième. Un bon nombre des poèmes dont il
traite, et entre lesquels plusieurs remontent au xii° siècle, étaient restés inconnus à
nos devanciers. Cei'tains même n'existent plus sous leur forme française, et notre
confrère a dû les retrouver dans des versions flamandes, anglaises ou allemandes:
c'est le mérite de G. Paris de les avoir en quelque sorte restitués à notre littératui'e.
Notre tome XXXI (iSgS) contient un long article de G. .Paris sur Girart
d'Amiens, rimeur prolixe qui, vers la fin du xiii' siècle, composa trois poèmes sans
valeur poétique, mais intéressants toutefois par les questions qu'ils soulèvent: les
romans d'Escanor, de Méliacin , et une longue chanson de geste intitulée « Charle-
« magne ». Etudiant Méliacin, notre confrère a résolu une question qui, jusqu'alors,
avait été mal posée, celle du rapport de ce poème avec le Cléomadès d'Adenet. Pour
le Charlemagne , il n'avait qu'à compléter par de nouvelles observations ce qu'il en
avait dit vingt-cinq ans plus tôt dans son Histoire poétique de Charlemagne. Il collabora,
avec Renan, à l'article sur le Livre de Sidrac, ouvrage singulier dont l'origine est
encore assez obscure, et il reniania une notice rédigée par son père sur Jehan
Maillart, auteur du Roman du Comte d'Anjou. mnoiV i;i Bup "i
i> t^iii^l bi'b rt(«p xiiii5jviion eli»! »b xiiahu ,
'■' Ainsi il eût certainement modifié la (laie lui-même, dans sa Littératare française au
qu'il assigna, p. a 2, au roman de Tristan par moyen âge (3* éd.), 8 56, a rectifié son opinion
Béroul. Il ne le croyait pas plus récent que première sur ce point. De même pour la Veii-
1 i5o. Mais on admet maintenant qu'une par- ijeance de Ragaidel : G. Paris (p. 46-47) tenait
tie seulement du poème est de Béroul , et que <pe le Raoul , auteur de ce roman , est dis-
celte partie même ne peut guère être anté- tinct de Raoul de Houdenc, auteur de JV/eraHjfis
rieure à 1170 environ, le reste étant encore et d'autres poèmes. Mais il se rangea depuis
moins ancien; voir l'édition de M. Muret (So- à l'opinion de ceux qui identifient ces deux
ciéto des anciens textes , igoS, p. cxiv); Pari» ïiaoal [Bomimia, XXIX, 117-118).
HIST. LITTÉR. XXXlll. C
xviii NOTICE SUR GASTON PARIS.
Dans le tome XXXII, nous relevons deux notices de tout premier ordre, l'une
sur le Roman de Fauve! , dont on ne possède jusqu'à présent qu'une édition médiocre ,
faite il y a quarante ans d'après un manuscrit incomplet, et l'autre sur Jean de Join-
ville. Celle-ci, qui, publiée à part, formerait un livre de moyenne étendue, est une
étude aj)profondie sur le célèbre historien. Toutes les questions, souvent fort com-
plexes', tnn se rattachent à la composition des mémoires du fidèle compagnon d»-
saint Louis, à la date des éléments divers dont ils se composent, à leur transmission,
sont élucidées avec une critique supérieure. Nul autre que G. Paris n'aurait réussi à
présenter tant d'idées nouvelles sur un sujet qui avait suscité de si nombreux travaux.
Le tome XXXIII, que nous publions actuellement, était en cours d'impression
lorsque nous avons perdu notre bien regretté collaborateur. Il avait pu, cependant,
corriger les épreuves de sa notice sur Raimond de Béziers, traducteur médiocre et
compilateur malhabile d'écrits que nous possédons presque tous sous leur forme
originale. Jusqu'ici l'œuvre de cet écrivain avait été mal appréciée , et on lui avait
attribué une importance (pi'elle n'avait pas. On peut dire que dans cette notice ont
été résolues pour la première fois les questions embrouillées qui se rattachent au
rôle joué par Raimond de Béziers dans la transmission du vieux recueil de contes
indiens auquel les Arabes ont donné le titre de kaiilah et Dimnali.
L'Histoire littéraire et la Romania ne sont pas les seuls recueils où G. Paris ait
publié des travaux originaux de recherches et de critique. Sa collaboration au Journal
(les Savants, dont il devint en i884 l'un des rédacteurs attitrés, ne doit pas être
passée sous silence. Nous ne pouvons énumérer ici les nombreux articles qu'il y
publia, et qui témoignent, par leur variété, de sa vaste compétence et de sa curiosité
sans cesse en éveil : les vieilles traductions latines de la Bible, les chants populaires,
la transrnission des fables depuis l'antiquité jusqu'à une époque avancée du moyen
âge, les recueils de contes l'intéressent autant que notre vieille littérature française.
G. Paris aimait à écrire dans le Journal des Savants. Il s'y sentait plus à l'aise que nulle
part ailleurs, même qu'à la Romania, où il avait pour lecteurs des spécialistes plus
curieux de faits nouveaux que d'idées générales , et où de longs développements n'au-
raient pu trouver place. Le Journal des Savants lui laissait plus de liberté. A l'occasion
d'une publication récente il pouvait développer largement ses vues sur le sujet, re-
prendre à nouveau des questions maintes fois débattues, risquer d'ir)génieuises con-
jectures, refaire en quelcjue sorte le livTe dont il rendait compte. Aussi éprouva-t-il
une véritable aflliction quand il apprit que ce recueil, vénérable par son antiquité,
était menacé de mort prochaine par le retrait de la subvention de l'Etat qui le fai-
sait vivre. 11 lui sembla qu'un organe essentiel^ sa vie littéraii-e allait lui manquer.
L'Institut se devait, pet>$ait-il, de ne pas laisser disparaître uo recueil auquel il était
.111/,- ! M .Tfîm
NOTICE SUR GASTON PARIS. xrx
associé par une longue tradition. 11 fit des efforts inouïs pour en prolonger la précaire
existence. Atteint déjà de la maladie qui devait l'emporter à bref terme, il assuma
la direction du journal en péril. Personne ne la lui disputa. A force de démarches
il obtint les subsides nécessaires pour le remettre à flot. 11 rédigea un plan de ré-
forme, il s'assura de nouveaux collaborateurs, et c'est, en somme, grâce à lui qu'une
nouvelle série du Journal des Savants, revenu à la vie, parut à partir du mois de jan-
vier 1 9o3. Le premier numéro contient une histoire du Journal, depuis sa fondation
en i665, par son nouveau directeur. G. Paris avait cru devoir placer ce préambule
en tête de la nouvelle série du recueil qui , pendant plusieurs mois , lui avait causé
maints soucis et l'avait détourné de ses travaux habituels. Ce fut son dernier effort.
Si variées qu'aient été les connaissances de G. Paris , si nombreux que soient les
sujets dont il s'est occupé, c'était pourtant vers nos vieux écrivains, vers l'histoire de
notre langue, que convergeaient toutes ses études. Cette prédilection n'était pas seule-
ment un goût d'érudit, c'était l'une des façons dont se manifestait l'amour profond et
éclaii'é qu'il portait à son pays. Il lui pesait de voir les œuvres les plus caractéristiques
du vieil esprit irançais ignorées et dédaignées en France, tandis qu'elles étaient
publiées , étudiées , appréciées à leur valeur par des savants étrangers. D en souffrait ,
et il ne le cachait pas. Ainsi , dans le premier discours qu'il prononça comme pré-
sident de la Société des anciens textes français "\ il disait :
La Société des anciens textes français est une œuvre nationale; elle a pour but de mieux faire
connaître la vieille France; elle veut que l'Allemagne ne soit plus le pays d'Kurope où il s'imprime
le plus de monuments de notre langue et de notre littérature d'autrefois; elle veut faire revivre
le simple langage, les rôves héroïques, les joyeux rires, les vieilles mœurs de nos pères. Elle a
besoin de l'appui de tous ceux qui comprennent l'importance de la tradition , de tous ceux qui
savent que la piété envers les aïeux est le plus fort ciment d'une nation, de tous ceux qui sont
jaloux du rang intellectuel et scientifique de notre pays entre les autres peuples, de tous ceux
(|ui aiment dans tous les siècles de son histoire cette France douce pour laquelle on savait déjà si
bien mourir à Roncevaux, et ce bel français que Chrestien de Troyes, sous Louis le Jeune, avait
si bien mi» en oeuvre qu'on croyait alors qu'il n'avait rien laissé à glaner après lui et qu'on ne
pourrait jamais bien écrire qu'en l'imitant.
Il avait pris une grande part à la fondation de cette société '**, pour laquelle il avait
conçu des espérances qui ne se sont pas entièrement réalisées. Il aurait voulu que
grâce à elle la France devînt le centre, sinon unique, du moins le plus actif de la
publication des anciens monuments de notre langue et de notre littérature. Il ne tint
'"' Bulletin de la Société des anciens textes '*' Voir le Bulletin de la Société , année 1 88 1
français, année 1877, P- ^^- P- 79-
\v
NOTICE SUR (; ASTON PARIS.
pas à lui qu'il n'en fût ainsi. Jusqu'à la fin de sa vie G. Paris fut . pour ainsi dire ,
l'àiue de la Société des anciens textes français. Non seulement il y publia . soit seul ,
soit avec d'autres, une quinzaine de volumes, mais, en qualité de commissaire res-
])onsable, il collabora elTectivement à bien des éditions qui ne portent pas son nom
et qui pourtant lui doivent beaucoup.
Mais l'œuvre principale de sa vie fut l'enseignement. Il entra dans le professorat
officiel'" en 1866, époque où il remplaça son père au Collège de France pendant
une année. En 187a, Paulin Paris ayant pris sa retraite, il fut nommé professeur
titulaire et professa sans interruption jusqu'au moment — peu de semaines avant
sa mort — où la maladie le terrassa. En 1867 il avait fait un cours, sur l'histoire.
de la langue française, dans une salle voisine de la Sorbonne, la salle Gerson, où
Duruy avait installé un certain nombre de cours libres ayant en général un caractère
érudit. En 1868 fut londée l'École des Hautes Etudes où G. Paris fut appelé dès
l'origine en qualité de répétiteur, et où il devint bientôt directeur d'études. Il devait
plus tard , à la mort de Léon Renier ( i 88 5 ) , être nommé président d'une des sections
de cette école, situation qu'il conserva jusqu'au moment où il fut nommé administra-
teur du Collège de France ( 1 896). On s'étonne à bon droit qu'il ait pu mener de front
ces deux enseignements et en même temps conduire à bonne fm ses nombreuses
publications, d'autant plus que la faiblesse de sa vue lui interdisait à peu près
complètement le travail du soir. Il y parvint cependant , grâce à une rare puissance
de travail aidée d'une excellente mémoire. Il ne manque pas de savants qui ont donné
journellement à félude plus d'heures que lui : on n'en trouverait guère dont le labeur
ait été aussi intense et aussi fécond. Il faut dire aussi que plusieurs des publications de
G. Paris sont sorties de son enseignement. C'est ainsi que son édition de la Vie de saini
Alexis, qui lui valut le premier prix Gobert en 1872 , avait été préparée dans ses
leçons de l'Ecole des Hautes Etudes. Le long mémoire sur les poèmes français du cycle
de la Gageure , publié après sa mort '^', a été tiré des notes d'un cours professé au Collège
de France par G. Paris dans les dernières années de sa vie. Ces notes, que notre
confrère se proposait, selon toute probabilité, de faire entrer dans une série de notices
sur les romans d'aventures, pour Y Histoire littéraire, étaient suffisamment rédigées
pour qu'il ait été possible, moyennant quelques retouches, de les publier. Malheureu-
sement c'était un cas exceptionnel, et la plupart des notes qui servaient à G. Paris
d'aide-mémoire pour ses leçons sont trop incomplètes pour qu'on puisse songer ii
les imprimer.
' ' Il avait «li'Jn, on i8()i, |)iiis vn i865-i8<>6, fait dos conférences lilléraires dans des coiirjs
privés. — '■''> Uommiia , XWII (igoS), 48i-55i.
NOTICE SUR GASTON PARTS. xx.
L'enseignement de G. Paris fut singulièrement fécond. On venait' de loin pour
iecouter au Collège de France ou à l'Ecole des Hautes Etudes. Bon nombre des
professeurs qui actuellement enseignent les langues romanes en Allemagne, en
Suisse, en Hollande, en Suède, en Finlande, aux Etats-Unis, s'honorent d'avoir été
ses élèves et lui ont témoigné leur reconnaissance de maintes façons'". Mais il est
pénible de constater qu'en France même sa parole trouva moins d'écho. Non que les
honneurs et les distinctions de tout genre lui aient manqué. Le gouvernement et
les académies ne méconnurent pas ses mérites. Mais il put regretter plus d'une fois
de n'avoir pas plus d'élèves français. Il en eut assurément, et plusieurs d'entre eux
sont, à leur tour, devenus des maîtres, mais bien souvent il vit avec peine, en par-
courant la liste des auditeurs admis à suivre ses leçons de l'École des Hautes Etudes,
que la plupart étaient des étudiants étrangers. Car, s'il travaillait pour la science qui
ne connaît pas les frontières d'Etats, il croyait aussi travailler pour son pays, dont il
aurait voulu faire admirer le passé glorieux par un plus grand nombre de Français.
Pendant les vingt-cinq premières années de sa vie scientifique G. Paris avait réservé
toute son activité à des travaux destinés à un public érudit , par conséquent restreint.
Il vint un moment où il voulut aussi faire œuvre de vulgarisateur, et il s'y montra
supérieur, car ce cpi'il rendait accessible au grand public, c'étaient surtout ses propres
idées. L'aisance avec latfuelle il embrassait d'un coup d'œil toutes les parties d'un
vaste sujet, subordonnant les faits à des idées générales et les classant selon un
ordre logique, le rendait particulièrement apte à rédiger ces résumés qui marquent,
pour un temps plus ou moins long, l'état de la science. Il conçut le projet d'un
«Manuel d'ancien français» comprenant : i° un résumé de la littérature française
du XI* au \iv' siècle; ■2° une grammaire de la langue française pendant la même pé-
riode; 3° un lexique de l'ancien français; k" un choix de textes. De ces quatre parties
une seule fut exécutée : La littérature française au nuryen âge parut en 1888 et eut
assez de succès pour qu'une nouvelle édition dût être publiée l'année suivante'*'. C'est
un exposé très condensé, plein de faits et d'idées, qui s'étend jusqu'à l'avènement des
Valois. Toutes les parties en sont justement proportionnées et parfaitement coordon-
nées. La concision toutefois y est poussée au point d'en rendre la lecture parfois fati-
gante. De la grammaire qui devait suivre une partie fut rédigée par G. Paris dans
les dernières années de sa vie, mais ce travail est trop peu avancé pour qu'il soit
possible de le publier.
• 'f*^ Citons notamment le Recueil de mémoires in-8°, a()o pag^es. La lettre imprimée en tète
philologiques présenlé à M. Gaston Paris par ses de ce recueil est suivie de vingt signatures.
élèves suédois le 9 août 1889 à Foccasion de sou '"' La troisième, en partie préparée par Taii-
cinquanlième anniversaire (Stockholm, 1889), tem-, vient de paraître (iC)o5).
XXII NOTICE SUR GASTON l'AlilS.
En 1901 il avait composé, sur un plan tout différent, un îiutre préx:is de la litté-
rature française, où l'histoire, littéraire de notre pays est conduite jusqu'à la fin du
w" siècle. Cet ouvrage, plus élémentaire que le précédent, et dépourvu de tout appa-
reil d'érudition, parut d'abord (à la fin de 1902) en traduction anglaise dans une
série de ces résumés que les Anglais appellent primers. On vient d'en publier, à Paris,
l'original français augmenté de quelques notes '". l'u^ .
Gomme tous ceux que passionne la recherche originale et qui voient suuvrir
devant eux des horizons pour ainsi dire illimités, G. Paris avait formé bien des pro-
jets qu'il ne put réaliser. Très jeune encore il avait soumis au Comité des travaux
historiques le plan d'une publication des anciens glossaires latins-français dont les
manuscrits sont conservés dans nos bibliothèques, et qu'il voulait faire de concert
avec un de ses amis '2^. H y travailla pendant quelque temps, fit faire quelques
copies, qu'il n'utilisa pas, et lut bientôt absorbé par d'autres soins. Il avait promis à
la Société des anciens textes français une édition, avec introductions et conuneiir
taires, des plus anciens monuments de la langue française, pour joindi'e au recueil
des fac-similés de ces monuments que la Société avait publié en 1875. Il rédigea
une partie de ce travail, en publia même un fragment'", mais d'autres travaux récla-
mèrent son attention, et l'ouvrage demeura interrompu. Il n'a pas non plus tromé
le temps d'écrire le volume d'introduction qui devait prendre place en tête de son
édition des Mirax;les de Notre-Dame '^"^ Il avait conçu bien d'autres projets, dont la
trace se trouve dans ses papiers. Sans doute il en eût réalisé quelques-uns, s'il ne.
nous avait été ravi en pleine vigueur intellectuelle. Mais ce qu'il a fait suffirait à
illustrer une vie plus longue que la sienne.
La nouvelle de sa mort retentit douleureusement par tout le monde savant, sans
distinction de nationalités. Les témoignages de sympathie et de regret qui affluèrent
au Collège de France le jour de ses obsèques en sont la preuve. Nulle part le coup
qui le frappa ne fut ressenti plus vivement qu'à la Commission de l'Histoire littéraire,
où il ne compta jamais que des amis, et où deux de ses collègues étaient ses contem-
porains et avaient été ses condisciples. Autant que d'autre* , nous avons pu apprécier,
dans nos conférences périodiques, la justesse de son jugement et la variété de ses
'"' Esquisse historique de la littérature fran- dans sa séance du 7 décembre 1868 {liev, de*
çaise au moyen âye depuis les origines jusqu'à la Soc. sav., 4* série, IX, io5).
(in du X y' siècle. Paris, A. Colin. ''' Dans \a Miscellaneadifdologia elinguiitica
'*' Voir le rapport de Rathery sur cette pro- publiée en mémoire de Gaix et de Canelio (Flo-
position. Revue des Sociétés savantes, li' série, rence, 1886), p. 77-89.
\ {1869), 453. Le projet de publication avait ''> Société des anciens textes français,
été soumis au Ck>mité des travaux historiques 1876-1890, huit volumes.
NOTICE SUR GASTON PARIS. xxik
connaissances , mais plus que personne nous avons été en position de connaître le
dévouement aux œuvres faites en collaboration qui était l'un des traits dominants de
son caractère. En toute occasion il faisait passer l'intérêt commun avant son propre
intérêt. li a fait ses cours jusqu'à la dernière limite de ses forces , jusqu'au moment
où sa faiblesse croissante le réduisit au silence. 11 a donné largement son temps et
son intelligence aux travaux collectifs des nombreux conseils ou comités dont il fai-
sait partie , assistant régulièrement aux séances , prenant une part active aux dis-
cussions, acceptant de bonne grâce , sans toutefois les solliciter, les cbarges qu'on lui
imposait , qu'il s'agit des fonctions absorbantes de commissaire responsable pour des
publications érudites , de rapports à faire , de thèses à examiner, de discours à pro-
noncer en des séances solennelles. Il nous semble le voir encore, pendant les der-
nières semaines de sa vie , gravissant péniblement les étages qui conduisent à la salle
réservée à la Commission de l'Histoire littéraire, arrivant essoufflé à sa place accou-
tumée, et, après queltpies instants de repos, prenant part à nos travaux avec son
habituelle lucidité d'esprit *". On sait assez que G. Paris avait toutes les qualités qui
font le vrai savant ; le trait qu'il nous plaît de relever ici , c'est son dévouement
absolu au devoir professionnel.
P. M.
''' La dernière séance de la Commission à laquelle G. Paris assista est celle du a3 jan-
vier 1903.
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
MAITRE JEAN D'ANTIOCHE,
TRADUCTEUR,
ET
FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE,
HOSPITALIER.
La littérature devait tenir une place assez secondaire dans les occu-
pations des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. C'est une raison
pour étudier avec une attention particulière les écrits qui ont été
composés dans les maisons de l'ordre, soit par des frères, soit par
des clercs attachés au service des frères.
Nous réunirons dans un même article l'examen de plusieurs ou-
vrages que l'ordre de l'Hôpital peut revendiquer et dont les auteurs,
frère Guillaume de Saint-Etienne et maître Jean d'Antioche, ont
pris soin de se faire connaître. M. Delaville Le Rouk et M. Ch. Kohler*''
ont déjà donné quelques détails sur Guillaume de Saint-Etienne; mais
aucun bibliographe , aucun historien, n'a mentionné Jean d'Antioche,
bien que cet auteur nous ait laissé deux ouvrages assez remarquables :
une traduction de la Rhétorique de Cicéron et une traduction des
Otia imperialia de Gervais de Tilbury.
JNous commencerons par examiner les oeuvres de Jean d'Antioche.
''' C'est à M. Charles Kohler que nous devons la rédaction de la préface du tome V des
Historiens occidentaux des Croisades.
TOME XXXIII. 1
2 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
I
MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE.
Ce que nous savons de la vie de maître Jean d'Antioche se réduit
à quelques indications consignées au commencement et à la fin de
sa version de la Rhétorique. Nous y trouvons, expressément mention-
nés, le nom du traducteur, celui du frère de l'Hôpital qui fit entre-
prendre le travail, et la date à laquelle le travail fut exécuté.
Voici ce que porte le manuscrit du Musée Condé (n" 690) qui
nous a transmis la traduction de la Rhétorique de Cicéron et qui pa-
raît avoir été copié vers la fin du xiii* siècle.
1° Au commencement de la table par laquelle s'ouvre le volume
(fol. 1) :
Ci comense le prologue que maistre Johan d'Antliioche fist.
Ci comense Rettorique de Marc Tulles Cyceron, laquel maistre Johan d'Anthioche
translata de latin en romans, a la requeste de frère Guillaume, frère de l'ospital de
Saint Johan de Jherusalem, l'an de l'incarnation m. et ce. lxxxii "'.
2° Dans la rubrique du prologue (fol. 6 v°) :
Ci comense le prologue que maistre Johan , translateor de Rettorique, fist.
3° A la fin du prologue (fol. 12 v°) :
Ensi poez vos veyr et comprendre briement en mémoire par quele ordenance
ce livre contient toute l'art de rethorique, laquele art je Johan d'Anthioche, que l'en
apele de Harens, ai translatée dou latin en franceis et vulgalizée, a l'onor et a la re-
queste del honest home et relegious frère Guillaume de Saint Estiene, frère de la
sainte maison de l'ospital de Saint Johan de Jherusalem. Ce fu fait en Acre, l'an de
fincarnacion Nostre Sèignor Jhesu Crist, m. ce. lxxxii'*'.
li" Dans la rubrique mise en tête de la traduction (fol. 1 3) :
Ci comense Rettorique de Marc Tulles Cyceron, laquel maistre Johan d'Anthioche
translata de latin en romans, a la requeste de frère G., de l'ospital de Saint Johan
de Jérusalem, l'an de l'incarnation m. cc.lxxxfi.
'"' Le ms. porte : « m. et ccc. lxxxii ». C'est la — La ville d'Acre tomba au pouvoir des Inû-
une faute évidente, que Je relieur a reproduite dèles en 1291.
en mettant ce titre au dos du volume :• Recto- '*' Ici encore, le copiste s'est trompé en
rique de Cicéron par Jean d'Antioche. i38a. » inscrivant la date : « m.cc.lxxim.
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 3
5° Dans le dernier paragraphe du petit traité de logique que
maître Jean d'Antioche a joint à sa traduction (fol. i64) :
Frère Guillaume, par cest escrit poez avoir gênerai conoissance de l'argumen-
tacion de logique, et auques eniprès savoir des leus, se vos esludiez curiousement.
De ces textes il résulte que maître Jean d'Antioche résidait à Saint-
Jean-d'Acre en 1282 et qu'il devait être un des prêtres attachés à
l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Quant à frère Guillaume de
Saint-Etienne, qui lui fit entreprendre la traduction de la Rhétorique,
c'était un frère hospitalier, auquel des charges importantes de l'ordre
ont été confiées et dont nous aurons à faire connaître la vie et les tra-
vaux dans la seconde partie de cette notice.
Ce que Jean d'Antioche appelle la Rhétorique de Gicéron est la
réunion de deux traités bien distincts, le traité en deux livres intitulé
De Invenlione, et le traité en quatre livres intitulé Rhetorica adHeren-
nium, qui, comme on le sait, n'est pas de Gicéron. Le premier était
connu au moyen âge sous la dénomination de Rhetorica vêtus, le second
sous celle de Rhetorica nova. On trouve ces deux ouvrages juxtaposés,
copiés l'un à la suite de l'autre , dans beaucoup de manuscrits de la
fin du XII* siècle ou du commencement du xiii*^^). L'habitude de les
réunir est attestée par un article de la Riblionomie de Richard de
Fournival ;
Ejusdem (Marci Tullii Ciceronis) liber priorum ihetoricorum et item posteriorum
ad Herennium, in uno volumine, cujus signum est littera C'^>.
'*' Voici en quels termesles deux Rhétoriques
sont désignées dans plusieurs anciens catalo-
gues, du XI' au xin" siècle :
Biljliothèque de Corbic : « 287. Tullius, se-
« cunda rethorica. — uSS. Utraque rethorica.
• — 289. Prima. — 290. Utraque rethorica. —
« 292. Rethorica secunda. » Delisle, Le Cabinet
des manuscrits, t. II, p. 44o.
Bibliothèque de la cathédrale du Puy : « 36.
« Cicero de rethoricis , divisus duobus libris. »
Ibid. , p. 444-
Bibliothèque de Saint-Amand: « 174. Retho-
« rica Ciceronis de Inventione. — 176. Retho-
« rica Ciceronis ad Herennium. » Ihid. , p. 454.
Bibliothèque de Cluni : « 49 1 . Volumen in
« quo continentur utreque rhetorice Ciceronis. »
Ihid., p. 478.
Bibliothèque indéterminée de la fin du
xn* siècle : « i3. Rethoricam utramque. «Ibid.,
p. 5i 1.
Bibliothèque de Saint -Pons de Tomières :
«290. De rethorica sunt quinque volumina et
« dicuntur libri rethoricarum , et quodlibet
« eorum incipit : Sepe et in multum. — Item est
• aliud volumen quod dicitur liber Marci Tullii
«ad Herennium de rhetorica. » Ibid., p. 649.
La table mise en tète de la traduction de
maître Jean d'Antioche contient un article
ainsi conçu :
« Ci comense le tiers livre qui est apelé Ret-
« torique novele que Ciceron fist a Herenni. •
Jean d'Antioche lui-même , à la fin du pro-
logue , distingue « la vielle art » de « la novele ».
Notices et extraits des manuscrits, t. XXXVI, p. 1 7.
'*' Delisle , Le Cabinet des manuscrits de la
Bibliothèque nationale, t. II, p. 525.
4 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
Maître Jean d'Antioche a fondu les deux Rhétoriques en un seul
corps d'ouvrage, qu'il a intitulé « Rettorique de Marc Tulles Gyce-
« ron » , et divisé en six livres , les deux premiers répondant aux deux
livres du De Inventione, et les quatre autres (III-VI) aux quatre livres
du traité Ad Herennium. Il a partagé le tout en 206 chapitres, formant
une série unique et numérotés i-ccvi , les cotes ii-xxxvii affectées au
livre I, les cotes xxxviii-lxxv au livre II, les cotes lxxvi-lxxxxii au
livre III, les cotes lxxxxiii-cxix au livre IV, les cotes cxx-cxxxiii au
livre V et les cotes cxxxiiii-cciiii au livre VI.
Le traducteur n'a pas, dans le cours de son œuvre, tenu compte
du système auquel il s'était arrêté en fondant ensemble les deux traités
et en faisant des quatre livres des Rhetorica ad Herennium les livres III,
IV, V et VI de sa traduction de la Retorujae de Marc Tulle Ciceron.
Au commencement du livre III Ad Herennium, l'auteur annonce
à Herennius le prochain achèvement d'un quatrième livre consa-
cré à l'élocution : « De elocutione in quarto libro conscribere malui-
« mus, quem, ut arbitrer, tibi librum celeriter absolutum mit-
«temus. . . » Dans la traduction, le livre relatif à l'élocution est le
sixième, ce qui n'a pas empêché le traducteur de findiquer ici
(fol. n3) comme étant le quatrième : « Si amames meaus a escrire
« de li au quart livre, lequel livre nos te parferons tost a l'aye de
« Deu ... »
De même, au commencement de ce livre relatif à l'élocution
(fol. 127 v°), voulant rappeler l'annonce que l'auteur en avait faite
au début du livre III Ad Herennium, il renvoie dans les termes sui-
vants à ce livre III, dont il avait fait le livre V : « Si com est dessus dit
« au tiers livre. . . ».
Jean d'Antioche a placé, au commencement et à la fin de sa tra-
duction, trois chapitres, auxquels il a assigné les numéros i, ccv et
ccvi; ce sont des compositions originales, tout à fait étrangères à
l'œuvre : elles servent de prologue et d'annexés à la traduction de la
Rhétorique.
Dans le prologue, l'auteur expose l'origine, le caractère et les divi-
sions de la philosophie, en s' attachant à fixer la place que la rhéto-
rique occupe dans l'ensemble des connaissances humaines. En voici
le résumé :
Dieu a tout créé el a répandu ses bontés sur toutes les créatures.
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 5
particulièrement sur les créatures raisonnables et intelligentes. La
plus belle faculté dont il doua celles-ci fut le libre arbitre, qui établit
leur supériorité sur toutes les autres, puisque « en tout leu cil qui est
« franc doit surmonter celui qui est serf». Les deux créatures privilé-
giées, l'ange et l'homme, abusèrent de leur libre arbitre. Les anges
qui avaient failli ne purent ni se repentir ni réparer leur faute.
L'homme aussi fut déchu, il «perdi la perfection et l'entérine
«lumière de conoissance que Dex li avoit donée»; mais, comme sa
nature comporte le repentir, et qu'il avait subi les entraînements du
diable , Dieu le traita avec miséricorde et lui procura le moyen de se
relever. Le souverain père des clartés lui rendit la clarté de science et
de savoir, sans laquelle « l'umaine créature seroit estée come beste
« et eust menée vie de beste ».
Quand il plut à la miséricorde divine de restituer au lignage hu-
main cette clarté de science et de savoir, l'esprit de quelques anciens
sages se réveilla et leur suggéra le désir de rechercher les causes et
les raisons des choses visibles et invisibles. L'aide de Dieu soutenait
les philosophes dans l'accomplissement de la tâche qu'ils s'étaient
donnée; mais ce ne fut pas « sanz grant travail et sanz maintes veil-
« lées et sanz maintes gehunes » qu'ils atteignirent le but; pour mieux
éclairer l'âme, il fallut amaigrir le corps, « et ensi covient autresi faire
« tout home qui veaut bien estudier, non pas entendre a la goule et
« a emplir le ventre ».
Ce qui frappa d'abord les philosophes, ce fut «le continuel move-
« ment dou ciel et des estoiles et des autres merveilles qu'ils veoient
«en l'air». Ils réussirent à s'en rendre compte et à remonter à la
cause des causes, c'est-à-dire à Dieu. Cette découverte se fit en Egypte,
au dire d'Arislote, dans son livre de Métaphysique. La philosophie,
par des progrès successifs, atteignit le plus haut degré de perfection
au temps de Socrate, de Platon et d'Aristote.
L'auteur, après avoir ainsi expliqué l'origine de la philosophie, en
donne une définition : « Philosophie est certaine conoissance des
«choses devines et humaines, aveuques estudiement de bone vie.»
Il indique ensuite les ditférents genres de philosophie: naturelle, mo-
rale et rationnelle. De plus, suivant que la philosophie s'applique à
l'âme ou au corps, elle est théorique ou pratique. La philosophie
théorique a un caractère spéculatif; c'est la «science de veyr et
6 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
M de regarder soutilement les choses visibles et nient visibles », tandis
que la philosophie pratique est « science d'ovrer les choses proposées
« et nécessaires au governement de l'umain lignage ».
La philosophie théorique se divise en trois parties: naturelle,
mathématique et divine. La division mathématique comprend quatre
sciences : la géométrie, l'arithmétique, la musique et l'astronomie.
La philosophie pratique se divise également en trois parties :
morale, dispensative et civile; la morale, dont l'institution est attri-
buée à Socrate , enseigne les vertus qui doivent servir de règle à la
conduite des hommes : prudence, justice, force et tempérance; la
science dispensative, ou économique, apprend à gouverner la mai-
son ; la science civile ou politique a pour objet le profit et le gouver-
nement de la cité.
Dans la science civile ou politique, il faut distinguer trois parties :
la mécanique, le droit et la «sermocinale». La mécanique est la
science des métiers et de toute œuvre de main, comme orfèvrerie,
charpenterie et maçonnerie. Les philosophes, tout en l'enseignant,
la dédaignèrent et l'appelèrent mécanique, c'est-à-dire adultérine par
rapport à « la raisonable science » ; celle-ci, qui comprend la philo-
sophie naturelle, rationnelle et morale, constitue la science liloérale
ou franche, ainsi dénommée parce que «les franches gens» sont
seuls à l'étudier et qu'elle affranchit des soucis de la vie ceux qui la
cultivent. — Le droit, à proprement parler le droit civil, repose sur la
raison divine et sur la raison humaine. — Quant à la science « sermo-
«cinale», c'est la science de raisonner et de bien parler; elle com-
prend la grammaire, la logique et la rhétorique. Grammaire apprend
à parler correctement; logique, à parler sans fausseté et à discerner
le vrai du faux; rhétorique, à parler avec élégance et agrément. On
ne peut bien parler sans posséder ces trois sciences, qui sont comme
entrelacées et dont les règles ont été posées par Priscien pour la
grammaire, par Aristote pour la logique et par Cicéron pour la rhé-
torique.
L'art de rhétorique fut créé par les Grecs, et les trois principaux
maîtres qui en établirent les principes furent Gorgias, Aristote et
Hermagoras. Cicéron et Quintilien le firent passer chez les Latins;
mais Cicéron en est resté le maître le plus autorisé, grâce au livre
qu'il lui a consacré et qu'il a composé pour apprendre la rhétorique
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 7
à Herennius et pour mettre tous les Latins à même d'en profiter. On
en peut retirer de grands avantages, et qui posséderait cet art à fond
n'aurait à redouter aucune créature humaine.
La rhétorique a sa source dans la raison civile, dans la politique.
Suivant l'application qu'on en fait, elle est démonstrative, délibéra-
tive ou judiciaire, et il y faut distinguer cinq parties: l'invention,
l'ordonnance, l'élocution, la mémoire et le débit. Quant aux parties
de «l'instrument,» elles sont au nombre de six: exorde, narration,
division, confirmation, réfutation et conclusion.
La dernière page du prologue nous offre une indication sommaire
des différentes parties de l'ouvrage, divisé, comme on l'a déjà vu, en
six livres, dont deux contiennent «la vielle art, et les quatre la no-
« vêle » .
Dans le premier des appendices placés à la fin de la traduction,
maître Jean d'Antioche, après avoir expliqué les raisons qui l'avaient
décidé à traduire littéralement les écrits de Cicéron, expose ses idées
sur les règles à observer pour rendre en français un livre latin.
Deux motifs l'ont déterminé à suivre pas à pas le texte de Cicéron :
d'une part, ce texte a plus d'autorité, et c'est à lui qu'on doit s'en
rapporter dans les discussions; d'autre part, il ne fallait pas s'exposer
à être accusé de présomption et d'orgueil, en altérant par des sup-
pressions ou des changements le style d'un maître tel que Cicéron,
« qui fu tant grant philosophe et de tant grant renom. Por cestes deus
« raisons donques dessus dites, porsiut le translatour la manière don
« tracter de l'auctor a son pooir et au plus près qu'il pot. Mais il ne
« pot mie porsivre l'auctor en la manière dou parler. Car la manière
« dou parler au latin n'est pas semblable generaument a celé dou'
« François, ne les proprietez des paroles, ne les raisons d'ordener les
« araisonemenz, et les diz dou latin ne sont pas semblables a celés dou
«françois, et ce est comunaument en toute lengue. Quar chascune
« lengue si a ses proprietez et sa manière de parler; et por ce nul
« translateour o interpreteor ne porroit jamais bien translater d'une
« lengue a autre s'il ne s'enformast a la manière et as proprietez de celé
« lengue en qui il translate. Por laquel chose il covint au translateor
«de ceste science de translater aucune fois parole por parole, et
« aucune fois et plus sovent sentence por sentence; et aucune fois, por
«la grant oscurté de la sentence, li covint il sozjoindre et acreistre.
8 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
« Autresi H covint en aucun leu en l'elocucion de changier el muer
« exemples por la discordance de letres et de sillabes qu'il trova entre
«les deus lengues. Quiconques donques lira ce livre ou l'esludiera
«ne soit pas presumpcieuz de reprendre riens desporvehuement,
« affronte avant bien ententivement les deus letres dou latin et dou
«François, et examine bien les deus sentences par bon entendement
« et sain, et preigne garde diligemment selonc la grant force de l'art,
«si l'en le peut meauz faire sauvant la manière dou tracter de l'auc-
« tour. Et quant il aura tout ce fait, s'il a bone raison et saine de re-
" prendre, si peut reprendre hardiement. Quar maintes fois avient
«qu'a bouche malade douce viande semble amere, et qui a maies
« lanternes sovent se trabuche en voie. »
Le second appendice n'est autre chose qu'un traité élémentaire de
logique , d'après les règles d'Aristote.
Maître Jean d'Antioche, sachant combien la rhétorique a besoin de
s'appuyer sur la logique, a cru utile de compléter la traduction des
deux Rhétoriques par quelques pages destinées à faire connaître la
logique à ceux qui ne peuvent savoir cette science, faute d'avoir
fréquenté les écoles dans lesquelles on l'enseigne : « Ici parole de
«l'argumentacion de logique, jDor faire la conoistre a ceaus qui celé
« science ne peuent savoir. »
Le rédacteur de ce résumé, qui n'occupe pas plus de douze co-
lonnes, commence par définir la proposition, la question, la conclu-
sion et l'argument. La proposition est l'affirmation d'un fait; la
question est une proposition mise en doute; la conclusion est une
I)roposition dont on a donné la preuve ; l'argument est la raison par
aquelle est démontrée la vérité ou la fausseté d'une proposition ; l'ar-
gumentation est le développement de l'argument.
Il y a deux modes d'argumentation : l'un par syllogisme, l'autre par
« entremene», c'est-à-dire par induction. Suit une définition du syl-
logisme, avec accompagnement d'exemples, puis la distinction du
syllogisme «predicatif» et du syllogisme conditionnel. L'entremcne
consiste à passer du particulier au général. Il y a cette différence entre
le syllogisme et l'entremène que le premier aboutit toujours à une
conclusion absolument vraie si les prémisses sont exactes, tandis que
le second ne conduit pas toujours à une conclusion certaine. H y a en-
core deux procédés d'argumentation : l'enthymème et l'exemple. L'en-
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 9
thymème est en réalité un syllogisme abrégé, dont un membre reste
sous-entendu. L'exemple est analogue à l'entremène, mais il conclut
simplement d'un fait particulier à un autre fait particulier, et non
pas, comme l'entremène, du particulier au général.
En résumé, tous les raisonnements reposent sur le syllogisme,
qui est comme mère et fontaine de toute l'argumentation de logique.
Parfois la preuve de l'argument du syllogisme est faible et a besoin
d'un appui. Cet appui est ce qu'en logique on appelle lieu: «leu en
« logique est apelé siège de l'argument. » Tantôt le lieu est tiré de l'ar-
gument, tantôt il est pris en dehors. Là s'arrête l'auteur, sans entrer
dans les détails que comporterait la question des lieux ; « mais, dit-il,
« trop scroit soutil chose et longue a dire cornent et trop ennuiouse
« a home qui ne seit de logique ».
Pour faire apprécier le stvle de maître Jean d'Antioche, nous ne
pouvons mieux faire que de reproduire la traduction d'un chapitre
de la Rhétorique, et nous avons choisi celui par lequel s'ouvre le
second livre du De Inventione :
II, 1. Jadis, quanl les Crotoniciens, icele nacion de gent, florissoient de toutes
habondances et estoient en Italie au comencemenl ou entre les premerains contez et
tenus por beneurez, il vostrent enrechir de nobles paintures le temple de la déece
Junone, qu'il cultivoient et honoroient trop religiousement.
En celui tens y avoit il un noble paintour, qui avoit nom Eradeoten (" Zeuxin , qui
estoil tenu por le plus surmontant et le meillor de toz les autres paintors. Cestui
aloierent il par grant pris, et il lor painst au temple ce que il voloient, et plusours
autres tables aveuques, desquelz une grant partie est remese trusques a nostre mé-
moire por la religion et la révérence dou temple.
Et por ce qu'il voloit que une ymaige mue contenist en soi surmontant beauté
de forme feraenine,.si dist qu'il voloit paindre l'ydel ou l'ymage d'Elene. Les Cro-
toniciens l'oyrent volentiers, por ce que il aveient entendu qu'a paindre cors de
feme trop valoit il meaus et pooit plus de tous autres. Et si pencerent ausi que , se en
aucunes des manières de son mestier estoit plus poestif d'ovrer et meaus entreme-
tant, que en celé se travaiileroit il moût curiousement de noblement ovrer, et laisse-
roit en celi temple une noble euvre qui li seroit en mémoire ; ne il ne furent pas
deceus en ior cuidance.
Quar tout maintenant le devant dit Eradeoten Zeuxin lor qxiist et demanda s'il
en avoient point de bien bêles virgenes, et cil le menèrent erranment en la palestre.
(Palestre'^' si estoit apelé et est encores un leu establi a hanter les esforcemens des
''' Il faut lire : Eracleoleii. — '*' Ce qui est imprimé ici entre parenthèses est la traduction
d'une glose intercalée dans le texte de Cicéron.
TOME xxxiii. a
10 MAÎTRE JEAN DANTIOCHE
cors , si come a luitier et a geter pierre et a user force de bras et He cors , et tout leu
qui est escole de si faites choses peut estre ensi apelé. Ou palestre si peut estre apelé
autresi icy en droites escole [s] de science. Ueuques donques en l'escole ou de
sciences ou d'autres hantemens, corn est dessus dit, fu mené le paintour), et li mous-
rerent moût de beaus enfans et richement dignes.
Quar un tens fu que les Crotoniciens surmontoient moût tout autre gent de forces
et de dignilez des cors. Et soventes fois raporterent il a maison les très honestes
victoires de l'estrif et de l'aatine de ceaus geus que l'on faisoit por la gloire des
cyteyens.
Quant le paintour donques ot veues les bêles formes et les beaus cors des enfans
qui estoient en celé escole, et moût ententivement se merveillast de lor beauté, cil
11 distrent : « Les suers de ces enfans que lu vois sont chiez nos, et par ces pues tu
« regarder de quel beauté celés sont. » — « Bailliez moi donques, fist il, je vos pri et
« requier, de cestes virges que vos dites les très bêles, que je puisse translater vérité
" de vif exemple de creatm'e en merveillous ymage, et si paindrai ce que je vos ai
« promis. »
Adonques les Crotoniciens, par comun conseil, amenèrent ensemble toutes les
bêles virgenes en un leu, et douèrent pooir au paintour d'eslire celés qu'il vodroit,
et il en eslut cinc. Les noms de celés cinc moût de poètes mistrent en mémoire,
por ce qu'eles furent esprovées de beauté et loées par le jugement de celui qui de
beauté devoit estre jugierres verai.
Sine en eslut il, quar il ne cuida pas qu'il peust trover soufizaument en un soûl
cors toutes les choses que il querroit a plaine beauté. Quar, en les sengles choses et
simples, riens n'en aorna nature ni ne fist parfaite de toutes ses parties; ele donc a
un aucune chose de bien et li ajouste aveuc aucun mahaing ou domage, autressi
come, se ele otreast toutes les choses a un, n'en eust puis que doner as autres.
II, 2. Celé meisme raison regardâmes nos, quant ce nos vint en volenté d'escrivre
l'art de dire , et ne proposâmes pas un soûl exemple qu'il nos covenist de nécessité
dire de ses parties, en quelque gênerai manière de l'art eles fiicent; mais assem-
blâmes tous les escrivains qui de cest art en parlèrent en un leu , et cuillimes ce
qu'il nos fu avis que chascun eust meaus comandé et plus profitablement, et ensi
avons dit et fait de divers engins chascunes choses très surmontans et très dignes.
Quar il ne nos fu pas avis que cil qui sont dignes de nom et de mémoire en cest en-
droit deysent toutes choses clerement et très bien, et toute voies en distrent il [au-
cune] chose moût bien.
Por laquel chose, ce semble folie de départir des bien diz d'aucun et de laissier
ses bons enseignemens por aucun sien vice, ou d'ensivre ses vices por aucun bon
comandement qu'il auroit dit. Se es autres estudes les homes vosissent eslire de
maintes choses aucune très profitable chose, et amassent meaus ce faire que qu'il
s'adonassent a une soûle chose certaine, il ne feroient pas faute, qu'il la lor covenist
desfendre por greignor faute , ne il ne parcever[er]oient es vices tant curiousement , et
de chose qu'il ne sevent ne s'en passeréent mie aucune fois plus legierement.
Et se la science de cest art et de painture fust esté ygal en nos et en cel maistre
paintor desus dit, ceste nostreeuvre nos resplendiroit encores plus par aventure en
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 11
sa manière que cil ne feroit en sa painlure. Quar nos avons eu pooir de eslirc de
greignor abondance d'exemples que cil nen ot. H pot eslire d'une cyté et de celui
nombre des virges qui estoient adonques, mais tuitcii quiconques furent qui de cest
art en parièrent, et qui premiers l'encomencierent ou darreniers jusques a ce tens
d'ores nos furent en pooir et en abondance d'eslire ce qu'il nos plaisoit d'eaus.
Et le soverain philozophe Aristot aiina et mist ensemble en un leu tous les an-
ciens escrivains de cest art venant jusques a celui prince et maistre troveor Tysyas ,
et les comandemens de chascun d'eaus par nom , lesquelz comandemens il avoient
conquis et fais par grant cure, escrist il ensemble moût veablement.et les esclarcist
et les desnoa dilizaument. Et en expondre les, en tant valut il meaus de ceaus qui
ies avoient trovez , par soeftié et brieftance de dire , que nul home qui les leust ne
peusl conoistre de lor livres que cil comandemens eussent esté onques lor.
Mais trestuit cil qui veulent entendre ce que ceaus coniandent a cestui retornent
ausi come a un principal troveor et moût plus profitable esclarzisseour. Et cestui si
nos mist apertement au myleu soi meismes, et tous ceaus qui devant li avoient
esté, que par li nos peussiens conoistre et soi meisme et tous les autres. Ceaus qui
de ce devant dit philosophe descendirent, tout soit ce qu'il estudieront moût es très
grans parties de philosophie, et moût y consumèrent de paine, com cil avoit fait
cui doctrine il ensivoient, toutevoies nos laissierent il moût de comandemens de
l'art de dire.
Autres comandeours encores et maistres de dire eissirent d'une autre fontaine,
qui autresi aidèrent moût a dire au profit de cest art. Quar en celui meisme tens
que Aristot fu, il y ot un grant rethorien et noble qui avoit nom Socrates. L'art que
cestui laissa nos ne trovons pas, mais bien trovons moinz comandemens de l'art de
ces desciples et de ceaus qui erraument de ceste descipline sont eissus.
II, 3. L'une de cestes deus fontaines dessus dites repairoit moût en philosophie, et
toutevoies ele y metoit moût grant cure en cest art de rethorique. Mais fautre si estoit
toute ententive et occupée en l'estudiement et les comandemens de rethorique. De
cestes deus escoles, ausi come de deus diverses maibnées, les darreniers qui vin-
drent après concuillirent toutes les choses qui profitablement lor sambloient estre
dites et des uns et des autres, et afaitéement a lor maistries et a lor ars, et forgie-
rent ensemble un material comencement et gênerai manière de toute l'art. Nos si
avons aiinez trestous et mis ensemble et ceaus qui sont devant diz et les autres
dessus motis, tant com nos pomes et dou nostre aveuques meismes nos aucune
chose en comun.
Et si celés choses qui sont exponues et mises en ces livres, tant com eles furent
curiousement a eslire, tant ont esté studiousement esleues, certes il ne devroit
point peser ne nos ne autres de nostre uizouze cure et de nostre soutillance.
Mais s'il est avis que nos ayons par aucune foleance trespassé le comande-
ment d'aucun, ou que nos ne l'avons pas ensiut assez soufizaument et bien, et aucun
le nos moustre et nos enseigne, nos changerons legierement et volentiers la sen-
tence. Quar ce n'est pas laide chose de poi conoistre; mais de parceverer folement
et longuement en poi conoistre ou en mesconoistre seroit laide chose, por ce
que l'un , ce est le poi conoistre , si avient proprement de la comune feblesse et
12 MAÎTRE JEAN DANTIOCHE
la fragilité humaine; mais l'autre en avient dou vice et de la mauvaistié de
chascun.
Por laque! chose nos dirons chascune chose sans nule afferniance, querant en-
semble et encerchant doutousement que ce n'aviegne de nos que, tandis com nos
vodrions qu'il semblast que nos aions ceste petite chose assez parfaitement escrite
et profitablenienl , que nos ne perdons icele chose qui est trop grant, ce est que
nos n'assentons a dire aucune chose folement et orgueillousement ; mais ceste chose
porsivrons nos estudiousement en ce tens d'ores et en toute nostre vie, tant come
le pooir que Dex nos a doné porra soufrir. Désormais, qu'il ne soit avis que nostre
araisonement voise plus loinz, si dirons des autres choses qui sont a comander
et a dire.
On trouvera de plus longs extraits de la traduction de Jean d'An-
tioche dans les Notices et extraits des manuscrits '"'.
Les matières traitéesdans le De Inventione et dans les \i\res Ad Heren-
nium rendent assez difficile la traduction de ces ouvrages. C'est une
tache devant laquelle on a longtemps reculé, même dans les temps
modernes: A.-A.-J. Liez, quand il publia en 1823 la seconde édi-
tion de sa traduction du De Inventione, se félicitait « d'avoir achevé le
«premier une entreprise qui jusqu'alors avait elTrayé les plus har-
xdis»'^', et J.-V. Le Clerc, après avoir traduit en 182 1 la Rhétorique
Ad Herennium et avoir revu avec le plus grand soin cette traduction
en 1827, déclarait que ce travail lui avait présenté « de grandes diffi-
cultés .. '^'.
11 a fallu beaucoup de hardiesse au clerc qui, vers la fin du
XIII* siècle, conçut le projet de mettre en français des écrits remplis
de termes dont l'équivalent n'existait pas encore dans la langue vul-
gaire, à part toutefois les extraits que Brunetto Latini en a insérés au
livre III de son Trésor. Aussi devons-nous admirer le courage de Jean
d'Antioche, qui s'est chargé d'un travail aussi ingrat et qui l'a ac-
compli loin de tout foyer littéraire, au milieu d'une société menacée
chaque jour par les incursions d'un ennemi redoutable, dans une
ville qui, dix ans plus tard, allait tomber au pouvoir des infidèles.
C'est à peine si, à la même époque, dans les pays de l'Europe où la
culture des lettres était le plus en honneur, on songeait à faire
passer en français les œuvres classiques de l'antiquité latine. Un
'"' T. XXXVI, p. ai i-a65. biiées par J.-V. Le Clerc, seconde édition, t. Il ,
''' Préface mise en t*te du Ùe Inventione. p. 5.
dans les Œuvres complètes de Cicéron. pu- ''' /6Ù2., t. I, partie H, p. 33.
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 13
siècle devait s'écouler avant que des écrits de Gicéron fussent mis
en France à la portée des laïques peu familiarisés avec le latin. Il
n'y avait pas une seule page de cet auteur traduite en français dans
la librairie de Charles V. C'est à Louis le Bon, duc de Bourbon, ou
à Jean, duc de Berri, que revient l'honneur d'avoir provoqué la
traduction des deux traités de la Vieillesse et de l'Amitié, qu'il était,
d'ailleurs, beaucoup plus facile d'interpréter que les traités de rhéto-
rique.
En 1282, quand l'aurore de l'humanisme ne commençait à luire
ni en France ni en Italie, c'est merveille qu'il se soit rencontré sur les
rivages delà Syrie un manuscrit des deux Rhétoriques, et il est bien
permis de supposer que le texte de ce manuscrit était incorrect en plus
d'un endroit. La tache du traducteur était donc doublement malaisée,
et nous ne devons pas être étonnés si, dans plus d'un passage, la tra-
duction de Jean d'Antioche laisse à désirer. Les imperfections ne tar-
dèrent pas à en être reconnues. Peu de temps après la transcrip-
tion du beau volume qui nous a transmis la traduction de la
Rhétorique, la version de maître Jean d'Antioche, telle qu'elle se
trouvait dans cet exemplaire, fut attentivement revue. Des points
presque imperceptibles furent mis sous les syllabes, les mots et les
phrases à supprimer ou à modifier, et de meilleures leçons furent
inscrites, en caractères très fins, sur les marges ou dans les interlignes.
Nous devons donner quelques exemples de ces corrections.
Un assez grand nombre d'exponctions portent simplement sur les
mots surabondants qui ne répondaient pas au texte. Ainsi, dans
les exemples qui suivent, les mots imprimés en caractères italiques
doivent être tenus pour non avenus :
Fol. i3, col. 2. Quant je bien recors par les amonicions des letres et par les
ancienes ystoires les choses qui par ancieneté sont esloignées de nostre mémoire et
ostées, je trais et entens que mointes cytez sont ordenées et estabiies, et plusors
batailles sont restainles et rapaisées [De Inv., I, 11.)
Fol. i3 v°. Quar il fu jadis un tens que les homes aloient vagant comunaument
as chans en manière de bestes, et multeplioient lor vie par vivre bestial , quausi
corne bestes sauvages desmesuréement et par fierté vivaient. (I, n.)
Jean d'Antioche avait traduit conjecturalis par « provable ». A ce der-
nier mot le correcteur a substitué le mot« conjetural »(fol. i8, 20, 55v°
et 61). — Ratiocinatio avait été rendu par «la provable raison»; le
14 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
correcteur a remplacé ce terme par « le raisonable demostrement »
(fol. 3'i, 3a v°, 33, 34, 36 v°, 77, 78 et 79).
En parlant d'Herm agoras, Cicéron ''' s'exprime ainsi : Nam satis
in ea videtar ex antiquis artibus ingeniose et diliçjenter electas res collocasse,
et non nihil ipse (juocjue novi protulisse. Verum oratori minimum est de arte
loqui, cjuod hic fecit; multo maximum ex arte dicere, quod eum minime
potuisse omnes videmus. Jean d'Antioche a pris le mot novi pour le parfait
du verbe noscere, au lieu d'y voir le génitif de novnm, ce qui l'a em-
pêché de comprendre la phrase. Il a ainsi rendu tout ce passage :
« Quar acés est il avis qu'il ait en li mises engignousement et dilizau-
« ment choses esleues des ancienes ars, et aucune chose a il pronon-
« ciée et dite que je meisme conois, mais trop est poi au reltorien a
«parler de l'art, ce que il fist; nous veons que moût trop greignor
« chose est a dire de l'art que il ne pot dire. » Le correcteur a sup-
primé les mots M que je meisme conois », et a modifié comme il suit la
dernière phrase : « mais trop est poi au rettorien a parler de l'art,
M laquel chose il fist, mais moût greignor chose a dire par art, laquai
M chose nos veons qu'il ne pot »*^l
Jean d'Antioche a rendu comme il suit un passage du cliapitre xiv
du premier livre du De Inventione :
Nam. . . non ut quidque dicendum primum. Non pas que l'on doieen tel manière avertir
ita primum animadvertendum videtur : ideo et aparcevoir ce qui est premièrement dit corne
quod illa qua; prima dicuntur, si vehementer quant qui est a dire après; mais porce que, se
velis congruere et cohaerere cum causa , ex eis les choses que sont dites premièrement ne se
ducas oportet qu» post dicenda sunt. Quare contiegnent mie covenablement aveuques la
quum judicatio et ea quœ ad judicationem cause , ou qu'eles soient dites randonousement,
oportet inveniri argumenta diligenter erunt pregnient afaitement et atemprance de cestes
artiiicio reperta , cura et cogitatione pertrac- choses que puis après sont a dire. Les argumen»
tata, tuni denique ordinanda; sunt cetera? par- qu'i covient trover meismement a la judicacion
tes orationis. Hae partes sex esse omnino nobis seront trovez dilizaumenl par artefice et seront
videntur : exordium .... atraitez par cure et par pencée , et por ce que
l'argumentacion si est l'euvre et le despliement
de Targument, si ordenerons de ses parties.
Les parties donques de l'argumentacion sont
cestes qui vienent après, et sont vi sans plus,
si com il nos est avis +. Li exordium, ce est a
dire comencement ...'*'
Le correcteur a trouvé cette traduction peu satisfaisante. 11 a pré-
venu que tout le passage était à réformer : « D'isi (c'est-à-dire depuis
(') De Invenlione. I, vi. — o FoL i6 du m». — <*' Fol. 20.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE.
15
les mots «Non pas) jusques a la crois tele +, qui est decoste l'ele
«d'açur (la croix tracée à côté de l'initiale bleue des mots « Li exor-
£?i«m»), couvent «amender». Voici la rédaction qu'il proposait de
substituer aux. phrases condamnées :
Car ne senble si cstre primerement a consire ce que l'en doit primerement
dire, ensi com il primerement doit estre dit, et se les choses qui sont avant dites
volés foirt engluer et ajoster a la cause, il couvera que de celés qui seront prime-
rement dile[s] amenés cales qui seront a dire, por laquel chose, lors que la judica-
cion et les argumens, le[s]qués apartenent a trover a judicacion, seront trovés par
diligent artifice et traites en l'apensement et en evre, adont doit l'en ordener les
autres parties de l'araisonement, lesquels nos resenblent estre vi.
Nous avons une remarque du même genre à présenter pour un
passage du chapitre xli du même livre, que Jean d'Antioche avait
ainsi traduit :
... Si qui aut assumptionem aliquando
toUi putent aut proposilionem. Qua; si quid
habet probabile aut necessarium , quoquo modo
commoveat auditorem necesse est. Quod si
solum spectaretur, ac nihil quo pacto tracta-
retur id quod excitatum esset refeiret : ne-
quaquam tantum inter sutnmos oratores et
médiocres interesse existimaretur. [De Inv.,
I, XLI.)
... Se aucun cuide que proposicion ou
aucune prise puisse estre ostée, qui a aucune
chose provable ou nécessaire cornent que i'an-
ditor soit esmeu, il est mestier; que se il regar-
doit seulement l'argument, nule riens ne ra-
conteroit ou ne diroit par qui celé chose fust
atraitée que seroit porpencée ; et nequedent il
ne seroit ausi prisié tant ne quant qu'il fust
entre soverains rettoriens et meens '''.
L'auteur de la revision a exponctué tout ce passage, depuis les
mots «que proposition » jusqu'aux mots «et meens». En interligne,
au-dessus des premiers et des derniers mots exponctués, il a tracé la
note: « Faus jusque ci.» Dans la marge, en regard de la version
condamnée, il a écrit la version qu'il trouvait à propos de substituer
à la leçon condamnée, et en tête de cette nouvelle version, qui va être
reproduite, il a tracé le mot «verai» par opposition à l'épithète
« faus » par laquelle il avait condamné la traduction primitive :
[Se aucun cuide] ou la proposicion ou la prise poer estre ostée aucune fois,
laquele a aucune chose provable o necesaire, mestier est qu'il esmeuve en quelque
mainere l'auditor, car selon regardast solement l'argument, et il ne fust diference,
quel mainere l'en atraitast , en disant la chose pensée , ne cuideroit l'en mie qui
fust tel diference entre les soverains retorians et les means.
<■> Fol. 36.
16 MAÎTRE JEAN DANTIOCHE
La même note « Faus jusque ci » a été misesurun membre de phrase
du chapitre xxix du second livre :
Et quant toutes ies autres choses aient esté ensi, ceste chose est provable que ce
ne (ist il pas por aucune coulpe d'aulrui. (Foi. 65).
C'est ainsi que Jean d'Antioche avait cru pouvoir traduire cette
phrase de Gicéron :
Et cum cetera vita magis hoc fuisse consentaneum quam quod propter altcrius
culpam non fecerit.
Le correcteur a été mieux inspiré en substituant celte leçon :
Et avereit esté plus concordant a sa pasée vie que ce qu'il remest de faire par
achaison d'autrui. (Fol. 65).
Un passage qui a fort embarrassé le traducteur, c'est la citation
que Gicéron a empruntée au discours de Gurion pour Fulvius^'^ :
Ut Cnrio pro Fulvio : h'emo potest uno aspectu neque prœteriens
in amorem incidere, Jean d'Antioche a confondu le nom de Curio
avec le verbe curro, et il a Injîuvio au lieu de fulvio. De là cette bizarre
traduction : « Si come nos corons por le flum ou par le flum : Nul
« home ne peut chayr en amor par un soûl regarl ne solement en
M trespassant. » Le correcteur a cru pouvoir lire : ut Curio Projlaio, et
il a traduit : « Si come dist Curio a Profluio. »
Çà et là sont semées des gloses pour expliquer les mots dont le
sens pouvait embarrasser, par exemple :
Les enfans : orne qui ne set jjarler. (Fol. i/i.)
Qui est mis en dit et en estrif : Au dit doit l'en entendre la deliberative a laquele
nen a content se tous sont en concorde. — L'estrif est entendu par la judicial
et par la demostrative. (Fol. i 6 v°.)
Se la personne est tele que seit aferable de tel colpe ou non. — Si com qui
acusoit un home de manjer char d'autre, laquele chose est contre nature.
(Fol. a/i.)
Ce est cpie, dites cestes choses, entende que le parlement est compli. — Nos
sons en concorde que le fis ocist la mère, ma ce est en débat se il le fist a drit o a
tort. (Fol. 25.)
Ausi comme se aucun vosist faire o dire comparaison de la mauvesté de Gai Grag
<•' De Inv.. I, XLMi. M», fol. 87 v*.
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 17
a cele de Caleline ; car Gai Grag vost gaster une cité, c'est Rome, et Cateline tout
le monde. (Fol. 28 v°.)
Nuire et profiter sont 11 contraires choses : ma le leu est pris par le contraire
dou senblabie; car il a senblance a l'un et a l'autre de ce qui se seut faire.
(Fol. 29 v°.)
Tralacion est quant se fait de totes les parties ; ce est douteus de la peine et des
autres parties. — Muance si est lors que n'est de toutes les parties. (Fol. 5y v°.)
Ce est de la vcraie amistance, de laquele il parle au livre de Leli, qui est
aquise por lui meisme. (Fol. 82 v".)
Selon toute apparence, ces gloses sont la traduction de gloses la-
tines contenues dans l'exemplaire d'après lequel la traduction a été
faite à Saint-Jean-d'Acre.
Les gloses sont parfois passées dans le texte. Ainsi la première
ligne du livre IV à Herennius : Quoniam in hoc libro, C. Herenni,
de elocudone conscripsimus , s'est allongée comme il suit dans la
traduction de Jean d'Antioche : «Nos avons escrit en ce livre, o
« Herenni, de l'elocucion , [qui est la sinqueime partie deRethorique,
« si coni est dessus dit au tiers livre] » *''.
Le travail de Jean d'Antioche sur la Rhétorique de Cicéron ne paraît
pas avoir eu grand succès. L'exemplaire du Musée Condé est le seul
qui soit parvenu à notre connaissance. Le caractère de l'écriture'^'
nous porte à croire qu'il a pu être copié dans un établissement fran-
çais de l'Orient latin, peut-être à Saint-Jean-d'Acre, sous les yeux
du traducteur. Au xv" siècle, il fut recueilli par Antoine de Ghourse,
chambellan de Louis XI, dont les livres passèrent, au siècle sui-
vant, dans la bibliothèque du connétable de Montmorency.
La traduction de la Rhétorique de Cicéron n'est pas le seul ouvrage
de Jean d'Antioche qui nous soit parvenu. Nous n'hésitons pas à lui
attribuer une traduction du livre de Gervais de Tilbury intitulé Otia
imperialia. Une traduction de cet ouvrage figure sans nom d'auteur
sur le catalogue de la librairie du Louvre '^' :
Item le Livre des Oisivetez des emperreres, et parle des Merveilles du monde;
''* Fol. 127 v°. article 220 de l'inventaire de i4i3; ar-
'"' Deux pages du manuscrit ont été repro- ticle igS de l'inventaire de idad, publié par
duites en héliogravure dans le tome XXXVI M. Douët d'Arcq. — Article 776 de l'édition
des Notices et extraits des manuscrits. imprimée dans le Cabinet des manuscrits, t. III,
'*> Article 916 de l'inventaire de i4ii ; p. i5o.
TOME xxxui. 3
18 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
escripte de menue lettre bastarde en françois, a deux colombes; commençant au
I foeillet cleulz et qaelconqac chose, et ou derrenier et la devocion; couvert de cuir
blanc, a deux fermoirs de cuivre.
Barrois avait recueilli dans sa bibliothèque un exemplaire du Livre
des Oisivetés des Empereurs, qu'il supposait avoir fait partie de la
librairie du Louvre et qui, suivant lui, répondait à l'article d'inven-
taire ci-dessus rapporté, et c'était pour rappeler la prétendue royale
origine de son volume que cet amateur, dépourvu de toute critique,
avait fait dorer sur les plats les armes de Charles V. Mais l'exemplaire
de Barrois, aujourd'hui encore chez le comte d'Ashburnbam, n'est
point celui qui est enregistré sur le catalogue de la librairie du
Louvre : les premiers mots qu'on y lit en tête du second feuillet de
la table sont des mentions, et ceux du second feuillet du texte sont
voult estre mis, ce qui ne s'accorde pas avec l'indication donnée par
l'article de l'ancien catalogue qui vient d'être rapporté.
L'exemplaire du Livre des Oisivetés des Empereurs, n° 1 9 du fonds
Barrois, est un volume in-folio, de 286 feuillets, orné de nombreuses
Eeintures et datant du xiv^ siècle ; outre l'ouvrage de Gervais de Til-
ury, il contient « la Division frère Odoric des Merveilles de la Terre
«Sainte». Le titre mis en tête du manuscrit est ainsi conçu : «Ci
«commence le Livre des Oisivetezdes emperieres, translaté de latin
« en françois par Jehan du Vignay, frère de Hautpas. » On lit à la fin :
M Ci fenist le Livre des Merveilles du Monde. »
Nul doute que cette traduction de l'ouvrage de Gervais de Tilbury
ait été rédigée par Jean du Vignai , comme Barrois l'a annoncé dans
sa Bibliothècjue protypographicjue *^' .
Mais Jean du Vignai n'est pas le premier traducteur qui se soit
exercé sur le livre de Gervais de Tilbury. Un exemplaire des Oisivetés
des Empereurs conservé à la Bibliothèque nationale , n° 9 1 1 3 du fonds
français, se termine par une souscription ainsi conçue : « Cy finist le
«livre de la complexion de maystre Gervaise, que maystre Harent
« d'Anthioche translata de latin en françois. » Rien ne nous autorise à
suspecter l'exactitude de la souscription qui vient d'être rapportée,
et nous n'hésitons pas à attribuer cette traduction des Oisivetés des
''' P. 3o de l'index alphabétique. C'est çaise des Otia imperialia comme exécutée en
Erobablement d'après cette indication que li-j^-WoirLicbrechU Des Gcrvasias von TUbary
iebrecht a mentionné une traduction fran- Ofta imperia/ia ( i856, gr. in-8°), p. vu.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE,
19
empereurs''' à maître Jean d'Antioche. L'auteur qui, dans la tra-
duction de la Rhétorique de Gicéron, s'est appelé maître Jean d'An-
tioche, surnommé de Harent, doit être celui que le manuscrit 91 1 3
désigne par le nom de Harent d'Antioche.
L'exemplaire de la Bibliothèque nationale est une assez médiocre
copie sur papier du xv* siècle. L'ouvrage nous y est présenté avec
cette rubrique initiale : « Cy commence le livre translaté en françoys
« que maistre Gervays de Celesbiere fist en latin , qui est appelle le
« livre de Grant delict, » Une note du xvi* siècle, qui a été fixée en tête
du volume, le désigne par les mots : « Le Passe temps impérial. »
La traduction n'a rien de remarquable. Nous en reproduisons un
chapitre'^' pour donner une idée du style. Nous avons choisi le pas-
sage relatif au séjour que Gervais de Tilbury lit à Naples vers la fin
du mois de juin 1 189, et aux légendes qu'il recueillit dans cette ville
sur la puissance magique attribuée à Virgile :
, . . Encore y a une merveilie a Naples , que je ne savoye point quant l'adventure
me advint. Car, ce moy mesme ne eusse esté en péril , a payne le pourroye croire
qui le me diroit. Il advint, l'an que Acre futassegie, que j'estoye en Salerne, et
fut environ la saint Jehan, et ungmyen cousin vint a moy, que j'amoye bien, et
en jeunesse aveons esté en i'escoHe ensemble, et depuis aveons demouré en la court
du roy d'Engleterre , dont j'estoye bien lyé et avoye grant joye de sa venue, et aussi
pour certaines nouvelles qu'il ni'avoit apportées de mes amys. Ce fut Philippe, le
filz du Patris *^' le noble conte de Salesbiere, par qui la seigneurie de Salesbiere
eschey et vint au roy d'Engleterre par mariage. Use hastoit moult de passer oultre,
mays par prière je le retins et le acompaigné jusques a la cité de Nolane '*' on je
demouroye lors'*' par le commandement du roy Guilliaume de Cecille'*', pour
eschiver les perilz du chemin de Palerme et aussi la chaleur d'esté'^'. Quant nous
eusmez séjourné ung peu de temps a Nolane, nous pensasmez que par la mer de
Naples on pourroit trouver plus tost passage et a moins de despens que par ailleurs.
'•' Voici les premiers mots des deux traduc-
tions : Jkax du Vignai : «A son très excellent
« seigneur Octon le quart empere ire romain. . . »
— Harext d'Antioche : «A très religieux,
« hault et puissant messire Olhes le quart, em-
« pereur des Romains et tousjours en accroisse-
« ment, Gervaise Je Celesbiere, par voslre di-
« gnité mareschal du royaulme d Arle , humble
■ dévot et féal , salut , victoyre et paix dedens
« et dehors. Cy parle de la comparaison de
« roy et de prestre et de leur dignité. Empereur
« en accroissement il y a deux choses ...»
'*' Ms. français 91 13, fol. 196. Le texte latin
correspondant, dont nous aurons à citer quel-
ques passages , se trouve dans les Monam. Gerni'.
hist., Scriptores, t. XXVII, p. 385.
'^' Filias Patricii olim illastris coiintis Sares-
herieiisis.
'*' Ad civitatem Nolanam.
''' Le ms. porte : demouroie, et lors par.
'*' Guillaume II , mort le 16 novembre
1189.
''' Ob declinandos Panormitanos tumullus ac
fervores eeslivos.
3.
20 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
Sy fcismez tant que nous veinsmez en Naples, et fusmes habergés chiez maistre
Jehan"', i'arcediacie de Naples, qui estoit noble homme de lignage et de science, et
avoit esté mon auditeur en droit canon a Boulongne. Il nous receut a grant joye
quant il sceut pour quoy nous y estions venus, et, tant comme il appresta a mangier,
il vint avec nous a la mer. Et tantost alasmez en la ville besongner. pour faire ce
povu" quoy nous estions la venus, et feismez tantost tout nostre fait, et mieulx que
nous ne cuydions faire, et fusmez prestz de partir au premier bon vent, et
retournasmez en nostre hostellerie et comraençasmez a parler comment en si pou
d'heure nous adveons sy bien faite toute nostre besongne, et nous en estions tous
esmerveillés. Et lors nostre hoste nous demanda par quelle porte nous estions <2'
entrés en la ville, et nous luy dismez; et lors il nous dit que c'estoit pour quoy il
nous estoit si bien advenu de nostre besongne. Et nous demanda encores par quel
endroit de la porte nous estions entrés, a destre ou a senestre; et nous luy respon-
dismez que a l'entrée de la porte nous voulions entrer a senestre, mays ung asne
chargé de huche nous en destourna, car il avoit empeschié ceste coste, et entrasmez
par la partie désire. « Or alons , nous dit l'arcediacre , a celle porte , et verrez des mer-
« veilles que Virgille fist en ceste cité. Il nous a laissé merveilleuse remembrance de
« luy en ceste porte. » Et en celle porte nous monstra une teste de beau marbre
bien entaillée, et avoit une chiere joyeuse et bien ryant. Et en la senestre part en la
paroyt y avoit une aultre teste d'autre marbre moult bien fourmé[e] , mays elle avoit
aultre semblant trop contraire de celle de la destre partie, car elle avoit une chiere
toute plourant et courroucée, ainsi comme d'homme qui auroit trop grant dom-
mage et maie adventure. Et quant nous eusmes veu ces deux chieres ainsy con-
traires de façon l'une de l'autre, l'arcediacre nous dit que leurs diverses figures
estoient contraires aux adventures a tous ceulx qui entroient par celle porte, mays
que on ne feust de cel endroit, pourveu de décliner plus a destre que a senestre'";
car tous ceulx qui entroient en Naples par celle porte de la partie destre tousjours es-
plo[to]ient bien de tout ce qu'ilz y avoient a faire, et bien leur venoient toutes leurs
besongnez, et avoient bonne prospérité et bon amendement, et quiconcques entroit
devers la senestre partie tousjours aloient decheans de leurs besongnes et estoient
meschans et maleureux de tout ce que ilzy avoient a faire, et que tousjours se trou-
voient au dessoubz. Et pour ce , nous dit l'arcediacre que pour ce que l'asne nous
avoit destourbé, et que nous estions entrés par la destre part, il nous estoit sy bien
pris de nostre besongne que nous aveons faicte tout a nostre gré. Ceste merveille
aveons nous amentué pour ce que on se doit esmerveiller de l'art de matematique
de Virgile, non pas que nous voulons louer l'oppinion des Saduceoiz qui mettent
toutes les choses en Dieu et au marbre, c'est a dire en destinée et en fortune, car
ce seroit faulceté et grant erreur et contre l'Escripture, qui dit : « Sire Dieu, toutes
«choses sont mises en ta voulenté, et n'est nul qui puisse venir contre ta vou-
. lente t*'. »
''' In hotpitio . . . Johannis PinnateUL sive ad sinistram ex indastria orocurafa. sed
'*' Estoient. Ms., ici et plus bas. sicutfatalia snnl , fato eventaique committantiir.
''' Dummodo nalla fiât declinatio ad dextram '*' Esther, XIIF, g.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE. 21
Nous n'avons relevé qu'un passage où le traducteur se soit mis
en scène. C'est dans le chapitre intitulé en lâtin De phantasiis noctnrnis
opiniones, à propos des prières (oraisons et versets des offices de saint
Jean-Baptiste, de saint Jean l'Évangéliste et de saint Antoine), que
Gervais de Tilbury conseille de réciter en se couchant quand on veul
se mettre à l'abri des cauchemars et des mauvais rêves. Jean d'An-
tioche s'abstient de traduire ces oraisons et ces versets, parce que,
suivant lui, la foi aveugle est la plus méritoire :
Je ne vous expose pas en françoys ces oraysons et ces versés , ce dit le transla-
teur, pour ce que telle chose requiert foy, et tant comme la foy est communément
plus couverte, et mesmement en celles choses, elle vault plus et est plus ferme *^'.
Nous ne savons pas si Jean du Vignai aurait eu les mêmes scru-
pules, lui qui traduisait en français « les epistres et les euvangiles de
«tout l'an, selonc l'ordenance du missel a l'usage de Paris '^* ». Dans
tous les cas, Jean du Vignai connaissait assez bien la géographie de
la France pour être à même de traduire exactement le nom latin des
évêchés les plus célèbres du royaume. A cet égard, l'auteur de la tra-
duction des Oisivetés des empereurs a fait preuve de la plus étonnante
ignorance quand il a traduit comme il suit le chapitre relatif aux
provinces et aux villes de la France '^^ :
L'arcevesque de Lyon est le premier chief de France ou le premier siège de
France , et a dessoubz luy l'evesque de Mascon , celluy de Eduens ou d'Edoe , l'evesque
de Challon et celluy de Lengres. L'arcevesque de Rayns a dessoubz luy l'evesque
de Soissons, de Chalons, de Cambray, de Doay'*', deMorinence, d'Arras , d'Amiens ,
de Noyon, de Silvanence '5', de Beauvays et l'evesque de Laon. L'arcevesque de
Sens a ses'*' evesques dessoubz luy, c'est assavoir l'evesque de Paris, de Chartres,
d'Orléans, de Nevers, de Troyes, de Meaux. L'arcevesque de Tours a dessoubz
luy l'evesque de Redone C', d'Anjou, de Nentes, de Corisopience, de Vendosme,
de Briençon , de Briosence, de Tegrorene, de Leonence '*' et de Dol. L'arcevesque
de Roen a dessoubz luy l'evesque d'Evreux.Avranches, Lisieux , Baieux , Costences,
''' Ms. français 91 13, foi. 261. nuscrit français sous des formes très altérées.
<*' Plusieurs manuscrits de cette traduction '*' Tornacensem.
sont indiqués par S. Berger, La Bihle française, ''' Silvanectensem.
p. 2a5. '"' Sans doute pour sept. Le nom d'Auxerre
''' Ms. français guS, fol. 99. Le texte ori- a été omis dans i'énumération.
ginal de ce chapitre est pubfié dans Monum ''' Rcdoiiensem.
Germ. Aù/or.jScriptoreî, t. XXVII, p. 375. Nous '"> Corisopitensem,, Venetensem, Madovien-
mettons en note la leçon latine correspon- sem, Briocensem, Tregoreiisem , Leonensem. —
dant aux noms qui se présentent dans le ma- Ce mot Macloviensem n'a pas été traduit.
22
MAITRE JEAN D'ANTIOCHE
Sagience et Lizionence '". L'arcevesque de Bourges a dessoiibz luy l'evesque de
Cleremont, de Caours, de Lymoges, d'Albigoys ''^'. L'evesque du Puy est du pape.
L'arcevesque de Bordeaux a dessoubz luy l'evesque de Potiers, d'Angoulaime ,
d'Agenes'^', et est le pays de Gascongne '*', L'arcevesque de Nerbonne a dessoubz
luy l'evesque de Carcassonne, de Beziers, de Grâce'*', de Tolouse, de Magaionne.
de Mente'*'. L'arcevesque de Vienne souloit tenir ung des greigneiirs sièges de
France, sy comme il contient l'escripture de la monnoie qui dit ainsi : le siège
DE VIENNE LE TRES GRANT SIEGE DE FRANCE. . . Les cveschiés qui sont soubz iceliuy
siège s'ensuyvent, premier l'evesque de Valence, de Valerians '^', de Viene '*', de
Greno '"', de Maurienne , de Genève . . . En Gascongne a encores deux arceveschiés :
l'arcevesque Axican et l'arcevesque d'Arle. L'arcevesque Axican "*" a dessoubz
luy l'evesque Aqueus, de Lectore, de Vescbi, de Consuraneus, de Bigorre, de
Daxunce, de Dolere, de Lacurance, de Bayone'"'; l'arcevesque d'Arle de Bour-
gongne a soubz luy l'evesque de Marseille, d'Avignon, d'Orenge"^', de Tricastre,
de Carpentras, de Salon''". . .
II
GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE.
Après avoir analysé les deux œuvres auxquelles le nom de maître
Jean d'Antioche restera attaché, il est juste de faire connaître le
frère hospitalier Guillaume de Saint-Etienne, à l'initiative et aux
encouragements duquel est due la plus importante de ces œuvres.
Nous ignorons l'origine de Guillaume de Saint-Etienne, qui est
appelé Guillaume de Saint-Estiene, de Saint-Esteine ou de Saint-
Esteven dans les documents contemporains'^'''. M. Delaville Le Roulx
lui a donné le surnom de S. Stephano, supposant qu'il était Italien,
'"' L'ordre respectif des évêchés de la pro-
vince de Rouen a été interverti; le nom
d'Evreux a été oublié. Lisieux figure à la fois
sous la forme régulière et sous la forme Lizio-
nence. Le traducteur ne savait pas que Sagien-
sis désignait Séez.
'*' Le traducteur a omis les noms de Rodez et
de Mende.
''> Deux évêchés de la province de Bor-
deaux sont omis : Saintes et Périlleux.
'*' La note et est le pays de Gascongne est
rattachée dans le texte latin au nom de Nar-
bonne.
'*' Agathensem. — Ce nom est suivi dans le
texte latin du mot Lodovcnsem.
'*' Le nom Mente s'est glissé ici par erreur
à la place de ces trois noms : Nemausensem ,
Ucelensem, Elenensem.
''' Vivanensem.
'*' Diensem.
'*' Gratianopolitensem.
'"' Auxilanus.
'"' Aqaensem{Dax),Lectorensem, episcopatum
Convenarum , Consoranensem , Bigorrensem , Ada-
rensem. Olorensem, Lascurensem . Basalensem,
Baionensem.
<"' Ici omission de deux noms : Vasionensem,
CavalHcemem.
'"' Tolonensem.
'"' Les Statuts de tordre de l'Hôpitalde Saint-
Jean de Jérusalem, p. 8. (Extr. de la Bibliotk.
de l'École des chartes, année 1887, t. XLVIII.)
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE. 23
parce qu'il a résidé un moment en Lombardie et qu'il pouvait appar-
tenir à la même famille qu'un Daniel de Saint-Etienne, connu pour
avoir été en 1 3 1 5 lieutenant du visiteur général de Lombardie '''.
Ces raisons ne nous ont point convaincus, et nous avons conservé la
forme française du nom comme nous la trouvons dans les anciens
manuscrits '^*.
La première date certaine à laquelle nous rencontrons le nom de
Guillaume de Saint-Etienne est celle de 1282 : elle nous est fournie
par les passages de la Rhétorique de Cicéron qui ont été transcrits un
peu plus haut. Guillaume devait alors résider à Saint-Jean-d'Acre.
Un peu plus tard, il passa en Europe et séjourna quelque temps
dans le Prieuré de Lombardie. Ce fut là, selon toute apparence,
qu'il ébaucha un premier recueil des statuts de l'ordre de Saint-Jean
de Jérusalem, ou du moins qu'il en rassembla les premiers éléments.
Pour préparer son travail , il avait sous les yeux des documents ori-
ginaux que lui avait communiqués frère Bernard du Chemin, tréso-
rier de l'ordre , et qui devaient disparaître en 1291, quand la ville de
Saint-Jean-d'Acre tomba au pouvoir des infidèles. Ces circonstances
sont expliquées dans le passage suivant de la compilation de Guil-
laume de Saint-Etienne que nous a conservée le ms. français 60^9
de la Bibliothèque nationale :
Se sont les ordenemens desus escris, si come la régie et les autres ordenenaens
je vis et tins en mes mains, bulles de plomb, ce est assavoir la règle, si come
vous lavé [s] oye devant , qui estoit bullée de la bulle apostolial , et de l'apostoille Lu-
cius, et estoit en latin, et puis la feis translater et mètre en francès, si come est
dite et translatée devant le co[n]trescrit en latin. Quant je parti dou priouré de
t'i VoicHesdeux mentions de Daniel de Saint- «honorable maistre del hospital et dou co-
Etienne que nous offre un recueil de statuts « vent . . — Gestes choses furent ordenées pour
des Hospitaliers conservé à la Bibliothèque « les desus dis frères en le chapitre gênerai cele-
nationale, n° 1978 du fonds français : « bré pour leur en le Chaison de Saint Pierre
Fol. 1 o. • Cestui livre fist faire frère Daniel « Concavie en la cité de Ast , en l'an Nostre Sein-
«de Saint Estiene , de l'ordre de l'ospital de «gnor m. ccc. xx, cum le consentiment des
«Saint Jean de Jérusalem.» u proudes homes frères qui al dit chapitle es-
Fol. i4. « Ordoné fu pour li religious frère « toient. • — Une église de S. Pietro in Concia-
« Albert de Caloç et frère de {sic) Daniel de via existe encore dans un faubourg d'Asti.
« Saint &tephen, de la sainte maison de l'ospital ''' Les éditeurs du Recueil des historiens de»
« de Saint Johan de Jérusalem , leuc tenent en croisades [Historiens occidentaux , t. V, p. cxxi)
« le priora de Lombardie pour le vénérable frère ont adopté la forme Guillaume de Saint-Estève.
«Philip de Gragnana de la susdite maison. Us n'ont pas osé se prononcer sur la question
« leuc tenent et visitaour gênerai del reverens de savoir si ce personnage était Français ou
• home mon segnour frère Foulch de Villaret, Italien.
24 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
Lombardie, demora la les autres choses ensi avant. C'est le privilège que maistre
Jobert fit de pain blanc, et les autres ordenations que il fist; et celés qui vienent
après de maistre Rogier de Molix; et puis la reoordation dou Margat atresi, je vis
et tins et oys proprement por faire cont[r]escrire , et cstoit buUée de la bulle de
plomb dou nom de maistre Aufons, lesquels je fis contrescrire autresi en latin, et
[quant] ce lièvre fu compilé, je avèe le dit cont[r]escrit , qui proprement fu pris desous
la bulle de maistre Aufons, et l'avoie en Chipre. Gestes choses ay ci dit por ce que
ladite règle qui estoit huilée de la bulle de l'apostoly, et les autres choses que
estoient soutes [sic) la bulle de maistre Aufons furent perdues a la perte d'Acre,
si que au jor que cest livre fut compilé nous non avions règle huilée dou pape, ne
les choses desus escrites recordées et confermées au Margat non avions nous sous
nule bulle. Et por ce que elles ne fussent mises en obli par négligence, ou que
autre error non fust per aucuns escris descordahles des escris qui les frères ont, ay
je dit la ou la vérité seroit trovée. Et qui le eusse'" la règle conl[r]escrite sous la
bulle dou pape et les ordenemens desus dis huilés sous la bulle de maistre Aufons,
je trais a testimoingne frère Bernart qui estoit tresourier au jour et avoit la dite
règle et escrit fait au Margat en sa garde, qui les presta por faire contre escrire.
Meismes as diz escritz fais au Margat conteoit la règle , laquai règle et tous les
escritz desus ditz estoient en une chartre huilée souz la bulle de plomb au nom dou
dit maistre Aufons '^*.
Guillaume de Saint-Etienne devint commandeur de l'ordre de
Saint- Jean dans l'île de Chypre. Il était investi de cette dignité en
1296 quand il mit la dernière main à la grande compilation dont
nous allons bientôt avoir à parler. Il est encore qualifié commandeur
de Chypre à deux endroits de la correspondance à laquelle donna
lieu la convocation d'un chapitre général qui devait se tenir le
1" août i3oo à Avignon *■''. On peut lui attribuer les lettres qui
furent écrites à ce sujet, et en tête desquelles son nom figure avec ceux
de frère Simon Le Rat, maréchal, de l'hospitalier frère Raimond de
Belluac, du trésorier frère Bernard du Chemin et de famiral Fouque
de Villaret. Guillaume cessa, en i3o3, d'êtreàlatêtedela commanderie
de Chypre. 11 fut remplacé par frère Simon Le Rat, dans le chapitre
général que maître Guillaume de Villaret tint en 1 3o3 ''''. A partir de
cette date , nous perdons sa trace.
'•' Le sens paraît exiger : Et que je eusse. <•' «Frère Simon Le Rat, qui avoit esté
'*' Ms. français 6049, fol. a4o v°. mareschal l'année passée et fu fait comandor
''' «Le comandor de Chipre, frère Guil- de Chipre a cei chapitre.» Ms. français 60/19,
iaume de Saint Esteine. • Ms. français 6049, fol. aoo v° et aoi. La date de ce chapitre,
fol. i44 V. — a Frère Guillaume de Sainte i3o3, est formellement indiquée au fol. 199 V*
E^teven , comandor de Chipre. » Ibid. , fol. 1 76. du même manuscrit.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTlENNE. 25
GuiHaume de Saint-Etienne s'est surtout fait connaître parles tra-
vaux qu'ii a exécutés sur les statuts et l'histoire de l'ordre de Saint-
Jean de Jérusalem. C'est à lui qu'il faut attribuer la première codifi-
cation des statuts, représentée par le ms. 4852 du Vatican, à la fin
duquel (fol. i4o v") le scribe a tracé ces mots à l'encre rouge : «Ce
«livre fist escrire frère Guillaume de Saint Estiene, frère de l'ospi-
« tal de Saint Johan de Jérusalem. » Dans ce volume se trouvent réunis
la Règle de Raimond du Pui, le privilège du grand maître Joubert
relatif au pain blanc à fournir aux malades, un règlement du service
divin et du cérémonial religieux, les constitutions du grand maître
Roger de Molins, différents statuts promulgués au cours du xiii* siècle
et une rédaction des Esgarts, c'est-à-dire des décisions disciplinaires
prises pour punir les fautes et prévenir les abus *'*.
Une compilation beaucoup plus étendue et d'une importance his-
torique et littéraire beaucoup plus grande remplit le ms. français 6049
de la Bibliothèque nationale. Le nom de l'auteur se lit dans une note
mise en marge du fol. 217 v° : « Ci comencent li autre mandament del
« iievre que compila frère Guillem de Saint-Estenne », et plus expres-
sément encore dans" un avant-propos copié au fol. 217 : « Cest
«lièvre fist frère Guillaume de Saint Estenne, adonc comandor de
« Chipre. » La rédaction fut achevée au mois de septembre 1296 dans
l'île de Chypre; c'est ce qui est formellement énoncé à la fin de l'ou-
vrage : «laquel fu complie en Chipre, l'an de l'incarnation Nostre
« Seigneur m. ce. xc. vi ^^* ».
La compilation de Guillaume de Saint-Etienne se divise en deux
livres distincts.
Le premier livre est, à proprement parler, un recueil de docu-
ments propres à faire connaître l'ordre de l'Hôpital et les principes
d'après lesquels il était ou devait être administré. H se compose des
morceaux suivants, qui, pour la plupart, avaient d'abord été écrits
en latin, mais que le compilateur a mis, ou plutôt a fait mettre, en
français, pour être mieux compris :
'"' Dekville Le Roulx , Les statuts de l'ordre M. Paul Le Cacheux, membre de l'École
de l'Hôpilal de Saint-Jean de Jérusalem , p. 7-9 française de Rome. Voir aussi la préface du
{extrait de lu Bibliothèciue de l'Ecole des chartes, tome \ des Historiens occidentaux des Croi-
1887, t. XLVIII). Une notice sur le manuscrit sades, p. cxxi.
du Vatican nous a été communiquée par '*' Ms. français 6049 , fol. 298.
TOME XXXIII. 4
26 MAITRE JEAN D'ANTIOCHE
r (fol. 2). « Ce sunt H miracle que Nostre Sires Dieus Jhesu Crist fist en Jheru-
«salem, pour establir e pour bastir la sainte mayson de Saynt Johan de Jlieru-
« salcm. » — Ce texte a été publié par M. Delaville Le Roulx'^' et par les éditeurs
du Recueil des historiens occidentau.v des croLmdes^^K
2° (fol. 1 1 ). Règle de Raimond du Pui, confirmée par le pape Boniface VIII.
3' (foi. 17 V). Liste (les pénitences (afflictions) et des jeûnes imposés aux Hos-
pitaliers.
6° (fol. 2 1 ). Code disciplinaire, connu sous le titre de « Usance des égards ».
5° (fol. 42). Privilèges et établissements arrêtés dans les chapitres de l'ordre.
Le recueil débute par la prétendue charte de Godefroi de Bouillon, dont il sera
question plus loin. A la suite viennent la confirmation de la règle de Raimond du
Pui par le pape Lucius III, la constitution du grand maître Joubert pour le pain
des malades et le texte des statuts ou établissements promulgués jusques et y com-
pris ceux du chapitre célébré à Limassol au mois de novembre i3oà. Les cinq
derniers articles de la collection, se rapportant aux chapitres des années i3oo-
i3o4, ont été ajoutés après coup; celui de l'année i3o^ n'est même pas men-
tionné dans la table qui est en tête du recueil. M. Delaville Le Roulx a fait ou
doit faire entrer ces établissements dans le Cartalaire général de Fordre des Hospita-
liers de Saint- Jean de Jérusalem '^'.
6* (fol. 1 2 I ). Coutumes observées sur des points dont il n'est point question
dans les établissements des chapitres : « Ci comence et dit de la obédience que les
«frères doivent tenir et faire, et les usances et les congiés dou maistre, et les
«autres choses qui sunt escrites en cest lièvre, tout soit que cestes usances n'en
« soient ordenées par chapitre, mes les prodes homes de la maison ont volu escrire
« si con il est usé et costumé en nostre maison. » Ce morceau a été publié par M. De-
laville Le Roulx dans son Cartulaire '*'.
7° (fol. \lfi v°). Catalogue des maîtres de l'Hôpital, s'arrêtant au nom de
Guillaume de Villaret.
8° (fol. 1/14). Correspondance se rattachant au projet que Guillaume de Villaret,
maître de l'ordre, avait formé de tenir un chapitre général à Avignon le
i"août i3oo. Cette correspondance a été publiée par M. Delaville Le Roulx'".
9" (fol. i83 v°). Conseil du roi Charles II de Sicile pour reconquérir la Terre
Sainte. Ce mémoire semble avoir été rédigé sous le pontificat de Nicolas IV; il a
été analysé par M. Delaville Le Roulx '^'.
10° (fol. 190). Observations ayant principalement trait à la condition des indivi-
dus qui étaient admis dans l'ordre en qualité de confrères.
'"' De prima origine Hospitalariorum Hieroso- ''' T. Il, p. 536-56 1.
(ymitanoriim (Paris, i885, in-8'), p. 97. O Cartalaire des Hospitaliers, t. III, p. 766
''' T. V, p. 4 1 1 . et suivantes.
'*' Les parties déjà publiées se trouvent '*' La France en Orient au xir' siècle, t. I,
dans le tome 1, p. 339-340, 345347 et 42 5 p. 16-19 {Bibliothèque de l'École des liaates
4^9; dans le tome II, p. 3i-4i, et dans le étades, fascicule 44 )• — Ce mémoire porte pour
tome III, p. 43, 75, 118, 186, 336, 368, titre, au bout du fol. i83 v" du manuscrit :
45o, 5a8, 608, 638, 65o, 673 et 810. «Ce est le coseill del roy Karles. »
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 27
1 1° (fol. 1 9 I v°). « Ici est escrit cornent et en quel jours nous devons faire afflic-
« lions. . . » Ces remarques complètent ce qui se trouve sur le même sujet au
fol. 1 7 v° du manuscrit.
12° (fol. igA). Recueil d'«esgarts», c'est-à-dire de décisions prises par les di-
gnitaires de l'ordre sur des points qui n'avaient été prévus ni pai' la règle ni par les
établissements des chapitres. Ces décisions datent des années i3oi-i3o3; elles ont
dû être ajoutées après coup dans la compilation de Guillaume de Saint-Etienne,
qui fut terminée en i 296.
1 3° (fol. 2 1 5 v°). Supplément au recueil des Usances.
Là s'arrête le premier livre de la compilation. Dans le second,
l'auteur s'est proposé de mieux faire connaître l'histoire de l'ordre
de l'Hôpital et de développer les principes généraux de droit d'après
lesquels devaient être résolues les questions douteuses. Le second
livre comprend donc une partie historique et une partie juridique.
En tête (fol. 217) se lit une sorte d'avant-propos, où sont sommaire-
ment exposés les rapports qui rattachent les deux livres l'un à l'autre.
Vient ensuite (fol. 220 v°) un prologue, où sont indiqués les cir-
constances dans lesquelles l'auteur se mit à l'œuvre et le but qu'il
avait en vue. Un jour qu'il se laissait aller à des pensées d'inquiétude
et de découragement, il se ressaisit au souvenir du passage où saint
Augustin combat cette disposition d'esprit, en recommandant la prière
et la lecture. «Et lors, dit-il, si comme rosée devant le soleil s'éva-
« nouit, en telle manière ces diverses pensées s'évanouirent de mon
« courage, me laissant en sûreté de repos. »
La partie historique du second livre fait souvent double emploi
avec le premier, qui contient tous les textes relatifs à l'organisation
et aux développements de l'ordre des Hospitaliers; toutefois il con-
vient de faire remarquer que, dans le premier livre, Guillaume de
Saint-Etienne s'est généralement borné à reproduire les documents,
tandis que, dans le second, il les combine et les apprécie. C'est ainsi
qu'après avoir exposé les vraies origines de la maison de l'Hôpital
conformément aux « histoires autorisables » , il fait allusion à des ori-
gines fabuleuses, en termes qui dénotent un véritable esprit de cri-
tique et un remarquable amour de la vérité :
Et ensi fu comenciée [nostre maison], selonc ce que l'e[n] trueuve as estories,
lequels estoires sont receues et creues de tous et par tous auctorizables. Aucun plus
ancien comensament est dist, qui fut dou tens Melchiar, mes ne est pas trové en
li.
28 MAÎTRE JEAN DANTIOCHE
leus'" actorisables ; mes je esme que questeors, por mieaus gaaigiiier, troverent
celés clioses. Car, par vérité et selonc l'estoire de ia Bible, de celui tens en sa que
ceaus dien[t], lu Jherusalem destrute et dou tout deshabitée, que persones ne ha-
bitoient, et le saint sépulcre Nostre Sires fu lors tout debrisiés, lequel estoit tous
entiers perciés en la roche. Et que ce soit voirs que il fu depeciés, est encoire
au jour d'ui apparant. Ores laissons la vanité et tenons la vérité, car glorifiement de
mensonges desplait a Dyeu»'''.
Les éditeurs du Recueil des historiens occidentaux des croisades, qui
ont publié ce morceau sous le titre de Comment la sainte maison de
l'hospital de Saint Johan de Jérusalem commença^^\ en ont bien défini le
caractère et montré la valeur :
L'auteur, disent-ils ''', commence par exposer avec détails les circonstances dans
lesquelles l'hôpital fut bâti par les marchands italiens. Il n'indique pas clairemen t
la source de son récit; mais, en disant qu il a puisé ses renseignements « as estoires ,
« lequels estoires sont receues et creues de tous et par tous auclorizables », il nous
permet de conjecturer qu'il s'est servi de l'une des histoires des croisades univer-
sellement connues de son temps, et très probablement de celle de Guillaume de
Tyr, avec laquelle son récit offre de nombreux points de contact. Il a pu l;i con-
sulter, nous semblc-t-il, dans la traduction française, dont il se rapproche un peu
plus que de l'original latin et qu'il cile d'ailleurs formellement en un passage sous
le titre de « Livre du conquest », par lequel on la désignait au moyen âge.
Il ne l'a pas toutefois suivie d'une façon servile ni d'une façon exclusive. Bien
qu'en général son récit soit plus bref, il a cependant amplifié certains passages de
l'archevêque de Tyr, en y ajoutant des réflexions ou des explications que lui a pro-
bablement fournies sa seule imagination. Outre ces différences, dont il n'y a pas
lieu de s'occuper autrement, son œuvre présente certaines particularités qu'il est
intéressant de noter. Guillaume de Saint-Estève ne désigne pas la ville d'Amalfi
comme le lieu d'origine des marchands fondateurs de fhôpital et se borne à dire
que ces marchands étaient des Italiens. II nous apprend que les fondateurs étaient
au nombre de cinquante, tandis que Guillaume de Tyr n'articule aucun chiffre.
Guillaume de Tyr distingue nettement la fondation préalable d'un monastère dédié
à la Vierge, où furent appelés des moines italiens, et l'établissement subséquent,
fait par ces moines, d'un hôpital-auberge, pour tous les pèlerins. Guillaume de
Saint-Estève attribue aux marchands la fondation simultanée du monastère et de
•'' Le ms. porte coae en leac actorisables. Turin et le ms. 33 a3 de Vienne. — Une pre-
''' Ms. français 60^9 , fol. a 23 v". — Histo- mière édition en avait été donnée en 188.Î par
riens occidentaux des croisades, t. V, p. /ia4. M. Delaviile Le Roulx, dans l'appendice de sa
''* Historiens occidentaux des croisades , t. V, thèse De primaorigine Hospitalarioram Hieroio-
p. 422-457. d'après les mss. français 6o4n et lymitanoram, p. 119.
1978 de la Bibl. nat. , le ms. 3i36 du Vati- <'' Hiitonens occidentaux des croisades, t. V,
can, le ms. français i,v-45 de l'Université de p. cxxn.
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 29
l'hôpital. Guillaume de Tyr ne dit pas à quel ordre appartenaient les moines;
Guillaume de Saint-Estève spécifie que c'étaient des moines noirs, c'est-à-dire,
semble-t-il, des Bénédictins. Le premier affirme que l'hôpital fut placé sous f invo-
cation de saint Jean THospitalier ou f Aumônier, patriarche d'Alexandrie, illustre
par sa charité; le second combat celte affirmation, et soutient f opinion que la
maison fut consacrée à saint Jean-Baptiste, le Précurseur.
Nous pouvons citer un exemple du scrupule avec lequel travaillait
Guillaume de Saint-Etienne. Des articles additionnels avaient été
ajoutés après coup aux Etablissements du Margat; Guillaume les a
compris dans son recueil, mais il les a laissés à part, en prévenant
expressément qu'ils ne faisaient point partie du texte primitif. Voici
ce que porte le ms. ôo/ig de Paris, folio 76 :
Geste est la elecion deu maistre, ensi com elle fu ordenée au tens de maistre Joan
de Villiers et au tens de maistre Guillaume de Vilarct, au chapitre qui fu tenus a
Marseilh, et i|ui fu après cassée au tens deu desus dit maistre Guillaume de Vi-
laret, le premier chapitre que il tint desa mer, et au tiers'^' chapitres fu recon-
fermée, et nous l'avons mise près de ceste autre qui fu faite au Margat. Je'^' sur ce
que ceste eleccion ne est pas de l'establiment dou Margat.
Dans le ms. 4862 du Vatican, les additions faites après coup à la
Règle de Raimond du Pui sont soigneusement distinguées. Nous y
lisons sur la marge du folio 3 v" :
Gestes choses qui sont escrites en manière de glose en ce livre, tant com la
règle tient, ajousta maistre Amfos a la dite règle, selonc qu'il contient a son escrit
fait au Margat.
Guillaume a été moins bien inspiré quand il a cédé au désir de
faire intervenir Godefroi de Bouillon dans la fondation de l'ordre de
l'Hôpital. Ayant rencontré une charte '^^ émanée de Godefroi 111, duc
de Lothier, en 11 83, il en a fait entrer dans sa compilation'*^ une
version française qu'il a intitulée : « Ci comence le privilège que le
«duc Godofroy de Bulon fist a l'ospital en Jherusalem, par lequel
''' Le manuscrit porte et autres chapitres, ''' Le texte original de cette charte, en
mais au passage correspondant de la table latin, est publié dans le Cartulaire de M. De-
mise en tête du recueil (fol. 45 v°) on lit : et laville Le Roulx, t. I, p. 437, n° 649. — Voir
au tiers chapitle. aussi Historiens occidentaux des croisades, t. V,
*'' Passage corrompu; on pourrait proposer p. 426.
ja soit au lieu de je sur. <*' Ms. français 6049 1 f**^* ^^"
30 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
« sont testimoignés moût de biens espirituels estre heu fais en nostre
« maison en Jherusalem , et par lequel est testimoigné que le patron
«de nostre maison est saint Johan Baptiste. » Mais il a dû, lui ou un
collaborateur, éprouver un certain embarras en constatant que la
pièce était datée de l'année de l'incarnation ii83 et de la prise
de Jérusalem 84- Ce synchronisme avait été conservé, et il a fallu
pratiquer un grattage pour permettre de lire à cet endroit : « en
«l'an de l'incarnacion Nostre Seignor m c, en l'an de la prise de
«Jherusalem i», leçon qui s'accordait assez bien avec l'attribution
de la charte à Godefroi de Bouillon ''^
Quand l'occasion s'en présente, Guillaume exprime ses idées per-
sonnelles sur l'administration de l'ordre auquel il appartenait. Il ré-
prouve le cumul des fonctions et soutient que le rôle du maître doit
se réduire à une direction et une surveillance générale, sans immixtion
dans le détail des affaires :
Deus offices ensemble ne doivent estre bailliés a une persone, combien qu'eie
soit exercitée. Car ausi con la [di]versité des membres et divers offices garde la force
de cors et li donc beauté, autresi la diversité des persones establies par divers offices
garde la force et l'onor de sainte Glise, et autresi con ce est laide chose en cors
d'ome que l'un membre face l'office a l'autre, est il laide cbose se chascims des
offices de sainte Glise ne est baillié a une persone; et, por ce que nostre religion
est un cors fil de sainte Glise, et ausi que saint Gregori parole a lotes religions de-
sous le vocable de sainte Glise, fu il droit que nostre religion enseguist les ma-
nières de sa mère sainte Glise et les comandemens et doctrines de seint Piere et
des apostols. Por quoy en nostre religion, qui est un cors, fu ordené divers membres
pour le sauvement et acroissement dou dit cors, dont le maistre fu le chief, qui
est le premier office ordené au sauvament et au croissement de nostre religion.
Après sont ordenés les autres ordenes diversement, selonc que les parties dou cors,
por le porlexion douquel tous les autres sont adresciés, [et] est le nostre maistre le
chief, par quoy tous les officiais doint estre proveus et adreisciés.. . .
. . .Tote le nave generalmcnt doent estre a la proveence dou nouchier et par lui
adrecée. Ue quoy Tullus dit, au lièvre de Rectorique, que celle nave parfait très
bien son cours qui use de très sachant '^' governeor, atresi generalment toute nostre
'■' Le ms. français 1978 nous offre, au La date est ainsi exprimée, dans le ms. 1978,
foi. ao.^ v°, une copie de la même charte dont fol. 2o4 v" : « En l'an de l'incarnaciou Nostre
le texte a reçu de nouvelles modifications pour • Seignor m x(; vni , en l'an de la prise de Jeru-
rendre moins invraisemblable l'attribution à « salem mi. xxxiii (sic).»
Godefroi de Bouillon. L'auteur de la charte s'y ''' Le copiste a écrit : de trcschanl governeor.
appelle: «Je, Godefroy de Buillon, par la Voici le texte de Cicéron (De //iDcnf., I, xxxiv):
• grâce de Dieu duc de Lohercnne. . . », tandis Nain navis oplime cursam conficit eu quee scirn-
que le ms. 6049 porte: «Je, Godefroy, per (ktimo ^aiernafore a<itar. La traduction de Jean
• la grâce de T)yeu duc de Loherengne. . . ». d'Anlioche porte de très sachant.
I
ET FRERE GUILLAUME DE SAINT-ETIENNE. 31
religion est e doit estre a la proveance don maistre et par luy ad[r]escée. Car, si
corne le nochier'" doit regarder le timon et les autres officiaus de la nave se il font
bien lor office, non mie que il use de mener le timon, ne de tirer les cordes, de
monter a la voille, mas que soulement en regardant et comandant que soit bien
feite cliascune chose profitablement, et ceaus qui ne sevent enseignier discrètement
et tel conseill mètre a chascun que riens ne demore a estre bien feit au profit et a
sauvement de la nave, ce meismes est de nostre maistre : car ne apertient asson
office entremetre soi do governement des soveirans offices, mais que en porveant
les et en comandant que chascun officiai soit euros et face son office selonc que
droit est et que requiert la nature de chascun office et des choses et de tens. . .>^'.
Après avoir lu ces observations, on ne s'étonnera pas de nous voir
attribuer à Guillaume de Saint-Etienne la rédaction d'une lettre qui
fut écrite à Limassol, le 3 avril 1296, au nom des frères du « co-
« vent», et adressée à Guillaume de Villaret, au moment où celui-ci
venait d'être élu maître de l'ordre (26 mars 1296). On signalait dans
cette lettre '^^ les abus auxquels avait donné lieu la mauvaise adminis-
tration de quelques maîtres, et on insistait sur la nécessité d'observer
rigoureusement « les bons establimens et usages et les bons ordena-
« mens de nostre maison, par lesquels nostre orde a estée m'entenuee
« et governée et acreue au tens passé, et par lesquels les frères prodes
«homes de nostre religion ont esté honorés, et les defaillans ou er-
« rans chestiés » .
Dans tous les cas, Guillaume s'est approprié les observations con-
tenues dans la lettre, et il a tenu à l'insérer textuellement dans son re-
cueil pour deux motifs : il fallait rappeler aux maîtres que les actes
répréhensibles ne passent pas inaperçus et que les auteurs de ces actes
en portent la responsabilité; il fallait aussi montrer aux frères (les
«prodes homes dou covent») qu'ils doivent avertir les maîtres des
fautes à éviter ou à réparer :
Je ay mise et escripte ceste letre yci por 11 achaisons : l'une que les maistres
cuident que, si con sunt recitées les descovenebletés descuvertes '*' d'aucuns mais-
tres trespassés, que ausi sera fait des ior, se il les font nulles descoveignables , et
por ce, se en eaus a vertus, ils eschiverunt ces choses qui ont esté et sunt a grant
blasme des autres maistres et doimigables as armes de aus. L'autre acheson est que les
C Le ms. porte ici le nechir. La forme non- texte de ce document a été publié par M. Dé-
crier se lit plus haut. laviUe Le Roulx , Cartulaire des Hospitaliers ,
'') Ms. français 60/I9, foL 261 v°. t. III, p. 681, n» A3 10.
''' Ms. français 60^9, fol. 262-254. — Le '*' Le ms. porte : des euuenes.
32 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
prodes homes dou covent aient exemple de raostrer as maistres les defautes desquels
il se doi[ven]t garder, et grant charité *'' est chose deiie a eaus sera se"'', lors que les
defautes seront faites par les maistres, ne les lieisent enveiliir, mas tant tost le dient
et le fiicent emender. Car ceaus que les meus soffrent et passent taisiblement
seront puni devant Dieu, et qui les reprent selonc dehue manière eu auront bon
mérite de Dieu. Donques por les ii achaisons desus dites je [ay] cestes letres icy
recitées'".
Il est temps d'arriver à l'analyse de la partie juridique de la com-
pilation. Elle occupe les feuillets 265-296 du manuscrit, et l'auteur
l'a subdivisée en trois sections.
Dans la première sont passées en revue les différentes espèces de
droit : le droit de nature, qui, conformément à la doctrine de Gicé-
ron, comporte six distinctions, suivant que ce droit a pour source re-
ligion, pitié, grâce, vengeance, révérence ou vérité (fol. 266 v")'*'; le
droit de coutume, qui est admis par tous sans être consigné dans
les lois (fol. 267 v°) ; et le droit des lois, à propos duquel l'auteur
cite différentes lois (fol. 270 v°) et parle des lois de l'Eglise, c'est-à-
dire des canons (fol. 271). Il recherche ensuite l'origine des diffé-
rents droits et indique les rapports qu'ils ont les uns avec les autres
(fol. 272).
La seconde section a pour objet les jugements (fol. 277), l'applica-
tion qui doit être faite du droit et la façon de juger dans l'ordre des
Hospitaliers (fol. 279 v°), les qualités du juge (fol. 280 v°) et la pé-
nalité (fol. 2 83).
La troisième est consacrée à des considérations sur le juste et
l'injuste (fol. 287 v°).
Guillaume de Saint-Etienne a résumé lui-même les questions dont
il s'est occupé :
Ci dit brisesment {sic) les choses qui sont estées tractées en cestui lièvre et les con-
ditions des choses.
J'en rent grâces a la seinte Trinité, par qui adresoement est compli ce que pro-
pensai au comensament de cest lièvre , ce fu a deveer [sic) et ensueire la tierce partie de
la doutrine que le lièvre saint Augustin fait as religious, laquele je ci esleus ouvrer en
'"' Quant clarité et chose. Ms. lopinio, sed qnœdain innata vis nfferat, ut re-
'*' Carc. faite? « ligionetn , pietatem , gratiam , vindicationem ,
''1 Ms. français 6049, fol. 354 V*. « observantiam , veritatem. » De Inventione,
"' ■ Nalura; quidem jus esse quod nobis non II, xxii.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAlNT-ÉTIENNE. 33
escrivant par laquele euvre escriple peut estre seiie le comensanient de nostre
maison en Jhcrusalem , et a plusors biens espiriluels et temporels estre fais en ele, et
peut estre entendu cornent et par quel achaisonla dite maison vient en emendement,
et ausi des maistres cornent furent les uns après les autres jusques en nostre tens,
et les manieires de lors escris que al tens de chascim d'eaus fuient ordenés por or-
denement et adreisement de la religion de ceaus escris qui nos semblent estre
dignes en perpétuel mémoire; et plusors autres manières de chose, selonc que chas-
cune manière par soi recorroit, ilequessont demostrées"' etsoffisament escriptes se-
lonc nostre avis. Et ensi est compile la premire partie de cest lièvre, laquel au co-
moncemcnt fu devisée en ii parties.
De ce Hieismes.
Mais [en] le segonde partie dou lièvre fu promis a dire de manières de drois por
estre conçu en nostre religion. Car nostre règle fait de lui mention ; dont fu il dit de
droit estre parti en ii manières gênerais, ce est de droit de nature et de droit de
meurs, et fu mostrée lur defenilion de quel le droit de meurs est veu estre en ii par-
ties, ce est en loy et en coustume, par quoi est mostré ui manières de droit, dont la
première est le droit de nature, le segonde droit de costume, la tierce droit de loy.
Et Tulles le devise en cestes meismes manieires en Rectoricque , et espont par mem-
bres ceaus qu'il covient. Autresi est enseigné por quoi les costitutions de sainte Yglise
sont apellés quant [par] nos meismes se dist quels est l'oflice des lois et por quoi
furent lois trovées, et encores fu dit de la naisence dou droit naturel et des autres
de lor comensament , dont il fut mostré que furent li premiers establimens des
lois et fu mostré les premiers establimens des loys, et fu mostré la dillerence dou
droit naturel et des autres, et que encontre'^' droit naturel costume ne le vaut, ne
leuc ne a contre raison o vérité. Totes ces choses ''' contient le premier membre.
De ce meismes.
Et le segont membre qui fu mis au segont leu est dit jugement, dont illucques
fu dit. Ne est legiere chose juger o done[r] sentense por quoi se dit totes maniresde
loys ou de costitution ou de costume, et quelconques droit escrit o non escrit re-
gardent a droit sentencier o justement ouvrer, et se dit que de ce soffit a chascun
juge savoir selonc sa manière, et se distincte en ce lur leu d'aucuns autres choses
assés covenables de justise et de injustise. Qui fu mis le derrain membre fu li tiers
devisé en la segonde partie de cest lièvre, par quel membre peut estre entendu en
quoy justise se desemble des autres vertus morals, et quel chose est justise et injus-
tise, et averconoissance d'eaus generalmentetparticularment.etquoi [en] juste chose
légale est terminée par la loy, et encore est mostré a quel fin est establie aucune
chose par la loy, et quel chose soit justise lestise [sic) légale et sa condetion, et quel
est justise particulière que est partie de tote vertu, et sont monstrées aucunes parties
de la justise particuleire , et tôt a la fin est dit quel est moyen de justise.
Et ensi par le grâce de Jhesu Crist sont terminées les ii parties qui sont le com-
pliment de cest lièvre, loquel nos apelons Salterian, car, si com est la loy que traite
'"' Sont de nostre dans le ms. — '*' Qui encors droit dans le ms. — ''' Totes ches contient. Ms.
HIST. LITTÉR. XXXIII. 5
34
MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
de pliisors et diverses choses por ce est apelee Saterian , ausi se livre , por qu'il
parole de plusors et diverses choses, apellons nos Saterian, lequel fu compii en
Chipre l'an de l'incarnation Nostre Seignor m.cc.xc.vi, dou mois de setembre. Deo
gratias "'.
De la dernière phrase de cet épilogue il résulte que Guillaume de
Saint-Etienne entendait donner à sa compilation le titre de Saterian.
L'idée de cette dénomination lui avait été suggérée par le terme de
lex Saturiana, qu'il avait vu employer pour désigner les lois portant
sur des sujets divers, et à propos desquelles il s'exprime ailleurs*^'
dans les termes suivants: « Autres lois sont qui [ont] lor propre nom,
«si come est celé qui [est] apelée Sateriane; et sont ensi apelées por
« ce que [elles] parlent de plusors choses ensemble et diverses, »
Par plusieurs des passages que nous avons rapportés on a pu voir
que Guillaume de Saint-Etienne aime à invoquer le témoignage des
auteurs qu'il avait lus.
Les Pères de l'Église auxquels il a fait des emprunts sont saint Au-
gustin '^', saint Cyprien f''^, saint Grégoire '^', saint Isidore'*' et saint
Jérôme'^'. A la citation il joint parfois un commentaire.
Voici comment il développe l'opinion de saint Grégoire sur l'abus
que les chefs peuvent faire de leur pouvoir :
De quoi saint Grégoire dit : « Li soumis doivent estre amonesté che nis subjès**'
« que il ne doivent et ne covint por ce que il ne soient constraint de honorei- les vices
« as homes quant il vuelent estre plus surmis que mestier n'en est. » Et note que il
ne les apele pas governors, ceaus qui usent des vices, mais homes. Et saches que au
[go]vernor est vice tout ce qui est comandé ou fait par lui dehors de bons establi-
mens ou bons usages. Et encore seint Grégoire dit en autre leuc : « Celui si tost '"' la
''* Ms. français 60^9, fol. 396.
'*' M», français 6049, fol. 270 v°.
'*' i Et de ce disi saint Augustin . . . •
(fol. 373). — «Oyons que seint Augustin. . .
• dit de ce. . . ■> (374 v"). — «Saint Augustins
• dit que le mesfait. . . » (374 v"). — «Saint Au
• gustin dit au lièvre du baptisme . . . «(375 v°).
:— «Saint Augustin dit. . . «(378). — «Et ce dit
• saint Augustin au premier lièvre de la Cité »
( 386). — « A[u] livre de la bataille des vices et
• vertus dit. . . » (a86).
'*' • Seionc ia sentence saint Giprian ...»
(fol. 376 V*). — «Saint Cipriain... dit de ce •
374 V).
'*' « Saint Grégoire dit de ce. . . •(fol.374v*).
— « Veons sur ce le dit de saint Grégoire , . . •
(376 y"). — « De quoi saint Grégoire
dist . . . »(a78). — «Et saint Grégoire dit. . . »
(286 V).
'*' « Ysidres enseigne quel chose soit canon •
(fol. 271). — «Et ce testimoigne saint Ysi-
«dres...» (fol. 371 v°). — «Ysidres dit»
(fol. 378.)
'') « Ensivant la mention de saint Jérôme. . . ».
(fol. 348).
'') Le sens est : «que tout sujets qu'ils sont,
«ils ne doivent».
''' C'est-à-dire « enlève ».
»
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAlNT-ÉTIENNE. 35
« poesté de lier et deslier qui use a sa volonté, non pas selonc les usages as subjès. »
Encores dist eu Registre : « Cil désert a perdre son privilège qui use malament de
« la poesté que li est autroiée"'. •
Guillaume invoque l'autorité du Décret de Gratien^^dont ii traduit
ainsi les premières lignes :
Le Décret dit au comensament que lumain lignaige est governé par droit de
meurs, et dit que droit de nature est celui qui est contenu en la loy et en l'avengile;
por quoy il est comandé a chascun que il lace a atre ce qu'il veaut [que] l'en face a
lui, et défient que l'en ne ITace a autre que il veaut que l'en ne face a lui*^'.
C'est probablement du Décret que sont tirées les citations de dé-
crétales de « li apostoile Nicholas » **l
Guillaume de Saint-Etienne connaissait donc assez bien l'ancienne
littérature ecclésiastique ; il était moins familier avec l'antiquité pro-
fane. Cicéron est le seul auteur classique qu'il semble avoir étudié. Il
le tenait en grande estime, à ce point que, voulant mettre ses con-
frères en garde contre le danger d'élire des dignitaires incapables, il
leur avait adressé cette recommandation :
Por eschiver donques cels perills, aies tous jours en vous pensées, a l'élection,
de la paor de Dyeu et dou monde, ensivant la mention de saint Jérôme et les
paroles de Salamon et l'auctorité de Tulles '*'.
On comprend qu'avec ces goûts il ait encouragé Jean d'Antioche
à traduire les deux Rhétoriques. 11 a, d'ailleurs, plus que personne
profité de cette traduction, dont il s'est approprié nombre de pas-
sages. Plusieurs chapitres du Saterian ne sont qu'une paraphrase du
De Inventione. Nous citerons comme exemple les pages consacrées à
définir et à expliquer les différentes espèces de droit; L'auteur y suit
pas à pas un morceau du second livre du De Inventione :
Disons'*' encoir plus clerement de ceste division de droit, et ce sera selonc '"'
Tulles, qui dit en son lièvre de Rectorique, la ou il dit de la manieire de drois,
qu'il y a droit de nature et droit de costume et droit de loy, dont il dit : si'*' adcdn
(') Ms. français 6049, fol. 264 v°. !•) Ms. français 6049, fol. 248.
<') «Les noms de ceaus trove l'en en escrit '*' Ms. 6049, fol. 266 v°.
- au Décret « (fol. 274). <'' Le ms. porte de lonc.
Foi. 265 v°. (•) Nous metlons en petites capitales ce qui
''1 FoL 274 v" et 275. est emprunté à Cicéron.
36 MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE
ou PLUSORS DOUTENT, EN UNE OU EN AUTRE RAISON QUI PORROIT AVENIR "', COMENT LE
DROIT EN EST, SI REGARDE DE QUEL CHOSE LE DROIT PERMAINT, et dit qu'il est aSSavoir
que LE COMENSEMENT DE DROIT VIENT DE NATURE, ET SEMHLE Qu'aCUNES CHOSES SONT QUI ^^'
DE LA RAISON DOU PROFIT, QUI EST CLER [ou] OBSCUR, SONT PARVENUES EN ACOSTUMANCE,
PUIS APRÈS SONT ESPROVEES DE COSTUME OU DE VERITE, ET SONT VEUES PROFITABLES. SI
8UNT AFERMÉES PAR LOY; et dit que ce est droit de costume. Par le dit de Tuiles
peut l'en clerement entendre que le droit de costume, ce est des meurs, si a pris
et prent comensament de nature ; mais par l'usage et la raison dou profit coneu
par l'acostuniance est creu et venu en costume, ce est vodrent et vullent et usent
ensi de celé costume, puis après par l'acostumance et par la vérité estoit es-
provée chose profitable, et ensi les aflermoient par escrit qui est dit loy. Ensi est
manifest que la costume est partie en deus drois : droit escrist et non escrit : le
droit escrit, que desus est dit costititions ou establiniens. Tulles apele loy, et le
droit non escrit apelle per le meisme gênerai nom, ce est costume. Dont clere
chose est coment droit est parti en trois manières desus dites, dont la premire
partie est droit de nature, puis droit de costume, et droit de loy. Disom encores
de chascun manière de droit per soy, et premièrement dou naturel.
Tulles dit que ill resemble que droit naturel si est ce qui nos resort et vient
PER UNE VERTU NATUREL, NON PAS SELONC OPINION OU CUIDANCE, lequel TulicS part
cestui droit en vi parties, c'est assavoir en religion, pitié '*', gracie, vengement, ré-
vérence, VÉRITÉ.
Tulles apelle religion un reliahent de corage et de cuer'*' en la paor de Dieu
ET EN '^' son saint SACRIFICE ET SA SAINTITÉ ET QUANT QUE A LUI APARTIENT. De CCStui
droit, lequel est en la timor de Dieu, furent esmeu ceausprodes homes qui comen-
cerent nostre maison en la manière que vos avés oy devant ; et aulresi de la se-
conde partie qui vient après furent esmeus, laquel Tulle apelle pitié, quar pitié, ce
dit Tulle, NOUS AMONESTE que nos gardons DEVOTAMENT office VERS NOSTRE PAÏS o
VERS NOUS PERES, ET NOS MEiREs, ET cosiNS ET PROCHANS, et ce meismcs dit fen al
preusmc, especialment malades ou besoignos; quar office est une chose deue natu-
relment, non pas ou cil (sic) ordenement humain. Tulles dit que l;i tierce partie de
droit naturel est apelle grâce, laquel est une chose qui doit estre tenue et gardée en
LA MEMOIRE ET AU REGUERREd[on]eMENT '*' d'oFFICE ET DE HONOR ET DE AMISTANCE. De
celui droit fu esmeu en partie la chaliphe qu'il otroia la proieire que ceaus H
firent qui comencerent nostre maison et qui estoient environ luy.
Le quart droit naturel, que Tulles iipelle vengement''', si est par cui en défen-
dent ou EN VENJANT NOS EN OSTONS '*' OU REBOTONS DE NOS FORCE, INJURES ET OTRAGES ,
ET DES NOSTRES ET DE CEAUS QUI NOUS DOIVENT ESTRE CHIERS, ET PAR CUI NOS PUNISONS
<■' Avoir dans le ms. 6049. Ici et dans <*> Ms. de. Dieu.
Êlusieur.'< des passage» qui suivent, nous réfa- ''' Ms. et de son.
lissons les bonnes leçons à l'aide du texte de '•' Ms. en la manière et au régir et au ordenc-
Jean d'Antioche. ment.
'*' Ms. semble qui soient de la raison. <'' Ms. vegement.
''' Dan» le ms 6049, ici et plus bas, le mol '*' Ms. nosstons.
pitié est remplacé par le mot partie.
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE. 37
LES péchiez'". Par cestui droit furent ordenés les lerrons estre pendus, et les autres
tormens divers selonc les divers mesfais.
La quinte partie de droit naturel, que Tulles apelle révérence, si est par lequele
NOS DEVONS HONORER ET CULTIVER TOUS CEAUS QUI VALENT MEADS DE NOUS, ET SUNT DE PLUS
d'aage ou par SENS OU pARHONORS OU PAR AUCUNE DIGNITE. Par cestui di'oit sunl honoré
ceaus qui ont les prelations, les baillies par les régions et cités et les offices reli-
gions, et ces qui sont sachant en sciences, ou ceaus qui sunt plains de grant
descretions ou ont aucune noble vertu ou sont de grant lignage ou sont moût
anciens, et teles choses semblnbles.
La vi' partie de droit naturel Tulles apelle vérité, par laquel l'en aide et con-
seille QUE RIEN ne se KACE AUTREMENT QUE SERA CONFERMÉ, CC eSt esproé , OU QUE
ne SOIT FAITE OU QUE NE SOIT A FAIRE. Par ccstui droit sont mises ariers toutes men-
songes et tous faus testimoing et toutes choses faites ou dites contre vérité et contre
raison.
Et en cestes vi parties Tulles divise le droit naturel.
Tuiles dit que droit de costume si est, se guide l'en, cele chose que l'ancieneté ''"
A CONPROVÉE PAR LA '" VOLONTE DE TOUS SENS LOY, cc est quB de celc cbosc uc y a
escrit. En cest androit si doit l'en entendre que aucun droit sont qui sont ja
CERTENS par ANCIENETÉ , EN LAQUELE MANIERE '*' MAINS AUTRES Y A DONT LE GREIGNOR
PARTIE LES JUGE OU LES SOVEIRAINS ONT ACOSTUMÉ COMANDER AUCUNES CHOSES, si COme ,
clorre les portes de la cité et mètre garde de nuit par les rues, et autres choses que
les pretors seulent comander, ensi come en nostre religion le maistre comande
venir seur semaine les frères dou covent au chapitre, ou les sages frères a acunes
choses conseillier, ou les frères venir en partie ou tous, ou amonester aucune
chose, ou comander ou faire défense ou autre, si come se le mareschal comande
l'aiguë ou le gait, ou aler au forrage, en ces comandemens et semblables qui sont
usés d'ancieneté solement'^' sans que se soit establit par escrit.
Et AUCUNES MANIERES SONT DE DROIT QUI SONT JA FAIS CERTEINS PAR ACOSTUMANCE.
Geste manière si a m membres : covenant et jugé et égal.
COVENANT EST TELE CHOSE QUI EST ENCOVENANCÉE '*' ET PLEVIE ENTRE AUCUNS,
LAQUEL CHOSE EST TANT TENUE POR JUSTE ET POR DROICTUAIRE '^' QUE l'eN DIT QUE ELLE
VAUT MEAUS DE DROIT.
Covenant est devisé en ii parties, escrit et non escrit. Car cele chose est cove-
nant laquele est covenue **' et ordenée, aucune fois entre'" aucuns que il gar-
deront ou tendront cele chose, laquel est covenue ou ordenée par aucun escrit
ou loi, si come composicions , compaignes et certenetés et trives, et autres tels
choses; et meismes, si come qui donast a un orfèvre ou argentier laborer que aûst
<■' Ms. pechaors. (•) Ms. covinacée.
''' Ms. a latienere. O Ms. droictuaire. Le texte de .lean d'An-
''> Ms. par sa volonté. tioche porte droiluriere.
'*' Ms. en la manière. W Ms. covenie.
''' La bonne leçon doit être sael en mander, ''' Ms. centre.
ou l'équivalent.
38 MAÎTRE JEAN DANTIOCHE
comunal compaignie a alcun autre, l'en la porroit demander de son compaignom;
ou autre covinant ensi : a Tu me feras une espée, et je donarai c scz»; car lele co-
venence est a tenir par la loy escripte, ce le comande. Et en nostre religion est tel
en droit entendu de Irere a frère le congié dou balli. Car ce deus frères covenan-
sent de chaiigier lor harnois ou lors chevaus, après l'acort des deus covient a ce
ferme le congié dou bailli, lequel congié est es frères come la loy enlre les séculiers.
Autres covenant es[t] fait seulement de le volenté des gens sens escrii e sens testi-
moing et sens constreignement de loi, ci come aucune fois avient en fait d'armes
quant deux ou trois ou plus s'eniredient : «Tenons nos ensemble, ne nos partons
« en la batnile les uns des autres se par comandement ne est. » Autresi de toute
convention ou acort solement en paroles d'un antre aucun d'aucunne cose faire
ensemble, mais qu'i n'i ait mal , elle doit estre ausi ferme come loi'^l
La jugée est douquel est establie avant la sentence d'aucun ou d'aucuns''^', si
come celui droit douquel sentence est donée dou séant de prince ou de juge, un ou
plusors, qui ont poesté ou actorité de ce, ce est de feire les jugeraens. si come d'un
l[e]ire '" qui est se[n]tencié, que de tel peine soit puni qui emblera ou qui fera murtre
ou autre méfait. Et en nostre religion : «Soit en tel justice por tel defaute, car
t ensi a esté jugié. » Dont en ceste partie sovent avient que les duis juges donent
de un meisme fait et semblable'*' diverses sentences, si come en nostre religion,
as esgars, aucun dira : »A tel esgart fu donée sentence, que le frère qui vint
«desobedient d'outre mer, que il recovra[s]t l'abit desamer; ausi doit l'en faire de
« cestui; » mais aucun autre dira : « Et a tel autre esgart'*' fu doué sentence que il
i< retornast a recovrer son linblt la ou il l'avoit laissé; » ou ensi aucun dira : «Tel so-
« verain refusa tenir esgart a tel frère; » et un autre dira : « Et tel autre li tint ; » —
Autre frère: «Ou a tel chapitre, sens estre rapeilé tal bailli, fu fait un autre bailli
I. en celle bailie, o non fu fait null bailli, mais seulement li fut tolue»; et l'autre
dira : « En '^' tel autre chapitre fu rapelé le bailli de celé meisme baillie sens
« perdre la baillie, jusques ill vint en la présence des prodes homes et dou cha-
« pitre gênerai. » Et por ce, si come est dit des choses desus dites, porroit il estre de
plusors autres en tel manière, por ce que les choses poent diversement de une
meisme chose et de une semblance estre jugés diversement, les uns contrairient les
unes, les autres contrairient les autres. Et lors, quant''' se avient, doit estre
faite comparicion : l'en comparera les'*' juges de l'une sentence avecceaus de l'autre :
ce est qui furent ces qui jugèrent le recovercr l'abit desa mer a reaus qui vin-
drent desobedient, ou qui firent cel esgart, et qui furent cil qui donerent sen-
tence que il tornast querre le la ou il l'avoit leissié. Et autres! les choses jugées'",
les nombrez des choses jugées, les tens et les achaisons. Ce est comparer juges
avecque juges, les nombres des choses avecques les nombres des tens, les achoi-
'"' Ms. come lui. (•> Le raot esgart est répété dans le ms.
'*> Jadicatnmdcquojamantesententiaalicajus '*' Ms. Et.
aat aliquonim constitutiim est. O Qaant est répété dans le ms.
<'> D'un larron. !•) Ms. comparables.
''* Ms. semblables. (•) Ms. gujées.
l
ET FRÈRE GUILLAUME DE SAINT-ÉTIENNE. 39
sons '" avec les achoisons. Et ensi seront trovées les meiliors se[n]tences et les
meillors juges, et les plus grant nombre des jugemenlz donés, et les plus covei-
nables achozsons. Car aucunes conditions de tens ou de achoisons font honeste'^' la
chose qui n'est rasonable, et de ces choses est a outroier as plus discrès juges et as
no[m]bres des choses plus justes et as tens et [as] achoisons'^' plus honestes et
plus profitables et plus nescessaires.
L'iGAL SI EST QUI EST iGALABLE EN TOUTES '*' CHOSES, OU peut cstre apcUé droituricr
et bon, si come non faire a autre ce que l'en ne veaut que l'en face a lui, lequel
droit est veu por tenir a vérité, ce est que il est fait et establi par aucune véri-
table non mie par fainfe achoison, mais par discrétion et par un corage et por
conseil, et est trové estre profitable a tous, si come quant l'ome a lx ans, d'iieuc
en avant est quite dou servise, ou se il est malade, et de ce covient establir novel
droit 0 par cestui droit l'en peut proposer'^' et dire aucune chose, laquale fust
honeste ou profitable, et soit a plusors covenable chose proposer et trover, ce
est a chascun qui est a ce covenable et selonc le pris penser et mètre avant por'^'
establir droit ygal ou droiturier et bon a la semblance de un des desus diz, si
come en nostre chapitre l'en peut dire aucune chose de adresament ou qui soit''"
comun profit.
Le DROIT DES LOIS**', cc dit Tulles, est ce qui est establi et confermé par coman-
DEMENT AU PUEBLE, en qui li ainnés ou les mainnés gens ont establi aucunes choses.
Encores dit Tulles que les drois qui sunt selonc les lois covendra conoistre. Des
lois les unes lois sont nomées de ceaus qui les firent, si come celés as consules,
dont ill i est la loi Juliane, la Tribuniaine, la Corneliane, et ensi de plusors autres,
qui sont nomées selonc le nom de ceaus qui les firent. Autres lois sont qui [ont] lor
popre nom, si come est celé qui [est] apelée Sateriane, et sont ensi apelées por ce
que parlent de plusois choses ensemble ei diverses. Encores y a autre lois qui a nom
Rodiane, qui fut trovée en l'isle de Rodes, dont ele retient son nom, et tracte de
marchandies. Toutes ces speces sont parties de lois séculiers, desquels lois covendra
estre coneu les drois des lois qui sont apelés legiptimes.
Sembla[ble]ment en nostre religion le droit, si com est coneu des lois desus dites,
est il coneu de nos estab[l]issemens desquels nous devons user, et por ce sont
nécessaire assavoir, come chose qui contient lor drois en partie. Et por ce que les
unes costitutions sont cilaines et sont apelees drois citiens, les autres apartien[en]t a
sainte Glise ; assavoir est de celés costitutions qui partienent a sainte Glise cornent
seront'''' apelées.
Le ms. français 6049, qui nous a transmis l'ouvrage de Guil-
laume de Saint-Etienne, augmenté de plusieurs morceaux un peu
''' Le ms. porte achoisens, ici et deux mots '*' Ms. propenser, ici et à la ligne suivante,
plus loin. (») Ms. pro.
'*' Ms. font homes de la chose. ^') Ms. sont.
''' Ms. achoises. <»1 Ms. les dois.
'*' Ms. est igables entre ces. '') Ms. selonc.
ko MAÎTRE JEAN D'ANTIOCHE ET FRÈRE GUILLAUME DE S^-ÉTIENNE.
plus récents ''\ doit avoir été copié vers le milieu du xiv* siècle.
Les extraits qu'il nous a fournis montrent combien il est incorrect.
Il serait injuste de faire retomber sur l'auteur la responsabilité de
ces incorrections; mais il faut bien reconnaître que le plan de l'ou-
vrage est mal conçu, qu'il y règne de la confusion, qu'il y a des re-
dites et que le raisonnement est parfois difficile à suivre.
Malgré tout, l'ouvrage qu'il nous a laissé est remarquable à plus
d'un titre : il abonde en renseignements précieux pour l'histoire de
l'Orient latin. L'auteur connaissait à fond l'organisation de l'ordre
auquel il appartenait; il a dû exercer une réelle influence sur les
assemblées au milieu desquelles il a siégé. Ses écrits dénotent un
esprit curieux et cultivé, un profond amour de la justice et de la
vérité. Le seul fait d'avoir provoqué, à la fin du xiii* siècle, une tra-
duction française de la Rhétorique de Cicéron nous autorisait, d'ail-
leurs, à inscrire le nom de Guillaume de Saint-Etienne, à côté de
celui de Jean d'Antioche, dans les Annales littéraires de la France.
'"' Les principales additions portent sur les
morceaux suivants :
Etablissement relatif à des prérogatives du
maréchal de l'ordre et à l'obligation de n'élire
pour maitre qu'un frère chevalier d'une nais-
sance légitime (fol. 398);
Note» sur les types des bulles de plomb et
les sceaux de cire employés par les dignitaires
L. D.
de l'ordre (fol. 398). Morceau très curieux
pour la sigillographie ;
Liste des dignitaires de l'ordre (fol. 299);
Etablissements des chapitres généraux tenus
à Rhodes le a a avril i3ii (fol. 3oo) et à
Montpellier le a^ octobre i33o (fol. 3oi);
Records de diflérents usages de l'ordre
(fol 3o4 V).
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
PRÉAMBULE.
Une étude générale des textes du moyen âge qui se rattachent au
droit normand devrait comprendre, outre les œuvres qui ont été
composées dans la province même de Normandie, les coutumes des
divers pays où les Normands ont établi leur domination et porté en
même temps leur droit et leurs usages. L'Angleterre, le royaume des
Deux-Siciles, la principauté de Tarente et celle d'Antioche devraient
donc être passés en revue, si nous prétendions donner ici un essai
consacré à l'ensemble des monuments juridiques qui intéressent le
droit normand. Un pareil travail ne serait pas sans intérêt pour l'his-
toire du droit normand proprement dit, car tel principe juridique
qui n'a pas été dégagé au xiii" siècle par les auteurs normands
en Normandie est, au contraire, nettement formulé dans certaines
coutumes siciliennes ou dans les Assises d'Antioche, en sorte que ces
derniers textes jettent parfois une lumière très vive sur certaines
parties obscures du droit de la Normandie '''. Mais notre plan ne
saurait être aussi vaste. Nous nous proposons d'étudier exclusivement
les oeuvres du xiii* siècle ou du commencement du xiv* qui appar-
tiennent à la province de Normandie.
Parmi les textes antérieurs à la période qui va nous occuper,
nous citerons un seul document, parce qu'il se rapproche sensi-
blement, par sa nature même, des textes postérieurs : c'est un re-
cord des droits, plus particulièrement des droits de justice appar-
tenant au duc de Normandie. Ce record fut provoqué, vers la fin
du XI" siècle, par les deux fils aînés du Conquérant, Robert Courte-
Heuse, duc de Normandie, et Guillaume le Roux, roi d'Angleterre'^' :
'■' Cf. H. Brunner, Der Todtentheil in ger- '*' D. Martene l'a publié en 1717. En voici
manischen Rechten, dans Zeitschriji der Savigny- l'iiicipit: Hec estjusticia qaamrex Willelmus , qui
Slijlung fur Rechisgeschichte , t. XIX, Germa- regniim Angtie acqaisivit, habuit in Normannia,
nistische Abtheilung, Weimar, 1898, p. 110, et hic scripta est sicut Robertus cornes Normannie
et Willelmus rex Anglie , filii ejus et heredes
Il I, 112.
HIST. UTTÉR.
42 LES COUTUMIEUS DE NOilMANDIE.
à la requête de ces deux princes, les évêques et les barons rendirent
témoignage des droits qui compétaient à Guillaume le Bâtarrl , et qui,
par conséquent, appartenaient de même à ses ayants cause. Nous re-
marquons notamment que tout sujet du prince relève de sa justice, et
non de celle des barons, dès qu'il est requis pour l'ost, et encore huit
jours après le licenciement (art. 2); que les barons normands ne
peuvent édifier aucune forteresse ou château fort (art. 3). Ces pres-
criptions prouvent que les ducs de Normandie, comme plus tard les
rois d'Angleterre, avaient en leur main un baronnagearmé qu'ils vou-
laient soumis et discipliné. Le droit de battre monnaie est égale-
ment très restreint et réglementé : Nulli licmt in Normannia monetam
jacere extra monetarios domns Rothoinafjensis et Baiocensis (art. 10).
D'autres prescriptions se rattachent aux réglementations diverses qui
s'élaborèrent alors en vue d'adoucir la guerre privée. La justice ap-
partient de ce chef au duc. Les recordeurs ont soin d'ajouter que
leur énumération des droits du duc n'est pas complète, car il ne
faut pas qu'une omission de leur part puisse nuire au prince : Hec
aiitem que superius scripta sunt (jiiia mcujis necessaria snnt. Remanet aii-
tem multum extra hoc scriptnm dejusticia monde et reliquis justicns ISor-
mannie (art, 11].
Ainsi, c'est le soin des intérêts du duc qui inspira, en Normandie,
dès la fin du xi" siècle , la première petite rédaction de droit coutu-
mier. C'est aussi par l'énumération des droits du duc que s'ouvre
l'important ouvrage qu'un anonyme composa au milieu du xiii* siècle,
ouvrage que nous appelons le Grand Goutumier normand et que
nous étudierons avec soin dans le présent travail.
Cette étude comprendra deux parties, dont voici l'indication :
1. Traités de droit normand :
1° Le Très ancien Goutumier; 2" le Grand Goutumier'"; 3" deux
Consultations sur la coutume de Normandie.
predicti rc^is , fecenint recordari et sciibi per In Bibl. nat. i597 B. et au \atican, dans le
episcopo.i et baroiies suos , eadem die xv. kulenéis ms. Ottoboni, 2964, fol. i33 v". Cf. Tardif.
augusti. Et hec est jasticia domini Normannie , Siimmu de legibiis, p. lui, noie /|.
qutxl, etc. ( Ex nis. S. Michaeiis in Pcriciilo ''' Dans l'édition du texte latin donnée |)
Maris ; aujourd'hui Avranches, 149. — I). Mar- M. Tardif, le titre est : Sitmmu de legibus iVo
tene. Thésaurus noms, f. IV, col. 117-120.) manni'c l'n cnn'rt /rtic«/i. Nous conservons la dé
Ce texte »c trouve aussi dans le ms. latin de signation habituelle et comme consacrée.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
II, Recueils de jurisprudence normande :
43
1° Diverses compilations d'arrêts de l'Échiquier de 1207 à 12 43;
2° un recueil intitulé : Arresta communia de Scacario (1276-1290),
et un petit recueil allant de 1291 à 1 '^9^; 3° les Assises de Normandie.
I. — TRAITES DE DROIT NORMAND.
1. TRES ANCIEN COUTUMIER DE NORMANDIE.
Ce n'est pas sans hésitation que nous adoptons ici cette rubrique :
Très ancien Coutumier. Il serait plus exact de dire : deux Très anciens
Goutumiers. Nous maintenons cependant celte désignation tradition-
nelle qu'a acceptée aussi le dernier éditeur, M. Tardif ''^ Aussi bien,
ces deux Très anciens Goutumiers, rédigés primitivement en latin, ont
été réunis en un seul dans une traduction française qui date du
xiii' siècle et confondus dans les annotations latines d'un manuscrit
du Grand Coutumier en français. De cette double circonstance est née,
pour les modernes, l'illusion d'un Coutumier unique : illusion à la-
<"' Manuscrits : Lat. iioSa. Ce manuscrit,
du commencement duxiv' siècle, contient, entre
outres documents, le texte français du Grand
Coutumier. On a intercalé dans ce texte français
de très nombreux fragments latins de notre Très
ancien Coutumier. — Lat. 1 8368. Ce manuscrit,
de la fin du xiii* siècle, contient, à la suite du
Grand Coutumier (texte latin , fol. 8g r'- 1 oo v° ) ,
la seconde partie du texte latin du Très ancien
Coutumier (chap. i.xvi àxci). Aucun titre, ni au
commencement, ni à la fin. - — Lat. 4653,
fol. 62 v"-'73 r°. La section de ce manuscrit (c'est
un recueil factice) qui contient, avec le Grand
Coutumier et d'autres compilations, la seconde
partie de notre Très ancien Coutumier (texte
latin) a été écrite en i43o. Cette copie du
XV' siècle parait dériver d'un manuscrit très
correct. M. Tardif a pris le ms. lat. 4653
comme hase de l'édition de la seconde partie
du (Coutumier. Aucun titre, ni au commence-
ment, ni à la fin; aucune rubrique en tète des
chapitres. — Vatican, fonds Otioboni , 2964,
fol. io6-i3i,fin du XIII* siècle (cf. la descrip-
tion de ce ms. par Auvray, dans Bibl. de l'Ecole
des chartes, t. XLIX, p. 635-637). ^''^ manu-
scrit contient seulement la première partie du
Très ancien Coutiunier. Nous en devons la col-
lation à l'obligeance du W. P. Van Ortroy. Notre
texte est ici intitulé : Antiqua consuetudo Nor-
mannie. — Sainte-Geneviève, 1743 (anc. F. f.,
in-4°, 3), fol. 193-255. Ce manuscrit, qui con-
tient, outre le texte français du Très ancien
Coutumier ( texte tronqué au commencement et
à la fin), le Grand Coutumier et d'autres textes
de droit normand , semble avoir été écrit, sui-
vant M. Tardif, vers 1 290.
Le texte français a été édité par Marnier dans
Etablissements et coutumes, assises et arrêts de
l' Echiquier de Normandie , Paris, 1839; le texte
latin, par Warnkœnig et Stein, Franzôsische
Staat.i- und liechtsfjeschichte, Basel, i848, Ur-
kiindenbuch; par J. Tardif, Coulamiers de Nor-
mandie, i" partie, Le Très ancien Coutumier,
texte latin, llouen, 1881.
6.
44 LES COUÏUMIERS DE NORMANDIE.
quelle l'édition du texte français par Marnier et celle du texte latin
par Warnkœnig ont donné une très sérieuse consistance.
Deux historiens, MM. Brunner et Tardif, qui n'avaient pu con-
sulter tous les manuscrits latins, se sont donné beaucoup de mal,
depuis une trentaine d'années, pour distinguer les deux parties du
Très ancien Coutumier de Normandie ou, mieux, pour distinguer deux
Coutumiers dans le Très ancien Coutumier ''). Les résultats obtenus
par ces deux savants''^' font grand honneur à leur clairvoyance. Mais
ces efforts de critique étaient quasi inutiles, car les deux Coutu-
miers existent isolément dans les manuscrits. La dualité de l'œuvre
n'a donc pas besoin d'être démontrée. Elle se révèle direclemeut.
M. Brunner plaçait la coupure au chapitre lxxiii; M. Tardif l'a mise
au chapitre lxvi. Cette dernière place est la bonne.
Il y a pout-être quelque intérêt rétrospectif, pour l'histoire de la
critique, à faire connaître très sommairement les raisons excellentes
qui avaient conduit à reconnaître dans le Très ancien Coutumier deux
œuvres distinctes.
Les mêmes matières sont traitées deux fois dans le Très ancien Cou-
tumier, savoir : les partages entre frères, aux chapitres viii et lxxxiii;
les donations en aumône, aux chapitres lvii et lxxxix; les droits de
relief, aux chapitres xlvii, $ i, 2, et lxxxiv, $ i; le régime des
biens entre époux [marUagiiim et dos), aux chapitres v et lxxix, $ 5;
les essoines, aux chapitres xlii et lxxxii; le duel judiciaire, aux cha-
pitres XLi et LXXXIII ; le patronage des églises, aux chapitres viii et
lAXxiii. Ces doubles chapitres constituent, la plupart du temps, des
répétitions inutiles et que rien ne justifie.
Il y a même çà et là désaccord complet de doctrine entre les deux
parties de notre traité. Ainsi le chapitre v. De dotaliciis, S 7, reconnaît
en principe la compétence des tribunaux laïques dans les questions
de douaire; le chapitre lxxïx. De dotibus, $ 11, ne reconnaît leur
couipétence qu'en matière de douaire immobilier.
Nous n'épuisons pas la série de ces observations, devenues aujour-
d'hui superflues.
'"' Pour simplilier nos citations, nous ren- fol(fCsyitem, Kxcurs ûlur dit: ùlleren iiormuimi-
verrons toujours à la série unique des cliapitres schen Conlainrs , Leipzig, 1869; Tardif, Le Très
de cette édition. ancien Couliimier de Normandie, texte latin,
<*' Brunner, Dus Ani/lonormannisclie Eri- Rouen, 1881.
I
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 45
Le début réel du second Coutumier est étrange et bien moins na-
turel que celui qu'avait proposé M. Brunner^'* sans avoir étudié les
manuscrits. Ce savant plaçait, en effet, la coupure au chapitre lxxiii,
qui a tout à fait l'apparence d'une entrée en matière, d'un préambule :
Prias tractundam est de possessione (jiiam de proprietate. Mais les manu-
scrits lat. 4653 et lat. i8368, qui ne nous ont transmis que le
second Coutumier, commencent plus haut, au chapitre lxvi, Jurea
regalis; et le manuscrit Ottoboni 2964 , qui ne nous a transmis que la
première partie, finit avec le chapitre lxv. C'est donc avec toute
raison que M. Tardif a placé la coupure à ce chapitre lxvi qui
ouvre la seconde partie du Très ancien Coutumier, Ces chapitres lxvi
à Lxxii contiennent trois documents officiels qui ne sont point
fœuvre du rédacteur, à savoir : une enquête ou jurée; une ordon-
nance de Henri I*';un mandement de Richard Cœur de Lion; ces actes
sont comme plaqués en tête de l'œuvre de notre jurisconsulte. Celui-ci
expose son plan au chapitre lxxiii. 11 traitera, dit-il, des questions
possessoires avant de passer au pétitoire; il ne s'écartera de ce sys-
tème qu'en ce qui concerne les questions de patronage des églises.
Telle est, en effet, l'économie générale de la seconde partie; le vaste
ensemble que l'auteur groupe sous l'étiquette possession (« requenois-
« sans possessoires »; règles sur la capacité du mineur; douaire et dot)
est passé en revue avant les questions de propriété, à l'occasion des-
quelles interviennent quelques notions sur la procédure. Une seule
matière, le patronage des églises, est réunie aux questions posses-
soires, qu'il s'agisse du possessoire ou du pétitoire. H serait, à
première vue, bien naturel d'ouvrir la seconde partie avec ce cha-
pitre LXXIII qui en donne le résumé et le plan. M. Brunner, n'ayant
pas les manuscrits sous les yeux, ne pouvait imaginer une solution
plus satisfaisante. Et même nous admettrions volontiers qu'origi-
nairement le chapitre lxxiii fut, en effet, le début du traité, les cha-
pitres Lxvi à Lxxii étant venus plus tard, soit par le fait de l'auteur
lui-même, soit par le fait de quelque copiste ou de quelque reviseur,
se plaquer en tête de l'œuvre.
Nous avons parlé d'un texte latin primitif et d'une traduction fran-
çaise. Il est temps de justifier cette assertion.
' ' M. Brunner a donné au second Coutumier le titre de Tractatus de brevibus, à cause des nom-
breux brefs qui y sont contenus : à notre connaissance , aucun manuscrit ne porte ce titre.
/i6 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Il existe un seul manuscrit français du Très ancien Goutumier, et ce
manuscrit est incomplet. Le texte français (dans lequel les deux
parties du Goutumier se suivent sans arrêt ni distinction) pré-
sente tous les caractères d'une traduction. Le travail du traducteur
se révèle par certaines méprises très significatives. Nous en cite-
rons trois. Un certain R. de Sig[illo] et un certain Ni(i[eUus] , Eliensis
episcoims, figurent dans le texte latin comme témoins au pied d'une
ordonnance de Henri I" sur la trêve de Dieu : l'auteur du texte fran-
çais n'a pas retrouvé les vrais noms, qui sont R. du Seel et ]\eel, évêque
d'ElY(t 1 169). 11 a, pour l'un de ces deux mots, calqué la forme latine,
probablement abrégée de l'exemplaire qu'il avait sous les yeux, et mis
R.de Si(ji.; pour l'autre, il a, au contraire, interprété à faux son texte :
il avait sous les yeux Ni. ou Nig. : il a complété Nicolas au lieu de tra-
duire Neel. Un certain Guillaume Patri (+11 7^), qui nous est connu
par d'autres voies, figure comme témoin dans le texte d'une jurée
ou enquête par laquelle s'ouvre la seconde partie du Très ancien Gou-
tumier (chap. Lxvi). Le latin porte Pairie; que trouvons-nous dans
le texte français? Guillaume del Païs. Il est clair que l'auteur du texte
français avait sous les yeux un manuscrit où il a lu Guillelmus Patrie
au lieu de Guillelmus Patrie. ;\e traducteur maladroit se trahit donc,
sans aucun doute possible. Il faut ajouter que l'hypothèse d'une ré-
daction française primitive, à l'époque où se place la composition de
nos Goutumiers (commencement du xiii' siècle), serait en elle-même
fort peu vraisemblable.
Le texte latin suivi par le traducteur français était, çà et là , meilleur
que celui qui nous est parvenu. Nous nous contenterons d'un exemple.
La fin de la formule prononcée par le demandeur dans une action
en revendication (chap. lxxxv, De difforc. hered., 2) est ainsi con-
çue dans le texte français : // est prest de prover en une eure de jor, a
l'esgart de la cort (édit. Marnier, p. 74). Ges. mots a l'esgart de la cort
correspondent à la formule secundum considerationem curie, par laquelle
les parties terminent tous leurs dires en justice. Gependant le texte
latin qui nous est parvenu porte ici : paratus est probare una hora diei
secundum consuetudinem patrie, et non secundum considerationem curie.
il est évident que le traducteur du xiii' siècle avait sous les yeux un
meilleur texte latin que celui de nos manuscrits : secundum consuetudi-
nem patrie est une mauvaise copie de secundum considerationem curie, que
LES COUTUMIERS DE NORIVIANDIE. 47
le dernier éditeur a très légitimement substitué à la leçon secnndwn
consiietudinem patrie.
La traduction française a été faite, pour la première partie du
Très ancien Goutumier, sur un texte latin beaucoup plus complet que
ceux qu'a connus le dernier éditeur. Ce texte latin était très voisin de
celui qui nous a été conservé par le manuscrit du Vatican, fonds
Ottoboni, n° 296^. Nous reviendrons sur ce manuscrit et nous re-
lèverons les leçons les plus importantes entre celles qu'il nous a con-
servées.
Nous voudrions maintenant déterminer dans la mesure du pos-
sible l'âge des deux parties du Très ancien Goutumier, et donner de
chacune de ces parties une idée sommaire.
M. Tardif a fort bien établi ^'^ que la première partie a été rédigée :
avant 1207, car, à dater du statut de Gi sors d'octobre 1207, les con-
testations relatives au droit de patronage furent soumises à une pro-
cédure toute spéciale que notre auteur ignore complètement; avant
1 2o4 , car, à cette date, Philippe Auguste, qui venait de conquérir la
Normandie, décida qu'en cas de duel judiciaire le vaincu, quel qu'il
fût, demandeur ou défendeur, subirait toujours une peine corporelle,
tandis qu'antérieurement le défendeur seul encourait cette peine, s'il
succombait : cette modification au système ancien est, elle aussi, com-
plètement ignorée de notre auteur.
Quand on veut serrer de plus près le problème, des considérations
diverses se présentent. Voici celles qui ont séduit le dernier éditeur.
L'anonyme cite comme indication chronologique l'époque d'une
guerre qui durait quand le roi Richard était en possession de la terre,
Ricardo rege possidente. Il résulte de cette mention qu'au moment où
il écrit, la seule guerre qui ait eu lieu sous le roi Richard, de 1 194
à 1 196, est finie, et, en outre, que Richard n'est plus « en possession
«de la terre » : ce roi est mort le 6 avril 1 19g. D'autre part, il y a
lieu de croire que notre texte a été rédigé du vivant du sénéchal
Guillaume Fils-Raoul, le seul qui y soit mentionné. Or ce sénéchal
est mort le 9 juin 1200. M. Tardif en conclut que cette première
partie a été rédigée dans les derniers mois de 1199 ou les pre-
miers de 1 200.
''' Le Très ancien CoiUumier, texte lutin, p. i.xvii.
/i8 LES COUTCMIERS DE NORMANDIE.
Cette date 1 199-1200 ne va pas toutefois sans certaines fliffîcultés.
En eflet, le meilleur manuscrit du Très ancien Coutumier, inannscrit
que le dernier éditeur n'a pas connu, contient ce passage suggestif
(chap. LXiv, S 3) : Si (juis de infdelitate approbatns fûerit , eum in prisio-
nem mittet [senescallus], donec ille qui diix est eum liherahit, scilicet rex
AnijUe vel Gallie. Si l'auteur du Très ancien Coutumier a commenté
lui-même le mot dux par cette apposition scilicet rex Anglie vel Gallie,
il faut admettre qu'il écrivait en i2o3-i2o4, au temps même de la
conquête de la Normandie par Philippe Auguste, ou du moins que,
cette année-là, il retouchait son œuvre. Les autres manuscrits lalins
ont ici une leçon différente : ils portent scilicet rex Gallie au lieu de
scilicet rex Anglie vel Gallie. De même la traduction française : « Li
«senechaus fu coreciez, si commenda que H sergent le duc, qui
« doivent lealment mener le pueple, n'acusent pas les gens deslealment.
« Et se aucuns est atai[n]z de tel deslealté, il soit mis en prison, tant
« que cil qui est dus le délivre, ce est li rois de Frnnce'^^K » 11 est bien
évident qu'un auteur pour qui le duc de Normandie ne serait autre
que le roi de France écrivait après la conquête de Philippe Au-
guste (1 2o4). Cette observation n'a pas échappé à M. Tardif, qui croit
la rédaction du Coutumier antérieure à la conquête. 11 a pris ici une
résolution radicale. Il a corrigé le texte et imprimé, malgré f autorité
des manuscrits : donec dux eum liherahit, reléguant en note la leçon
fournie par le seul manuscrit latin qu'il ait connu pour ce passage, et
par le manuscrit français, leçon qu'il considère, avec quelques
autres sur lesquelles nous n'insistons pas, comme une addition ou
correction au texte primitif. Il fait observer ici que « femploi de
« l'expression rex Galliœ indique une explication ajoutée après coup ».
Celte observation ne nous paraît pas, en soi, très juste ''^^. L'expression
rex Galliœ est d'un auteur qui ne connaît pas les usages de la diplo-
matique latine de nos rois, ou qui délibérément ne veut pas em-
ployer le style des diplômes, et traduit mol à mot en latin l'expres-
sion roi de France, au lieu de dire rex Francorum. Mais cette ignorance
(si toutefois cette expression trahit l'ignorance de l'écrivain) convient
tout aussi bien à l'auteur du traité qu'à un reviseur quelconque. En
soi, cette tournure ne dénote pas une addition. Elle ne nous surprend
'"' Mnrnier, p. 47. Bibl. Sainle-Geneviève , ms. 1743, fol. 226 v°. — '*' Tardif, p. 56,
note 4>
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 49
nullement chez un Normand, qui passe ou qui vient de passer de la
domination du duc de Normandie, roi d'Angleterre, sous celle du
roi de France, dont il n'a peut-être jamais vu un seul diplôme. Aussi
bien la même expression ou une expression analogue a été employée
par l'auteur de la seconde partie du Très ancien Coutumier : celui-ci
parle d'une constitutio Pliihppi régis Francie (un manuscrit porte : régis
GalUe vel Francie '^^^]. Quant à nous, il ne nous paraît pas impossible
que la leçon du manuscrit de Rome soit authentique. Notre anonyme
aurait, en ce cas, rédigé ou retouché son œuvre en 1208-120^. Nous
n'alhrmons rien; car assurément celte petite explication, scilicet etc.,
peut aussi avoir été ajoutée par un tiers. En tout cas, la leçon rex
Anglie vel Gallie est évidemment antérieure à la leçon rex Gallie. ,).,•(
.. Le plan de cette première partie a été exposé par M. Joseph Tardif.
Nous ne sommes pas, il est vrai, très assurés que cette qualification
de plan soit parlaitement justifiée. Il y a, ce semble, beaucoup d'aban-
don et de laisser-aller chez notre auteur. « Il a rapproché générale-
«ment, écrit M. Tardif, les matières de même nature, de manière à
«les grouper sous les quatre chefs suivants : droit privé; — procé-
« dure; — droit pénal; — compétence des justices seigneuriales. Dans
«deux cas seulement, il s'est départi de cette règle; la première de
«1 ces exceptions se rapporte au relief et aux aides chevels, qui sont
«placés au milieu des matières pénales; et la seconde, aux donations
« en pure aumône, qui se trouvent rejetées après le droit criminel *^l ♦
On pourrait, à notre sens, multiplier ces exceptions, et ce à tel point
que l'ordre entrevu disparaîtrait en grande partie. C'est ainsi que trois
chapitres, sur les partages entre frères, sur les ventes de bois, sur
les droits résultant de certaines donations immobilières (chap. xxxii
à xxxiv), ainsi que plusieurs chapitres consacrés à la procédure
(chap.XLii, XLiii) , au parage (chap. xlv), à la théorie de la garantie
(chap. XLvn), sont comme jetés au hasard parmi le droit criminel.
Il ne faut peut-être pas nous trop appliquer à prêter à ces vieux
auteurs des préoccupations de bonne composition littéraire qui leur
sont si souvent étrangères.
On a remarqué que l'ordre suivi par Glanville dans son Tractatns
de legibus se rapproche un peu de la série de matières adoptée par
(')
Ctiap. Lxxiii, S 1; édit. Tardif, p. 70 et note 1. — '-' Ibid., p. lx.
UIST. I.ITTÉR. — XWIII.
50 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
notre auteur : «Le droit pénal est rejeté à la fin dans les deux
« traités, qui présentent, en outre, plusieurs ressemblances do dé-
M tail. Le rédacteur de la première partie du Très ancien Coutumier
«fait passer, comme Glanville, les requenoissants de propriété
«avant ceux qui sont relatifs à la possession. Les deux auteurs
« traitent successivement de l'aide de relief et des aides chevels. Enfin ,
« dans le Très ancien Coutumier comme dans leTractatiis de legibus, la
« théorie de la garantie précède le passage relatif à la quotité du
« relief ''l » Le Grand Coutumier, rédigé en Normandie au milieu du
xiii" siècle, rapproche aussi le relief et les aides chevels ''^^. Cela tient
à ce que la quotité de l'aide chevel se mesurait sur la quotité du
relief : elle était de la moitié du relief, au temps de notre anonyme;
de la moitié, dans certains fiefs, du tiers dans d'autres, au temps
du Grand Coutumier. L'une de ces deux matières appelait l'autre.
Elles se suivaient tout naturellement. Nous ne saurions mentionner
ce chapitre des aides chevels (xlviii, De tribus auxiliis) sans faire
observer, en passant, que le paragraphe i" de ce chapitre a peut-
être été mutilé. Dans le texte qui nous est parvenu, on ne mentionne
que deux cas donnant lieu à cette aide : la promotion du fils aîné du
seigneur à la dignité de chevalier, le mariage de sa fille aînée ; mais 1p
Grand Coutumier mentionne en troisième lieu le rachat du seigneur
fait prisonnier [captns prn giierra ducis Noimannie) ^'''K Nous admet-
trions assez volontiers que ce troisième cas a été tout simplement omis
par quelque erreur de scribe dans le texte de notre anonyme. En
effet, le titre de ce chapitre. De tribus an:x:iliis'''^\ suppose un texte phis
complet qui ne nous est pas parvenu. Le paragraphe incomplet que
nous visons se termine ainsi : similiter defilia snaprimofjemta marilanda.
On s'explique fort bien qu'une petite phrase se terminant en -ando,
comme serait, par exemple, celle-ci : et de corpore domini ab hostium
ducis Normannie prisonia liberando, ait pu être omise par un copiste,
/ 1/ I ' ' • 1 1 1 !( |(|(, .[1. i
>'' Tardif, Le Très ancien Coutumier de Sor- dif, /><■ Très ancien Coutumier de Normandie ,
mandiv , p. i.\, i.xi. p. lx. i!'i II!
On peut rapprocher : i° Glanville, Trrictotii.'' '*' Samma de legibat, chap. xxxiil. S 3;
de legihus, liv. Xll , Xill ; Très ancien Coutu- édit. Tardif, p. m.
nrier, clinp. xi.vii, xtvin; '"^ Summa de hf/ibas, cliap. xxxm, S :! :
1° (ilanvillc, liv. IX, 8, $ 1,2; Très ancien p. 1 10-111.
f oHtHiiii'er, ciinp. XLVi, xi.vii; <'' Dans le manuscrit de Rome, le litre
y (iianville, iiv. IX, /j, $1, •< : .1. Tar- est : De «mxi7io mi/iVic
LES COLTUMIERS DE NORMANDIE. 51
les deux désinences -anda et -ando s'étant confondues sous son regard.
Nous devons ajouter toutefois que, dans les Assisiœ Normanniœ, qui
connaissent aussi trois anxilia, le troisième anxiliinn ou aide n'est pas
le rachat du seigneur fait prisonnier, mais Yexercitm re(jis''^\ et que,
dans le manuscrit français, le litre est simplement : D'aides. ^
Notre traité paraît avoir été rédigé dans le voisinage d'Evreux :
les faits qui y sont incidemment relatés se passent dans les environs
de cette ville, et la plupart des personnages qui y sont mentionnés,
Gilbert de Vascœuil, Roger de Saint-André, Etienne de Saint-Luc,
appartiennent à cette région de la Normandie, comme l'a remarqué
le dernier éditeur'^). Un passage du chapitre xv, S3, qui, par suite
d'un bourdon, a été omis dans les manuscrits latins autres que le
manuscrit de Rome, mais qui est représenté dans le manuscrit fran-
çais, mentionne la banlieue, banleucain, et signale une différence de
procédure très curieuse, suivant qu'un délit de coups et blessures a
été commis en dehoi's ou dans les limites de la banlieue. Il ne nous
paraît pas vraisemblable que l'auteur ait prétendu ici généraliser et
parler de toute ville normande et de toute banlieue. C'est probable-
ment la banlieue d'Evreux qu'il a en vue. Voici ce S 3, complété par
le manuscrit de Rome :
Si vero aliquis in chimino vuineratus fuerit, per manuum bcllum sanguinem
suum probiire polerit vel per aiium qui cum iilo videril malefactum ; vuineratus
vel ejus advcrsarius deiiberabit se per jusjurandum juxta legcm patrie. Et si aliijais
vulnerativi [fuerit] infra banleacam, malejactorjusticiabit se per jnrationcm suam xiriii.
secundiim leyem patrie.
Que nous apprend sur son propre compte notre anonyme, ou
plutôt que nous laisse-t-il deviner? Il résulte de divers passages de
celte partie du Très ancien Coutumier que l'auteur assistait souvent
aux sessions de l'Echiquier ou des Assises. H relate certaines circon-
stances, narre certains détails d'audience, qui révèlent un témoin. Il
déclare d'ailleurs avoir assisté aux débats qui s'élevèrent entre l'arche-
vêque de Rouen et le sénéchal Guillaume Fils-Raoul '^^. Son admiration
pour Guillaume Fils-Raoul « et la manière dont il paraît connaître
''' Assisiœ Nonnaniiite, dans Wamkœnig '*' Tard\(, LcTrès ancien Coatiimier, p. lwkv.
et Stein, Franz. Staats- und Rechtfgesckickte, <'' /6irf., cliap. i,xi,Sa; l.xii ,S a ; lxtt, S a ;
t. Il, Urkitndenbuch , p. 58. LVil, Sa. '■"' '
52 LES COIJTIJMIERS DE NORMANDIE.
« tous les faits qui le concernent permettent de supposer, écrit
«M. Tardif, qu'il était attaché à ce sénéchal en qualité de clerc*''».
Clerc, notre anonyme Jetait assurément. Mais son dévouement à
l'Église est tel que, si nous en faisions avec M. Tardif un employé
de second ordre, nous rattacherions peut-être à l'un des seigneurs
ecclésiastiques qui fréquentaient l'Échiquier ou les Assises. Chose
singulière, en eftét, ce rédacteur d'un livre de droit civil et coutumier
trahit l'homme d'Émise. Il a de l'homme d'Eglise, comme nous le
verrons, la charité, la bonté d'àme; il en a aussi la finesse et l'habileté.
H ne semble pas ignorer le droit canon. L'influence de ce droit est
sensible dans la théorie de la nouvelle dessaisine. L'auteur s'en inspire
en foi'mulant ce principe : « Nus n'ost desvestir home d'aucune chose
« fors par l'ordre des jugemenz. » Il a peu ou point étudié le droit
lomain dans les textes originaux, et il n'emploie que bien rarement
des expressions qui rappellent la terminologie des jurisconsultes clas-
siques'-'. Sa langue ne manque pas, çà et là, d'une certaine recherche:
Sicnt prediximus per juratores de vicineto, idtimi Amjusti coynoscetur
saisina *'^'. Quis eorum de terra illa ultimam hahnerit saisinam ''*'. Il se plaît
aux antithèses : Servientes ducis (fui fideliter dehent regerc populum, vos
infideliter non accusent'^^K L'expression recjere popalam, qui revient plu-
sieurs fois sous sa plume, peut être, comme l'a fait remarquer
M. Tardif, une réminiscence d'un vers de Virgile '*''. Nous ajou-
terons : ou d'iin verset de saint Matthieu'''.
Ce lettré, je le répète, doit être clerc, non seulement parce
qu'il a quelque connaissance du droit canon, mais aussi parce
qu'il est très dévoué à l'Église et parce qu'il explique par les plus
habiles et les plus ingénieux détours certaines concessions qu'elle
s'est vue obligée de faire. Voici les passages qui nous inspirent ces
réflexions. Au chapitre xviii, le jurisconsulte prévoit le cas où
une personne a donné une terre en gage à un curé. Le successeur
de ce curé veut retenir l'objet engagé sous prétexte qu'il appartient à
son église. De là un débat entre celui qui a donné la terre en gage
el l'ayant cause du créancier gagiste, débat qui est vidé par le « reque-
*'' Tardil', Le Très iiiicwii Coutumier, '*' Oiap. xvi, S 4; p. 18.
p. LSXM. ''' Cfaap. i.MV, S 3 ; cliap. xix, S 1.
l'I lU. . p. l.xxxi V. W Viiffile, /En. , VI . v. 85 1 .
W Chap. XVI, S 5; p. 18. '" Matthieu, il, fi.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 53
« noissant de fieu ou d'aumosne », c'esl-à-dire par l'enquête auprès des
voisins sur la question de savoir si le bien contesté est un fiel ou une
terre aumonée. Si le curé succombe, il tombe en n)erci de tous ses
« cateus », « se il a rien en fiel lai », 51 aliquid m feodo laico habuerit; on
ajoute : Sed laica justicia non extendat manam snam in elemosinam pres-
hilen, nec in res ipsius ecclesiasticas. « Mes la laie justice ne metra pas
«la main en Taumone au provoire, ne es choses qui apartiennent
« a l'iglise'''. » Ainsi l'auteur, après avoir rendu au pouvoir civil ce qui
lui appartient, revendique les droits du clergé et proteste contre les
atteintes que les justices laïques pourraient porter aux prérogatives
de l'Eglise. Au chapitre lvii, g 2, notre auteur revient sur cette
question qui paraît l'avoir beaucoup préoccupé. Il aborde une autre
face (le ce débat, probablement assez fréquent. Il suppose qu'un ma-
lade a donné une terre en aumône à féglise, en présence du curé et
de deux ou trois voisins, l'ensemble du voisinage ignorant, d'ailleurs,
celte disposition. Ce donateur ou testateur est mort; son lils reven-
dique le bien donné et demande le « requenoissantde fié ou aumosne »,
c'est-à-dire fenquête auprès des voisins [vicinelum). Qu'arrivera-t-il
si le groupe des voisins déclare par serment qu'il ne sait pas : qnando
eciainjaratum vicinetuni se J'aciat nesciens ? La solution très ferme que
donne ici notre jurisconsulte est notable : en ce cas, c'est la cour
d'Eglise qui statuera, hoc diffinitnm erit in ecclesiastica caria et non in
laica. Cette solution est celle de notre anonyme, non pas la solution
commune et acceptée de tous, car il a très souvent vu cette question
de compétence débattue entre l'archevêque de Rouen et le sénéchal
Guillaume Fils-Raoul : Tameu mnltociens inter dominum Rothomagensem
archepiscopum et Willelmum senescallnm [placitum] inde audivimus.
Aussi bien cette n)atière était, en Normandie et en Angleterre, l'objet
de discussions sans fin : elle est abordée dans un article des fameuses
constitutions de Clarendon, en 1 i64'^^.
Ce genre d'affaires tient au cœur de notre jurisconsulte. H y revient
une troisième fois, au paragraphe suivant (chap. lvii, S 3), pour en-
«yfardif, p. Lxxxni. cf. Gliadwyck Healey, Somer.<ptshirc picus .
<*i Constitiiiioiis de Clarendon, art. 9, dans p. i.xvi : désignation insuflTisante, car eUe pour-
Stubbs, Select charters, Oxford, 1876, p. iSg. rait légitimement s'applicpier à bien d'autres
— Ce genre de procès est appelé assez souvent, affaires (exemple d'un autre plaid Utriim
en Angleterre, l'assise Ufrnm {utrnm icnementtim dans le Très ancien Coutumier, ch. i.xxxvi, De
Htpertinemadeleenwsinam .nveadlaicumfeodiim), feodo et vadio, $ i).
5/1 LES COLTLMIERS DE NORMANDIE.
visager une espèce un peu dilTércnte, dans laquelle, suivant lui, la cour
d'Église sera compétente à l'exclusion de toute enquête par le voisi-
nage. Un individu a donné à une église une terre en aumône. Cette
donation a été faite par-devant des évêques, des clercs et des laïques,
ces derniers peu nombreux [plaribus clericis et paucis laicis). Or voici
que, dans l'année même de la donation, le laïque donateur ou son
héritier veut enlever ce bien à l'église par la voie d'un « requenois-
« santde fié ou d'aumosne ». Cette espèce semble bien, à première vue,
analogue à celles dont l'auteur s'est occupé au chapitre xviii et au
paragraphe i" du chapitre lvii. Mais, très dévoué à l'Eglise, notre
anonyme aperçoit ici la possibilité d'établir une distinction : la pré-
sence des évêques et d'une majorité de clercs assistant à la donation
exclut à ses yeux la procédure d'enquête auprès des voisins : Reco-
gnitionem non habebil, quia vicmetam de donations nihil scit, sed per
fidèle testimonium episcopi et eorum qui donationi affuerunt donationis Veri-
tas requiratur. Ainsi, en ce cas, point d'enquête auprès des voisins.
Un laïque ferait ici observer à notre jurisconsulte qu'il résout la
question paria question. S'il y a eu donation en aumône par-<levant une
certaine catégorie de témoins, il n'y aura pas « requenoissant de fié ou
M d'aumosne » ; ce sont ces témoins spéciaux qui décideront eux-mêmes.
Mais leur solution est par avance certaine. Pour déterminer par quelle
procédure on statuera sur le fond, vous commencez par résoudre le
fond lui-même. Vous savez qu'il y a eu donation en aumône, et pour-
tant c'est ce point qu'il s'agit de trancher''^. Ce trait ne révèle-t-il pas
un clerc, qui, par état, est favorable à fhypothèse d'un bien aumône ?
Notre jurisconsulte clerc est d'ailleurs bien armé. Il ne manquera pas
d'invoquer à l'appui de sa thèse les termes d'un accord singulièrement
favorable à l'Eglise qui fut conclu, vers 1 190, entre l'archevêque de
Rouen et le sénéchal de Normandie : Item. Nulla fiet rccognitio in
fora seculari super possessione quam vin religwsi vel quecumque ecclesias-
tice persone xx annis vel amplius possederinl. Similiter nulla fiet recognitio
si caria vel aho modo eleemosinatam. esse possessionem probare poterint, sed
'') Dans une défense du même genre opposée et ehmosina, S 3; édit. Tardif, p. 296) : cette
parla partieadverse,leGrandCoutumii>radmet solution du Grand Coulumier est conforme à
précisément une enquête; ce qui est très lo- une décision de l'Ecliiquier de iai8 (L. De-
gi(|ue. Si cette enquête est favorable , l'affaire lisle , Recae'U dfs juifvmcnls tL: l'Echiquier,
tera portée devant le juge ecclésiastique \\° :iio , dtins Notices et extraits des manuscrits ,
[Summadv le<jibiu , chap. lxv. De brevi defeudo t. XX, a* partie).
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 55
ad ecclesiasticos judices remit tentnr^^K La solution préconisée par notre
jurisconsulte n'est, à le bien prendre, autre chose que l'interprétation
forcée de ces mots élastiques, alio modo.
Qui encore, sinon un clerc, a pu se préoccuper de cette question
piquante : les hommes qui dépendent des églises peuvent-ils faire des
dons en aumône? Voici l'intérêt de ce petit problème. Un don en
aumône constitue, au profit de l'église, une terre libre de redevances
et, par conséquent, appauvrit le seigneur de qui relève le bien
aumône. Supposez que ce suzerain soit lui-même une église : cette
église subira-t-elle cet appauvrissement, cet amoindrissement? Notre
anonyme ne l'admet pas : Homines vero episcoporum vel abbatum vel
alicujus ccclesie nnllam possnnt dare terram in elemostnam, nisi infraannum
alicai vendatur''^^ Nous n'entendons point critiquer la justesse de cette
solution. Mais nous estimons qu'un clerc et non un laïque a sou-
levé ce problème juridique, qui n'a d'intérêt que pour l'Eglise.
Au chapitre vu, S 7, notre auteur constate que les tribunaux sécu-
liers statuent sur les questions de douaire ou de mariage [maritagium] ;
mais il a soin de faire remarquer que cet arrangement a été pris à la
suite d'une concession de l'Eglise, ecclesiastica curia concedente, et que,
si l'affaire donne lieu à la constatation d'un délit, si in malicia sua con-
viai fuerint in laica curia, l'Eglise redevient compétente pour infliger la
peine encourue, c'est-à-dire, le plus souvent, pour percevoir une
somme d'argent : In ecclesiastica curia satisfacere tenentur, per consli-
tutam pecuniam vel corpons penitenciam castiqati.
(leci nous conduit à signaler les curieux passages dans lesquels
notre anonyme, avec une finesse toute normande, donne, à sa ma-
nière, les raisonsdes choses : ces raisons, souvent artificielles, toujours
ingénieuses, véritables explications de diplomate, ont pour objet
de présenter les faits sous la couleur la plus avantageuse. Il est mani-
feste, par exemple, que l'attribution aux cours sécuhères des causes de
douaire ou de maritagium est une grave défaite pour TÉglise. Non seu-
lement cette défaite est atténuée par les passages que nous venons de
relever, mais elle est encore expliquée. On a voulu, déclare le juris-
consulte normand, éviter aux plaideurs les lenteurs des appels ecclé-
siastiques : appel de l'archidiacre à l'évêque; de l'évêque à TarcheT
''' RaclulCus de Uiceto , ymn^inw Aistonncffm , '^' Le Très ancien Coiitumii-r de Nonnandic,
édit. W . Stubbs . t. H , p. H-. texte latin . chap. lvii , S 5 ; édit. Tardif, p. 48.
56 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
vêquc; de l'archevêque au Souverain Pontife. Dans un autre passage
(cliap. II, S i), notre anonyme s'occupe des excommunications et
reconnaît que les comtes, barons, chevaliers faisant partie de la maison
du duc de Normandie ou les sergents du duc ne peuvent être excom-
muniés à l'insu du duc ou du sénéchal, duce vel ejus capitali justicia
nesciente. Il est clair que cette concession a été arrachée à l'Eglise par
le pouvoir civil, qui, de cette manière, se ménage dans une foule de
cas l'impunité; ceux que l'Eglise serait si souvent tentée d'excom-
munier se trouvent couverts par la puissante protection du duc qu'ils
représentent. Mais cette explication toute simple aurait le grave dé-
faut d'avouer la défaite et la faiblesse de l'Eglise. Celle du juris-
consulte est tout autre et bien plus élégante : Non enim bonum est
principem et dominum terre cnm excominanicatis coinmunicare. De la sorte
tout est sauvegardé, et même, ainsi présentée, cette restriction aux
droits de l'Église ne semble avoir d'autre but que d'assurer l'observa-
tion des lois de l'Eglise.
C'est peut-être dans le chapitre consacré au droit de garde féodale
(chap. xi) que notre auteur a poussé le plus loin ce talent viaimenl
trompeur; il est allé jusqu'à donner le change sur le fond même du
droit. Son bon naturel l'a inspiré. Il ne s'agit plus ici des droits de
l'Eglise, mais de la protection des orphelins, auxquels l'anonyme s'in-
téresse pour eux-mêmes, avec affection , avec cœur, comme en général
aux pauvres et aux faibles '*'. La garde féodale, constituée dans l'intérêt
du suzerain, s'explique par la fragilité primitive des tenures féodales.
A forigine, le fief revenait au suzerain à la mort du vassal. Au xii* et
au XIII* siècle '^\ le vassal mort, son fils mineur ne perdait plus le fiel,
mais il était privé des revenus du fief qui appartenaient au suzerain,
celui-ci ayant seulement à pourvoir aux dépenses et à l'entretien de
l'orphelin. Cette situation est très dure pour l'orphelin. L'anonyme
imagine les raisons les plus singulières pour expliquer cette garde
féodale. Que si nous cherchons sa doctrine sur l'attribution des revenus
du fief, nous ne rencontrons d'autre formule que celle-ci : Et exitns
terre eorum ponent in provectum ipsorum parvaloriim^^^ ; ce qui parait, à
première vue, tout à fait contraire au système que nous venons d'ex-
poser. Mais, en y regardant de près, nous découvrons ici l'ingénieux
'■' Cl)ap. XVI, S 3; xvii, S i ; xix.Si ; p. 18, 30. — '*' Snmma de legibus, chop. xxxi.S 16; édit.
Tardif, p. 106. — ''' (^hap. xi, p. 10, 12.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 57
artifice d'un très bon cœur. Notre jurisconsulte ou plutôt notre mo-
raliste a donné pour coutume normande ce qui n'est guère qu'une
conception de son esprit. Cet aveu (qu'un bourdon a fait tomber
dans les manuscrits autres que celui de Rome) vient, en effet, dé-
truire l'idylle : Nnncautem, avaricia régnante, statuta legis evertentes domini
bona dissipant parvulorum.
Après avoir traité de la garde exercée par les seigneurs normands,
le jurisconsulte s'occupe de la garde exercée par le duc de Norman-
die, garde très large, qui absorbe toute autre garde, en ce sens que,
si le vassal tient un fief quelconque directement du duc et possède
d'ailleurs beaucoup d'autres terres relevant d'un autre suzerain ou de
plusieurs autres suzerains, c'est le duc seul qui aura la garde, et c'est
lui qui prendra en sa main toutes les terres de l'orphelin, quel que
soit le suzerain. L'anonyme oublie volontairement de parler des reve-
nus; mais nous savons que les produits des terres tenues en garde
formaient un des articles de recette des budgets ducaux; c'est un
lait que M. Delislea mis depuis longtemps en lumière, dans son étude
sur les revenus publics en Normandie '''.
On le voit, le système du bail seigneurial est comme dissimulé,
voilé par notre bon jurisconsulte. Il a voulu aussi, nous le disions à
l'instant, donner la raison de cette garde féodale. Il résout assez mal
le problème, ne songeant pas un moment à l'explication historique.
Pourquoi donc, se demande-t-il, pourquoi ce bail seigneurial plutôt
que le bail par les parents? Et, tout d'abord, pourquoi la garde de
l'enfant n'appartient-elle pas à la mère? Voici la réponse: la mère
peut se remarier ; le beau-père pourrait être tenté de tuer l'orphe-
lin, afin d'assurer la succession à ses propres enfants; ceux-ci pour-
raient avoir la même pensée. Pourquoi la garde n'appartient-elle
pas non plus aux parents? Parce que ceux-ci, convoitant l'héritage,
pourraient commettre le même crime : pour le rendre impossible, on
a décidé que l'orphelin serait donné en garde à celui qui fut lié à son
père parla réception de la foi et hommage, c'est-à-dire au suzerain.
Certes, voilà une belle pensée : c'est un honneur pour la féodalité
qu'elle ait pu venir à l'esprit d'un homme du xii* siècle. Nous goûtons
'"' L. Delisle, Des revenus publics en Normandie au xti' siècle, dans Bibliothèque de l'École
des chartes, 3' série, t. III, p. 99.
UIST. LITTKB. — XXXIII. 8
58 LES COUTUMIKRS DK NORMANDIE.
tout ce qu'il y a de louchant, tout ce qu'il y a de profond et de sincère
dans cette parole qui porte en soi un si simple et si bel éloge de la
domesticité, de la « mesnie » féodale: Domini . . . nonpossunt odio Itabere
(inos nutrierunt , immn eos diligent per sincère dilectionis nutrituram. Mais, si
nous examinons attentivement la situation, nous nous apercevons que
toutes ces explications sont artificielles et sei^ent à embellir ou même
à dénaturer un droit féodal qui n'a en soi rien de si délicat, rien de
si noble. Notre auteur lui-même nous apprend, en effet, que celle
garde féodale n'existe pas pour le fils du vavasseur. Qu'est-ce à dire?
Le fils du vavasseur ne court-il pas dans sa propre famille les mêmes
dangers que le fils du vassus ? Et son seigneur n'a-t-il pas reçu aussi
sa foi et hommage ? Mais l'anonyme n'aperçoit pas ces objections. Il
a brodé, comme il arrive si souvent, une tapisserie élégante qui cache
au lecteur superficiel, et lui cache peut-être à lui-même, les vraies
raisons des choses. Ce Normand est très fin, mais il est aussi très bon.
Son àme déborde sur son œuvre, et l'homme ici se trahit derrière le
juriste. Le moraliste et le psychologue liront ce traité de droit avec
intérêt. Le jurisconsulte et l'historien l'interrogeront avec quelque
précaution.
Nous soupçonnonsqu'unesorlede préface générale, dont il ne nous
est peut-être resté que des fragments, figurait originairement en tête
de ce premier traité. Cette œuvre semble être mentionnée deux fois
par l'auteur de la première partie, lequel s'exprime ainsi : In scripto
(jenerali prenolatur; In scripto generali dictam es^''^. Ces renvois nous
apprennent du même coup que le Scriptum(jenerale trailail^enive autres
choses : i" des successions échues à plusieurs sœurs; 2" de la procé-
dure à suivre en cas de contestation entre un curé [preshyter) et un
laïque au sujet d'un bien possédé par ce curé à titre d'aumône.
Une troisième mention vise, suivant toute probabilité, le même
Scriptum (jenerale : Qnilibet dominas habel placita sua et farta el domina-
tiones saas in terris sais, exceptis placitis illis <iae sant ducis, qae in précé-
dente sunl scripto et claasulis prenotata^'K Telle est, du moins, la leçon
du manuscrit de Rome; les autres manuscrits portent : cfue sant alibi
prenotata. Alibi est un résumé des mots in précédente scripto et claasalis.
C' Ciap. XIII, i.vii. Cette observation n été faite avant nous par M. L. de N., dans Revue des
questions liist., t. \XXI1, 1883 , p. .S^j). — ^'' Ciinp. lix.
LES CPUTUMIERS DE NORMANDIE. 59
Mais une objection sérieuse surgit immédiatement : le Scr'ip-
tum (jenerale ne serait-il pas précisément notre traité? Le morceau
auquel renvoie le chapitre xiii pourrait bien, en effet, être tout
simplement le chapitre ix; celui auquel renvoie le chapitre lvii
pourrait être le chapitre xviii; celui auquel renvoie le chapitre lix
pourrait être le chapitre lui, De placitis ensis ad ducem pertinenti-
bus. Nous y consentons. Mais toute difficulté n'est pas levée par
cette solution. Il serait étrange qu'un auteur, faisant allusion à
ce qu'il a dit quelques pages plus haut, désignât son œuvre par les
mots : In scripto (jenerali prenotatiir ; In précédente scripto prenotata,
au lieu de supra ou superlus prenotatnr, ou quelque chose de ce
genre. En l'état, notre auteur se répète aux chapitres xviii et lvii ;
il reprend le même sujet, à deux pages de distance, aux cha-
pitres IX et XIII. Ces répétitions sont fort singulières. Tout s'expli-
querait, si l'on admettait que les morceaux auxquels renvoient les
chapitres xiii et lvii appartenaient à un traité originairement dis-
tinct, comme le fait d'ailleurs supposer f expression : In scripto (jene-
rali prenotatur, et si fon ajoutait que ce Scriptum générale, sorte
d'introduction générale, fut de bonne heure en partie supprimé,
en partie fondu avec le traité qui originairement le suivait, les ren-
vois à cette introduction subsistant sous leur forme primitive qui
n'avait plus de raison d'être.
Cette hypothèse de remaniements dans la première partie du Très
ancien Coutumier a déjà été émise par M. Tardif'', qui ne songe pas,
d'ailleurs, à l'existence primitive d'une sorte de préface générale,
mais qui s'étonne, comme nous, de certaines répétitions, et signale,
d'ailleurs, d'autres perturbations.
Le manuscrit français unique du Très ancien Coutumier est mutilé
au commencement. M. Tardif, cherchant en vain dans la traduction
française quelques fragments que lui fournit le ms. lat. i loSa
(manuscrit où l'ordre des matières est sans cesse bouleversé) , a placé
ces fragments embarrassants en tête de l'ouvrage. Cette place est la
bonne. Elle est aujourd'hui justifiée par le manuscrit latin de la pre-
mière partie, que ne connaissait pas M. Tardif. Nous sommes portés
à croire que tels de ces fragments, peut-être tous ces fragments,
''' ïardit, p. lxxvi.
60 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
pourraient appartenir à notre Scriptum générale. En ce cas, l'Intro-
duction générale aurait fait mention du serment du duc lors de son
installation, serment relatif à ses devoirs envers l'Eglise (c'est l'objet
du chapitre i" de l'édition Tardif). Elle se serait occupée des excom-
munications, aurait précisé la situation des excommuniés vis-à-vis
du pouvoir civil et de l'autorité ecclésiastique, mentionné et expliqué
ingénieusement, à propos de ces mêmes excommunications, la faveur
accordée aux officiers du duc (c'est l'objet du chapitre ii); elle se
serait occupée des veuves et des orphelins, du maritagium et du
douaire (c'est l'objet des chapitres m et iv).
Nous remarquerons, en passant, cjne tous les sujets signalés comme
ayant pu être abordés dans cette hypothétique introduction générale,
ultérieurement supprimée, touchent par quelque côté aux droits de
l'Eglise ou à ceux du duc : serment du duc relatif à ses devoirs envers
l'Eglise; excommunication; droits des veuves et des orphelins; mari-
tagium et douaire; partage entre sœurs (l'Eglise ne se désintéresse pas
entièrement des questions touchant aux droits des femmes; on sait
d'ailleurs que le maritaginm est constitué ad ostium ecc/esie); débat
entre laïque et cviré au sujet d'un bien que le curé soutient être au-
mône. On serait donc tenté d'émettre cette seconde hypothèse : l'au-
teur du Scriptum générale, que nous tenons pour le même écrivain que
l'auteur de la première partie du Très ancien Coutumier, s'était surtout
F réoccupé, dans cette sorte d'introduction générale, des droits de
Eghse et de ceux du duc de Normandie. Enfin . il avait probablement
inséré le texte de quelques brefs; c'est ce que nous indique le mot
clausnlis du chapitre lix.
Nous n'avons pu étudier cette première partie du Très ancien Cou-
tumier sans faire usage du manuscrit de Rome, resté inconnu au der-
nier éditeur. Nous transcrivons ici, d'après ce manuscrit, quelques
Iragments importants que ne donnent pas les éditions latines du
Coutumier, ou qui y sont défigurés.
A la fin du chapitre xiv, De pupillis, ces mots qui n'étaient repré-
sentés jusqu'ici que dans la traduction française : Et hoc jndicatum in
assisia apud Vallem Rodolii.
Au chapitre xxi, S -2 , la première phrase est ainsi conçue : Et si ali-
(jais hères propimjuior ahcnjus hominis dejuncti alifiiiem pussidere permiseri .
perxii autompnos sine (jucrimonia,eic. Ce texte, très satisfaisant, est re-
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 61
présenté dans la traduction française. Il devra, croyons-nous, être
substitué au texte des autres manuscrits latins et de la dernière
édition.
La dernière phrase du chapitre xxxv, § i, semble devoir être resti-
tuée et complétée ainsi qu'il suit : « Et si \pater]fiUum suum iiiujue mul-
« trieril, et inde convictus fuerit, morte puniatur. Si vero mater filium
M suum inique multrierit, combnratur. » Les mots imprimés en italiques
manquent dans les manuscrits autres que celui de Rome -et ne sont
pas représentés dans la traduction française. On se demandera peut-
être comment concilier ce passage avec l'article 4 du même chapitre :
Si mater filium vel jiliam inicjue occidurit, a potestate ducis exaîabit, sicut
et pater. Mais il n'est pas impossible d'harmoniser cet article avec nos
textes. Pour rendre compte des paragraphes i et 4» on distinguera
trois genres d'homicide par le père ou la mère, et trois pénalités : la
mort donnée par accident (pénitence ecclésiastique); la mort, donnée
en trahison ou meurtre (peine de mort); la mort donnée inu^ue, mais
ne méritant pas la qualification de meurtre (bannissement). Cette
explication est d'autant plus acceptable que le texte du paragraphe i",
même non complété par le manuscrit de Rome, fait déjà, pour le
père homicide, cette triple distinction. Notre texte, très logiquement,
traite la mère homicide comme le père homicide.
Au paragraphe 6 du chapitre xxxvi : sigillum ducis au lieu de brève
dacis : le texte français a de même le seel le duc.
Au chapitre li, S 2, après les mots lesione vestium, cette petite
phrase : Ita tamen si per vicinos nota fuerit violentia in precio oblata et in
lesione vestium. L'omission est évidemment le résultat d'un bourdon;
cette phrase est en partie représentée dans la traduction française.
Au chapitre lvi, §4, les mots etjilii rationabiliter après ipse et uxor
ejus. Ici encore, la traduction française reproduit les mots omis.
Au chapitre lvii, S 5, après vendatur, les mots alicui dico in territorio
residenti complètent et précisent le svstème de la mise hors des mains;
ces mots sont représentés dans la traduction française.
Les chapitres xxxii, xxxiii, xxxiv, xxxix, dont nous ne possédions
que la traduction française, sont ainsi conçus dans l'original latin :
\xxii. De particione inter fratres et non de sororibus. — i . Si frater primogenitus
partem terre parlibilis postgenito frairi auferre volucrit, dicens se eidem peccuniam
dédisse ut ei partem omicteret terre que ipsum fratrem contingebat. de qua tiun-
62 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
([uani saisitus fuerit, non teiielur : quomodo poluit vendere postgenitus qiiod
nunqu.am habuîtP Nulla fiet lirma inter fratres particio terre, nisi aiiquam parteni
terre quantulamcunque frater postgenitus possidere videbilur per aliquos dies.
2. Si vero contingerit patrem vel matrcm fdios vel fiiias habere quorum primus
vel secundus uxorem duxerit et fdios habeat et nullani terre habuerit portionem vi-,
vente pâtre et matre, et ita maritus obierit, filii ejusnon habebunt hercditatem avi;
sed avunculi eam habebunt, quamvis postgeniti; propinquiores enim sunt fdii
hereditalis patris quam nepotes. Non similiter de sororibus quam adest(?) de fdiis;
sed fdia ioco matris sue in successione erit.
xxxiii. De venditione nemorum. — Nemora non vendantur in meatibus marchie,
nisi assensu ducis vel ejus jusiitie.
xxxrv. De terra data. — i . Si frater fratri, vei soror sorori, vei cognatus cognato
portionem terre dederit et ejus hommagium ceperit et homo sine herede obierit,
hereditas non revertetur ad mensam domini de qua partita est, sed propinquioribiis
heredibus defuncti, nepotibus vel cognatis.
a. Si aliquis dominus alicui pro servitio suoterram dederit, et suum hommngiuni
[inde habuerit], et aiius homo qui majus jus in terra illa habeat eum inpiacitaverit,
et per piacitum terram iilam perdat, dominus donator ei non respondebit nec
aliam terram ei escambiabit. Piacitum enim non pertinet ad homineni sed ad do-
minum donatorem quidonum suum débet guarantizare. Qui donator ante piacitum
requisitus guarantizandi et placitandi pro homine suo, si vel per piacitum vel per
defectam suam terram suam perdiderit, homini suo donum equivaienter escam-
biare tenetur.
XXXIX. De daellis. — Nulius homo mehainatus vel mulier aiiquem potest appel-
lare nisi de mahaino suo de quo malefactor ferri judicio se purgabit.
Nous n'insistons pas sur quelques leçons utiles, mais d'importance
secondaire, et nous ne relevons pas une seconde fois les leçons que
nous avons eu déjà l'occasion de citer. La comparaison de ce manu-
scrit nouveau et de la traduction française prouve que le traducteur
s'était servi d'un fort bon manuscrit, très voisin de celui de Rome.
La critique de la seconde partie du Coutumier est beaucoup plus
simple que celle de la première partie. Nous constatons tout d'abord
très facilement que ce traité est postérieur à l'année 1 207, car l'or-
donnance de Philippe Auguste de 1207, relative aux contestations
sur le patronage des églises, est reproduite dans le chapitre lxxvii <').
'"'Cf. Tardif, Très ancien Coiilumier, p. Lxxn, lxmu, LXXiv, Lxxxv, chap. Lxxvn, S 7.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
63
On peut préciser davantage et ajouter que l'œuvre est postérieure
à la Pâques de 1218, car un statut promulgué à cette date, statut que
l'auteur qualifie de nouveau, est visé au chapitre Lxxxvii, De feodo et
firina''^^; antérieure enfin à la mort de Philippe Auguste (i223), car
l'auteur parle de ce monarque comme d'un prince régnant: Termi-
nantur per constitutionem Philippi régis Francie; Procedilur secundum
constitutionem illustris régis Francie Philippi '''^K
On opposera peut-être à cette date extrême, 1228, les mots post
coronationem régis Ricardi, qui sont insérés dans deux formules de brefs
aux chapitres lxxxv, S 1 et lxxxvi, S 1 . Ces mots sembleraient, en effet,
nous reporter à une date postérieure à 1229, car on admet générale-
ment que c'est seulement depuis la Saint-Michel 1229 qu'on prit pour
point de départ du « requenoissant de fié et de gage » le couronnement
de Richard Cœur de Lion ( 1 1 89) au lieu de celui de Henri II ( 1 1 54) ,
qui avait jusque-là servi de terme initial '^^ MM, Brunner et Tardif
écartent cette difficulté en supposant que le mot Ricardi est une inter-
polation. Nous avons, quant à nous, vu l'accord des manuscrits, quelque
peine à nous résoudre à considérer le mot Ricardi comme une interpo-
lation. La chose, sans doute , est possible. Mais on peut supposer aussi
que fauteur lui-même a substitué ce mot à Henrici quelques années
après fachèvement de son œuvre. Et même pourquoi n'aurait-il pas, le
premier, avant la décision judiciaire de 1229, pris finitiative d'adop-
ter le couronnement de Richard Cœur de Lion au lieu de celui de
Henri II pour point de départ du « requenoissant de fié et de gage »,
se basant par analogie sur la décision de la Saint-Michel de 1228,
'"' On pourrait être tenté de rapproclier le
chapitre lxxxiv, S iifeoda mililum anumqaodque
per xr libras , sive teneantur in capite de rege,
sive de aliis. d'une décision de l'Echiquier de
1219 : Preceptiim est quod pueri filii Symonis
de Oumei habeant lerram suam, que in manu
domini reijis ralione custode [erat], et qaod do-
mino régi reddani relevium terre illiiis, videlicet
xxii libras taronenaiam et x solidos pro uno feodo
et dtmidio. Ce texte implique un tarif de quinze
livres pour le relief d'un fief de chevalier: c'est
ce que fait ressortir fort exactement une autre
compilation : Jiidicatam est quod feodum lorice
relevai per qtiindecim libras turon. (L. Delisle,
Recueil des jugements de l'Echiquier de Nor-
mandie au xiii' siècle, n" 203 ; Léchandé
d'Anisy, Magni rotuli Scaccarii Normanniw ,
p. i4o) : 2 2 livres et lo sols pour un fief et
demi font, en effet, i5 livres pour un fief.
On ajouterait que, ce tarif de cpiinze livres étant
dégagé aussi dans le chapitre lxxxiv, S i, ledit
chapitre doit être postérieur à la décision de
1 2 1 9 ; mais cette conclusion ne serait pas lé-
gitime , car la décision de i a i g n'est elle-
même que l'application d'un tarif préexistant.
Voir les textes cités par M. L. Delisle, dans
Bibl. de l'Ecole des chartes, 3* série, t. 111,
p. 99, note 5.
''' Très ancien Coatumier, chap. r,xxiii , S 1 •
chap. i.xxvii, S 7.
'^' Siimma de legibus, ch. cxi, S i3, édit.
J. Tardif, p. 280.
64 LB:S COLTUMIERS de NORMANDIE.
qui assignait le couronnement de Richard pour point de départ des
enquêtes fiscales''' ? Son opinion aurait été simplement sanctionnée
par la décision de l'Échiquier de 1329 : Judicatam est (juod recofjni-
tio de feodo et vadio non curret nisi de post coroaamentum régis Ricardi '"'.
Nous irons plus loin : l'Échiquier a pu, en 12 23 et en 1229, sta-
tuer d'après une jurisprudence déjà en formation, non pas innover.
L'expression judicaturn est conviendrait très bien à une décision
de cette nature. Elle est commune aux arrêts de 12 23 (postérieur
de plus de deux mois à la mort de Philippe Auguste) et de 1229. Si
nous acceptions, sans rien y changer, une assertion de l'auteur du
Grand Coutumier, nous dirions qu'un établissement de plein Echiquier
rendu sous Philippe Auguste substitua le couronnement de Richard
Cœur de Lion à celui de Henri II Plantagenel comme point de dé-
part de la prescription trentenaire. Nous ajouterions que cet établisse-
ment perdu est antérieur au jugement de 1223 rendu en conformité
de cette décision de principe. Mais il est possible que fauteur du
Grand Coutumier n'ait pas été, en cette rencontre, parfaitement
exact. On supposera volontiers qu'il a pris pour une décision de
principe remontant au rèf^ne de Philippe Auguste précisément l'arrêt
de 1223, rendu deux mois après la mort de ce prince.
Cette seconde partie du Très ancien Coutumier ne nous fournit
aucune donnée, même lointaine, sur la vie de fauteur. Elle nous
permet seulement d'aifirmer que le droit romain n'était pas tout à
fait inconnu à notre jurisconsulte : « C'est ce qu'attestent, écrit M. Tar-
M dif , les termes techniques de tiUor,fidejussor, commodatutn, dont il
«se sert'''; il emploie le mot excipit^'^^ dans un sens qui se rap-
<( proche beaucoup de facception que lui donnent les jurisconsultes
« romains '*'. »
Il est bien possible que l'auteur ait habité Bayeux et y ait composé
son traité, car le nom de celte ville revient souvent dans certains mo-
dèles de formules insérés dans cette partie du Très ancien Coutumier'"''.
Il nous reste à dire encore un mot du texte français. Il ne garde
'*' L. Delislc, Recueil des jti<ie.menls de chap. c.xi.S i3. édit. Tardif, p. 279 et 380.
l'hchiquicr. n° 353 {Notices et extraits, t. XX, ''' Chap.Lxxviii.S i , 2; i.xxxi.S i ; iaxxvii,S i .
a* partie, p. 337). <') Chap. iaxxiii, S 8.
'*' L. Delislc, Recueil des jugements de ''* Tardif, p. r.xxxv.
l'Echiquier, n°45i (Notices et extraits, t. X\, '*' Ti-cj «nczenCoafumier, chap. lxxxv, S i,4;
a partie, p. 3^7 j.Summn de legibus Nom., i,xxxvi,$ i.
LES COUTLIMIERS DE NORMANDIE. 65'
aucune trace de division entre les deux parties du Coutumier. Il est,
pour la première partie, bien plus complet que les manuscrits latins
utilisés jusqu'à ce jour par les éditeurs, le texte latin que le traduc-
teur a en sous les yeux se rapprochant beaucoup — nous l'avons déjà
dit — du texte du manuscrit de Rome. En certains passages, toutefois,
les manuscrits latins sont plus complets que la traduction française :
ainsi le paragraphe .^i du chapitre lix, qui figure dans tous les manu-
scrits latins, manque dans la traduction française: cette omission est
originairement le fait d'un bourdon; le chapitre xliii est bien plus
complet en latin qu'en français, etc.'''.
On ne saurait rien dire de très précis .sur la date de cette version
française. Elle est certainement du xiii" siècle, peut-être du premier
tiers de ce siècle. On a remarqué qu'elle ne modifie pas le passage du
traité qui repousse le principe de la représentation, et on en a conclu
que cette version est probablement antérieure à 122/i, puisque la
représentation fut admise en 1 2q4 par une décision de l'Echiquier ^'^^
C'est là une conjecture ou plutôt un aperçu qu'il est bon d'indiquer,
mais sur lequel il serait j)érilleux d'insister. Le traducteur écrivait,
ce semble, soit au temps de Guillaume le Maréchal, soit peu après sa
mort, car, au chapitre i.vii, S 2, il interprète abusivement les mots
Willelmiim senescaUnm par Guillaume le Maréchal. Ce personnage est
donc encore présent à son esprit et à son souvenir. Il pensait pro-
bablement à Guillaume le Maréchal le père, mort en 1219.
Le seul manuscrit qui nous ail conservé le texte français n'est point
écrit en dialecte normand. On peut donc se demander si le traduc-
teur était Normand. La chose en soi est très vraisemblable, mais nou.s
n'en avons pas d'indice matériel.
2. LE GRAND COUTUMIER DE NORMANDIE.
Le Grand Coutumier de Normandie est un des monuments juri-
diques les plus importants du moyen âge. Nous le plaçons au pre
mier rang, dans le voisinage de l'admirable commentaire de la cou-
tume de Clermont en Beauvoisis par Beaumanoir, ou des beaux
traités que nous a laissés l'Orient latin : le Livre de forme de plait par
''' Cf. Tardif, p. i.xxxvii, i.xxxviii. — ''' Cf. Tardif, p. xciv.
HIST, LITTÉR. — XXVIII. O
66 LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
Philippe de Novare, le Livre des Assises par Jean d'Ibelin. Non pas
que notre auteur appartienne à la même famille intellectuelle que
Philippe de Novare, Jean d'Ibelin ou Philippe de Beaumanoir : les
œuvres de ces jurisconsultes sont très originales, très personnelles;
le Grand Coutumier normand se distingue, au contraire, par son
allure impersonnelle et dogmatique; mais l'auteur, par la solidité,
par l'ampleur do son exposition, marche l'égal de ces maîtres. Cet
inconnu, cet anonyme, a des qualités tout opposées à celles de cet
autre Normand qui rédigea, vers l'an 1200, la première partie du Très
ancien Coutumier. Ce dernier, comme nous l'avons fait remarquer,
trahit souvent ses préférences, ses préoccupations ])assionnées ou
généreuses. L'auteur du Grand Coutumier ressemble, lui, à un grave
professeur, toujours vêtu de la robe et coiflé du bonnet de docteur.
La robe enveloppe l'homme et nous le cache assez bien; mais le
docteur qu'elle hahille ne s'en dessine que plus nettement. C'est un
très remarquable et très ferme esprit.
11 y a quelque parenté entre ce Normand et les deux grands juris-
consultes anglo-normands du même siècle, Britton et Bracton , Brac-
lon surtout; car, outre que Britton est moins original et qu'il écrit
en français, la constante fiction législative adoptée par ce dernier
jurisconsulte donne à son œuvre une allure très particulière. Tous
trois, d'ailleurs, étudient sensiblement le même droit (le droit anglo-
normand dilîère peu, au xiii" siècle, du droit normand). Tous trois
sont éminemment méthodiques, et leurs œuvres sont solidement
charpentées; mais Britton suit et résume des modèles (parmi lesquels
précisément Bracton); Bracton et notre anonyme ont une valeur
propre. Bracton est plus long et plus riche en détails; l'anonyme est
plus bref; et, malgré la répétition monotone de certaines formules
[Sciendum est (juod Notandum est quod ), il n'est jamais
lourd et fatigant. Bracton écrit en latin comme notre auteur, dont il
est contemporain. Il connaît comme lui, peut-être mieux que lui, le
droit romain ; mais il suit ordinairement Azo, et il le co])ie assez souvent
mot pour mot. Le rédacteur du Grand Coutumier, dont l'instruction
est, ce semble, plus variée, n'a rien de cette servilité qui est toujours
un signe de faiblesse. Il n'est point question chez lui, comme chez
Bi-acton,des libertini , de \sl maniimissio , de Yaditio d'hérédilé, de la
stijmlalio, de ïacceptilalio, du jastiis tiltilus, de \i\ jiista causa, de la leu-
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
67
Aaallia, etc.''^. Des mots aussi techniques, aussi caractéristiques du droit
romain, lui restent pres(jue constamment étrangers. Son œuvre en
est plus vivante. Il n'émaille pas, comme Bracton, son exposé
d'allusions aux affaires judiciaires; ces nombreux renvois à la juris-
prudence du Mil'' siècle*^' rachètent largement ce qu'il y a d'artificiel
en certaines parties de l'œuvre de Bracton et font le grand prix de ce
traité.
Le Grand Coutumier normand nous est parvenu, comme le Très
ancien Coutumier, sous une double forme, en latin''' et en français *'').
<"' Maitlaiid, SAecl pusMKjcs fiom llie works
of Bracton and Azo, London, iSgS, iii-4* i
|). 67, 75, 89, i53, 161, 177. Bracton,
liv. IV, traité III, ciiap. viii, édition Travers
Twiss, t. IV, p. 200 et passim.
'*' Bracton, De kf/ibus d consuet. Aiigliœ ,
édit. Travers Twiss, t. III, p. 210; t. VI,
p. i38, i4o et passim. Cf. Maitland, Bradons
Note Book. 1. 1, p. 45-1 38.
''' Voici l'indication des manuscrits latins,
classés par familles suivant le groiijjement
adopté par M. Joseph Tardif:
Famille I : Ms. iat. i8557 (après 1297) =D'.
Famille II : Ms. Iat. iG.W (i43o) = G* ;
ms. Iat. i8368 (fin du xiii' siècle)
= D'; ms. Ottoboni 3964 (fin du
XIII* s.) =0; Iat. 14689 (commen-
cement du XIV* siècle) = V\
Famille 111 : Bibl. de Bouen, ms. Y a3 (seconde
moitié du xiii' siècle ) = R'.
Famille IV: Ms. de M. Lormier à Rouen,
venant de Quaritch (ayant 1469)
= 0.
F'amlUe V : Ms. Iat. 465o (seconde moitié du
xiii' siècle) = C'.
Famille VI : Sainte -Geneviève, ms. aagô (se-
conde moitié du xiii' siècle) = G.
FamilleVIl: Arsenal 8o4 (commencement du
XIV" siècle ) = A; Iat. 465i (fin du
XIII* siècle) = B'; Iat. iio33
(i365) = BMat.4764(i346)=C^
Iat. iio35 (commencement du
XIV* siècle) = L; Rouen, ms. Y204
(après i34o) = R^ Iat. i5o68
(entre 1398 et i3i7)= V.
Famille VIII: Iat. 4790 (vers i3i8) = C'; Iat.
12883 (xiv* siècle) = H; Copen
liague, fonds Thott, ms. 3o3 (fin
du xiv' siècle) = k; ms. Uutuit à
Rouen (avant i34o) = R'; Stock-
holm, fonds français, ms. g (com-
mencement du xiv* siècle) =S; Iat.
I '1690 (après i3i3) = V^
Famille IX : Iat. 4652 (1498) = B" ; sir
Th. Phillipps, ms. 9223 (dernière
moitié du xv' siècle) = P.
Cf. .1. Tardif, Summa de hifibns , p. x-c,
r.r.xLViii. Voir, ibid.,p. i,xv, l'indication de ma-
nuscrits tout à fait fragmentaires. Nous cite-
rons les manuscrits latins d'après l'édition de
M. Tardif.
<*' Voici l'indication des manuscrits français
en prose dont nous avons pu relever l'exis-
tence : Bibl. nal., fr. 6958 (xiii* siècle); fr.
5245, fol. 95 r°-i4o r° (xiir siècle); Sainte-
Geneviève, 1743 (fin du xiii* siècle); Bod-
léienne, Seldcn supra 70 (xiv* siècle); Bibl.
nat. fr. 5963 (i3o3); Iat. iio32, p. 47-188
(xiv* siècle, 1" moitié); fr. 5961 (commen-
cement du XIV' siècle); fr. 6960 (xiv* siècle);
Musée Brit., Add. 21971 (xiv" siècle); Harl.
4488 (xvi* siècle) ; Bibl. nat., fr. 6959 (1392),
Iat. 1426'' (milieu du xiv* siècle); fr. 5964
(xv* siècle); fr. 24ii3 (1478); fr. 3765
(xv' siècle; ce manuscrit contient la Grande
glose du XV* siècle); fr. ôgGS (xv' siècle); fr.
11920 (xv* siècle); Dublin, Trinity Collège
D. 3. 34 ; Berlin , Hamilton 1 9a ( i4o3). — Les
manuscrits du (Coutumier français en vers se-
ront indiqués ci-après, p. 111, note 2.
Le ms. iat. nouv. acq. 1776 (xv* siècle)
contient le texte français et latin de la coutume ;
il parait se rattacher à la famille IV. Plusieurs
manuscrits ont péri. Un exemplaire (français?)
était conservé à la Chambre des comptes : Livre
Saint-.Iust, fol. xlvi à r.v. Le catalogue de la
68
LES CODTLMIERS DE NORMANDIE.
Le texte latin porte dans les manuscrits ces titres divers : Re(jistriim
de jndiciis JSormannie (D'); Cnrsm Normonnie {\^);Jura et statiita Nor-
mannie (R'); Liber de juribus et consuetudimbus Normannie (C\C^ V^,
S , R^, ) ; Jura et consuetudines (juibus regitur ducatas Normannie ( B^, G , P ) ;
Consuetudines Normannie (G^); Siimma de legibas consuetudinum Norman-
nie [K);Summa de legibns in cnria laicali (B', G', B^, L, V) ; Summa de
legibus Normannie in curia laicali (A). G'est le titre Snmma de legibiis
Normannie qu'a adopté le dernier éditeur, M. Joseph Tardif, bien
que cet intitulé Summa de legibus Normannie in curia laicali (A) carac-
térise, d'après lui, un groupe de manuscrits très éloigné du type
primitif, la famille VII (M. Tardif distingue neuf familles de manu-
scrits). Ce titre ne se retrouve, en dehors de ce groupe, que chez un
représentant de la famille VIII (K). Le titre Summa de legibus remonte,
selon toute vraisemblance, écrit M. J. Tardif, à un continuateur
qui aurait donné à l'ouvrage sa forme définitive''*. M, J. Tardif estime
que le titre primitif était probablement : Registmm de judiciis Nor-
mannie. Ce titre serait, d'ailleurs, fort critiquable: il indiquerait assez
mal la nature de l'ouvrage.
Le texte français est intitulé, dans le n)s. fr. ôgôS: Veez ci les consti-
tutions de Normendie; dans le ms. fr. 6960: Ci commencent les droit et
les usages de Normendie '^'. Il est qualifié ailleurs : Livre de droit et des
usages de Normendie''^^; Livre de la coustume de Normendie^'*^\ Livre cous-
tumier du pays et duché de Normendie^^K Dans plusieurs manuscrits
français il n'y a aucun titre , ni aucune désignation '*'.
Bibliotiiè(|ue de Saint- Victor, rédigé pnr Claude
de Grandrue , mentionne deux exemplaires du
Grand Coutumier (Bibl. nat., ms. lat. 1/1767,
fol. 57 v'). Le Livre noir du chapitre de Coii-
tances, ms. du commencement du xiv' siècle,
disparu aujourd'hui, contenait le texte latin
{Hislor.de Fr., t. XXIII , p. /(g3, note). ï.n com-
tesse Mahaut eu avait un texte français dans
sa l)ibliothë(|ue : n/i romans des coiisttimes de
Normandie (Richard, Makant, comtesse d'Artois
et de liourf/Offne , Paris, 1887, p. 10a). On
verra plus loin [Deu.r consaUalions sur la
contume de Normandie) que, dans les débats
3ui s élevèrent ipielque temps après la mort
'Aniicie de Courtenai entre la comtesse
Mahaut et son frère Philippe, l'interprétation
de la coutume de Normandie joua un rôle
considérable. Il est donc tout naturel que les
conseils de Mahaut se soient préoccupés de ce
qu'avait pu dire l'auteur du Grand Coutumier.
''' Cf. Tardif, 5H/iim« de legibus , p. cxL,r.xtl.
'*' Le ms. (r. 1 455o débute avec cette bi-
zarre variante : Ci commence de Delillebonne [sic)
les droiz et les establissemens de Normendie. Cette
variante garde le .souvenir d'un manuscrit où
figurait le concile de Lillebonne.
'') Bibl. nal., ms. lat. i/|î6, fol. 4a r*.
''' Ms. fr. 1 1930 injine ; ms. fr. 5g65.
w Ms. fr. 3765.
'*) Ms. fr. 5963 ; ms. fr. .^^45 ; ms. fr. 5964 ;
ms. fr. 6961; m», fr. .'1964; ms. fr. a4ii3.
Musée brit. , Harl. 4488. Au folio 7 v' du ms.
fr. a'i I 1 3 se trouve une note où le mot coutn-
mier est prit, croyons-nous, dans son sens pri-
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 69
Le texte latin et le texte français datent probablement du milieu du
xiii^ siècle. Nous reviendrons sur ce point.
L'ouvrage a été mis en vers français. Le versificateur qualifie le
traité de Coustumier normant :
Si veut le François mestrc en rime
Du latin du livre qui me
Semble bon et que l'on apele
l^e Coustumier normant, que le
Commun de tous les advocas
De la court laie, quant au cas
De leurs querelescommenchier.
Doivent avoir et tenir chier "'.
Coiitumier normand ou Grand Coulumier est resté la dénomination
usuelle.
Une glose très importante est venue, au xv* siècle, illustrer le texte
du Goutumier normand.
Le texte latin et le texte en prose française du Grand Goutumier ont
été bien des fois imprimés depuis la fin du xv'- siècle ^^'. La dernière
édition des deux textes latin et français est celle qu'a donnée, en 1 88 1 ,
M. W. Laurence de Gruchy, ancien juré justicier à la cour royale de
Jersey''^. La dernière édition du texte latin, édition critique très soi-
gnée, pour laquelle tous les manuscrits ont été mis à profit, est celle
que M. J. Tardif a publiée en 1896. Elle nous sera du plus grand
secours. Elle est précédée d'une très importante introduction. Le
Grand Goutumier en vers, dont nous nous occuperons plus loin avec
quelque détail, a été imprimé en 1782 par Hoiiard'''.
Le Grand Goutumier n'était pas originairement un texte officiel,
mais il parait avoir pris assez rapidement ce caractère. Il fut remplacé
en Normandie, en i583, par la coutume revisée, laquelle s'inspire
d'ailleurs assez souvent de la rédaction du xiii" siècle et s'en rap-
niilif, c'est-à-dire clans le sens de livre tonte <'' J. Tardif, La Samma de legibus Norm. ,
nant le texte d'une coutume : «(^e coustumier p. ccxxxv-ccxLvn.
t est et appartient à (^ollenet de Roquegny, de- ''' W. Laurence de Gruchy, L'ancienne Cou-
« mourant à Dieppe , et fu par lui escript en l'an t unie de Normandie , ieney , 1881.
«de grâce mil un" lin" et XVIII après Pasques. » '*' Hoûard, Dictionnaire de la Coutume de
'■' Ms. fr. i4548, fol. 23 v°; ms. fr. 53,^o , Normandie, Rouen, 1782, t. IV, Supplément,
fol. a r°. Nous ne relevons pas les variantes. p. 49 et suiv.
70 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
proche parfois de très près. Il est, aujourd'hui encore, au nomhre des
éléments divers qui constituent le droit des îles normandes souniises
à la domination anglaise '*'.
Nous devons au lecteur quelques indications sur la transformation
graduelle de notre Goutumier en coutume officielle.
Dès 1 a 58, un arrêt du Parlement de Paris pourrait bien avoir visé le
Grand Goutumier (qui venait d'être rédigé). Get arrêt s'exprime ainsi :
Cnm imponitur alicui defunctn quod fuit usiirarins in alumo trium
casuumsecundum consuetudinem Normannie infra annumante tempus
mords sue, infra primani assisiam, si possit fieri commode, iiKjuiretur
ntriim ita sit^'^K Une triple division de l'usure figure, en effet, au cha-
pitre XIX du Goutumier, et cette division est assez originale et assez
caractéristique pour que nous soyons tentés d'apercevoir dans la
phrase de l'arrêt une allusion à ce chapitre xix. De «sHns, qui dut être
mis sous les yeux des juges. Quarante-quatre ans plus tard, en i3o3,
Philippe le Bel approuva formellement un chapitre de notre Gou-
tumier, le chapitre lxxxii, De clericis et personis ecclesiasticis. La déci-
sion de Philippe le Bel a été un peu négligée par les érudits. En voici
le texte, vraiment intéressant et important pour l'histoire de la cou-
tume normande, dont le roi ou ses officiers se firent représenter le livre
[hhrum seu reqistram dictarum consuetudiniim seu statutoram Normannie^ :
Philippus, Dei gratis Francorum rex, universis baillivis nostiis, preposilis et aliis
justiciariis nostris in diic.ilu Normannie depulatis, salutem. Ex parte dileclorum et
fidelium nostrorum Rothomagensis archiepiscopi et sufFraganeorum suorum , nobis
extilit conquerendo monstratum qiiod, licet lamjuredivino,caoonico ctciviliqiiam
statulis etconsuetudinibiisscriptis, in Normanniapresbyterveiciericusproplercrimcn
mère personale conveniri, judicari seu puniri per secularem justiciam non debeat,
nec coram ea teneatur super hoc respondere, sed si capialur pcr eam débet leddi
justicie ecclesiastice per eam puniendus, nihilominus gentes nosire per aliqua tem-
pora propier facta hujiismodi, conlra jus, slatutaet consiieludinesprediclas Norma-
nie veniendo, in c.iusam coram se personas hujusmodi trahebant et ad hoc trahere
nitebanlur injuste, et quando post ipsos presbytères, seu clericos, seu contra eos.
harou propter facta hujusmodi clamabanl, in ipsorum archiepitcopi et sufVra-
''' M. E. Toulmin Nicolie énumère ces cinq les Etats sur des questions de |)otice, etc., et
«■lénicnts (lu droit moderne des ilesnorm.indes: <|ui n'ont jws besoin de la sanction royale.
1 . Chartes royales; a. Ordres du Conseil; 3. An- (E. Toulmin NiroUe, The judicatiires of ihe
cienne coutume de Normandie ; l\. Jjois passées CItannel Islands , <lans The BrieJ, i SgS, 1 5" July,
par les Etats et sanctionnées par Sa Majesté en p. i6o.)
Conseil; ."S. I\èglcmcnt$ triennaux passés par ''' Beugnot, Oliin, t. I, p. 6a.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 71
ganeonim predictornm prejudicium non modicuin et gravainen. Quare nobis oum
instantia supplicarunt ut'" abusum hujusmodi penilus abolen,statutaqueet consue-
tudines piediclas per génies nostras faceremus observari; propter quod librum seu
registrum dictarum consuetudinuni seu statutorum Normannie videri fecimus, et ex
eo statutum factum super hoc extrahi, cujus ténor de verbo ad verbum sequitur in
bec verba :
« Nulz clercs, ne nulle personne de sainte Eglise ne doit estre prise et arrestée,
« si elle n'est prise en présent mesfaitou s'il n'est seivi a harou. Et lors doibt il estre
« rendu a sainte Eglise , si elle le requiert ; et s'il reconnoist en la court de sainte Eglise
« le mesfait dont il est seivi et il en est atteint, il doit estre déposé de tous ordres
« et de tout privilège a clerc, et chassé hors du pais comme exilez, pour lant que
« le mesfait soit tel que homme en dust perdre vie ou membre, [celles personnes
« sont quictes de plaider en court laye en tant comme il appartient au fié lay. »
Nos igitur, intuitu Domini nostri Jesu Cbristi et Sanctc Matris Ecclesie, necnon
specialis alloctiotiis qnam ad ipsos prelatos semper habuiinus et bahemns, dictum
statutnm volumus et precipimus, quantum ad nos spectat, prout superius est ex-
pressum et insertum , teneri , servari et in nuUo penilus infringi , non obstante abusu
per longa tempora conti-a hoc per gentes nostras in contrarium cxplectato et tisi-
talo, quem tolaliter tollimus etabolemus, mandantes et precipientesdistrictius vo-
bis et vestrum singulis quod memoratum statutum observetis et faciatis inviolabi-
litcr a nostris gentibus observari, predicto abusu non obstante.
Aclum Parisius, die Jovisante festum beati Ludovici, anno Domini m° ccc° ii°'"^'.
Le texte du chapitre (le la Coutume normande approuvé par Philippe
le Bel est gravement altéré dans le recueil manuscrit de Jean du Tillet ,
utilisé par Laurière et par nous-mêmes. Il manque un mot de la der-
nière phrase , et l'absencede ce mot, qui est essentiel , produit un contre-
sens singulièrement favorable au clergé, puisque, d'après ce texte fau-
tif, la compétence appartiendrait au tribunal ecclésiastique dès qu'un
clerc est en cause, alors même que l'objet du litige serait un fief lai :
« Icelles personnes sont quictes de plaider en court laye, en tant comme
« il appartient au" hé lay. » Le texte aulhenlique porto: ^i fors pour lant
« comme il appartient au lieu lai. » Laurière, qui avait aperçu ce contre-
sens, fa corrigé, en intercalant la négation ne avant le mot sont : il a
rétabli le sens sans retrouver le vrai texte.
Cet acte de Philippe le Bel , favorable à f Eglise , se rattache à toute
' ' Ms. vet. textes qui montrent bien quelles étaient vers
'''Laurière, Oiiloimaucc.< , t. I,p. 348-349. ce temps les préoccupations du clergé nor
Arctiives nationales, U. /|38, fol. i4()r'' i47 r". mand (Dessin, t'onci/iVi Rolom. provinc, pars I,
On pourrait facilement rapprocher divers p. 88, 167, 1 68).
72 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
une série de décisions du même genre et à peu près du même temps''':
le roi avait alors le plus grand intérêt à ménager le clergé de France,
dont il avait besoin contre Boniface VIII.
Le livre de la Coutume de Normandie, Registram Consaetudinis Nor-
mannie, est encore cité deux fois dans l'acte célèbre que la Normandie
a considéré jusqu'à la fin de l'ancien régime comme la base de son
droit public et de ses libertés, la fameuse Charte aux Normands. Cette
charte nouseslparvenue sous les deux dates demars i3i5(n.s. jet de
juillet i3i5, parce que, délivrée en mars, elle fut renouvelée en
juillet'^'. L'article 2 de cette charte fameuse est ainsi conçu : Item,
auod rcdditus nobis débitas pro dicta pecunia non matanda, quod in dicto
ducalu monetagmm, aliter fbcagiam, nuncapatur, levari non faciemns, aut
etiam aliqnaliter permittemus levari, nisi qiiatenus in Registro Consuelu-
dinis Normannie continetur, nsu (juocumque contrario in premissis non
obstante. C'est une allusion très claire au chapitre xiv. De monetaçjio,
du Grand Coutumier. L'article 1 3 de la Charte est ainsi conçu : Item,
auod (luilibet nobilis aat alius (juwnmgue , rationc diqnitalis sni feodi auod
obtinel in ducalu Normannie, de cetero veriscum et res vayvas in sua terra
percipiet integraliter, prout in Registro consuetudinis Normannie conti-
netur, (funcumifue usu contrario non obstante. Il s'agit du droit de bris,
très sagement réglé dans le chapitre xvi, De veriscis, et du droit sur
les biens sans maître, dont s'occupe le chapitre xviii. De rébus vaivis.
La Charte aux Normands garantit les droits des seigneurs dans les
limites fixées par ces deux textes.
Si la Charte aux Normands confirme et sanctionne la coutume en
ce qui touche le fouage, le droit de bris et les biens vacants, elle y
déroge ou, si Ton veut, elle faméliore en ce qui concerne la prescrip-
tion. Voici comment s'exprime Louis X (art. 19) :
Item, quod quadragenaria prescriptio cuililiel in ducatii Normannie de cetero
sufficiat pro titulo rompetenti, seu de totali aita aut bassa justicia contendatur, seu
de quocumque arliculo ad altam aut bassam jusliciam, sive ad aiteram eaiximdem
quoniodolibet peitinente, sive de quacumquc alia re contendatur. Et si quisquam
ducatus Normannie, cujuscumque condicionis aut status existât, aiiquid de premissis
aut aliquo premissorum, per cpiadraginta annos pacifice possèdent, super hoc ne-
î'i Or<l.<le 1299 et de 1 3oo, dans O; (/. , t. I, p. 33i, 334; t. XI, p. ^o^A. XII, p. 338-339.—
'*' Coville, Les Etats de Normandie, j). 34.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. f^
quaquam ulterius molestetur, aut a nostris justiciariis permittatur aliquatenus mo-
lestari. Quin immo contrarium volens facere nullatenus admittatiir, cam talibns
jus, consaetudo et ordinacio dicli proavi nostri evidentissime adversenlur, çjuocumqae iisa
contrario non obstante.
La Iraduction française de la Charte aux Normands est ici défec-
tueuse: le rédacteur, dans les derniers mots que nous venons de
transcrire, a voulu dire que le droit, la coutume et l'ordonnance de
saint Louis (car il s'agit évidemment de ce prince, bisaïeul de Louis X,
qui a été cité dans le préambule de la charte) s'opposent à toute in-
fraction à la règle qu'il vient de poser : cam doit se traduire par
« puisque. » Le traducteur français a traduit cnm par « combien que »,
c'est-à-dire « quoique » ; il paraît mettre ainsi la coutume et saint I^ouis
en opposition avec la règle nouvelle : «Combien que le droit, la
« coustume et l'ordonnance dudit nostre hisaiel soient évidemment
« contraires a ces choses *'l » Ce passage devient, par suite de cette tra-
duction fautive, fort étrange dans le texte français. Nous ne sau-
rions dire quelle ordonnance de saint Louis vise le roi Louis X: il est
bien probable qu'il invoque un peu au hasard le nom vénéré de saint
Louis. Quant à la traduction de cnm par «combien que» au lieu de
« puisque, » elle est peut-être due à un Normand, qui jfacilement aura
constaté un désaccord entre le chapitre cxi. De brevi de feodo et vadio,
S 1 3, consacré à la prescription, et la décision de notre ordonnance. Le
rédacteur du Grand Coutumier nous apprend en ce passage qu'on se
servait autrefois en Normandie de la prescription de trente ans; mais,
les souvenirs manquant de netteté quand on remontait en arrière sans
point de repère fixe, on prit un mode de supputation tout différent :
on se contenta, pour savoir s'il y avait ou non prescription, de se de-
mander si le fait initial était antérieur ou postérieur au couronne-
ment du roi Henri II (iio4), plus tard au couronnement du roi
Richard (1189). Le couronnement du roi Richard était déjà bien
lointain au moment où écrivait notre auteur : il souhaite que le roi
de France modifie promptement cet état de choses, évidemment très
défectueux. Cette modification fut introduite, un demi-siècle plus
tard, parla Charte aux Normands. Mais la prescription de trente ans
inscrite dans la Coutume en faveur de l'Eglise (chap. cxv, De brevi de
''' Ordonnances , t. ], p. 588-r)()2.
IIIST. LITTÉn. WMII. 10 .
74 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
feodo et eleemosina , S 3, lo) fut maintenue. — Cette date du couron-
iiemcnt du roi Ricliard rendait les prescriptions presque impossibles
au profit des laïques flans la seconde moitié du xiii' siècle : le réda<-
teur d'un paragraphe (2 bis) du chapitre xxi, Devadiis et emptionibvs ,
paragraphe que M. J. Tardif croit postérieur à l'œuvre primitive,
s'efforce déjà d'introduire la prescription de quarante ans à défaut
d'une date initiale antérieure au couronnement du roi Richard (1 1 89).
Cette longue presciùption normande de quarante ans fut évidemment
une transaction entre le délai de trente ans et le système devenu abusif
d'un mode unique de supputation basé sur cette simple question :
le fait initial est-il antérieur ou postérieur au couronnement de Ri-
chard Cœur de L.ion.^ On ne modifia pas d'ailleurs le texte de la Cou-
tume : le chapitre cxi continua à mentionner, comme jadis, l'avène-
ment de Richard Cœur de Lion. Le giossateur de la fin du xv' siècle
corrige cette décision dans son commentaire et y introduit la prescrip-
tion de quarante ans, sans invoquer la Charte aux Normands. Ter-
rien, plus informé, se réfère expressément à la charte de Louis X*'^.
Notre Coutumier, confirmé et cité par tes rois de France, est
désormais en Normandie document olficiel. Nous sommes en mesure
de constater le crédit dont il a joui et l'autorité qu'il a conquise vers
le méme^temps dans les îles restées sous la domination anglaise.
Il résulte de plusieurs témoignages de la première moitié du xiv" siècle
qu'à cette époque les habitants de l'île de Jersey se servaient d'un
recueil appelé la Somme de Maiicael comme d'un code de lois nor-
mandes. Cette Somme de Maucael est évidemment notre Grand Cou-
tumier normand. En 1809, un avocat du roi d'Angleterre conteste
fancienneté des coutumes alléguées parles insulaires et leur reproche
d'avoir tout récemment adopté un traité composé par un Normand du
nom de Maucael longtemps après que la Normandie fut sortie de
l'allégeance du roi d'Angleterre. Ceux-ci répliquent que c'est avec
raison qu'ils se senent de la Somme de Maucael, parce qu'elle con-
tient les lois de la Normandie : eo (juod leges Normannie bene lu
ea continent Hi'^^K Guernesey suivit un peu plus tard l'exemple de
''' Tenien , Commentaires du droict civil luiil r.c.xxi. — TavdK, L'suuteiirs présumés du Grand
public que priré , obuTré au pays et duché de Coutumier de Normandie, dans Noarrlte Reine
Normandie, Ronon, i654, |>. 3o5. historique de dtvil français et étranger, t. ÏX ,
'*' Tardif, La Snmma de h'tjibus, j). r.cxx, p. 178-1 71).
i
LES COUTUMIERS DE NORMAN I:)1E. 75
Jersey. En décembre i33'i ou janvier i333, les habitants de Jersey
et de Guernesey avaient encore i'occasion de déclarer au roi d'Angle-
terre qu'ils suivaient et avaient toujours suivi la « coustume de Nor-
« inandie q'est appelé la Summe Maukael » , parce que les îles ont fait
anciennement partie du duché de Normandie : « A nostre seignur le
«roi et a son consail mostrent ses liges gentz de la communaulté des
« isles de Guernereie et Jerseie que , come les isles soient de auncie-
« neté parcele de la duché de Normendie, et en tiel manere tiegnent
«de nostre seignu rie roi come de fhic, et esdites isles tiegnent et usent
M et eient touz jours usez la coustume de Normendie, q'est appelé la
« Snmme Maukael, ovesques aucunes certeignes coustumes usées
« es dites isles del temps dont memorie ne court ''^ . . »
Nous arriverons à l'instant à ce Maucael. Ce que nous voulions avant
tout mettre en relief, c'est l'aspect officiel que revêt dès lors notre
recueil. Il est invoqué, dès 1309, dans des contestations entre les îles
et le roi d'Angleterre, parce qu'il contient l'exposé fidèle de la cou-
tume : eo (jaod lefjei, Nonnannie bene in ea continentnr. En i332 ou
i333, il est confondu avec la coutume elle-même : «La coustume
M de Normendie, q'est appelé la Snmme Mankael. »
Il est temps de nous demander quel est l'auteur de cet important
traité de droit. On a mis quelquefois en avant, sans raison sérieuse,
nous pourrions dire sans prétexte sérieux, soit Beaumanoir, soit
Pierre de Fontaines. L'avocat De la Fov songreait à Beaumanoir'"^'.
On se demande comment cette conjecture a pu naître dans son
esprit; car la manière de notre anonyme et celle de Beaumanoir sont
profondément dissemblables. Peut-être La Foy avait-il été frappé de
deux traits, intéressants en eux-mêmes, mais qui ne sauraient en
aucune manière justifier une pareille attribution : Beaumanoir parle
de la clameur de haro à peu près comme s'il écrivait en Normandie;
il cite un usage normand et raconte à ce propos une curieuse et
amusante anecdote'^'. Nous n'apercevons à cette hypothèse évidem-
ment insoutenable aucun autre point de départ possible. Brodeau et,
après lui, Basnage et Laferrière ont songé à Pierre de Fontaines. Mais
''^ Julien Havet, Les cours royales des îles '"' De la Foy, De la constitution du duché de
normandes , pièces n" xxxiv-xxxvi, clans Biblio- Normandie, 1789, p. 88.
thèquedel'École des chartes, t. W\l\, p. 2^^- '"' Beaumanoir, chap. xxxv, chap. lu, édit.
245. Salnion, t. II, p. Sg, 395, S 1 100, 1571.
76 LES COll'iUMlERS DE NORMANDIE.
le Conseil àe Pierre de Fontaines et le Grand Coutumier ne se res-
semblent nullement : on ne saurait donc attribuer avec quelque
vraisemblance la paternité de ces deux œuvres à un même auteur.
L'origine de cette conjecture n'est point douteuse. Le manuscrit
fr. 5a4ô comprend des œuvres très diverses, à savoir : le Conseil de
Pierre de Fontaines sous la forme du Livre la lioïne; une version
française du livre 111 des Jnstitutes do Justinien; le Grand Coutumier
de Normandie; la version française d'une partie du livre IV des In-
stitutes et de différents titres du Digeste, h'incipil du Livre la lioïne est
ainsi conçu : Ci commence li livres des usa(ies et coutumes de France et de
Vermendois selonc court laie, et ju fezpor une roïne de France très (jentil et
très noble. Et lefist a sa recjueste li plus safjes lions (jui a son tans vcs(juist,
selon les lois, et por ce est il apelez le Livre la lioïne. On a appli(|ué ce
petit préambule à tous les traités contenus dans le manuscrit, et
cette première erreur en a engendré une seconde : l'auteur du Livre la
lioïne a été considéré comme étant aussi l'auteur du Grand Coutumier
normand. Cette erreur de Brodeau et de ceux qui font suivi^'^ n'a
plus cours aujourd'hui. Il est inutile d'insister.
Une troisième méprise, don t M. Tardif '^^ a peut-être découvert fori-
gine, a été commise par Charondas Le Caron au xvi" siècle. Le dire de
Charondas est resté pendant deux cents ans parfaitement ignoré,
mais a été repris et habilement développé de nos jours par un savant
d'un rare mérite, Henri Klimrath. Charondas Le Caron, dans ses Pa/j-
dectes françaises, avait signalé en ces termes un traité de droit que per-
sonne n'a jamais revu : « J'ay veu un autre livre faict du temps du
« mesme roy (Louis IX) pour le roy Philippes son fils, et en furent les
« autheurs Messire Pierre et Messire Clément de Tours et Messire Robert
« le Normand et Messire Hue de Paris'^'. » Cette assertion, noyée dans
les Pandec tes françaises de Charondas, fut comme découverte par Klim-
rath et acceptée par lui sans réserve. Il en fit le point de départ d'une
construction laborieuse, d'ailleurs inachevée : un groupe de travaux
juridiques aurait été commandé pour l'instruction de Philippe le Hardi
'*' Cf. Brodeau , Coastame de la prévosté el ''' Joseph Tardif, Les auteurs présumés du
ricomlé de Parif , Paris, 1C69, t. I, p. 5. ('< rond CoiiUimier de Normandie, Aam Nouvelle
Basnage, La Coatiune réformée du pais el duché hevue hist. de droit français et étranger, i. IX,
de Normandie, llouen, 169/1, t. I, p. 7; — p. i63, i65.
Laferrièrc, Histoire du droit civil de Rome et du ''' Pandectes de droictfrançois. Vivre l, cha-
droil français , t. in,p. laS. pitre il, dans Œuvres, Paris, 1637, t. Il, p. 6.
LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
77
à quatre jurisconsultes. Pierre de Fontaines [Messire Pierre) aurait
rédif^é les coutumes de France et de Vermandois, Robert le Normand
aurait mis par écrit les usages de Normandie; Klimrath ne parvient
pas à découvrir les œuvres propres de Clément de Tours et de Hue
de Paris; mais, pour leur trouver une place quelconque, il imagine
qu'ils reçurent peut-être la modeste mission de réunir les travaux de
Pierre de Fontaines et de Robert le Normand, c'est-à-dire, si nous
essayons de serrer de pi'ès la pensée de Klimrath , de rapprocher dans
le même manuscrit le Grand Coutumier et le Conseil. Autant avouer
qu'on n'a pu réussir à faire une place à ces deux prétendus juris-
consultes, qui nous sont, en efiPet, aujourd'hui encore, parfaitement
inconnus. Mais la donnée énigmatique de Charondas pouvait, du
moins, paraître élucidée pour moitié. Le ms. Ir. 5'i45 (9822 de l'in-
ventaire de 1 682 ), fournissant à Klimrath tout à la fois le Grand Cou-
tumier normand et le Conseil de Pierre de Fontaines, lui servait à
étayer sa fragile conjecture ''\ qui a été adoptée par plusieurs histo-
riens modernes '"^l Elle n'a cependant d'autre base que l'assertion d'un
jurisconsulte dont il serait extrêmement dangereux d'accepter aveuglé-
ment le témoignage, car il a commis de lourdes méprises dûment
relevées aujourd'hui. Une ligne de Charondas Le Caron ne vaut pas
plus par elle-même en faveur de Clément de Tours, de Robert le Nor-
man et de Hae de Pans qu'une autre ligne du même auteur ne suffit
à faire entrer dans l'histoire littéraire un jurisconsulte imaginaire
comme Gaido, en réalité simple scribe^^'. Robert le Normand a-t-il
même existé? Probablement non. Mais il n'est pas tout à fait impos-
sible que du nom d'un certain Will. le Normant, qui fut, ce semble,
l'enlumineur ou le copiste d'un manuscrit du Grand Coutumier
(lat. 1 2883); soit issu, par suite d'une mauvaise lecture accompagnée
d'une fausse interprétation, le jurisconsulte fabuleux auquel Klimrath
''' Klimrath, Mémoire sur les monuments
inédits de l'histoire du droit français au moyen
ârje (i835), àixns Travaux sur l'histoire du droit
français, Paris, i8/»3, t. Il, p. 3i-35.
'*' Warnkœnig et Steiii, Franzôsische Staats-
and Rechtsgeschichte , t. 11, Base!, i848, p. /i/i,
note 1. — Warnkœnig, Compte rendu dé-
taillé de l'ouvrage de Marnier, Etablissements et
coutumes, assises et arrêts de l'Echiquier de Nor-
mandie , dan» Zeitschrift fur die Gesetzgebang
and Rechtswissenschaft des Aaslandes , t. Xlll.
p. 3a5. — Kœnigswartor , dans Sources et
monuments du droit français , mentionne, sans
se prononcer, l'opinion de Brodeau et celle
de Klimrath (Paris, i853, p. ii4). — Gi-
noulhiac, Cours élémentaire d'histoire générale
du droit français , Paris, i88d, p. 600, n" 353.
'■'* Cf. Paul VioUet, î/ne visite à Cheltenham,
dans Bibliothèque de l'École des chartes , t. XLl ,
18.80, p. i54.
78 LES COUTLiVJlERS DE N0RM\ND1E.
a, pour ainsi dire, insufflé la vie : Robert le Normand. Telle est du
moins la conjecture de M. Joseph Tardif.
Il est temps d'arriver à un nom plus sérieux que celui de Robert le
Normand ; nous songeons à Maucael. Maucael doit être le nom du rédac-
teur du Grand Coutumier, ou encore celui d'un de ses continuateurs,
si toutefois on admet avec M. Joseph Tardif que le Grand Coutumier
a reçu de mains différentes un ou plusieurs suppléments. M. Joseph
Tardif a poursuivi dans cette direction des recherches très heureuses.
Il a signalé l'existence, au xiii* siècle, en basse Normandie, d'une fa-
mille Maucael. L'un des Maucael, Raoul, probablement fds de
Michel, était clerc. La moitié de l'église des Pieux lui fut conférée
en 1 2 3o par l'évêque de Coutances, Hugues de Morville, sur la présen-
tation de l'abbé et des chanoines du Vœu. On a tout lieu de sup-
poser qu'il possédait encore ce bénéfice en 1 2^3. On le perd dès lors
complètement de vue. Nous possédons une lettre de Michel Maucael
à l'évêque de Coutances : Maucael appelle ce prélat son dominas et
pater spiritualis. Malheureusement M. Tardif n'a pu relever le nom de
Maucael en deçà de l'année ia43''^ : les documents lui ont fait dé-
faut. Cette date de i2 43 est, comme on le verra, antérieure à la
rédaction du Grand Coutumier.
Si le nom de Maucael nous conduit en basse Normandie, certains
passages du Grand Coutumier semblent bien révéler la même ori-
gine. Le chapitre xv. De mensuriset ponderibus, mentionne les localités
de Mortain et de Saint-James*^'. Le nom de Valognes revient plu-
sieurs fois dans des formules de bref*^'. Le ms. lat. iSôôy de la Bi-
bliothèque nationale, qui, suivant le dernier éditeur, nous a conservé
le texte latin sous sa forme la plus ancienne, a été transcrit dans
le diocèse de Coutances '''l
Enfin, ajoute M. Tardif, c'est dans le bailliage de Cotentin seule-
''' Tardif , La Siimma de legibus Normannie, Morlaiii , comme exemptes du fouage , Breteuil ,
p. a;xxvii-r.(;xxxvii. — En ia5i, Haoul Mau- Alençon et autres lieux. Desdiverees localités
cael n'était plus nanti de ia moitié de l'église mentionnées dans ce document l'auteur cite
des I*ieux. seulement Mortain : il ajoute Saiiit-.Iames-de-
''' Summa de legibus, chap. xv, S 6, édit. Beuvron (arrondissement d'Avranches).
Tardif, p. /ja. — L'auteur, en écrivant les clia- ''' Summa de legibas, cliap. ci , De dote negata ,
pitres XIV et xv, avait probablement sous les S la; chap. cxrii. De bn-vi de sUib. , S a;
yeux un document du commencement du chap. cxxiv, /Je /e^e appnrcH/i.S i , édit. Tardif,
xni' siècle intitulé Scriplam de foagio (souvent p. 256, 287, 33a et p. ccxii, note a, ccxvi,
publié , notamment dans Brussel , Lsagedes fiefs , note 3.
1. 1", p. aia). Dans ce document figurent avec '*' Tardif, ibid., p. ccxvi.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 79
ment que leCoutumierde Normandie et, plus tard, la coutume réfor-
mée ont été en vigueur en leur entier; dans le reste de la province,
il V avait presque partout des coutumes locales qui en modifiaient les
dispositions. C'est avec le Cotentin et l'Avranchin que les habitants
de Jersey et de Guernesey avaient le plus de rapports : ils relevaient
au spirituel de l'évêque ue Coutances; les grandes abbayes de cette
région, Cherbourg, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Blanchelande , le
Mont- Saint-Michel, avaient, ainsi que le chapitre de Coutances, de
vastes possessions dans les îles; si bien que, pour les insulaires, les
diocèses de Coutances et d'Avranches étaient la Normandie par excel-
lence.
Telles sont les considérations les plus séduisantes en faveur de la
basse Normandie.
M. J. Tardif a pu établir que les Maucael possédaient une maison
à Valognes. Aussi le nom de Valognes, dans certaines formules du
Grand Coutumier, attire-t-il tout particulièrement son attention et la
nôtre : ce nom ligure aux chapitres ci. De dote ne(jata,S i 2 ; cxiii. De
brevi de stabilia, S 2 ; cxxiv, De leye apparenti, S 1 . H semble que ce soit
là une raison de plus pour songer, sans rien affirmer d'ailleurs, à un
Maucael; mais M. Tardif soulève ici une difficulté : dans son senti-
ment, les chapitres cxiii et cxxiv n'appartiennent pas à l'œuvre pri-
mitive : ce sont des additions comprises dans le bloc des chapitres
cxiii à cxxv, lequel est mis à part par ce savant et considéré comme
secondaire. (Nous reviendrons sur ce point.) De cette circonstance
que Valognes est le seul nom de lieu mentionné dans les formules de
ces chapitres additionnels, M. Tardif est amené à cette conclusion :
Maucael ne serait pas l'auteur du texte primitif, mais seulement le
plus connu de ses continuateurs, celui qui a donné au traité sa forme
définitive en le complétant par l'insertion des derniers chapitres '"l
C'est pousser un peu loin le scrupule, car le nom de Valognes appa-
raît aussi dans le chapitre ci, qui n'est pas contesté. Le nom de Mau-
cael reste donc intéressant, à nos yeux, non seulement pour les der-
niers chapitres, mais pour l'œuvre entière.
Que le rédacteur primitif s'appelât Maucael et fût de Valognes, ou
qu'il portât un autre nom, nous estimons que c'était un clerc. Voici
''' J. 'l'aidir, La Summa de legibas Norin, , p. ccwxiv .
80 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
les observations diverses qui nous conduisent à celte conclusion.
On admet généralement aujourd'hui que l'ouvrage a été écrit en latin
(nous insisterons plus loin sur le caractère primitif du texte latin et
nous nous eflorcerons d'apporter à la démonstration de l'opinion
adoptée par les derniers critiques un plus grand degré de précision).
Bien peu de laïques eussent été capables, au xiii* siècle, de composer
ainsi en latin.
Si la langue adoptée par l'auteur fait songer à un clerc plutôt qu'à
un laïque, la physionomie générale de l'ouvrage donne la même im-
pression. Il est divisé en Parties et Distinctions, division très fré-
quente dans les traités de droit canon ou de philosophie scolastique^'
inusitée dans les œuvres profanes. Nous remarquons aussi que l'au-
teur, dans son second prologue, semble s'être inspiré de la lettre par
laquelle Grégoire IX envoya (laS/i) le recueil des Décrétales aux
universitésde Paris etde Bologne; ce qui convient fort bien à un clerc.
Une autre circonstance attire notre attention. Le glossateur du
xv" siècle atteste que le droit normand employait, pour compter les
degrés de parenté, le mode de supputation canonique'"': « Et doit on
« savoir que, selon la coustume du pays de Normendie, l'on conte les
« degrez en ligne colateral selon les canonistes; car deux frères font le
«premier degré et ne font que ung degré '"^'. » D'où vient cet usage?
Très probablement de ce fait que notre anonyme a exprimé en ca-
noniste les degrés de parenté dont il a eu à parler'^' et a créé ainsi un
précédent dont on ne s'est plus écarté. Ceci serait d'un clerc, non d\m
laïque. Enfin notre jurisconsulte s'était certainement occupé de philo-
sophie scolastique : ce qui convient aussi à un clerc. Nous ne relève-
rons pas à l'appui de cette observation l'usage de certaines c<alégories
et classifications qui rappellent Aristote (/oc/w, causa, nwdus, iempui'''*), {
car ici la lecture du Digeste*^' eût pu sulïlre à notre auteur; mais nous''
signalerons l'emploi de l'expression scolastique ywm operaliva dans
cette phrase : Justicia est virtus juris operativa^^^ ; l'emploi du mot
maneries : Est ergo tfnenra maneries (jua tenentur de domiins le.ne-
'■' Cf. Tardif, p. CLXXxvii. <'> Digeste. XLVIII, \ix, De fmnh. $ i6
'*' (îlose sur le chapitre xxv (édit. Tardif. (Claudius Salnrniiuis).
chap. xxiii). '■^^■Suiuinu de leçjibiis , ciiap. m, S i, p. 7.
''> Suinina de leijibus , c\iep. xxill , î -j , édil. — Cet adjectif operalivus [operiiliviis jiisti)
Tardif, p. 77. figure au moyen âge dam les traductions
<'' /Aid., ch. i,xviii,Sa,p. 173. latines d'Aristote (Aristote, Ethique. \\ 10,
LES COIJTUMIERS DE NORMANDIE. 81
inenta^^^ (xxvi, S i), et surtout i adoption d'une expression qui est
empruntée au commentaire d'Averroès sur l'Ethique d'Aristote : nous
voulons parler de la locution « droit positif» (jus posidvum). C'est pro-
bablement de ce commentaire que nous vient l'expression courante*
aujourd'hui de «droit positif». Cette locution , à peuprès'^' inconnue
des jurisconsultes au xin" siècle, mais usitée dans la philosophie sco-
laslique, figure au frontispice de notre traité : Jas itcufue (juoddam est
natarale, (luoddam poskivum^^l Notre auteur est, croyons-nous, un des
premiers jurisconsultes français qui aient emprunté aux scolastiques
cette locution. Cet emprunt ne devait que beaucoup plus tard se na-
turaliser dans la langue du droit. H y a donc là, chez ce juriscon-
sulte, quelque chose d'assez caractéristique.
L'anonyme ne laisse pas facilement pénétrer le secret de ses lec-
tures, car il s'assimile parfaitement ses auteurs. On peut cependant
soupçonner, au chapitre i, la trace d'Azo'**', qui semble avoir inspiré
les diverses définitions du jus.
La culture philosophique et la culture littéraire vont ordinaire-
ment de pair. L'anonyme emploie çà et là quelques tours littéraires
fort remarquables chez un juriste : Ex (jua \^injiina\ contenliones
singule oriuntiir tanquam ex eodem fonte rivuli defluentes; Ipsa [inju-
ria] est mater omnium contentionum ^^K
Si notre auteur est un clerc, nous ne voyons pas cependant que ses
solutions juridiques dénotent une grande partialité pour l'Eglise.
Nous pouvons même noter au chapitre ex, De brevi de jure patronatns,
une solution équitable, mais assez dure pour l'évêque qui ferait dé-
faut dans un procès soulevé sur un droit de patronage'*''. La famille
Maucael avait possédé un moment le droit de patronage de la moitié
de l'église des Pieux, et un Maucael, clerc, avait obtenu, non sans
dans Thomas d'Aquin, In Ubr. Elhic. Arlsl. ail Archives légîsl. de Reinu, i" partie, Coutumes,
Nie., cui tripUcem textiis interpret. adjecimas; p. 38a).
Veneliis, i563, fol. 8g \°) et se retrouve chez '*' Summa de legibus, ctiap. i, S i, édit. Tar-
tes pliilosoplies. Voir, par exemple , te Speca- dif, p. 5.
lum morale attribué à Vincent de Beauvais, '*' Cf. Azo, Summu Instit.,l, i. De jastitia et
tib. I, part. III, dist. 48. jure (édit. de Lyon, i5i4, fol. r.CLXix), et
''' Cf. Tardif, p. clxvii. Summa de legihus, l. De jure.
''• Dreux de Hautvitlere, qui, comme notre ''' Summa de legibus, ctiap. i.,S i, 5, p. i34,
anonyme, avait une très large culture, l'em- i35.
ploie aussi (Dreut de Hautvitters, Summa '"' Summa de leyibns , édit. Tardif, p. 370,
rfe omni^cn/irt/e. Pars prima, IX, dans Varin, 271.
HIST. LITTÉR. — XVXIIl. 1 I
82 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
débat, la moitié de ce bénéfice^''. Ces circonstances expliqueraient-
elles certaines particularités du chapitre ex? Dans ces affaires de
patronage, l'évêque, même s'il n'est pas partie au procès, est, au
fond, toujours intéressé au litige, comme représentant spirituel
de l'Église; or, si on lit attentivement le chapitre ex, on s'aperçoit
?[ue notre auteur fait incliner la procédure dans une direction
avorable au patron. Philippe Auguste avait organisé pour ces
litiges, à la demande des évêques normands, une procédure dont
la pensée fondamentale se résume en un mot : c'est un jury mixte
de quatre chevaliers et de quatre prêtres, désignés les uns et les
autres par le bailli et par l'évêque, qui statuera'^'. Nous croyons
entrevoir dans le chapitre ex une tendance à restreindre cette pro-
cédure nouvelle aux cas de débals au pétitoire, l'ancien jury pure
ment laïque étant conservé pour les procès au possessoire'^' (ou, peut-
être, l'ancien système des verdicts rendus à l'unanimité et non à la
majorité étant maintenu en ce cas); ce même jury laïque est prévu
pour le cas où les deux parties sont laïques, au lieu d'être l'une
laïque et l'autre ecclésiastique^*^.
Nous savons, d'ailleurs, que cette dernière solution était, en géné-
ral, celle des bailhs avant 12 58. Les évêques normands s'en plai-
gnirent au roi, précisément à cette époque'*^. Leur requête est fort
importante. Elle tend à obtenir diverses autres solutions favorables qui
sont comme autant d'additions ou de corrections à la coutume. Ils
voudraient notamment que les baillis de Normandie procédassent à
une enquête en l'assise suivant immédiatement le décès de toute per-
sonne soupçonnée d'usure, au lieu d'attendre, comme ils le faisaient,
une assise plus éloignée. Une décision du Parlement (de la Saint-
Martin d'hiver 1268) fit droit à cette pétition.
Nous avons déjà mentionné ce texte important des OUin, parce
u'il contient peut-être la première allusion officielle au Coutumier
e Normandie, lequel, comme nous le dirons à l'instant, étaitrédigé,
<lu moins en très grande partie, depuis peu. Le ])assage de la (cou-
tume visé par l'arrêt de 1268 fait soupçonner, lui aussi, la main
''>^ Tardif, p. ccxxix. ''> Snmma, chnp. r,x, S 8, p. 5169.
''' Delisle, Cal. tics actes dr Philippe Augasle, '*' Snmma, cliap. ex, S 1-6, 8, ihiif. , p. aC.'i-
n* io5i. (>f. I-aurenrc de Gruchy, L'aiic. coût. a68, 369.
de Norm., p. 364-69. '') l^eugnot , 0/im , t. 1, p. 59-6S.
LES COLTCMIERS DE NORMANDIE.
83
d'un clerc. C'est, à notre sens, un clerc plutôt qu'un laïque qui classa
en théologien les espèces diverses enlachées d'usure, et nous laissa
ainsi en passant une petite théorie de l'usure ''l
Ce clerc, à la fois jurisconsulte et, dans une mesure que nous ne
saurions préciser, philosophe scolastique, a certaines manières de
<lire'"^' qui nous font soupçonner l'existence d'un groupe de patriotes
normands qui déploraient l'annexion trop complète à la couronne do
France et regretlaient la flis|)arition des ducs. L'existence de ce
sentiment paraît établie pour la première moitié du xiv" siècle'''^ : il
est clair qu'il devait exister au xm". Jamais le roi de France ne s'est
intitulé duc de Normandie. Et cependant, pour notre auteur, qui
écrit sous saint Louis, il y a toujours un duc de Normandie. Ce duc
de Normandie, c'est le roi de France. Mais on se plaît à parler du
duc de Normandie plutôt que du roi de France. Ainsi c'est au duc
de Normandie qu'est dû le service militaire '''l Est-ce là une pure ques-
tion de forme et de style? N'y faut-il pas apercevoir une pointe de
patriotisme.^ Le chapitre De oJjUcio senescalli, qui, suivant M. Tardif,
n'appartiendrait pas à la rédaction primitive '*\ porte, lui aussi, la
marque de ces regrets profondément normands. On ne saurait lire
ce morceau, qui n'est qu'un long et assez éloquent retour vers le passé,
sans s'apercevoir que l'auteur voudrait voir revivre ce passé et saluer de
nouveau ce grand sénéchal de Normandie, qui était jadis le chef et le
régulateur de l'administration et de la justice.
Nous arrivons à la date de la rédaction du Coutumier. Notre texte
est postérieur à une ordonnance de saint Louis dite « Ordonnance pour
« laréformatioh des mœurs » , laquelle nous est parvenue avec des dates
un peu différentes ( 1204, i256)'^', suivant les provinces auxquelles
les diverses expéditions de l'ordonnance étaient destinées. Il est pos-
térieur à cette ordonnance, car l'auteur, dans le chapitre vi, Dejusti-
'' 5umma, chap. xix , édit. Tardif, p.5a-55.
''• Summa, chap. xi; xii, S i; xiv, S i,4;
XVI, S 4; XIX, S I, édit. Tardif, p. Sy, 38,
ào, 4i. 47, 5a et passim.
'■'' Les Normands accueillirent avec enthou-
siasme, en i332, l'institution d'un duc de
Normandie (Jean, fils aine de Philippe de
Valois). Cette restauration doit être rangée
parmi les concessions qu'explique la lutle
contre l'Angleterre. (Chéruel, Histoire de
Rouen, t. II, 1844, p- 7,8. René de Belleval,
La première campagne d'Edouard III en France,
Paris, 1864, p. ao6.)
'** Summa, chap. XLiii, S 1, ibid., p. 125.
'■'' Summa, chap. iv bis, ibid., p. 12-1 5.
'*' Et aussi quelques variantes, suivant les
abus qu'on voulait réprimer. Tout cela a été
fort bien vu par Laurière (Orf/., t. I, p. 76,
note zzz). Voir le passage cité ci-après p. 84,
note « .
84
LES COUTUMIERS DK NORMANDIE.
ciacione^^\ y a fait un emprunt. Il a même cité textuellement tout un
fragment d'ordonnance du saint roi, fragment qui est tiré probable-
ment de quelque exemplaire normand de l'ordonnance, exemplaire
dont nous soupçonnons l'existence, mais que nous n'avons pas ren-
contré. L'ouvrage enfin, ou, du moins, une partie considérable de
l'ouvrage, est antérieur à la session de l'Echiquier de la Saint-Michel
1 q58, car deux actes législatifs très importants pour le droit normand
qui furent promulgués dans cet Échiquier n'ont laissé aucune trace
dans notre Coutumier : nous voulons parler de la prohibition en Nor-
mandie du duel judiciaire, et du règlement qui restreignit le droit de
tavernage dans la même province. Or le Grand Coutumier s'occupe
avec détails du duel judiciaire et ignore complètement la prohibition
de cette procédure. Le Grand Coutumier sup])Ose le droit de taver-
nage en plein exercice; il ne connaît encore aucune restriction à ce
droit.
On le voit : une partie considérable du Grand Coutumier fut achevée
entre les années 12 54 (environ) et 12 58^'^. L'ouvrage était encore
tout récent, et peut-être inachevé, lorsqu'on s'en servit au Parlement
Chap. v[, De jttsli-
clacione , S 8 :
Pn'lor liée taraen
.scicncluiii est quod pro
drbilo priiicipis, clapso
torniino solucioni de-
jiutato, solct in dc-
liilorrs justiciacio fii'ri
corporis, licetpro nuilo
alio dehilo debcat cor-
pus hominis justiciari.
(Édit. Tardif, p. ai.)
''' Ordonnance de
1254, art. 1 19 :
Ne vcro sen<'scalli(o/.
liallivi) nosti'i et infe-
riores ballivi [al. ofTi-
rialcs) contra justiciam
snbditos nostros gra-
vent, inbiljemuseisdem
ne , pro quocumque de-
bilo pivtcr nosirmn,
capiant vcl captum de-
lincant aliqucm subdi-
torum. (Lanrière, Ord..
1. I, p. 72. — Cf.Ord.
de n55, art. 17, ihid.,
p. 80.)
M. Tardif rapproche aussi de l'ordonnance
de ia54 le cliapitre iv, De jtisliciario, S a à 4
(Tardif, S'imina de legibus, p. ci.xxwiii). Ce
rapprochement nous parait bien moins jus-
tilié.
'*' M. Esmein incline à vieillir l'ouvrage de
(|uel(|ues années [Cours élément, d'huloire du
droit français , 3* édit., p. 728, note a). Voici
son raisonnement : l'auteur, au chap. cxi,S |3,
expose que, de son temps, on déclare couverts
par la prescription tous les actes antérieurs au
couronnement de Richard Cœur de Lion
(1189); mais, ajoulc-t-il, le roi devrait bien
maintenant fixer une autre date, car depuis
celle-là il s'est écoulé aujourd'hui plus de
temps que n'en exige la prescription : De qtia
ad présent , ciiin trmpus umplius posl coronumen-
tuni régis Ricardi consict esse quam reqairat pres-
criplio rtvohitum, expedit in projcimo per dont inum
régent , qui sibi principis reiinet dignitatem , pres-
criptionis terminum immiitare. « (]elte façon de
■ parler, poursuit M. Esmein, peut bien s'en-
« îcndrc d'un laps de quarante ou de cinquante
« ans ; mais on ne comprendrait pas qu'on eût
I laissé prendre à une prescription normalc-
« ment trentenaire une durée beaucoup plus
« longue. • M. Esmein estime que -le Coutumier
a été composé peu après it'àà (puisque, dans
son second prologue, l'auteur paraît s'être
inspiré d'une bulle de Grégoire IX du ,"> sep-
tembre 1334); le délai pour la prescription
s'élèverait alors à un peu plus de (juarante-
cinq ans. Quant à l'utilisation par l'auteur de
l'ordonnance de ia54, M. Esmein ne la con-
sidère pas comme démontrée.
Cette observation , qui pourrait être corro-
borée par un argument tire du chapitre \%i ,
•LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
85
de Paris de la Saint-Marh'n d'hiver i 268, à l'occasion de l'affaire des
enquêtes après le décès de personnes suspectes d'usure. La décision
du Parlement de Paris lut utilisée et ajoutée au tex.te primitif du
Coutumier^'l Nous attribuerions assez volontiers cette addition et
probablement d'autres additions'"^' à l'auteur lui-même, qui aurait
revu et complété son œuvre.
Nous avons dit que le Grand Coutumier nous est parvenu en latin et
en français, et nous avons considéré le texte latin comme le texte
original. Le moment est venu de justifier cette assertion , qui ne va pas
sans quelques difficultés. Le lecteur a remarqué que l'article sanc-
tionné par Philippe le Bel est cité en français. Il en résultera, si l'on
veut, que le texte ofïiciel du chapitre lxxxii de la Coutume est le texte
français et non le texte latin. Mais nous ne devons tirer de ce fait au-
cune conclusion quant à l'antériorité de l'un des deux textes, et nous
pourrions même nous tromper, si nous voulions en conclure que le
texte devenu peu à peu officiel en son entier est le texte français et
non le texte latin. En effet, dans les vingt-cinq premières années
du xiv' siècle, le corps de ville de Rouen aurait fait, suivant M. Ri-
chard'^*, orner de riches enluminures un volume qui ne contient que le
Coutumier latin. Un siècle plus tard, fait remarquer le même savant,
l'autour de la glose se réfère au Coutumier en latin dans la plupart des
controverses qu'il rapporte et il y fait toujours appel en dernier ressort.
De son côté, l'auteur du Coutumier versifié nous ap])rend (et cette
assertion est exacte) qu'il s'est servi d'un original latin :
Et je, qui mp sni entremis
D'avoir cesl livre en rime mis,
Segon le latin l'ai estreit.
Et il ajoute qu'en cas d'hésitation on devra se reporter « au livre
$ •>. bis, ne nous semble cependant pas con-
cluante, parce que, à nos yeux, le rédacteur du
chapitre vi , De officia vicecomitis , S 8, a cer-
tainement connu l'ordonnance de saint Louis
de 1 a54 environ : c'est ce qu'un ancien anno-
tateur (nis. (r. 5968, fol. IX r°) a déjà constaté.
Cet annotateur n'a pas hésité à rapprocher de
ce passage l'ordonnance royale : Hoc est sla-
tiiiiim .«/nc(i iuiiotiici, écrit-il. Si nous connais-
sions le texte entier et la date d'une autre or-
donnance de saint Louis citée au même cha-
pitre VI, Dejusticiacione, S 7, nous pourrions
sansdoute arriver à une précision plusgrande.
''' Summa de legibus, chap. .\ix, S (i bis,
édit. Tardif, p. 5,') ; c(. p. cxcv.
'*' Rappixjchez notamment, comme l'a fait
M. Tardif, le chapitre cxv. De brevi defeodo el
cleemosina , S 3, d'une autre décision du Parle-
ment , de la même session de la Saint-Martin
d'Iiiver ia58 [Olim, t. I, p. 61; Tardif, La
Siimma de Jegibiis Nonit., p. cxcv).
W Tardif, p. I.X. .
86 LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
«en latin'"' ». Malgré tout, la question était restée, croyons-nous, un
peu flottante. Elle l'est encore aujourd'hui dans les îles normandes.
Mais la question de savoir en quelle langue a été écrit notre Coutu-
mier est une question de fait, distincte de celle que nous venons
d'indiquer et susceptible, croyons-nous, d'une solution ferme.
« Le texte latin présente, écrit M. Tardif, la précision de style et
«la clarté d'exposition qui distinguent les œuvres originales, tandis
« que ces qualités ne se rencontrent pas au même degré dans la
« version française. Il est de plus écrit en prose rythmée; or, s'il n'est
« guère naturel qu'un traducteur s'assujettisse aux règles gênantes du
« rythme , on comprend au contraire qu'un auteur se soit préoccupé de
« donner à son style toute l'élégance que comportaient les habitudes du
M temps. » Nous ajouterons que les divisions de l'ouvrage en « parties »
et « distinctions », la manière générale de l'auteur, certaines définitions
sur lesquelles nous reviendrons, rappellent de près la scolastique et
les habitudes des maîtres qui écrivaient en latin; l'hypothèse d'une
œuvre originale française est par là même très invraisemblable.
Aussi bien, la comparaison attentive du texte latin et du texte
français conduit directement aux mêmes conclusions. On sent que
le mot propre fait parfois défaut au traducteur français; on retrouve
dans le français quelques tournures latines. C'est ce que feront sen-
tir un petit nombre d'exemples.
Voici une expression latine empruntée à la philosophie scolastique
et pour laquelle l'expression technique correspondante a manqué au
traducteur du xiii* siècle, comme elle manquerait encore au traduc-
teur du xix* :
Justicia est virtus j'uris operativa in homine, Jastice est une vertu qui fet droit en home
a qua homo justus dicitur. par quoi il est appelé droituriers.
■ [Sanuna de legibus, .„, S , , édit. Tardif, p. 7.) J ^''- \ \\^^; f"'- S*^ 1° •„^9f ,' ''°'; ^ "^
^ » ' ' . > r / J et v°; ms. SgSS, foL 5 r'; 5961, fol. 2 r°.)
Notons encore deux termes juridiques latins {domicd'ium , fide-
jiissio) qui ont fait défaut au traducteur français :
Si autem nec senescallum , nec prepositum Et se il n'a prevost ne seneschal , l'en doit
habuerit, ad proprium domiciliiim recurrendum aler a $a meson.
e»i. (Mss. fr. SgGS, fol. li v°; 5345, fol. 1 16 r*;
(Suinma de kgibus, cbap. i.x. De sahmonit. , SgSS, fol. LUll v'fiâgtii, fol. 3o v*.)
S 6, édit. Tai-dif', p. i54.) . y .u-fi
'■' Tardif, Lm Sumina de U^ibui Nonnnnnie, p. cxXKyilrCVOl-V ,.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 87
Domiciliiim est un mot latin qui n'existe pas encore dans la langue
juridique française au xiii' siècle. Le mot meson, plus faible, moins
précis, moins juridique, est le seul qui s'oHre à l'écrivain français.
La présence du terme technique dans le texte latin , alors que le texte
français n'a qu'un mot banal, rend très vraisemblable l'hypothèse de
l'originalité du texte latin.
lit est plegiatio idem quod fidejassio. Plevine est autretant comme promesse de
loiatité.
(iSum»iu<, ch. Lix, 6, édit. Tardif, p. 1 49.) (Ms. fr. 5963, fol. Sg r°; ms. fr. 52^5,
fol. ii5 r*; ms. fr. 5958, fol. lx r"; ms. fr.
5961, fol. ag r*.)
Celui qui écrit « promesse de loiauté » calque évidemment de son
mieux le terme latin consacré, fidejiissio : le mot français technique
lui manque, car il faudrait dire «plevine» et il s'agit précisément de
trouver à « plevine » un équivalent qui n'existe qu'en latin. Si le texte
eût été rédigé en français par un jurisconsulte qui eût voulu com-
parer «plevine» el fidejnssio, ce jurisconsulte eût courageusement
emiployê fidejussio comme mot latin dans son texte français.
Le chapitre cxiii. De brevi de stabilia, est consacré aux procès au
pétitoire en matière immobilière. Le rédacteur suppose que l'objet
du litige, un immeuble, a été mis sous séquestre, in manu principîs,
ou qu'il a été visité par des enquêteurs. 11 se sert à plusieurs reprises
de l'expression conteniio pour désigner, dans ce cas, non le différend
lui-même, mais l'immeuble objet du différend. Le latin du moyen
âge admettait cette façon rapide de s'exprimer. La langue française
ne se plie pas -à ce tour : nous trouvons, en ce cas, le mot terre^^^ en
regard du latin contentio. Si l'ouvrage avait été traduit du français en
latin, le traducteur n'eût pas été ici embarrassé : il eût traduit terre
par terra et n'eût pas été chercher bien loin îe mot latin contentio
pour l'employer en en forçant et en en faussant le sens.
Ces observations et ces rapprochements nous autorisent à admettre
l'antériorité du latin.
Ne nous exagérons pas toutefois la valeur de cette conclusion cri-
tique. La nature même des choses nous oblige à reconnaître que le
<'' Ms. fr. 5961, fol. 60 r°; ms. fr. 5968, fol. vi" vin r"; ms. fr. 6960, fol. 94 v°.
88 • LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
texte latin de certaines formules de procédure — procédure orale ^'' —
ne saurait, au Ibnd, être autre chose qu'une traduction du fran-
çais. On sait qu'une grande partie de ces formules est sacramen-
telle, et sacramentelle en langue française, car les plaideurs parlent
français et non latin. Le jurisconsulte a donc forcément traduit ces
formules françaises en latin. Qu'a fait, à son tour, le traducteur fran-
çais? A-t-il repris le texte français ou a-t-il retraduit le latin en fran-
çais? C'est une question que nous ne sommes pas en mesure de ré-
soudre et qui n'a pas, d'ailleurs, grande importance; car, en des
ouvrages de ce genre, les traductions sont la plupart du temps si
serviles que le second traducteur, celui qui fait passer du latin en
français un texte déjà traduit en latin, a de grandes chances de retrou-
ver, en décalquant le latin, les expressions du texte français primitif.
C'est ici le lieu de se demander quelle est la valeur intrinsèque de
la traduction française. Il faut se garder de juger l'œuvre d'après tel
ou tel de nos manuscrits. Ceux-ci doivent avant tout être corrigés les
uns par les autres, souvent aussi avec le secours du texte latin. La
restitution générale qu'on entrevoit serait, à notre sens, très favo-
rable au traducteur, qui semble avoir été un homme entendu et fort
intelligent. Nous avons relevé cependant une légère inexactitude.
L'auteur énumère au chapitre c. De brevi maritagu impediti, S 3, les
voies (le fait exceptionnellement graves qui autorisent une action de
la femme contre le mari, voies de fait qui ne peuvent être qualifiées
« correction » (car le droit de correction corporelle appartient au mari).
Ilujusmodi actiones, écrit notre auteur, correctiones non judicanliir. Le
traducteur s'écarte un peu trop du latin en disant : « Quar einsin ne
M doit l'en pas chastier sa feme '^'. »
Les petites inexactitudes de ce genre nous ont paru fort rares. Tel
écart d'expression entre le latin et le français, qui pourra choquer au
premier abord, est, au fond, parfaitementjustifiéet même fait honneur
au traducteur. Nous faisons allusion à la traduction assez fréquente de
Jeodam par le mot terre. Cette traduction, un peu singulière au pre-
'"' Exemples : chap. lxxxv, De siinpUcibus brevi de saisina antecessoru ,% x [ibid. , n. 289)
Ifffibiif, S 3 (Tardif, p. aoi); chap. xcxv. De chap. Cl, De dote mgata, S i3 (p. a56).' .
visione et ejus assigiialione, S 7 et 8 (Tardif, ^'' Ms. franc. ôgC.'i, fol. 68 v°; ms. fran^.
p. aSi , a3a ). — Les formules de bref, au con- .^245 , fol. 1 27 r°; ms. franc. .'içiôS , fol. cvi v°
traire, appartiennent à la procédure écrite : ici le mot sa a été
roriginai est latin. Exemples: chap. .xcviii. De ^961, fol. 5o r°.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 89
mier abord, est parfaitement justifiée, l'auteur du Grand Coutumier
nous ayant lui-même informé que le mot feodiim est souvent pris
au sens tout simple d'immeuble : Immobile autem dicimus possessionem
que de loco in locum transmoveri non potes t, nt açjer, pratum et omnes
possessiones fundo terre inhérentes que feoda vukjariter nuncupantur
(chap. Lxxxvii, De querela possessionali, § 2). Or, dans les divers cas
où le traducteur rend feodnm par « terre » ''\ le mot Jeodum n'a pas en
effet d'autre sens que « terre » ou « immeuble ». — Nous avons déjà relevé
la traduction assez inattendue, très justifiée cependant, du mot latin
content io par ce même mot « terre ».
Nous disons au singulier « le traducteur », parce que nous estimons
que le Grand Coutumier n'a été traduit qu'une fois du latin en français.
Les divergences des manuscrits n'autoriseraient pas fhypothèse de
plusieurs traductions différentes. L'unité j^rimitive se reconnaît bien
vite. Nous n'insisterons pas sur ces divergences secondaires; nous en
relèverons une seule: f expression « droit positif t^' », traduction littérale
de jus positivum, a été remplacée dans un grand nombre de manu-
scrits par [c&'otz] establiz^^K
Un trait relevé par le dernier éditeur laisse supposer que le tra-
ducteur écrit après la mort de saint Louis. En effet, au chapitre vi, § 7,
le latin Excellentissimus Francoruni rex Ludovicus post illustrem recjem
Philippum pie rccordationis secundus a été traduit par : « Li nobles rois
«Loeïs, qui fu li segons roys après le roy Phelippe '''l » Cette addi-
tion qui fu semble impliquer la mort de saint Louis.
Si le texte français dérive du texte latin, il n'en résulte pas que
les leçons du texte latin qui nous est parvenu soient constamment
préférables à celles du texte français. En effet, le texte français dérive
d'un manuscrit ou de manuscrits latins aujourd'hui perdus. Tel ou
tel de ces manuscrits latins offrait, nous pouvons l'affirmer, cer-
taines leçons excellentes et qu'il faudrait rétablir. Las passages qui
nous ont frappés intéressent, l'un une certaine procédure de vue toute
spéciale, l'autre la procédure de record, si fréquente au moyen âge.
Nous commençons par la procédure de vue : il s'agit de la vue
'"' Exemple : chapitre cxill, De hvevi de ''' Ms. fr. 5245, fol. 96 r°; ms. fr. 5968 ,
stabilia, S 6, 10; ms. fr. 3963, fol. 80 r° et v°; fol. m v°-iv r°; ms. fr. SgGi, fol. 1 v°; ms.
ms. fr. 5245, fol. i34 r' et v° ; ms. fr. 5958, fr. 5960, fol. 12 v°.
fol. VI" vm r° ; ms. fr. 5961 , fol. 59 v°, 60 r°. ''' Voir Tardif, p. clxxxi, note 3, et ibid.
'*' Ms. fr. 5963, fol. 1 v". les variantes françaises de la citation.
HIST. HTTÉH. — - XXXIII. 1 3
90 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
d'un plaideur qui, pour ne pas comparaître, argue de maladie [lan-
(juor). Les manuscrits latins et les éditions soulèvent ici une difficulté
que vont dissiper facilement les manuscrits français. Aux termes du
chapitre lxv. De visionibus, S 5'"', ce plaideur doit recevoir la visite de
quatre chevaliers (et du Jusîtciaràfs). Les quatre chevaliers figurent
aussi pour cette même visite dans le Très ancien Coutumier'^' et dans
Bracton^^'. Mais, au chapitre xxxix. De languore, S i ''"', le texte latin du
Coutumier impose un appareil bien plus solennel : il exige un nombre
triple, à savoir douze «veeurs» : quatre chevaliers et huit hommes.
A quel nombre s'arrêter? Faut-il opter pour douze ou pour quatre?
Si nous comparons le chapitre consacré au record de vue avec
les chapitres qui traitent directement de la visio langnoris, nous
sommes conduits à soupçonner que le chapitre xxxix a subi quelque
altération. En effet, les l'ecordeurs du chapitre consacré au record
(cxxi. De lege (fuejit per recordamentum , §11) ne sont pas au nombre de
douze, mais bien au nombre de quatre; de plus, le texte, disant un
mot de la vue elle-même, nous apprend que les chevaliers qui font
la visite pourront être suppléés : . . .aat cum malefichim alicui persone
illatum videtar, vel cnm pericnhim alicujus mehaignii per incisionem inaui-
ritur medicalein et per sajficienciam militum vel aliarum personariim ad
recordamentum competenthim visioms''^\ Ce vel ahariim personarum nous
fait conjecturer que dans le chapitre xxxix il faudrait remplacer par
vel ou par aut la conjonction et dans cette phrase : . . .débet Justi-
ciarius un milites vel plures et alios vin homines vel plures , fuie dignos
nec suspectas , per snbmonitionem Jactam ad illam adducere visionem. Les
manuscrits français confirment pleinement la conjecture que nous
suggérait la seule comparaison des divers passages du Coutumier
latin : ils portent « ou » et non « et » : « Et si doit li baillis amener a voier
« iiii chevaliers ou plus ou viii loiaus hommes qui ne soient pas
«soupechonnous^®^. » Ainsi les huit loyaux hommes remplacent, s'il
'"' Tardif, La Summa de lepilius Norm., ''' Ms. fr. 6961, fol. a3 r"; m», fr. 5963,
p. 162. fol. 3a v°; ms. fr. 5958, fol. xi.ix v°; ms.
'*' Très ancifii Coutumier de Norm., texte fr. 5a45, fol. na r". — Enfin notre correction
latin, chap. i.wxii. De dilationihus et exoniis , supprime toute contradiction ou discordance
S 3, édit. Tardif, p. 87. entre le Grand (Coutumier et le Très ancien
''' Bracton, édit. Travers Twiss, t. V, Coutumier, qui parle de (/urt<uormi7i7«a(/nu'nu.«
p. i36. vel lavassores [Très ancien Coût., texte latin,
'*' Tardif , p. 121. chap. i.xxxil. De dilat. et exoniis i S 3, édit.
<'i Tardif, p. 3 17-318. Tardif, p. 87).
LES COLTUMIERS DE NORMANDIE. 91
y a lieu, les quatre chevaliers : ils ne s'ajoutent pas à ces quatre
chevaliers. Toute antinomie disparaît donc entre les chapitres lxv,
§ 5 , et XXXIX , S 1 .
Le glossateur paraît commenter un texte français identique à celui
que nous fournissent les bons manuscrits dont la leçon vient d'être
transcrite, car il s'exprime ainsi : «L'on peut dire que le texte ne
a met pas quatre chevalliers pour ce qu'ilz y soient requis necessaire-
« ment, car ilz n'y sont pas requis a rigueur, comme il appert par le
« texte , q ui met disjunctivement : Et mener o luy (juatre chevalliers ou plus
«ou huit hommes loyaulx.x Chose singulière, ce commentaire est en
désaccord matériel avec la leçon qui s'est glissée dans l'édition même
qui nous le fournit, car nous y trouvons le passage fautif «et huit
« loyaulx hommes ».
La correction que nous introduisons, avec le secours des manu-
scrits français, au paragraphe i" du chapitre xxxix en entraînerait
peut-être une autre au paragraphe 4, correction pour laquelle nous ne
pouvons invoquer aucun des manuscrits français que nous avons
consultés. Le texte latin de ce paragraphe 4 est ainsi conçu : Milites
autém et alii homines (jui adjurationem lan<juorîs présentes ajfuerunt de-
hent ad primas assisias comparera et jurationem lamjuoris recordare coram
ballivo et militibus assisie, ut per eorum recordationem , si opus fueril,
reportet in posterum firmitatem'^^K II est probable qu'il faut lire : Milites
aatem vel. . . Cependant, dès qu'on a substitué plus haut, au premier
paragraphe, vel à et, et rétabli ainsi le caractère essentiel et légal de
la Visio languoris, il importe peu que le rédacteur admette ensuite la
possibilité d'une adjonction de « veeurs » : les quatre chevaliers et les
autres (s'il y en a eu) qui ont pu assister klajuratio languoris recor-
deront le fait en assise. Le et est ici, à la rigueur, admissible : il
n'implique pas absolument contradiction.
Nous arrivons au record.
Le texte latin, tel que nous le fournissent les manuscrits et, d'accord
avec eux, le dernier éditeur, nous paraît défectueux au chapitre cix,
De recordatione pelita, S 3. MM. Brunner et Tardif ^^^ ont bien vu qu'en
l'état ce chapitre se trouve en désaccord avec le chapitre civ, De
''' Tavd'if, La Sanima de legibus Normannie, ric/i/e, Berlin, 1873, p. ig/t, note 5. — Tardif,
P- 122. LaSttmma de ler/ibiis Norm., p. ciV, 363,3l/i,
''' Bnjnner, Die Entstehany der Schwurge- 3i5.
92 LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
recordadone Scacarii, et avec le chapitre cxxi, De lecje quefilper recor-
dameninm, S 7 et 7 bis. L'examen des manuscrits français et l'élude
attentive du texte supprimeront, ce semble, cette difficulté. Il s'agit
ici de la preuve ou, pour parler comme nos anciens jurisconsultes,
du record d'une décision judiciaire. Pour que ce record soit acquis,
il faut, d'après le chapitre cix (texte latin; tous les manuscrits sauf
un), l'accord de six témoignages; d'après les chapitres civ et cxxi,
l'accord de sept personnes est indispensable. L'antinomie est flagrante.
Mais, si nous consultons divers manuscrits français, la difficulté sera
levée, au moins en grande partie, parce que le chiffre vu apparaît
dans le chapitre cix au lieu dii chiffre vi :
Notandum est quod oportet quod vi recor- H convient que vu recordeours au meins
datores ad minus concorditer consentiant ad soient acordant a i acort a ce que recorz soit
hoc quod eorum recordatio conservetur. gardez.
(Tardif, Summii de Icçjihus Norin., (Ms. fr. 6961, fol. 53 r"; ms. fr. ôgGS,
chap. cix, 3, p. 263.) fol. 7a v°;ms. fr. 5345, fol. lagv";
Sainte-Geneviève 1743.)
Le chapitre cxxi, § 7 et 7 bis, est parfaitement d'accord avec le prin-
cipe posé dans le texte français : Cum vu persone ad minus ad recorda-
menti ejfficaciam debeant concordare; — Et (jiiod vu eorum concorditer
recordaverint débet observari.
Le chiffre vu reparaît à la fin du paragraphe 3 (chap. cix) dans le
ms. fr. 6963, manuscrit très important, car il est étroitement appa-
renté avec le manuscrit latin que M. Tardif place au premier rang; le
chiffre vi persiste dans le texte latin :
Notandum etiam est quod, si VI recordatore» Se li vu sont a i acort, li recorz est
consentiant ad unum idem, recordationi sue creabies, por tant que il n'i ait plus qui seient
exhibent firmitatem, dum tamen non sint encontre, quar l'en se doit tenir a la greignour
plures illi qui eorum recordationi se contrarlos partie. . .
exhibeant; etin istocasu majori parti consen- (Ms. fr. 5963, fol. 7a v°. Quelques
tiendum est . . . mots ont été corrigés à l'aide du
(Tardif, La Snmina de legibus, p. 363.) ms. 5345.)
Les autres manuscrits français''^ que nous avons pu consulter
pour l'étude de ce passage ont ici vi comme le texte latin. Mais la
fin de ce paragraphe, examinée avec soin, va nous prouver que ce
chi£Fre est inadmissible. En effet, le texte latin continue ainsi :
'■' Ms. fr. 5345, fol. 13g v°; ms. fr. 5958, fol. cxiii v°; ms. fr. 455o, fol. lao r°; ms. fr. 5960,
fol. 85 v'; m», fr. 5961, fol. 53 v"; Sainte-Geneviève 1743, p. 100.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 93
videlicet in recordationihiis illis in (juibus (jiianlitas recordatorum duode-
narium nnmernm transcendit. Ainsi la majorité fera loi. Le jurisconsulte
est préoccupé du cas où le chiffi-e qu'il a mis en avant comme ordi-
nairement suffisant pour établir une majorité deviendrait, au con-
traire, insuffisant et se trouverait inférieur à la majorité. Ce cas se
présenterait si les témoins (recordeurs) étaient plus de douze :
Videlicet in recordalionibus illis in cjuibus (fuanlitas recordatorum diio-
denarium niimenim transcendit. Cette dernière phrase jette une vive
lumière sur la pensée de notre auteur. Il devient évident qu'il
suppose dans les cas ordinaires un nombre de douze recordeurs
(nombre réel, ou du moins nombre en puissance) : en effet, si la
majorité est nécessaire quand il y a plus de douze recordeurs, il va
de soi qu'elle ne l'est pas moins quand il y a seulement douze recor-
deurs. Or la majorité sur le nombre normal douze, c'est sept et non
six. Cet accord de sept voix étant suffisant, on n'exige pas en fait la
présence de douze recordeurs, puisqu'il y en a cinq dont les voix sont
inutiles : c'est ce qu'explique fort bien un court article de la compi-
lation des Assises publiée par Warnkœnig : Septem milites sujficiunt ad
rccordationem assisiœ, si, rjuod duodecim essent présentes, snfficeret (jiiod
ipsi septem essent concurdes^^K
L'étude attentive du texte latin nous en révèle donc à elle seule
l'incorrection : nous substituons le chiffre vu au chiifre vi. La con-
tradiction apparente des passages que nous venons d'examiner s'éva-
nouit, le nombre sept figurant désormais au chapitre cix comme au
chapitre cxxi et au chapitre civ.
Les passages cités des chapitres cix et cxxi visent soit l'hypothèse
normale de douze recordeurs, soit le cas où il y aurait seulement en
fait onze, dix, neuf ou huit recordeurs : l'accord de sept témoignages
reste nécessaire en chacune de ces circonstances. Mais nous n'avons
pas encore examiné tous les passages difficiles de ces chapitres cix et
cxxi. Si nous les abordons, nous arriverons à discerner dans ces deux
chapitres un autre chiffre, celui de six, admis pour le record, dans
certains cas, au lieu de sept. En effet, que décidera-t-on, s'il n'y a en
tout que sept recordeurs, nombre à la rigueur suffisant (chap. civ,
'"' Assisiœ Normaniiiœ (vers 1237), dans Warnkœnig et Stein, Franz. Staats- and Rechls-
geschichte, t. II , p. 63.
94 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
De recordadone Scacarii; cv, De recordatione assisie^^^]? Exigera-t-on
l'unanimité? Se contentera-t-on de la quasi-unanimité? Cette ques-
tion est résolue directement au chapitre cix, S 3, implicitement au
chapitre cxxi. Au chapitre cix, S 3, le texte latin et le texte français
disent la même chose en termes assez semblables suivant certains
manuscrits français '^\ assez différents suivant d'autres que nous ci-
tons ci-après :
Sciendam etiam est quod recordatio sep- Se vi recordeour soient a i acort et il ne
timi, si VI eorum concordes faerint, non dient chose qui soit por celui qui demande le
potest suam irritare petenti recordationem. recort, sa demande ne vaut rien. Ne le descort
Sciendum etiam est quod nisi vi recordatorum au septiesme ne nuist de rien au demandeour.
concorditer recordamentum protulerint pro (Ms. fr. 6963, fol. 72 v*; ms. fr. 5245,
petente, ejus actio pro irrita reputabitur et fol_ 120 v".)
inani.
(Tardif, La Samma, p. a63. )
Ainsi la quasi-unanimité de six voix sur sept suffira, s'il n'y a que
sept recordeurs. Ce sont là des décisions nouvelles en désaccord avec
la jurisprudence de la première moitié du siècle '^^ notamment avec
l'article de la compilation des Assises que nous venons de repro-
duire.
Nous arrivons au chapitre cxxi : dans ce chapitre, l'auteur s'occupe
aussi du nombre de voix nécessaire pour que le record soit obtenu,
et, comme nous l'avons vu, il s'arrête à deux reprises au chiffre sept,
ce qui pourrait faire supposer qu'il exige l'unanimité des sept recor-
deurs, s'il n'y en a que sept. A notre avis, l'auteur a mis en avant
dans le chapitre cxxi ce chiffre sept chaque fois qu'il a eu dans l'es-
prit un nombre de recordeurs variant de huit à douze. Mais il ne
pouvait se dispenser d'envisager aussi l'hypothèse d'un nombre de
recordeurs limité à sept, car il insiste précisément sur ce minimum
nécessaire de sept. C'est ici qu'il faut le lire attentivement. Tout en
répétant qu'il faut l'accord de sept voix ( chiffre évidemment tradi-
'"> A Jersey et à Guernesey, la présence des damjtet per ipsos xii una cum ballivo. (J. Ha-
douze recordeurs et peut-être même leur vet, Les cours royales des (les normandi's ;
accord est nécessaire, au moins dans certains pièce n° 36, dans Bill, de l'Ecole des chartes,
cas; c'est l'objet d'un des articles des cou- t. XXXJX, p. 348.)
tûmes locales de ces îles, constatées en i333 : '*' Ms. fr. 6961 , fol. 53 v°; ms. fr. 5960,
Item , si dominas rcx vclil cerciorari de re- fol. 85 r°.
cordo placiti coram justiciariis et ipsis xii agi- '*' L. Delisle, Juyements de l'Echiquier de
tati, justiciarii cum illis xii debent recordum JVorm. nu a///' .«èc/c, n° 3o2 (laai), dans A'o-
illud facere, et post iter justiciariorum recor- tices et extraits, t. XX, 2' partie, p. 3l3.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 95
tionnel; c'est la vieille majorité de sept voix sur douze), il avoue
implicitement qu'il convient de se départir maintenant de la rigueur
ancienne et que, s'il n'y a que sept recordeurs, l'accord de six voix
pourra, dans certains cas, être considéré comme suffisant, il ne le dit
pas; mais il nous laisse le soin de dégager nous-mêmes celte conclu-
sion, car il enseigne que, si sur sept recordeurs il se trouve deux voix
discordantes, il n'y aura aucun record, tota recordatio vacillabit. Donc,
s'il y a une seule voix discordante, le record de six voix tiendra. Mais
cela est sous-entendu, non pas exprimé. Il semble que ce soit une
concession tacite, une dérogation aux principes qu'on n'ose pas avouer
formellement : In recordatione autem facienda pqssunt nominari omnes
(jiii in Scacario présentes affuerint ad id super (juo petitur recordamentiim;
et (juod vil eornm concorditer recordaverint débet dhservari. Si vero duo de
VII dissenserint vel se nescientes fecerint , tota recordatio vaciïlahit, et
petens perdet recordamentum et id (juod per illud nitebatur obtinere.
(Chap. cxxi, S 7 bis^^K)
L'interprétation que nous proposons harmonise les chapitres cix
et cxxi et même divers passages du chapitre cxxi, S 7, qui, autrement
entendus, seraient contradictoires entre eux : dans ces deux chapitres,
le Grand Coutumier admet le nombre normal et rigoureusement légal
sept; dans ces deux chapitres, il admet ou, si l'on veut, il tolère le
nombre six, quand il n'y a que sept recordeurs. La présence des deux
nombres sept et six assez mal distingués dans le chapitre cix, et l'ac-
ceptation voilée du nombre six à côté du nombre sept dans le cha-
pitre cxxi jettent beaucoup de trouble. Il est probable que, dans la
rédaction primitive, le texte du chapitre cix se déroulait un peu
moins obscurément, parce que, dès le début du paragraphe 3 de ce
chapitre, l'auteur mettait lui-même en vedette les deux chiffres vu
et VI., C'est ce que nous révèle le ms. fr. ÔgBS. Le paragraphe 3 y
débute ainsi : « Il covient que vu recordeor ou vi au mains soient a
« un acort a ceu que tôt li recort soit gardé '^^. »
''* Tardi(, LaSiimmade legibus iVorm.,p. 3i4- doit s'interpréter ainsi : on pourra invoquer le
Il faut bien entendre ce passage, qui peut témoignage de tous ceux qui assistaient à la
paraître assez mal rédigé. Il semble, en effet, séance de l'Echiquier. Ces gens sont nom-
que l'auteur commence pr supposer un assez breux, mais ils ne répondent pas tous à l'appel :
grand nombre de recordeurs et fmisse en s'at- enl'espèce, sept sevdement portent témoignage;
tachant à une hypothèse toute différente , celle il n'y a , en fait , que sept recordeurs.
de sept recordeurs seulement. Mais la première '*' Ms. fr. ôgSS , fol. cxiii v°. Les voix ne se
phrase : In recordatione autem facienda, etc., comptent pas de la même manière, lorsqu'il
96 LES COUTUMIKRS DE NORMANDIE.
Le système du Grand Coulumier touchant le record des jugements
d'assise ou d'Echiquier ne paraît pas avoir été définitivement accepté.
Le tempérament qui consistait à se contenter de six voix sur sept est
inconnu, en effet, du glossateur du xv" siècle. Il commente un texte
français bien meilleur que le texte latin, où, dès le début du para-
graphe 3 du chapitre cix, figure le nombre sept. Mais le nombre six,
comme nous l'avons vu, apparaît ensuite; c'est une difficulté pour le
glossateur, qui se tire d'affaire en appliquant ce passage du paragraphe 3
à une autre hypothèse que celle du record en assise ou en Echiquier :
M Sur ce texte est a noter que, ja soit ce que le texte ait parlé cy devant
« de plusieurs recordz , neantmoins ne s'entend ce présent paraffe synon
« au regard de pasnage, auquel il suffit de six recordeurs a ung acord.
« Et qu'il s'entende seulement du record de pasnage, il peut clerement
M apparoir par ce qui est devantes recordz d'Eschiquier et d'assise, qu'il
« y en fault sept d'ung acord au moins. » Cette explication prouve que
le record, d'ailleurs fort rare au temps du glossateur, comportait
toujours l'accord de sept voix, dès qu'il s'agissait d'un record de juge-
ment. Quant à appliquer ce passage au « record de pasnage », cet ex-
pédient nous paraît inadmissible, ce record ayant été sommairement
traité au chapitre cviii.
Si les manuscrits français peuvent servir à corriger les manuscrits
latins, même lorsque ces derniers sont d'accord entre eux, à plus
forte raison peuvent-ils être utiles lorsque les manuscrits latins offrent
entre eux des divergences. Tantôt ils corroborent les conclusions
auxquelles pourrait conduire l'examen attentif des seuls manuscrits
latins; tantôt, la solution restant embarrassante avec le secours des
seuls manuscrits latins, ils font pencher la balance et entraînent
la décision. C'est ce qu'a bien vu, en quelques rencontres, le dernier
éditeur. Par exemple, au chapitre xxxiii. De capitalibus aiia:ilus,% 3,
M. J. Tardif rétablit avec raison dans le texte latin, contre l'autorité
des meilleurs manuscrits latins, le mot anxilla au lieu de relevia, se
fondant sur les manuscrits français qui portent «aides a. Peut-être irions-
nous parfois plus avant dans cette voie. Certains manuscrits français
sont à cet égard très importants. Nous signalerons le ms. fr. 6963.
s'agit non d'un record de jugement, mais d'un mité des voix moins une suffit , soit onze voix
requenoissnni jiar jurés au pétitoire. En ce sur douze. (Tardif, cliap. cxill, 'Df ireoj <fc *<«-
cas, pour qu'un résultat soit obtenu, l'unani- bilia.î ii.)
t
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 91
H nous fournit au chapitre lxxiv ce paragi-aphe qui n'est représenté
dans aucun manuscrit latin et qui manque également dans les autres
manuscrits que nous avons consultés et dans les éditions françaises :
Qui seul aucun des parens au maufetour en querele de mort ou de mehaing,
se il ne puet prouver que cil li meffeïst en propre persone, il en charra de Li que-
rele et l'anaendera par autele paine comme cil soustenist qui estoit fuïz, s'il en
enchaïst '''.
M. J. Tardif divise les manuscrits latins en neuf classes ou familles.
Ce classement en neuf familles pris pour point de départ, M. Tardif
arrive à cette conclusion : le texte latin primitif du Grand Coutumier
a été peu à peu complété et allongé par un ou plusieurs continua-
teurs. H assigne donc une place secondaire à quelques chapitres
importants du Grand Coutumier, chapitres qui jusqu'ici n'étaient pas
contestés. Il considère comme additionnels le chapitre iv bis, De officio
senescalU; le chapitre xxii bis, De exercitu; le groupe entier des der-
niers chapitres (cxiii à cxxv). Enfin, dans le corps même de l'œuvre,
un assez grand nombre de paragraphes subissent le même sort : ils
sont relégués à un rang inférieur et munis d'un bis, d'un ter ou d'un
(jualer, indiquant au lecteur qu'ils n'appartiennent pas, suivant
M. Tardif, à l'œuvre primitive. La question des chapitres addi-
tionnels est, en soi, assez importante pour mériter toute noire
attention.
Le chapitre iv bis, De officio senescaUi , manque dans les quatre pre-
mières familles de manuscrits. Le chapitre XXII îf 5, De exercitu , mainqne
dans les trois premières familles. D'autres considérations corroborent,
suivant M. Tardif, cette première indication, fournie par la compa-
raison des manuscrits. Le chapitre xxii bis, De exercitu, semble, à
quelques égards, faire double emploi avec le chapitre xliii, intitulé
dans certains manuscrits De exercitu, dans d'autres De dilatione pro
exercitu principis. Le chapitre iv bis. De officio senescalU, n'a, dans le
Coutumier, «qu'un intérêt historique, la charge de grand sénéchal
« de Normandie, dont il décrit les fonctions, n'ayant pas survécu à la
« conquête de la province par Philippe Auguste. Aussi les tournures
«de phrases au passé dominent-elles dajis ce morceau, tandis que,
f Ms.fr. 5963, fol. 49 v°.
HiST. LITTÉR. XXXIII. I 3
98 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
M dans les chapitres qui le précèdent ou le suivent, le présent est
« toujours employé . . . Une réminiscence historique analogue termine
« le chapitre additionnel De exercitn (xxii bis) : le dernier paragraphe
M contient une allusion aux usages suivis du temps où les Anglais
«étaient maîtres de la Normandie; dans le reste de ce chapitre on
ic rencontre également des considérations historiques'*'. »
Ces constatations et observations sont loin d'apporter, à nos yeux,
la certitude. Certes l'analogie des chapitres xxii bis et xliii, consacrés
tous deux à l'armée ou ost, est frappante; mais la partie incontestée
du Coutumier offre de nombreux exemples de répétitions du même
genre '^'. Quant à l'allure historique du chapitre iv bis. De ojficio
senescalli, et d'une petite partie du chapitre xxii bis, De exercitu ,
elle correspondrait assez bien aux tendances d'esprit que nous
avons cru entrevoir chez l'auteur de la partie incontestée du Grand
Coutumier. Un autre chapitre, le chapitre cxi, incontesté celui-là,
nous offre, au paragraphe i3, un développement historique très
important; enfin un appel au passé, à l'occasion delà représentation,
figure aussi aux chapitres xxiii, S 3, et xcix, S i. Nous serions plus
frappés des conclusions auxquelles paraît conduire la comparai.son des
manuscrits. Cependant nous demeurons hésitants. Sans doute, le
chapitre iv bis, De ojficio senescalli, manque dans les quatre premières
familles de manuscrits. Mais nous remarquons que le mot ojjicio
figure dans les rubriques de trois chapitres successifs : chapitre iv,
De justiciario et ejus officio (d'après un grand nombre de manuscrits
cités p. 8, note 4); chapitre iv bis, De ofhcio senescalli; chapitre v.
De officio vicecomids. Certains manuscrits pouvaient même présenter
trois fois de suite la terminaison ojficio, car on trouve aussi pour le
chapitre iv bis la rubrique : De senescallo clucis et ejus officio (p. 12,
note 2); pour le chapitre v, la rubrique : De vicecomile et ejus officio
(p. i5, note 7). Dès lors, un bourdon a pu se produire, et des
manuscrits appartenant à des familles différentes peuvent porter la
trace d'une même erreur de copiste, qui se serait répétée sous l'in-
'■' Tardif, La Samma de legihiis, p. cxxiv, S 3, avec ctiap. c. De brevi mnrilayii imp. , S 9
cxx?. {ibid., p. 98 , a49) ; — chap. xxviii, De Iciieura
'''Comparer, notamment : cliap. xxiv, /)(' pcr piiragiiiin, S 2 , in Jine, a\ec chap. ut, Dr ru-
portionibiif , S 1 4 , avec chap. r. , De breri inaiil. riu , S 9 ( ibid. , p. 97, 1 4o) ; — chap. xxviii , Dr
im/>(-f/i/i,S 13 , i3, édil. Tardif, p. 83, 84, 249, trnrnra per paitiriiiim, i i.avec chap. xxxiv,
a5o; — chap. xxix, Dr Iriiriir» prr burgarjinm, Dr primoifriiilo , S 5 (ibid., p. 97, 1 13, 1 i4).
LES COUTU.MIERS DE NORMANDIE. 99
lluence de la même cause. Quant au chapitre xxii bis, De exercitu,
sans doute il manque dans les trois premières familles; mais, ici
encore, celte lacune répétée ne pourrait-elle pas s'expliquer tout
simplement par un bourdon .5 Le chapitre xxii , De forisfactiiris , linit
par les mots veritas declaretar; le chapitre xxii bis, par le mot inveniren-
tiir. L'œil du copiste aurait passé facilement de la première finale à
la seconde, ce qui expliquerait l'omission du chapitre xxii bis, lequel
n'est pas très long, et pouvait se trouver sur la même page que la fin
du chapitre xxii.
En maintenant les chapitres iv bis et xxii bis, on traiterait ces cha-
pitres comme M. Tardif lui-même a traité, au chapitre lxvii, De
mnltr(),$ 6, le mot necai dans la phrase : nec in felonia necui (il a
rétabli avec raison ce mot, bien qu'il manque dans tous les manu-
scrits, sauf dans la famille VI, représentée par un seul manuscrit);
ou comme M. Tardif a traité, au chapitre xiv, S io,le mot Da/ore/tt dans
la phrase : débet Thomas Petro restitaere valorem (luem liaberent (il a
rétabli avec raison ce mot, bien qu'il manque dans tous les manu-
scrits, sauf chez ce même représentant unique de la famille VI]. Il a
pris encore, en présence de la même situation respective des manu-
scrits, la même décision pour le mot usus dans cette petite phrase du
chapitre xlh, S 3 bis : Cum de brevi antecessoris usus et consaetudines
execjuemur. Il est vrai que l'omission d'un mot essentiel ne laisse
pas prise au doute, tandis que l'authenticité d'un chapitre entier ne
s'impose point de la même manière. Il est vrai encore que la coexis-
tence des chapitres xxii bis, De exercitu, et xliii. De exercitu (dans
certains manuscrits : De dilalione pru exercitu principis) , chapitres dont
quelques paragraphes font double emploi, est un peu embarrassante.
Mais nous avons déjà fait remarquer que les chapitres incontestés
nous offrent eux-mêmes de très nombreuses répétitions; nous ajou-
tons que le style de ces deux morceaux (chap. xxii bis et xliii) paraît
bien déceler la même main. Vu la place qu'il occupe dans l'ouvrage,'
le chapitre xliii aurait dû être exclusivement consacré aux excuses
légales fondées sur le service militaire, et c'est, en effet, son objet
principal; mais l'auteur a un peu excédé : il s'est permis d'ajouter
quelques développements sur le service militaire considéré en soi
(§ 3 à 6). Ces observations ne s'étaient pas présentées à son esprit à
l'heure où il écrivit le chapitre xxn bis : il r-evient sur ses pas et se
i3.
100 LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
complète lui-même. Voilà ce qui nous paraît le plus probable, et l'on
pourrait même essayer à la rigueur de justifier la place assignée aux
questions traitées dans les paragraphes 3 à 6. Les causes qui peuvent
expliquer certaines lacunes dans de nombreux manuscrits sont très
variées : le chapitre iv bis, De ojjicio senescalU, n'a aucun intérêt pra-
tique; cette circonstance ne l'aurait-elle pas fait éliminer, comme
inutile, dans plusieurs exemplaires?
Nous ne prolongerons pas cette discussion. Nous voulions simple-
ment faire sentir que f exclusion de ces deux importants chapitres ne
s'impose pas.
L'étude des manuscrits conduit aussi le dernier éditeur à considé-
rer les chapitres cxiii à cxxv comme ajoutés par deux continuateurs
successifs à l'œuvre primitive, laquelle n'aurait pas dépassé, suivant
lui, le chapitre cxii. Les chapitres cxiii à cxxv inclusivement
manquent dans la famille 1 '"'. La fin du chapitre cxxiy (depuis le
milieu du paragraphe 8) et le chapitre cxxv manquent dans les
familles 11, IV, V^^^.
La famille 1, qui joue un rôle décisif dans l'élimination des cha-
pitres cxiii à cxxiv, milieu du paragraphe 8, comprend un seul
manuscrit D' (fin du xiii* siècle). Dans ce manuscrit le texte est coupé,
non à la fin du chapitre cxii , mais au milieu d'un mot du para-
graphe 4 de ce chapitre; cette coupure se présente ainsi : Miilti aulem
jiirisperiti dicunt (jiiod si (suppléez -miles fieri). D' est en cette
partie matériellement mutilé; cependant le dernier éditeur n'a main-
tenu dans le texte primitif du Coutumier que la fin du chapitre cxn
et non les chapitres cxiii à cxxiv (milieu du paragraphe 8), comme
on y serait naturellement invité par fétat du texte dans les familles 11 ,
IV et V. Pourquoi cette décision? C'est que la table du manuscrit
latin D' s'arrête elle-même avec le chapitre cxii, De feodo etfirma ;
les chapitres suivants n'y sont pas portés. De là cette conclusion : un
manuscrit aujourd'hui perdu, d'où procède le manuscrit latin D',
contenait probablement tout le chapitre cxii; mais il ne dépassait
pas ce chapitre cxii'^^ On pourrait être tenté de raisonner d'une
autre manière. Le manuscrit perdu, dirait-on, auquel remonte la fa-
mille 1, était peut-être un manuscrit mutilé. La table de ce manu-
'•' Cf. Tardif, p. Lxxix, r.i. — o Cf. Tardif, p. Lxxix-i.xxxiv. — <'! Cf. Tardif, p. cm.
cxin.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 101
scrit avait pu disparaître en même temps que les chapitres cxm et
suivants : on a donc pu refaire après coup cette table en y compre-
nant seulement les chapitres subsistant dans le manuscrit. Cette table
répondrait alors à lin manuscrit mutilé et non pas à un manuscrit
complet, et les chapitres suivants pourraient légitimement prendre
place dans une édition critique. H y a cependant, comme nous le
verrons, d'autres traits qui semblent différencier, dans une mesure
3u'il faut se garder d'exagérer, les chapitres cxiii et suivants du corps
e l'ouvrage. Nous examinerons cette question.
Nous considérons pour l'instant la fraction finale , qui serait, d'après
le dernier éditeur, l'œuvre d'un second continuateur: chap. cxxiv, mi-
lieu du paragraphe 8 , et chap. cxxv. Ce chapitre et demi manque non
seulement dans la famille I, mais aussi dans les familles II, IV et V. Il
ne se trouve que dans les familles III, VI et suivantes. Voici le texte
entier du paragraphe 8 : Nolandum sUfiiidem est (fuod omnes priores
essoniaiores, cnm alla fit essonia, dcbent personaliter ad illam interesse.
Et si déficientes faerint , emendabunt, et irritabuntur omnes précédentes
essonie, necpresens eciam recipietur, sed lator ejus cum teste suo cmendabit,
et essoniatus ejiis pro déficiente habebitur; et si duo alii precesserint
defectus, in manu principis contentionis feodum capietur. Tous les manu-
scrits de la famille II se terminent soit au mot interesse, soit au mot ad
illam. Les familles IV et V se terminent au mot emendabunt.
La continuation du paragraphe 8 après le mot interesse ou après
le mot emendabunt paraît naturelle. Elle n'a pas l'apparence d'une
addition, si bien qu'on est conduit, ici encore, à supposer une inter-
ruption matérielle, une sorte de coupure accidentelle, plutôt qu'un
explicit intentionnel et voulu. Cela est si vrai que le dernier éditeur
n'a pu faire de ce paragraphe 8, dont la seconde moitié serait, suivant
lui, d'une autre main que la première, deux paragraphes distincts.
Au reste, le chapitre cxx, S 2, considéré par le dernier éditeur
comme faisant partie d'une première addition, annonce la matière
qui sera traitée dans le chapitre cxxiv, S i4'^'- H nous faudrait donc
des preuves bien fortes, des preuves décisives, de l'intervention d'un
troisième auteur. Or nous n'arrivons à relever aucune différence
intrinsèque entre cette troisième tranche et la deuxième.
<'^ Cf. Tardif, p. cxxvi, note 4.
102 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Si nous groupons les deux tranches additionnelles, si nous faisons
un tout des chapitres cxiii à cxxv, et si nous comparons cette fin de
l'œuvre au corps principal, n apercevrons-nous donc aucune dififé-
rence entre ces deux parties du texte? Nous n'irions pas jusque-là.
Nous remarquons, en eflfet, aux chapitres lxxxiv, Si, et en, S i, des dé-
finitions très simples de la « desresne » et du record; aux chapitres cxxi,
S 2, et cxxiii, S 1, des définitions nouvelles un peu plus dogmatiques
etplus prétentieuses '"'.Nous remarquons enfin que le chapitre cxv est
peut-être postérieur à 1 268, alors que nous pensons avoir établi que
le chapitre xix, De usuris, a été utilisé au Parlement de la Saint-Mar-
tin 12 58. Le chapitre cxv est peut-être, disons-nous, postérieur
à 12 58. Voici pourquoi. Les Olim nous apprennent, précisément à
l'année 1 2 58, que, dans les questions de fief et d'aumône, on procé-
dait jadis à une enquête préjudicielle, confiée aux officiers royaux,
sur la nature de l'objet du litige, enquête ayant pour objet de hxer la
compétence, que cet usage avait été abandonné et qu'on le reprit
en 12 58. Or le chapitre cxv, De brevi dejeodo et eleemosina, suppose
l'existence de cet usage '^l ^^ y ^ donc certaines différences entre le
corps de fouvrage et les chapitres cxiii et suivants. Ces différences
nous obligent-elles à admettre que ces derniers chapitres n'ont pas
été écrits parle même auteur que le corps de l'ouvrage.'^ Ceci est plus
délicat. Nous devons, avant tout, nous demander s'il existe entre les
deux parties de fœuvre des contradictions formelles. On a signalé les
dispositions des chapitres cix. De recordationc petila , S 3, et cxxi, De leye
(jue Jit per recordamentum,S '] ,qu\ paraissent contradictoires ^^^ : suivant
le premier de ces chapitres, l'accord de six recordeurs sur sept suffit
dans les records d'Echiquier et d'assise ; au lieu que, d'après le second,
l'unanimité est exigée. Mais cette première observation doit être
écartée, car nous avons établi précédemment'''^ que tous les manuscrits
du texte latin (sauf un seul) sont fautifs au paragraphe 3 du cha-
pitre cix, et que, dans ce paragraphe, le chiffre vu doit être substitué
au chiffre vi. L'antinomie sur ce point important n'est donc qu'ap-
parente; en réalité, il y a concordance parfaite.
''' Cf. Tardif, p. cxxii, note 4. ancien, quoique délaissé, et on aurait pn môme
'*' Cf. ibid., p. r.xcv. Ce que nons disons invoquer officieusement son texte en ia58
dans le texte de la postériorité du chapitre cxv pour reprendre le vieil usage.
n'est pas absolu; car l'auteur du Grand Cou- '"' Tardif, p. civ.
lumier avait fort bien pu s'atlacher à cet usiige '*' Ci dessus, p. 91-93.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 103
Mais voici une autre difficulté : une certaine diiîérence au sujet du
nombre des cojurateurs peut être signalée entre le chapitre lxxxv,
De simplicibiis legibas, S 5 , d'une part, et les chapitres cxxii, De lege pro-
babili,S'j, elcxwn. De disrais nia, S 2, d'autre part : le chapitre lxxxv, S 5,
parle, pour une certaine catégorie d'affaires, d'un serment sexta manu;
les deux autres textes parlent, pour la même catégorie d'affaires, d'un
serment qui sera fait per sacramenta (jumciue pcrsonarum.
Versus autem dominum sexta manu Versas autem dominum curie et ejus
in curia domini sui; si autem in curia domini ballivos seii justiciarios attornatos per sacra-
superioris placilaveril, se lercia manu dlsrnis- mcnla quinqiie personanim habent fieri tam
niabit versus dominum, et dominus versus ho- probabiliaquamdisraisniaprenotate.(cxxii,S7.)
minem suum simili modo; in curia enim do- In curia ipsorum antenatorum responde-
mini superioris placitando sunt quasi pares. bunt ... et facient disraisniam per sacramenta
(lxxxv, s 5.) qninque pcrsonarum tanquam pares. (cxxiii.Sa.)
11 est difficile de soutenir que le désaccord est seulement apparent,
la partie qui fait la preuve étant comptée, dans le chapitre lxxxv, S 5,
au nombre des cojurateurs, tandis que ces derniers entreraient seuls
en compte dans les chapitres cxxii, S 7 et cxxiii, S 2; car, ailleurs, le
rédacteur du chapitres cxxii, S 7, en employant l'expression peririum
personaram sacramenta, adopte le mode de supputation dont s'est servi
le rédacteur du chapitre lxxxv, S 5, en disant tercia manu^^K Les deux
expressions sexta manu et per sacramenta ciuincfue personarum sont donc
réellement contradictoires. En l'état, et pour le même cas, l'un des
trois textes requiert six jureurs, les autres cinq.
Mais on peut affirmer a priori une certaine inexactitude dans les
chilfres du chapitre cxxii; car le paragraphe 2 de ce chapitre contient
une énumération préalable du nombre des jureurs où est récapitulé
tout ce qui va suivre. Or cette récapitulation ne correspond pas à ce
qui suit. Voici le texte :
Sciendum est ergo quod hec probabilia quandoque per sacramentum solius pro-
bantis, quandoque per sacramenta duorum, quandoque Irium, quandoque quinque,
quandoque sex, quandoque septem, in curia recipitur laicali.
Nous sommes ainsi avertis que nous allons rencontrer, suivant la
nature des affaires, un, deux, trois, cinq, six ou sept jureurs. Nous
*'' Ittler pares enim et vicinos potest qui- siqaidem est quod probabilia et eciam disraisnia
libet, se tercia manu, facere disraisniam. versas pares per trium personarum sacramenta
(SuMima, chap. lxxxv, S 5.) — Noiandum exhibetur. (Summa, chap. cwii.i ';.)
104 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
trouvons au paragraphe 4 un jureur, au paragraphe 4 fleux jureurs,
aux paragraphes 5 et 7 trois jureurs, aux paragraphes 6 et 7 cinq ju-
reurs, au paragraphe 8 septjureurs. Le nombre 51a; annoncé fait défaut.
Il doit avoir disparu parle fait de quelque copiste. Nous le retrouvons,
en effet, au paragraphe 7 dans un manuscrit français. Dès lors la
difficulté disparaît : le chapitre cxxii,S 7 , ainsi corrigé, est en parfaite
harmonie avec le chapitre lxxxv, S 5''l A la vérité, le chiffre v reparait
au chapitre cxxiii, S 2 , aussi bien dans les manuscrits latins que dans
tous les manuscrits français que nous avons pu consulter. Mais les
chapitres cxxii, S 7 et cxxiii, S 2, traitent la même question : la correc-
tion VI est certaine au chapitre cxxii, S 7 ; personne ne conteste que
ces deux chapitres ne soient dus au même rédacteur : on nous accor-
dera donc que le chiffre vi doit également être substitué à v dans le
chapitre cxxiii, S 2.
Nous nous garderons, par conséquent, d'affirmer que les chapi-
tres LXXXV, S 5, cxxii, S 7, et cxxiii, S 2, n'émanent pas du même auteur.
Une erreur de copiste répétée datis tous les manuscrits doit être la
vraie cause de la divergence matérielle qui subsiste.
En principe, les divergences de ce genre ne nous induiront jamais
facilement à admettre la juxtaposition d œuvres d'auteurs différents. Et
voici pourquoi : lorsque les désaccords portent sur des nombres, il
faut toujours se rappeler que les nombres ont pu être écrits dans les
premiers manuscrits non en lettres, mais en chiffres, et ont pu, par
suite, donner lieu à de faciles confusions. H nous paraît prudent, en
ces rencontres, d'accuser le plus possible les copistes et de supposer
facilement des erreurs de transcription. Aussi bien, certains passages
de la partie incontestée du Grand Coutumiernous font envisager avec
une certaine défaveur l'hypothèse d'un continuateur distinct de
l'auteur primitif. Ainsi le chapitre xci, S 3, incontesté, annonce
'"' On pourrait nous objecter que, si le chiffre vi est rétabli au commeucement du cha-
pitre cxxii , S 7, la fin de ce paragraphe se trouvera en désaccord avec la fin de i,\xxv, S 5 , car on
aura dans lxxxv, S 5, cinq jureurs en un cas où cxxii, S 7, en voudra six :
Versus autcm domini régis servientem quinta Et eciam (c'est-à-ilire il y aura aussi six jareurs)
Nianu débet fieri disraisnia. (l\xxv, S3.} versus omnesjusticiariosprincipis, dum tamciiagant
in querela ad principcm pertinente vel in oITicio de
ducatu. (cxxn, S 7.)
Le désaccord n'est qu'apparent, car r.xxii, S 7, ne vise pas tous les cas, mais certaines
espèces particulières : dum tanen, etc.
I
LES COUÏUMIERS DE NORMANDIE. 105
les matières qui seront traitées aux chapitres cxiii, cxiv etcxv. Le cha-
pitre CXI, S 1 3, incontesté, prévoit, lui aussi, le chapitre cxv'^'. Il nous
faudrait donc de très fortes preuves pour attribuer cette seconde par-
tie à un autre rédacteur que la première. Ces preuves existent-elles .?
Le dernier éditeur a comparé attentivement le texte II au texte I.
Qu a-t-il constaté? Le travail de l'auteur du texte II « a consisté surtout
« dans le remaniement d'un certain nombre de finales dont les termes
M ont été disposés dans un ordre plus conforme aux lois du rythme et
« dans la suppression des mots JSotandam est (jaod ou Sciendiim est (juod,
«en tête de la plupart des phrases '^^. » Ce travail ressemble singu-
lièrement à celui d'un auteur qui se relirait et s'appliquerait à limer,
à perfectionner son œuvre. Il a bien pu, vers le temps où il revisait
son œuvre, la terminer. Ce double travail aurait été accompli peu
après 12 58. Ainsi s'expliquerait que le Grand Coutumier (encore
inachevé) ait pu être utilisé au Parlement de la Saint-Martin de 1-^58,
et que néanmoins il contienne, ce semble, des passages postérieurs
à 1 2 58 , oîi l'auteur s'est inspiré précisément de décisions de ce Parle-
ment.
Les doubles définitions de la « desresne » et du « record « ne con-
stituent, après tout, qu'une imperfection, dont maint auteur est cou-
pable. Et nous ne voyons pas que le caractère assez dogmatique et
scolastique des définitions des chapitres cxxi , S 2 , et cxxiii , S i , répugne
à la manière du jurisconsulte qui a écrit le corps de l'ouvrage. L'œuvre
est-elle, comme on l'a dit, décidément plus faible en ces derniers cha-
pitres? Nous n'en sommes pas convaincus, et même nous ne trouvons
dans ces chapitres rien d'aussi franchement mauvais que ce petit
développement sur l'un des sens du moi jus dans un paragraphe in-
contesté (5) du chapitre i": Jus autem cjuandoque dicitar virtus tribnens
unicuùjue (juod snnm est, et hoc precipue attenditur in curia laicali per
(jUod debent contentiones singule terminari. En quoi, nous le demandons,
la mission de tribuere uniciiiijue cjuod suam est est-elle spéciale aux tri-
bunaux laïques ? Nulle part, dans tout l'ouvrage, l'expression n'a trahi
aussi complètement la pensée de l'auteur. Nous aurons, d'ailleurs, en
analysant le Grand Coutumier, l'occasion de rapprocher deux asser-
''* Cf. Tardif, p. cxvi, cxvii, note i . — '-' Tardif, p. cix, note i . Cette appréciation de M. Tar-
dif est complétée par ce qu'il dit p. clxxiv.
IIIST. LITTÉR. — XXXIII. I 4
106
LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
lions bien différentes relatives au bourgage : l'une au chapitre xxix,
l'autre au chapitre cxxv; et nous montrerons que, suivant toute
vraisemblance, le chapitre cxxv est plus exact sur ce point que le
chapitre xxix.
Les diverses parties du livre se ressemblent tellement, que le der-
nier éditeur, tout en se prononçant pour la pluralité des auteurs, a
pu caractériser en bloc le genre et la manière de ces divers auteurs
supposés, lesquels auraient rencontré une singulière unité de style.
Les termes techniques sont rares : pour éviter le mélange d'expressions
latines et françaises, on donne aux mots français une désinence
latine, en avertissant le lecteur à l'aide du mot vulgariter. M. Tardif
ajoute qu'à l'exemple des dictatores « les auteurs » se préoccupent de
ménager à la lin de chaque phrase ou de chaque membre de phrase
le retour d'un certain nombre de syllabes accentuées de la même
manière. Les lois du rythme ou cursus sont, en effet, suivant ce très
distingué critique, assez exactement observées dans les différentes
parties du Goutumier. Cette recherche du rythme imprime au style
une certaine élégance : les périphrases et les métaphores sont fré-
quentes, ainsi que les inversions (ma/teres (fue nunquamjuerunt jucjo $uh-
dke maritali''^^; — originem duxerit conjugalem^^^; — Ipse tamen essoniatus
post hec omnes suas facere polerit essonias^^^). La réunion de toutes ces
qualités convient beaucoup mieux à un auteur unique qu'à un groupe
d'auteurs. Le savant éditeur croit pourtant apercevoir une différence
de rédaction assez sensible entre le corps de l'ouvrage et les chapi-
'"' Chnp. XIV, De moiu'luijio, S 8.
''' Chap. xxv. De impediinenlis snccessionis ,
$7.
''' Chap. cxxiv, De lerje appareitti, S 7. Nous
résumons ici les observations de M. Tardif,
p. CLXX, CLxxi. Nous ne sommes pas frappés
de certaines incorreclions de style ou nou-
veautés que M. Tardif sis^ale (p. SgS) dans
les derniers cliapitres : il note, entre autres
choses : l'expression incorrecte muvitagium au
lieu de matrimonium [ch. v.\\\ , S 16); le mot
demanda, de formation récente, au lieu de
querimonia (ch. cxx. Sa; ch. r.xxiv, Si3); la
juxtaposition des mots personatiis et dignitas
(ch. r.xxi, S 3). — L'emploi de marilatiiiim au
lieu de malrimoniuin s'explique à merveille dans
un passage où l'aufeur parle à la fois de iiwii-
lai/iuin et de malrimoiniim.Sa plume (ou celle
des copistes) a pu très facilement errer une ou
deux fois. Il a dit aussi demanda au lieu de que-
rimonia; mais si un jurisconsulte est accoutumé
à l'expression iechniqae su perdemanda (ch. xci,
S 3) , qui pourra s'étonner qu'il ait dit une fois
demanda au lieu de qaerimonia ? Personatus est
employé à côté de dignitas dans cette phrase :
omnes persane dirjnhatem seu personatnm ha-
brnles. Qu'y a-t-il là de si nouveau ? Alexan-
dre III n'a-t-il pas dit, dans un texte que tout
canoniste connaissait au moyen âge : Illiid
est omni ralioni contrarium ni anus clericiu in
mm vel diversis ecclesiis pliires dignitates vel per-
sonatus obtineat ( Decretales Greqorii IX, Ilf, v.
De prœbendis el diqniialibus , 1 ."$ ) , et Inno-
cent m : Addenles ut in eadem ercksia nnllus
plurcs dignitates aut personatus habere prœsa-
nuit tibid., a8)?
I
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 107
très cxiii à cxxv. Le style en ces derniers chapitres, écrit-il, «est
M moins précis; les phrases sont longues et surchargées d'inversions;
«on y relève des expressions plus recherchées, et même un essai
(I d'imitation du second prologue. La formule du bref d'establie
« (chap. cxiii, S 2 ) est incomplète, tandis que partout ailleurs les mo-
« dèles de brefs sont reproduits avec exactitude^''». Cette dernière
observation est, à nos yeux, sans portée: en effet, nous relevons dans
un chapitre incontesté, le chapitre lxvii, S i, une formule non plus de
bref, mais de demande en cas de meurtre, qui est altérée, puisque le
style direct à la première personne, qui se trouve partout ailleurs, a été
remplacé par le style indirect à la troisième. Distraction de l'auteur
ou altération du texte par un copiste ! Une distraction ou une alté-
ration analogue suffit à expliquer la coupure faite au bref de stabilia
dans le chapitre cxiii, S 2. Quant aux différences de style, elles ne
nous ont pas frappés. Enfin la parenté de style et de pensée qui existe
entre un passage du second prologue'^' et le commencement du cha-
pitre cxiii ne pourrait-elle pas être invoquée en faveur de l'hypothèse
d'un auteur unique ? On se répète si facilement soi-même ! L'auteur
du Grand Coutumier, en particulier, se répétait souvent.
Nous n'attachons aucune importance à cette circonstance que le
début du chapitre cxiii. De brevi de stabilia, renferme une petite
inexactitude historique : d'après ce texte, les deux reconnaissants
d'establie et de surdemande auraient été créés par le législateur,
tandis qu'en réalité le dernier de ces brefs est plutôt une création de
la jurisprudence. Est-il un auteur, au moyen âge, qui soit à l'abri
d'une incorrection de ce genre ? Rien ne nous autorise à supposer
que le rédacteur principal de la Summa de legibus en était incapable,
alors que l'un des rédacteurs secondaires eût pu s'en rendre cou-
pable.
Certain désaccord relevé'^' entre le chapitre cxi, S 1 3, et le para-
graphe 2 bis du chapitre xxi est, à nos yeux, purement apparent. Le
temps requis pour la prescription en matière de gage semblerait varier
d'un chapitre à l'autre <''' : le délai est de quarante ans d'après le chapitre
Devadiis et emptionibus (xxi, S 2 bis), et seulement de trente ans d'après
le chapitre De brevi de feodo et vadio (cxi, S 1 3). Telle est, du moins,
'■' Tardif, p. (.XIV. W Tardif, p. (aiv.
''' Tardif, p. 2. l«) Tardif, p. <:iv.
i4.
108 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
l'impression que laisse une lecture rapide. Mais, si on examine les textes
attentivement, on s'aperçoit que les trente ans mentionnés au chapitre
CXI, S 1 3, ne sont pas autre chose qu'un souvenir dupasse, et que l'au-
teur ne prétend nullement, en ce passage, enseigner que, de son temps,
le délai de trente ans soit admis pour la prescription. La vérité est qu'il
voudrait voir le législateur adopter ce délai de trente ans; quant au
droit en vigueur, bien loin d'indiquer le délai de trente ans, le juriscon-
sulte rappelle qu'on prend maintenant pour point de départ le cou-
ronnement du roi Piichard ( 1 1 89 ) , et il oublie même d'ajouter, comme
le faisait le chapitre xxi, S 2 bis, qu'à défaut d'un aussi long délai on
se contente d'un délai de quarante ans. Nous ne voyons là qu'une
simple omission, bien excusable si l'on admet que le chapitre xxi,
S '2 bis, a été écrit par le même auteur que le chapitre cxi, S 1 3''l
En résumé, cette question : le Grand Coutumier normand est-il
l'œuvre d'un ou de plusieurs auteurs? à nos yeux reste ouverte.
C'est un problème difficile, que nous ne prétendons pas avoir résolu
définitivement. Mais nous avons voulu faire sentir que, dans l'état
actuel des recherches, il ne serait nullement déraisonnable de s'en
tenir à l'hypothèse d'un auteur unique, tout en admettant, bien
entendu, que certaines additions de médiocre importance ont pu,
comme il arrive si souvent, se greffer çà et là sur l'œuvre primitive.
L'auteur lui-même semble, d'ailleurs, à la fin des prologues, inviter
ses lecteurs à ce travail de collaboration posthume : Sed cum in hnmanis
stiuliis ex omni parte perjectam nihil valeat inveniri, ab hoc opnscuhim
inspicientibus sit petitum, ut quod in eo viderint corngendum corrigentes,
addentes diminiita, saperjlna resecantes, mihi siibsidinm dignentur aliquod
impartiri'^^K En dépit de cette autorisation donnée aux lecteurs par
l'auteur même du Grand Coutumier, nous serions plus circonspects
que le dernier éditeur en ce qui touche certaines éliminations.
M. Tardif écarte notamment cinq passages qui figurent dans tous les
manuscrits; ce que nous n'oserions jamais faire. Voici les raisons de
ces exclusions :
''' Le paragraphe a bis du chapitre xxi est paragraphe a bis. en sorte que l'hypothèse d'un
rejeté par le dernier éditeur comme étranger Ijourdon qui se serait répété dans des faniilles
.i l'o-uvre primitive. Il manque dans plusieurs différentes nous semble .^ la rigueur admissible;
manuscrits qui n'appartiennent pas à la même voici les deux finales : (S a)« . . in siii nctorcm
famille; mais il y a quelque analogie maté- retorqiieri;($ a his) in tractntu querp/nniHi.
rielle entre la fin du paragraphe a et la fin du ''' Kdit. Tardif, p. 3.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 109
« L'un des passages (chap. xiv, De monetagio, S 5 bis) contient une
« citation de l'Écriture sainte et une allusion à l'incapacité de la femme
« mariée, qui est hors de propos dans la matière du fouage et lait
« double emploi avec une disposition du chapitre De brevi marUagii
« impedid (c, S 2) . 11 en est de même du passage : Ex lus palet cjiiod auxiliiim
« milicie. . . dans le chapitre De capitalibus auxiliis (xxxiii, S 2 èis), qui
« n'est que la répétition de ce qui a été dit quelques lignes auparavant
« sur l'aide de chevalerie. Le chapitre De exciisatione per prisoniam
« (xLVii, S 2 bis] se termine encore par un renvoi à une ordonnance de
« saint Louis rapportée plus haut dans le chapitre De justicialione
« (vi, S 7); cette phrase ne fait pas corps avec le reste du chapitre et
« semble avoir été aussi ajoutée après coup. Enfin le chapitre De defectu
uijueruli (xcvi) finit par un paragraphe rappelant que le recours en
«garantie n'est pas admis dans la nouvelle dessaisine; or le chapitre
« précédent prononce déjà l'exclusion de la garantie (xcv, S 6). Ce pa-
« ragraphe ne se rattache, d'ailleurs, par aucun lien logique au reste
M du chapitre xcvi, puisqu'il y est question du défaut du demandeur
« et que l'exception de garantie ne peut intéresser que le défen-
« deur^''. »
Les répétitions sont trop nombreuses dans le Grand Goutumier
]iour qu'il y ait lieu de suspecter de ce chef certains passages, alors
que nombre d'autres passages qui font également double emploi
ne sont pas écartés et ne peuvent l'être. Quant aux critiques d'un
autre ordre, elles ne nous paraissent pas non plus suffisantes
pour rejeter l'autorité unanime des manuscrits. Combien d'auteurs,
se soumettant d'aventure eux-mêmes à une revision minutieuse,
seraient conduits, par l'application d'une critique aussi sévère, à con-
sidérer divers passages de leur œuvre comme autant d'interpolations,
au lieu de s'avouer coupables de quelques négligences ou imper-
fections ou même de constater simplement certaines particularités de
leur travail !
Nous maintiendrions aussi dans une édition critique un bon
nombre de fragments rejetés par le dernier éditeur, fragments qui
manquent dans de bons manuscrits, mais qui s'harmonisent avec le
contexte et dont l'omission nous paraît tout simplement le résultat de
'"' Tardif, p. cxx, cxxi.
110 LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
bourdons proprement dits ou de la r^-pétition de mots à peu près
semblables. Nous reproduisons ci-après, munis du bis par lequel le
dernier éditeur les signale comme interpolés, quelques-uns de ces
passages, et nous les faisons précéder du texte incontesté auquel ils
font suite. Les mots qui ont pu donner lieu au bourdon sont imprimés
en italiques :
Ghap. XXV, $ 2. «Quos enim judex ecclesiasticus pro legitimis reputat et laicus
« legilimos reputabit. « — 2 bis. « Item procreati ante matrimonium , inatrimonio sub-
« sequente , pro legitimis reputantur. »
Le paragraphe 2 bis manque dans G*, D^, G, O. Il figure dans tous les autres
manuscrits latins et dans tous les manuscrits français que nous avons examinés à ce
point de vue '''.
Ghap. XLii, S 3. 0 ... De quibus plenius tractabitur in sequenti. » — $ 3 bis. « Gum
n de brevi antecessoris usus et consuetudines exequemw. »
Le paragraphe 3 bis ne manque que dans D'.Il figure dans tous les autres manu-
scrits latins et dans les manuscrits français que nous avons consultés *'.
Ghap. Lix, S 1 2. «... Et laies [plegii] in simplici querela, cum hujusmodi debi-
« tum ab ipsis contractutn non fuerit, non poterunt disraisniare. » — S 12 bis. « Nullus
« enim aiienum factum potest disraisniare. »
Le paragraphe 1 a bis manque dans D' et G. Il figure dans tous les autres manu
scrits latins et dans les manuscrits français que nous avons interrogés '*'.
Ghap. Lxviii, $ a. Il . . . Inimici eorum vel amici spéciales et notorii, consanguinei
« utriusque partis, dum tamen suspectio certa amoris specialis favore habiti, vel
«aflînitatis, vel odii, de ipsis certis rationibus possit pretendi, ad jurandam recipi
« non debent. « — Sa bis. « lUi eciam qui in causa consimili sunt adjaramcntum recipi
'< non debent. »
Le paragraphe a bis mancpie dans B', G*, D', D^, O, V et dans les manuscrits
français (]ue nous avons consultés '*' ; mais le bourdon paraît d'autant plus vraisem-
blable ici que le mouvement des phrases suivantes s'harmonise mieux avec la phrase
un eciam.. . recipi non debent qu'avec la précédente; le texte continue ainsi : . . . vel
qui sunt qaerele participes; et illi eciam per qaos querela movetur et defenditur, etc.
Ghap. Lxxxv, S 1 1 . « De emenda autem domini in cujus caria bec aguntur, in
« hujusmodi sequelis sciendum est quod xvin soUdos potest habere de emenda. » —
S 1 I bis. « Princeps vero si in ejas curia hajasmodi querela duceretur xxxvi solidos
« potest levare de emenda. »
Le paragraphe 1 1 bis manque dans G*, D', D^, G . 0, V, ainsi que dans les manu
''' (]e passage ligure, mais un peu plus ''' Ms. fr. b^bS, fol. lxii v"; m$. fr. 5961,
haut, dans les rass. fr. SgGi, (ol. 16 r°; ôgSS, fol. 3o r°; ms. fr. 6960, fol. 5o r°.
fol. XXXIV v"; 0960, fol. 33 v°. "' Sainte-Geneviève, i-ji^, p. 101; Bibl.
''' Manuscrit français Ô960, fol. 44 r"; nat., ms. fr. 53^5, fol. li3 v°; ms. fr. 6963,
manuscrit français 5961 ; fol. a4 r°; manuscrit fol. 47 r°; ms. fr. 3961, fol. 34 V; ms. fr.
français 5968, fol. u r*. i455o, fol. 93 r*.
LES COUTUMIERS DE NOR]VI\NDIE.
111
scrits français que nous avons consultés'". Mais les nombreuses répétitions de
mots que présente ce passage rendent tout à fait vraisemblable l'hypothèse d'un
bourdon.
Le Grand Coutumier a été mis en vers octosyllabiques *^' par un
personnage qui s'est ainsi désigné dans l'épilogue :
Qui mon nom veult appercevoir
Par aguille et par me voir
Le sara, et le sournoni sache
S'il y met C. A. V. P. H. (".
Celte énigme se déchiffre facilement. Le quatrième vers nous livre
le nom de famille [sournom] : Chapu, formé des cinq lettres CAVPH,
et le second le nom de baptême (nom) : Guilleame, où se retrouvent
les deux éléments agnille et me.
C'est donc un Guillaume Chapu '''^ qui a versifié notre Grand Cou-
tumier. Malheureusement nous ne savons rien de plus sur ce per-
sonnage. Il écrivait, autant qu'on en peut juger par sa langue et ses
habitudes de versification, au xiii* ou au xiv* siècle.
La critique s'est longtemps embarrassée d'un nom, mal lu d'ailleurs,
mais qui ne rentre nullement, de quelque manière qu'on le déchiffre,
dans les données indiquées ci-dessus. Ce nom, qu'on a lu tantôt Richard
Dennebault , tantôt Richard Donrhault, et qui serait plutôt Richard
Donehaiill^^\ nous est fourni par l'épilogue en vers d'un manuscrit
qu'avaient connu autrefois Froland et Hoûard et qui est aujourd'hui
'"' Bibl.Sainte-Geneviève, ms. i743,p. 119;
Bibl. nat., ms. franc. 6963, fol. 55 r°; ras.
franc. 6960, foi. 64 r"; ms. franc. 5958,
foi. liii"vi r°.
'*' Voici l'indication des textes de cette ver-
sion. Mss. : Bibl. de l'Arsenal 2467, fol. aS-gC ;
Bibl. nat. : fr. 533o , fol. 2 r° et suiv. ; fr. 5335 ,
fol. 1 r° et suiv.; fr. i4548, foi. 22 r° et suiv.;
fr. 5962 , fol. 6 v" et suiv. ; Musée Brit. , Harl.
4477, fol. 4-69; Harl. 4i48, fol. i-24o.
Imprimé dans Hoûard, Dictionnaire de la
Contamc de Normandie, t. IV, Rouen, 1782,
Supplément, p. 49-1 58.
''' Voir notamment ms. fr. 1 4 5 48 , fol. 3o i r".
'*' Voir Gaston Paris, La littérature fran-
çaise au moyen âge, 2* édit., 1890, p. i48,
S 102. On avait précédemment pris tout sim-
plement CAVPH pour le nom même du
traducteur, qui se serait appelé Cauph, nom
invraisemblable.
'*' Le manuscrit permettrait matériellement
la lecture improbable de Doarbaalt aussi bien
que Donebaalt. Des critiques , guidés sans doute
par l'existence d'une famille de ce nom , ont
admis d'Anebault : ce serait une correction au
manuscrit. — Aucun nom propre dans l'édition
incunable de cette traduction en vers des Insti-
tutes.
112 LES COUTCMIERS DE NORMANDIE.
conservé au Musée Britannique (Harl. 4477)- Cet épilogue est ainsi
conçu :
Mil ans ce iiii fois vint
Après ce que Jhesu Crist vint
En terre pour humain linage, •
Pour rendre nous nostre héritage,
C'est le règne de Paradis
Que Adam nous tolly jadis
Qui de mauvois venin ert y vre ,
Mist Richard Donebault (?) cest livre
En romans au mieux que il sault"'.
Mais ces vers n'ont, en réalité, rien de commun avec le Grand
Coutumier versifié. Ils figurent dans le ms. Harl. 4477 ^ la suite, non
pas du Grand Coutumier, mais des Institutes de Justinien mises égale-
ment en vers. Le manuscrit en question contient : i° le Grand Cou-
tumier en vers; 2° les Institutes de Justinien en vers, et à la suite
des Institutes cet explicit :
Institutes rymees cy
Sont acomplies, Dieux mercy !
Puis l'épilogue ci-dessus reproduit. Rien ne nous autorise à réunir
en un seul personnage Richard Donebault et Guillaume Chapu. Ce
sont deux versificateurs distincts, comme l'a bien vu l'abbé De la
Rue'^'. L'un a versifié le Grand Coutumier; l'autre a mis en vers les
Institutes de Justinien.
Notre Guillaume Chapu assure qu'il a travaillé sur le texte latin du
Grand Coutumier :
Et je, qui me sui entremis
D'avoir cest livre en rime mis,
Segon le latin l'ai estrait
A mon pouoir, sans nialvais trait '•'''.
'"' Ms. Hari. 4/177, f"'- ^'"^ '"' '^^- • (com- le compte rendu par Dupuy du tome IV du Dic-
munication de M. Salmon). tioiinaire de la coutume de Normandie de Hoûard ,
'"' Essai historique sur les bardes , les jongleurs Rouen, 1782, dans Journal des Savants , 1785,
et les trouvères normands et anglo- normands, p. 85-86.
t. in, Caen, i834, p. i85, 186, 219-234. Cf. « Ms. fr. i4548, fol. 3oo v'.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 113
Celte assertion « segon le latin l'ai estrait » est parfaitement exacte.
La comparaison du texte versifié et des textes latin et français ne
laisse à cet égard aucun doute. En effet, plusieurs passages du texte
qui figurent dans des manuscrits latins et qui manquent dans
tous les manuscrits français sont représentés dans le texte en vers.
Nous citerons : au chapitre vu, De Uberatione namnorum, le para-
graphe 11 bis; au chapitre x, De consiietndine , le paragraphe 3 bis;
au chapitre xviii. De rébus vaivis, le paragraphe 3 bis; au chapitre xix,
De usiiris, le paragraphe 6 bis; au chapitre xx. De sese liomicidis,
le paragraphe 2 bis; au chapitre xxii. De forisfacturis, le para-
graphe 8; tout le chapitre xxii bis, De exercitu; au chapitre Lxvii, De
mnltro, S i5 in fine, la phrase : Et si alujai eorum eluceat
irujuisite.
Nous n'aborderons pas certaines comparaisons de textes, qui nous
ont laissé la même impression. Ces comparaisons seraient parfois
assez difficiles à établir très sûrement, car le texte versifié qui nous
occupe a été remanié et se présente selon les manuscrits sous des
formes assez différentes.
^ Guillaume Ghapu n'a pas évité tout contresens l^malvais trait). Sa
traduction, sans être mauvaise en son ensemble, est loin d'être irré-
prochable. Nous aurons lieu de signaler, en analysant le Grand Gou-
tumier, une traduction défectueuse du mot desperati, au chapitre xx.
De sese homicidis, S 2.
Le versificateur a eu sous les yeux un texte qui contenait le cha-
pitre IV bis, De ojficio senescalli, en déficit, comme on sait, dans
beaucoup de manuscrits.
On constate, en comparant avec le latin les derniers chapitres du
texte versifié, que l'exemplaire suivi par Ghapu était très voisin du
ms. lat. B'^ En effet, certaines phrases ajoutées dans B^ au texte
du chapitre cxxi figurent dans le texte versifié. Mais fanalogie avecB^
n'est pas constante dans l'ensemble de l'œuvre.
Le texte versifié a été imprimé par Hoûard d'après un manuscrit
qui appartient aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Arsenal, où il est
coté sous le n° 2467. Le texte de ce manuscrit est incomplet au
commencement et à la fin. Guillaume Ghapu entrait en matière par
une invocation à la Trinité, qui manque tout entière dans f im-
primé.
UIST. LITTÉR. WMII. 1 .1
114 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
En voici le début :
De par la Trinité , amen ,
P^ais t si que je puisse a m en
Gré parfaire ce que je pense
Et que je puisse avoir en , se
Je le parfais, le gré du monde!
Mais a grant peine peut on de
Tout le commun gré recevoir ;
Car, quant aucun prononce voir,
L'un dit : « C'est bien »; l'autre s'en moque.
Mais pour ce ja ne diray ho que
Ne face ce que j'ay enpris ,
Qui que s'en moque ou l'ait en pris.
Si veul le françois mestre en rime
Du latin du livre qui me
Semble bon , et que l'on papelle
I^e Coustumier normant, que le
Commun de tous les advocas
De la court loye, quant au cas
De leurs querelles adrechier,
Doyvent avoir et prendre chier.
Et pour ce , au commencement ,
Requier le vjai Dieu qui ne ment
Qu'otroier me veulle la grâce /
Du Saint Esperit, si qu'a ce
Puisse accomplir a sa loenge
Et preu de tous; a ce tent je'".
A la suite du rébus sur le nom de l'auteur, nous relevons cette jus-
tification intéressante de l'œuvre :
Les causes du rimer sont tels
Du livre : c'est afin que les
Advocas qui sont et seront,
Qui volentc de savoir ont
Par ce le livre et qu'il en tient,
l/en sachent plus tout ; car on tient
Que plus est bon h concevoir
Franchois rimé que prose, voir.
<" Bibl. not.. ms. fr. 145/18, loi. it r°; ins. fr. 5,"î3o, fol. -i r\
i
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 115
Nous ne prolongerons pas ces citations, déjà très étendues. Ce qui
les justifiera peut-être aux yeux du lecteur, c'est que ce prologue,
3ui compte en tout trente-quatre vers, est, avec le rébus sur le nom
e l'auteur, la seule partie originale de l'œuvre.
Entre la mise en vers du morceau initial Cum nostra sit inleiitio et
celle du prologue Cam inejff'renate se trouvent, toujours en vers, l'indi-
cation du nombre des chapitres et, encore en vers, la table de
l'ouvrage, qui figure, en effet, à cette place dans beaucoup de manu-
scrits latins. L'indication du nombre des chapitres est probablement
empruntée elle-même à quelque manuscrit latin qui l'avait placée en
tête de la table.
Tout ce début du Coutumier versifié manque dans le manuscrit de
l'Arsenal 2^67 et, par suite, dans l'édition de Hoûard. Le manuscrit et
l'édition commencent avec la traduction en vers du chapitre i. De jure.
Le texte imprimé par Hoûard, ainsi tronqué au commencement, est
incomplet aussi vers la fin : il offre une grande lacune depuis le para-
graphe 16 du chapitre cxxi, Recordamcntam de maritagio, jusqu'au
chapitre cxxiv inclusivement; mais il suffit de se reporter à la table
versifiée pour constater que cette partie de l'œuvre avait été également
mise en vers. Les manuscrits que nous avons pu consulter contien-
nent, en effet, ces parties omises dans le manuscrit de l'Arsenal.
Nous n'insisterons pas davantage sur cette œuvre secondaire, où
l'auteur a fait preuve d'une certaine souplesse de plume, que nous
n'oserions appeler du talent. Elle n'est pas d'une utilité très fi:*équente
pour l'interprétation du Coutumier, mais elle ne saurait être tout à
fait négligée.
Le Grand Coutumier est divisé en deux parties : la première partie
en cinq distinctions; ces distinctions, à leur tour, sont subdivisées en
chapitres ; la seconde partie est divisée simplement en chapitres. L'en-
semble des chapitres a reçu un numérotage unique, ce qui permet de
négliger parties et distinctions dans les citations du Grand Coutumier.
Le plan général de l'auteur se dégage facilement. Ce plan est excel-
lent, parce qu'il est très simple; mais l'auteur n'en a pas toujours
respecté toutes les lignes.
Nous reconnaissons quatre grandes divisions :
Le jurisconsulte expose, en commençant, quelques notions gêné-
116 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
raies sur le droit et la justice, sur les lonctions du bailli, de l'ancien
sénéchal, du vicomte; c'est l'objet des chapitres i à x (i" distinction).
Il s'occupe ensuite du duc de Normandie et des divers droits qui lui
compétent; c'est l'objet des chapitres xi à xxii bis (2' distinction). Les
chapitres xxiii à xxxv (3" distinction) sont consacrés à quelques ma-
tières juridiques (succession, droit d'aînesse, tenures, hommages)
3ue l'auteur traite directement, en les dégageant du formalisme et
e la procédure. Cette partie de l'œuvre est trop brève : l'auteur a
rejeté dans les chapitres suivants bien des notions de droit pur qui
eussent dû prendre place dans cette troisième distinction. Tout le
reste de l'ouvrage (chap. xxxvi à cxxv) est réservé à la procédure,
aux questions de compétence, à l'organisation judiciaire. Il y règne
un certain désordre, bien difficile à éviter dans une matière aussi
complexe.
L'œuvre proprement dite est précédée de deux prologues. Dans le
premier, l'auteur s'est expliqué lui-même sur les divisions adoptées.
Il semble considérer les chapitres lxvi à cxxv comme consacrés à la
procédure, les chapitres xxxvi à lxv étant plutôt, à ses yeux, une
sorte d'introduction à la procédure proprement dite'"'. Nous grou-
f)ons avec intention ces deux séries de chapitres : les citations et
es excuses, l'organisation judiciaire, le cri de haro, les recognitiones ,
sont réunis, dans notre pensée, sous cette rubrique commune: pro-
cédure.
Nous passerons rapidement en revue les quatre grandes divisions
qui viennent d'être établies.
L'auteur débute par quelques définitions (chap. i à m). Les mots
jus, jnrisdictio , jiistitia , sont successivement abordés. Nous avons déjà
signalé (p. 81 ) la division en jus naturale eijus positivum, la définition
de \a.justitia [virtus juris operativa^^ division et définition qui révèlent
chez le jurisconsulte une certaine préparation scolastique. Après avoir
inscrit au frontispice de son livre la grande division du droit en
droit naturel et en droit positif, l'auteur s'applique à déterminer
divers sens du mot jus. Il s'est, ce semble, inspiré ici d'Azo, qui, lui
''' C'est ainsi que nous comprenons ce pas- deductioiiein prvumbuUi qncrchirtim ; in seciinii<i
sage du premier ])rologuc : ]*reseiis itaqiie vero parle traclaiitur usas et insliluta sive ler/rs ,
npiis lit diias partes divitlitiir, in qnariim prima per que qurrele terminantar. [Tariiil' , Jm Sumnw
jar» tractantur et alia in jure necestaria ad de legibiis Normannie , f. i.)
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 117
aussi, ouvre sa Somme des Institutes'"' en passant en revue les di-
verses acceptions du mot jns. Ce premier chapitre est certainement
un des moins originaux du livre, et il n'en pouvait être autrement
Nous remarquons ici que la définition essentiellement classique de la
justilia (appliquée par notre auteur à y ha) est considérée, au contraire,
comme se référant à une valeur accidentelle de ce mot. Le passage
est étrange : Jus aiitem (inandocjue dicitiir virtus tribnens uniciiujiie (juad
siiiim est, et hoc prerijnie attenditar in curia laicali per (luod debent conten-
tinnes singule terminari. Ainsi la définition, pour ainsi dire technique *^^
de lajustitia nous est présentée sous cette forme inattendue: (iuando(jue
diritar Ce trait nous révèle un auteur qui ne s'est pas formé
exclusivement (]ans les écoles de droit. En commençant cette étude,
nous soupçonnions un scolastique. Nous sommes maintenant induits
à penser qu'en effet l'éducation première de l'auteur n'a pas été celle
du juriste. Cependant, que signifie cette ohservation singulière : et
hoc précipite attenditar in cnria laicali per (jnod debent contentiones simjuie
terminari? Rédaction déplorable, nous l'avons déjà fait remarquer,
car il semblerait que \ejus est moinsvirtas tribuens unicuicjue (juod suum
est dans les cours de chrétienté que dans les cours laïques. Nous sup-
posons que notre auteur a très mal rendu sa pensée et qu'il a tout
simplement voulu faire entendre qu'il empruntait cette définition
aux textes de droit civil.
Les divers sens du mot justitia sont passés en revue au chapitre m,
comme ceux du mot jus au chapitre i". L'auteur prend soin, notam-
ment, de signaler un sens du mot justitia (ou du français «justice »)
qui a subsisté dans la langue anglaise : justitia ou «justice » peut dési-
gner non seulement la justice, mais aussi la personne qui exerce la
justice: Dicitur etiam justitia ballivas vel cjuilibet sabjnstitiarius (fuijttsti-
tiandi homines habeat potestatem , secundum (juad dicitur : <i Justitia domini
refjis tenet «assisiam in hac villa. » (Chap. m, S 4-)
H est bien clair que l'auteur n'avait pas sous les yeux, en rédigeant
ces chapitres i et m, les textes de droit romain d'où dérive sa défi-
nition du jus, car ces textes, nous l'avons déjà fait remarquer, ap-
pliquent k justitia ce que notre auteur dit de jus,
*'' Azo, Snmma inslitntionum , J, S i. De '*' Justitia est constans et perpétua voluiilas jus
jttilitia et jarc, édition de Lyon, l5i/i. suum calque tribuendi (Institutes de .Iiisti-
fol. ccLxix. nien, I, De justitia et jure, procBinium).
118 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Au chapitre ii, consacré au mot jurlsdictio, nous relevons une expli-
cation rapide de l'expression assez rare commissoriajurisdictio : Commis-
soria vero jurisdicdo est illa cjue alicui committitur a principe tel a domino
ad (juos diynoscitur pertinere, ut est illa que alicui batlivo committitur, vel
senescallo seupreposito, et hujusmodi. Cet emprunt aux doctrines et à la
langue du droit canonique''' aurait pu être justifié d'une manière
plus heureuse.
Avant même d'achever la lecture de ce premier groupe de cha-
pitres, le lecteur constate très vite que l'auteur, entraîné par son
sujet, sollicité par les souvenirs très précis qui encombrent sa mé-
moire, ne réussit pas à se cantonner sur le terrain des généralités
3 ui devaient servir d'introduction à son livre. Non seulement il aborde
es matières très spéciales (office du vicomte, chap. v; composition
de la cour, chap. ix, S 2 , etc.) , qui seraient mieux placées dans l'orga-
nisation judiciaire et la procédure, mais, après avoir exposé quelques
notions intéressantes sur la coutume et l'usage comparés à la loi, il
nous apprendra , assez mal à propos, que le douaire de la femme nor-
mande est du tiers des biens du mari, et qu'en cas de contestation sur
les biens possédés par le mari pendant le mariage on aura recours à
la procédure d'enquête.
Les définitions de la loi, de la coutume et de l'usage méritent d'être
relevées :
Consuetudines . . . surit mores ab antiquitate habiti , a principibus approbati et a
populo conservati , quid, cujus sit, vel ad quem pertineat limitantes. Leges autem sunt
iiistitutiones a principibus l'acte et a populo in provincia conservate, percpias conten-
tiones singule deciduntur. . . Lsus autem circa leges attenduntur ; sunt enim usus
modi quibus legibus utidebemus. . . (Chap. x, De consuetudine.)
L'autorité accordée à la coutume est très restreinte, puisqu'elle doit
être a principibus approbata. La définition de la loi, institutiones a princi-
pibus fade et a populo in provincia conservate, soulève une difficulté.
L'auteur, dans le second prologue, a donné de la loi une notion plus
étendue, qui doit être rapprochée de cette définition et servir à la
compléter : d'après ce prologue , ce n'est pas le prince seul qui fait
'■' Preterea taper hoc qaod nos comulere volaisti, utrum lici-at judiri delegalo non ordiiuirio
■sine literis commissoriis cogère contumacem (Décret. Grey. IX, I, xxix De ojjicio et pot. Jud.
deUg-.'j).
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 119
la loi ; il lui faut encore le conseil et l'assentiment des grands et des
prud'hommes :
Quoniam ergo leges et instituta , que Normannorum principes , non sine magna pro-
visionis industria, prelatoruni, comitum et baronum necnon et ceterorum virorum
prudentium ronsilio et consensu, ad salutem humani generis statuerunt. . .
Cette notion de la loi ou de l'ordonnance princière ou royale est
conforme à l'usage encore subsistant dans la première moitié du
XIII* siècle. Au milieu du xiii* siècle, au temps où écrit notre juris-
consulte, elle est déjà affaiblie; le rôle des grands tend à s'elïacer.
Concilierons-nous ces deux passages en disant que, dans le prologue,
le jurisconsulte parle en historien et nous apprend ce qui s'est pra-
tiqué autrefois (^statuerunt), tandis qu'au chapitre x il s'occupe de
l'usage étabU de son temps? Il aurait, en ce dernier passage, volon-
tairement négligé le rôle des grands, devenu bien moins régulier
et bien moins constant. Ce serait lui prêter gratuitement un effort
d'attention et de réflexion qu'il n'a probablement pas apporté à cette
question. Aussi bien la théorie maintenait, au xiii* siècle, le rôle
des grands dans la confection de la loi. Tel est le sens que nous at-
tribuons à cette formule de la chancellerie royale : de assensn prelato-
rum et baromim^^h Nous dirons tout simplement que notre auteur a
été plus laconique dans le chapitre x que dans le second prologue;
l'ouvrage présente d'autres exemples de ces légères divergences de
forme.
L'auteur du Grand Coutumier normand n'est pas le seul qui ait
essayé de distinguer l'usage et la coutume. Ces essais de distinction ont
pour point de départ le besoin de trouver un sens différent à des
mots différents. A vrai dire, notre auteur n'arrive pas à résoudre la
difficulté. Usus et consnetado ne font que s'embrouiller sous sa plume.
Jean Faber, dans la première moitié du xiv* siècle , dira beaucoup
plus heureusement : L'usage diffère de la coutume comme la cause
de l'effet : Differl tamjuam causa ah effectu; (juia consuetudo per usumfre-
quentem inducitur, et usus dicit factum, consuetudo jus; sed (juandoque usus
large sumitur secundum consuetadinem^'^K Ligier, au xv" siècle, dira de
même : « Usaige est ung fait du quiel est causée coustume par taisible
''' Cf. Paul Viollet, Droit public, t. II, p. igS. — '"' Jean Faber, sur le Code de Justinien.VIII,
édit. Galiot du Pré, Paris, 1545 , foi. cccxl v"- cccxli r°.
120 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
«consentement de peuple. Coustume et usaige difl'erent; car cous-
« tunie est droit, mais usaige est fait '"'. »
Les appréciations de notre jurisconsulte sur le jugement (judi-
ciiim) révèlent un esprit autoritaire et seraient fort bien placées dans
la bouche d'un homme exerçant, en effet, l'autorité. Nous doutons
fort qu'elles aient été unanimement acceptées. Le jugement sera
prononcé, s'il se peut, à l'unanimité des voix. S'il y a désaccord
entre les jugeurs [judiciani), on s'en tiendra à l'opinion des plus nom-
breux et des plus sages : (juodaplunhus et discretioribusjudicatum faerit
ohservetar. Ceci est une simple variante de la formule élastique mujor
et sanior pars, courante au moyen âge. Mais notre auteur ne s'en tient
pas à cette notion louche : la « majeure et plus saine partie ». Il entre
franchement dans le vif de la dilïlcullé : si les plus gros personnages
d'entre les jugeurs [majores) et les plus sa^es [discretiores) — ces deux
qualités, naturellement, se confondent — forment la minorité, que
fera-t-on?On ajournera faifaire à une autre session, ou on la renverra
à l'Échiquier : Si vem discretiores veî majores pauciores fuerint, ad alUis
assisias judiciuni prorogelur vel adScacarium, si necesse fuerd. Cela revient
à dire, en bon français, que le président du tribunal (jusliciarius) n'est
pas tenu de ratifier l'opinion de la majorité. Sans doute, il ne peut
pas faire simplement prévaloir la sienne; mais il est libre, si bon lui
semble, de renvoyer l'aflaire à une autre session ou devant une autre
juridiction.
Sous la rubrique : De banno et defensione (chap. Vin), notre auteur
relate quelques usages qui sont, à notre sens, d'un grand intérêt pour
l'histoire des origines de la propriété. Les terres sont, suivant la saison
et suivant les cultures, en défens ou communes. Les terres en dé-
fens toute l'année sont celles dont les cultures sont considérées comme
pouvant être facilement détériorées par le bétail. Les autres terres,
que le jurisconsulte appelle vacae, sont communes, sauf depuis la mi-
mars jusqu'à la Sainte-Croix de septembre, à moins pourtant qu'elles
ne soient closes ou qu'elles ne soient en défens de temps immémorial.
Tant que les terres sont communes, le bétail (sauf les chèvres et
autres animaux qui feraient du dégât) y peut paître librement, sans
gardien. Ainsi le droit de vaine pâture est le droit commun pour une
''' Ligier, nrt. laoo, iai3, dans Benutemps- Beaupré, Coaliimes et insliluUons de l'Anjou il
du Maine, i" partie, t. II, p. /|54, /iSG. Rapprocher Digeste, 1, m, S 3a (Julien).
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 121
vaste catégorie de terres. Cette vaine pâture n'existe cependant, la
plupart du temps, qu'au profit d'un groupe déterminé d'habitants;
c'est une observation que le jurisconsulte n'a pas pris la peine de*
formuler.
Nous arrivons aux chapitres consacrés au duc de Normandie et à
ses droits (chap. xi à xxii bis). Nous avons déjà signalé comme carac-
téristique cette affectation singulière qui consiste à envisager, avec
une sorte d'entêtement patriotique, un duc de Normandie qui n'existe
plus et qui s'est fondu dans le roi de France ; dès la première
ligne du chapitre consacré au duc (chap. xi), l'auteur rappelle cette
situation connue de tous : (luam sibi diqnitatem retinet do/nmns rex
Francie, cum ceteris honoribus ad (jaos provectas est, ipsum Domino pro-
movente.
Le duc n'a en Normandie que des vassaux liges. Le jurisconsulte
considère même tous les habitants de la 'Normandie, quels qu'ils
soient, comme vassaux liges du duc : Liganciam autem sive legalitatem
de omnibus hominibus suis tocius provincie débet habere dux Normannie
(chap. XII, Si). Quant aux fonctions ou devoirs du duc et à ses
droits, en voici un rapide exposé. Par l'intermédiaire de ses offi-
ciers {justiciarii'j , le duc doit faire régner la paix et le bon ordre dans
toute la Norman(he : ces agents ont mission d'arrêter et de mettre
en prison tous les malfaiteurs, donec suorum perceperint stipendia de-
lictorum. Les vieux principes de la procédure criminelle ne laissent
pas d'apporter au résultat final, c'est-à-dire à la condamnation du
coupable, quelque gène et quelque embarras. Nous verrons, en trai-
tant de la procédure, comment en pratique on sortait de cette diffi-
culté.
Les droits du duc sont ensuite passés en revue : monetagium; droits
sur les poids et mesures; veriscuni, droit de bris; droits sur les tré-
sors; droits sur les choses sans maître et sur les biens des suicidés;
confiscations diverses. La seconde distinction se termine par un
chapitre sur l'ost (chap. xx!!*"'. De exercitu).
Le monetagium n'est pas, en pratique, autre chose qu'une taille
triennale. Cette taille ou fouage porte le nom de monetagium, parce
qu'elle a été autrefois établie, écrit notre jurisconsulte, en compensa-
tion de l'abandon par le duc de son droit d'altérer la monnaie : Mone-
tagium est (juoddam auxilium pecunialc in tercio anno duci Normannie per-
HIST. LITT.
122 LES GOUTUMIERS DE NORMANDIE.
solvendnm, ne species monetarum m Normannia discurrencinm in alias
faciat permntari^^\ Coutume versifiée :
Moniage est une aydie
Payée au duc de Normendie
De pecune a la tierce année ,
Que monnoye ne soit muée '^'.
Cette assertion du jurisconsulte mérite créance à nos yeux. De
bonne heure, en effet, et bien longtemps avant que les théoriciens
aient formulé la doctrine de fimmutabilité de la monnaie, nous
voyons les populations s'efforcer d'obtenir cette stabilité indispensable
aux affaires. En 1 1 1 1 , les habitants de Spire obtiennent de fempe-
reur Henri V une promesse de ce genre '^'; en 1127, ceux de
Saint-Omer arrachent la même promesse au comte de Flandre'*'; en
iiSy, ceux d'Etampes et d'Orléans l'arrachent au roi de France'*^.
Les Orléanais obtinrent fimmutabilité de la monnaie tout juste aux
mêmes conditions que les Normands : en effet , à la fin du xii* siècle,
le roi cueillait en Orléanais une taille triennale pro stabilitate monete.
Nous possédons pour ces divers pays facte même par lequel le roi
ou le prince s'engage à ne pas altérer les monnaies. Cet acte ne nous
est pas parvenu pour la Normandie; mais la similitude des situations
rend tout à lait vraisemblable f assertion du jurisconsulte, assertion
formulée avant lui dans un document qu'il a eu évidemment sous les
yeux''').
Ces arrangements des princes avec leurs sujets supposent des
réunions d'affaires assez analogues aux assemblées qui prirent plus
tard le nom d'« États généraux » ou « États provinciaux. » M. Coville a
dressé pour la Normandie une liste de ces assemblées qui remonte à
l'année 927^''.
'^ Summa de legibas Normannie, édiLtariU, lippe Auguste , 1 187 (?), dans L. Delisle, Cate-
chap. XIV (p. 4o). loque des actes de Philippe Auguste , p. 498-
'*' Edit. Hoûard, chap. xix. ^99, n* aoi ; acte de 1 183, dans Ord., t. XI,
''' Cf. Inama-Stemegg, Deii/»cAe Wir<îc/i«/ys- p. 337.
(jeschichte, p. 4 16. '') Scripliim de foagio (souvent publie, no-
'*' Giry, Histoire de la ville de Saint-Omer, tatnnient dans Brussel, Usage des fief t, t. I,
a* partie, p. 373, n" 3. p. a 13).
'' Ordomumces , i. W , p. 188-189. ^^- **^*® ''' Coviile, Les États de Normandie, leurs
de 1168, dans Thaumas de La Thaumassière , origines et leur développement au xir' siècle,
Assiies de Jérusalem, p. 464-465; acte de Phi- Paris, 1894, p. 247-
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 123
Nous n'insistons pas sur les droits du duc en fait de poids et me-
sures, ni sur son droit de bris. Un chapitre sur l'usure, dont nous
avons déjà dit un mot, ligure dans ce groupe à cause des droits du
duc sur les catalla (biens meubles] des usuriers. Le domaine du
duc et celui de l'évêque étaient ici limitrophes : quelques lignes de
notre texte permettent d'entrevoir les difficultés et les conflits qui
surgissaient souvent. Il en est de même des droits du duc sur les biens
meubles des suicidés et des desperati, dont l'auteur s'occupe au cha-
pitre XX : De catallis aatem eornm (jui dese''^^ sunt homicide et eorum (jui ex-
communicati vel desperati moriuntur iciendnm est (iiiod princeps Normannie
ea débet habere, nec Ecclesia in eis ali(fuid poterit reclamare , cum eorum
niillum subsidium prestiterit animabus (chap. xx. De sese homicidis, Si).
Que sont ces desperati ? Ce sont des découles d'une certaine caté-
gorie, que notre jurisconsulte définit ainsi : Desperati autem moriuntur
ffui, per novem dies vel amplius gravi ccjriiudine et pericuîosa oppressi, com-
munionem et confessionem sibi oblatam récusant ac dijferunl, et in hoc mo-
riuntur; terris tamen propter hoc heredes sui non privantur. Ainsi, le duc
revendique les meubles de tous ceux qui, après une maladie de neuf
jours, sont morts déconfès par leur faute. Le déconfès est souvent ap-
pelé intestat, parce que, d'ordinaire, il n'a pu, en mourant, laisser un
legs pieux pour racheter ses fautes'^'.
Cette définition du mot desperati, donnée par l'auteur lui-même,
exclut l'interprétation du versificateur français, qui a fait de desperati
un synonyme des mots ^ui de se sunt homicide, en sorte qu'au début
du chapitre xx l'auteur aurait dit deux fois la même chose en des termes
différents et, quelques lignes plus loin, se serait mis en contradiction
avec lui-même en donnant des desperati une explication qui exclut
l'idée de suicide. Voici le petit texte versifié que nous critiquons :
De ceulx qui sont d'eulx homicide,
Qui est un mechiez, ou qui de
Désespoir se tuent, a teulx
Le prince en a tous les cateulx ;
Ne l'Eglise n'en peut rien prendre
Ne a leur ame ayde rendre.
''' Le dernier éditeur a adopté la leçon sesc |i. 33i , 44o-44i , aux mots Desconfès et Exé-
au lieu de rfe se; cette leçon nous parait fautive. culeurs testamentaires; Paul VioUet, Etablisse-
'*' Cf. Du Gange, Glossarium, \° Inleslalio ; iiu-nts de saint Louis, t. L p- i28-i3o; t. II,
Laurière, Glossaire du droit français, t. L ' 70/1, p. 1 5o-i 52 ; t. IV, p. 42-52.
124 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Le versificaleur aurail dû s'apercevoir de sa méprise en traduisant,
au paraf^raphe 2, l'explication donnée par le jurisconsulte : Desperati
aulem inoriiinlur, etc. Mais non, il a versifié cette explication, sans cor-
riger son erreur :
Ceux sont dis mors désespérés,
Que neuf jours ou plus trouvères
Pressés de grieiVe maladie,
Confession et commimie
Que l'en leur otfre ne recueurent ,
Mais différent en ce et meurent.
Les hoirs d'iceulx leurs tenes tiennent,
Et leur catel au prince viennent'".
Le lecteur a pu remarquer que le jurisconsidte exclut avec soin
l'Église de tout droit sur les biens meubles des desperati : Nec Eccîesia
in eis aluinid poteril reclamarc, cum eoriim nxilJnm snbsidium presliterit
animabiis. Cette insistance trabit des difficultés entre l'Eglise et le sei-
gneur séculier. Les luttes étaient, en efîet, sur ce terrain, à peu près
journalières. Voici en quels termes, lors du concile de Vienne de 1 3 1 1 ,
le clergé de la province de Rouen exprimait son mécontentement et
spécifiait ses revendications :
Provincia Rothomagensis dicitquod, licet, de laudabili et notoria consuetudine
dicte provincie, bona onmiuni ab intestato decedentiuni, salteni in episcopatitius
dicte provincie, ad dispositioneni prelatorum perlineanl, siutque in possessione
diutina disponendi de ipsis, — que bona dicti prelati convertere tenentur in usus
pios , — judices seculares inipediunt ne iideni prelati disponant et in usus pios
convertant bona personarum impuberum ab intestato decedentiuni , dictos pivlatos
super possessione juris disponendi de ipsis turbando et inipediondo, et dictam
consuetudinem piam et lauilabilem et a tempore cujus [non] '2' extat mémoria obser-
vatani contra justiliani infrangendo*''.
Ainsi l'Eglise revendiquait en Normandie jusqu'aux biens des en-
fants décédés intestats : impuberum ab intestato decedenlium. Prétention
moins exorbitante peut-être qu'il ne semble à première vue, car ce
'"' Ancien Coutumicr en vers. chap. xxv, '*' Ce mot indispensable aurait dû [élrt-
édil. Hoiiard, p. (J6 (à la fui du Diclioimaiie suppléé ici par l'éditeur.
de la coutume de Normandie , l. IV). Cf. ins. ''' Ehriv, Ein Biucliitùck der Acten def L'on-
fr. i4548, fol. 69 v", 70 r"; ins. l'v. 533o, cils roii Vienm', f. i8-^(^ {c\[riàtt\eVArchirfiir
fol. 10 v°. Liliraliir- uml Kivchenyeschichle , t. IV ,.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
ma
texte lui-même ne nous induit-il pas à supposer que les parents
avaient Thabitude de faire un legs pieux au nom de leur enfant?
L'impubère intestat était, sans doute, celui dont les parents avaient
négligé ce devoir religieux''^.
Les desperati forment, dans le système de l'auteur du Coutumier,
une certaine catégorie de déconfès, à savoir ceux qui, ayant été ma-
lades neuf jours ou plus, ont différé la confession qu'on leur offrait
et sont ainsi morts sans absolution. Il ne parle pas de tant d'autres dé-
confès, qui sont enlevés ainsi sans avoir été malades neuf jours. Nous
conjecturons que ce silence équivaut à une reconnaissance impli-
cite des droits de f Eglise sur cette nombreuse catégorie de décônfès'^l
Une jurisprudence plus ancienne, attestée par enquête en i2o5,
était moins favorable à l'Église. Elle attribuait au roi ou au seigneur
les biens meubles de quiconque était mort intestat après trois jours
de maladie ou ])lus de trois jours: Dixerunl de dlocjui montnv inlestntm,
cum jacueril m leclo sao per très dies ant per (juatuor, omnia mobdia sua
retfis erant tel baronis cnjiis est terra, et sic de Ulo cjui se interficit propria
V(duntate '^'.
Ni notre jurisconsulte, ni les témoins plus anciens que nous venons
de citer n'ont parlé des enfants. C'est sur les biens des enfants intestats
[iinpuberum ab intestato decedentuim^ que portaient, comme l'atteste la
requête du clergé normand, les contestations entre l'Eglise et le
pouvoir civil en Normandie, au commencement du xiv° siècle. Mais
d'autres difficultés s'étaient souvent présentées : fécart entre l'en-
quête de i2o5 et notre Coutume suffirait à le prouver.
La précision du texte de la Coutume couvre une situation am-
biguë et dissimule un conflit séculaire entre le pouvoir civil et l'Eglise.
Nos textes coutumiers donnent lieu très fréquemment à des observa-
tions de ce genre. Sans insister sur ces différends toujours renaissants,
nous signalerons la présence à Rouen, à la Gn du xiv'' siècle, d'un délé-
'''' H y a divers exemples de ces testaments
laits pour autrui : Laurière a cité un testament
de ce genre (le l'an laCi (Laurière, Glossaire
(la droit français, 1. 1, p. 44 1 , s. v. Exécuteurs
lestumentains).
''' Les mots « déconfès » ot « intestat « sont à
peu près synonymes dans toute une catégorie de
textes du moven âge. « H faut dire, ce semble,
« écrit Laurière , que tout intestat étoit déconfès
«et que tout déconfès n'étoit pas intestat , parce
« ([u'il pouvoit arriver ({u'un homme qui avoit
« eu la précaution de faire son testament n'eût
«pas voulu recevoir ses sacremens » (note de
Laurière sur Etablissements de saint Louis,
1, 90, dans' Paul Viollet, Les Etablissements
de saint Louis, t. IV, p. 5o).
''' VVarnkœnig et Stein, Fraiiz. Slaat- und
Rechisr/eschichtc , t. Il, Lrkuitdenbneh , p. 47.
126 LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
gué de l'évêque, qui portait le titre de « maître des intestats », et qui
s'occupait, non seulement de recueillir les biens dévolus à l'Eglise par
suite de morts sans testament, mais aussi de ramasser divers profits
à l'occasion des successions testamentaires : le pouvoir civil avait sou-
vent maille à partir avec ce « maître des intestats »''l Le droit de l'Eglise
sur les biens des intestats se maintint donc en Normandie beaucoup plus
longtemps que dans certaines provinces voisines. Dès le commence-
ment du xiii* siècle, un concile de Paris avait opposé à cet égard une
barrière aux prétentions de certains ecclésiastiques^^'. Et, vers la fin du
même siècle, Beaumanoir se vantait d'être, dans le comté de Clermont,
en mesure d'écarter l'Eglise : « Et si ai je veu que de ceus qui moroient
« sans testament, que l'evesques en voloit avoir les muebles; mes il ne
«les en porta pas par nostre coustume; ains en ai délivrée la saisine
« as oirs du mort, ou tans de nostre ballie, par pluseurs fois a la seûe
« de la cort fevesque '''. »
La coutume, la loi elle-même, ont, au moyen âge, quelque chose
d'indécis et de flottant; c'est un trait que f historien du droit ne
doit jamais perdre de vue. Non seulement les luttes sans cesse renou-
velées entre les deux pouvoirs enlèvent à certaines décisions du
pouvoir civil ce caractère absolu et ferme auquel nous a accoutumés
la notion moderne de la loi , mais les circonstances particulières des
causes, les dispositions personnelles des juges, peuvent, à chaque
instant, corriger, modifier, adoucir la coutume, ou la faire, au con-
traire, plus rigoureuse et plus dure. L'histoire du chapitre xx, De sese
homicidis, vient à l'appui de cette observation. A une date où le Grand
Coutumier a revêtu incontestablement dans toute la Normandie un
caractère officiel, en iSgy, nous voyons l'Echiquier de Rouen rejeter
dans une affaire déterminée la décision de ce Coutumier, en faveur de
la veuve et des enfants d'un suicidé. Aux termes du Coutumier, tous
les biens meubles des suicidés ou des desperati sont forfaits au roi; or,
'"' Bibl. nat. , fr. 5333, fol. 78 r° (compi- laici tel alii dare aliquid vel legare cogantur in
Intion de Pierre le Petit, 'xv' siècle). testamento (concile de Paris de 1212, part. 1,
'*' Telle est, du moins, l'interprétation que can. il, dans Mansi, Sacr. conc. coUecl.,
noua donnons à ce canon conciliaire: Preterea t. XXII, col. 82a).
a'viris ecclesiaslicis monstram avarlcie exlirparè ''' Beaumanoir, Coutume de Beauvoisis,
nohnies, authotitate legutionh nostre in virtute chap. xv, S 10, édition Beagnot, 1. 1, p. 3/19;
Spiritus Sancli proliihemus ne, pro annalibus vel édition Salmon, t. I, p. aig, n" 5 18.
triennalibus vel septennalibus missaruiiifaciendis.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 127
en 1 397, un certain Guillaume des Hayes s'étant rendu homicide de
soi-même, le procureur du roi s'autorisa du texte du Coutumier et
réclama pour le roi tous les biens meubles du suicidé. L'Échiquier
n'admit pas cette prétention : il rendit une sentence contraire au
texte du Coutumier et n'alloua au roi que le tiers des meubles, réser-
vant les deux tiers à la veuve et aux enfants du suicidé : « En l'Eschi-
« quier de Pasques a Rouen, l'an mil ni'' nu" xvii, jugement fu, sur
« la deguerpie Guillaume des Hayes el les enfans d'icellui Guillaume,
« contre le procureur eu bailliage de Rouen , que ladite femme et
« enfans avroient les deux pars des meubles dudit des Hayes, qui par
«desespoir s'estoit pendu, non obstant que ledit procureur dist et
« soustenist que , par raison dudit homicide , tous les meubles dudit des
« Hayes deussentestre forfais et acquis au roy. » La même année, d^ns
une autce affaire, l'Echiquier alla plus loin encore : il n'accorda pas au
roi la moindre part sur les biens meubles d'un suicidé. Il est vrai
que ce suicidé est une femme mariée; la cour, pour sauver la situa-
tion, semble admettre que tous les meubles de la communauté appar-
tiennent au mari : « Eudit Eschiquier jugé fu que la femme Robert
« Benart, de la paroisse de HouUebec près le BourgTheroude, qui s'est
«pendue, ne forfaise aucun des biens meubles de son mari, et que
«pour ce le roy ne pourroit reclamer aucun droit en iceulx biens;
« mais furent délivrés audit mary tout generallement''^ » On le voit,
les juges, au moyen âge, se meuvent avec une liberté dont les mo-
dernes n'ont vraiment aucune idée.
Cette jurisprudence de l'Echiquier, qui fait trois parts des biens du
suicidé : une part pour les enfants, une part pour la veuve et une
part pour le roi, s'est substituée peu à peu au texte du Coutumier.
Elle inspire le glossateur du xv* siècle: «Et, se l'on faisoit question :
« savoir se les omicides d'eulx mesmes forfont tous leurs meubles et se
«leurs femmes et enfans y auroyent leur part, l'on peut respondre
«qu'ilz ne forfont que leur part, et auroyent leurs femmes et enfans
« leur part en iceulx meubles. » Voici sur quel raisonnement juridique
on fondait cette décision : « Et ce peut assez apparoir par ce que dit
'■' Bibl. nat. , fr. 533o, fol. 56 v°. Sous la autre que celle précisément de Guillaume des
date de i388, au lieu de 1397, Temen s'occupe Hayes (Terrien, Commentaires da droit civil de
d'une affaire de suicide, sans donner aucun Normandie, li\. XII, chap. xiii, Rouen, i654,
nom : l'espèce , telle qu'il la résume , ne parait p. 48 1 ).
128 LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
M est eu précèdent chapitre; car le mari ne peut en sa derraine volonté
« priver par voie quelconque sa femme ne ses enfans estans en son
M pouoir paternel qu'ilz n'ayent leur part en ses meubles, et la perpe-
« tracion du délit d'occire soy mesmes est faute en la derraine volenté
« du mari; et aussi le refus de confession est fait au lit de la mort,
« qui est et peut estre dit sa derraine volenté^''. » Un jurisconsulte nor-
mand du XV* siècle qui se rallie à cette doctrine ajoute : « Mais s'il
« estoit dampné par jugement, il forfFait tout, car la forfaitture prent
«pié des lors du délit, lequel délit n'est pas sa derraine volenté ^'). »
Le jurisconsulte normand, parlant des suicidés, sentait bien lui-
même que ses principes n'étaient pas très solides. La règle que nous
posons, écrit-il, pourra être renversée par quelque usage contraire :
Hoc sane tamen attendendam est (jnod, si (fiiis hujusmodi catalla ex antiaua
consuetudine per prescriptionem vel per instrumenta habere consueverit, eorum
perceptions non débet indebite spoliari^^K La position spéciale des clercs
était ici la grosse difficulté. Le glossateur du xv' siècle expose les sen-
timents contraires qui se partageaient l'opinion : « Et en ce cas rKent
«aucuns que, se ung prestre tuoit soy mesmes, ses biens meubles
« seroyent forfaitz; car il ne doit point jouyr du privilliege de l'Es-
« glise, puis que l'Esglise ne fait pour luy aucune prière, mais est du
« tout mis hors de l'Esglise. Et les autres dient le contraire, et que ung
(I clerc ou prestre ne forfont rien''*'. » Ni la Coutume ni la g^ose ne
laissent entendre que les biens d'un clerc suicidé appartiendraient à
l'évêque plutôt qu'au roi; nous pouvons cependant citer une décision
favorable à l'évêque; elle fut prise par l'Echiquier de Normandie
en 12 08 : affaire notable, car ce clerc homicide de soi-même était
marié (et même « bigame »)'^\ et par suite bien plus rapproché du
monde laïque que le commun des clercs.
Toutes ces questions, comme le laisse entendre notre auteur, res-
''* Grande glose, sur le chapitre xxi, De ''' Cliap. xx. De sese homicidis, S l, édil.
omicide de soy mesmes (Tardif, rliap. xx, Tardif, p. .56.
De sese homicidis ). — La jurisprudence et '*' Grande g^ose sur le cliapitre xxi , De omi-
la doctrine avaient, comme on le voit, lar- cide de soy mesmes (Tardif, cliap. xx, De sese
gemenl préparé l'abrogation du cliapitre homicidis).
du Gi'and Coulumier que nous étudions ici , ''^ L. Delisle , Recueil des jii(/cmeiUs de
lorsque fut promulguée la nouvelle Coutume i Echiquier, n" 8o6 : conjugali, etium bigami.
(|583) : elle ne conserva pas ces dispositions Le mot feiyame n'a pas le sens moderne ."il dé-
surannées, signe tout simplement un clerc remarié ou
'*' Bibl. nat. , fr. 53.'Î3, fol. 126 v'. marié à ime femme non vierge.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
129
talent flottantes. Non seulement on discutait sur le droit successoral
aux meubles en cas de suicide ou de mort d'un desperatns, mais la
question n'était pas uniformément résolue au cas de mort d'un in-
testat non desperatns. Sans doute, quelques textes admettent qu'en
pareil cas tous les meubles appartiennent à l'Eglise''), mais d'autres
documents lui sont moins favorables; ils font trois parts des biens
meubles du décédé : la part de la veuve, celle des enfants, celle du
mort; la part du mort, c'est celle qui est dévolue aux pauvres et à
l'Église'^).
Avant de quitter la seconde distinction, nous ferons observer que
les titres de certains cliapitres de cette distinction peuvent donner le
change, parce que ces titres paraissent à première vue indiquer
des matières purement juridiques, étrangères aux droits ducaux.
Exemples : chap. xxi, Z)e vadiis et emptlunibus; chap. xix, De usuris. Mais,
en examinant le texte même de ces chapitres, on s'aperçoit qu'ils sont
à leur vraie place, et que l'auteur y a traité de l'usure eu vue des
droits du duc sur les biens des usuriers, des ventes et des gages en
vue des droits dévolus au duc au cas de fraude ou mauvaise foi de la
part du créancier gagiste ou de l'acheteur.
Dans la troisième distinction (chap. xxiii à xxxv), l'auteur s'occupe
des successions et des gardes, des tenures, de l'hommage.
Le texte versifié résume en ces termes la matière de cette distinc-
tion :
En la tierce, de tenement
Et des convenances ensement.
. '"' Un texte de l'année i4o3 implique,
en eRet, le droit de l'évêque d'Evreux sur les
biens meubles des intestats en général (à
moins , sans doute , qu'ils ne soient restés neuf
jours malades et n'aient diflFéré la confession) :
« Pour ce que dudit testament n'avoit aucuns
« tesmoigns , jour ne date escrips , le suppliant
« doubtoit que l'evesque d'Evreux , en quel
« eveschié ledit testateur estoit demourant,
• voulsist dire ledit testament estre nul et , par
» ce, que tousles biens meubles d'icellui deffunct
« lui appartenissent , par l'usage et coustume du
«païs, comme mort intestat. » (Du Gange,
Glossarium, v° Intestatio.)
'•' Cf. Brunner, Der Todtentheil in germa-
nischen Rechten, dans Zeitschrift der Savigny-
Stiftung, t. XIX, Gerin, Abtli., p. iio-
i38.
Une décision de l'archevêque de Rouen du
4 janvier ia3g (n. st.) fixe ainsi qu'il suit les
droits des parties prenantes au titre clérical ,
sur les biens des intestats en une partie du
territoire de l'abbaye de Saint-Michel du Tré-
port : Si vero quis intestatus decesserit, tertia pars
partis sue pauperibas erogelur, et due partes pres-
bitero et ecclesie sue, et monaehis et ecclcsie sue,
communiter et equaliter dividantur (Lafleur de
Kermaingant, Cartalaire de l'abbaye de Saint-
Michel du Tréport, p. igd, n° 173). Les mots
partis sue nous paraissent désigner la part du
mort, soit le tiers : et ce tiers est ici divisé
lui-même en trois parties.
>7
130 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Cette formule est un peu éloignée du latin : In tercia de tenearis et
saccessiojiibns et pertinenciis ad easdem; nous y remarquons le mot « con-
« venances », qu'on pourrait traduire en français moderne par « obliga
«tions» : il se justifie, si on se rappelle que l'hommage est l'obliga-
tion par excellence de la période féodale.
Des sujets d'une grande importance juridique sont passés en revue
dans cette troisième distinction. Nous relèverons rapidement les traits
les plus saillants.
L'auteur, en traitant des successions, se montre partisan énergique
du système de la représentation en faveur du fils de l'aîné prédécédé
et soutient que la représentation, autrefois admise en ce cas, a été
écartée assez récemment par une jurisprudence à la fois inique et
novatrice : Et sic Normannie consnetndinem in hoc casn perverternnt^^K
L'assertion de notre jurisconsulte veut être commentée. Elle a, comme
on le verra, sa part de vérité. Sans doute, autant que nous en pou-
vons juger, le très ancien droit normand n'admettait pas la représen-
tation au profit du fils de l'aîné prédécédé : telle est, du moins,
la doctrine du Très ancien Coutumier normand ^^'; mais un courant
plus favorable à la représentation se dessina d'assez bonne heure : la
représentation au profit du fils de l'aîné dans les successions en ligne
directe fut admise par l'Échiquier en 122^'^'. Dans la langue des ju-
risconsultes du XIII* siècle, le mot « coutume » ou consuetudo vise d'or-
dinaire, non un texte écrit, mais bien le droit, la coutume, laquelle
existe par elle-même en dehors de toute rédaction. Par conséquent, le
fait que le Très ancien Coutumier, œuvre écrite et privée, est en con-
tradiction avec notre auteur ne contrarie pas directement son asser-
tion : la consuetudo visée par lui n'est pas le Très ancien Coutumier;
c'est, plus vaguement, l'usage ancien : l'arrêt de 1224 est un témoin
suffisant de cette coutume relativement ancienne, de ce courant
d'idées qui, au temps de notre auteur, avait rencontré de puissants
adversaires.
L'auteur du Grand Coutumier, si favorable au principe de la re-
présentation'*', contribua certainement, pour une grande part, au
'*' Chap. XXIII, De saccessione, S 3, édit. VEcliiqaier de Normandie au xiii' siècle,
Tardif, p. -ji. n° 36i.
'*' Très ancien Coatnmier, chap. xxxii, '*' Pour la représentation en ligne coUaté-
p. 28. raie, voir chap. xxrv, De portionibns , $ 3 in fine,
•'' L. Delisle, Recueil des jugements de p. 80.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
131
développement de ce système, qui, dans le dernier état du droit nor-
mand'*', conquit une place considérable.
Deux traits primitifs, auxquels nous n'avons pas encore fait allusion ,
se dessinent dans le droit normand et même y ont laissé, jusqu'à la
fin de l'ancien régime, une marque indélébile. Nous faisons allusion à
la faiblesse des droits successoraux de la femme et à l'égalité parfaite
et nécessaire entre certains cohéritiers.
Faiblesse des droits successoraux de la femme. — Les frères excluent
les sœurs de la succession féodale du père. Celles-ci n'ont droit qu'à
une dot convenable, « mariage avenant » ;la valeur de ce « mariage » ne
peut en aucun cas dépasser, pour toutes les fdies réunies, le tiers de la
fortune du père. Les filles n'arrivent à la succession des biens féodaux
que si le père ne laisse pas d'enfants mâles. Cette exclusion des femmes
ne s'étend pas à toutes les tenvues; les tenures en bourgage, dont le
régime général se rapproche beaucoup de l'état de choses moderne,
se partagent également entre fières et sœurs'"'.
Egalité parfaite et nécessaire entre certains cohéritiers. — Lors-
qu'une succession se doit partager également, le propriétaire de cette
fortune ne peut niodifier en rien, par testament ou donation, l'ordre
successoral établi par la coutume : il ne peut avantager un de ses hé-
ritiers, mais il peut faire un don à tout parent qui n'est pas appelé à
la succession ab intestat ^^K
C'est là un des aspects du droit coutumier où se révèle le mieux
l'hostilité de nos aïeux pour le testament, le legs pieux mis à
part.
Notre auteur, en se résumant lui-même, a compris sous le mot
«tenures» tout ce qu'il dit des fiefs et de fhommage, ainsi que des
tenures en bourgage.
Nous relèverons, dans ces chapitres, quelques données très impor-
<"' Coutume de NOmiandiede 1 583 , art. aSM ,
3o4 à 3o8; Placitez, art. à-i (Coutumes (le
Normandie, Uouen, 1742, p. 5o, 65, 66,
173). Les aliuitioiis à la jurisprudence hostile
au droit de représentation disparaissent tout
simplement dans le texte du Grand (Coutumier
que cite Terrien ( Comment, du droit civil de Nor-
mandie, iiv VI, chap.iii, Rouen, i654, p. 195).
'*' Summa de legibm , cliap. \xiv, S i4 à k).
''' Ibid., chap. xxiv, S 32. Pour le droit
des derniers siècles, voir Coutume de Nor-
mandie de i583, art. 43 1, 433, 434- Pour la
jurisprudence antérieure à la rédaction du
Grand Coutumier, voir le résumé d'une sen-
tence de l'assise de Caen de 1234 dans Lé-
chaudé d'Anisy, Magni rotuU Scacc. Norm. ,
p. i45, 1" colonne. Le Grand Coutumier
emploie les mots ilare vel coiiferre; le ré-
sumé de 1234, plus précis : aliquid dure vet
venderc.
132 LES CODTUMIERS DE NORMANDIE.
tantes qui n'ont pas toutes attiré suffisamment Tattenlion des histo-
riens.
Nous avons eu déjà l'occasion de faire remarquer que le mot « fief»
n'est point, dans le Grand Coutumier, spécial à la terre tenue noble-
nient. Par suite, certains passages pourraient, s'ils n'étaient expli-
qués, donner le changée, ce qui est vrai du fief noble n'étant pas
toujours vrai du fief roturier. Un de ces passages a été commenté soit
par l'auteur lui-même, soit par un de ses continuateurs, et ce com-
mentaire est fort important, car un trait souvent oublié par les mo-
dernes s'en dégage clairement : à savoir que la propriété roturière
est, aux mains du tenancier, beaucoup plus solide que la propriété
noble. Résumons ce curieux passage. Au chapitre xxiii, De siicces-
sione, l'auteur du Grand Coutumier a écrit que certaines condamna-
tions infligées aux tenanciers entraînent la confiscation au ]>rofit du
seigneur : Cnm emm aluinis condemnetiir, oniio elapso, ad dominum redit
feodum a (jiio tenetur. L'auteur lui-même, ou un continuateur'*', a
compris la nécessité de mettre formellement à part le fief roturier, et
il a expliqué très nettement que cette loi de la confiscation s'appliquait
seulement au fief noble, qu'il ap^eWe feodum liberum :
.... dum tamen in feodo habeat libertatem. Lilîerum autem dicimus feodum quod
.serviciorum inhonestorum obtinet libertatem, ut de prati servicio et de curatione
bevii molendinorum vel compostorum '*' extramittendorum , vel hujusmodi sen-i-
cioinim , que nuliam retinent libertatem , cpie nec homagiura , nec curiani , nec aliam
libertatem, de jure antique Norniannie, possunt retinere*''.
Voici encore sur l'hommage un renseignement, important à nos
yeux. La plupart des historiens du droit'*' enseignent que l'hom-
mage personnel, sans aucune concession de terre, n'existait plus au
xiii*^ siècle. Notre jurisconsulte nous fournit sur l'hommage purement
personnel des données précises qui ne permettent pas de s'arrêter à
cette opinion. Il connaît, en regard de l'hommage corrélatif à une
concession de fief terrien [homacjiiim de feodo), deux sortes d'hom-
''' M. Tardif fait remarquer que ce passage <'* Composliis , «engniis»; cf. Du Cangc, à
iiiancpie dans les trois premières familles des ce mot.
manuscrits du Grand Coutumier latin et dans '"' Chap. xxni, De succettione, S 4, àhis,
tous les textes français. Mais le passage omis p. "ji, 7.').
finissant par le mot relinere et le dernier mot <*' Thèse contraire dan» Paid VioUel,
qui précède cette lacune étant <Pine(iir, on peut Histoire du droit ciril français, a* édit. ,
songer à un bourdon. p. 64o. >
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 133
mages personnels : l'un se rattache, croyons-nous, à l'ancien enga-
gement d'homme à homme, d'origine barhare, engagement dont
d'autres textes nous révèlent d'ailleurs encore l'existence au xiv* et au
xV siècle; l'autre est un hommage d'une nature toute particulière,
hommage qui clôt les poursuites au criminel terminées par la récon-
ciliation des parties. Ce second hommage personnel nous est assez mal
connu. Notre auteur appelle le premier de ces deux hommages ho-
mafjinm de jide et servicio; il en prévoit surtout l'emploi au cas où
celui qui rend l'hommage se constitue par là le champion attitré de
son seigneur pour les duels judiciaires : De /ide et semciojit liomafjinm
(juando (juis aliquem recipit in hominem adjidem sibi conscrvandam et ad
servichim proprii corporis exinbendam ad piujnandmn pro ipso, si necesse
J'aerit , tel hiijusmodi alind servicium faciendum. Et si propter hoc ei red-
ditiim assi(jiiaverit, ad heredes ipsias non descendet, nisi expressum fncrit
condirione facta inter ipsos^^K Ainsi la condition ordinaire de cet hom-
n)age n'est pas la concession d'une terre, mais celle d'une rente (/W-
ditns)^'^K Le jurisconsulte paraîl admettre implicitement que l'hom-
mage a pu quelquefois se conclure sans aucune rétribution financière
[si propter hoc ei redditiim assi(/naverity Cette espèce est directement
visée par le premier Durant de Mende, au xiii* siècle : Item autem,
etiam si, nallo sibi a me dato, se constituât hominem meum bginm; porro
in dabio, ciim non exprimitur causa vel non lujuet quare fecit homagiiim,
presumitur ideo fecisse ut ipsum defendam^^K
Boutillier, dans la Somme rural, a fait quelques emprunts au
Grand Coutumier normand; il a notamment utilisé l'exposé de notre
auteur sur les trois sortes d'hommages : de feodo, defide et senicio, de
pace conservanda. Mais il a complètement dénaturé ce que le juriscon-
sulte normand avait dit de l'hommage de fide et senicio; il tend à
assimiler l'hommage de feodo et l'hommage de Jide et servicio, sup-
posant que ce second hommage implique la remise d'une terre au
vassal, ce qui est précisément l'inverse de la vérité. Voici le texte de
Boutilher : « Or est a sçavoir que trois manières sont de hommaiges.
''' Summa de legibas , ch. xxvil, De homaglo, lx lib. imdeyuv. per aimiim; unde hoino nosicr
5 4. est [Rotidi Norm., «lit. Duffus Hardy, p. 3q).
<*> Exemple de la fin du xii* siècle : Rex, etc. Cf. Hist. littér. , t. XXXIl , p. 33 1 .
Garino de Glapione, .leiiescallo Normannie, etc. ■ ''' Durant, Spéculum juris, lib. IV, part, m,
Maudamusvobis quod ad terminas Scaccariinostri De Jeudis, i i5, t. lil , Augusta> Taurinoruni,
lilwrelis Jideli militi noslro Herveo de Pveez, 1678, fol. 1 33 v°.
134 LES COUÏUMIERS DE NORMANDIE.
« Li premiers si est appeliez hommaigez de fief ; li secondz est appelle
«hommaige de service; etli tierch est appeliez hommaigedepais. Dont
(( il s'ensuit que li premiers, qui est appeliez hommaige de fief, si est
«cilz qui dessus déclaré est. Li secondz si est si comme ils sont
« hommez qui sont tenuz de service faire au seigneur et en tiennent
«possessions et en ont fait foy*^', etc.» Le contexte du Grand Coutu-
mier a pu donner lieu à ce contresens de Boutillier : le jurisconsulte
y emploie avec quelque irréflexion le mot latin feodum dans un sens
qiii n'est nullement étranger à la langue du moyen âge : celui de
droit à une rente ou à une pension annuelle. Après avoir appelé une
première fois redditus la rente de ce vassal, prolongeant ses explica-
tions, il finit par appeler yèo(/«m le droit à cette rente '^'. Notre auteur
aurait dû éviter ici l'emploi de feodam en ce sens, puisque précisé-
ment dans ce passage il veut donner une idée d'un certain hommage
3u'on oppose à l'hommage de feodo. Cet emploi légitime, mais évi-
emment malencontreux, du mot feodum a dû contribuer à la défor-
mation du texte dans Boutillier, déformation qui constitue un véri-
table contresens.
Le second hommage personnel est qualifié par l'auteur : hoinagium
de face servanda :
Fit autem homagium qiiandoque de pace servanda, cpiod hoinagium de paga
nominatur, eo quod fit in pagam concordie inter aliqiios reformate, ut quando
aliquis sequitur alium de aliqua actione criminali et pax inter ipsos refbrmatur, ita
quod secutus facit homagium alteri de pace illa conservanda; hujusmodi homagium
recipitur in pagam concordie reformate.
Du Gange a réuni sur cet homagium de pace servanda un certain
nombre de textes intéressants'^'; il serait souhaitable que ces textes
fussent vérifiés et utilisés dans une monographie de cet usage curieux
et encore mal connu.
En regard de cet hommage, qui, à tout prendre, ressemble à une
formalité de procédure, il convient de placer un principe remarquable,
'"' Sonwie rural, i" partie, tit. lxxxii; édit. '*' Sciendam lamen est quod tolo vite tue tem-
d'Abbeville, i486, fol. cxxvii v"; ëdit. de Lyon, pore illud feodum possitlebit quod colUUiim est a
1031, p. 819. Ms. fr. 3 10 10, chap. cxcv, domino pro quo duellum snbieiu in campo sacca-
fol. c.XL v*. Ms. fr. nouv. acq. 686 1 , fol. aa6 v,°. huit (chap. xxvii , De homagio, S i).
Le mot • fait » manque dan» les éditions que ''' Du Cangp , Glossaire , s. v° Hominium pro
nous avons pu consulter. emenda.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 135
mis en relief par notre auteur dans la partie du livre consacrée à la
procédure : un vassal ne peut intenter une action criminelle contre
son seigneur, ni un seigneur contre son vassal, si, au préalable, le
lien qui unissait les deux parties n'a été rompu par le désaveu de la
foi et hommage. Supposez qu'un procès de ce genre ait été engagé :
le vassal, s'il succombe, perdra son fief, et ce fief deviendra la propriété
du seigneur; le seigneur perdra, s'il succombe, tout droit de suze-
raineté : la suzeraineté sera dévolue au seigneur médiat''^.
Nous venons de prononcer ces mots « foi » et « hommage ». Nous ne
voulons pas quitter la matière de l'hommage sans faire observer que
notre auteur distingue très nettement (en traitant du parage) la foi et
l'hommage. Du premier au cinquième degré, les puînés et leurs
descendants qui tiennent en parage ne doivent ni foi ni hommage à
l'aîné et à ses descendants; au sixième degré, ils doivent la foi; au
septième degré, ils doivent la foi et l'hommage '^^.
En regard du fief noble ou roturier, en regard des tenures féodales
de tout ordre et de toute nature, figurent les propriétés libres, qu'on
peut diviser en deux groupes : à un rang supérieur, les alleux nobles ,
dont notre auteur ne s'occupe pas, et les franches aumônes, que nous
appellerions volontiers des alleux ecclésiastiques ; à un rang inférieur,
les tenures en bourgage.
Le jurisconsulte a formulé, au sujet de la franche aumône, un
principe qu'il paraît, à première vue, bien superflu d'énoncer, mais
dont on sentira l'utilité en se reportant à certaines chartes du x* et
du XI'' siècle : NuHm autem elemosinare potest ex alifjiia terra, nisi hoc
soliim cjuod siiam est in eadem. Unde notandnm est cjuod nec dnx, nec
barones, nec eciam alinuis, si hommes sui aliauid de terris (juas tenent de eis
elemosinaverint, propter hoc debent snstinere alinnod detrimentum , et nihilo-
miniis domini eorum in terris illis elemosinatis justicias suas exercehunt vel
jura sua levahnnt^^\ Ces règles de bon sens sont celles de l'Échiquier :
« Ordonné fut que les hommes des eglisez qui se disoient estre francz
'"' Siimma de leijibas, chap. Lxxxi!i,/)e do- eciam ipsis vel eorum saccessoribus , cum ad sex-
minis et hominibiis suis , i i, 3, p. 197-198. tum consanguinitatis gradum perventum fuerit ,
''' Chaip.\\\'ï\i,Deteneuruperparagium,ii; fidelitatem fucere lenebuntur. In septimo autem
chap. XXXIV, Deprimogenilo.i 5. Nous complé- grudu homagium facient . . . (Chap. xxxiv, $ 5,
tons dans le texte la pensée de l'auteur : il ne édit. Tardif, p. 1 i3, 1 li..)
répète pas , parlant du septième degré , le mot ''' Chap. xxx. De lenenra per elemosiiiain .Sa,
Jidelitas ; il dit seulement homagium : Pi,stiiati p. 99, 100.
136 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
« etexemps de toutes justices seculierez, ausquelles églises les osmones
«par seigneurs barons justiciers ou moyens avoient esté données,
« n'auront doresnavant fors telles francliises comme pouoient avoir
« ceulx qui leur donnèrent, et ne peuent jouir d'autres francliises ''l »
La tenure «en bourgage» de la Normandie, sur laquelle notre
auteur fournit de précieux renseignements, nous paraît toute voisine
de ce qu'on appelle ailleurs 1'* alleu roturier ». Aussi bien, le juriscon-
sulte, voulant définir la tenure en bourgage, rencontre sous sa plume
précisément le mot alodium : Per biirgagium . . . tenentur alodia et
masure in burgis constitale burgorum consuetudines retinentes^'^K D'autre
part, le mot« fief» est si souple, si élastique, dans la bouche des Nor-
mands, que le traducteur français a rendu ce mot alodia par fiefs : « Par
«bourgage sont tenus les fiefz comme sont les masures qui sont es
« bours et gardent les coustumes de bours. » « Fiefs » , dans ce pas-
sage, n'a pas d'autre sens qu'immeubles'^'; et il se trouve que ces im-
meubles sont des alleux.
En eifet, au xv* siècle, un jurisconsulte normand traitant des
bourgages n'hésite pas à dire que les bourgages sont tenus en franc
alleu : t Nota que tous les habitans de Normendie, si comme fou
« dit, sont en pocession et saisine et ont droit ancien, comme ilz dient,
«que tous leurs héritages labourables, assis en bourgaige, c'est assa-
«voir à une lieue environ la ville, laquelle distance est nommée en
M France banclieue, sont tenus en franc alleu, ne ilz n'en doivent ne
« vest ne desvest, saisine ne dessaisine, fons de terre ne autre redevance
«quelconque. Et touteffois, jasoit ce que, comme dit est, héritage
« labourable de bourgaige ne doivent cens, chascune maison doit au
« roy XII d. de cens. . . ^'*\ » Au xvi" siècle. Terrien, cherchant à défi-
nir le bourgage, songe, comme notre jurisconsulte dont il s'inspire,
à falleu : « Et sont les héritages assis en bourgage appelez allodia,
«qu'on dit en françois tenus en franc alleud, qui signifie biens et
'"' Compilation de Pierre le Petit (xv" siècle), rassés dans le dédale des sens divers du mol
dans ms. fr. 5333, fol. a35 v°, avec la date de flrf ; au wilT siècle, ils appelaient l'orlho-
la Saint-Micliel 1207. Cet arrêt pourrait l)ien graphe au secours de la nomenclature juridique
être identique à celui de la Saint-Michel 1 38'i et distinguaient (tout à fait arbitrairement) les
dans Léchaudé d'Anisy, Magni rotuli Scaccarii lertaesfief el /iejfe (Hoiiard, Diclioiuiaire delà
Norm., p. i53. coutume de Normandie, t. H, p. 319 et suiv.,
'*' Chap. XXVI, De lenearis, $ 5, édif. Tardif, 3/i5 et suiv.).
p. ga. '*' Compilation de Pierre le Petit ( XV' siècle),
' ' Les Normands se sont peu à peu embar- dans ms. fr. 5333, fol. a35 v°.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
137
« héritages qui ne sont tenus en fiefs d'aucun seigneur, et sont libres
«et francs de toute sujétion, comme le propre bien et vray patri-
« moine de celuy qui les possède, lesquels il peut vendre et hypo-
« thequer sans le consentement d'aucun, ne recognoissant à cause
(( d'iceux aucun seigneur, sinon le roy quant à la jurisdiction et sou-
ci veraineté, aiiia principis siint omnia cjnoadjarisdictionem et protecdonem.
«Et, à proprement parler, ceux qui sont tenans et jouyssans de tels
« biens suffisans pour en vivre et entretenir leur estât, sont appelez
« bourgeois *'l »
Le bourgage cependant ne jouit pas toujours de cette franchise
complète que suppose Terrien. Il y a même, écrit l'auteur du Grand
Coutumier, destenures en bourgage accompagnées d'hommage; c'est
là une difficulté dont le jurisconsulte se tire comme il peut, en expli-
quant que l'hommage peut être considéré, en pareil cas, comme
quelque chose d'accidentel, et n'est pas de la nature du bourgage : De
burcjagio antem multa tenentur per Itomagiiim, sed hoc non est de institiitione
biinjoram, sed ex pacto inter possessores eorum interveniente^^\ Le bien tenu
en bourgage se rapproche beaucoup de la propriété moderne. Il peut
être aliéné sans le congé du seigneur. Acquis pendant la durée du
mariage, il est régi comme l'est chez nous un acquêt de commu-
nauté'"^l A la mort du tenancier, il se partage également entre frères
et sœurs, lesquels ne doivent aucun droit de relief'*'; mais il est souvent
soumis à certains droits exclusifs de l'alleu au sens technique et rigou-
reux de ce mot : on peut lire, à ce sujet, l'article 1 38 de la Coutume
de i583. Si, en Normandie, la tenure en bourgage est appelée
quelquefois « alleu » , dans d'autres provinces on ne lui accorderait
pas cette qualification : ainsi on ne consentirait pas à appeler « alleux »
des maisons qui payent douze deniers de cens.
Nous nous résumerons en disant que les Normands ont conçu une
catégorie spéciale de tenures, celle des biens sis dans les villes et dans
'"' Terrien, Commentaires du droict civil.. .
de Nornuindie.Vans, i578,p. 180. — Au xiv'
et au XV' siècle, suivant M. Léojjold Delisle,
« aleu • désigne souvent des tènements sis dans
une ville ou un bourg (L. Delisle, Êtades sur
la condition de la classe af/ricole. . . en Nor-
mandie, p. 43). Rapprochez la définition du
bourgage donnée par notre auteur : Alodia et
nmsiire in hurgis constitute; celle de Littleton,
HIST. LITT. IXXHI.
sect. 163, dans Hoûard,\4nc. lois des François
conservées dans les coût, anglaises, t. I, p. 234.
'*' Siimma de legibus , chap. xxix, De teneura
per barijagium , 8 6 (p. 98).
''' Sauf à Pavilly : « En bourgaige de Paveilli
« femme ne conquiert avec son mary » ( Bibl.
nat. , ms. fr. 5333, fol. i65v°, compilation
de Pierre le Petit).
'*' Samma, chap. xxix, art. 1, 3, 4, 5.
18
138 LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
les bourgs, à savoir la tenure en bourgage, laquelle comporte de très
grandes variétés. L'expression « bourgage » se retrouve aussi à Amiens :
le bourgage d'Amiens est l'ensemble des héritages relevant de la juri-
diction municipale^''. Les jurisconsultes picards n'ont pas, au même
degré que les Normands, systématisé le bourgage amiénois, mais on
constate facilement que le droit qui régissait les biens sis dans le
bourgage d'Amiens ressemblait beaucoup à celui des bourgages
normands'"^^
On peut relever dans le Grand Coutumier, au sujet du bourgage,
un certain désaccord d'expression entre les chapitres xxix, De tenenra
per burgagium, et cxxv, De prescriptione. Aux termes du chapitre xxix,
le retrait lignager ne peut être exercé par un parent pour racheter le
bien tenu en bourgage : Notandam etiam est cfiiod venditiones earain per
heredes velconsan(jaineos non passant revocari. Aux termes du chapitre cxxv,
le parent du vendeur peut exercer le retrait tant que le payement n'a
pas été effectué, et un jour après ce payement effectué; mais, ce
jour écoulé, le retrayant est forclos. Telle est, du moins, noire in-
terprétation du chapitre cxxv, S i. Terrien l'a compris un peu autre-
ment : il admet le droit de retrait, mais il exige que le retrait soit
effectué « dans le jour naturel de l'audition de la chose vendue ». Ce
désaccord sur le délai n'est pas, à nos yeux, d'une grande impor-
tance. Mais le sentiment de Terrien sur l'existence même du droit
de retrait nous fait supposer que ce droit existait déjà au xiii^ siècle;
il est invraisemblable, en effet, que le droit de retrait ait gagné du
terrain du xiii" au xvi® siècle; par suite, le chapitre cxxv de notre
Coutume serait plus exact que le chapitre xxix ou, du moins, que le
texte du chapitre xxix tel que l'établit le dernier éditeur, car deux
variantes relevées en note harmoniseraient la doctrine du chapitre xxix
avec celle du chapitre cxxv, et plus nettement encore avec Terrien.
Un arrêt de l'Echiquier de i2 43 vient confirmer nos vues sur l'exis-
tence du droit de retrait; cet arrêt, qui vise certainement un héritage
tenu en bourgage, puisque le bien dont s'agit est partagé également
'"' Reconnaissance du droit de jui'idiction dans son édition de Cinnaïuus, Paris, 1670,
de l'échevinafje d'Amiens sur une propriété p. 489.
urbaine acquise par le vidame Jean de Pic- '*' V'oir, pour le partaffe égal. Anciens
quigny (1269), dans A. Thierry, Recueil des Usar/cs d'Amiens, art. 3, dans Marnier, Ancien
monuments inédits de l'histoire du Tiers Etat, Coutumier inédit de Picardie, Paris, i84o,
t. I, p. 237. Texte de 1272 cité par Du Gange p. i45.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 139
entre trois frères et une sœur, nous apprend que ladite terre a été
l'objet d'un retrait'*'.
Il paraît donc très vraisemblable que la rédaction du chapitre cxxv
est préférable à celle du chapitre xxix. Nous admettrions volontiers
que le rédacteur du Grand Coutumier s'est exprimé, au chapitre xxix,
avec une concision trop grande ( si le texte concis adopté par l'éditeur
est original) et qu'il a réparé cette imperfection au chapitre cxxv.
On ne saurait invoquer contre cette manière de voir le texte de la
Somme rural ^'^\ où est reproduite la doctrine du chapitre xxix, et non
celle du chapitre cxxv; car Boutillier écrit, non en Normandie, mais
à Tournai, et, en s'occupant du bourgage normand, il traite un sujet
qui, en définitive, lui est étranger. Il n'en est pas de même de Terrien.
Les chapitres xxxvi à cxxv sont consacrés, comme nous l'avons dit,
à l'organisation judiciaire, aux questions de compétence, à la procé-
dure. C'est la partie de l'ouvrage la plus volumineuse à la fois et la
plus touftue. Il n'y faut chercher ni beaucoup d'ordre, ni beaucoup
de suite. Les questions de procédure, ajournements, défauts, excuses
(m essoignes »), nature des actions (chap. xxviii à li inclusivement), toutes
ces matières y sont traitées avant ce qui intéresse la constitution
même de la justice et l'organisation des tribunaux. Cette dernière
matière, qu'un moderne aborderait la première, est jetée elle-même
un peu à l'aventure (chap. lu à lv). A partir du chapitre lvi, l'auteur
revient à la procédure.
La plupart des jurisconsultes coutumiers du xiii* siècle ne sépa-
raient pas encore la procédure du droit proprement dit; notre Nor-
mand, un des premiers, entrevilla distinction. Il n'est pas surprenant
qu'il n'ait pas toujours pleinement réussi clans l'exécution de ce plan
nouveau. Nous ne le suivrons pas dans l'exposé de toutes les procé-
dures, abondamment décrites, mais nous relèverons les traits les plus
saillants de cette dernière partie du livre.
Nous signalerons tout d'abord quelques données précieuses sur
/'' L. Delisle, Recueil des Jugements de vente dont le prix a été acquitté , car le retrait
l'Echiquier de Normandie, n° 716. En 1211, dont il s'agit serait exercé par l'héritier d'un
il est dit dans un arrêt de l'Echiquier : Itu vendeur décédé.
quod omnis emplio fada in hargagio illis re- '^' Boutillier, SoHime ;•(»■«/, liv. 1, ch. lxxxiv,
maneat qui emptinnem fecerunl [ibid. , n'gi); édit. de Lyon, 1621, p. 838.
mais le contexte peiinet de penser à une
18.
140 LES COCTUMIERS DE NORMANDIE. ,
les droits de justice dans la famille; les auteurs du moyen âge né-
gligent volontiers cet aspect des choses, probablement trop intime à
bmr gré. Notre auteur, au contraire, trace l'exposé suivant : le chef
de famille est armé d'un droit de correction sur sa femme, ses enfants
et ses serviteurs; par suite, il ne peut être poursuivi pour avoir sim-
plement frappé [siniplex percassio) un de ceux qui lui sont soumis;
c'est là un droit que le jurisconsulte ne qualifie pas droit de justice,
mais qu'il appelle correctio. La femme pourra cependant être entendue
en justice contre son mari, si les mauvais traitements du mari sont
par trop violents, ou encore s'ils sont à la fois injustes et répétés {fre-
(inenter el indehiteY^\ Un texte dont les origines remontent au xi'" siècle
et qui intéresse la ville de Saint-Quentin prononçait ici le mot « jus-
« tichié » : « le clerc sera justichié par son mestre et le sergant au clerc
«par le clerc, le chevalier par son seigneur, le sergant au bourgois
« par le bourgois'"-^'. » C'est encore dans le même esprit que les statuts
de Robert de Courçon formulaient, en 12 i5, à Paris, ce principe
juridique : Quilibet macjister forum siii scolaris haheal^^K Peut-être notre
auteur eût-il introduit dans son exposition une suite plus rigoureuse et
un enchaînementpiusferme, s'il eût parlé nettement d'un droit de jus-
tice du chef de famille; car, traitant du droit des aînés et descendants
d'aînés sur les puînés et descendants d'iceux, il emploie sans hésiter
une expression qui implique très nettement le droit de justice : Ante-
nati. . . htthcnt curias de postnatis. . . Or il est évident que le droit du
frère aîné n'est autre chose qu'une dérivation, qu'un prolongement du
droit du père de famille. Voici quelle est, dans le système de notre au-
teur, l'étendue des droits de justice des aînés (et probablement de leurs
descendants jusqu'au sixième degré'''') : Antenati. . . habent curias de post-
natis in tribus tantummodo casibus, ut de malcficio vel convicio eideni illato,
vel uxori sue, vel ejus Jilio primogenito. In istis tribus casibus tenentur post-
nati in primogenitorum curiis respondere, et disraisniare vel emendare^^K
Quant à l'organisation de la justice non plus dans la famille, mais
dans la société, notre auteur semble se préoccuper presque exclusive-
<"' Summa, chap. Lxxxv, De simplicibus le- ''' Statuts de Robert, cardinal légat, dans
gibus , S 8 ; chap. c , De brevi maritagii impediti, Denifle et Châtelain, Chartiil. universit. Paris. ,
$ 3 (p. ao/i, 3/»6). t. I, p. 79, n° ao.
. ^'^ Les EtablissemenlsdeSaint-Quenlin.aTl.^io, ''' Summa, chap. xxvill, De teneara per pa-
dans Gii-y, Elude sur les origines de la commune ragium, S i; chnp. xxxiv. De primogenilo , $ 5.
f/c 5nin<-0Hc7i/in, Sainl-Qiienlin, 1887, p. 7^- ''' Summa, clmp. lu, De curia, S V) {p. lio).
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 141
ment des cours royales: il distingue trois catégories de cours, et il les
désigne par des expressions qui s'appliquent aux réunions de ces cours
mieux qu'aux cours elles-mêmes; à savoir : l'Echiquier, l'assise, le
plaid. Tels sont, dans le système du jurisconsulte, les trois degrés
de justice. Les plaids sont les assemblées judiciaires pour les affaires de
minime importance. Toutes les alTaires importantes doivent être plai-
déesen assise par-devant le bailli, ou en Échiquier''^ L'Échiquier est
une véritable cour d'appel; sa mission est ainsi exposée : De ballivis et
aliis mlnuribns justiciariis errata corrigere, minus discrète in assisiisjudicata
revocare. . . Au-dessus de toutes ces cours, le prince lui-même possède
la plénitude du pouvoir judiciaire''^'. C'est là une doctrine constante
au moyen âge. Elle trouve ici son écho; voici en quels termes le
jurisconsulte nous fait connaître la mission de l'Echiquier : Cuihbet,
lannaam ex ore pnncipis , justicie reddere plenitndinem inddate. Si l'Echi-
quier rend la justice au nom du roi, il est chargé aussi de sauve-
garder tous les droits royaux : ej us jura penitus observare, maie ahenata
revocare ''*'.
Les contestations sur la compétence sont le pain quotidien dès
hommes de loi au moyen âge, et, parmi toutes ces contestations, les
plus fréquentes de toutes sont celles qui ont pour point de départ le
privilège de cléricature. La Coutume de Normandie posait, à cet
égard , cette règle : NuUus autem clericus vel persona ecclesiastica sea reli-
(jiosa débet capi vel arrestan , nisi ad presens malejicium captus vel detentus
juentvel (juouscjue captus cum clamore haroujuerit insecutus, et Ecclesie débet
reddi ipsnm reffuirenti '*'.
Le lecteur sent bien que des contestations nombreuses s'élevaient
autour de cet article, car il sait déjà que l'archevêque de Rouen et ses
' ' Chap. nu, De haroii.i-], 8; chap. liv. De d'un compilateur du xv' siècle, Pierre Le Petit :
tt«tsia;cliap. LV,DeScae«no(édit.Tardif,p. i43- « Le sergent d'un bas justicier ne pourroit faire
145). Cette tenninologie tripartite est-elle « exécution sans mandement hors de celles (les
d'un usage constant ') Nous n'oserions l'alTinner. « lettres) qui sont passées au pks du lieu » ( Bilil.
Toutefois telle locution qui parait discordante, nat. , fr. 5333, fol. i33 r°).
celle-ci par exemple : in assisiis vicecomitatus ''' liejc est jadex simpliciter et generaliter,
(chap Lix, Deplegiis,i lo, ibid., p. i5i),est sine contesUttione et determinatione et restric-
peut-être, au contraire, en parfaite harmonie tionv { Liber practicas de consuetiidine Remensi,
avec les définitions ci-dessus relatées, car il 73, dans Varin, Archives législatives de Reiins,
s'agit probablement d'assises présidées par le 1" partie, Coutumes, p. 85).
bailli dans la vicomte. Le mot «plaid» est, à ''* Chap. tv. De Scacario, S i,p. i45.
coup sur, employé tout à fait suivant l'esprit '*' Chap. i.xxxit. De clericis et personis eccle-
desdélinitionsde notre futeurdanscettephrase siasticis , p. 197.
142 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
sufFragants éprouvèrent, en i3o2, le besoin de le faire confirmer
expressément par le roi de France; confirmation qui devait transfor-
mer ce chapitre important du Coutumier, œuvre privée, en un texte
officiel ayant valeur et force de loi^''. Cette transformation ne changea
rien au fond des choses : les querelles ne cessèrent point. On pourrait
croire, en lisant ce chapitre de la Coutume, que le clerc pris en fla-
grant délit pourra , non seulement être arrêté par le pouvoir civil , mais
aussi quelquefois être jugé par ce pouvoir; car il est dit tout simple-
ment qu'il sera rendu à l'Eglise, si elle le réclame : Ecclesie débet reddi
Ipsum recfuirenti. Mais cette hypothèse d'un jugement rendu sans diffi-
culté par le pouvoir civil est purement gratuite, car en regard de ce
texte il faut placer les nombreux canons de conciles normands du com-
mencement du XIV" siècle qui interdisent d'une manière générale aux
justices civiles de statuer sur le cas d'un clerc pris en. flagrant délit ou
après clameur de haro. Par conséquent, l'Eglise ne réclame pas le clerc
dans telle ou telle circonstance; elle le réclame d'une manière absolue
et générale : elle le réclame toujours. Bien entendu, les justices civiles
ne font pas droit ou ne font pas toujours droit à cette prétention, et
les plaintes de l'Eglise sont incessantes. Elles se produisirent notam-
ment au concile de Vienne en 1 3 1 1 . Les doléances de la province de
Rouen sont ainsi résumées : Provincia Kothomacjensis diceiis (juod super
Jadis personahbus, et presertim in auihusjuit clamor de aro, ad respondendum
coram se ipsos clericos nituntur compellere ipsijudices seculares^'^K La solu-
tion prise par le concile, si tant est que le concile lui-même ait statué,
ne nous est pas parvenue '^l Mais nous avons cet avis sommaire d'une
commission du concile : Super xiif articula, ubi agitur cjuod (luidam cle-
ricos, super delicto ubijuent clamor de haro, nolentes starejuri coram secu-
lari judice, si per innuestam laicorum culpatos eos invenerint , emendam
preslare compellunt : — Reprobetur et provideatur debite^'^K Ce reprohetur et
provideatur débite est, ce semble, une allusion à l'excommunication '^^
(bien usée au xiv* siècle).
'' Ord., t. 1, p. 348. Cf. ci-dessus, p. 70. impnnitatem excessaum obtinere speriintes , non-
'*' Elhiie, Ein Braehstûck der Acten des niiUa multoties cominittiint enormia, per qtite
Coiicil* von Vienne , dan» Archiv fur Litlei-atur- nimiram diffamatnr Ecclesia (Clémen-
und kirchengescliichle , t. IV, p. 10. tines, 1, ix, De ojficiojudicis ordinarii , 1.)
'*' Nous possédons une décision du concile ''' Ehrle , loc. cit. , p. 44.
de Vienne signalant aux évoques l'audace des '*' Voir notamment Khrle , ibid. , p. 43 :
clercs qui prétexta privilegii dericalis ordinis Saper x° articalo, etc.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 143
À ces luttes de compétence au sujet des clercs se rattachaient des
intérêts pécuniaires, qui en sont fort souvent, au moyen âge, l'expli-
cation la plus vraie. Ici l'Echiquier, par arrêt de 1267, s'était efforcé
d'assurer le payement d'une amende en cas de condamnation d'un
clerc : « En l'Echiquier mil 11" lxvii fut jugié que clers prins pour cry
«de haro, s'ilz sont actains, pairont amende, pour ce que le roy est
«de ce en saisine et que c'est fraction de pais, laquelle il est tenu
« garder par toute sa terre ''l »
Les débats sur le droit de patronage ont été aussi l'occasion de que-
relles sans fin entre l'Église et l'État, querelles qu'on ne soupçonne-
rait pas si on s'en tenait au texte du Goutumier. La grande enquête
ordonnée en i2o5 par Philippe Auguste sur une série de questions
relatives aux rapports de l'Église et de l'État porta en première ligne
sur la compétence en matière de patronage : les barons normands
affirmèrent que les contestations sur le droit de patronage étaient ré-
solues in cnria régis vel in curia dominifeodi''^K Les barons ne paraissent
pas avoir la moindre hésitation sur la compétence (ils ne s'occu-
pent, il est vrai, que du cas où le patron est un laïque). Un peu
plus tard, en 1207, les prélats de Normandie, sans contester la com-
pétence de la cour laïque, demandèrent que l'Eglise fût représentée
dans l'enquête qui précédait et préparait la décision du tribunal
laïque; ils souhaitaient que le jury fût toujours composé de quatre
prêtres et de quatre chevaliers '^^ Philippe Auguste fit droit à cette
requête par mandement adressé en octobre 1207 à ses baillis de
Normandie'''^; mais, par une ordonnance communiquée peu après
aux évêques, le roi retira évidemment une partie de ce qu'il avait
accordé : ici, en effet, Philippe Auguste n'adopte plus, pour toutes
les contestations, le système proposé par les évêques; il se con-
tente d'appliquer le jury mixte aux débats entre laïques et personnes
d'Eglise ou aux débats entre deux ecclésiastiques '^^. L'ordonnance que
'"' Ms. fr. 5333, fol. 208 r° (compilation ''' Littere prelatorum Normannie (Teulet,
de Pierre le Petit). Cet arrêt ne figure pas Layettes, t. I,p. 3io).
dans L. Delisle, Recueil des jugements de '*' Le Très ancien Coutumier, texte latin,
l'Echiquier de Normandie (année 1367); il chap. i.\xvii, De présent, ad eccles., édit. Tar-
se trouve en latin, mais sans date, dans les dif, p. 75-78 (L. Delisle, Cat. des actes de
Magni rotali Scaccarii de Léchaudé d'Anisy, Philippe Auguste, n° io5o).
p. i5o. f) L. Delisle, Cat. des actes de Philippe
''' Léchaudé d'Anisy, Magni rot uli Scaccarii Auguste, n° io5i. Cette lettre de Philippe
Normanniœ, p. i44- Auguste, précédée de la requête des évêques.
144 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
nous analysons ne dit pas un mot des débats entre contendants
laïques. Par suite, elle laisse subsister en ce cas le régime habituel des
enquêtes. Ce système du jury mixte dans certains cas, du jury ordi-
naire dans les autres cas, est précisément celui du chapitre ex : De
brevi de jnre patronatas; l'auteur y décrit, dans les paragraphes i à 6,
la procédure usuelle des enquêtes; dans les paragraphes 7 et suivants,
il passe au jury mixte. Que le jury mixte ou le jury ordinaire ait pro-
cédé à l'enquête, c'est le tribunal laïque qui statuera sur le droit de
patronage, sauf à l'évêque à conférer le bénéfice à qui de droit, en se
conformant à la décision de principe du tribunal. Cette solution était
en contradiction avec le texte d'un accord de 1 190 que nous avons
déjà cité : Niillafiet recocjnido in foro seculari snper possessione (juam
viri religiosi vel (jiiecumaue ecclesiastice persane xx annis vel amplius posse-
derint. Similiter nuUafiet recognitio si carta vel alio modo eleemosmatam esse
possessionem prohare poterint; sed ad ecclesiasticos jndlces renutlentu.r^^\
Vers i3oi, en un temps où Philippe le Bel, qui avait besoin des
ecclésiastiques, faisait à l'Eglise concession sur concession, on peut
citer encore, sinon une application stricte de ce principe ancien, du
moins une dérogation aux règles de notre Coutumier : l'abbé de Saint-
Ouen de Rouen, à propos d'un litige sur une question de patronage,
soutint, à cette époque, dans une requête « au roi et à son noble con-
«seil»,que, «le content étant entre personne d'Eglise et personne
« laie » , on devait étudier avant tout la question de savoir si la pro-
priété du patronage n'appartenait pas à l'Eglise par concession royale
ou ducale, examiner ensuite qui était en possession , et, en cas de con-
statation favorable à l'Eglise, statuer d'autorité sans enquête légale au
profit de l'Eglise. Nous ne forçons pas les textes en disant que l'abbé
de Saint-Ouen demande, au résumé, une enquête officieuse ou de
complaisance au lieu d'une enquête régulière. Philippe le Bel fit droit
à cette supplique : il ordonna au bailli d'informer et, en cas de con-
statation favorable à l'Église, de statuer sans enquête proprement
dite. Tel est le sens de cette décision royale : Ipsos ahbalem et conventum
super hoc in strepita jiïdicii seu processu litis ponere aut alias (^aocfiio modo
figure dans un petit nombre de manuscrits du '*' Radulfus de Diceto, Ymagines historia-
Grand Coutumier, entre les chapitres r,x et CXI mm, édit. William Stubbs, t. Il, I.ondon,
(cf. Tardif, p. 273, note 4). 1876, p. 87.
LES COUTUMIERS DE NORM\NDIE. 145
dejatigare non présumas, sed militem ipsiim super oppositwne predicta ces-
sare facias et ad desistendum Jirmiter compellas^^K Le roi déroge ici au
droit commun en faveur d'une église (tout comme, à l'occasion, il
sait y déroger dans son propre intérêt )*'^l
Pareille solution est exceptionnellement bienveillante. Et cepen-
dant, en thèse générale, le clergé voudrait davantage. Il prétend,
en effet, en toutes contestations sur patronage d'églises, échapper
entièrement aux juridictions civiles. En i3ii, lors du concile de
Vienne, le clergé normand contesta la compétence des tribunaux ci-
vils qu'il avait paru accepter en i2o5. Voici le résumé textuel de
ses doléances : Provincia Rothomagensis dicens (juad, Ucet causa jnris
patronatus super benejicin ecclesiastico adeo sit spirituallbus annexa, (jnod
non nisi [ai] ecclesiastico jadice valeat diffiniri, attamen judices seculares de
ea cocpioscnnl et diffuiiant^^\ On peut dire que cette requête vise toute la
procédure décrite au chapitre ex de notre Coutumier.
Que lit la commission du concile? Elle temporisa : Super secundo
articnlo, nbi acjitur de cognitione juris patronat us, etc. : — Locjuendumestpre-
latis illias proviiicie et procuratori capitulorum (jui dédit istud (jravamen^'*\
L'embarras de la commission est visible. Elle se trouvait en face d'une
ordonnance royale et d'une jurisprudence constante qui faisaient
échec aux prétentions du clergé. Ces réclamations n'eurent aucun
succès. Dans le temps même où elles se produisaient, le bailli de
Caen statuait, sans hésiter, sur une contestation de cet ordre entre lé
roi de France et l'abbaye de Troarn (notons à cette occasion que
le bailli jugea en toute indépendance contre le roi)'*l
Les tribunaux civils s'habituèrent à considérer le droit de patro-
nage comme un accessoire du droit de propriété, accessoire qui,
assimilé à tout autre droit réel, était, par suite, de leur compé-
tence'®).
Sans nous attarder davantage sur l'organisation judiciaire et sur
''' Bibl.nnt., collection Moreau, acte de '*' héchuxidé d'Anhy, Mugni roliili Scaccarii
Philippe le Bel en copie du xviir siècle. Norm., p. 208, aoq.
'*' Bibl. nat. ,lat. 1091 9, fol. 90. Cf. Lan- '"' Le concordat messin de i486 est très
gloh. Textes relatifs à l'hùt. da Parlement, favorable à l'Eglise. Il décide néanmoins que,
p. i5o. dans les affaires bénéliciales, s'il est question
''' Khrle, toc. cit., p. ni, 'lo.. de la seigneurie «ou seroit le patronage, le
'** Ehrle, ibid., p. /i/i. Il n'y a rien sur cette «droit permet que le juge séculier puet con-
question dans les Clémetitines , Il I , xir, De jure « noistre de la seigneurie qui tire le patronage
patronatas (concile de Vienne). «a soy » [Histoire de Metz, t. VI, p. 324).
HIST. LITT. XX\ Kl
146 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
les questions de compétence, très sommairement traitées dans le
Grand Coutumier, nous arrivons à la procédure.
Un trait d'un intérêt général, car il jette un jour très vif sur la
société féodale, est consigné au chapitre i.ix, De plegiis. L'auteur
nous apprend que le vassal est tenu en toute circonstance de se
porter pleige de son seigneur : s'il ne vient pas volontairement pleiger
son suzerain, il est appelé en garantie par celui-ci. Une pareille obli-
gation complique tous les procès, car elle introduit ou peut toujours
introduire dans les débats, en les mêlant aux plaideurs principaux,
des plaideurs de seconde catégorie : les pleiges féodaux ; ils ne sont
Î>as, d'ailleurs, garants solidaires et pour le tout. Voici la limite de
eur responsabilité : Notandum est cjiwd omnes homagiati dnminum muni
tenentiir plegiare de debitis suis, ita tamen (jaod nullus tenetur, ultra valo-
rem redditas vel faisanciarum (juas ei débet per unum annum, ipsum ple-
(jiare^^K La Coutume de Normandie et celle de Bretagne ont conservé
jusqu'à la fin de l'ancien régime un souvenir de cette antique obli-
gation de pleigerie de tout vassal envers tout suzerain'^' : devoir de
pleigeriequi a disparu ailleurs de bonne heure, et qui probablement
même n'a jamais été général dans les temps féodaux. Salvaing constate
qu'en Dauphiné, dans la première moitié du xiv* siècle, certains fiefs
seulement y étaient astreints : on les appelait «fiefs de plejure*^'».
Boutillier, à la fin du même siècle, s'occupe aussi de ces « fiefs de
plejure ». Il les considère comme des fiefs d'une nature toute spéciale
et, de plus, il ne les connaît pas directement. Il en parle de seconde
main, et peut-être son dire est-il en partie inspiré précisément par
notre Grand Coutumier normand : « Encore dient les sages qu'il
« y a un autre hommage qui est appelle hommage de plejure, car
« l'homme doit faire plejure pour son seigneur pour l'honneur de luy,
« et tout ce est en droict et par raison '*'. »
Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer ici que, déjà à l'époque
•'' Chap. Lix, Deplegîis, S lO (p. i5o, i5i). Lyon, 1621, p. 819. Toutefois, dans le même
On peut voir un exemple de pieigerie dans chapitre, l'auteur, décrivant la réi-émonie de
L. Delisle, Carlulaire Kornuttid , p. ga.n'Siy l'hommage, parait admettre que tout vassal
( 1 5 avril 1 25d ). doit être « tout prest d'ester en droict pour son
'*' Coutume de Normandie de 1 583, art. 3o5. «seigneur, se mestier estoit » [ibid., p. 818);
Coutume de Bretagne de i58o, art. 85. notion qu'il a, sans doute, empnmtée sans
'*', Salvaing, Traité de l'usage des fiefs, A\[- réflexion précisément au Grand Coutumier
gnon. 1731, p. 383. (chap. xxvii, Dr homaglo, S 6, édit. 'l'ardir,
'*' Boutillier, Somiiie rural, 1 , 83 , édit. de p. ().)-o6).
i
LKS COUTUMIERS DE NORMANDIE.
\'il
franque, une obligation depleigerie reliait entre eux tous les membres
du groupe appelé dans les textes du temps mitium^^K
Les parties peuvent se faire représenter en justice par un procu-
reur appelé attornatas (attourné), sauf pourtant en certaine catégories
d'affaires où elles doivent comparaître en personne'^'. L'avocat est tout
à fait distinct du procureur ; sa présence suppose celle de la partie ou
celle de l'attourné, représentant de la partie.
Les procédures sont orales'^', et certaines formules rigoureusement
fixées ont un caractère pour ainsi dire rituel. Dans les actions de ro-
berie et de trêve enfreinte, par exemple, le plaignant doit prononcer
notamment les mots «en la paix de Dieu et du duc, en félonie''*'» :
ces mots sacramentels, légués par la tradition, se retrouvent en An-
gleterre'*l Voici la formule complète de l'action de roberie traduite
en latin : Egu (jneror de Thoma qui me in pace Dei et dncis asscdtavit in
felonia et verberavit me et miln plagam fecit et sangmnem, et abstidit mihi
capam in roheria, unde me harou opurtuit clamare. Le plaignant qui s'est
trompé de formule ne peut en employer une autre et succombe
dans sa demande. Telle est, du moins, la doctrine du Parlement'^'.
Le défendeur est traité moins rigoureusement : s'il a tout d'abord
fait une réponse improvisée et qui n'est pas juridique, on lui accorde
la faculté de se reprendre après avoir demandé conseil, et de for-
muler une autre réponse plus régulière; cette réponse sacramentelle
doit être la dénégation mot pour mot de la demande [negante verbo ad
rerZ»Hm)'^'. L'auteur du Très ancien Coutumier enseigne ici que le
défendeur pourra, pour éviter quelque inexactitude, se contenter de
''' Hilperici reijis edictiim, 6, dans Behrend,
LexSalica, 'i' édit. , VVeiinar, 1897, p. i53-
'*' Notamment « loi prouvable , desresne »
(cliap. cxxiv, De lege apparenti, S a , p. 338).
Chap. Lxiv, De ullonialo, p. 160-161. Cf.
chap. LXlii, De prolociitore , ibid., p. iSS-iSg.
''' On voit cependant poindre l'écriture :
Si quis aiitein recorilalionem pciat et recordalores
in scriptis reduxerit, etc. (chap. cix. De recor-
datione pelita , S 5, p. a64)-On peut joindre ce
qui sera dit, à la lin de cet exposé, des brefs
qui reviennent si souvent dans la procédure
nomiande et des jugements écrits de l'Kchi-
quier.
'*' Chap. Lxx , De roberia , S 1 ; chap. i.xxi , De
treugafracta, S 3 (p. 179-180); cf. chap. lxxiv,
De assailli et fracta pace, S /i [ibid., p. i84).
''' Dracton , liv. III , traité li , chap. xix, S a ,
édit. Travers Twiss, t. II, p. l\.\o.
'"' Secmidnnt consuetudinem Francie ex quo
iiliquis cadil a peticione sua secundum anum mo-
diim petendi, nisi de iiovo emerserit, non débet
aiidiri (Beu},'not, Olini, I, 470). Cf. Brunncr,
IVort iiiul Form im altfranzôsischen Prozess ,
dans Forschungen znr Ge^chicble des deiitschen
tind franzôsischen Redites, Stuttgart, 1894,
p. 378-379.
''' Chap. L\\, Dfl roAena, $3 , p. 179-180;
chap. i.xxiv, De as.ialtit el fracta pace,î'n , p. i84.
'9-
148 LES €()UTUM1ERS DE NORMANDIE.
dire : Effo penmfo per eadein verlta per (fue me replalis^^K L'emploi de
Vavocat («conteur» ou « avanlparlier») vient aussi atténuer la ri-
gueur du formalisme: en eflet, la partie qui a institué un avocal
ne prononce pas elle-même les formules : elle devra, après le dire de
l'avocat, avouer ou désavouer les paroles prononcées par celui-ci; Si
elle désavoue, on pourra recommencer la procédure; mais alors uu
' autre avocat sera institué et prononcer? la formule ^^l . ,il . .
l^es chapitres cxxii à cxxiv du Grand Coulumier contiennent une
sorte de généralisation des procédures diverses décrites dans l'ou-
vrage. L'auteur, dont nous utiliserons le résumé en nous efforçant de
l'éclairer, ramène toutes les procédures normandes à trois grands
groupes qu'il appelle lex probabilis vel numslralis (loi prouvable ou
monstrable); disraisiiia (desresne)'*'; lex appareils (loi apparissant). [^
Les procédures dites lex probabilis et disraisnia sont usitées l'une «t
l'autre dans les affaires peu importantes, dont la valeur ne dépassie pas
dix sons. Elles sont souvent réunies sous cette qualification cominune :
lex simplex^'*\ et ne font, en effet, dans leur structure générale, qu'une
seule et même procédure. Notre auteur, s'essayant à une synthèse
générale de la procédure, pourrait bien avoir créé lui-même cette»
classification et cette . expression de lex probabilis,, c^\il ne figure quitj
dans les chapitres cxxii et cXxiit.»/!. a.-! lu'nfjii t? r,\
Dans la lex probabilis ou monstralis, la preuve incombe à la partie
dont un acte est contesté : elle doit prouver son fait. Cette preuve est
fournie ])ar le serment de la partie seule ou par le serment de la
partie et d'un cojureur, de là partie et ,d'un nombre variable, de ço-
jureurs. Nous choisissons avec intention dans le Grand Coutumier un
exemple exposé un peu sommairement par l'auteur et où se ren-
contre une expression qiii peut prêter à ramphibolbgié et qu'il sera
bon d'expliquer : un demandeur s'exprime ainsi : « Vendidisti mihi
porcnm \xx denarios; eos habaisti : porciim peto. » Le défendeur prétend
avoir livré le "porc. Responso ab altero : nVeriim est, sed porcum. fibi
Iradidi; qiiod paratns sam probare. » Il fera cette pi'eUve par son serment,
• ■' • " '.'•'.'''■.■■:, ' ■ ■ ■ ■ ' ■. •■.-.. ■ ' . ... V
''! 7Vè.<nHcii'nCoH(<»mier, ti'x/e/«jJiB,ç,hap.i.XU. est consacré à l'.exposé , de la procédure ..par
De qiieslione mota, \t. !\'i-\)i. .. ...A-.. •«,■'. >' ,<• desresiie (édit. Tardif, p. aoo-îoG), dont lau-
. ,<'' Chap, i.xiU'. lie piolocnloFe, p. 1 58-1 60. teur s'occupe de nouveau 4U chapitre CfJiU^,
Il faut lire sur ce formalisme normand Brun- De disraisnia (p..3u§-33i). i„-,<,fT l/.c ar-
ner,. Woii and ForiH.\>i tCto-i^i^. '*' Chap, i,xxxV;f<,i)«, 9U('rrjapoj«>.<Wpiia{<,i|^t
; .['} J^e diapitre. i,îi\xv, Jk.iimpliicibuf ktfibus. p. a 1 o. . , „ .
• tri
LES COUTL'MIERS DE NORMANDIE. 149
confirmé par. celui de deux cojureurs. Hec probahilia per actoris et alio-
ram diiorum sacramenta poterit celebrari. Actor ne doit pas ici être traduit
par M demandeur, » mais bien par « la partie qui a agi », ou mieux « la
partie qui doit prouver son acte » ( la livraison du porc)''l
Dans la procédure dite desresne, la preuve incombe à la partie qui
nie un fait à elle imputé. On remarquera que celui à qui incombe la
desrtesne (ou la lex prohabilis) est le défendeur; quant au demandeur,
il lui suflit pour mettre en mouvement cette pi'océdure de produire
à l'appui de sa plainte un témoin de visu et auditu. «Je me plaing
« dé G., dira un demandeur, qui me feri de sa paume en la joe. » Le
témoin reprendra : « C'est voir, je le vi et l'oï. » Après quoi, le querellé
offrira la desresne en ces termes : « Tel mesfait ne fis je oncques. Et
«cil qui tesmoing s'en fait.ne le vit rie n'oit,, et sui prest de mien
« desrenier. » Il baillera en même temps son gage de faire la desresne.
Au jour dit, on recordera les paroles par lesquelles on s'est engagé, à
la desresne; elle s'accomplira par le serment du défendeur, ainsi conçu:
• Ge oies tu. P., que je tel njesfaict ne te feis oncques; ne ton tesmoing
«ne: le vit ne n'oït. Si m'aïst Diex et ses sains I » Et les cojureurs à leur
tour.; «Du serement que Guillaume a juré sauf serement a juré. S\
«, m'aïst Diex et ses sainsJ » Dès lors, le défendeur aura gagné sa cause
qt le demandeur sera condamné à l'amenderai ,1 . ,
t AGes deux procédures, lex prohabilis et * desresne, » sont identiques,
à cela près que le serment est afTirmatif dans la lex probabihs ,,nêgdA'ii
dans la desresne. ••^'.••infi'diil» idkI ^'♦Tjjhojo'iq /ii'»ii ^wr^nm ^i)fif>(inui(
: On s'est souvent étonné d'un 'système qui met^irisila preuve à Ift
charge du défendeur. Mais ce que, nous, appelons ici "la preuve est
d'une extrême simplicité. .Ge n'est autre chose que le serment de
la partie^ fortifié, confii^mé la plupart du. temps par celui d'un ou
de -plusieurs cojureurs. Nous imposons aujourd'hui ,1a preuve au dçn
mandeur, parce que c'est une charge dans notre, droit; le législateur
normand remettait au contraire la preuve au défendeur; mais c'était
là, pour ce dernier, ,}yi véritable pj:i,yilçgç, «^(ansles deux cas, par
• " «• -fj *-\ .lurr .iitf .<| .jnniy Wo.
.■■Ai\ )ù r' : ■ . ... .' .'■'..,:,./ , !| .!. .>\ •','...,,>. •
'"' Chap.' cxxil, De lege probabili vei mons- • '*' Gbàp. :L\TiXlv,' De simpUci tfuerela perso-
trali, S 5. La traduction française ne s'embar- nati; chap. Lxxxv, De simpUcibaslegibiu, p. 1 98-
rasse pas (lu mot ofJo/- et rend fort bien le sens 'loi. Le texte français .que ..nous citons est
de la phrase : «Geste preuve puet estre faicte . empruntç au juannscrit fj-. SGgi, foL ^9 r*
« par soi et par deux aultres. » et v°. ..:!•, '.■> -;-
150 LES COUTLMIERS DE NORMANDIE.
M conséquent », comme l'a fait obseiTer justement M. Beaudouin, « c'est
« le défendeur qui a la bonne position'*'. » Et il en doit être ainsi dans
l'intérêt de la vérité et de la justice. « Etant donné que l'on s'en rapporte
«à la déclaration de l'une des deux parties, celle des deux qui est le
« mieux à même de savoir la vérité et,- par conséquent, celle qu'il vaut
« le mieux croire, c'est ordinairement le défendeur. Cette observation
« est surtout frappante dans les actions fondées sur un délit'^'. » C'est
ce qui est fort bien dit dans le Grand Coutumier : Et (fuoniam proprii
facti nnusqiiisoue presamitur scire meliiis veritalem, disraisnia de facto mwd
ei objicitur concedilur insecato^^K Ainsi notre auteur ou, suivant M. Tar-
dif, un de ses continuateurs, nous donne, comme on l'a remarqué,
tout à la fois la vieille règle et le motif de cette règle.
La question de savoir si, dans une affaire déterminée, on prêtera
un serment affirmatif ou négatif, s'il y aura lieu, en d'autres termes,
d'appliquer la loi prouvable ou la desresne , semble avoir été souvent
fort délicate. Nous supposons que cela dépendait des mots employés
par l'une des parties pour dire ses prétentions'*' : le formalisme des
mots jouait un rôle considérable. Mais le serment déféré au défendeur
n'a plus, dans la procédure normande, qu'une valeur secondaire :
une foule d'affaires échappent, comme on va le voir, à ce mode de
preuve, qui, dans les temps barbares, avait une importance beaucoup
plus grande. Une catégorie énorme d'affaires relève, en effet, de la lex
apparens. Sous cette formule élastique, lex apparens, les jurisconsultes
normands rangent deux procédures bien différenteset même contraires.
Les actions criminelles, c'est-à-dire les accusations de meurtre, de
larcin, de trêve enfreinte, etc., donnent lieu au duel judiciaire
et rentrent dans les procédures dites lex apparens^^K Une série très
nombreuse d'actions qui ont pour objet la protection de la fortune
immobilière'*' appartient à cette même lex apparens : nous voulons
parler de toutes les actions qui nécessitent une vue ou enquête pro-
'*' Beaudouin , Remarques sur la preuve par le '*' Beaudouin , /. cit. , p. 4a i •
serment du défendeur dans le droit franc, p. 4io. ''' Cliap. r.xxiil, De disraisnia, S i, p. 3a8,
Cf. Brunner, Deutsche Rechlsgeschichte , t. II, '*' Chap. r.xxill, De disraisnia. S 8 in fine ,
p. 373, et Declareujl, Des preuves judiciaires p. 33 1.
dans le droit franc du v' au viii' siècle d&m '*' Chap. i.xvi, De ^uert/jj.SG, etchap.LXVll
Nouvelle revue historique de droit français et à i,xxv, p. 166-190.
e(ran>/er, t. XXII, p. nao et suiv.. 457etsuiv. , '*' CUap. xci, l)epossessioneimmobili,f. 11 G-
7^7 et sniy. 217.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
151
voquée par un bref décerné au nom du roi'^^. Ces brefs, dont il est si
souvent question dans la procédure normande'''', furent, à l'origine,
c'est-à-dire aux temps carolingiens, des. faveurs du prince, qui plaçait
par là le plaideur dans une position réputée meilleure, et lui épargnait
la rigueur d'une procédure barbare'^', très ordinairement le duel judi-
ciaire. Notre auteur a un sentiment vague, mais,, somme toute, un
sentiment vrai de ces origines lointaines du bref et de la procédure de
vue ou enquête. Il s'exprime ainsi : Normannoram itaqiie principes pu-
pillis, vidais ceterisque pericia seu consiho carentihus, nefortioram sen po-
tenciumastiiciajnre debito privarentar, (juasdam supradiclaram (juerelariim
perbrevia terminare vohierant, omnes videlicet (jue snnt snpenus prenotate ,
excepta illa (jue est de hereditate dijfnrciata , qne per legem duelli est termi-
nanda^'^h Citons parmi les brefs de la procédure normande : le bref de
nouvelle dessaisine (chap. xciii), le bref de saisine d'ancesseur
(chap. xcviii), le bref de mariage encombré (cbap. c), le bref de
patronage d'église (chap. ex), le bref de fief et aumône (chap. cxv), etc.
Le bref était un instrument de procédure trop usuel et, pour le pou-
voir civil, d'un maniement trop facile pour qu'il ne fût pas souvent
utilisé dans les affaires touchant aux intérêts de l'Eglise. Celle-ci,
plus d'une fois, se déclara atteinte dans ses droits par l'abus des
►
'"' Certaines formules de brefs sont plus
complètes dans le Très ancien Coutumier que
dans le Grand Coutumier, lequel ne donne pas
les premiers mots du bref; les brefs du Très
ancien Coutumier sont délivrés au nom du roi
ou du sénéchal : Rex vel Senescallus ballivo suo
saltttem [Le Très ancien Coutumier de Norman-
die, texte latin, chap. lxxxvi, De feodo et va-
dio, S I , édit. Tardif, p. vff) ; mais nous croyons
que , de bonne heure , ce fut le bailli qui délivra
le bref, tout en maintenant peut-être encore
la formule ancienne ; un vicomte pouvait même
décerner cei-tains brefs : « En l'ELscliiquier de
« Pasques mil iii° xvi , tenu a Rouen , fut jugé ,
« pour Jehan de Vandosme et pour sa femme ,
« que ung bref de nouvelle dessaisine que ung
« viconte avoit donné se pouoit soustenir et
« que les vicontes ont pouoir de donner tclz
«briefz» (Bibl. nat., fr. 5333, fol. 208 v").
Rapprocher: i * les doléances du clergé normand
qui, en i3ii,se plaint au concile de Vienne
des brefs délivrés par le juge séculier (Ehrle,
Ein Bruchslûck der Aclcn dt-s Concils von Vienne,
p. 36-37 ) ; a" une formule de bref de nouvelle
dessaisine du xv* siècle , commençant ainsi :
Tel juge au premier sergent, etc., salut (Bibl.
nat., fr. 533o, fol. 120 v°).
'*' Siniplices autem aicuntur qaerele possessio-
nales quando per simplicem legem processus earam
terminatur, apparentes autem quando per legem
apparentem, vel per daellam , vel per inqaisitionem
patrie, que recognitio dicitur, earum processus
terminatur (chap. lxxxvii, Deqaerelapossessionali,
i 3, édit. Tardif, p. 209). Le vel, deux fois
répété, ne fait pas opposition à per legem ap-
parentem : il en est le commentaire et l'expli-
cation, comme le prouve la comparaison a>ec
le chapitre cxxiv. De lege apparcnti , p. 33 1 -
34o , et avec les cliapities lxvi. De querelis,
S 5, et i-xvil, De mullro, p. 166-17/i.
'*' Cf. Bnmner, Die Entstehung der Schwar-
gerichle, Berlin, i87'î, p. 70-1 4i.
'*' Chap. xci. De possessionc immnbili, S 3,
p. 2 1 7-3 18. — Sur le duel possible après la vue
en cas (Vhereditas difforciata , \mr chap. cxxiv.
De lege upparenli (p 33i-34o).
152
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
l)iefs : les prélats normands se plaidaient vivement de ces brefs abu-
sifs, au concile de Vienne, en i3ii"'. •■■■■] •' - ' r -
En regard de ces procédures, que iioUs a|)peHerions volontiers
classiques, il faut placer dans certaines affaires criminelles une pro-
cédure d'enquête qui n'est pas cette «vue» dont nous parlions «à
l'instant, mais une information entreprise par le représentant du pou-
voir.
En principe, ce mode d'action ne peut être adopté que si l'accusé
y consent. Notre auteur nous apprend qu'on emploie volontiers ce
moyen lorsqu'une femme est accusatrice ou accusée, car, en ce cas,
le duel judiciaire ne saurait, sans difiiculté, avoir lieu : en ces circon-
stances, on avait souvent recours autrefois à l'épreuve judiciaire, niais
l'épreuve judiciaire a été prohibée par l'I'jglise '^^. De là une grande
extension donnée à la procédure d'enquête. L'auteur explique que
l'enquête est d'un usage constant lorsque l'accusateur et l'accusé sont
deux femmes'^'. Un autre texte semble indiquer que l'enquête peut '
encore avoir lieu sans le consentement de la partie lorsqu'un juif a
été assassiné par un chrétien '*). Les enquêtes d'olFice ne cessèrent de
se développer. Les barons reprochaient vivement à saint Louis l'em-
ploi de ces procédures. France, disaient-ils, ne mérite plus le nom
de douce France! France est aujourd'hui pays à sujets, terre «acu-
« vertie'*'». " •' '' -' -
Le moyen le plus efficace d'obtenir le cdrisèritëment de l'accu-sé à
l'enquête, c'était de le tenir en prison jusqu'à ce que ce consente-
ment eût été donné. Tel était, au dire du jurisconsulte, le procédé
ancien; il ajoute qu'on avait coutume d'emprisonner aussi l'accusa-
teur; ce qui est attesté, en effet, par les autorités les plus sûres****. De
son temps, on n'admettait pas en principe que la détention fût pro-
longée plus d'un an et un jour'''. Mais il y a tout lieu de croire que
. '') Ehrle , loc. cit.. p. 36 ,37. Rapprocher un
concile <le Rouen du xiv" siècle clans Bessin,
Concilia Rotom. prov. , pars II, p. 88.
''' Nec qiiuqaam puitftitioni aquœ ferventis vel
fiigida.... riluin cnjusUhet heiicdiclionis impen-
(lat (concile de Latran de l'u'), can. i8,
inséré dans Décrétâtes Gteqorii IX, III, 1., Ne
cierici wl moiiarhi, ().
'■"' Cbap. Lxxvi, De seqadu muUei-um, p. itfo-
191. »'.|«"r <| i»«i-in<^\\»< < . ■
'•' Jugement de l'Echiquier «le iaao(l)eli$le,
Jageinents de l'Echiquier, n° t^'t).
'*' Le Roux de Lincy, Recueil de chants histo-
riques français, i" partie, iii/n,p. !»i8.
'•' Cf. Paul Viollet, Les Etablissements </<•
saint Louis, t. I, pt iflo-uoo; t.: H, p. 187,
1 90 , d 1 o : t. III , p. 1 77; t. IV, p. :i6 1 .
^'' Chap. i.xxv,D(; sequela Ireuife fracte , S 7;
chap. LXXVL, ■lie .ieqwela...ii(.ulicrum., p. 188-'
k
LES COUTUMIERS DE NORiMANDIE. 153
le procédé réputé ancien et proclamé le meilleur était volontiers
rajeuni et souvent appliqué à l'accusé seul'''.
Nous terminerons ici cette analyse sommaire et pourtant dé'jà
longue du Grand Coutumier, l'une des œuvres juridiques les plus im-
portantes du moyen âge français. Nous voudrions cependant faire
sentir par une dernière observation combien les travaux des juriscon-
sultes, même les plus précis et les plus riches, nous renseignent
insuffisamment, et combien il serait périlleux de s'en tenir à la lecture
de leurs œuvres, sans consulter en même temps les chartes et les mo-
numents de la jurisprudence. On sait que l'Echiquier de Normandie a
tenu de très bonne heure, dès la fin du xii" siècle, des rôles où il
consignait ses jugements. Les lecteurs du Grand Coutumier ne pour-
raient guère soupçonner l'existence de ce greffe, car l'auteur, qui
traite longuement de la preuve des jugements, s'occupe toujours de
la preuve orale et ne dit rien de la preuve écrite. Celui-là seulement
qui connaît les habitudes normandes pourra lire entre les lignes une
allusion à la preuve écrite, dans le cas où les personnes qui étaient
présentes au jugement sont décédées ou sont absentes. Voici le pas-
sage auquel je fais allusion : Si (fins autem recordationem petat et recor-
datores in scriplis rednxerit, et tanla pars eoram jain decesserit vel a pro-
vincia recesserU aaod recordaiiientiim suuni liahcre non possit per vivos et
in provincia résidentes, non tamen propter hoc recordatio petita ei (juerele
amissionem vel adversario sao (jnerelam dicitiir reportare, cam non in recor-
datlone sua defectus sed in recordatoribiis valeat inveniri^'^\ Puisque, dans
le cas où le témoignage oral ne peut être produit, le record reste pos-
sible, c'est évidemment qu'on emploiera quelque autre moyen de
preuve : cette preuve n'est autre que la preuve écrite. Mais, si nous ne
connaissions par ailleurs l'existence des greffes en Normandie, il nous
faudrait faire ici un très grand effort d'esprit pour soupçonner l'exis-
tence d'une institution si utile aux plaideurs et qui nous a laissé de
si importants et si précieux monuments juridiques.
Bizarrerie bien digiv e remarque : le Très ancien Coutumier, anté-
rieur d'un demi-siècie au Grand Coutumier, mentionne expressément
l'existence de ces rôles dans les tribunaux normands : Très vel cjuataor
'"' N'est-ce pas l'indication qu'on peut très '*' Chap. cix, De recordalione i>etita, S 5,
légitimement tirer du chapitre lxxvii. De vi- p. a6/i. M. Tardif imprime, à tort ce semble :
(luis et pupillis, p. igi-iq^^ dicimus reportare.
niST. I.ITT. — WXIU. 10
154 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
milites... jurati snnt legalem justiciam tenere et jura innocentam cnnservare
el rotiilos fi déliter . . . Rotuli vero conservantnr ad contentiones deprimendnx
de rebns in assisia dijfinitis^^^. Ainsi l'institution destinée à un si grand
avenir, institution qui transformera peu à peu le mode de preuve des
jugements, n'est pas même mentionnée par un auteur qui écrit, au
milieu du xiii* siècle, un ouvrage considérable de droit normand,
alors qu'elle est déjà signalée, au commencement du même siècle,
dans un traité infiniment plus sommaire et, au demeurant, fort
incomplet. Tant il est vrai qu'il faut souvent se défier des conclusions
tirées du silence d'un auteur! ,
li îjo !»/ uh ni
Le Grand Coutumier normand fut très lu au moyen âge. Les nom-
breux manuscrits qui nous en sont restés en sont la preuve. A la fin
du XIV' siècle, Boutillier le mit à profit pour la rédaction de sa Somme
rural. Vers le même temps, un jurisconsulte anonyme, à qui on doit
un Coutumier de Bourgogne encore inédit, l'utilisa aussi. Nous
donnerons à cet égard quelques renseignements très sommaires. ' "
Boutillier, mort au plus tard en janvier i Sgô, a prétendu rédigeif
un coutumier général, mais il ne connaissait personnellement que le
droit de la région Nord-Est de la France, plus particulièrement
le droit du Vermandois, du pays de Lille et surtout du Tournaisis. Sa
Somme rural est une lourde mais utile compilation, dans laquelle il a
misa profit, non seulement le droit romain, le droit canonique et
une série considérable de pièces de procédure et de documents judi-
ciaires contemporains, mais aussi le Stylus Parliamenti de Du Breuil,
le Style de la Chambre des enquêtes, le Style des commissaires du
Parlement et certains Coutumiers tels que les Poines de la duchié
d'Orliens, les Anciens usages d'Artois, les Établissements de saint
Louis et enfin le Grand Coutumier normand'^^
Les emprunts à ce dernier texte sont les seuls dont nous ayons à
nous occuper ici. Plusieurs fragments, compris tous entre les cha-
pitres XX et XXXIII du Grand Coutumier, ont laissé dans le livre 1" de
I ! ; ' U 1 1 • ; 1! U I ) i M 1 . ' '
<'i .Le Très ancien Coutunùvr normand, tea^ ; , ! ; Eiude sur lu procédure et le fonctionnement du
latin , chn|). xxviii , $ i et 2, édit. Tardif, p. a5. Parlement an xiv' siècle, p. 26 ; F. Aul>ert, Les
'*' Sur Ips sources diverses auxquelles Bon- sources de la procédure au Parlement , de Phi-
tillier a puisé, on peut lire Paul V'ioHet, l^es lippe le Bel à Charles Vif, dans Bibliothèque
ÉtaMissements de saint Louis, t. I, p. 3/17- de l'École des cfcflrtejî, t. LIv p. 5oi-5o5.
357; Paul Guilhicnnoz, Enquêtes et procès, • • .
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 153
la Somme rural une empreinte facilement reconnaissable. On ne
trouve aucune trace d'emprunt au Grand Coutumier dans le livre II.
Le chapitre xx, qui traite des suicidés et des décédés sans confession,
a été utilisé dans deux paragraphes du chapitre xxxix''' de la Somme
rural (liv. i"); le chapitre xxiii, consacré aux successions, a été uti-
lisé à plusieurs reprises dans le chapitre lxxviii (liv. I"). Il faut
noter ici — et le cas n'est pas isolé — le peu de précision et même
l'inexactitude matérielle de notre auteur. Il s'exprime ainsi : « Par la
« coustume de Normendie nouvellement tenue et instituée dois sça-
« voir que le fils a l'aisné''' doit avoir l'aisneté; et sans lui ne doit
«nul calenger héritage ne deffendre, ne faire au seigneur hom-
« mage; car il y doit avoir telle droicture de l'escheance que le sien
« père eust eu s'il eust vescu. » Ce droit est-il donc nouveau en Nor-
mandie.'^ Non seulement il n'est pas nouveau à l'époque où écrit
Boutillier, à la lin du xiv" siècle, mais il n'était point qualifié « nou-
«veau» par fauteur du Grand Coulumier. Il y a plus : ce dernier
auteur afiirme que le système de la représentation qu'il préconise est
ancien en Normandie : Licet aatem huic consuetudun, (jue in Normannia
solet antKjuitns ohsèrvan, opponant se plurimi et répugnent in successione
tantummodo patris adprofilinm, asserentes quod profilius avo sno non débet
succedere. . ., sed ipsi nvo dehent succedere filii ejusdem (ch. xxiii). Et
en français : «Ja soit ce que plusieurs soient a fencontre de ceste
«coustume qui souloit estre anciennement gardée en Normendie,
« qui dientque, dans la succession qui vient du père au fds, le nepveu
« ne doibt pas avoir f eritage de son aieul , ains le doibt avoir
« l'autre fils. » Boutillier a lu ce texte trop rapidement : il a cru que
la coutume ancienne visée par le jurisconsulte normand était la cou-
tume exclusive du droit de représentation, n 'tiruffid» m .U
Le chapitre xxvii, S 2, où est exposée la théorie des trois hom-
mages, a passé dans le chapitre Lxxxii, S Quant hommages sont. Nous
avons déjà noté, à propos de ce chapitre xxvii du Grand Coutumier,
'■' Nous citons les chapitres d'après l'édi- fol. cxxvii v° ; Nouv. acq. fr. 686 1 , fol. aô/i r"
tien de Lyon, i6ai. Dans le ms. fr. 21010, (pas de numéros aux chapitres). L'imprimé
fol. Lxxix r°, le chapitre que nous citons dans porte cette leçon fautive : le fih aisiié; en nous
le texte porte le n" lviii. Comparer liv. 11, autorisant des manuscrits, nous corrigeons -.le
chap. XL, S Des désespérez (édif. de Lyon, Jils al'aisnè. Le fils aisné a fais né serait mieux
p. ligo-i'^gi). encore; peut-être devrions-nous introduire cette
''' Cf. ms. franc. 21010, chap. clxxix, leçon dans le texte cité.
156 LES COUTCMIERS DE NORMANDIE.
un autre contresens de Boutillier; nous renvoyons le lecteur aux
observations qui ont déjà été présentées'"'.
Le chapitre xxviii, où le jurisconsulte normand a exposé le système
du parage, est en partie la source du chapitre lxxxiv, S De tenir en pa-
rafje. Boutillier, pour la troisième fois, s'est mépris en cet endroit. Il
avaitpuisé des renseignements sur le parage dans les Etablissements de
saint Louis et dans le Grand Coutiimier normand. Les données qu'il
devait à ces deux sources différentes se sont confondues dans ses sou-
venirs ou dans ses notes, et en nous parlant du parage, il a attribué à
la Normandie un système de partage, entre frères, des deux tiers au
tiers, système qui est angevin, et qui lui était connu par les Ltablisse-
ments de saint Louis. Voici le passage auquel nous faisons allusion :
« Tenir en parage si est quant cil qui tient tenement et cilz'^' de qui
« il tient sont pareilles parties par raison de lignage, et que ledit tene-
« ment vient de leur anchiseur, et vient par succession de ligne, si
«comme es lieux, et par especial en Normandie, ou, es fiefs de frères
« venans de père, l'aisné emporte le gros et les puisnez en ont le tiers
«parla raison de partage et de succession; celle partie est tenue en
« parage, car ils sont paraux en fiefs '^'. » Ce que Boutillier déclare ici
spécial à la Normandie lui est étranger et est spécial à l'Anjou,
comme on peut s'en convaincre en lisant le chapitre x du livre I" des
Établissements, chapitre que Bontilher a mal à propos amalgamé
avec le chapitre xxviii du Grand Coutumier normand.
Le chapitre xxix, où le jurisconsulte normand traite du bour-
gage, a passé dans le même chapitre lxxxiv, S De tenir en bour-
(faige et S Usage de . Normandie. Le chapitre xxx, consacré aux te-
nures en aumône, et le chapitre xxxii, Des reliefs, sont représentés
dans le même chapitre par les paragraphes De tenir par amnones et
Des reliefs.
H faut enfin rapprocher du chapitre xxxiii, S 2, le chapitre lxxxvi,
S De la chevalerie, et du chapitre xxxi, consacré à la garde des mineurs,
le chapitre xciii de Boutillier, dont le titre même, dans une recen-
sion très répandue, révèle l'origine : dans celte recension, le cha-
pitre xcin est maladroitement intitulé : Duché de Normandie. Ailleurs
'"' Cf. ci-dessu», p. i33, i.^/i, ce que nous '*' Imprimé : de celuy, au lien de : et cilz.
avons dit de l'hommage de fief et de l'hommage ''' (]f. ms. franc. :ïioio, chap. cxcviii ,
de service dans Boutillier. fol. cxm r"; Nouv. acq. fr. C8G1, fol. 229 r".
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 157
ce paragraphe, sans titre spécial, fait tout simplement partie du cha-
pitre Des pupilles et mineurs d'aage^^K
Ces indications suffisent pour établir tout à la fois l'usage que
Boutillier a fait du Grand Coutumier normand et le manque de soin
dont, à chaque page, il donne la preuve.
Un anonyme, probablement un bailli, rédigea, à la fin du xiv* siècle
ou au commencement du xv*'"^', une coutume de Bourgogne, qui est
demeurée jusqu'à ce jour inédite. Ce jurisconsulte n'était pas un esprit
vigoureux, et son œuvre n'a rien d'original. C'est une compilation
méritoire où l'on a réuni une série considérable de principes de juris-
prudence et de décisions judiciaires. Si le cachet personnel fait ici
défaut, cet ensemble juridique n'en est pas moins précieux. Il pré-
sente un très grand intérêt pour l'histoire du droit bourguignon.
L'auteur a reproduit diverses ordonnances royales '"'^ ainsi qu'un
texte lort curieux qui intéresse les pays qu'on appelait proprement la
France : C'est la déclaration des Jiejz selon la coustume de France^'^K II a
connu aussi le Grand Coutumier normand et en a, vers le commence-
ment de son travail, utilisé certaines parties. Ces emprunts au Coutu-
mier normand sont assez maladroitement fondus dans le Coutumier
bourguignon cpii se présente, comme on le verra, avec deux intro-
ductions : l'une est l'œuvre même du compilateur bourguignon;
l'autre est tout simplement l'introduction du Grand Coutumier nor-
mand. Voici la première entrée en matière, qui est toute bourgui-
gnonne :
Bourgoingne est très noble pais. Le païs est très noble qui fait le prince qui le
gouverne très noble, quar, si comme les dux et les princes qui ont esté en Bour-
goingne soient et aient esté trës nobles tant a cause de leurs nativitez comme de
consanguinitez de roys, d'empereurs; et plusieurs sont eiiz seigneurs de Bourgoingne
qui estoient filz de roy et roys et empereurs, si doivent estre appelez très nobles
princes dux de Bourgoingne, avec ce qu'ilz sont très nobles par consanguinitez.
''' Bibliothèque nationale, iiis. IV. -Jioio, '^' Voir notamment fol. OOtXVl r"et suiv. ,
chap. ccxvi, fol. CL r°; Nouv. acq. fr. 6861, fol. cxli r°. .■ ! ' '
fol. 344 v°. ''! Fol. xcvi r", en v°. Ce texte est imprimé
, '*' La pièce datée la plus récente qui soif dans Thaumas de la Thauniassière , Coiil.
reproduite dans ce coutumier - est de iSgS locales de Berry, Bourges, 167g, p. S/iA et
(fol. i.xxix \°, numéroté par erreur du scribe suiv. Nous le désignons sous le titre qui
LXix). Le manuscrit (Bibl. nat. , Nouv. acq. figure dans La Tbaumassière : il est annoncé
fr. i33o) est du xv° siècle. un peu diftérémliient dans notre manu5crit.
158 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Cette platitude initiale ne se dément pas au cours de la longue et
insignifiante introduction rédigée par le compilateur bourguignon.
L'anonyme entre, enfin, en matière, passe en revue les différents offi-
ciers et fonctionnaires, prévôts, maires, tabellions, avocats, baillis,
sergents; et tout de suite son œuvre, calquée sur les ordonnances
royales ou ducales, se fait sérieuse et solide. Après cette énumération
des officiers vient un chapitre intitulé : Dh droit a Monseigneur de Bour-
goim/ne, chapitre sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, car il
dérive du Grand Coutumier normand; quelques articles jetés un peu
au hasard, puis un long développement oratoire, où fauteur rap-
proche du Jugement dernier les jugements humains; enfin cette
seconde introduction dont j'ai parlé et qu'il convient de transcrira
en partie: 1 ' ' ' i
Pour ce que mon entencion est d esclarcir au niieulx que ji) pourray en cest euvre
les droiz et les establisseniens de Bourgoingne, pour quoy le content et les querelles
soient finies, et que l'un ne puisse grever l'antre, a chascun soit rendue sa querelle. Et
pour ce que la malice de convoitise avoit si ardemment"' l'umainlignaige par paroles
et par discordes et par discension qu'elle avoit engendrez, et paix et concorde estoient
chacies hors du monde, tout ainsi comme en exil, si la grant convoitise ne feust
lelTrenée et appaisée par droiz, par coustumes, Nostre Seigneur Jhesu Crist, qui est
roy paisible, droicturier, et ame justice, avant'** ce que les princes régnassent enten'e
et donnassent par certaines loys droiz et coustumes, affenissent tous les contens que
discorde, qui est contraire a paix, peut engendrer, etc.
Ce morceau se compose tout simplement : i° du premier para-
graphe du préambule du Grand Coutumier normand; le mot Nor-
mandie a été remplacé par le mot Bourgogne; 2° du prologue qui fait
suite à ce préambule.
Suivent les chapitres du Grand Coutumier : i (le mot Normandie
du paragraphe 7 remplacé bien entendu par le mot Bourgogne);
II (quelques petites modifications aux paragraphes 3 et 4); ni (les mots
du paragraphe 3 : « Je vi faire la justice le roi d'un larron que je vi
« pendre » , sont remplacés par : « Je vy fere la justice le duc d'un larron
« que je vy pendre »); iv (les paragraphes 4 à 6 ne sont pas représen-
tés); VI (dans ce chapitre un accommodement bourguignon est à
noter : au lieu de « le noble roi de France Loys, qui fut le second
ir.j. •
■ r- .
'M fSic : le mot eiihcié aéié omis. — ''' Il faudrait : voull.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 15Ô
«après lo roi Philippe» (S 7), le compilateur invoque «le très noble
« duc Eude et le noble duc Robert»; la suite diffère sensiblement du
texte normand; le chapitre se termine par un renvoi au droitcanon; ces
références au droit canon et au droit romain, tantôt dans le texte
même, tantôt dans les marges, sont d'ailleurs fréquentes); ix; x (dans
ce chapitre, le compilateur bourguignon a soin d'écarter la mention
d'usages normands qui figure au paragraphe 3 à litre d'exemple).
Ces emprunts au Grand Coutuniier se composent de généralités qui
conviennent à la Bourgogne autant qu'à la Normandie, comme l'indi-
quent déjà les titres des chapitres : Cy s'ensuit la différence des droiz;
Qu'est juridiction; Qu'est justice; Qu'est justicier; Qu'est justisement;
Qu'est jugement; Qu'est coustume , loy et usaige.
La seconde distinction du Grand Goutumier (chap. xi à xxiièw),
consacrée aux droits du duc, a été aussi utilisée, en partie, par notre
compilateur, dans un chapitre qu'il a placé, comme nous l'avons dit,
entre l'introduction bourguignonne et l'introduction normande, et
qui est intitulé : Du droit à Monseigneur de Bourqoingne ; ici encore, le
mot Bourgogne remplace le mot Normandie. D'autres modifications
plus importantes ou additions sont introduites avec discernement. Les
chapitres plus particulièrement mis à contribution sont les chàp. xi,
De duce; xv, De mensuris; x\u,De thesauro invento; xix. De usuris, S 2.
C'est à coup sûr un texte français du Grand Goutumier qui a été
utilisé par notre compilateur bourguignon, et non un texte latin :
nous n'en voulons d'autre preuve que certaines expressions du chapitre
Qu'est justisement, dérivé du chapitre vi du Grand Goutumier. Dans
le texte latin de ce chapitre, au paragraphe 4 , le « despit » de droit ou
dejustice [contemptus justitiœ) est ramené à quatre cas : et hoc fit auadru-
pliciter. Suit dans le texte latin une série de cas qui ne porte aucun
numéro d'ordre, tandis que le texte français articule ces quatre cas :
« la première manière est; la seconde manière est »,etc. Même tournure
dans la coutume de Bourgogne : « Et de ce fait l'en est 11 11 manières :
M Premièrement, si est quant... ; la seconde, si est quant » , etc. On pour-
rait faire d'autres observations qui confirmeraient cette conclusion :
c'est la traduction française du Grand Goutumier normand qui a été
utilisée par le compilateur bourguignon.
Gomme on le voit, il ne s'agit point ici d'influence profonde du
droit normand sur le droit bourguignon, ni même d'aucune influence.
160 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Nous n'avons prétendu relever autre chose que l'emploi par un juris-
consulte bourguignon de certains chapitres du Grand Coutumier qui
ne renferment guère que des généralités.
Le Grand Coutumier, si développé qu'il soit, est loin d'être complet.
Son insuffisance en ce qui touche les droits de justice des barons
n'ayant pas le plaid de l'épée paraît avoir été vivement sentie. Il y eut,
ce semble, à l'Échiquier, enquête contradictoire à ce sujet, les clercs
de l'Échiquier témoignant dans un sens, les barons dans un autre.
Les dires des clercs nous ont été conservés dans plusieurs manuscrits
et peuvent être considérés, jusqu'à un certain point, comme un sup-
plément du Grand Coutumier, supplément auquel , sans doute , l'Échi-
quier ne se faisait pas faute de recourir, le cas échéant. Suivant les
clercs, les barons qui « n'ont le plet de l'espée ne haute justice » no
peuvent lever l'amende, en certains cas, de «plusdexviii sous i do-
« nier mains»; en d'autres cas, de « plus de lx sous i denier [mains]'"'».
Un texte incorrectement abrégé applique ces décisions à tous les
barons de Normandie'^' et non pas seulement aux barons qui n'ont
pas la haute justice. 11 ne faut pas que cette mauvaise rédaction donne
le change sur le sens de ce petit morceau. Nous croyons qu'il date du
XIV* siècle; sa présence dans le ms. lat. 12888, qui est du xiv* siècle,
exclut une date plus récente.
Quelques manuscrits du Grand Coutumier contiennent aussi un
tarif des amendes dues pour coups et blessures*^'; ce tarif est destiné
à compléter les renseignements fournis à ce sujet par notre auteur au
chapitre lxxxv, S 9 ; d'après un manuscrit de la Bibliothèque natio-
nale, il lut arrêté en i4o6, à l'Échiquier de Rouen**'.
Trois œuvres juridiques d'inégale importance sont venues, au xv^et
'"' Nous suppléons, mais non sans hésitation, une oixlonnance de l'Kchiquier de iS^a, pour-
le mot • mains > qui manque dans tous les ma- rait bien être identique au document dont nous
nuscrits que nous avons consultés : Bibl. nat. nous occupons, On trouvera ce texte dans le
fr. 11920, fol. 101 r°etv°; Bibl. nat. lat. 1 io33, manuscrit Harléien 4488, fol. 2 (Musée Bri-
fol. i38 v°, iSgr"; lat. ia833,fol. 98 r° et tannique) : nous n'avons pu consulter ce manu-
v°. Imprimé dans Léchaudé d'Aniay, Grands scrit.
rôles de l'Echiquier de Normandie, p. 192, 193. '*' Bibl. naf., lat. 12883, fol. 93 v".
Le ms. fr. 2766 porte: «xi. sous», au lieu de '•'' Bibl. nat-.fr.SgGd, 101.2171^; fr. 1 1920,
• Lxs.» (verso du fol. a38 au crayon, 237 a fol. 103 r°; fr. 2765, fol. 9 r*; fr. 24ii2,
l'encre). Un texte dont nous ne connaissons fol. 7 r"; lat. 1 8557, fol. 1 38 r*.
que les premiers mots et qui est donné comme <*' Fr. 2/4 1 1 2 , fol. 7 r".
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 161
au xvi", siècle, se superposer au Grand Coutumier. Nous nous con-
tentons de les mentionner, sans les analyser, parce que les dates
de ces textes dépassent les limites chronologiques qui nous sont im-
posées. Ces trois œuvres sont :
Au XV" siècle, une glose anonyme très précieuse qui se qualifie Expo-
sition. Cette Exposition accompagne le texte français du Coutumier
dans les premières éditions de cet ouvrage*'^; elle a été conservée aussi
dans quelques manuscrits ^^K
Au xvi" siècle, une série d'additions à cette glose; additions qui
sont l'œuvre de Guillaume Le Rouillé, d'Alençon, «licencié fs
droictz» ( 1 534)-
Encore au xyi"" siècle, un second commentaire, œuvre historique
très précieuse, due à Guillaume Terrien, lieutenant général du hailli
de Dieppe ( i574).
Les divers styles normands (xv' et xvi* siècle), si intéressants pour
la procédure, échappent également, à cause de leur date, à la pré-
sente étude.
Le Grand Coutumier n'a jamais été appliqué uniformément et
intégralement dans toute la province de Normandie. Les usages
locaux venaient facilement, au moyen âge, briser la loi ou la coutume
provinciale. Parmi ces usages locaux les chartes communales jouent un
rôle important, parce que certaines règles de droit privé, en désac-
cord avec le droit commun de la région, y ont souvent pris place.
Nous ne saurions passer en revue pour la Normandie tous ces
textes secondaires. Nous nous contenterons de faire observer qu'au
xvi" siècle, lorsqu'on s'occupa d'une rédaction nouvelle, on constata
qu'il y avait presque partout des usages locaux : cependant Cou-
tances, Carentan, Valognes et Avranches n'en alléguaient aucun '^);
ce qui vient à l'appui de fhypothèse que le Grand Coutumier aurait
été rédigé précisément dans cette région.
Il est pourtant un groupe de coutumes locales qui appelle notre
' ' Voir l'indication des éditions dans Lau- nique Harl. /|/(88,dont nous n'avons sous les
rence de Grucliy, L'ancienne coutume de Nor- yeux que des extraits insulTisants, contient aussi
mandie. Jersey, 1881, p. SSg, 3^7 ; J. Tardif, la grande glose ou exposition du Coutumier.
Summa de ler/ibus, p. ccxxxv, ccxlvi. '^' Procès-verbal des coaslumes locales de Nor-
'*' Voir notamment Bibl. nat.. fr. 2765. mandie, dans Bourdot de Riciiebourg, Contn-
Nous croyons que le ms. du Musée Britan- mier (/énéral, t. IV, p. i/to.
IlIST. LJTT. — \x\ni. ïl
162 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
attention. C'est celui que forment les coutumes des Hes normandes.
Ces coutumes méritent une mention particulière, parce que leur his-
toire et celle du Grand Goutnmier sont, comme nous l'avons dit en
commençant, intimement liées l'une à l'autre.
Au commencement du xiv* siècle , des difficultés , qui devaient durer
environ trente ans, surgirent entre les habitants des Iles et la cou-
ronne d'Angleterre. L'un des objets principaux du grand débat qui
s'engagea avec l'Angleterre fut précisément le droit des Iles. Quelle est,
disaient les représentants du roi d'Angleterre, la coutume ancienne
des Iles? Quel est le fondement de cette coutume? Si les insulaires ne
peuvent justifier leurs coutumes, celles-ci seront confisquées au
profit du roi, qui, dès lors, fera lui-même la loi à sa volonté.
L'action intentée aux habitants des Iles était l'action De (juo warranta.
Le plaid De cfuo warranta avait été introduit en Angleterre par
Edouard I" : ce plaid a pour objet d'obliger celui qui possède un
droit paraissant de nature à appartenir au roi à établir son titre à la
possession de ce droit : s'il ne peut faire cette justification, il sera
dépossédé au profit du roi. La coutume était donc ici assimilée à un
droit qui, sauf preuve du contraire, est droit royal*''.
A cette question De cjua warranta? les habitants de Guernesey
répondirent, en iSog, qu'ils suivaient non la loi anglaise, ni la loi
normande, mais des coutumes spéciales, en vigueur dans l'île de
temps immémorial : Commnnitas hujus insnle aUacata (jua lege ntantur
et per (juam legem clamant dediici, an videlicet per legem Anglie vel ^î or-
mannie, aat per spéciales consuetiidines eis per recjes concessas, dicanl (fuod
nec per legem Anglie nec Normannie , set per certas consuetudines in hac
msala usitatas a tempore cujus memoria non existit^^K Les habitants de
Jersey dirent qu'ils suivaient la coutume de Normandie, sauf quel-
ques usages particuliers, et ils énoncèrent ces usages'^'. Accusés d'avoir
adopté tout récemment le traité composé par un Normand du nom
de Maucael ^*', ils répliquèrent qu ils se servaient à bon droit de
cette Somme de Maucael, puisqu'elle contenait les lois delà Norman-
''' (]f. .1. Havet, Les cours royales défiles leurs présumés dji Grand Couliimier de Norman-
normandes, dans Bibl. de l'Ecole des chartes, die, dans Nouvelle revae hist. de droit, 1. 1\,
t. XXWIII, p. 57, :■>%, 376. p. i55-5o5.
<•' Placita de quo ivarranto , [London] , '*' IbiH . , p. 8^^ , cxA. i.
1818, p. 8tjr>, col. 3. Cf. J. Tardif, Les au- '*' Sur ce nom, voir ci dessus, p. 78.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 163
clie''l Les procédures, commencées avant 1 809, duraient encore en
i332. En effet, à la fin de l'année i33-2 ou au commencement de
i333, les habitants non plus seulement de Jersey, mais aussi de Guer-
nesey, déclarèrent avoir toujours suivi la Coutume de Normandie
« qu'est appelée la Summe Maukael » (^'.
Les Guernesiais et les Jersiais ajoutaient diverses observations
empruntées les unes à l'ordre judiciaire, les autres à l'ordre politique.
Les plaids De (jun wairanto ne sont pas applicables aux insulaires
parce qu'ils ont été introduits par un statut récent d'Edouard 1", obli-
gatoire seulement pour ceux qui tiennent de la couronne d'Angle-
terre, tandis que les insulaires relèvent directement du roi comme
seigneur des Iles'^l Tel était l'un des principaux arguments juridiques.
L'argument politique porta peut-être davantage : les insulaires,
disait-on, ont eu beaucoup à souffrir du voisinage des Français, sans
jamais cependant s'être départis de leur fidélité envers les princes
anglais. A la suite de ces explications, les poursuites furent suspen-
dues; elles ne furent jamais reprises. Et même, un peu plus tai"d,
Edouard III, en lutte avec Philippe VI, sentit le besoin de s'attacher
les habitants des Iles : le 10 juillet i34i, il confirma expressément
leurs privilèges et coutumes, confirmation renouvelée en 1 357 '*'v^^^
actes confirmatifs n'énumèrent pas les privilèges et coutumes des lies;
ils les visent in ghbo. Les documents qui, à cet égard, nous rensei-
gnent avec quelque précision sont assez nombreux et divers d'ori-
gine. Nous, les indiquerons en suivant l'ordre chronologique, mais
sans dépasser l'année i333. ^:
Une enquête eut lieu sous Henri III, en 1248. Elle avait pour
objet de constater le régime établi dans les îles de Jersey et de Guer-
nesey par le roi Jean. Le premier fait relevé par les enquêteurs est la
création par le roi Jean de douze jurés, duodecim coronatores j aratos , ad
placita et jura ad coronam spectantia custodienda^^^ Nous retrouverons ces
douze jurés dans tous les documents postérieurs.
'"' De predicta Somma de Mantael {sic dans <'* Pétition des habitants des Iles, dans Bibl.
l'imprimé ) ; voir Placita de quo warranta , p. 836 , <fc l'Ecole des chartes , loc. cit.
col. I. W Rymer, Fwdera, t. II, Londini, 1821,
'*> Pétition des habitants des Iles, publié par p. 1 167. J. Havet, Les coars royales des Iles
Havet, I^es cours royales des Iles vonnandes, normandes, lococitato, p. a5o, 25i.
pièce XXXV, dans Bibliothèque de l'École des <'' J. Havet, mémoire cité, 161W., t. XXX VIII,
chartes, t. XXXIX, p. 2/|5. p. 62.
164 LES COUTUMIERS DE NORMANDŒ.
Une pièce non datée, mais qui a probablement été écrite en 1274,
énumère les droits du roi à Guernesey, puis les droits des habitants
de cette île. Ce relevé, d'ailleurs fort curieux, n'est revêtu d'aucune
formule officielle. Les franchises qui y sont mentionnées en première
ligne sont: l'abonnement à une taille ou aide de soixante-dix livres, et
le droit pour les insulaires d'être jugés par douze jurés sans sortir du
pays'"'.
En 1299, on demande aux insulaires une déclaration écrite de
leurs coutumes. Si cette déclaration fut fournie, ce qui paraît fort
douteux, elle ne nous est pas parvenue'"^'.
En 1809, les Jersiais, disant leurs usages devant les justiciers iti-
nérants, placent au premier rang de leurs franchises le droit d'être
jugés par douze jurés à vie, natifs de Jersey, élus en commun par
les officiers du roi et les principaux de l'île. Devant les mêmes justi-
ciers, un représentant du roi d'Angleterre accusait les Jersiais d'avoir
illégalement établi chez eux, et dans les procédures d'enquête, et en
matière d'héritage ou de douaire, en fait de poids et mesures, et dans
les affaires intéressant les droits de la couronne, etc., des usages tout
à .fait différents de ceux des autres Iles'^'.
En 1820, les habitants d'Aurigny panenaient à faire reconnaître
par les justiciers royaux itinérants toute une série d'usages locaux
très importants; nous y notons ce trait : Guernesey était, comme on
eût dit dans la région du Nord-Est de la France, « chef de sens » d'Au-
rigny; c'est-à-dire qu'en cas de difficulté judiciaire, les jurés d'Au-
rigny avaient recours aux lumières des jurés de Guernesey. Les jurés
d'Aurigny, qui étaient autrefois au nombre de sept, ont été récemment
portés à douze, nous apprend le même document^*'.
11 semble que les habitants de Jersey et de Guernesey obtinrent,
en iSao, la même reconnaissance de leurs coutumes que ceux d'Au-
rigny; mais celte solution favorable ne fut pas maintenue. Le roi
déclara que ses commissaires avaient dépassé leur mandat et suspen-
''' Copie des franchises que le roi iEngle- '*' J. Havet, /. cit. , p. 58.
terre a en Giiernerie et que les itommes de Guer- <"' Placita de quo ivmranlo, p. 835, coL a.
nerie ont, publié par J. Havet, Les cours '*' Extrait du rôle des plaids tenus par les
royales des Iles normandes, pièce i, d-Mis Bibl. jutticiers itinérants; coutumes adjugées à lu
de l'Ecole des c/inr/«,t.XXXlX, p. i y^-aoa. Cf. communauté de l'île d'Aurigny; toxto puhlié i»ar
le. commentaire de J. Havcl , itm., t. XXXVIII, Havet, Les cours royales des lies nor marnes ,
p. 56. pièce xxiii , ibid., t. XXXIX, p. aSo.
I
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. a«5
dit l'exécution de leurs sentences^'^. De nouveaux commissaires, sans
juger la question au fond, annulèrent comme erronées les sentences
qui confirmaient les coutumes des Hes'"^'.
Une pièce de procédure, rédigée par les habitants de Jersey en
forme de pétition ou requête, et présentée au Parlement d'Angleterre
en i333, relate les coutumes alléguées. En première ligne, les re-
quérants ont fait figurer le droit d'être jugés par douze jurés à vie
qui doivent être nommés en commun par les ofliciers royaux et par
la communauté de Jersey'^'.
Une pièce analogue à la précédente et de la même date relate les
coutumes alléguées par les habitants de Jersey et de Guernesey. Le
premier article de ces coutumes est presque identique à celui que
nous venons de citer pour Jersey. Un autre, non moins remarquable,
veut être relevé : tout prévôt royal dans les Iles doit être élu par les
liabitants : Item (jaod dominus rex nullnm prepositum ibidem liabere debeat
nisi per eîeclioiiem patriotariim^''\
Nous n'entreprendrons pas l'analyse minutieuse des usages locaux
des Iles. Le droit d'être jugés et probablement gouvernés par douze
notables, appelés «jurés », qui font souvent échec aux juges itinérants
ou au bailli ou gardien du roi d'Angleterre, paraît avoir été, comme
on l'a vu, une des franchises auxquelles les insulaires tenaient le plus.
Il ne faut pas confondre ces douze jurés avec les jurés dont parle si
souvent le Grand Coutumier normand. Les jurés des Iles sont des
officiers à vie, qu'on devrait plutôt rapprocher des échevins ou jurés
dont se composait le magistrat de beaucoup de communes françaises.
Cette magistrature, si chère aux insulaires dès le xiif siècle, subsiste
encore aujourd'hui, de même que le Grand Coutumier reste, comme
nous l'avons dit, un des éléments principaux de la législation en vi-
gueur dans les Iles normandes.
''' L. cit., pièce, xxiv, p. 333-235. Conf. '*' Pèlidon îles insulaires et suspension des
t. XXXVIII, p. 59. poursuites, pièce xxxv, /. cit., p. 2/j4-2/iq. Ce
•'1 J. Havet, ibid. , t. XXXVIII, p. 59. texte a été aussi publié par Léchaudé d'Anisy,
*'' Procès à la cour da Banc du roi sur les Grande rôles , p. 207. Pour les documpnts pos-
coatumes de Jersey, ibid., pièce xxxil, p. 24o- térieurs, voir Havet ,/. ei'f , t. XXXVIII, p. 53,
2d2. 63-66.
166 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
3. DEUX COINSULTATIO^S SUl» U COUTUME DE NORMANDIE.
Les deux consultations sur la coutume de Normandie dont nous
devons maintenant dire un mot peuvent être considérées comme le
commentaire du chapitre xxiv, De porlionibus , du Grand Coutumier
ou, si on veut, comme un supplément à ce chapitre. Ces deux textes,
inédits l'un et l'autre, sont de la fin du xiii" siècle : l'un est daté de
,1288; l'autre de 1294'^.,! -.Rq uiKumo-^ fi-
Nos deux consultations ne sont pas des œuvres privées : elles ont
un caractère ofliciel, nous dirions mieux peut-être un caractère judi-
jpiaire. Voici à quelle occasion elles furent délivrées.
, Amicie de Courtenai, qui avait épousé en 1262 Robert II, comte
d'Artois, mourut en 1276. Elle laissait deux enfants mineurs : Phi-
lippe, qui épousa Blanche de Bretagne en 1280 (toutefois cette date
n'est peut-êtie que la date des fiançailles) ^^^; Mahaut, qui épousa
en 1285 Otton IV, comte de Bourgogne'^^. Les biens tombèrent,
jusqu'à la majorité de Philippe, en garde seigneuriale.
> Le partage de cette succession donna lieu à de très longs débats
entre Philippe, arrivé à la majorité, et Mahaut. Au cours de ces dé-
bats, qui ne prirent fin qu'en 1297, les parties se référèrent à la
coutume de Normandie, parce que les biens en garde (Couches et
iNonancourt) étaient sis en Normandie. On invoque la coutume de
Normandie, et cependant, il importe de le remarquer, le Grand Cou-
tumier n'est cité nulle part'^l Certes le texte du chapitre xxiv n'eût
pas suffi, comme on le verra, pour résoudre toutes les difficultés,
mais il eût, à coup sûr, servi de point de départ aux avocats, s'ils
l'eussent déjà considéré comme officiel. On n'en était pas là en 1 288-
1294. C'est en i3o2 seulement qu'un chapitre unique du Grand
Coutumier, le chapitre lxxxii, De clericis, devait prendre ce caractère
officiel. L'ensemble de l'œuvre s'achemina ensuite progressivement
vers ce degré d'autorité et de créance.
■.<" <( m//// I .\»Ai ('.i.,M i
-'' Ces deui documents sont conservés aux et de Bourgogne, Paris, 1887, p. 5. Le P. An-
arcliives du Pas-de-Calais, A 34", A I il). selme donne à tort la date de 1291 {Hisl.
'*' «Mariée par contrat passé au mois de généal. de la maison de France, t. I", p. 383).
juillet laSo,» lit-on dans le P. Anselme (t. I, '*' Il est possible toutefois qu'on ait consulté
p. 385). La date du contrat est souvent la ce document, car la comtesse Mahaut possé-
date des fiançailles. dait un exemplaire du Grand Coutumier en
''' Cf. Richard, Mahaut, comtesse d'Artois français (Richard, Mahaut, p. 100).
LES CODTUMIERS DE NORMANDIE. 167
Pour se faire une idée du débat, ii faut connaître le contrat de
mariage de Mahaut; il est daté de l'année i285, époque à laquelle
Philippe, son frère aîné, était encore mineur. Cet état de minorité
nous est révélé par la seconde des deux consultations, et c'est précisé-
ment un des faits sur lesquels on insiste au point de vue juridique.
Le roi Philippe III, qui paraît avoir joué un rôle décisif dans ces
arrangements de famille, constate, par acte en date du 26 janvier
laSô (n. st<), que la dot de Mahaut se ramène à deux éléments bien
distincts : 1° une somme de dix mille livres tournois en argent
comptant, somme qu'on déposera au Temple et que le futur pourra
toucher immédiatement; a" des droits vaguement indiqués sur la suc-
cession d'Amicie : Actumfuit quod idem Oto cum eadem Matildi acciperpt
et haberet ratam sen portinnem ipsam contingentem m bonis materms. ;î; <
Ratam seii portionem . . . œntingentem in bonis maternis : maïs, c^ueWe est
cette portto, cette quole-partde la fortune qui revient à Mahaut d'après
la coutume de Normandie? La difficulté est sérieuse. En effet, le
contrat de mariage, rédigé très probablement loin de la Normandie,
sans qu'on eût songé à consulter quelque praticien normand, se
reporte pour déterminer la quotité de la dot de Mahaut au droit suc-
cessoral de Mahaut; la coutume normande, de son côté, n'accorde
aux femmes aucun droit successoral proprement dit. Tout leur droit
successoral se résume précisément dans leur maritacjinm ou dot : So-
rores autem in hereditate patris nullam portionem debent reclamare versus
Jratres vel eorum lieredes, sed maritagium possiint refjairere. Et ce marita-
gium est d'une élasticité singulière : Et si fratres cas ex mobili sine terra
vel cum terra, tel ex terra sine mobili, voluerint maritare vins eis idoneis
sine disparatione , hoc eisdem débet su^cere^^\
La question se compliquait d'une autre difficulté qui ne nous est
pas exposée en termes très clairs. Si nous interprétons bien les textes,
les deux terres de Normandie ne venaient pas l'une et l'autre d'Ami-
cie : Couches avait bien appartenu à Amicie, mais Nonancourt n'était
pas succession directe; ce domaine provenait d'un parent du côté
maternel. À ce propos, nouveau doute : les droits des parties
étaient-ils les mêmes sur Conches et sur N^onancourt? r;n)
On discuta. On consulta. Le 5 juillet 1288, les délégués de Phi-
'*' Grand Coutiimier, cliap. xxiv, S i4, édit. Tardif, p. 83-84-
168 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
lippe d'Artois et ceux du comte de Bourgogne et de madame Mahaut,
sa Femme, se réunirent à Conches,au diocèse d'Evreux. Ils interro-
gèrent des chevaliers, des clercs et d'autres bonnes gens, « c'est assa-
«Yoir: Monseigneur Pierres de Pommeruel, Monseigneur Rogier de
(I Gourçon, Monseigneur Jehan du Fay, Monseigneur Richart Ruffaut,
«Monseigneur Guillaume de Bordigni, Monseigneur Rovier de
(I Portes, Monseigneur Jehan de Ghantelou et Monseigneur Renaut
«duMesnil, chevaliers; Mestre Pierres de Houssemagne, chanoine
«d'Esvreues; Monseigneur Richart Le Gualois, prestre et persone de
M Sainte Goulonbe et Robert Gerart, clerc ''^, et autres bonnes gens. »
Ces Normands arrêtèrent la réponse suivante : « Ladite Mahaut doit
« prandre et avoir pour sa partie le tierz en la terre de Couches et es
«apartenances; mais ladite Mahaut ne doit rien avoir en la terre de
«Nonencourt ne es apartenances, pour ce que ladite terre n'est pas
« venue de droite lingne, einz est venue d'une escheance de costé'^'. »
La seconde partie de la consultation révèle un autre chef du débat
dont nous n'avons encore rien dit: Philippe accusait sa sœur de s'être
approprié des deniers qui ne lui appartenaient pas, soit que le don
ci-dessus relaté de dix mille livres tournois lui parût excessif, soit
même qu'on eût ajouté de la main à la main à cette grosse somme.'
Cette seconde difficulté est résolue en ces termes : « Et avons trouvé
«par le recort des devant nommez que, se ladite Mahaut enporta rle-
« niersdeschatieus dudit Monseigneur Phelippe plus que il ne li pouet
« afferir pour sa partie des muebles, que il tendront leu a Monseigneur
«Phelippe, en rabatant sus la partie de l'eritage a ladite Mahaut, ou
«les deniers seront renduz audit Monseigneur Phelippe. »
Telle est notre première consultation. Comment les prud'hommes
normands ont-ils trouvé cette quotité du tiers? Rien de plus simple.
Elle se présentait très naturellement à leur esprit; car il était admis,
que, si le frère ou les frères ne veulent pas marier ou doter leur sœur^i
celle-ci pourra réclamer le tiers de la fortune : Et si eas maritare nnluc-
rint, terciam parteinhereditatis habebant loco maritagii (chap. xxiv, S i4).
Sans doute, on ne pouvait soutenir que Philippe n'avait pas voulu
marier sa sœur Mahaut; mais on raisonnait par aaalogie et on attri-
k'' Ce Gérard tient i>eut-étre la plume. décision du Parlement de Pari», de la Pente-
'*' A joindre dans le même esprit, au sujet côte 1388 (Beugnot, l^$ Œim, t. 11, |>. 277,
des revenus sur lesjuifs à Nonancourt , . nue n° ix)» itni-.tw"' 1 \. m'.^ '*
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 169
buait à celle-ci un tiers de la fortune de sa mère. Raisonnement vrai-
semblable : on peut admettre, en eflet, que, si la coutume accorde
un tiers à la sœur ou aux sœurs que le frère n'a pas voulu marier,
c'est parce que cette quotité du tiers est la part communément faite à
la sœur ou aux sœurs, au moment du mariage. Quant à la décision
relative à Nonancourt, elle est parfaitement conforme aux règles que
pose de son côté l'auteur du Grand Coutumier normand. Le « ma-
» riage » ou dot de la sœur doit être imputé sur les biens venant de suc-
cession directe, mais non sur ceux qui viennent de succession colla-
térale (chap. XXIV, S 1 5). La consultation n'est pas pour nous très nette
en ce qui concerne l'argent comptant et les meubles ; la pensée des
rédacteurs de cet avis juridique est, sans doute, que Mahaut a droit
au tiers du mobilier comme au tiers des terres qui ont appartenu à sa
mère; c'est aussi la doctrine du Grand Coutumier, lequel ne distingue
pas les meubles et les immeubles, mais parle en bloc de l'héritage :
terciam partein hereditads . . . loco maritagii.
Cette consultation ne fut pas acceptée par Philippe. Les discus-
sions continuèrent. Le frère fit valoir, ou on fit valoir pour lui, une
série de considérations juridiques très délicates, qui avaient surtout
pour base cette observation de fait : Philippe était mineur lors de la
conclusion du contrat de mariage de Mahaut. Une consultation beau-
coup plus importante et plus solennelle fut demandée par Philippe.
On dressa quatorze propositions qui furent soumises à l'Échiquier de
Rouen, le 2 i octobre 19.94; l'Échiquier libella quatorze réponses à
ces questions. Les propositions de Philippe et les solutions de l'Échi-
quier furent soumises, le 19 décembre suivant, au Parlement, lequel
appiouva toutes les décisions qui lui étaient transmises. C'est notre
seconde consultation. Voici les noms des membresde l'Échiquier qui
l'ont rédigée ou qui, du moins, en ont pris la responsabilité : «Ce
« sont coustumes de Normendie approvées a l'Eschekier de Roem par
« Maistre Jehan de Forest, Monseigneur Estevene de Bienfete, cheva-
« lier. Monseigneur Renaut Le Chambellenc, chevalier, visconte de
« Faloise, Jehan de Saint Lyenart, baillif de Caen, Nicholas de Villers,
« baillus de Coustentin, Maistre Pierre de Carville, maire de Roem,
« Guillaume du Gripeel , visconte de Caem , Raimon Passemer,
«visconte de Pont Audemer, et Denis Tavernier, visconte de Mons-
« terviler. » Parmi les dix-neuf personnes présentes au Parlement
HIST. LITT. XStlII.
170 I.ES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
quand l'affaire y fut portée et qui approuvèrent à leur tour, nous
remarquons le bailli de Gisors et le bailli de Caux.
Cette consultation solennelle fixe la solution de toute une série de
problèmes juridiques. L'un des articles, le cinquième'"', est la repro-
duction pure et simple d'un principe posé dans la consultation de
1 288 : pœur, en échéance de côté, ne prend rien avec frère. Nous
relevons encore l'énoncé d'un principe connu : «On propose premie-
« rement ke suer, puis ke ele est mariée, ne puet demander partie a
« sen frère. » Suit la réponse de l'Échiquier, qui reçut l'approbation
du Parlement. Cette réponse limite la portée de la proposition, qui
est inapplicable dans l'espèce : « C'est voirs : puis ke le j)ere et le
« mère l'aront mariée ou fuu d'ichiaus sans l'autre, et li aront donné
« certaine portion de leur biens, ele ne puet puis demander partie a
isen frère. Item, se ele se marie de se volenté, ele ne puet puis de-
• mander partie. Mais se aucune demoisele est en aage de marier et
« ses frères soit sousaagé et en garde de seigneur, les amis, par le
(I congié du gardeeur, pueent bien le demoisele marier et prometre
« lui tel droit comme ele porroit avoir de l'yretage de son père ou de
« sa mère, se il estoient mors. Et ceste partie li doit tenir li frères
« quant il venra en aage. Et sera tenue le demoisele a rendre au frère
«ce ke ele en ara porté de ses moebles outre sen droit. »i> m.'IchI mh» »
La quatrième proposition prend encore pour point de départ "nu
principe général, que le Grand Coutumier a formulé de son côté au
paragraphe i5 du chapitre xxiv. Elle est ainsi conçue : «Item, aussi
« comme li frères aagiés puet marier se suer tout pour deniers sans
« donner li terre, autel pooir ont les amis quant il est sousaagé; car
« se condicion ne doit pas estre pire pour son non aage. Et se les amis
« avoient donné a lesuergrant moebleetyretage avoekes, li frères seroit
« ois a demander le desavenant. Et prenderoit on aussi Iwen regart au
« moeble comme a l'yretage. » A cette proposition ou question voici la
réponse entièrement concordante de f Échiquier et du Parlement :
M Le coustume est bien tele d'effant sousaagé ke se condicions n'em-
«pire pas pour son non aage et ke, se si ami ont donné a se suer du
« sien desaveuanment a mariage en mueble ou en yretage, il le puet
• bien rapeler en l'an de son aage, si comme il est dit par desus. » *
'*' Numéroté |xir errenr tiii dnns le maiinscrit.
l
LES GOUTCMfERS DE NORMANDIE. 171
Parmi les autres propositions, la troisième et la onzième attirent
particulièrement notre attention. La troisième serre d'assez près l'es-
pèce en cause; la réponse surtout en relate, ce semble, la circonstance
la plus notable. Proposition et réponse concourent, en" définitive, à
établir que Philippe, mineur lors du contrat de mariage de sa sœur,
peut répéter ou refuser de livrer ce qui aurait été donné ou promis en
trop à sa sœur. Voici le sens exact de la proposition : urt frère est mi-
neur et sa terre est en garde féodale; sa sœur est en âge de mariage;
les parents («les amis duvallet et de le demoiselle i>)vieiinent trouver le
gardien et, d'accord avec lui, déterminent la dot (« mariage ») de la fiile^
legardien cependant conserve le bien en sa main ; mais, lorsque le frère
sera majeur et hors de garde, si le don fait à sa; sœur est excessif, iî
pourra, dans l'année, en provocpier la révocation, alors même que sa
sœur et son mari seraient déjà ensaisinés. Telle est là proposition. La
réponse va poser une autre modalité , qui corres])ond probablement à
la situation exacte des parties''^; on va y examinei* le cas où les biens
immeubles sont resté» en la main du gardien : kLa coustume est bien
« tele comme il est desus dit; mais, se le mariage convenenchié parleà
<( amis de le demoisele demeure par aucune aventure en le main du
« gardeur, pour chou ne pert pas le demoisele ke ele ne puist de-
u mander a sen frère ce ke les amis li aront convenenchié au mariage.
« Et est bien le coustume tele ke , se le mariage est fait et livré des-
« avenant a le damoisele par les amis, le frère pu et rapeler le desave-
« nant en fan de ion aage. » louioi
Nous croyons pouvoir résumer en ces termes la penséd fondamen-
tale qui se dégage de cette série de principes : sans doute, une sœur
ne peut demander à son frère un partage de succession; mais elle
peut lui demander une dot promise. D'autre part, le frère peut con-
tester la quotité de cette dot, en soutenant qu'il y a « mariage desave-
i»nant». Le contrat de mariage serait-il un obstacle à cette solutiôh.i^
La onzième proposition et la réponse qui la suit écartent directement
fautorité de cet instrument.
Telle est, en son essence, cette coiisultation juridique. Nous omet-
tons bien des détails qui compliquaient le problème :• cette question,
''' Non pas toutefois on ce qui concerne sien effective de Nonancourt : c'est ce qui res-
Nonancourt, car il nous parait cei-tnin que, sort d'nne décision des Olim de cette année
dès 1388, Philippe d'Artois avait pris' posses- {Olim, t. Il, p. t-j-j, n° ix). ■
172 LKS COUTUMIEUS DK NORMANDIR.
entre autres, se posait: Robert d'Artois, veuf d'Amicie, n'a-t-il pas
un droit d'usufruit sur les biens de sa femme? Mais Robert s'est re-
marié: il a épousé en secondes noces ''' Agnès de Bourbon (morte
elle-même en it«83). A-t-il perdu cet usufruit? Il l'a certainement
perdu : «Item, ke quant homme tient en veveé la terre de sa pre-
« miere femme et il se marie a autre, il pert le terre de le première
« femme. — Response: Le coustume est tele. » Ce principe a été pro-
clamé également par l'auteur du Grand Coutumier'^l
Il n'y a, d'ailleurs, aucune parenté de texte entre ce traité et notre
Consultation. Nous pensons que les rédacteurs de cet avis juridique
n'ont pas eu sous les yeux le Grand Coutumier. En revanche, il est
facile de constater que les principes fondamentaux sont identiques
de part et d'autre, la consultation visant de plus une série de
questions secondaires que l'auteur du Grand Coutumier n'avait pas
abordées.
Le débat se prolongea et aboutit enfin à une transaction : le frère
et la sœur compromirent, faisant leur propre père arbitre du litige.
Cielui-ci laissa de côté tous les arguments juridiques, et, statuant eu
fait plutôt qu'en droit, prononça, le i5 septembre 1296, le jugement
arbitral suivant : « Disons et prononçons en arbitrant seur la painne
«contenue audit compromis que ladite Mahaut, pour tout le droit
« que a li apartient et puet a])artenir en l'erytago desus dit de par sa
M mère, ait et preingne herytablement, a tous jours, sis cens livrées de
«terre n tornois, lesqueles nous volons que lidis Phelippes li assiée
« très maintenant a Chastiau Renart, a Gharny et en la terre que lidis
« Phelippes a en Borgoingne, bien et soufisaument, as us et as cous-
« tûmes des biens, avuec les chastiaus, maisons, forteresses et justices
« et segnories toutes desdis biens, qui seront prisiées etmisesou conte
« des sis cens livrées de terre, en la manière que la coustume des
« lieus l'aportera, se la coustume le donne '■^^.» Cette sentence fut
complétée dans l'automne de 1297. Robert d'Artois expliqua par
une seconde sentence : 1° que le comte de Bourgogne et Mahaut
tiendraient la ville de Château-Renard en fief de Philippe; 2° qu'ils
seraient tenus d'acquitter certaines charges envers une série de per-
f 11 é|K)U»ern en truisiènies noces Mar^nierite de Ilainaut (ir(98). — '*' (Miai>. .cxix, I)v iinpe-
dilione feodi viri viduati, S i , édif. Tardif, p. 307. — ''' Areliives du Pas-tle-Oalais, A 4i"
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 173
sonnes désignées. Les parties intéressées acceptèrent cette solution'''.
H semble pourtant que ce ne fut pas le dernier mot. En effet, le
P. Anselme, auquel d'ailleurs toutes les autres pièces de ce curieux
dossier paraissent être restées inconnues, analyse un acte du 22 dé-
cembre 1297, que nous n'avons pas retrouvé : c'est cet acte qui au-
rait terminé le litige. En voici l'analyse d'après le P. Anselme : Otton
de Bourgogne et Mahaut déclarent se contenter de ce que le comte
d'Artois, père de Mahaut, a réglé pour tout droit à la succession
d'Amicie : Mahaut aura la moitié des chàtellenies de Château-Renard
et de Charni, l'autre moitié restant à Philippe, son frère '"^'.
Conches et Nonancourt ne jouent plus aucun rôle dans les divers
actes par lesquels se clôt le litige. Les droits de Mahaut sur Conches,
et d'ailleurs tous ses droits, quels qu'ils soient, ont été ventilés par
l'arbitre : ils sont entièrement transformés; Philippe reste, sans que
son père ait eu besoin de relater le fait, seigneur sans partage de
Conches et de Nonancourt.
Ces longues discussions et surtout ces remaniements successifs de
la sentence arbitrale décèlent entre les deux parties une hostilité pro-
fonde. 11 est permis de se demander si cet obscur débat entre Phi-
lippe et Mahaut n'a pas quelque intérêt pour l'histoire générale. On
sait quelles interminables et terribles rivalités divisèrent, à la mort de
Robert ir(i3oa), Mahaut et son neveu Robert, fils de Philippe,
prédécédé, lesquels prétendaient l'un et l'autre au comté d'Artois. On
pourra désormais rappeler que la lutte enli-e ces deux branches de la
famille d'Artois remontait à dix-sept ans en arrière , c'est-à-dire au
contrat de mariage de Mahaut : ces deux branches étaient depuis lors
des rivales, des ennemies; le procès fameux de Mahaut et de son
neveu Robert fait suite dans une certaine mesure au litige de
1285-1297 entre Mahaut et Philippe.
Un débat analogue à celui dont nous venons de rendre compte
s'était élevé vers ce temps entre deux autres membres de la famille
de Courtenai : Pierre (branche des seigneurs de ChampignoUes) et
Marguerite, sa soeur, épouse de Raoul d'Estrées. Pierre de Courtenai
voulait, lui aussi, revenir sur le contrat de mariage de sa sœur, sp^s
''■ Ari-liives du Pas-tle-Calais, A 2, Fol. 2. — '*' P. Anselme, Hist. yènéulogique de la maison
royale de France , t. l" , f>, 'SS^.
174 iaffil.COOTBMIBRS DE NORMANDIE.
prétexte qu'il était mineur au temps où il avait consenti à ces con-
ventions matrimoniales. L'affaire lut portée devant le Parlement et
résolue, en 1282, contre Pierre de Courienai. Voici les considéranti
dé l'arrêt : Quia dicte convencionei recordate fuemnt in presencia domini
reçfis, dicto Petro présente et consenciente , et (fuia dicte convenciones eidem
Petro dampnose non sunt, set pocimJructnose'^^K ,,»
Mahaut eût pu songer à invoquer contre son frère cette juristir^fi-
dence toute récente. Elle le fit peut-être. Mais nous ne pouvons rien
bfiirmer à cet égard. Une serait pas impossible d'apercevoir dans la
réponse à la huitième proposition de Philippe une confirmation par
le Parlement de Paris des principes qu'il avait posés en 1282 dans
l'affaire de Pierre de Courtenai contre Marguerite. Vi<î>*Gi< la propo-
sition et la réponse auxquelles uqus faisons allusion : jo i ^ 1 u > 1,.
■HH) f'.imy. *bI^'ii '^imiliflM ;i'.'>uiu>\''.iii.ji\ii'>i\i-n<ijii-i \fu>f *'li : 1 itjf|ij;'|
1 Item , propose h denênderres ke, comme li demandeur fondent moutleur entenfion
sur une lettre seelée du seet nostfé seigneur le roy Philippe , kë cefe lettre ne fè li^ en
riens , car, par le couslume de Normandie , lettre ne fié homme' ki né ^'eist obKgiés où
kî n'est côndempnés par droit; ' ' ,
. Rçsponse : Le coustume est bien tele : quant enfant sousaagé est en garde de
siglKiur, et il a suer ki soit fn aagç de marier, les amis et le si^neur ki le gardât le
pue^t bien hier en fasant mariage avenant a sa suer '*'. . . ' ■ •
'■ Les jfilîicdhtroitéi'qlri^'&li*XHt' 'et ait 'xjv* siècle, i^dijs^eaî flans
hos 'provinces des coutumes ou des coulumiers prenaient pour base
de leurs travaux te dixiit pratiqué dan* les tribunaux et dans les cours.
Celaient là les officines du droit. C'est M que le droit se faisait plutôt
qtte dans les assemblées législatives et dans les livres. Nous ne sau-
rtOnS donc négliger entiènentent les monuments anciens de cette jtii'is-
prudence dont se sont inspirés nopliieui auteura. Nous- les étudierons
d'a&îfeurs très sommairemeirt."" '""'' '"'"* '■ "';:ol»;(i, h.l--!, n 1
'*''L'éà sources dé la jurisprudence normande anxm* siècle se divisent
^Ôut naturelleitiénl en deux parties : l'es arrêts de l'Échiqtrier, juri^
dictic'n" sùpéricfure* les sentencesdès nombreuses juridictions imW^
Les juridictions inférieures et l'Échiquier ont fait consigner de
'"' Olim. t. 11, p. aoi , n" xvi. Cf. l. I, p. 485.— <*' Cf. proposition iiJ . ..«v
LES /COUTUMIERS DE NORMANDIE.
»7»
bonne heure sur rouleaux , puis sur registres, sinon toutes leurs déci-
sions, au moins une grande partie de leurs décisions. Ces rouleaux ou
ces' registres des greffiers du xiii* siècle ne sont pas parvenus jusqu'à
nous. Mais nous possédons divers recueils qui eu djèrivexiU .,j, . .;
Les recueils d'arrêts de l'Échiquier sont: .'\ /m /d/ ..1 .1^ ')up lainti
1° Plusieurs compilations allant de laoy à i248;ifi7B 'Vioiq/.'j non
-I) 1»*^ Un recueil intitulé Arresta communia de Scaccario, de i 2 7 6 à 1 2 90,
et an petit recueil comprenant des arrêts de i 291 à 1 394- >''
Quant aux juridictions inféKeures, un recueil fort intéressant lest
arrivé jusqu'à nous : ce sont les Assises de Normandie. lit ii,q
l'Nous donnerons ici une idée sommaire de ces collections. >'tl
".l'y.
1. OîMPILATlONS D'ARRÊTS DE L'ÉCHIQUIER DE 1207 À 12i8i(>nt j lu')3
,|,M. L. Delisle, dans une étude déjà ftuciepnje ''', a distingué ainsi
qu'il suit quatre compilations : .^j ,,„p ^viJuO ..
■'i/i;
Première compilation :' iH6f-i^ky^''
Deuxième compilation : lao^-rîîô'*.
»(!
Ki)!
!ii'iu|)(rrini
k
'.iii.
-M Mémoiies de 1'AcadéfH.iit jUs iiuçriplions ,
t. XXIV, a' partie. , ,!, i; , j
'*' Manuscrit unique : Bibl. Se Rouen Y. 9. 90,
fol. 5» v°-8-J v° (fin du xm* siècle). Edité par
L. DelLsle , dans Sotices et extraits, t. XX,
3'[)artie, Paris, i8fî/»; M. Deiisle a fondu dans
Sun édition les arrêts fournis par les autres com-
pilations.
''' Cinq manuscrits : Bibl. nat., latin 465 1,
fol. 49-55 (fin du xiii' siècle); latin iio34,
foL 1 v°-8 v° (coiuinencement du xiv' siècle);,
latin iio3.3, fol. 52-6o (manuscrit copié en
i365); latin 4653, fol. 79 v°-90 v° (copié
en i43o); lat. 4653 A, p. 243-376 (commen-
cement du xvi' siècle). La Deuxième compila-
tion était aussi transcrite dans le registre
Saint-Just de la Chambre des comptes, re-
gistre détruit dans l'incendie de 1737. La
Deuxième compilation a été éditée par Lé-
chaudé d'Anisy, d'après le ms. latin iio34,
dans les Grands rôles des Echiquiers de Norman-
die, p. 137-144 {Mémoires de la Société des
Antiquaires de Normandie , t. XV, Caen, t845.
Certains exemplaires de ce volume portent
aussi le titre de Documents historiques, t. I).
Brussel avait publié, d'après le registre Saint-
,M.'f .
t Jost,' plusieurs «rréts dans le Nouvel examen dà
, (usage général des Jiefs. Le registre Saint-.Iust
Contenait, comme nous l'avons déjà dit (ci-des-
sns, p. 67, n; 4), outre lîi Deuxième compila-
tion , un texte du Grand Coutumier. A. la suite,
du Coutumier on lisait ces vers : i
La coustume de Normandie
Est, lionne et vraie, ici finie.
Qui fu de Lîsie Bonne estraite.
S'est or muelx ordonnée et faite.
I .\i fm Hr^t prions Dieu le haut celestre
Que cil puisse en paradis estre
Qui si très bien l'a ordené[e].
Au commua peuple soit gardée
Des pleedeeurs et des justices.
Que n'en soit nul tenus pour niées. .
Les bontés sont trop dettenues , ' ' '.
Et trop chierement son vendues. "' '''""'(
En tête de la compilation des jugements' de
l'Echiquier on Usait ; ,1,)-);
Versus de tempore conqueste facte per R. Philip-
pum Augustum, avum beati Ludovici régis Fran-
corum.
Bis annos apta binis cum mille ducentis :
Vi France gentis tune est Normannia capta.
Set cite post, dictus rev Philippus fecit ScaciJli'î*
176
LES COCÏUMIERS DE NORMANDIE.
"' Troisième compilation : 1 107-1 a43 '".
QuatrièiiKî compilation : 1 307-1 a 46 '^'.
La Quatrième compilation, qui n'avait pu être étudiée par M. L. De-
Hsleque sur un manuscrit incomplet, s'étend en réalité jusqu'en 1 248,
ainsi que M. L. Auvray l'a établi, en signalant un manuscrit du Vatican
non exploré avant lui.
Un nouvel examen de ces textes confirme pleinement les conclu-
sions de M. Delisle en ce qui concerne la Première compilation. Elle se
rattache de très près aux rôles perdus de l'Echiquier; les noms des
parties y sont la plupart du temps conservés. Les affaires y sont rela-
tées avec des détails touchant les lieux et les personnes qui placent,
sans hésitation possible, ce recueil au premier rang. Il contient six
cent cinquante-neuf articles, c'est-à-dire un nombre de décisions
près de deux fois plus considérable que celui de chacune des trois
autres compilations. Voici quels sont les caraétères extrinsèques de
ces trois compilations. Outre que les dates extrêmes diffèrent ( 1 2 36'^',
1243, 1248), la Deuxième compilation contient certains articles qui
manquent dans les autres; la Troisième et la Quatrième donnent,
f)our les années i23o-i235, divers jugements qui font défaut dans
a Deuxième, etc. Quant aux caractères intrinsèques, dont la cri-
tique doit tenir le plus grand compte , les compilations dites Deuxième ,
Troisième et Quatrième accusent, pour les années 1207 à 1229, un
procédé de rédaction identique. Le lecteur en jugera par quelques
exemples.
La Première compilation contient, à l'Echiquier de la Saint-Michel
de l'an 1 207, cet arrêt :
Judicatum est c(uod Radulfus Gillani de Gavreio et Alexandra, uxor ejus, tiabeanl
in Nopmannia, a quibiis Jescenderunt judicata hic
inferins suscripta.
(D'après des exlrails du Livre de Saint-Just
pris en 1 648 par Nlcolas-Cliaiies de Sainle-
Marthe, ms. français ^JoGgo, p. 167 et i58.)
(') Bibl. nat.,' lat. iio3a, p. i88-2i5
(commencement du xiv* siècle). Edité par
VVarnkœnig, avec mélange de textes provenant
de la Deuxième compilation , dan» Franzôs.
Staats- iiiid Rechlsgescliichte, t. II, i8/|8, Ur-
knndenbiich , p. 70-1 17.
'*' Texte latin dans le manuscrit 3q64 du
fonds Oltoboni , à la Bibl. du Vatican , fol. 8a r"-
io5 v" (Gn du xni' siècle). Qnelijues arrêts
inconnus jusque-là et conservés dans ce ma-
nuscrit ont été publiés par M. L. Auvrav,
dans la Bibliothèque île l'Ecole des chiiiles ,
t. XLIX, p. CiS-G^/i. Texte français dans le
ms. 1 743 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ,
fol. 257 r*-3i5 v°. Cette traduction française
a été éditée par Mamier, Elablissciiieiils il
eoiitiimes, assises et arrêts de l'Eehiquierde Nor-
mandie, p. 1 1 i-aoï.
'•^' Cl. Léchaudé d'Anisy, p. i44; Delisle,
Recueil des jugements de l'Echiquier, note 4, sur
len* 601.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 177
hereditatem suani quaai Ricardus deSancto Dionisio eis difforciat, quia , cum eadem
Alexandra implacitaret eumdeni Ricaiilum de hereditate illa et diceret eum esse bas-
tardum, et inde appellaveiat ad doniiriuni papam de coram Willelmo, Constanciensi
episcopo, idem episcopus per suas litteras testificatus fuit quod appi'llationem suam
non prosecutus fuerat ad terminum sibi positutn. Preterea judicatum fuit quod non
poterat appellare extra Normanniam ('*.
Les Deuxième, Troisième et Quatrième compilations suppriment
les noms propres et condensent ainsi cet article :
Quia episcopus Constanciensis per litterus suas testificatus est quod tenens (|ui
super bastardia inipetebalur appellationein ad papam interpositam infra termi-
num sibi assignatum prosecutus non fuerat, judicatum est quod petens habeat ter-
ram illam. Item judicatum super hoc quod extra Normanniam non potest appei-
iari f^l.
Certains résumés sont très heureusement tracés et deviennent
autant de règles de droit nettement dégagées. A l'Echiquier de la
Saint-Michel de l'an 1210, par exemple, nous lisons dans la Première
compilation : Judicatum fuit (fuod Symon de Aneseio habeat terrain uxoris
sue dejuncte (juamdiu erit ahscjue muliere desponsata , (luoniam de eu hahmt
lieredes. Cette décision est devenue dans les Deuxième, Troisième et
Quatrième compilations une formule juridique ainsi libellée : Judi-
catum quod maritus (fui hahuit heredes de uxore maritacjium tenebil ejus,
(jnamdiu erit sine uxore.
A la session de Pâques 1^19, le relief d'un fief et demi de haubert
appartenant aux enfants de Simon d'Oumoi fut évaluée 22 livres et
10 sous, monnaie de Tours :
Preceptum est quod pueri filii Symonis de Oumei habeant lerram suam, que in
manu domini régis ritione custodie [erat], et (piod domino régi reddant reieviun»
terre illius, videlicetxxii libras turonensium et x solidos pro uno feodo et dimidio '^'.
2 2 livres 10 sous pour un fief et demi reviennent tout juste à
i5 livres tournois pour un fief. Le tarif de i5 livres est, en efièt, très
ancien. Le compilateur l'a très légitimement dégagé et il figure en
termes identiques dans les trois dernières compilations :
Judicatum est quod feodum lorice relevât per quindecim libras turon.'**,
i"' Delisle,n''23, ''' Delisle, n" 2.5a.
'*' Léchaudé d'Anisy , p. 137. ''* Warnkœnig, p. 83.
HIST. I.ITT. — \x\iii. a 3
178 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
Ce tarif de quinze livres se retrouve dans la seconde partie du Très
ancien Coutumier''' et dans le Grand Coutumier ^^'.
A partir de l'année iqSo, les comparaisons que nous avons faites
nous ont conduits au résultat suivant : les Première, Troisième et
Quatrième compilations se rapprochent souvent et elles s'opposent à
la Seconde compilation. Cette position des Troisième et Quatrième
compilations leur pourrait valoir pour cette période un meilleur rang;
mais nous croyons prudent de ne rien changer ici aux appellations
habituelles. Depuis une trentaine d'années ces dénominations sont
reçues parmi les érudits : il ne faudrait pas aujourd'hui troubler cette
terminologie acceptée de tous; mais il devient nécessaire de ne pas
attacher aux mots Deuxième, Troisième, Quatrième compilation une
valeur qualificative bien précise.
Il nous reste à justifier ce que nous venons de dire touchant les
similitudes qui peuvent être constatées entre la Première, la Troisième
et la Quatrième compilation :
Un arrêt de l'Echiquier de Pâques i23i est ainsi libellé dans la
Première, danà la Troisième et dans la Quatrième compilation :
Judicatum est quod abbas de Pratellis amodo non respondebit erga Rogerum de
Brottona vei heredes suos de feodo de Spineto, de quo contenlioerat inter eos, cuni
dictus abbas diclum feodum tenuerit triginta annis et amplius^*'.
La doctrine de cet arrêt a été condensée en ces termes dans la
Deuxième compilation ('"' :
Judicatum est quod abbas non respondebit laico super hoc quod tenuit in pace
triginta annis.
Un arrêt de l'Echiquier de i 3 3 5 est ainsi rédigé dans les Première,
Troisième et Quatrième compilations :
Judicatum est quod heredes alicujus hominis sequentis alium de membris sive de
furto, et ipsev ictus fuerit et suspensus, ipsi habebunt hereditates suspensi, non
obstante jndicio quod Faclum fuit per episcopos et barones et milites de illis qui
''• Ch. Lxxxiv, De rrleviis , édit. Tardif, i -î.'Si ). Dans la Troisième com|nlatu)n, cet niTét
p. q3. Cf. ci-dès*u», p. 6S. «si date de i s.S-» (ms. [ai. i loS-s , fol. -joi r") ;
^' Ch. XXXII, 'Dp rc/«;»ii.«, S 3, édition Tardif, imprimé dans VVarnkœnig, p. gi, gS.
p. 107. '*' liéchandc d'Xnisy, Grands rôles des Kchi-
<'' Dclisie, 11" 467 (fidriqnier àe Pâques, qiiicrs de Normandie , p. l4a.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 179
sequebantur alios demembris, quiajudicium non fiiit faclum de hereditatibus , sed
de membris '".
L'arrêt est ainsi libellé dans la Deuxième compilation :
Judicatum est qupd heredes alicujus honiinis sequentis aliuni de membris sive de
furto, et ipse vinctus (sic) fuerit et suspeiisus, habebunt hereditatem suspens! patris
sui, non obstante quod accordatum per regem et barones fuit quod talis appeliator
si vinctns [sic) esset suspenderetur quia de membris tantum dixenint '*".
La Quatrième compilation, sur laquelle nous appelons particuliè-
rement l'attention du lecteur, peut aujourd'hui être étudiée de plus
près qu'au moment où M. L. Delisle publia son Mémoire sur les recueils
des jnyemeuts rendus par rEclii(iuier de Normandie , sous les règnes de PAiV
lippe Auguste, de Louis VI II et de saint Louis. En eflet, à cette époque,
on ne connaissait la Quatrième compilation que par une traduction
française. M. L. xAuvray en a retrouvé le texte latin à la Bibliothèque
du Vatican, et ce texte est plus complet que la traduction française:
il comprend le» années iq47 et i 2 48, qui manquent dans le manuscrit
unique de la traduction.
M. L. Delisle avait conjecturé que le texte français qualifié par
lui Quatrième compilation pourrait bien n'être autre chose qu'une
traduction de la Troisième. Le fait est aujourd'hui hors de doute. Les
différences matérielles qu'on peut remarquer entre les Troisième et
Quatrième compilations proviennent simplement de l'état différent
des manuscrits.
Cette version française n'est pas toujours très nette. Nous signalons
notamment ce passage :
li fut commandé que ta fanie Robert du Mesnii Waçe ait en doere la tierce par-
tie del'entage qui li aferoit a sa part de l'eritage son pere'^'.
M Qui li aferoit » offre un sens obscur, « li » paraissant se rapporter
à la femme, tandis qu'il doit se rapporter au mari. I^e latin, très clair,
porte : (juod contingebat viro tu()^'*\
''' Delisle, ii" Ô.Vt; Bibl. iiat. , lat. iio3a, fol. 8 i°. Imprimé dans Léchaudé d'Anisy,
p. no4; Marniei-, Etablissements et coutumes, p. i43.
p. i66 ; manuscrit Ottohoni 296/1. ''' Marnier, p. M 5.
'1 Lat. 465i, fol. 55 r°; lat. iio.Vi. (») Warnkœnig, p. 72.
180 I.KS COITHMIKRS DE NORMANDIE.
Nous résumerons ces observations en disant que, jusqu'en 1229
inclusivement, les Deuxième, Troisième et Quatrième comjiilations ne
font qu'un; qu'à partir de 1229 la Deuxième compilation s'éloigne
assez souvent de la Troisième-Quatrième compilation, celle-ci se rap-
prochant davantage de la Première.
Ici s'ouvre une question nouvelle: la Troisième-Quatrième compi-
lation dérive-l-elle directement de la Première? Nous ne possédons
qu'un seul manuscrit de la Première compilation, et il est incontes-
table que ce recueil a subi diverses altérations. Les comparaisons que
nous pouvons tenter sont donc imparfaites et frappées par avance d'une
certaine débilité. En l'état des manuscrits , nous constatons que la Troi-
sième-Quatrième compilation contient huit articles qui ne se trouvent
pas dans le manuscrit unique de la Première. De plus, quelques cha-
pitres de celte Troisième-Quatrième compilation portent, pour l'Echi-
quier de la Saint-Michel 1 286 et pour celui de la Saint-Michel 1 289,
des titres plus complets que ceux de la Première compilation. On
serait donc, à première vue, tenté d'affirmer que le rédacteur a puisé
à une autre source qu'à la Première compilation. Nous n'oserions
pourtant nous arrêter fermement à cette conclusion , car la Première
compilation a pu se présenter au rédacteur de la Troisième-Qua-
trième compilation dans un manuscrit meilleur que celui qui est au-
jourd'hui à notre disposition. La Première compilation serait alors,
mais sous une forme perdue, la source de la Troisième-Quatrième
compilation. Enlin il ne faut pas perdre de vue que la Première
compilation ne représente pas, en l'état, avec une parfaite exactitude
les registres et surtout les rôles originaux de l'Échiquier. Ces rôles ou
registres ont pu être consultés accidentellement par tel ou tel de nos
compilateurs en vue d'améliorer le texte. Mais nous admettrions plus
facilement encore que les registres du greffe (plus sommaires que les
rôles) ne font qu'un avec ce que nous appellerons l'original de la Pre-
mière compilation. Cet original ou une bonne cojiie de cet original
aurait servi à l'auteur de la Troisième-Quatrième compilation. Il aurait
été connu aussi de l'auteur de la Deuxième compilation.
Il est facile de déterminer quelques-uns des caractères de cet ori-
ginal perdu.
L'auteur de la Deuxième compilation, rappelant un procès entre
deux frères, Richard et Robert de Bois-Yvon, jugé à l'Echiquier de la
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
181
Saint-Michel 1212, dit que ce jugement se trouvait à l'avant dernier
chapitre de cette session : in peniiltimo capitulo lUias Scacarii'^^K Or, dans
la Première compilation le procès des frères de Bois-Y von termine ce
chapitre : il y manque donc un arrêt. L'auteur de la Deuxième com-
pilation avait sous les yeux un texte plus complet, peut-être le registre
ou le rôle original. Ce registre ou rôle original contenait l'arrêt qui
manque dans le manuscrit actuel de la Première compilation. Il est
bien clair aussi que ce registre ou rôle original ne rapportait pas à
l'Echiquier de la Saint-Michel i243, comme le fait la Première com-
j)ilation , divers arrêts qui sont bien antérieurs à cette date : quelques-
uns de ces arrêts figurent à leur vraie date dans la Deuxième compi-
lation (^).
Les registres ou rôles originaux ont pu être bien des fois dépouillés
partiellement au moyen âge. Nous estimons que les résultats de ces
dépouillements anciens ne sont peut-être pas tous connus et qu'il
reste quelque espoir d'enrichir encore le précieux recueil de l'an-
cienne jurisprudence de l'Échiquier'^'.
Nous ne connaissons pas les noms des divers greffiers qui ont pu
tenir les registres ou les rôles originaux, auxquels se rattachent plus
ou moins directement tous nos textes. Un seul nom a été relevé, celui
d'un certain Guillaume Acarin, qui, d'après un acte de l'année 1217,
était alors attaché au greffe de l'Echiquier : fV. Acarin, clericus, qui
tune in Scacario scribebat. M. Delisle a suivi ce personnage jusqu'en
1 289. 11 était probablement mort en 1 2^5 ''*'.
Entre 1 2^9 et i 276 , date initiale d'une petite collection dont nous
parlerons à l'instant, nous ne connaissons que des arrêts isolés.
M. Léopold Delisle a recueilli tous ceux qu'il a pu rencontrer jus-
qu'en 1270. Les sources principales utilisées par M. Delisle, en de-
hors des pièces isolées, sont : le premier volume des Olim; le registre
'*' T)eih\e, Jugements de V Echiquier , note i,
sur 11° 108.
'*' Delisle, ibid., note 6 sur le n* 717,
notes 1,2, sur les n" 719 et 720.
''' Nous signalerons , à ce propos , le ms. fr.
5333 , qui contient au fol. 63 r° un arrêt rendu
à l'Echiquier de Pâques iai3, tenu à Falaise;
ce ms. attribue au même Echiquier une déci-
sion sur le serment des avocats, fol. 207 v°;
mais ce semient ne parait guère convenir au
commencement du xiii' siècle; il contient au
fol. 62 v" un arrêt attribué par erreur a la
Saint-Michel 1207 : il faut corriger Pàqiies
1287 à l'aide du ms. 533o, fol. 59 r°. Enfin il
pourrait être utile de dépouiller un manu-
scrit d'Oxford, Bodléienne, Selden supra 70
(xiv* siècle), dont les premiers feuillets con-
tiennent des arrêts de l'Ecliiquier.
'*' Delisle. dans Mémoires de l'Académie des
Inscript., t. XXIV, p. 368-371.
182 LES COLTUMIERS DE NORMANDIE.
des Enquêteurs de saint Louis; les notes fort curieuses d'un ano-
nyme de Coutances, clerc de Jean d'Essei, évêque de Coutances,
peut-être ofïicial de ce prélat; le registre des visites d'Eudes Rigaud ;
enfin un recueil judiciaire, dont nous nous occuperons ici même,
les Assises de Normandie.
2. ARRESTA COMMUNIA DE SCAGCARIO.
Un petit recueil de jurisprudence, dont le titre primitif paraît être
Arresta communia de Scaccano'''\ appelle notre attention.
iLe compilateur, en choisissant ce titre, Arresta communia, a claire-
ment indiqué sa pensée : il s'est attaché de préférence aux arrêts de
l'Échiquier ayant un intérêt général ; les textes que notre auteur re-
produit ou résume ont, en effet, la plupart, une valeur doctrinale ou
administrative vraiment considérable. Ce pelit recueil est assez sou-
vent confondu dans les manuscrits avec des textes divers ou avec des
arrêts postérieurs dont nous dirons un mot. Les dates extrêmes sont
1 276 et 1 290 ; mais les textes n'ont pas été rigoureusement groupés
suivant l'ordre chronologique. On peut y distinguer trois séries dont
la deuxième et la troisième sont coupées par un arrêt isolé : 1" sé-
rie, 1276 à 1278; 2* série, i285 à 1290; acte isolé de 1288;
3* série, 1282 à 1284- Tel est, du moins à notre sens, l'état primi-
tif du recueil, qui, dans les manuscrits, est distribué très diverse-
ment.
Ces trois groupes correspondent probablement à trois séries de
rouleaux de l'Échiquier, qu'on peut considérer comme la base de
la collection. Ces trois séries ne tombèrent pas en bon ordre sous
la main du compilateur. Il les utilisa comme elles se présentaient.
L'acte de 1 288, intercalé entre la seconde et la troisième série, est,
non une décision de l'Échiquier, mais un arrêt du Parlement ^^' inté-
''' Manuscrits : Bibl. iiat., lat. ^790 , fol. 1- en |365. — Kditions : Lëchaudé<rAni»y, Grandi?
i5 ;lat.ji65i , fol. 6^-67 ; lat. 1 io35, ioL iii6- râles, p. ir>o-i53; Warnkœnig, Urkuivdà^iAuch
i5a; lat. ia883, foL 97-100; Jat. l5o68, ziun zweilen Band dtti- franzôsischen Slaats- und
fol. ui r" et V*; ms. lat. 1 1 o34 , fol. 1 5 V*- 1 9 r°. Recbtufeschichte , Bile, i848, |». 120-1 34.
Tous ces manuscrits sont du coniniencement Dans cette édition, d'iiilleui'strës défectueuse,
du XIV' siècle. — Lat. 476/1 , fol. âg r° et v° ; les arrêts sont placé» dans l'ordre chrono-
ce manuscrit a été exécuté eu i346. Lat. logique.
1 io33, fol. 69-73; ce manuscrit a été terminé '*' In Pavlamento Pentecostes aiuio octo-
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 183
ressant l'Échiquier de Normandie. H a pu être copié sur l'un des rôles
dont nous parlions à l'instant. Il a pu aussi être introduit dans le re-
cueil par notre anonyme.
Nous sommes autorisés à parler ici de rôles de l'Echiquier, car,
dans l'un des manuscrits des Arresta communia, le copiste, s'aperce-
vant qu'il se répète, s'interrompt subitement et renvoie au premier
rôle qu'il a déjà copié : De hominibas prisionem tenentihus recjuire in
primo rotulo. En effet, le petit texte commençant par ces mots : De
hominibus prisionem tenentibus (1283) avait déjà été transcrit^''. Le
copiste allait se répéter; il s'arrête à temps. Nous ne croyons pas
toutefois que les articles très simples et très concis qui composent
notre recueil, articles très souvent dépourvus de noms propres,
soient la copie in extenso de rôles de l'Echiquier : nous pensons que
le praticien a quelquefois condensé la matière juridique qui s'offrait
à lui. Il s'est proposé de relever ce qui., dans ces rôles, offrait
pour le droit public et privé de la Normandie un intérêt excep-
tionnel. Ces textes nous donnent, en effet, une très haute idée
de l'Echiquier, qui vraiment légifère pour la Normandie, et même
modifie au besoin , sur des points très importants , certaines or-
donnances royales. Nous citerons, à titre d'exemples, deux arrêts
de 1277 et 1282 sur le service militaire et sur l'exonération de ce
service ; un arrêt de 1277 sur les conséquences juridiques d'un duel
judiciaire (il résulte de cet arrêt que la pratique du duel subsistait
en Normandie dans certaines justices seigneuriales, après f aboli-
tion du duel par saint Louis et avant sa restauration partielle par
Phihppe le Bel)'^^; un arrêt de 1278 sur la propriété des archives
des vicomtes (les anciens vicomtes, en se retirant, ne peuvent empor-
ter avec eux que des copies; ils doivent toujours laisser les originaux
à leurs successeurs); deux arrêts de 1282 tendant à décharger les che-
valiers pauvres d'un service public qui les entraîne à des frais parfois
trop lourds pour leur modeste fortune (ce service est celui des en-
quêtes ou « vues» si fréquentes en droit normand); un arrêt de 1289
gesimo octavo. Purifia», etc. (ms. Lit. ^790, est de 128S et non de 198a , date donnée par
fol. 6 ^°). Wanikœniff a imprimé pare, au le manuscrit.
lieude/'arùim. Le mot pare ne |jrésente aucun '*' D'autres diieis judiciaires pendant la
sens. (^et arrêt important ne se trouve [MIS dans même période ont été déjà signalés dans le
les Olim. domaine royal. Voir Paul Viollet, Les Etabl.
''' Ms. iat. 4790, fol. 3 v°-7 v". (iet arrêt de mini Lnnis , t. l, p. 567.
184
LES COUTUMIERS DE NOIIMANDIE.
qui va plus loin encore dans la même direction, et exempte complète-
ment les chevaliers du service des enquêtes pour de très nombreuses
catégories d'affaires *'' : c'est une modification formelle aux règles in-
scrites au chapitre lxv, De visionibns, S 5, du Grand Coutumier. Nous
signalerons plus ])artieulièrement encore deux arrêts relatifs à des caté-
gories d'affaires qui intéressent fautorité royale et les droits du roi :
l'Echiquier, «en ces deux circonstances, tranche contre le roi les
questions qui lui sont soumises ou dont il a d'oflice abordé l'examen;
ces deux décisions sont datées des années 1282 et 1286. En 1282,
sous Philippe le ïfardi, la question qui préoccupe fEchiquier est celle
de savoir si les sergents du roi peuvent instrumenter sur les terres
des hauts justiciers pour faire exécuter des actes passés devant un
officier du roi [pro lltteris doinini refjis inleijrandis) : l'Echiquier dé-
cide que les sergents royaux ne seront autorisés à agir qu'au défaut
des seigneurs (/ijst in dejfectu ipsoram), c'est-à-dire dans le cas où les
seigneurs ne fourniraient pas eux-mêmes des agents d'exécution '"'l
La question qu'examine l'Echiquier en 1286 intéresse les débiteurs
du roi : d'après la législation de saint Louis, ils ne peuvent échap-
per parla cession de biens à la contrainte par corps '^'; leur position
est donc beaucoup plus mauvaise que celle des débiteurs des parti-
culiers : les vénérables maîtres de l'Echiquier [vcnerabiles mafjistn),
émus de pitié pour ces malheureux prévôts endettés et pour tous
autres débiteurs de la couronne, leur accordent, contrairement à
l'ordonnance de saint Louis, le bénéfice de la cession de biens C*);
un pareil arrêt a, comme nous le disions, toute la valeur et toute
l'importance d'une ordonnance royale.
L'arrêt du Parlement de 1288 mérite aussi une mention spéciale;
il a pour objet de préciser les obligations des évêquesencequi touche
la présence à fEchiquier : les évèques normands ne sont pas tenus
. 'V Cf. Warijkœnig, p. las, ia5, 127, 128,
i3a. Voir, déjà en n36, une décision (|ui
exempte les chevaliers de la rharg? des en-
quêtes ou « vues » clia(|ue fois que le procès ne
peut donner lieu à un duel jwliciaire. ( Delisle ,
Recueil des jugements de l'Echiquier de Nor-
mandie au xiii' siècle, n° 601 , note 4.)
'** Warnkœnig, p. iti6, 127.
'*' Ord. <le I a56 , art. 1 7 : « ... ne (|ue nuis
• homs soit tenus en prison pour chose que il
• doie, se il ubandonae ses biens, fors pournostre
« debte tant seulement» [Grandes chroniques,
édit. Paulin Paris, t. IV, p. .345; ms.fr. 17270,
dernier tiers du volume). Ces mots essentiels
« se il abandonne ses biens » manquent dans
les deux textes qu'a publiés Lauriére (ord. de
laSii, art. 19; ord. de ia.56, arî. 17, dans
Ord.. t. I, p." 72-80).
''' WarnkuMii,', UrkuiuUnbuch znm zweilen
Band. Bàle, i848, p. \i\.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 185
de venir siéger à l'Echiquier, à moins d'un ordre du roi ; sauf ce
cas, ils siègent seulement quand bon leur semble ''^
Nos Arresta communia n'ont pas toujours fixé irrévocablement la
jurisprudence. Il nous en reste une preuve curieuse : un des prati-
ciens qui firent copier ce recueil a cancellé deux arrêts qui ne lui
plaisaient pas et a mis en marge cette observation hostile : Vacat, (juin
fahum et contra consuctudinem Normannie^^K Les deux arrêts contestés
par un juriste au commencement duxiv^ siècle sont datés de 1 277 et
intéressent, l'un, la garde noble, l'autre, les démembrements de
fief. L'arrêt relatif à la garde noble était très favorable aux droits
du roi mis en regard des droits de la famille; l'annotateur anonyme
est évidemment plus défavorable au roi que les juges de 1277. Sa
pensée se dégage moins clairement en ce qui touche les démembre-
ments de fief.
Notre recueil pourrait servir de commentaire à un certain nombre
de chapitres du Grand Coutumier. Les praticiens l'avaient vite con-
staté. Us ont puisé à celte source précieuse et en ont détaché un
certain nombre de décisions qu'ils ont transcrites ou fait transcrire en
marge du Grand Coutumier latin, avec des arrêts plus anciens, anté-
rieurs à la rédaction du Grand Coutumier, et provenant d'autres collec-
tions. Mais ils n'ont pas réussi à trouver une place à tous les arrêts :
il est resté un résidu qu'on a transcrit à la suite du Grand Coutumier
latin, sous ce titre : Arresta communia (jue non habent loca propria super
textam coustiime precedentis^^K
Une petite série dont nous n'avons pas encore parlé, et qui ne fait
pas partie, croyons-nous, des Arresta communia, a pris place dans un
manuscrite"' à la suite de ces Arresta. Elle s'étend de 1291 à 1294 et
doit, elle aussi, correspondre à un ou plusieurs rôles de l'Echiquier.
Elle est moins importante que le groupe précédent et a eu, autant
que nous en pouvons juger, moins de vogue.
Nous ne connaissons aucun recueil d'arrêts postérieur à 1294.
A partir de cette date, nous ne rencontrons plus que quelques ar-
'"' Warnkœnig, p. iSa. contra fuerunt Normanniœ (p. 122, note 3).
''' Ms. lat. 465 1, fol. 64 v°. — Warnkœnig « Ms. lat. 1 io35, fol. i46 v°. Même titre
attribue à tort cette note à un annotateur du dans le ms. lat. 12883, fol. 99 r°, sauf le
XV' siècle ; nous l'attribuons aux premières mot precedeniis qui manque,
années du xiv' siècle ; enfin le même savant ''' Bibl. nat. , ms. lat. 4790, fol. i35-i4i.
a lu fort inexactement : Constat qaodfaUam et Imprimé dans Warnkœnig, p. i34-i4i.
BiST. LrtT. — xx-.m. ai
186
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
rets dispersés dans les manuscrits, arrêts de 12^6''', iSiy, i323,
1827'^^ etc. La série des registres officiels de l'Echiquier conservée
à Rouen commence avec l'année i336.
3. LES ASSISES DE NORMANDIE.
Peu après l'année 1237, un praticien normand rédigea un petit
traité de droit que nous intitulons Assises de Normandie. Il en existe
plusieurs manuscrits latins, et un seul manuscrit français, mutilé au
commencement'^'. Le compilateur y a résumé les doctrines juridiques
qui, à ses yeux, se dégagent d'un certain nombre de sentences rendues
aux assises présidées par les baillis royaux, à Caen, à Bayeux, à Falaise,
à Exmes et à Avranches, et aussi de quelques arrêts de l'Echiquier.
Le caractère de ce traité se dessine donc facilement : c'est un écrit sans
prétention, qui a pour base immédiate la jurisprudence normande.
L'allure en est simple, le style rapide. Les solutions de notre juriscon-
sulte se présentent fréquemment sous deux formes bien distinctes :
tantôt il récapitule en quelques lignes les décisions parvenues à sa
connaissance et ordinairement rendues en sa présence'*' (exemple :
Uxor militis deffancti non habet portionem nec dotalicium in concjuestis immu-
bilibus; Pacr infra etatem nonpotestfacere attornatum); tantôt il pose une
question sous forme d'interrogation et la résout par une solution
ferme (exemple : Queritar utram tenens, terra visa vel antc visionem, pas-
sif venderevel donare. Responsio : lite mota, nichil potcst alienare^^^). Mais
les solutions ne se présentent pas toujours avec cette netteté, et cela
pour diverses raisons. Ainsi l'auteur, après avoir exposé la doctrine
qui ressort d'un arrêt, modifiera l'espèce, et, n'ayant plus pour cette
espèce nouvelle de décision judiciaire à condenser en doctrine, il
t'»Ms. lat. 12883, fol. 63 v°. Edité dans
Warnkœnig, p. i43-i44.
'') L. Delisle, Mémoire, p. 354-355.
'*' Les manuscrits latins des Assises de Nor-
mandie sont : B. N. lat. 465 1, fol. 55 v°-6i v°
(xiii* siècle), sans titre ; lat. i ) o34 , fol. g v°-i 3 v°
(commencement du xiv' siècle), sans titre;
lat. iio33, fol. 6o v°-67 r" (écriture de l'an-
née i365), sans titre ; lat. 4653, fol. 73 (écri-
ture de l'année i43o), sans titre; lat. 4653 A,
p. 378-288 , titre : Assisie générales (commence-
ment du XVI* siècle); lat. iio3a, p. 2i5-220
(commencement du xiv' siècle), sans titre;
Vatican, Ottoboni, 2964, fol. i23-i3i (fin du
xiii' siècle), sans titre.
La version française se trouve dans le manu-
scrit 1 743 delà Bibliothèque Sainte-Geneviève,
p. i77-»93-. . ..
*'' Aadivi in assista que sequuntur; — Aadtvi
ibi qaod, . . ; — Audivi ibi qaod. . . {Assisiœ
Normanniœ. dans Warnkœnig, Urknndeiibuch ,
p. 48, 5i, 68.)
''' Assisiœ Normanniœ, ibid. , p. 56, 52,
54.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 187
indiquera les opinions des praticiens : Credunt plures (juod . . , D'autres
fois, il nous apprendra que les juges eux-mêmes sont restés perplexes ;
Cam qeneralis constitutio sit (jnod millier habens maritum nichil possit
vendere vel donare de siio maritagio, (lueritur iitram possit in morte sua
dure vel legare ecclesie vel alii. Super hoc cousiilendus est rex ''^.
A l'époque où écrivait notre jurisconsulte, les baillis normands fai-
saient depuis longtemps consigner sur des rôles les jugements rendus
aux assises '"^^. Nous ne serions pas surpris que notre praticien eût con-
sulté quelques-uns de ces rôles, surtout pour les assises où il ne fait
pas appel à ses souvenirs personnels.
Ce petit traité est de peu postérieur à l'année 1 287, car le dernier
arrêt daté que mentionne l'auteur est de cette année laSy. Anno
Domini m. ce. xxxvn., in assisia proxima post festum sancti Hylarii, apud
Abrincas , judicatum qnod. . . '^\ Les plus anciens sont de 1 2 34, et c'est
par le résumé de ces arrêts de 1 2 34 que débute notre auteur : Anno ab
Incarnatione Domini M. ce. xxxiv. , die Martis ante festum beati Mathei
apostoli^'*\ apud Cadomum. — Die Mercurii sequente, audivi in assisia cjiie
secjuiintur. ..Ha suivi, non l'ordre systématique de matières, mais
simplement l'ordre chronologique des assises dont il a eu connais-
sance.
L'auteur ne nous apprend rien sur lui-même. Nous sommes donc,
à cet égard, réduits aux conjectures. Nous nous demandons si notre
praticienne serait pas un «attourné», ou, pour parler plus exactement,
s'il ne remplissait pas très fréquemment la mission d'attourné ou pro-
cureur. Nous doutons, en effet, qu'on se qualifiât dès lors attourné :
on était l' attourné d'un plaideur plutôt qu'un attourné. L'intérêt que le
jurisconsulte porte aux questions relatives aux attournés nous suggère
cette hypothèse : dans les vingt pages dont se compose le traité,
l'attourné revient jusqu'à douze fois sous la plume de l'auteur ^^l
Nous avons, en revanche, une brève indication de lieu : Primogenitus
habens feoda duo, unum citra Secanam, aliud in Caleto. . . '*''. Citra Seca-
nam, opposé à in Caleto (pays de Gaux) , nous indique la rive gauche
'*' AssisîtB Normanniee, 1. cit., p. 49, 5i. 1 loSa, p. 2i4, porte m° ce" xxxiii, au Heu de
'"^ L. Delisle, Mémoire, p. 353-355. m'cc'xxxiv.
■«' Warnkœnig, p. 63. W Édit. Warnkœnig, p. 56, 57, 59, 63
'*' Warnkœnig au lieu du mot apostoli a im- 64.
primé ici Aprili (p. 48). Le manuscrit latin '"' Ibid., p. 49.
I
188 LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
de la Seine; c'est donc dans cette région qu'écrivait notre auteur.
Il était sans doute attaché au bailliage de Caen.
Les sujets abordés sont très divers, et — conséquence nécessaire de
l'ordre chronologique — ils sont jetés comme au hasard. Nous relè-
verons, entre autres, les matières suivantes : mariage encombré, par-
tage entre cohéritiers, devoirs des juges, droit de retrait, régularité
des semonces, dot [maritagium) des fdles, attournés, compétence, les
trois aides, situation juridique des mineurs, etc.
Ce petit ouvrage a été traduit en français au xiii' siècle. Le texte
original latin a été publié par Léchaudé d'Anisy et par Warukœnig.
La traduction française a été éditée par Marnier"'. Il y aurait lieu de
revoir avec soin ces éditions sur les manuscrits. Plusieurs passages
sont maladroitement répétés dans l'édition de Warnkœnig'^^ : ces ré-
pétitions ne sauraient appartenir à l'œuvre originale; certaines leçons
adoptées par l'éditeur sont évidemment défectueuses.
Nous soupçonnons que, dans le cours du xiii" siècle, un Normand
confectionna une compilation juridique sans aucune originalité, qui
ne devait être autre chose qu'un amalgame du Très ancien Coutu-
mier avec les Assises de Normandie. Le compilateur aurait tout sim-
plement rapproché les uns des autres les fragments de ces deux œuvres
qui lui paraissaient présenter entre eux quelques analogies. Nous ne
connaissons, à la vérité, aucun exemplaire de ce travail dans l'état
où il nous semble être sorti des mains du compilateur, mais nous
croyons qu'il se présente à nous, fractionné en morceaux détachés,
dans le manuscrit latin 1 1 082 ; ces morceaux sont répartis au travers
du texte français du Grand Coutumier ; ils sont destinés à le compléter
ou à l'interpréter.
Sans doute, on pourrait concevoir aussi que l'annotateur du Grand
Coutumier fût allé chercher lui-même, d'une part, dans le Très
ancien Coutumier, d'autre part, dans les Assises dç Normandie, les
textes se référant aux mêmes matières et les ait rapprochés pour illus-
trer le Grand Coutumier. Mais cette hypothèse ne nous paraît pas la
plus vraisemblable.
''' Léchaudé d'Anisy, Grands i-âles, p. i44- Établissements et coutumes. Assises et arrêts de
i/ig. — Warnkœnig, Urkundenhuch zum zweiten l'Échiquier de Normandie au Xlli" siècle. Pari»,
Band der franzôsischen Staals- und Rechts- iSSg, p. 87-1 lo.
geschichte, Bâle, 1848, p. /i8-69. — Mamier, <•> P. 5 1, 5a, 68, 69.
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE. 189
A i'appui de notre manière de voir, nous présenterons une simple
observation. ;
Nous avons déjà dit que le chapitre xlviii , De tribus auxiliis, du Très
ancien Coutumier soulève une difficulté, puisqu'on y trouve seule-
ment, en dépit de ce titre, l'indication de deux auxilia ou aides. A un
jurisconsulte étudiant à la fois le Très ancien Coutumier et les Assises
de Normandie, le chapitre des Assises intitulé, lui aussi. De tribus
auxiliis offrait une manière de solution, car il semblait fournir le
troisième anxilinm manquant. Or ce rapprochement séduisant a été
fait : parmi les fragments transcrits dans le manuscrit latin 1 1082
figure un morceau intitulé De tribus auxiliis, où sont réunis et le cha-
pitre susvisé du Très ancien Coutumier et les deux lignes des Assises
intitulées aussi De tribus auxiliis. Voici les textes :
De tribus auxiliis. — Si vero aliquis Tria sunt auxilia, scilicet de filio fa-
dominus filium suum primogenitum mi- ciendo militem ; de filia marilanda; de
lilem faciet, homines sui debent ei auxi- exercitu domini régis : que non pos-
lium quasi de dimidiorelevamine. Simili- sunt quitari per aliquam cartam'^'.
ter de filia sua primogenita maritanda t''.
Pris isolément, ce texte se tient assez bien, car le troisième auxilium
[De exercitu régis) est comme retrouvé. Mais cette combinaison, au
lieu d'éclairer quoi que ce soit, ajoute au contraire une difficulté
nouvelle, dès qu'on rapproche ces lignes du chapitre xxxiii, S 2, du
Grand Coutumier, où il est question des trois auxilia: en effet, dans
le Grand Coutumier, le troisième auxilium n'est point l'aide fournie
pour l'ost du roi ; c'est l'aide fournie pour délivrer le seigneur prison-
nier à la guerre. H y a contradiction évidente. Mais le texte que nous
venons de transcrire a été copié dans le manuscrit latin 11082
(p. 89-90) à titre de commentaire et d'illustration du chapitre xxxiii
du Grand Coutumier. Singulier commentaire! Nous pensons donc que
notre texte n'avait pas été originairement constitué à cette fin, la-
quelle serait contraire au but visé; nous estimons que l'annotateur
du Grand Coutumier dont l'œuvre nous est parvenue dans le manu-
scrit 11082 a trouvé ce groupement déjà créé. On s'explique fort
'"' Très ancien Coutamier, chap. lxviii, $ i, édit. Tardif, p. Sg. — '*' Assises de Normandie,
chap. De tribus auxiliis, édit. Warnkœnig, p. 58.
190
LES COUTUMIERS DE NORMANDIE.
bien, d'ailleurs, que ce texte relatif aux a«xi7fa ait été originairement
combiné par un praticien qui n'avait autre chose sous les yeux que
le Très ancien Coutumier et les Assises de Normandie. Le manu-
scrit 1 1082 nous offrant un bon nombre d'autres combinaisons''^ du
Très ancien Coutumier et des Assises de Normandie, combinaisons
dispersées par petits groupes au travers du texte du Grand Coutu-
mier, nous nous croyons autorisés à supposer qu'il a existé une sorte
de Coutumier normand, composé d'un mélange artificiel du Très
ancien Coutumier et des Assises de Normandie. L'éditeur du Grand
Coutumier dont l'œuvre nous est parvenue dans le manuscrit latin
1 1082 aurait puisé à pleines mains dans cette compilation, que nous
ne connaissons pas sous sa forme primitive.
Elle aurait été exécutée postérieurement à l'année 1287, puisque
les derniers arrêts cités dans les Assises de Normandie sont de l'an-
née 1287, et, suivant loute probabilité, avant 1268, puisque le Grand
Coutumier, presque entièrement rédigé à cette date, ne semble avoir
fourni aucun élément à celte œuvre.
P.V.
'"' Nous citerons seulement trois passages
du manuscrit 1 1 o3a :
1° p. 87, 88 : De relevamine, cornes releva-
bit. . . — Rapprocher le Très ancien Coutu-
mier, chap. xLVii (édit. Tardif, p. 3qa), et les
Assises de Normandie : De domino Johanne Mal-
herbe (édit. Warnkœnig, p. 65);
a° p. 91 : De donalionibas ecclesie, Quilibet
potesl donare ... — Rapprocher le Très ancien
Coutumier, cliap. lxxxix (édit. Tardif, p. 99
et suiv.), et les Assises de Normandie : De bas-
tardia, S Bene polest quis dore. . . (édit. Warn-
kœnig, p. 61);
3° p. 93-95, De exoniationibns , De exoniis.
De dilalionibus exoniorum cl langoris. De esso-
gniis. — Rapprocher le Très ancien Coutu-
mier, chap. Lxxxii, De dilalionibus el cxoniis ,
chap. XLlv, De dilalionibus exoniorum et langoris
(édit. Tardif, p. 87-91 ; 36,37) , ''' ^** Assises
de Normandie, De tribus auxiliis, S Anno Do-
mini, etc., Bene potest guis; Mulier soluta, S Jn
Normannia , etc. (Warnkœnig, p. 58, 59,6a).
RAIMOND DE BÉZIERS,
TRADUCTEUR ET COMPILATEUR.
Nous ne savons de cet auteur que ce qu'il nous apprend lui-même
dans les diverses préfaces ou dédicaces qu'il a mises en tête du seul ou-
vrage de lui qui nous soit parvenu, et, probablement, qu'il ait composé.
Il était né àBéziers, et il fait remarquer, en s'adressantau roi de France,
qu'il est de regno ejns oriundus ejuscjiie snbditas etfidelis '"', ce qui ne l'em-
pêche pas de se qualifier ailleurs d'étranger'^', sans doute parce qu'il
n'avait pas le français pour langue maternelle. 11 se donne le titre de
médecin, j)hysiciis^^\ mais on ne voit guère dans son livre la trace de
ses connaissances médicales'*'. Il avait quitté son pays pour venir
s'établir à Paris et y chercher la fortune, qu'il ne paraît pas y avoir
trouvée. Il crut un jour qu'une heureuse chance allait lui fournir le
moyen d'avoir accès et faveur à la cour. Un clerc '^', ou, d'après un
autre passage, un noble '^', avait apporté d'Espagne à Paris la tra-
duction castillane du livre arabe de KaJîlah et Dimnah et l'avait offerte
à la reine Jeanne de Navarre-Champagne, femme de Philippe le Bel.
La reine Jeanne, on le sait, protégeait la littérature et s'intéressait à
divers genres d'écrits. Elle aurait voulu pouvoir lire ce livre que, sans
doute, on lui avait vanté; mais elle ne comprenait pas fespagnol.
Raimond, probablement par l'intermédiaire du personnage qui avait
apporté le livre et qui paraît avoir été de ses amis''', offrit de le mettre
'"' Ms. lat. 85o4 (Hervieux, Jean de Capoue
et ses dérivés, p. 384; L. DeLsle, Journal des
Savants, 1898, p. 169).
(') Ms. lat. 85o4 (Hervieux, p. 38o; L.De-
lisle, Journal des Savants, 1898, p. 171). Le
manuscrit et l'éd. Hervieux portent aligena,
que M. Delisle corrige en «Ke/ii^ena; cependant
la forme aligena n'est pas inconnue au moyen
âge (voir Du Gange).
''* Mss. lat. 85o4 et 85o5 (Hervieux, p. 382
et 384; Delisle , Journal des Savants, 1898,
p. 160, i64 et 169).
'*' Dans la liste qu'a donnée M. Delisle {loc.
cit., p. 167) des autorités alléguées par Rai-
mond dans son édition amplifiée , on ne trouve
aucun livre de médecine.
'=' Ms. 85o4 ( Hervieux , p. 386 ; Delisle , loc.
cit., p. 170).
<•' Ms. 85o5 (Delisle, loc. cit., p. 173).
''' Pev dileclissimnni qnendam clericuni ( à l'en-
droit indiqué à la note 5); mais dans le style em-
brouillé de l'auteur on ne comprend pas bien
si dileclissimuin se rapporte à la reine ou à Rai-
mond lui-même.
192
RAIMOND DE BÉZIERS.
en latin, «langue plus commune et plus généralement compré-
« hensible''^», et il assure, ce dont on peut toutefois douter'"', qu'il
en fut expressément chargé par la reine Jeanne'^'. Il se mit au
travail, et il avait poussé sa tâche assez loin, lorsque la mort préma-
turée de la reine (2 avril i3o5) vint, nous dit-il, interrompre son
œuvre et le plonger dans la désolation. On pouvait voir, dans un
exemplaire (perdu) qu'il fit exécuter de l'ouvrage quand il l'eut, plus
tard, terminé, une miniature dont nous n'avons gardé que la ru-
brique : Figura translatons dimitlenlis opus propter regine obitiim desolati^'*\
— Un autre ouvrage, et d'une bien autre importance que celui de
Raimond, fut interrompu par la mort de la reine Jeanne, le « Livre
« des saintes paroles et des bonnes actions du roi saint Louis » , que Jean
de Joinville avait entrepris pour elle; on sait qu'il l'acheva néanmoins,
et qu'il le dédia, quatre ans plus tard, à Louis, fils de Jeanne.
Raimond de Béziers, lui aussi, reprit le travail qu'il avait un mo-
ment laissé de côté; nous verrons que ce qui le décida, sans doute,
à le terminer, ce fut un secours qu'il trouva pour l'achever et dont il
fit largement, trop largement, usage. Quand il eut achevé son livre
àeDina et Calila'^\ il en fit exécuter un exeniplaire magnifique, qu'il
offrit au roi Philippe, peu après la Pentecôte de l'an 1 3 1 3, et qui, après
bien des vicissitudes, est arrivé à la Bibliothèque nationale. Raimond
avait dû dépenser une assez forte somme pour l'exécution de ce vo-
lume, orné de nombreuses images'^'; il s'en promettait une récompense
qui explique cette mise de fonds. Son grand désir était d'être admis
en présence du roi, faveur qu'il sollicitait depuis longtemps sans
succès : « Peut-être, dit-il dans une de ses dédicaces'^', ce que je n'ai
« pu obtenir par mes amis ou mes prières , je l'obtiendrai par le moyen *^'
«de l'œuvre que j'ai entreprise; car si ce livre royal vient à être
'*' Passage indiqué à la note i de la p. 191.
'*' Voir les réflexions d'Hervieux , p. 44-
'») Voir ms. 85o4 ( Hervieux , p. 385 ; Delisle ,
loc. cit., p. 169), ms. 85o5 (Delisle, p. 171).
'*' M». 85o5 (Delisle, loc. cit.. p. 171).
<'^ Raimond emploie tantôt la forme Digna ,
tantôt la forme Diiia (c'est ainsi qu'on rendait
le latin hymnam par igné et inné). La graphie
avec gn équivalant à celle avec n simple , c'est
celle-ci que nous adoptons en parlant du livre
de Raimond. Dans le titre qu'il donne à son
œuvre. Liber Dine et Calile, il a interverti le»
deux noms , sans doute parce qu'il a remarqué
que le rôle principal appartenait à Dina et non
à Calila : cela peut servir à distinguer son ou-
vrage des autres versions.
< ' D'autant plus que , conune on le verra
(p. 196), il avait sans doute fait faire pour le
roi un premier manuscrit, orné de miniatures,
qu'il remplaça plus tard par celui qui nous est
parvenu.
''' Ms. 85o5 (Delisle, loc. cit., p. 171).
(•' Le ms. porte opportentu , que M. Delisle
propose de corriger en opportunilate.
RAIMOND DE BEZIERS.
193
«présenté à Votre Grandeur, on demandera qui est et où est l'auteur
«de la traduction de ce livre, et ainsi il se pourra que Votre Majesté
« me fasse appeler en sa présence, et alors, s'il lui plaît, je lui expli-
«querai tout mon dessein'*'. » Et ailleurs'-' : «Voilà longtemps que,
« plaintif et désolé, je me tiens aux abords de la cour royale, n'ayant
«ni accès ni moyen de me présenter devant la Majesté royale, de
« façon à pouvoir faire connaître à notre seigneur le roi mon affaire
« et ma supplication, ce à quoi je n'ai pu arriver pour deux raisons :
« d'abord parce que je suis étranger, d'humble condition, et inconnu
« de ceux qui fréquentent la cour et de ceux qui gardent la chambre du
« roi; ensuite, peut-être, parce que l'avenir me réserve quelque pros-
« périté par le moyen delà Majesté royale. . . Et comme je ne pouvais
« recourir à des amis connus qui me présentassent à la Majesté royale,
«j'ai essayé de réaliser mon dessein par la voie de la science... et, ne
«trouvant pas de meilleur moyen, j'ai résolu de terminer ce livre,
«que j'avais, au temps de l'illustrissime Jeanne, reine de France et
«de Navarre, commencé à traduire de langue espagnole en latin, et
« que, désolé par la mort de cette noble dame, j'avais laissé de côté'"^'. »
Pour essayer de trouver de nouveaux appuis, il dit encore au roi qu'il
compose son livre en l'honneur, non seulement de lui et de sa femme
défunte, mais de ses enfants, Louis, roi de Navarre, Isabel'*', reine
d'Angleterre, Philippe, comte de Poitiers et de Bourgogne, et Charles
(plus tard comte de la Marche). Il avait en outre fait peindre, dans
six miniatures qui furent collées sur le premier feuillet de l'exemplaire
de dédicace, le jeune roi de Navarre recevant l'ordre de chevalerie à la
Pentecôte de i3i3'^', d'autres jeunes nobles faits chevaliers avec lui,
les rois de France, d'Angleterre et de Navarre prenant la croix le même
'"' Tanc conceptam mei propositi, si placet,
vestre majestati régie declarabo.
'*' Ms. 85o4 ( Hervieux , p. 879 ; Delisle , hc.
cit., p. 173).
''' Le style de Raimond est tellement em-
barrassé que j'ai été obligé, pour traduire , en
l'abrégeant , ce passage , de m écarter de la litté-
ralilé; les phrases et les propositions mêmes
sont souvent inachevées. En outre, le copiste du
manuscrit a ajouté ses fautes à celles de 1 auteur.
'*' Raimond dit «Marguerite», mais il ne
peut s'agir que d'Isabel, femme d'Edouard II
et fille de Philippe IV, puisqu'il la range parmi
les enfants de celui-ci; on peut croire qu'il l'a
confondue avec la fille de Philippe III, Margue-
rite, femme d'Edouard I"; mais peut-être cette
méprise a-t-elle une autre explication (voir la
note 4 de la page 194).
'*' Il dit que le roi d'Angleterre reçut l'ordre
de chevalerie en même temps que Louis de
Navarre, tandis qu'il assista simplement à la
cérémonie (voir Delisle, loc. cit., p. 160); cela
semble prouver que Raimond vivait en effet
assez loin de la cour.
»
194
RAIMOND DE BEZIERS.
jour, les réjouissances des Parisiens à cette occasion''^, les représen-
tants de l'université et de la ville défilant devant le roi et le cardinal
Nicolas de Fréauville, enfin l'auteur, sous les auspices de l'évêquede
Châlons et chancelier de France Pierre de Latilli, présentant son livre
au roi^^'. Cette dernière image n'a pu être ajoutée au livre que plus
tard : dans la rubrique qui l'accompagne, la présentation du livre est
donnée comme un fait accompli ,: presens liber... fait presentatus. Au
reste, comme l'a remarqué Silvestre de Sacy'^', la présentation n'eut
sans doute pas lieu dans les fêtes mêmes de la Pentecôte où Raimond
avait terminé son ouvrage et qu'il a tenu à rappeler dans les mi-
niatures : la rubrique dit eodem anno et non eadem die, et Pierre de
Latilli y est qualifié d'évêque de Châlons, tandis qu'à la Pentecôte
de i3i3 il n'était même pas élu, et qu'il ne fut consacré que le
2 décembre. C'est sans doute entre cette date et celle de Pâques
i3] /i (n. st.) que Raimond put réaliser son ardent désir, et voir enfin
son livre remis, par l'entremise du prélat qui le protégeait, entre les
mains du roi'*^. Obtint-il ainsi l'accès à la cour qu'il ambitionnait?
'"' La petite image qui contenait cette repré-
sentation a malheureusement été enlevée.
''' Les deux dernières miniatures ont, à
notre avis, été interverties par celui qui les a
collées en face des rubriques. Celle qui occupe
aujourd'hui la place V représente un évéque
ofl'rant au roi, par l'intermédiaire d'un autre
personnage , un livre relié , tandis que l'auteur,
à genoux un peu plus loin , adresse au roi un
geste suppliant. 11 est impossible de voir dans
ce groupe , qui ne comprend en outre qu'un
quatrième personnage, les représentants de
1 université et de la commune de Paris dé-
filant ciim solempnilale maxima ante conspectum
régis et aliornm. reqam existencium ad Iwstiam pa-
lacii circiimquaque ciim Iota regati milicia, d'au-
tant plus que le roi est tout seul. Cette des-
cription convient au contraire au n° VI , où l'on
voit un portique dans le fond , à gauche le roi
de France et le roi d'Angleterre , à droite le roi
de Navarre , derrière eux de nombreux person-
nages, et sur le devant une foule serrée qui
passe en levant les mains. Il est vrai que le
centre du tableau est occupé par la figure , plus
grande que toutes les autres , d'un cardinal qui,
entouré d'évéques, ouvre largement les bras;
aussi M. Delisle a-t-il interprété ainsi notre
image : • Le cardinal Nicolas de Fréauville pré-
« che la croisade au milieu d'une nombreuse
« assemblée , dans laquelle on distingue les trois
0 rois de France , d'Angleterre et de Navarre. »
Mais cela n'est indiqué par aucune rubrique , et
il nous semble que le geste du cardinal peut
être simplement celui de la bénédiction.
''' Not. et exlr., t. X, a' partie, p. 7 et 9.
'*' Qu'il nous soit permis d'émettre une con-
jecture au sujet des miniatures de ce volume , dé-
tachées visiblement d'un autre exemplaire pour
être collées sur le nôtre. On y remarque l'omis-
sion complète des trois belles-fdles du roi , Mar-
guerite de Bourgogne (ducale) , Jeanne et Blan-
che de Bourgogne (comtale). Or on sait qu'au
mois de mai i3i4 ces trois princesses furent
arrêtées et emprisonnées comme adultères. Il
nous parait probable qu'elles figuraient dans
des miniatures appartenant à l'exemplaire pri-
mitif de présentation , et que , cet exemplaire
n'ayant pu être prêt à temps, Raimond n'osa
plus l'ofinr au roi tel quel, après le scandale
de mai, en fit exécuter un autre, sur le-
quel il rapporta celles des miniatures où ne
figuraient pas les femmes coupables : c'est
peut-être ainsi, par une méprise du rubrica-
teur, que s'explique la substitution au nom
d'Isabel de celui de Marguerite, pris dans les
rubriques sacrifiées. Dans ce cas, le ms. 85o4
RAIMOND DE BÉZIERS. 195
Nous n'en savons rien. Philippe mourait quelques mois plus tard,
Pierre de Latilli était bientôt révoqué de ses fonctions de chancelier,
puis jeté en prison, et si Raimond avait obtenu, grâce à lui, quelques
marques de la faveur royale, elles ne lui furent sans doute pas conti-
nuées par les successeurs de Philippe IV. Quoi qu'il en soit, on n'a re-
trouvé son nom sur aucun registre, sur aucun compte, et nous ne
connaîtrions pas son existence sans les deux exemplaires de son ou-
vrage qui se sont conservés jusqu'à nous.
Le premier est celui dont nous avons parlé jusqu'à présent, et qui
fut, comme nous l'avons vu, offert à Philippe le Bel. Le second de-
mande un examen à part. Il diffère du premier sous tous les rapports.
D'abord il n'est qvi'une copie faite en 1 496''*; ensuite il est sur papier,
d'une écriture fort ordinaire, et ne contient pas de miniatures, bien
aue le copiste ait conservé les rubriques qui accompagnaient celles
e l'exemplaire qui lui a servi de modèle '^\ Mais ce qui le distingue
surtout du ms. 85o4, c'est qu'il contient un texte beaucoup moins
long. Dans la préface du ms. 85o4, Raimond, après avoir parlé de
sa traduction du Calila et Dimna espagnol, ajoute : In (jno libro addidi
versas, proverbia, anctoritates et alia secundum propositam materiam^'^^
prout in ipso libro lector poterit intueri, dictasque addicwnes duxi per
rubeiim, ut ab ipso libro antiquo discerni valeant, conscribendas'-'^K Et en
effet, le ms. 85o4 présente un nombre considérable de passages
écrits à l'encre rouge, qui sont étrangers au livre traduit et con-
tiennent des additions de Raimond, sur lesquelles nous aurons à
revenir. Ces additions ne se trouvent pas dans le ms. 85o5. Silvestre
de Sacy avait pensé que le ms. 85o5 était copié sur le ms. 85o4,
et que le copiste avait supprimé ces additions, soit pour abréger son
texte, soit parce qu'il les trouvait, non sans raison, superflues et
même fâcheuses. Hervieux a montré que Sacy était dans l'erreur,
et que le ms. 85o5 est copié sur un manuscrit autre que le ms.
85o4. D'une part, en effet, parmi les rubriques de miniatures con-
n'aurait été définitivement terminé qu'après (Not. et extr., t. X, 2* partie, p. 42) et par
le mois de mai i3i4. Hervieux (p. (ii).
'"' La note du copiste» Guillaume de Vassenex ''' Voir Hervieux, p. 42; Delisle, loc. cit.,
( aujourd'hui Vasseni , Aube ) » qui l'écrivit au pi 64.
collège d'Autun pour» monsieur maistre Aubert ''' Hervieux a imprimé ici memoriam, mais
• (et non Ymbert) Benot » et reçut deux francs correctement materiam à la p. 71.
pour sa peine, a été imprimée par S. de Sacy '*' Hervieux, p. 385.
196 RAIMOND DE BEZIERS.
servées dans le ms. 85o5, H en est dont les sujets ne se retrouvent
pas dans le ms. 85o/i; d'autre part la copie de 1^96 a très souvent
des leçons meilleures que celles du manuscrit de i3i4, et contient
notamment beaucoup de mois omis dans celui-ci et qui n'ont pu
être suppléés par le copiste; enfin les dédicaces et préfaces diffèrent
sensiblement dans les deux manuscrits*''. Cette démonstration est
probante, et il faut admettre, comme l'a fait aussi M. Delisle*^', que
la copie du ms, 85o5 a été prise sur un manuscrit autre que le 85o/l,
manuscrit de luxe également, achevé peu après la Pentecôte de
i3i3, et destiné à être ofîert, comme l'autre le fut effectivement, à
Philippe le Bel. Ce manuscrit contenait-il les additions de Raimond
conservées dans le ms. 85o/i? On ne peut le dire avec certitude,
mais cela ne paraît pas probable. Raimond avait sans doute fait co-
pier deux exemplaires de son œuvre, l'un ne contenant que la tra-
duction du livre de Calila et Dimna, l'autre renfermant les additions
de son cru. C'est sur le premier de ces exemplaires, aujourd'hui
perdu, qu'a été prise la copie de 1496. Le scribe, sans être à beau-
coup près irréprochable, était pourtant un peu plus instruit et soi-
gneux que celui de l'exemplaire amplifié, et c'est pour cela que le
manuscrit du xv" siècle permet souvent de corriger, dans les parties
qui leur sont communes, les leçons du manuscrit de i3i4.
Cette solution si simple n'est pas celle qu'a cru devoir adopter
Hervieux. Pour lui, le ms. 85o5 représente seul l'œuvre de Rai-
mond de Béziers; le ms. 85o4 est dû à «un religieux lettré», qui,
ayant connu la traduction du Calila et Dimna et « voulant la faire ser-
« vir à l'enseignement de la morale chrétienne, y a, dans ce but, iu-
« troduit à profusion, sous la forme de citations en prose et en vers,
«des additions qui en ont doublé le volume'^'». Les raisons que
donne Hervieux à l'appui de cette thèse sont peu solides**', et la
thèse elle-même a été complètement ruinée par M. Léopold Delisle,
qui a démontré que le ms. 85o4 est bien celui que Raimond a offert à
Philippe le Bel'*'. 11 fait remarquer en effet que les rubriques qui,
dans les deux pages précédant la préface, accompagnent les six mi-
niatures indiquées plus haut sont de la même écriture que les pre-
'"' Voir Hervieux , p. 66-70. *'' Voir aussi G. Paris , /oonia/ det Savants,
'*' Loc. cit.. p. i63. '899, p. 218.
(»' Hervieux, p. 58. ''' Loc. cit.. p. 160-168.
RAIMOND DE BEZIERS.
197
mières pages du manuscrit, en sorte qu'elles n'ont point été, comme
le dit Hervieux, écrites postérieurement; et elles l'ont été néces-
sairement en vue des miniatures, bien que celles-ci n'aient pas été
peintes directement sur le parchemin des deux pages où elles se
trouvent, mais aient été exécutées à part, sur un vélin plus mince, et
collées ensuite en face des rubriques. Hervieux remarque d'ailleurs
avec raison que ces miniatures sont d'un autre style que celles du reste
du volume. H est permis de supposer qu'elles appartenaient originai-
rement à l'exemplaire sur lequel a été copié le ms. 85o5 : Raimond,
ayant d'abord destiné au roi un exemplaire qui ne contenait que la
version non interpolée, se sera décidé ensuite à lui offrir la version
amplifiée, et il aura détaché, pour en orner l'exemplaire définitif,
les six miniatures qui se trouvaient en tête de l'autre ''\ Ce n'est pas
la seule trace d'hésitations et de retouches que nous trouvions dans la
façon dont il a présenté son œuvre au roi.
M. Delisle a en effet montré que le premier feuillet du ms. 85o4,
écrit sur le verso seulement, ne fait point corps avec ce manuscrit :
« Il y a été annexé par le relieur, pour servir de garde ; il contient
« le commencement d'un avant-propos qui devait être placé en tête
(1 d'un exemplaire du livre et qui fait double emploi avec les détails
«consignés dans la préface du ms. 85oil et dans l'épître dédicatoire
«du ms. 85o5. » Nous avons donc toute une série de préambules
mis par Raimond en tête de son œuvre et présentant l'aspect de
remaniements successifs : i° le fragment copié au verso du feuillet de
garde du ms. 85o4; 2° la dédicace-préface de ce même manuscrit;
3° la dédicace-préface (incomplète du début) du ms. 85o5'^'. Ces
trois morceaux, auxquels il faut joindre les souscriptions des deux
manuscrits et les rubriques des miniatures du ms. 85o4, contien-
nent, avec quelques variantes, les mêmes renseignements. Nous en
avons extrait ceux qui concernent la personne de Raimond.
'"' Certains indicés semblent confirmer
cette hypothèse. La rubrique citée plus haut,
qui montre le traducteur désolé par la mort
de la reine, et dont la miniature n'est pas
dans le ms. 85o/i, doit bien provenir d'un ma-
nuscrit destiné à être offert au roi. D'autre part ,
S. de Sacy et M. Delisle (p. i64) ont montré
que la souscription du ms. 85o5 est en partie
fabriquée avec les rubriques des miniatures du
ms. 85o4 , qui devaient donc se trouver dans
le modèle de Guillaume de Vasseni. Nous
avons indiqué plus haut (p. 194, n. 4) une
explication possible de la mise au rebut de
i'exempLiire primitif.
'*' Les trois préfaces , ainsi que les souscrip-
tions, ont été imprimées par M. Delisle (loc.
cit.), et figurent naturellement, dans le volvme
d'Hervieux.
198
RAIMOND DE BKZIERS.
Nous allons maintenant examiner l'œuvre de Raimond en elle-
même, et d'abord voir ce qu'il nous en dit.
S'il faut l'en croire, un clerc ou un noble (sans doute ces deux
mots désignent le même personnage, clerc de haute naissance) avait
apporté d'Espagne un exemplaire castillan du livre de Calila et
Dimna, qu'il avait offert à la reine Jeanne, et celle-ci avait chargé
Raimond de le mettre en latin. Ayant commencé son travail, il l'avait
interrompu en i3o5, à la mort de la reine, puis repris et terminé
en i3i3.
La traduction castillane du Kalîlah et Dimnah existe en eflet'*'.
Silvestre de Sacy ne la connaissait que par le fragment qu'en avait
imprimé Rodriguez de Gastro'^^ et ce fragment lui avait suffi pour
en apprécier toute l'importance. Elle a été imprimée, en 1860, par
Pascual de Gayangos, d'après deux manuscrits, dont le plus an-
cien est de la fin du xiv* siècle, l'autre de i566'^). Le premier se ter-
mine par la note suivante : Aqui se acaba el libro de Calira (lis. Calila)
e Dygna , et faé sacado de aràhyçjo en latyn e romançado por mandado del
infante don Alfonso, hijo del muy noble rey don Fernando, en la era de mill
e dozientos e noventa e nueve. L'autre manuscrit omet la date. Mais un
troisième, qu'a connu le P. Sarmiento et qui ne se retrouve plus,
portait : en la era de 1389. Comme l'a montré Gayangos, il faut cor-
riger l'une par l'autre ces deux dates également inadmissibles, et lire :
en la era de 1289 , c'est-à-dire en 1261 ''''. L'infant dont il s'agit ici est
en effet Alfonse, fils du roi saint Fernand, qui succéda à son père en
laSa, et qui, comme on sait, fut, directement ou indirectement, le
fondateur de la littérature espagnole en prose. Il n'y a pas de raison
d'aller plus loin que ne le fait cette souscription, et d'attribuer à l'in-
fant, comme Beniey est porté à le faire **^ la composition même de la
'■' Rappelons ici que Raimond LuUe avait
donné, vers la fin du xiii* siècle, dans le livre
septième de son Livre des merveilles, une imi-
tation des livres I-l bis ( voir pour ces désignations
ci-dessous , p. 2 1 7 ) du Kalîlah et de plusieurs
contes épars dans tout l'ouvrage. Ces imita-
tions , comme nous l'avons fait remarquer dans
un de nos précédents volumes (t. XXIX,
p. 354-36o), proviennent directement de l'arabe,
et sans doute de souvenirs de lecture. On ne
saurait les rattacher à la version espagnole :
LuUe fait un renard (qu'il appelle bizarrement
NaReiiart) du chacal que le traducteur espagnol
(voir ci-dessous, p. aai) change en loho cerval.
'*' Biblioteca espanola, t. 1, p. 636 el suiv. ;
S. de Sacy, Notices et extraits, 1. 1, i" partie,
p. 434.
''' Gayangos, avec sa légèreté ordinaire,
donne cette date à la page 4 , et à la page 5
il indique le commencement du xv* siècle.
'*' S. de Sacy avait déjà proposé de lire 1 289
pour 1389 dans le manuscrit de Sarmiento, le
seul dont on eût alors connaissance.
'*' Orient and Occident, t. I, p. 493.
RAIMOND DE BEZIERS.
199
traduction dont on nous dit seulement qu'il fut l'inspirateur. Ajoutons
que, d'après Raimond de Béziers, qui d'ailleurs ne mentionne pas
Alfonse, cette traduction fut faite à Tolède, ce qui n'a rien que de
vraisemblable, puisque Tolède était alors la capitale dès rois de Castille.
La souscription des trois manuscrits espagnols nous donne un
autre renseignement, plus contestable : le livre aurait été traduit
d'abord de l'arabe en latin, puis du latin en roman. Gayangos con-
teste absolument cette assertion. D'après lui, la comparaison du texte
arabe et de la version castillane montre entre eux une affinité si
étroite qu'on ne peut songer à admettre une version latine intermé-
diaire. Les deux preuves qu'il en apporte (le nom d'abniie donné à un
chacal d'après l'arabe âhn âwi, et celui de tittnya donné à un oiseau
de mer d'après l'arabe titdwa) n'ont pas grande force, non plus que le
fait que l'arabe nafs est rendu par aima : tout cela a pu aussi bien se
produire sous la plume d'un traducteur latin que sous celle d'un
traducteur castillan''*. Gayangos assure, à la vérité, qu'il y a dans
l'espagnol « des phrases entières et des tournures qui sont traduites
«littéralement de l'arabe, et qui, certainement, ne se seraient pas
«présentées à un traducteur qui aurait eu sous les yeux un texte
«latin». Nous ne sommes pas compétents pour décider ce point;
Benfey pense que Gayangos est dans le vrai'"^*, et l'opinion de celui-ci
était déjà celle de S. de Sacy. La question n'a d'ailleurs que peu
d'importance, puisque l'intermédiaire latin, s'il a existé, était une
traduction littérale de l'arabe et a été, à son tour, littéralement traduit
en espagnol.
'"' Gayangos confond perpétuellement la
auestion de savoir si le livre espagnol est tra-
uit du latin et celle de savoir s'il est traduit
du latin de Jean de Capoue, et il croit avoir
résolu la première question quand il a montré
que la seconde se résout certainement par la
négative, ce qui ne prouve absolument rien
pour la première.
''' Il montre cependant la faiblesse d'un des
arguments de Gayangos (à savoir que Raimond
de Béziers ne mentionne pas le latin), mais
celui qu'il ajoute pour son compte n'est pas
plus solide : « Nous n'avons aucune connais-
« sance qu'il ait existé, à l'époque de la version
«espagnole, une traduction latine autre que
« celle de Jean de Capoue , et cela serait très
'invraisemblable (Or. andOcc, loc. cit.).'
Mais cette traduction pourrait fort bien avoir
été faite sur l'arabe uniquement pour servir au
traducteur espagnol, et avoir ensuite disparu.
C'est ainsi que Laurent de Premierfait traduisit
le Décaméron en français sur une traduction
latine qu'il s'était fait faire et que nous n'a-
vons plus. — J. Derenbourg a donc été un
peu loin [Joh. de Capua Directorium, p. iv,
n. i) en disant que Benfey «prouve, d'accord
« avec l'éditeur, que . . . cette version n'est pas
« faite sur un texte latin ». Hervieux , qui
n'a pas recouru directement à Benfey, écrit
là-dessus (p. 5i) que "Benfey, en admettant
« cette opinion , a démontré qu'elle était par-
« faitement fondée ».
200 RAIMOND DE BEZIERS.
Ce qui est plus intéressant, c'est de constater, comme l'a fait Ben-
fey, et comme l'a confirmé, dans le détail, notre regretté confrère
J. Derenbourg, que la traduction espagnole repose sur un texte arabe
identique à celui dont s'est servi, de son côté, l'auteur de la traduc-
tion hébraïque mise en latin par Jean de Capoue. Mais ce point de-
mande quelque développement et nous amène nécessairement à es-
quisser ici une histoire du livre même connu depuis longtemps sous
le titre arabe de Kalîlah et Dimnah.
C'est Silvestre de Sacy qui , le premier, a essayé d'écrire cette his-
toire ; s'il en a parfaitement dessiné les grandes lignes pour la partie
qu'on peut appeler arabe (en y comprenant tous les dérivés de l'arabe),
il n'avait pas encore les moyens d'en connaître suffisamment les pre-
mières parties, indienne et pehlvie. Théodore Benfey a consacré à
ce sujet des recherches où on ne sait si l'on doit plus admirer l'éten-
due de l'érudition ou la finesse de la critique, et, après en avoir con-
signé les résultats dans le volume de 65o pages qui sert d'intro-
duction à sa traduction du Pantchatantra sanscrit, il les a continuées
dans de nombreux articles à propos de publications nouvelles, dont
les plus importantes furent celles de la version espagnole et de la
version syriaque. Il croyait avoir établi sur des bases assurées l'his-
toire de ce qu'il appelait «l'ouvrage fondamental [Grundwerk) » d'où
étaient issus à la fois le Pantchatantra indien et le livre pehlvi (source
du syriaque et de l'arabe) , plus étendu et plus voisin de l'original
que le Pantchatantra; mais, depuis lors, des découvertes successives
dans le domaine de la littérature sanscrite ont à peu près ruiné sa
principale hypothèse et obligent de se représenter les choses autre-
ment qu'il ne le faisait, tandis que d'importantes publications, comme
celles de M. I. Guidi, M. Noldeke, de Wright, de Keith-Falconer et
de J. Derenbourg, venaient aussi compléter et préciser notre con-
naissance de la partie relativement moderne du sujet. Il n'est donc
pas inutile de présenter aujourd'hui sommairement, d'après les tra-
vaux les plus récents, l'histoire d'un livre auquel le succès qu'il a
obtenu pendant des siècles chez les peuples les plus divers assure,
même indépendamment de sa valeur propre, une place dans l'his-
toire générale de la littérature.
Sous le règne de Cosroès le Grand ou Anoûchirwàn Khosrou, le
RAIMOND DE BEZIERS.
201
vingt-deuxième des rois sassanides de Perse (53 1-67 9), qui portait,
comme on sait, un vif intérêt à la littérature, fut composé dans la
langue officielle de l'empire, le pehlvi, qui était un dialecte iranien
apparenté de près à l'ancien perse des Achéménides, un livre qui
reçut sans doute déjà le titre peu exact de Kalilak et Damnak, d'après
les noms de deux chacals qui ne paraissent en réalité que dans
le premier des douze chapitres dont se composait l'ouvrage. Le livre
pehlvi est perdu, comme presque toute la littérature de la Perse sas-
sanide, à l'exception des livres sacrés du mazdéisme; mais nous en
avons une reproduction, qui, pour ce qu'elle contient, paraît très
fidèle, dans la traduction syriaque composée, presque aussitôt après
la publication du livre, par un personnage connu, Boud « le pério-
«deute», traduction dont on avait contesté l'existence, bien qu'elle
soit mentionnée dans un catalogue du xiii* siècle ''\ et qui, retrouvée
presque miraculeusement, en 1870, à Mardin, par M. Albert Socin,
a été imprimée et traduite, en 1876, par M. G. Bickell, avec une in-
troduction de Benfey '"^'.
Le manuscrit unique qui nous l'a conservée est incomplet du
début et de la fin; mais il est extrêmement probable que le traduc-
teur syrien avait omis l'introduction du livre pehlvi et n'avait com-
mencé son œuvre qu'avec le récit proprement dit ^^K Le contrôle
de la version syriaque nous fait donc défaut pour apprécier ce qui,
dans les préliminaires de la traduction arabe dont nous allons parler,
appartenait déjà au livre pehlvi. Ces préliminaires, sans tenir compte
de la préface personnelle du traducteur arabe, consistent en deux
morceaux distincts. La forme la plus authentique du premier nous est
conservée dans un manuscrit arabe signalé par S. de Saoy'*^', dans les
'"' La notice de ce catalogue était de nature
à inspirer des doutes : on y lit que Boud , vers
570, donc à peu près en même temps que le
traducteur pehlvi, avait traduit le livre en
question « de la langue des Indiens » ; aussi Sil-
vestre de Sacy avait-il ét<^ jusqu'à conjecturer
que dans le prétendu Boud il fallait tout sim-
plement reconnaître Barzoùyah, le traducteur
perse (voir plus loin), et que cette notice
était prise au livre arabe et n'avait aucune
valeur pour le syriaque. Mais, dès i856,E. Re-
nan avait montré (Journal Asiat,, 5' série,
t. VU, p. a56) que les formes données par le
HISr. LITT. — uxui.
catalogue syriaque, Kalihig et Damnag, ne
pouvaient provenir des formes arabes Kalîlah
et Damnah et renvoyaient , concurremment avec
elles, à un pehlvi Kalilak et Damnak, adapta-
tion du sanscrit Karalaka et Damanaka con-
forme à la phonétique pehlvie. L'erreur du
catalogue était de dire que Boud avait tra-
duit le livre «de la langue des Indiens», au
lieu de dire «de la langue des Perses».
''' Kalilaçj and Damnag, Leipzig, 1876.
''' Voir Benfey, Kal. und Damn. , p. xxxi-
XXXII.
'*' Notre confrère M. Hartwig Derenbourg,
26
202
RAIMOND DE BEZIERS.
versions hébraïque et espagnole, et nous est en outre attestée par
un passage du Chah Nameh de Firdoûçl*''. On y raconte que Bar-
zoûyah, médecin de Khosrou et savant philosophe, lui dit un jour avoir
lu quelque part que dans l'Inde il y avait de hautes montagnes sur
lesquelles croissaient des herbes dont on pouvait faire des breuvages
capables de ressusciter les morts. Il demanda au roi et obtint une
mission pour aller à la recherche de ces simples; mais vainement il
explora toutes les montagnes de l'Inde, en cueillit et en éprouva
toutes les herbes : aucune ne donna le résultat espéré. Enfin les
philosophes de l'Inde, qu'il consulta, lui apprirent que les montagnes
signifiaient les sages, et les herbes leurs bonnes paroles, qui ont la
vertu d'éclairer les ignorants, c'est-à-dire de ressusciter les morts. Ces
bonnes paroles, lui dirent-ils, ont été recueillies dans des livres; et ils
lui désignèrent particulièrement un livre qu'un des rois de l'Inde
gardait parmi ses plus précieux trésors. Barzoûyah en obtint com-
munication, le traduisit en pehlvi et rapporta sa traduction en Perse.
Il en donna lecture devant une nombreuse assemblée, qui fut remplie
d'admiration. Khosrou lui offrit toutes les récompenses qu'il souhai-
terait; mais Barzoûyah n'accepta qu'un riche vêtement; seulement il
demanda au roi d'ordonner que sa biographie, écrite en son nom
par le vizir Bouzourdjmihr, fût placée en tête du livre, ce qui lui fut
accordé '^'.
D'après Benfey '^\ ce récit appartient au livre pehlvi, et il pourrait
bien être de Bouzourdjmihr lui-même. Cela ne nous paraît guère
vraisemblable. Il a toutes les allures d'un conte, et il est introduit
par la formule : «Au temps du roi Anoûchirwàn Khosrou», qui ne
convient guère à un contemporain de ce roi. H y a beaucoup plus de
chances, à notre avis, pour qu'il soit l'œuvre d'Abdallah ibn-Almo-
qafla, qui amis le livre pehlvi en arabe. L'auteur de ce prologue
prétend que Barzoûyah a traduit de l'indien un livre appelé Kalîlah *'"'
auquel le présent article doit plus d'une in-
dication utile, nous en a signalé un second
exemplaire à Londres : voir Rieu, Sappl. lo
the Catal. of arable manuscripts , p. 783.
'"' Imprimé et traduit par S. de Sacy, Not.
et extr., t. X, 1" partie, p. i45-i53. On peut
maintenant le lire dans la traduction de J. Mohl,
Le Livre des Rois. t. VI, p. SS^.
. '*' La plupart des manuscrits arabes, ainsi
que la version grecque , ont de cette histoire
une autre forme, qui est très probablement
plus récente : voir Benfey, PantschaL, t. I,
p. 60-66, et cf. Journal des SavanU , 189g,
p. 3 11-3 13.
<'' Pantschatantra , 1. I, p. 64-
'*' Firdoùçi, seul, le ait expressément (il
faut noter que la forme qu'il emploie, Kalilu,
indique qu'il suivait un texte ai^be et non
RÀIMOND DE BÉZffiRS. 203
(ce serait en pehlvi Kalilak, en sanscrit Karataha); or il n'a jamais
existé de livre indien de ce nom : c'est le titre donné, à tort, au livre
pehlvi, qui est, comme nous le verrons, une compilation traduite
d'après divers livres sanscrits, et l'histoire des deux chacals Âam^a/ca
et Danianaka (devenus en pehlvi Kalilak et Damnak, en syriaque Kali-
lag et Damnag, puis en arabe Kalîlah et Dimnah, en hébreu Kelila et
Dimna, en espagnol Calila et Dimna, chez Raimond Ca/i7a et Dina),
ne forme que le premier chapitre de l'un de ces livres indiens, le
Pantcliatantra. La façon dont l'auteur explique la présence de la bio-
graphie de Barzoûyah en tête du livre est tout à fait invraisemblable,
ainsi que l'attribution de cette biographie, où Barzoûyah parle à la
première personne, au vizir Bouzourdjmihr. Il y a donc tout lieu de
croire que le livre pehlvi ne contenait pas ce prologue, ajouté au
viii" siècle par le traducteur arabe, et commençait par l'autobiogra-
phie du traducteur'". Barzoûyah y mentionne son voyage dans l'Inde,
et c'est de là que l'auteur du prologue a tiré toute sa petite histoire.
La biographie de Barzoûyah est à peu près identique dans tous les
njanuscrits arabes, ainsi que dans les versions grecque, hébraïque et
espagnole. Elle est fort intéressante. Ce n'est pas, à vrai dire, une
biographie : c'est un examen de conscience et une méditation sur la
meilleure façon d'employer la vie. Elle est empreinte de sentiments
très élevés, notamment dans le passage où Barzoûyah raconte com-
ment il a, au moins pendant un temps, calmé ses doutes sur le but
de la vie en pratiquant la médecine d'une façon désintéressée, étant
sûr ainsi d'être utile aux hommes. Mais ayant reconnu que les maux
du corps ne sont i-ien à côté de ceux de l'âme, et s'étant convaincu
du néant de la vie présente, il s'est tourné vers la vie future. Il a
examiné les diverses religions, et a constaté que chacune d'elles,
incapable de prouver la vérité de son enseignement, se borne à
l'affirmer et à condamner les autres (il est regrettable qu'il n'ait pas
spécifié les religions qu'il avait en vue); il s'est alors décidé à conserver
pehlvi); d'après les versions hébraïque etespa- '"' La traduction espagnole le dit expressé-
gnole, le Kalilak et Damnak aurait seulement ment : Et la una de aqaestas escriptnras fuc
été un des livres indiens qu'aurait rapportes de aqucste libro que dicen Calila e Dimna, et eru
son voyage et traduits Barzoûyah ; mais il faut el primera capitalo deste libro el capitula de Ber-
entendre qu'il en traduisit d'autres en dehors sehuey, et de la que dijo de si et de su linaje, et
de celui-là, qui est celui en tête duquel est la de coma era movibile en las casas, tante qae el
préface. hnho de meterse en religion.
56.
204 RAIMOND DE BB:ZIERS.
la religion de ses pères, mais a résolu, surtout depuis son retour de
l'Inde, de mener une vie ascétique. Ce passage a lait croire, déjà au
moyen âge, que Barzoûyah était chrétien; il faut bien plutôt y voir,
avec Benfey, l'influence du bouddhisme. L'auteur a intercalé dans
son discours un certain nombre de contes ou fables et la célèbre para-
bole de l'homme exposé aux plus affreux dangers et qui les oublie
un moment en savourant quelques gouttes de miel qu'il trouve à
portée de sa bouche; l'origine de cette belle allégorie est certainement
bouddhique, puisqu'elle se retrouve dans la Vie du Bouddha qui , à peu
près en même temps que notre livre , était aussi traduite du sanscrit en
pehlvi, et qui, christianisée, est devenue le roman grec de Barlaam et
Joasaph''^K
C'est après ce préambule que commence la traduction de Barzoûyah,
et nous avons à partir de là la version syriaque pour contrôler les re-
présentants multiples de la version arabe. L'ouvrage, nous l'avons
dit, comprend douze chapitres. Les cinq premiers correspondent, pour
le récit principal formant cadre, et pour les récits quiy sontencaarés,
aux cinq chapitres d'un ouvrage sanscrit intitulé précisément le Pant-
chatantra, «les cinq chapitres», qui existe en plusieurs versions assez
difiérentes, et qui a été l'objet, en notre temps, de diverses traduc-
tions en langues européennes. Viennent ensuite trois chapitres dont
le contenu se retrouve dans la grande compilation épique du Mahà-
bhârata (liv. XII). Le neuvième chapitre, perdu en sanscrit, est con-
servé dans un livre tibétain , Makdkdtyâyana et Tchanda-Pradyota.
Mais pour la suite une difficulté sérieuse se présente. La version sy-
riaque, nous l'avons dit, est incomplète de la fin comme du début;
mais, à la fin, il paraît ne manquer que très peu de chose, et il
semble bien qu'elle se terminait avec le dixième chapitre. Or ce cha-
pitre, — M. Noideke a rendu le fait extrêmement vraisemblable, con-
trairement à l'opinion de Benfey '^\ — ne provient pas de l'Inde et
n'est sans doute même pas de Barzoûyah : composé en pehlvi, il avait
été ajouté au manuscrit qu'a eu sous les yeux Boud,le traducteur
'"' Voir sur l'Iiistoire de celle parabole Chau- bourg, Director., p. 35o. Benfey avait d'abord
vin, Bibliogr. arabe, t. III, p. 99-100. lui-même regardé ce chapilre, qui se retrouve
*'' Voir Die Erzàhliing vom Mâaseknnig und dans quelques manuscrils arabes, comme inter-
seineii Minislern. . . von Th. Nôldeke, Gôllin- polé; mais le fait qu'il est dans la version sy-
gen, 1879, in-4° (tiré des Abhandlungen der risque lui avait paru en établir suffisamment
K. Ges. der Wiss. zu Gôtiingen), et cf. Deren- routhenticité (voir kalil. und Damn., p. ix).
RAIMOND DE BEZIERS.
205
syrien, et qui ne contenait que neuf chapitres avant celui-là; le
manuscrit qu'a suivi Abdallah ibn-Almoqafla , au contraire, com-
prenait trois chapitres après les neuf premiers et n'avait pas cette
intercalation. Faut-il en conclure, comme M. Nôldeke semble porté
à le faire'", que l'ouvrage de Barzoûyah ne comptait que les neuf
cliapitres du manuscrit traduit par Boud? Nous ne le pensons pas,
car les trois chapitres qui se trouvent après le neuvième dans la
traduction arabe ont un caractère indien très marqué : le premier
[la Lionne pénitente) est très probablement bouddhique '^', et les deux
autres se retrouvent en sanscrit '^^. 11 faut donc croire que Boud n'a eu à
sa disposition qu'un manuscrit qui, d'une part, était incomplet de trois
chapitres, et qui, d'autre part, avait ajouté à l'œuvre de Barzoûyah un
chapitre apocryphe. Cela ne laisse pas d'être surprenant, quand on
songe que Boud a écrit sa traduction une vingtaine d'années peut-être
après la composition du livre pehlvi'''*; mais cela n'a après tout rien
d'impossible. Le chapitre additionnel du syriaque est d'ailleurs mé-
diocre '^\ et comme il ne figurait pas dans la rédaction arabe qui
a servi de base aux rédactions qui nous intéressent'*^ et n'a conséquem-
ment point passé dans celles-ci, nous ne nous en occuperons plus par
la suite. Nous admettrons donc que l'œuvre de Barzoûyah se com-
posait de douze chapitres. Nous reviendrons plus tard sur chacun
d'eux; nous nous contentons ici d'en signaler le nombre et d'en indi-
quer en gros l'origine.
L'état de choses qui vient d'être exposé a amené Benfey à former
l'hypothèse qu'il a cherché à démontrer dans tous ses écrits relatifs à
notre sujet. D'après lui, la traduction pehlvie représente un ouvrage
sanscrit composé également de douze chapitres, et très antérieur au
Pantchatantra. Cet ouvrage s'est perdu dans l'Inde sous sa forme pre-
mière; mais on en a détaché à une certaine époque les cinq premiers
'"' Die Erzàhlang vom Màusekônig , p. 16.
'*' Voir Benfey, Pantschat., t. I, S aag.
(3) Voir Benfey, /. c, S aSi et aSa.
'*' Boud, d'après le catalogue du xiii" siècle
mentionné plus haut, florissait en 670; Bar-
zoûyah a dû écrire son livre vers 55o, avant
que Khosrou fit son expédition dans l'Inde.
''' 11 a toutefois l'intérêt de nous offrir la
plus ancienne forme connue de la fable des
souris qui décident d'attacher une sonnette au
cou du chat. Cette fable ne reparaît qu'au
XIII* siècle, en Angleterre , d'abord dans les Fa-
bles d'Eudes de Cherriton (éd. Hervieux,
n°nva), puis dans les Contes moralises de Ni-
cole Bozon (n° 121), qui suivait sans doute une
fable en langue anglaise (voir la note de
M. P. Meyer).
'"' Il a cependant été introduit dans quelques
manuscrits arabes, et le teste arabe en a été
publié par M. Nôldeke.
20C
RAIMOND DE BEZIERS.
chapitres pour en composer le Pantchatantra; trois antres chapitres ont
a trouvé asile» dans le Mahâbhdrata; un autre a été conservé dans
un livre tibétain, et deux ont été repris plus tard par des remanieurs
du Pantchatantra , ce qui prouve qu'à l'époque, certainement peu an-
cienne de ces remanieurs, l'ouvrage primitif existait encore.
Ce système a été ruiné par des découvertes récentes'''. On a con-
staté que le Pantchatantra, essentiellement identique à ce qu'il est
encore dans ses versions les plus authentiques, existait dès les pre-
miers siècles de notre ère, et, peut-être, bien plus anciennement. En
effet, à cette époque, un poète appelé Gounâdhhya l'insérait dans
une immense compilation de fables et de contes en pràcrit, et deux
abrég«''s sanscrits, indépendants, de sa rédaction , l'un par Kchemendra,
l'autre par Somadeva, nous ont été conservés'^'. Il faut donc ren-
verser la proposition de Benfey, et voir dans le livre de Barzoûyah
la traduction : i° des cinq chapitres du Pantchatantra; 2° de trois
morceaux qui se retrouvent dans le Mahâbhdrata *^'; 3° d'un cha-
pitre pris au Mahdkâtyâyana; 4° de trois morceaux pris ailleurs. La
question qui se pose désormais à la critique est de savoir si ce re-
cueil existait déjà en sanscrit ou si c'est Barzoûyah qui l'a compilé à
l'aide de sources sanscrites diverses. Nous n'avons pas, cela va sans
dire, la prétention de la résoudre : nous dirons seulement que c'est
la seconde alternative qui paraît aujourd'hui la plus vraisemblable'*'.
Un mot encore sur une particularité qui n'est pas sans intérêt pour
l'histoire littéraire. Chacun des douze chapitres, dans la version
arabe, débute par un court dialogue entre un roi et son philosophe,
le roi demandant à être éclairé sur un point de conduite morale ou
''' Il avait déjà été ébranlé par A. Weber,
le connaisseur par excellence des choses in-
diennes, cfui avait montré [Liter. Centrulbl.,
1876, col. 1031) que l'hypothèse de Benfey
était contredite par le caractère du cliap. ix,
lequel est visiblement détaché d'un ensemble
qu'a conservé la rédaction tibétaine , et par les
chap. vi-viii, qui gardent dans la version sy-
riaque une visible marque de leur existence
isolée : la présence en tête de chacun d'eux ,
comme interlocuteur, de 2^dachtar et Bi-
chnm (au lieu de Debacherim etBidwag). Un
peu plus tard, M. Prym (Jenaer Literatiirzei-
tiing . 1 878 , p. 98 et suiv. ) se ralliait à cette
idée et faisait trèsjustement remarquer que les
cinq chapitres empruntés au Pantchatantra
offrent un caractère et un système de rédac-
tion très différents des autres. Benfey n'a pas,
que nous sachions , répondu à ces objections.
'*' Ces constatations, dues d'abord à M. G.
Bûhler et à M. S. Lévi , ont été fort bien expo-
sées par M. de Mankowski dans son introduc-
tion à l'édition et à la traduction du Pant-
chatantra de Kchemendra (1893].
''' Naturellement cela ne veut pas dire qu'ils
fussent déjà incorporés au Mahûbhârata , et que
cette compilation eût déjà reçu la forme et les
divisions que nous lui connaissons.
''' C'est aussi la solution vers laquelle penche
M. de Mankowski, p. xxii.
RAIMOND DE BEZIERS.
207
politique, et le philosophe lui répondant par un récit dans lequel en
sont parfois intercalés plusieurs autres. Le roi est appelé en syriaque
Debacherim, en arabe Dabc/ielim, noms qui répondent, d'après Ben fey,
à un sanscrit Dcvararman;\e philosophe est appelé en syriaque Bidwaïf,
en arabe Bidbah (plus tard Bidbai, d'où on a fait Pilpai), ce qui ré-
pond peut-être à un sanscrit Vidyâpati, «maître de la science n ^''. Ce
nom, grâce à des traductions, faites au xvii* siècle en Occident, de
rédactions secondaires, a passé pour celui d'un grand fabuliste in-
dien , et c'est ainsi que le bon La Fontaine a cru à « Pilpay » non
moins qu'à Esope*^\ L'allocution du roi se compose, en général,
de deux parties (sauf naturellement dans le premier chapitre), l'une
rappelant le sujet du chapitre précédent, l'autre donnant le sujet
du chapitre qui va suivre. Ces débuts créent ainsi un lien entre
tous les chapitres et donnent au livre sa seule unité. Il faut donc se
demander s'ils remontent au sanscrit. On peut le croire pour les
cinq premiers chapitres, répondant aux cinq chapitres du Pantcha-
tantra, bien que ces préambules n'existent pas dans les formes
connues du livre indien, et que celui-ci présente une introduction
qui attribue le recueil en général, soit comme fond, soit même
comme forme, à un philosophe d'un autre nom et placé dans
d'autres conditions'^'. Mais pour les trois suivants, empruntés au
Mahdblidrata, nous voyons par la version syriaque que le dialogue
avait lieu, non plus entre Debacherim et Bidivag, mais entre Ze-
dachtar et Bicham, noms correspondant à ceux de Youdhichthira et de
Bhiclima, c'est-à-dire au roi et au philosophe qui figurent dans le
Mahâblidrala^'^K En tête des chapitres suivants reparaissent les inter-
locuteurs des cinq premiers chapitres, que la version arabe a d'ail-
leurs substitués aux deux autres même pour les trois chapitres en
'"> Benfey, Panlschat.. t. I, p. 34-35; Kal.
and Damii., p. xliu-xliv.
''^ 11 avait cependant quelques doutes : « J'en
«dois, dit-il en parlant des sujets traités dans
« les livres VU-XI , la plus grande partie à Pilpay,
« sage indien. Son livre a été traduit dans toutes
« les langues. Les gens du pays le croient fort
• ancien , et original à l'égard d'Esope , si ce
« n'est Esope lui-même sous le nom du sage
« Locman. » Il faut avouer que ce n'est pas fort
clair.
O' Voir Benfey, Panlschat.. t. I, S 6. Cette
introduction manque dans les résumés de
Kchemendra et de Somadeyaet manquait sans
doute déjà dans le poème de Gounàdhya. Il
faut remarquer que, si on la place en tête
du livre, les cinq chapitres du Pantchulantra
n'ont aucun lien commun et paraissent réunis
fortuitement.
'*' Nous renvoyons pour le détail à l'Intro
duction de Benfey (p. xxxiii et suiv.). Nous
ne lisons plus les deux noms qu'en tête du
premier de ces trois chapitres , mais ils ont dû
figurer aussi en tête des deux autres.
208
RAIMOND DE BEZIERS.
question'*'. Tout cela semble bien indiquer un arrangement posté-
rieur, et contribue à faire douter que le recueil de Barzoûyah ail
existé tel quel en sanscrit.
lienfey, croyant à l'existence de ce recueil dans l'Inde à une époque
fort ancienne, s'est préoccupé du titre qu'il pouvait avoir. Il a pensé
que c'était sans doute Nttiçdstra, « Règle de la conduite » , et il a même
supposé que ce titre avait pu se maintenir dans le livre pehlvi et nous
être encore représenté par le titre de la version latine de Jean de
Capoue, Directoriuni liumane vite. J. Derenbourg a montré que cette
ingénieuse hypothèse n'est pas soutenable ''^'. Dans la version syriaque
et dans la version .'.rabe le livre s'appelle Kalilacj et Damnag ou Kaltlali
et Dimnah : c'est en réalité, on l'a vu, le titre du premier chapitre,
donné, par une confusion fréquente, au livre tout entier ; cela montre,
comme Benfey lui-même l'avait d'abord remarqué, que le livre
n'avait pas de titre général, et cela nous engage encore à croire qu'il
n'existait pas avant que Barzoûyah le formât, en compilant les cinq
chapitres du Pantchatantra avec trois chapitres pris à un livre annexé
plus tard au Mahdbhârata et quatre chapitres de diverses provenances ^^K
Une autre suite du système de Benfey a été de hii faire considérer
le livre entier comme bouddhique ''*'. Il s'appuie d'une part sur la pré-
sence d'un chapitre (le neuvième) qui se retrouve dans un des livres
du bouddhisme tibétain et où respire d'ailleurs la haine des brah-
manes, et d'un autre (le dixième), dont l'inspiration semble boud-
dhiste; d'autre part sur la présence d'un certain nombre de contes
de notre livre dans des livres bouddhiques, d'origine indienne, con-
servés en pâli, en tibétain ou en chinois'*'.
La première observation est juste''''; mais maintenant que l'on sait
que le livre se compose de morceaux originairement étrangers l'un à
''' H faut noter que le traducteur arabe,
intercalant un chapitre de son invention ( voir
ci -dessous) , l'a muni du même début ; autant
en n fait l'auteur du manuscrit arabe suivi
par le traducteur hébreu et par le traducteur
espagnol pour les deux chapitres qu'il a en
plus (voir ci-dessous).
'*' Directoriitm , p. x.
''' D'ailleurs le titre de Directorium humant
vite ne remonte pas à Jean de Càpoue : il est
de l'invention de celui qui a imprimé l'ouvrage
nu XV* siècle (voir ci-dessous, p. aiQ).
'*' Pantschat.,t.\, p. xi-xii; /t«/. undDamn.,
p. VII-IX.
''' Notamment dans les djùlakas (voir Word ,
Catal. of romances , t. H, p. i55).
'•' "Toutefois Benfey semble aller trop loin
quand il dit que le cnapitre ix est tout rem-
pli, non seulement de la haine des brah-
manes , mais « et de la glorification du boud-
dhisme»; nous n'y trouvons pas celte glorifi-
cation : la morale que débite le sage I3Llnr
n'a pas de caractère confessionnel (cf. Weber,
Lit. Cenlr<flbl. , 1 876 , loc. cit.).
RAIMOND DE BEZIERS.
209
l'autre, elle ne saurait rien prouver que pour les deux chapitres sur
lesquels elle porte *'^. Quant à la seconde, elle se rattache à une
question plus générale. Il est certain que le houddhisme a fait, pour
la propagation de ses doctrines, un grand usage des fables et des
paraboles, et que plus d'une, notamment de ces dernières^^), est
née dans son sein; mais il paraît certain aussi que la prédication
bouddhique, tout comme la prédication chrétienne au moyen âge, a
pris de toutes mains les « exemples » dont elle illustrait son enseigne-
ment, en sorte que la présence d'un conte dans des recueils boud-
dhiques n'en prouve nullement l'origine bouddhique. En fait, le livre
ne contient rien qui caractérise une religion plutôt qu'une autre, et
les idées religieuses qui s'y manifestent sont, comme l'a fort bien
remarqué J. Derenbourg '^', d'une banalité si grande qu'elles ont pu
être transportées successivement dans les milieux mazdéen, chrétien,
musulman et juif, sans y subir aucune modification'*'. Si c'est dans
la morale du livre qu'on veut chercher un caractère bouddhique,
il ne sera pas moins impossible de l'y trouver. Benfey lui-môme
a reconnu'*' que cette morale, toute pratique, était empreinte de
l'égoïsme le plus terre à terre '^', et Derenbourg a même jugé que les
princes, pour qui semblent écrits la plupart des chapitres, n'y trou-
veraient que d'assez fâcheux enseignements'''. En somme, les diffé-
rentes parties dont se compose le livre, et dont l'une semble bien,
par son hostilité contre les brahmanes, trahir une origine boud-
dhique, ont toutes un caractère tout à fait profane et n'accusent
'"' C'est à tort que Benfey (Kal. and Damn.,
p. vu) généralise en disant que toute l'inspira-
tion du (prétendu) livre indien parait lître
celle « de la haine la plus bridante , vraiment
• fanatique , contre les brahmanes ».
''' Tel est le cas , très probablement , pour
la belle parabole citée plus haut (p. 2o4);niais
il faut remarquer qu'elle est dan sjr autobiogra-
phie de Barzoûyah et non dans le livre même.
<'' Directonum, p. xvi.
'*' Il faut cependant noter un trait curieux.
Le livre pehlvi avait conservé du Mahdbhdrata,
au chapitre viii, qui raconte l'histoire d'un
chacal pieux, l'introduction d'après laquelle ce
chacal était un roi dont l'âme avait été con-
damnée , pour ses péchés , à passer dans le corps
d'un chacal. Ce trait tout indien, conservé
dans le syriaque , a été supprimé par le tra-
ducteur arabe, en sorte que la vertu de ce
chacal exceptionnel reste sans explication (voir
Kal. and Damn. , p. xi.vii).
''* Pantschat., t. I,p. 397.
'*' On est même surpris de trouver en tête
d'un livre aussi étroitement utilitaire la préface
de Barzoùyah, où semblent bien se manifester
réellement des idées bouddhiques , et qui , en
tout cas, est d'une inspiration beaucoup plus
élevée.
<'' DtVec/on'um, p. xvii-xviii. Derenbourg va
cependant peut-être un peu trop loin : la con-
duite du lion n'est pas précisément proposée
en modèle aux rois.
niST. LITT. ■
»7
210 KAIMOND DE BEZIERS.
l'empreinte d'aucune religion particulière, sauf dans quelques
croyances qui appartiennent à l'Inde entière.
Le livre de Kalilah et Dimnah a été fort admiré. On a vanté surtout
l'excellence des conseils qu'il donne aux rois et aux ministres, et on a
prétendu y trouver tout un cours de politique. S'il fallait en croire
les auteurs des préfaces des diverses traductions, les plus grands
monarques de l'Orient auraient désiré passionnément le lire, et ceux
qui l'auraient lu y auraient trouvé des secrets dont ils auraient tiré
grand profit pour le bon gouvernement de leurs empires et l'ac-
croissement de leur puissance, comme déjà le prétendu roi indien
Dabchelim avait dû aux leçons de Bidbah de devenir plus puissant
que tous ses voisins. Le moyen âge occidental a cru à ces asser-
tions, et on a surtout justifié la traduction du livre en insistant
sur l'utilité dont il ne pouvait manquer d'être, soit dans le gouverne-
ment des peuples, soit dans la conduite générale de la vie. En réalité,
le véritable attrait du livre, la vraie cause du succès qu'il a eu et des
traductions qu'on en a données, ce sont les contes qui y sont insérés.
L'enseignement en lui-même, outre qu'il est, comme nous l'avons
dit, peu élevé, est fort banal : il se réduit presque tout entier à ces
préceptes, qui, d'ailleurs, sont aussi ceux des fabulistes antiques et
de La Fontaine : il faut être prudent, céder à la force, savoir profiter
des circonstances, être modéré dans ses désirs, et surtout, surtout,
se méfier de tout et de tous. Reconnaissons cependant que l'honnê-
teté est généralement recommandée, et signalons un trait sympa-
thique qui reparaît tout le long du recueil, et qui est bien dans l'es-
prit indien: c'est le prix extrême attaché à l'amitié. La Fontaine, qui
mieux que personne était fait pour comprendre un pareil trait, en
a été profondément touché , et c'est à « Pilpay » qu'il a pris les fables
délicieuses des Deux Pigeons et des Deux Amis, et le charmant récit
où le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat luttent de courage et d'in-
géniosité pour se sauver réciproquement.
Les contes et les fables qui remplissent le livre en ont fait, avons-
nous dit, le véritable attrait. Ils sont, à vrai dire, d'une valeur fort
inégale. Ceux que le Pantchatantra avait admis étaient certainement
antérieurs à ce recueil tout factice et remontent donc au moins à
deux mille ans, quelques-uns peut-être à une époque bien plus reculée,
ce qui n'empêche pas qu'il n'y ait parmi eux un ou deux apologues qui
RAIMOND DE BEZIERS. 211
semblent d'origine grecque; les autres paraissent en général moins
anciens et sont inférieurs. Nous allons indiquer très sommairement
le contenu des douze chapitres et les principaux récits intercalés dans
plusieurs d'entre eux.
Les chapitres i-v composent le Pantchatantra. Le premier seul est
consacré à l'histoire du chacal Dimnah, qui, malgré les conseils de son
ami Kalîlah*'', arrive à semer la zizanie entre le lion, roi des animaux,
et le taureau auquel le lion avait accordé sa laveur. — Le chapitre ii
nous montre le dévouement mutuel des quatre aniis dont nous parlions
tout à l'heure, le corbeau, la tortue, la gazelle et le rat. — Le troisième
raconte la guerre des hiboux et des corbeaux. — Le quatrième a pour
sujet la façon ingénieuse dont un singe sut échapper à la mort que
lui préparait un perfide alligator. — Le cinquième est l'histoire cé-
lèbre de l'animal fidèle qui défend contre un serpent l'enfant de son
maître, et que celui-ci tue, croyant, à lui voir la gueule sanglante,
qu'il a dévoré l'enfant. Dans tous ces chapitres il y a des fables ou des
contes intercalés en plus ou moins grand nombre. Parmi ces récits,
il n'en manque pas de plats, d'insignifiants et de bizarres; mais
beaucoup sont excellents, et quelques-uns sont de petits chefs-d'œuvre
d'invention et décomposition. Nous citerons, parmi les fables, le Lion,
ses ministres et le Chameau (origine des Animaux malades de la peste),
le Chat ju(fe entre la Gelinotte et le Lièvre {le Chat, la Belette et le Lapin) ^
la Souris métamorphosée enjille, l'Ane qui n'avait pas de cœur; parmi les
contes, la Femme au nez coupé, le Brahmane dupé, le Vase au (jruau [le
Pot au lait).
Les trois chapitres empruntés au Mahdhhdrata, qui viennent en-
suite (vi-viii), ont un caractère assez différent. Ils ne contiennent pas
de récits intercalaires. Ils racontent très longuement deux fables que
La Fontaine a brièvement imitées, le Chat et la Souris, et le Boi et
l'oiseau Pinzah [les Deux Perrocfuets , le Boi et son Fils), puis f histoire
d'un chacal vertueux calomnié par les courtisans du lion.
Le chapitre ix, où se trouvent intercalées deux fables insigni-
fiantes, est le roman bouddhique dont nous avons parlé tout à l'heure
et où les brahmanes sont présentés sous le jour le plus défavorable.
Le chapitre x est une fable bizarre, sans aucun récit intercalaire,
<"' Nous donnons aux noms propres les formes qu'ils ont dans l'arabe.
212
RAIMOND DE BEZIERS.
d'un caractère d'ailleurs tout indien, et dont La Fontaine, dans la
Lionne et l'Ourse, s'est sagement borné à imiter le commencement.
Le chapitre-xi, l'Homme ingrat et les Animaux reconnaissants , est un
très beau conte, qui a joui en Europe d'une grande popularité,
dès une époque antérieure aux plus anciennes versions occidentales
de notre livre'*'.
Enfin le chapitre xii est une nouvelle assez fantastique, destinée à
montrer la force inéluctable du destin, et dont La Fontaine a tout à
fait transformé l'esprit en l'imitant de fort loin dans le Marchand, le
Gentilhomme , le Pâtre et le Fils du roi.
On voit que les chapitres empruntés au Pantchatantra présentent
seuls, à part des exceptions négligeables, des récits secondaires in-
tercalés dans le récit principal; là aussi seulement se trouve cette
mode indienne, qui ne paraît pas d'ailleurs, elle-même, remonter
aux textes primitifs, d'intercaler d'autres récits dans ces récits secon-
daires, en faisant raconter les seconds par les personnages des pre-
miers. Cet artifice compliqué, qui plaisait aux compilateurs indiens,
mais qui n'a d'autre résultat que de fatiguer l'attention en la sus-
pendant sans cesse, s'est maintenu dans les traductions, mais n'est
jamais entré dans les habitudes littéraires de l'Occident (tandis qu'on
voit par les Mille et une Nuits que les Arabes se le sont approprié) :
il est absent des récits du Pantchatantra qui ont passé dans la littéra-
ture ou dans la tradition populaire de nos pays, et les contes s'y
présentent, naturellement, dans toute leur teneur, sans être inter-
rompus par des récits épisodiques. Il résulte d'ailleurs encore de cette
constatation que les cinq chapitres du Pantchatantra sanscrit n'ont
point été détachés d'un recueil plus long, pareil au livre pehlvi, mais
que le livre pehlvi présente bien une compilation du Pantchatantra
avec des morceaux d'origine étrangère'^'.
'*' Matthieu de Paris le fait raconter par Ri-
chard Cœur de lion en 1 1 96 , et , comme l'a re-
marqué Benfey, la forme qu'il donne au récit se
rapproche de celle des Gesta Romanortim , assez
éloignée de la forme primitive, et ne permet
pas de croire que Richard l'eût appris des
Arabes en Palestine. Voir sur ce conte, ses
diverses formes et sa popularité, le paragra-
phe 7 1 de l'Introduction au Pantchatantra , un
des plus riches en idées aussi bien qu'en faits.
'*' Benfey s'est bien rendu compte de cette
différence , mais il l'a expliquée ( Pantsch. . t. I ,
p. XV; Kal. and Damn., p. vu) en disant qu'ori-
ginairement tout le livre (1'» ouvrage fonda-
« mental » sanscrit) était composé comme les
chapitres vi-viii (qui se retrouvent dans le
Mandbhârata) et avait un caractère plu» stric-
tement didactique ; qu'ensuite , le livre étant
devenu une lecture d'amusement plus que
d'instruction, on développa le procédé qui
RAIMOND DE BÉZIERS. 213
Une dernière observation. Les contes et fables du Pantchatantra
et des sept autres chapitres ont encore des caractères qui les distin-
guent de ceux qu'on trouve dans d'autres pays. Ils sont précèdes,
suivis et très souvent interrompus par des sentences morales, ordi-
nairement en vers, que débitent les personnages du récit. En outre,
tous les personnages, même les animaux et parfois jusqu'aux arbres,
ont des noms propres et demeurent dans des localités également pour-
vues de noms. Enfin les animaux mis en scène sont souvent, sans que
cela serve à rien , qualifiés de « rois » de leur espèce. Toutes ces par-
ticularités, bien qu'essentiellement indiennes, étaient sans doute
étrangères à la forme originaire des récits et font partie d'une mode lit-
téraire plus ou moins ancienne dans l'Inde. Elles ont été conservées
dans la traduction de Barzoûyah, et aussi dans la version syriaque
et dans la version arabe; mais déjà quelques-unes, notamment en
ce qui concerne les noms propres, ont été omises dans cette der-
nière, et elles l'ont toutes été de plus en plus dans les transcriptions
et les traductions successives par où elle a passé '^'; toutefois il en
subsiste des traces nombreuses jusque dans les plus récentes de
celles-ci. Il va sans dire qu'elles ont complètement disparu des contes
provenant de notre livre qui se sont répandus à l'état isolé dans la
littérature ou la tradition orale de différents peuples.
Après cette digression, dont on voudra bien excuser la longueur,
nous arrivons à la traduction arabe du Kalilak et Damnak pehlvi, à
laquelle se rattachent toutes les versions postérieures, et entre autres
les deux dont Raimond de Béziers s'est servi pour composer son livre.
Soixante-treize ans seulement après la mort d'Anoûchirwàn Khos-
rou, en 662, la Perse fut conquise par les Arabes musulmans:
l'islamisme remplaça le mazdéisme; le persan moderne, dont la
base est un dialecte iranien différent du pehlvi, se forma, et le pehlvi
disparut peu à peu avec sa littérature presque entière, excepté ce
que les Pareis en sauvèrent. Toutefois cette littérature, si elle ne
existait déjà en germe dans les chapitres i et galaka (ch. i), qui se lit dans le Pantchatantra,
m. Mais la différence de structure générale est déjà absent du manuscrit syriaque et l'est
entre les chapitres l-v [Pantchatantra] et les de toutes les versions arabes ; mais il se retrouve
huit autres est frappante, du moment qu'on dans la deuxième version syriaque, faite sur
n'a plus la préoccupation de Benfey. l'arabe : il avait par conséquent subsisté dans
'"' Voici un exemple curieux de ce qu'il y a de un manuscrit arabe aujourd'hui perdu (voir
fortuit dans ces omissions. Le nom du lion Pin- Keith-FalconeretBenfey,Àa/.u«(/Damn.,p.43).
214 RAIMOND DE BEZIERS.
s'enrichit plus, fut encore connue pendant assez longtemps, de même
que la religion perse ne céda pas tout de suite au mahomélisme. Le
traducteur du livre de Barzoûyah appartient à cette époque de transi-
tion. C'était un Perse du nom de Roûzbah, qui, en se convertissant
à l'islamisme, prit le nom d'Abdallah ibn-Almoqaffa, par lequel il
est généralement désigné''^. Sous le règne et par l'ordre du calife
Al-Mansoûr (764-775), il traduisit en arabe le livre pehlvi, auquel il
conserva son titre, avec un changement normal des consonnes finales,
Kalîlah et Damnah, devenu plus tard KaWah et Dimnah, puis Calila
et Dimna^'^K II exécuta sa traduction avec une grande fidélité, comme
permet de l'établir la comparaison du syriaque, sauf qu'il se permit
de modifier ou de supprimer certains traits qui auraient choqué les
musulmans '^^; mais il fit au livre, sans parler de la relation de la
mission de Barzoûyah, que nous croyons pouvoir lui attribuer,
deux additions importantes, qui devaient en devenir inséparables.
D'abord en tête, après la relation de la mission de Barzoûyah, il
ajouta une préface personnelle. C'est un éloge du livre, dont, suivant
la convention plus ou moins hypocrite que nous avons déjà signalée, il
exalte surtout le mérite didactique. Pour illustrer son discours, il ra-
conte six anecdotes, qui ont toutes pour but de recommander la pru-
dence et de détourner de la précipitation. Aucune ne semble se re-
trouver dans la littérature indienne '*'*. Elles peuvent être de l'invention
d'Abdallah, ou, ce qui semble plus probable, être empruntées à la
tradition orale des Persans.
Beaucoup plus importante est l'interpolation d'un chapitre entier
qu'Abdallah s'est permise entre le premier et le second, c'est-à-dire
entre le premier chapitre et le second du Pantchatantra. Le premier
chapitre, auquel seul convient le titre de Kalîlah et Dimnah, raconte
comment le chacal Dimnah, jaloux de la faveur dont un taureau, nou-
veau venu à la cour, jouit auprès du lion, réussit à inspirer au roi et
à sou hôte des soupçons mutuels, et finalement à faire tuer le tau-
reau par le lion. L'histoire est terminée là et n'a pas besoin d'autre
''' On l'appelle même souvent simplement '*' Le rapprochement avec une légende
Almoqalla, mais à tort : c'est le nom de son bouddhique que Benfey (loc. cit., p. 69) a in-
père. diqué pour la deuxième des anecdotes insérées
'"' Voir Benfey, Kal. und Damn., p. 1 3. dans la préface d'Abdallah est vague et peu
'*) Cf. ci-dessus, p. 'J09, n. 4. convaincant.
RAIMOND DE BEZIERS.
215
suite : elle suffit pour donner aux rois un exemple des dangers qu'ils
courent en écoutant de perfides conseils; la méchanceté de Dimnah
est d'ailleurs stigmatisée dans les reproches que lui adresse Kalîlah.
Mais cette morale n'a pas paru suffisante à Abdallah : il a été choqué
de voir que Dimnah non seulement restait impuni, mais jouissait ap-
paremment du fruit de son crime, et il a composé le chapitre que
nous appellerons i bis, où le calomniateur subit un juste châtiment.
Déjà avant la découverte du texte syriaque Benfey avait reconnu que
ce chapitre était étranger à l'original sanscrit et même au livre pehlvi :
le fait qu'il manque dans la traduction de Boud est venu confirmer
d'une façon éclatante la démonstration du savant indianiste'''. Abdallah
ne s'est pas mis pour composer ce chapitre en grands frais d'imagina-
tion; comme ressort principal, il a employé deux fois le même moyen :
un entretien de Kalîlah avec Dimnah, duquel résulte la preuve de la
culpabilité de celui-ci, est surpris par un léopard, et Dimnah est mis
en prison; un second entretien est de même surpris par un loup, et
Dimnah est pendu; le rôle de la mère du lion et d'autres particu-
larités sont imités du chapitre viii de l'œuvre primitive'^l Abdallah
a d'ailleurs mêlé à son récit des traits qui semblent de provenance
biblique'''', et enfin, si nous ne nous trompons, il a signé lui-même
son œuvre en donnant au chacal sage et bien intentionné qui rem-
place Kalîlah, après la mort de celui-ci, auprès de Dimnah le nom
de Roûzbah, qui était, nous l'avons vu, le nom perse d'Abdallah
avant sa conversion à l'islamisme'*'. Il a intercalé dans son récit du
procès quatre anecdotes, dont les personnages sont humains comme
dans celles de la préface, et qui n'ont pas de source indienne'^' et
n'ont point passé dans les littératures européennes'^', ce qu'explique
d'ailleurs leur peu de valur.
'"' Voir Pantschat., 1. 1, S 109-1 1 1 ; Kal. and
Dainn., p. 35.
''' Voir Benfey, Pantschat., t. II, p. SSg;
Derenbourg, Director. , f. 17 (où il l'ant lire
i du pieux chacal » au lieu de « du pieux Scha-
f kan).
<'' Benfey dit (/oc. cit., p. 298) : «Le rôle
■ que joue le chef des cuisiniers n'est pas seu-
« lement tout à fait étranger aux moeurs in-
« diennes ; il m'a toujours rappelé celui du
« chef des panetiers dans l'histoire de Jo-
« seph. • Ajoutons que le titre même de « chef»
ou « prince des cuisiniers » est dans la Bible.
'*' Voir Directoriuni , p. 126, n. 1. Jean de
Capoue a Resba, l'espagnol (p. 89) Jaiizaha
(et Javzana) pour Rauzaha, forme de plu-
sieurs manuscrits arabes.
''' Celle des deux perroquets rappelle plu-
sieurs contes indiens, et notamment le cadre
du Çoukasaptati ; mais il faut remarquer que le
Çoukasaptati , comme le Pantchatantra , avait
été traduit en pehlvi et le fut , de très bonne
heure, du pehlvi en arabe.
'*' Benfey est porté à croire que le procès de
216
RAIMOND DE BEZIERS.
En dehors de ces deux additions assurées, faut-il mettre sur le
compte d'Abdallah un chapitre qui, dans la plupart des manuscrits
arabes, suit notre chapitre x''^ et qui n'a pas du tout le caractère in-
dien'^'? Il est d'ailleurs extrêmement court, et non seulement insigni-
fiant, mais assez absurde. H contient une fable animale, rentrant
dans le groupe des fables qu'on appelle « étiologiques»'^*, tandis
qu'Abdallah, dans les parties qui sont de lui, n'emploie que des
anecdotes à personnages humains. On est donc porté à attribuer cette
addition à un interpolateur subséquent, mais encore très ancien,
puisque le traducteur grec (xi' siècle) et le traducteur persan (com-
mencement du XII'') la connaissent déjà, ainsi que le traducteur hé-
breu et le traducteur castillan.
La recension arabe qui est la base des deux traductions hébraïque et
espagnole contenait, à la fin du livre, deux chapitres qui manquent
danspresque tous les manuscrits arabes qu'on a jusqu'à présentétudiés.
Il s'agit ici, plus probablement encore, d'additions étrangères non
seulement au sanscrit et au pehlvi, mais à Abdallah. Le premier de ces
chapitres est d'ailleurs expressément désigné, dans le seul manuscrit
arabe où on l'ait trouvé'*', comme n'appartenant pas au livre, mais lui
ayant été rattaché à cause de sa ressemblance'*'. Il raconte l'histoire,
peu claire et peu intéressante, des machinations d'un oiseau de mer
contre deux autres, machinations qui aboutissent à leur mort; trois
fables, également très médiocres, y sont intercalées. Le second de
ces chapitres additionnels n'a été retrouvé, en dehors de nos deux
traductions, que dans une rédaction arabe peu ancienne'®'. Malgré
sa brièveté, il ne manque pas de valeur; nous y reconnaissons deux
traits du Roman de Renard : l'oiseau qui jette du haut d'un arbre ses
petits à un renard qui les dévore ''', et la ruse du renard persuadant à
Dimnah n'a pas été sans inflaence sur la bran-
che du Roman de Renard qui raconte le juge-
ment de Renard ; mais il n'y a qu'un rapport
très éloigné entre les deux récits, et, sauf le fait
même d'un procès, toutes les circonstances sont
différentes.
'"' Dans la traduction grecque ce chapitre
est rejeté à la fin ; mais l'ordre indiqué ci-des-
sus est confirmé par la version persane de
Nasrallah.
'*' Benfey, Panlschat. . t. 1, S a 3o.
''' Il s'agit d'expliquer la démarche gauche
du corbeau : il a voulu imiter jadis celle de la
perdrix, et n'a réussi qu'à perdre la sienne,
qui était fort bonne.
'*' Il faut y joindre maintenant le manu-
scrit de Londres cité plus haut (p. 201, n. 4)-
''' Voir Dercnbourg, Directorinm , p. 3a 3.
'*' Derenbourg, Direcioriam, p. 346.
•') Il est vrai que les circonstances sont autres;
mais la situation est bien la même, et dans la
branche de Renard intervient aussi un tiers.
RAIMOND DE BEZIERS.
217
un oiseau, pour le saisir, de cacher sa tête sous son aile (ou de fer-
mer les veux)'''. Aucun de ces deux traits ne se retrouve d'ailleurs
dans l'Inde, et ce chapitre a été ajouté à l'ouvrage en pays musulman,
à une époque qu'on ne peut préciser, mais qui est ancienne, puisqu'il
figure déjà dans la traduction hébraïque de Joël (voir plus loin).
Nous demandons la permission de donner ici un tableau de la cor-
respondance, dans les recensions qui nous intéressent, des douze
chapitres du livre pehlvi et des quatre qui leur ont été ajoutés dans
certains manuscrits arabes.
SANSCRIT
PEHLVI
SYRIAQUE
AHABïC)
HEBREU
ESPAGNOL
sujets''"'
I
Pantckat. I
I
I
V
II
III
Les Deuï Chacals.
lbi.
—
VI
III
IV
Le procès de Dimnah.
II
Pantchat. II
II
n
vn
IV
V
Les Quatre Amis.
m
Pantchat. III
III
VI(')
vm
V
VI
Les Hiboux et les Cor-
beaux.
IV
Pantckat. IV
IV
III
IX
VI
VII
Le Singe et l'Alligator
(Tortue).
V
PontcAoJ. V
V
IV
X
VII
VIII
L'Animai fidèle tué par
son Maître.
VI
JtfoAdAA<lr. XII
VI
V
XI
VIII
IX
Le Chat et la Souris.
VII
Mahàbhâr. XII
VII
VII
XII
IX
X
Le Roi et l'Oiseau.
VIII
Mahàbhàr. XII
VIII
VIU
XIII
XUI C)
XIV C)
Le Chacal vertueux.
IX
Roman bouddli.
IX
KO
XIV
X
XI
Le Roi et les Brahmanes.
X
Conte bouddL. .
X
—
XV
XI
XII
La Lionne pénitente.
xbi.
—
—
—
XVI
XII
XIII
Le Religieux et l'Étran-
XI
Conte indien
XI
—
XVII
XIV
XV
L'Homme ingrat et les
Ànim. reconnaissants.
XII
Conte indien
XII
—
XVIII
XV
XVI
Les Quatre Voyageurs.
XII"'
—
—
—
—
XVI
XVII
Les Hérons elle Canard .
XII"'
—
—
'~~
XVII
XVIII
Le Renard et l'Oiseau.
!•) Pir
irahe nous désignons
a rédaction p
obllée par Si]
vestre de Sac)
l'i Nou
avons indiqaé par q
aelques mots
e sujet de chi
que chapitre
pour faciliter
les identificat
ons.
l'I L. I
nanascrit unique (le la
version syrîa
[uc a accident
eltement inler
verti l'ordre d
a livre en pla
çant le chapitre VI cotre les
cliapitres
I et III.
!•") Le
déplacement aceidente
du chapitre 1
III , transport
i entre l'" et
Xi , se Ironva
t dans la rcce
nsion nrabe qui est la source
cominuna
de l'hébreu et de l'esp
agooj.
!•) Le
manuscrit d« la verai
on syriaque c
omprend enco
re le conte d
DDt nous avon
s parlé ci-des
sus , Lei Sourie et ht Chati ,
qu'oQ pot
rrait appeler il'"*, et
se termine u
D pea avant 1
a fin de ce co
ute.
Dans nos citations subséquentes nous renverrons toujours aux cha-
pitres par les chifFres placés en tête de chaque ligne de ce tableau
'■' Ce thème, qu'on trouve en Europe dès le
IX' siècle, et qui, comme nous l'avons dit, a
passé dans ie Roman de Renard, a été récem-
HIST. LUT. — xxxui.
ment étudié avec beaucoup de soin par miss
Kate Oelzner Petersen et par M. L. Foulet (voir
Romania, t. XXVill,p. 2g6-3o3).
218
RAIMOND DE BKZIERS.
( pour les contes et fables nous emploierons les numéros de l'excellent
sommaire de J. Derenbourg dans son édition de Jean de Capoue). Si
ia rédaction hébraïque commence au chapitre ii, la traduction espa-
gnole au chapitre m et la rédaction arabe publiée par S. de Sacy au
chapitre v, c'est que la première compte comme chapitre i la biogra-
phie de Barzoûyah, la seconde comme chapitre i l'histoire de la mis-
sion de Barzoûyah et comme chapitre ii sa biographie, la troisième
comme chapitre i une préface d'un écrivain arabe postérieur, comme
chapitre ii la mission de Barzoûyah, comme chapitre m la préface
d'Abdallah, et comme chapitre iv la biographie de Barzoûyah, tous
morceaux ajoutés à la compilation primitive.
Nous ne nous occuperons pas ici du sort ultérieur de la version
d'Abdallah ibn-Almoqaffa, sauf en ce qui concerne directement la
source des deux traductions qui nous intéressent ''\ D'une part, elle a été
l'objet, dans les très nombreux manuscrits où elle a été copiée, de cor-
ruptions qui en rendent une édition critique à la fois très désirable et
très difficile '^'; d'autre part, elle a été traduite en une foule de langues
orientales, ainsi qu'en grec, et ces traductions ont aussi leur impor-
tance pour la reconstitution du texte. Nous ne nous attachons qu'à la
recension qui a été traduite en hébreu et en espagnol. Nous disons :
la recension, car les deux manuscrits sur lesquels ces traductions ont
été faites étaient très étroitement apparentés. C'est ce qu'a montré
J. Derenbourg, qui, pour son édition de Jean de Capoue, a minutieu-
sement collationné la version espagnole : « Je me suis convaincu, dit-
« il, que le texte arabe traduit pour Alphonse le Savant était le même
« que celui que possédait le traducteur hébreu. Cette identité est d'au-
« tant plus remarquable que, malgré le grand nombre de manuscrits
''' Rappelons seulement qu'on possède , d'un
versificateur italien nommé Baldo, qui vivait
sans doute au xii* siècle, vingt fables latines
tirées du Kalllak et Dimnah , qui paraissent avoir-
pour source directe une version latine en prose ,
non du livre entier, nxais de contes ou fables
choisis. Ce spicilège avait été fait, bien proba-
blement , dans l'Italie du Sud , comme le furent
plus tard la version de Joël et celle de Jean de
Capoue, et d'après une bonne recension arabe,
nous ne savons ce que valait le travail du pro-
sateur latin, mais l'arrangement de Baldo est
déplorable. Voir sur ^slAo Journal des Savants,
1899, p. a 12-317.
'*' Le texte imprimé par S. de Sacy se trouve
par maliieur être un des plus éloignés de l'ori-
ginal. On doit souliaiter que M. I. Guidi donne
l'édition qu'il avait fait espérer dans ses excel-
lents Stadi sul testa arabo del libro di Calila e
Dimna. Les versions syriaque , hébraïque et es-
pagnole apporteront à une telle édition un pré-
cieux secours.
RAIMOND DE BÉZIERS.
!Î19
«de l'original arabe, dispersés dans les dififérentes bibliothèques, on
« n'en a pas encore rencontré un seul dont le texte ne diffère sensible-
« ment, pour certaines parties, du texte que l'hébreu et l'espagnol
« avaient sous les yeux; en outre, pas un seul manuscrit ne renferme
« autant de chapitres'''. »
Cette recension ,nous l'avons vu , contenait, — outre l'autobiographie
de Barzoûyah, la relation de son voyage et la préface d'Abdallah, —
seize chapitres, à savoir : les douze de l'ouvrage pehlvi et les quatre que
nous venons de mentionner et que nous avons appelés 1*"% x*"", xii""'
etxii'". Elle fut traduite en hébreu, sans doute au commencement
du XII* siècle'^', par un juif italien qui paraît s'être appelé Rabbi Joël '^'.
Sa traduction ne nous est arrivée directement que dans un seul manu-
scrit, et encore fort incomplète : elle ne commence que vers la fin
du chapitre i^". Elle a été publiée, avec une traduction française, en
1881, par J. Derenbourg''''. Mais un juif de Capoue, qui, s'étant con-
verti au christianisme , avait pris le nom de Jean et s'était établi comme
médecin à la cour de Rome, en fit vers 1 276'** une traduction latine,
qui nous est arrivée complète dans plusieurs manuscrits du xv* siècle'*'',
a été imprimée quatre fois à la fin de ce même siècle et réimprimée
de nos jours par V. Puntoni, J. Derenbourg et A. Hervieux'^'. On ap-
pelle communément l'œuvre de Jean Directorium vitae humanae; mais
ce titre n'est pas dans les manuscrits : ceux-ci n'ont pas d'autres titres
que ces premiers mots du prologue : Hic est liber parabolariim anticjuo-
rnm sapientum nacionum mundi, et vocatur « liber Kelile et Dimne »; c'est
l'éditeur du xv* siècle qui a fabriqué le titre Directorium vite hamane,
alias Parabole anticjuorum sapientum, en gardant du reste le début au-
'"' Directorium, p. 3-4.
'*' Cf. Journal des Savants, 1899, P' ^^^ ^*
n. à.
''' \oiT Derenbourg, Directorium, p. ii-i4.
'*' Deux versions hébraïques du livre de Kalî-
lah et Dimnah. De la seconde version , faite au
xiii' siècle par Jacob ben Eleazar, on n'a que le
commencement, dans un manuscrit unique,
et elle n'a pas d'importance pour nous. Deren-
bourg n'en a donné que le texte , avec des re-
marques, tandis qu'il a joint une traduction
française à son édition de Joël.
'** 11 dédie son œuvre à Matteo de Rossi,
cardinal-diacre de Santa- Maria in Porticu ; Jean
ne donnant pas au cardinal certains titres im-
portants qu'il obtint en 1378," il est à croire,
ainsi que l'a remarqué S. de Sacy, qu'il com-
posa son livre avant 1278, mettons en 1276
(on a d'autres traductions de lui, dont l'une
est datée de i3oo : voir Ward, Cat. of rom. ,
t. II, p. i53; c'est la préface de celle-ci qui
nous apprend que Jean exerçait sa profession
de médecin in caria romana).
'*' Voir sur les manuscrits Journal des Sa-
vants, 1899, p. 58i-,595.
''' L'édition de J. Derenbourg , accompagnée
de remarques comparatives d'un grand prix,
est celle qu'il faut consulter jusqu'à nouvel or-
dre. Voir Journal des Savants, 1899, p. 210-
211.
a8.
220 RAIMOND DE BÉZIERS.
thentique '" : il vaut donc mieux renoncer à ce titre inexact de Direc-
torium et appeler simplement le livre de Jean de Gapoue Kelila et
Dimna : la substitution, propre à l'hébreu, de le à l'a dans le nom
de Kelila le distinguera suffisamment des autres versions. Jean était
« un médiocre hébraïsant et un détestable latiniste » ; il a parfois mal
compris son original, qui était d'ailleurs lui-même tbien médiocre
M et bien lourd '^' », et surtout il l'a d'ordinaire gauchement et obscuré-
ment rendu. Toutefois sa version est, au moins intentionnellement,
fidèle el même littérale, en sorte qu'elle peut, corrigée çà et là, nous
tenir lieu de l'hébreu pour la partie où elle esl seule à nous le re-
présenter. Derenbourg a pu l'éclaircir et la rectifier en beaucoup de
points à l'aide de l'ancienne traduction allemande, qui a été faite non
sur l'imprimé, mais sur un manuscrit meilleur que celui qui a servi
de base aux anciennes éditions. Malheureusement il n'a pas connu les
manuscrits récemment signalés, qui lui auraient permis d'améliorer
notablement le texte, el qui permettront quelque jour de donner une
édition plus conforme à l'original (édition pour laquelle, comme on
le verra plus loin, les manuscrits de Raimond de Béziers apporteront
aussi une utile contribution). Derenbourg a pu d'ailleurs corriger la
version de Jean de Gapoue et l'hébreu lui-même en s'aidant de la version
espagnole, qui, comme il l'a constaté, suit un manuscrit arabe iden-
tique à celui qu'à traduit Joël. On a souvent attribué à la version hé-
braïque, qui n'était connue que par la traduction de Jean de Gapoue,
une importance qu'elle n'a pas en réalité. Il est vrai que la version de
Jean de Gapoue, qui en dérive, a été traduite anciennement en français
(voir ci-dessous, p. 253), en allemand (delà eu danois, islandais et
judéo-allemand), en espagnol (de là en italien et de l'italien en fran-
çais), en italien (de là en anglais et en français) et en tchèque'^' ; mais
elle n'a pas influencé notablement la littérature narrative occidentale,
et les contes ou fables qui, aux xvii' et xviii* siècles, ont été imités
du Kalilak et Dimnah l'ont été par l'intermédiaire de versions per-
sanes ou turques provenant directement de l'arabe**'.
''' Voir Journal des Savants. 1899, p. 584- dierait •l'influence que la version hébraïque a
C Derenbourg, Directorium , p. j. «exercée sur la rédaction des fables dans les
'*' Nous renvoyons pour les détails à l'excel- « idiomes européens ». Il a renoncé à ce projet,
lente bibliographie de M. Chauvin. et nous pensons qu'il aurait été fort embar-
<•' Derenbourg avait annoncé ( Deux ver- rassé de le réaliser. Il faut noter que Jean de
sioiis , p. 10; cf. Directorium, p. i) qu'il étu- Capoue intercale dans le chapitre 11 (=iv) deux
RAIMOND DE BÉZEERS.
221
La version hébraïque, nous l'avons dit, est généralement très
fidèle. Joël paraît seulement avoir çà et là quelque peu abrégé, et il
a été fort souvent incapable de traduire les noms des animaux mis en
scène. Déjà ces noms , cela se comprend, avaient embarrassé Barzoûyah,
soit qu'il n'en sût pas le sens exact, soit qu'ils désignassent des ani-
maux propres à l'Inde : tantôt il leur a cherché des équivalents, tantôt
il les a laissés dans le vague, tantôt il les a gardés sous leur forme
sanscrite. Boud et Ibn-Almoqaffa ont éprouvé le même embarras et
ont eu recours aux mêmes procédés'*'. Joël à son tour, quoiqu'il con-
nût bien l'arabe, n'a pas toujours réussi à trouver le sens des noms
qu'il avait sous les yeux. Il est utile, pour juger le travail de Raimond
de Béziers, de réunir ici la plupart de ces cas. Vu la fidélité servilede
la traduction de Jean de Capoue, nous pouvons nous en servir pour
apprécier le travail de Joël dans la partie qui nous manque en hébreu.
Nous rapporterons en même temps les traductions que présente des
mêmes mots la version castillane.
Le nom même des deux animaux qui ont donné au livre son titre
reçu a été pour le traducteur hébreu, qui ne connaissait pas le chacal,
une énigme insoluble'^'. Kélila et Dimna sont pour lui simplement
deux « animaux »*''; au chapitre x (=xi), le chacal qui admoneste la
lionne est aussi un «animal». Mais au chapitre viii (=xiii) cette tra-
duction vague était difficile, le chacal vertueux et calomnié étant le
héros même du conte : Joël a bien commencé par l'appeler aussi « un
« animal », puis il s'est décidé à en faire un renard (Jean de Capoue
l'a suivi mécaniquement). L'espagnol fait de Calila et Dimna deux
« loups-cerviers » ; il appelle de même lobo cerval, au conte 8 du
fables [f Homme et le Serpent et le Renard et le
Coq) qui ne sont pas dans Joël et qn'il a bien
probablement ajoutées de son cru. Il est donc
permis de croire que les deux contes qui lui
sont propres dans la partie où nous ne possé-^
dons pas son original hébreu ( le Mari, la Femme
et la Pie, p. 89 ; la Femme et l'Apothicaire,
p. 96) ont également été ajoutés par lui à sa
traduction de Joël (il est même possible que le
second ait été ajouté par un interpolateur du
livre de Jean de Capoue, voir ci-dessous,
p. aAî). Benfey était porté à les attribuer déjà
au manuscrit arabe, et Derenbourg tout au
moins au copiste du manuscrit hébreu suivi
par Jean. Ces deux fables et ces deux contes
sont d'ailleurs également de provenance orien-
tale.
'"' Voir dans Benfey, Kal. and Damn,, p. 42,
la curieuse histoire du mot sanscrit titawa,
t goéland [Strftndlâafer) », qui a été conservé
tel quel par Barzoûyah , par Boud , par le tra-
ducteur arabe, et se retrouve encore (tittuj)
dans la version espagnole.
<*' Au conte 1 i du chapitre i , il rend ce-
pendant le mot qui veut dire « chacal • par
« renard >.
'^' Rouzbah , au chapitre i"' (= m) ,|est égale-
mentdésigné comme « un animal > ; mais il n'est
pas sûr que l'original le désignât comme un cha-
cal, et 1 espagnol aussi a simplement una beslia.
i
222 RAIMOND DE BÉZIERS.
chapitre i (=in) , un animal que l'hébreu ne désigne pas, et au conte 1 1
le chacal que celui-ci change en renard; mais aux chapitres ix (=xi)
et x*"" (=xiii) il donne le mot anxahar, que nous trouvons à peu
près tel quel dans le texte arabe. — Le conte suivant présente un
nom qui a plus d'une fois embarrassé notre auteur, celui du héron :
il se contente de dire « un oiseau », tandis que l'espagnol traduit
exactement par garça. — Dans le conte 1 2 il s'agit de truites dans
l'arabe et dans l'espagnol ; l'hébreu parle simplement de « poissons ».
— Le conte i3 parle d'un canard (esp, anacle), qui est pour Joël
« un oiseau aquatique » ; de même pour les deux canards du conte 1 6.
— Le tittâwa du conte i5 (esp, tiltiiy) devient « un oiseau ». — Dans
la fable 20 figurent en sanscrit, — avec une écrevisse, — un hé-
ron, un serpent et une mangouste; le traducteur hébreu n'a pas
compris le dernier mot, et a mis avec embarras : « une bête qui res-
(I semble à un chien»; pour le héron il a, suivant sa coutume, «un
«oiseau»; l'espagnol a garza, et pour la mangouste, assez absurde-
ment, un loir [liron). — Au chapitre 11 (=iv)''' la gazelle de l'arabe
est remplacée par un cerf; l'espagnol en fait un daim. — Les acteurs
de la fable 2 du chapitre m (= v) sont un lièvre et un oiseau difficile
à déterminer (probablement une gelinotte) '^^ : l'hébreu ne le désigne
que comme «un oiseau», l'espagnol le change en une genette, ce
qui rappelle l'écureuil de la version grecque et la belette de la fable
correspondante de La Fontaine*^'. — Dans le conte 5 du même
chapitre il est singulier de voir le chevreau de l'arabe (et du sans-
crit) remplacé par un cerf, que le religieux n'en porte pas moins
sur son épaule ; l'espagnol a encore ici un daim , qui ne vaut guère
mieux. — Le chapitre iv (=vi) nous offre un curieux exemple des
vicissitudes de ces noms. Le sanscrit mettait en scène un alligator'''^
et c'est bien l'animal qui convient le mieux; Barzoùyah en avait sans
doute déjà fait une tortue, car c'est ce que s'accordent à donner
Boud et Abdallah. Celui-ci se servait d'un mot, gailam, qui n'est
pas le même que celui par lequel il avait désigné une tortue au cha-
'"' Nous avons à partir d'ici l'original hébreu d'une fois, non du Livre des Lumières . traduc-
avec lequel Jean de Capoue , sauf une excep- tion de ÏAnioar i Soiihaili persan, mais de ia
tion indiquée plus loin, est constamment d'ac- traduction latine, par le P. Poussines, delà
cord. version grecque.
'*' Voir Benfey, Kal. and Damn., p. ài-ii. '*' Voir Benfey, Pantsch., p. 4ao; von Man-
''' La Fontaine s'est ici servi, comme |>lus kowski,p. 67.
RAIMOND DE BEZIERS. 223
pitre II (= vu); Joël ne l'a pas compris et s'est trouvé fort empêché :
il parle d'abord d'un « animal marin, un reptile qui, d'après ce qu'on
«dit, s'appelait. . . » et il donne le nom, de sens obscur, d'un des
animaux impurs du LeriVi^ue'''; plus tard il l'appelle simplement « le
«reptile». Ce qui est curieux, c'est que Jean de Capoue, cette fois,
s'écarte de son modèle et met exactement testiido : il est probable que
dans son manuscrit hébreu la correction avait été faite en marge '^'.L'es-
pagnol a correctement (jaîapago. — La question est plus compliquée
pour le chapitre V (=vii). C'est la célèbre histoire de l'animal fidèle
qui, couvert du sang du serpent qu'il vient de combattre pour dé-
fendre l'enfant confié à sa garde, est pris par son maître pour le
meurtrier de l'enfant et mis à mort. Cet animal est dans le .sanscrit
une mangouste, dans différents dérivés une belette ou un putois; Joël
en fait un chien et le traducteur espagnol de même, et comme, dans
la version de ce conte qui a passé dans les rédactions hébraïque et
occidentales du livre de Siddhapati ou Sindibad [Sept Sages), c'est aussi
un chien, on a pensé que l'auteur de la recension arabe qui est la
source de Joël et de l'espagnol avait été influencé par cette version'^'.
Rappelons toutefois que dans la fable 20 du chapitre i (=11) et an
chapitre xii*"' (= xvi) Joël rend de même un mot arabe signifiant
«belette» (au lieu de la mangouste de l'original) par «une bête
«qui ressemble à un chien*'')». Il e.st donc probable qu'il s'est décidé
spontanément ici à faire un vrai chien de cette bête semblable à un
chien, et que le traducteur espagnol, d'autre part, comprenant que
le «loir» qu'il avait mis à deux autres endroits était absurde, y a
substitué le chien, si naturellement indiqué comme gardien fidèle,
de même qu'au chapitre xii*"' (= xvii) il y a, très naturellement aussi,
substitué un chat. — Au chapitre viii (= xiii) il est curieux que Jean
de Capoue (p. 291) appelle seul musfe/a l'animal que toutes les autres
'"' Voir Derenbourg, Direct., p. 2o3. qu'il s'est faite de l'animai inconnu. De même
'*' Ou peut-être Jean de Capoue avait-ii sous il a pris la gazelle du chapitre ii et , ce qui est
les yeux une image où , plus perspicace que plus étonnant , le chevreau du conte 5 du cha-
Joël, il avait reconnu une tortue (cf. la note pitre m pour un cerf. On comprend qu'il n'ait
suivante). pu distinguer sur les images , quand il ignorait
''' Cette désignation est intéressante. File le sens précis des noms arabes , quels étaient
prouve très probablement que Joël avait sous les oiseaux , les reptiles et à plus forte raison
les yeux un manuscrit arabe orné d'images , et les poissons représentés.
que c'est dans la représentation , imparfaite '*' Voir Benfey, Pantschat., t. I, p. 48a ; De-
d'ailleurs, de la mangouste qu'il a pris l'idée renbourg, Director., p. îiô.
224 RAIMOND DE BEZIERS.
versions laissent anonyme. — Au chapitre xn^" (= xvii) il s'agissait en
arabe d'un alcyon et de canards sauvages'''. Joël écrit : « Il y avait un
<( oiseau appelé en arabe aldjom, pour lequel je n'ai pas trouvé de nom
« dans la langue sacrée », et « un oiseau appelé en arabe mourzoïim^^^ » ;
Jean de Capoue, toujours servile, a : avis (jue hebraice (lis. arabice^ dici-
tnrholgos, etavemciuedicebaturmaizam (impr. mosam). L'espagnol a (/arja
et zarapico^^K — Enfin au chapitre xii'" (=- xvii) l'oiseau qui, dans le
seul texte arabe connu, est appelé du nom obscur de malik el-hazin^'^^
est dans l'hébreu un moineau, dans l'espagnol un butor [alcaravan).
Les qualifications données aux personnages humains dans les contes
indiens ont aussi plus d'une fois embarrassé les traducteurs. Les brah-
manes qui y figurent souvent étaient devenus chez Barzoûyah, à en
juger parla traduction syriaque, des mages(chap.i, conte 4;chap. m,
chap. v), sauf dans le chapitre ix, où, vu le rôle odieux que jouent les
brahmanes, il leur avait laissé leur nom indien. Quelquefois cepen-
dant il avait employé le mot pehlvi dinik, « dévot », qui a été conservé
dans le syriaque*^'. Abdallah a généralement rendu les deux mots par
un mot arabe signifiant «religieux». Au chapitre ix, il a, comme
Barzoûyah et Boud , conservé les brahmanes. Joël emploie également
des mots signifiant « religieux, dévot » ; au conte 4 du chapitre i (=ii),
Jean de Capoue donne eremita, dont on ne voit pas bien le corres-
pondant hébreu; au chapitre ix(=x) les brahmanes sont des « hommes
«savants dans l'interprétation des songes» [viri docti chez Jean de
Capoue). L'espagnol a partout religioso, sauf au chapitre ix (=xi),
où il a conservé le mot arabe albarhamin.
Il faut encore noter les difficultés qu'opposaient aux traducteurs
successifs certaines données mythologiques de l'original sanscrit. Le
conte 1 5 du chapitre i, pour n'en citer qu'un exemple, nous présente
un goéland qui, le génie de la mer'^' lui ayant enlevé ses œufs, va se
'■' Le manuscrit arabe publié par Deren- '*' L'espagnol moderne dit zarrt/>i7o, «oiseau
bourg [Direct., p. 3a5, Say) intervertit le» « marécageux qui ne se nourrit que d'insectes ».
noms et donne deux hérons et un canard sau- <'' Derenbourg , Director. , p. ^^6 ( d'après
vage. Derenbourg ce serait un nom propre ).
'*' Cest à M. Rieu {Supplément to the Catal. ''' Voir Benfey, Kal. und Damii., p. 73.
ofthe arab. manuscripts in the Brit. Mas. , p. 733 ) '*' Dans la forme sanscrite ( Pantschat., l , 1 a ;
que nous empruntons le rapprochement de l'ar. cf. von Mankowski , p. io-i i ) ce génie n existe
'adjoum avec alcyon; le même savant fait des pas: c'est l'Océan lui-même qui agit, enlève les
remarques conjecturales sur le sens précis de œufs , puis les rend. Cette idée d'un « génie de
moarzoum (il vocalisa marzim ou mirzem). « la mer • est sans doute de provenance persane.
RAIMOND DE BEZIERS. 225
plaindre à Garouda, le roi des oiseaux; Garouda à son tour se plaint
à Vichnou, et Viclinou oblige le génie de la mer à rendre ses œufs au
goéland. Barzoûyah avait remplacé Garouda par le Simour ou Si-
nioiirg, le roi des oiseaux dans la mythologie zoroastrienne, et Boud a
conservé ce nom; mais pour Vichnou Barzoûyah avait mis vaguement
«l'esprit auquel le Simour sert de véhicule »''l Abdallah a misa la place
du mol perse un mot arabe, anka, qui désigne un oiseau fantastique^""^';
quant au représentant de Vichnou, il en fait vaguement, comme Bar-
zoûyah, «le maître de lanka», auquel s'est plaint l'oiseau lésé'^'. Joël
(représenté par Jean de Capoue) est fort singulier : chez lui la reine
des oiseaux, qui est la cigogne, adresse le plaignant à son mari, qui,
plus puissant que le chef de la mer, contraint celui-ci à rendre les
œufs. Dans l'espagnol (p. 3o-3i) le roi des oiseaux est \efalcon oriol;
le chef de la mer est bizarrement appelé el mayordomo del mar, et toute
trace de Vichnou a disparu : le faucon s'adresse directement au « major-
«dome de la mer», sans qu'on voie par quel moyen il le fait céder.
Nous avons dit que les originaux sanscrits étaientïrempHs de noms
propres de lieux, d'hommes et d'animaux. Le traducteur perse et le
traducteur arabe les ont généralement conservés, bien que souvent
ces noms soient plus qu'inutiles. On comprend que des noms sanscrits,
en passant par l'intermédiaire du ])ehlvi, de l'arabe, puis de fhébreu
ou de l'espagnol, ont subi les altérations les plu s extraordinaires. Nous
en citerons quelques exemples. Nous avons déjà mentionné lo roi De-
viçarman et son philosophe Vidyapati, devenus en arabe Dabchelim et
Bidbah. Du premier nom Joël a ïnil Disles, du second Sanclebad , ayant
lu S pour B à l'initiale, comme il arrive facilement dans l'écriture
arabe'''*; les copistes deson œuvre etde la traduction de Jean de Capoue
ont souvent écrit Sendehai'^\ sans doute sous l'influence du Livre de
Sendahar [où ce nom était d'ailleurs une faute pour Sendahad- Sin-
dibad). L'espagnol appelle le roi Dicelem^^^ et le philosophe Beiida-
''' kalilug iind Diimnaij , trad. Bickeil, p. a5. dans Jean de Capoue (mss. de Paris el de Loii-
'*' Voir sur tous ces points Bcnfe\ , K(il. and dres, Raimond de Bé/.iers).
Damn., p. 72-73. '*' Sandebar dans les anciennes éditions de
''' Voir la traduction de Keilh-Falconer; Jean de Capoue.
KnatchbuU, p. 1^7, donne tout ce passage '"1 Le manuscrit vu par Castro portail cette
d'une façon altérée. forme. Gayangos''( p. lia) donne Dicelen (Rai-
''' La forme Sandebad parait être celle du mond de ïîéziers afOizalem (c'est la leçon du
manuscrit hébreu, bien que Derenbourg la nis. 85o5, fol. 35 v°) ; le 85o4 (Hervieux,
rende par Sandebar; elle est devenue Sandcbat p. 445) a Dizalen, 'et ailleurs, les deux mss.
HIST. UTT. — XXXIII.
'9
22C
RAIMOND DE BRIZIERS.
ie/j'"'. Le roi du chapitre vu, laissé anonyme par Joël, est appelé dans
l'espagnol Berarnant (arabe Barliainunt, sanscrit Braltmadattiy Les
personnages du chapitre x sont en arabe (nous n'essayons pas de re-
monter aux noms sanscrits) le roi Sadaram, sa femme Irad, sa concu-
bine GuUiana, le ministre Bilar, le tachygraphe Kali et le sage Kinta-
roun; ils sont dans Joël Sederam^'^\ Hallabat^^\ Belad^''^ et Kimirôn; le
tachygraphe est omis et la concubine n'est pas nommée. L'espagnol
les nomme Cederam, Helhed, Beled et Kayem; le scribe s'appelle Cali,
la concubine J()rfate^^\
La partie préliminaire du livre, qui ne vient pas du sanscrit, pré-
sentait aussi lin certain nombre de noms propres, qui ont été fort al-
térés. Le nom du roi Anoùchirwdn Khosroii est devenu dans certaines
versions arabes Nichouriven Cosre, dans l'hébreu Anastar Casri, dans
l'espagnol Niujeren fils de Cas^^K Le médecin Barzoûyah s'appelle
Berozia dans l'hébreu, Berzehuey dans l'espagnol. Le nom du vizir
Bouzourdjmihr avait été omis dans la recension arabe d'où pro-
viennent nos deux traductions.
Nous ne parlerons pas des noms géographiques, qui nous présen-
teraient naturellement les mêmes phénomènes; mais nous devons dire
un mot des noms propres donnés aux animaux qui paraissent dans
les fables. La recension à laquelle remontent nos deux versions paraît
en avoir conservé un très petit nombre, et Joël en a encore supprimé
plusieurs. Les noms des deux chacals, naturellement, se sont main-
tenus : Kalîlah a été changé en Kelila (forme qu'a conservée Jean de
;85o5, fol. 69 v"; Hervieux, p. 5o4), donnent
Dixlex. En tète du chapitre viii (= xiv) l'édition
de Gaynngos porte Dabxclim , mais on peut se
demander avec Benfey [Or. iind Occ. ,1, 5oo)
si cette forme n'est pas due à l'éditeur.
''' En lête du chapitre i (= m), au lieu de :
Dljo el rey Abendabec a su Jîlosnfo, il faut évi-
demment lire, comme l'a proposé Benfey (Or.
uiid Occ. , 1 , 5oo) : Dijo el rey de India [Dixalem]
a Bendabec suJUosofo (p. i/i Bnndabel B, Btir-
diiben A est le même nom , et non celui de Bou-
zourdjmihr, comme le dit Gayangos). Haimond
de Bé/.iers donne d'après son manuscrit : Dixil
Dizalen rex Indoriim sno philosopha Bendabeh
(Hervieux, p. 445; ms. 85o5, fol. 4i v°). Cette
forme parait préférable à Bendabec.
'*' Attesté par le Sederas de Jean de Capouc ;
Ardoiim du manuscrit hébreu (pour Sardoum)
est fautif : voir Benley, Kal. iind Damn.,
p. 5o.
<^' Dans .lean de (Papoue Helebat : il y a évi-
demment- plusieurs fautes de lecture ou de
copie.
<'' BiMrdans le manuscrit hébreu; mais la
confusion du d et de l'r est fréquente dans
l'écriture hébraïque , et la forme Beled, attestée
par Jean de (Japoue et Haimond de Béziers
[Bilai), est confirmée par l'espagnol.
<'' Nous restituons ces noms à l'aide des va-
riantes très confuses des manuscrits do Gayan-
gos.
'*' Encore ici , à l'aide des deux manuscrits el
de Raimond , nous rétablissons la forme qui a dû
être celle du traducteur.
RAIMOND DE BÉZIERS. 227
Capoue). En dehors de ces deux noms, il n'y en a pas beaucoup qui
aient persisté : dans le chapitre ii, le corbeau, qui n'a pas de nom
dans l'hébreu, est appelé Geba dans l'espagnol'*', tandis que la souris,
nommée Sirac dans l'espagnol, est dans l'hébreu appelée Sembar^^K
— Au chapitre vi le chat et la souris s'appellent dans l'hébreu Pen-
dem eiRoumi, dans l'espagnol Peridon (plus rapproché de l'original)
et Raner^^l — L'oiseau qui est le principal personnage du chapitre vu
n'était pas, en sanscrit, déterminé dans son espèce, mais il avait \\n
nom propre, Poudjdni; ce nom est devenu en arabe Finzah, d'où l'hé-
breu Pinza; l'espagnol en a fait Catra, « par un déplacement des points
«diacritiques''''» qui montre bien à quelles déformations ces noms
étrangers étaient exposés de la part des copistes. — Il faut mettre à
part les noms des trois poissons dans la fable 2 du chapitre i : ces
noms marquent en sanscrit le caractère de chacun d'eux, et Bar-
zoûyah, au lieu de les transcrire, les a traduits; de traduction en
traduction, ils sont arrivés, à peu près intacts comme sens, à l'espa-
gnol, qui appelle les trois truites Envisa, Delibre et Perezosa; Joël
(ou du moins Jean de Capoue) a fait de ces noms de simples adjec-
tifs, qu'il a appliqués à chacun des poissons [sollicitas, intelU(/ens ,
piger).
Maintenant que nous avons amené du fond de l'Inde, à travers
l'Asie et l'Europe, le livre du médecin perse , dans sa forme espagnole,
jusque sur le pupitre du médecin biterrois, voyons comment celui-ci
s'est acquitté de la tâche pour laquelle il s'était sans doute spontané-
ment ollert.
Il est clair qu'au moment où il l'entreprenait il ne connaissait pas,
et on ne connaissait pas autour de lui, l'œuvre de Jean de Capoue,
composée à Rome une trentaine d'années auparavant. Si elle avait été
connue, on n'aurait pas songé à traduire en latin le Calila et Dimna
espagnol; tout au plus aurait-on pu avoir l'idée de revoir et d'amé-
liorer à l'aide de celui-ci la traduction latine existante. Mais Raimond
''' P. 4i h; Gebaî dans Raitnond. Cela ne <'' Ces noms, très altérés dans les manu-
ressemble guère au Jjaghupatanaka du sanscrit scrits espagnols, sont rétablis ici à l'aide de
(Pantsck., t. II, p. i56). Le syriaque ne lui Raimond de Béziers ; l'arabe a Peridoun et
donne pas de nom. Boami ( en sanscrit Palita et Lomaça : voir
'*' Sanscrit Hiranyaka, arabe Zirak. On ne Benfey, Pantschat., t. I, p. 546).
devine pas la cause de l'altération de l'hébreu. '*' Derenbourg, Direct., p. 236.
39.
228 RAIMOND DE BEZIERS.
a certainement commencé son travail sans autre ressource que le
manuscrit rapporté d'Espagne et sa connaissance du castillan. *•
Cette connaissance, d'après Hervieux''^ était nulle : il avait accepté
une tâche qu'il était absolument incapable de remplir. Nous croyons
que cette appréciation est quelque peu excessive, et que Raimond
était en état, grâce à son parler languedocien natal et au latin, de
comprendre en gros le livre qu'il avait sous les yeux : c'est ce qui
ressortira de l'examen que nous allons faire de la partie de son œuvre
qu'il a réellement tirée du livre espagnol qu'il avait sous les yeux.
Il faut en effet distinguer dans cette œuvre trois éléments, que
nous examinerons successivement: i" la partie empruntée à l'espa-
gnol avant la connaissance de la version latine de Jean de Gapoue,
mais qui a été, plus tard, çà et là retouchée à l'aide de celle-ci; 2° la
partie copiée purement et simplement de Jean de Capoue; 3" les addi-
tions propres à Raimond. Nous ne nous occuperons pour le moment
que des deux premières parties; nous reviendrons ensuite sur la troi-
sième. Nous laisserons aussi de côté, provisoirement, le prologue, la
table des chapitres '^\ et la table des notahilia, qui demandent à être
examinés à part.
Le chapitre i de Raimond correspond au «prologue» du livre es-
pagnol et du Kélila et à la préface d'Abdallah ibn-Almoqaffa^^l 11 suffit
de les comparer dans le texte latin et dans Raimond pour voir que
celui-ci ne s'est pas servi de Jean de Capoue, qui diffère ici assez sen-
siblement du texte espagnol. Pour les considérations morales et didac-
tiques, Raimond imite, et d'assez loin, l'espagnol plutôt qu'il ne le tra-
duit; il en a cependant conservé des expressions caractéristiques, comme
juglaria, rendu par verhajoculatoria; mais en général il a procédé fort
librement, beaucoup abrégé et aussi quelque peu ajouté (par exemple
la réflexion sur les honneurs dont jouissaient autrefois les philosophes,
la comparaison tirée de la noix qu'un enfant voudrait manger sans
l'avoir ouverte). — Le conte 1 nous montre le procédé que Raimond a
constamment employé tant qu'il n'a pas connu Jean de Capoue : ce conte
a dans l'arabe une vingtaine de lignes : Joël (Jean) et l'espagnol l'ont
traduit fidèlement ; Raimond l'a resserré en trois lignes, qui n'en don-
'"' Loc. cit., p. 57. précédé de quelques lignes concernant l'his-
'*' Not. et extr., t. X, 2' partie, j). 4o. toire antérieure du livre, sur lesquelles nous
''' Dans .lean de (lapoue ce prologue est reviendrons.
RAIMOND DE BEZIERS.
229
nent que le squelette. Cela semble bien indiquer qu'il saisissait en gros
le sens de son modèle, mais qu'il était incapable d'en reproduire les
détails, caries contes ainsi abrégés perdent souvent presque tout leur
intérêt. — Le conte 2 , particulièrement difficile à comprendre, est sim-
plement omis. — Le conte 3 n'est pas abrégé comme le conte 1 '*', et
il est certainement fait sur l'espagnol , qui est d'ailleurs assez librement
traité; nous donnons ici, comme spécimen, les trois versions corres-
pondantes, pour qu'on voie bien que Raimond n'a pas utilisé Jean de
Capoue; nous pourrions en faire autant pour tous les contes que
nous apprécions de même.
ESPAGNOL.
. . . E^ atal como el home
que dicen que entré el ladron
en su casa de noche , é sopo el
logar donde estaba el ladron ,
e dijo : « Quiero callar fasta
• ver lo que fard , e de que hu-
■ biese acabado de tomarlo que
• quisiere , levantarme hc para
" gelo quitar. • Et el ladron an-
duvo por casa , et tomô lo que
fallo, et entre tanto il duefio
dormiose ; ë el ladrou fuése con
todo cuanto fallo en su casa ; et
despues desperto é fallo que
habia el ladron ievado cuanto
ténia, et entonce comenzo el
home bueno ci culparse é mal-
traerse, é entendio que el su
saber non le ténia pro, pues
que non usara dél.
RAIMOND.
. . . Est similis cuidam ho-
mini qui, cum vidisset latro-
nem qucnidam de nocte in-
trantem casam suam , ut ipsum
in culpa comprehenderet , cau-
telam subtilissimam cogita-
vit, scilicet ut fingeret se
dormire '*', ad videndum quid
latro perageret, ut ipsum la-
tronem comprehensum condi-
gne severe legum subjiceret
ultioni '''. Et tune ipse , in hac
sagacitate pertractans, latrone
discurrente per domum, rea-
liter obdormivit. Et tune latro
exspoliavit domum ejus sine
aliquo nocumento '*'. Et sic illi
homini non profuit '''' sua sa-
gacitas , quia ipsam ad operam
non reduxit.
JEAN DE CAPOUE.
Cum quidam jaceret nocte
in sua domo, percepit quod
fur intendebat intrare do-
mum. Et scienspaterfamiliasea
que fur intendebat, dixit intra
se : « Silebo huic furi donec
« videbo quid agat ; et dimittam
« ipsum donec congregetomnia
« que voluerit ; postmodum vero
« exurgam adversus eum , et ,
« ablatis omnibus de manu sua ,
« percutiam eum fortiter. » Fecit
ita (que) paterfamilias , et si-
luit furi, donec congregavit
omnia que voluit. Ultimo vero
rapuit sopor patremfamilias,
et fuit hoc in bonum furis , et
abiit fur viam suam illesus.
Posthec vero excitatus pater-
familias, et videns cuncta que
acta fuerant a fure, et quia re-
cesserat, cepit conqueri ad-
versus seipsum, et sibi tribuit
culpam, sciens sibi non va-
luisse scientiam , postquam non
• exercuit illam.
A partir d'ici le prologue de Raimond n'a presque plus aucun rapport
avec son original : Raimond moralise à sa façon, et nous parlerons
'"' Quoi qu'en dise Hervieux, p. 407.
'*' Cela n'est pas dans l'espagnol; peut-être
Raimond ne comprenait-il pas le mot callar.
''* Addition de Raimond.
'*' Tout ce qui est entre despiies et elsu saber
est omis.
'*' Leçon des deux manuscrits ; Hervieux
imprime proficit.
230
RAIMOND DE BEZIERS.
plus tard de ce morceau. Il a cependant conservé les deux derniers
contes d'Abdallah '^\ Dans le conte des deux associés dont l'un veut
voler l'autre et est dupe de sa propre ruse, il s'agissait dans l'espa-
gnol (et dans l'arabe) de sésame (que Jean de Capoue a rendu bizarre-
ment par zizania) : Raimond n'a pas compris le mot et a mis brave-
ment bladum. Il n'y a dans ce prologue, on le voit, aucune trace de la
connaissance de Jean de Capoue.
Il en est de même pour les chapitres consacrés à la mission et à la
vie de Barzoûyah, et il serait fastidieux d'en donner les preuves; re-
marquons seulement que, le manuscrit qu'avait Raimond étant fort
bon, sa traduction peut quelquefois servir à corriger le texte espa-
gnol'^^. Mais il faut noter une particularité que S. de Sacy a déjà re-
levée et fort bien expliquée. Tandis que le médecin de Khosrou est
dans le texte de Raimond appelé Berzebny (faute de lecture pour le
Berzehay que portait le manuscrit espagnol), les litres des chapitres
et les légendes des figures écrites en rouge le nomment Berosias; la
première de ces légendes est même : Figura régis locjuentis cuin Berosia
vel Berzebny. Ces rubriques sont postérieures à l'achèvement du livre;
les légendes des figures ont même été exécutées, suivant toute appa-
rence, comme nous le verrons, ainsi que les figures elles-mêmes,
d'après un manuscrit de Jean de Capoue. La traduction, dans les
considérations morales qui remplissent la plus grande partie de ce
morceau, est abrégée et lointaine. — H y a plus de précision dans la
traduction des cinq contes insérés par Barzoûyah, mais elle est tou-
jours très abrégée. Pour aucun de ces contes on ne peut constater
d'influence exercée par Jean de Capoue. Le conte 2 est assez obscur
dans toutes les rédactions, mais l'est surtout dans celle de Raimond,
''' D'après M. Hervieux, de la fable de L'A-
veugle et le Clairvoyant , « qui devait figurer ici » ,
le sujet est seulement indiqué. Mais il en est de
même, à quelques mots près, dans l'original.
''' Le ms. espagnol de Raimond, pour Ahou-
chirvan, devait avoir Nageren, que naimond a
conservé (voir Not. et exlr., t. X, 2* partie,
p. i4, n. 4), au lieu du Nixhnen ou Sirechuel
des manuscrits espagnols qui nous sont par-
venus. — La biographie de Barzoûyah com-
mence ainsi dans ces manuscrits : Mi padre
fuéde Mercecilia (A; de Mortadilla B ) ; Gayangos
remarque que l'arabe porte : « Mon père hit
• des motacilat ( guerriers j » ; Raimond nous
donne : Pater meus fuit Jiliiis Mocatalis (cf.
Not. et exlr., t. X, 1" partie, p. a5). Joël (re-
présenté par Jean de Capovie) n'a pas essayé
de comprendre ce passage, non plus que le
suivant: « et ma mère hit d'une des principales
maisons des Acemacima ou mages » , que l'es
pagnol a rendu par : et mi madré fué de los del
Algahe, et de los legislas; Jean a naïvement :
Fuit pater meus de tali progenie et mater mea
de nobilibus talium. Raimond a pour le second
membre de phrase : et generosa mater mea fuit
in scienciis nataralibas atque legalibas informata.
RAIMOND DE BEZIERS.
231
qui n'y a rien compris. Il s'agit d'un amant auquel la femme, le mari
survenant à l'improviste, dit de s'enfuir par le souterrain qu'elle a
fait pratiquer auprès du puits : il revient en disant qu'il n'a pas trouvé
le puits, et il est pris par le mari. Le mot pozo paraît n'avoir pas été
compris par Raimond^'^ qui a ainsi travesti ce conte, d'ailleurs peu
intéressant : Fecit [muUer]Jierl in domo (juamdam fenestram. et posiiit^^^ in
ea (juemdam alveiim phunheum, ut, inarito casiiahler occurrente, posset per
alveumjugere J'ornicator. Ambobus vero consislentibus , mantus casaaliter
supenenit, et, fornicario volente fmjere , alveas cecidit^^\ et J'ornicator fait
ab hospite comprehensns. — Dans le conte 3 , il s'agit de pierres pré-
cieuses, comme dans l'espagnol, et non de perles, comme dans Jean
de Capoue et certainement dans l'original. — La fable qui suit [Le
Chien (jui lâche la proie pour l'ombre) est extrêmement abrégée.
Dans le chapitre ii (=iv), le plus long et le plus important du livre,
le vrai Calila et Dimna, la traduction de Raimond n'est pas moins
complètement indépendante de celle de Jean de Capoue. Les rai-
sonnements et les discussions y sont, comme précédemment, plutôt
imités de loin que traduits; les contes et les fables y sont d'ordinaire
mal traduits, abrégés et souvent défigurés; mais on ne rencontre (sauf
dans des intercalations postérieures sur lesquelles nous revien-
drons) aucune trace d'influence de la version de Jean. Nous nous
bornerons à énumérer rapidement ces contes et fables, en notant,
quand il y aura lieu, quelques particularités, i . L'Homme prédestiné à
la mort^'^K — 2. Le Singe pris dans la poutre. Raimond supprime la
fin. — 3. Le Renard et le tambourin. — 4- Le Religieux et le Voleur. —
5. Le Renard et les deux Boucs. — 6. L' Empoisonneuse empoisonnée, Rai-
mond a compris tout de travers ce conte singulier, dont le traducteur
espagnol avait d'ailleurs atténué l'indécence'*'; pour lui la maîtresse
de la maison veut tuer sa servante, parce que la mauvaise conduite de
'"' Cependant il a bien traduit pozo un peu
plus loin.
''' 11 semble que ce posait vienne de pozo :
cerea del pozo do tienen a(jua.
''' Celte chute absurde du canal en plomb
pratiqué dans la fenêtre ( ! ) doit provenir du
mot caido, qui dans l'espagnol s'applique au
puits.
''' Un bœuf ne remplace ici l'homme , dans
le Directorium , que par une altération tout à
fait propre à l'imprimé (voir Joiiin. des Sav.,
1899, P- 5.93)-
'*' Tandis que dans l'original et dans Jean
de Capoue la méchante femme essaie de se-
ringuer du poison dans le fondement de celui
qu'elle veut faire périr, ici elle veut lui en in-
jecter dans les narines. Ce changement a été fait,
indépendamment, dans l'ancienne traduction
allemande de Jean de Capoue ; d'autres ver-
sions ont substitué la bouche , ou même l'oreille.
232 RAIMONI) DK BKZIKRS.
celle-ci est honteuse pour l'hôte qu'elle reçoit'", tandis que dans
l'original elle essaie d'empoisonner un amant auquel s'obstine à rester
fidèle une fdle de la débauche de laquelle elle vit. — 7. Le Nez coupé.
Ce conte célèbre est, — sauf, au début, une abréviation qui le rend
un peu obscur, — traduit assez exactement de l'espagnol. — 8. Le
Corbeau et le Serpent. Le corbeau, pour se défendre du serpent, demande
conseil, dans l'arabe, à un chacal, dont l'espagnol a fait, suivant son
habitude, un loba cerval, que Raimond a changé en simple loup; Jean
de Capoue, que le mot ibnawâ a toujours embarrassé, y substitue un
« compagnon », non déterminé, du corbeau. — 9. Le Héron, les Pois-
sons et l'Kcrevisse. Raimond a gardé le nom espagnol du héron, (jarra
(dans Joël «un oiseau»); mais il a, le plus bizarrement du monde,
rendu cangrejo, « écrevisse » , parrenafor( cette même traduction inepte
se retrouve encore plus loin ) ; il rend par turtures les truchas de l'espa-
gnol. — ) o. Le Lion et le Lièvre. — 11. Les trois Poissons. L'espa-
gnol est seul à appeler ces poissons des truites, ce que Raimond rend
encore par turtures. — 1 2. Le Pou et la Puce. — i3. Le Canard et le
rejlet de l'étoile. Raimond a conservé le canard [anade) de fespagnol,
tandis que Jean de Capoue a simplement « un oiseau aquatique ». —
ilx. Le Lion, ses trois Conseillers et le Chameau. Les trois conseillers du
lion, dans cette belle fable (origine lointaine des Animaux malades de la
peste) , sont en sanscrit une panthère, un corbeau et un chacal; déjà en
pehlvi (à en juger par le syriaque et l'arabe) la panthère était deve-
nue un loup; du chacal, Jean de Capoue a fait cette fois un renard,
l'espagnol, comme toujours, un lobo cerval; Raimond, qui d'ordi-
naire rend lobo cerval simplement par « loup », a été embarrassé parce
qu'il V avait déjà un loup dans l'histoire, et a mis, malencontreuse-
ment, un daim [damna). — j 5. Le Courlis et le Génie de la mer. Le mot
tittuy pour « courlis », qui du sanscrit s'est transmis jusqu'à l'espagnol
(voir ci-dessus, p. 2 2 1 , n. 1 ), a suggéré à Raimond l'invention du mot
tibilonfja, tandis que Jean de Capoue en fait vaguement « un oiseau »;
il a traduit littéralement le mayordomo del mar espagnol (voir ci-des-
sus, p. 2 2 0), par majordomus maris; mais il ajoute cette remarque
singulière : Est aatem majordomus maris (fuedam avis previa tempestatis.
'"' H faut cerlainement corriger hospiti, rcligiosus (p. 46 1) en hospiti religioso, bien que les
deux manuscrits nient religiosus.
EAIMOND DE BEZIERS. 233
Il y a du reste, à l'endroit où il s'agit de ce personnage, une faute qui
se retrouve dans Jean de Capoue (où il est appelé diix maris), et qui
appartient probablement à la recension arabe qui est la source com-
mune de Joël et de l'espagnol *''. Raimond n'a rien compris à la fin de
la fable et l'a supprimée. — 16. Les deux Canards et la Tortue. Rai-
mond conserve les canards [anodes) de l'espagnol, dont Jean fait sim-
plement des « oiseaux » , et rend galapago par tortaca et non par testudo
comme Jean. — 17. Les Singes et le Ver luisant. Raimond a bien com-
pris l'espagnol luciérnaga^^\ et l'a rendu par (juemdam vermem haben-
tem lucemcjuinoticula (1. noctiluca) nuncupatur; Jean de Capoue a lucalam
(jae lucet in nocte. — 18. L'Arbre pris en témoignage. — ig. Le Héron, le
Serpent et la Mangouste. Nous retrouvons ici le mot espagnol garça con-
servé par Raimond; il appelle vipera le serpent qui dans notre texte
espagnol esl appelé cnlebra; l'espagnol ayant rendu absurdement par
liron le nom arabe de la mangouste, il traduit à son tour //ron par sy h (-
rioliis, qui ne vaut pas mieux , et encore ici il traduit cangrejo par venalor.
— 20. Le Dépositaire injidèle. L'aborde l'espagnol est dans Raimond
un ancipiter, tandis que Jean de Capoue, suivant son habitude, en
fait « un oiseau » quelconque. Raimond, soit qu'il n'ait pas bien com-
pris l'espagnol, soit de son plein gré, a changé certains détails du
récit, mais, cette fois, assez heureusement. — Nous parlerons plus
loin d'un conte étranger à l'original et à l'espagnol, que Raimond a
plus tard, d'après Jean de Capoue, inséré entre les n°' 19 et 20.
Le chapitre i*"' (v de Raimond, m de Jean de Capoue), avec ses
quatre contes, se comporte comme le précédent, c'est-à-dire que
Raimond imite de plus ou moins loin le texte espagnol pour les dis-
cours et les raisonnements et le traduit plus ou moins imparfaitement
pour les récils; ce chapitre n'appelle pas de remarque particulière.
Il en est de même du chapitre 11 (vi de Raimond, iv de Jean) jusqu'à
l'endroit que nous allons indiquer. Mais à cet endroit le procédé change
tout à coup, et la traduction de l'hébreu par Jean de Capoue rem-
place, pour tout le reste de l'ouvrage, celle de l'espagnol par Raimond.
Celle-ci va jusqu'au récit que la souris fait à ses amis des malheurs
de sa vie passée. Les premières lignes de ce récit sont encore traduites
<"' Derenbourg pense que la méprise appar- ''' L'édition Gayangos porte ciérnaga, mot
lient à Jean de Capoue ; mais alors elle ne se qui n'a jamais existé , et qui aurait dû être
retrouverait pas dans l'espagnol. corrigé.
HIST. LITT. — wxm. 3o
234 RAIMOND DE BÉZIERS.
de l'espagnol et diffèrent des lignes correspondantes de la version de
Jean de Capoue, comme le montre la juxtaposition suivante :
ESPAGNOL , p. 43 a.
Do yo nascî fué en casa de
un religioso que non habia mu-
jer nin hijos , et traianie cada
dia en un canastiello de co-
rner, et comia dello una vcz en
el dia , é lo que le sobraba col-
gâbalo en un canastiello que
ténia en casa, etyoacechâbalo
fasta que salia de casa , et desf
veni'ame para el canastiello , é
non dejaba cosa de que non
comiese , é lo otro echâbalo à
los otros mures '"'.
RAIMOND, p. 842-
Elgo fui natus in donio cu-
jusdam religiosi qui non habe-
bat fiiios nec uxorem , et por-
tabantur sibi cotidie eiemosine
quas reponebat in quodam ca-
nastello suspenso in medio
domus, et postquam ipse dor-
miebat, saltabam ad canistrum,
et comedebam secundum libi-
tum, et residua muribus subsis-
tentibus dispergebam '*'.
JEAN DE CAPOUE, p. l4/|.
Fuit principium habitationi»
mee in tali terra in domo cujus-
dam viri sancti , heremite , qui
nunquam habuerat mulierem.
Qui , cum oflerrent sibi bomi-
nes singulis diebns panera in
canistro et comederet ad suam
suflicienliam, residuum recol-
ligens in canistro suspendebat
in domo. Ego autem observa-
bam donec exiret heremita,
saltansque ad canistrum nihil
ibi reiinquebatn , et comedens
quod volebam dabam resi-
duum aliis muribus qui erant
in domo '''.
Mais si nous continuons la juxtaposition des trois textes, nous ver-
rons que celui de Raimond s'écarte de l'espagnol, et, sauf d'inutiles
additions (que nous signalons par des italiques) , une ou deux omis-
sions et des fautes de copie, n'est que la reproduction pure et simple
de celui de Jean de Capoue :
ESPAGNOL.
Et punnô el religioso muchas
veces de colgar el canastiello
do yo non lo alcanzase , é non
pudo. E acaesciô que posé con
él una noche un huéspet,
et cenaron amos, et estando
amos asf fablando , dijo el
religioso al huéspet : « De que
« ères é do quieres ir agora ? •
Et este huéspet habia andado
a muchas tierras é habia visto
RAIMOND.
Et post malta tempora , cum
niteretur heremita suspendere
canistrum in loco luto in quo
non possem pervenire, nichil
proficiebat qain facerem meum
velle. Quadam vero die, cum
quidam percgrinus superve-
niret , comcderunt bene simul
et biberunt, et accipiens here-
mita totum residuum quod eis
remanserat post comestionem ,
JEAN DE CAPOUE.
Et cum niteretur heremita
suspendere canistrum in tuto
loco in quo non possem perve-
nire , nihil ei proficiebat. Qua-
dam vero die cum superveniret
ei peregrinus quidam , comedc-
runt et biberunt simul bene. Et
accipiens heremita totum resi-
duum quod eis remanserat
post comestionem , reposuit in
canistro et suspendit illud, et
'"' Il faut restituer à l'espagnol les mots cor-
respondants à ceux de Raimond, suspenso in
medio domus, dont l'équivalent se retrouve dans
toutes les versions. De même veniame doit être
corrigé , d'après Raimond et les autres versions ,
en saltaba.
'*' Raimond a passé les mots et comia dello
una vez en el dia, é lo que le sobraba. Il a sub-
stitué le sommeil du religieux à sa sortie, sans
doute parce qu'il n'a pas compris acechàbalo.
« Le ms. B. N. nouv. acq. lat. 648 ( fol. 53 i ) ,
dont nous reproduisons le texte, est exempt de
plusieurs fautes de l'imprimé qui ont donné
lieu à des observations de Derenbourg. Ainsi
l'imprimé omet in canistro et substitue ut à et
devant comederet ; il ajoute me avant observabam.
RAIMOND DE BEZIERS.
235
maravUlas, et comeniole &
contar; et estando asî el reli-
gioso comenzô â sonar sus
palmas por mi facer fuir del
canastiello, et ensanose el
huéspet por ello, é dijo al
religioso : « Yo departo contigo,
• étu menosprecias mis Tablas ,
« é suenastus palmas; por que
« me rogaste que depai-tiese
« contigo ? »
cepit loqui cum peregrino,
qui perambulaverat mundum
et iverat usque ad extremitates
ejus, nec reliquerat locum in
quo non fuisset , et viderat mi-
rabilia mundietmonstra. Here-
mita vero, nonattendens verbis
peregrini, non sinebat trepi-
dare suis manibus adversus ca-
nistrum , ut me fugaret. Et
videns hoc peregrinus turbatus
est contra heremitam , dicens :
« Ego narro tibi verba mea ;
« tu autem non attendis ea , nec
« tibi sapiunt '''. »
illud in canistro posuit reli-
quum quod remansit et illud
suspendit ubi solebat , et cepit
loqui cum peregrino, qui per-
ambulaverat totum mun-
dum , nec reliquerat locum in
quo veraciter non stetisset, et
viderat mirabilia hujas mundi
et monstra que eidcm apparae-
rant. Heremita vero, non
attendons verbis peregrini ,
non sinebat suis manibus ad-
versus canistrum, ut me fu-
garet, continua trepidare. Et
videns hoc peregrinus contra
heremitam turbatus est, dicens
ei : • Ego tibi verba mea enarro ;
• tu autem non attendis nec
« adverlis ad ea que tibi morali-
« ter sum locutus , nec tibi sa-
• piunt verba mea ''*. »
C'est à la fin du passage cité précédemment que se termine l'œuvre
de traduction de Raimond. Le reste du livre qu'il a présenté à Phi-
lippe le Bel comme étant en entier traduit par lui de yspanico in
latinum n'est qu'une simple copie de Jean de Capoue ^^K Nous n'au-
rions plus à nous en occuper (sauf à revenir sur les interpolations
que présente la rédaction amplifiée), si nous ne devions appeler l'at-
tention sur les modifications, très légères d'ailleurs, que Raimond a
fait subir au texte qu'il copiait. Nous demandons, à cet effet, la per-
mission de mettre encore en regard deux passages de Jean de Capoue
dans le texte et dans la copie **^ Il est inutile d'en rapprocher la version
'"' Le texte de Jean de Capoue permet de
corriger quelques fautes des copistes de Rai-
mond: lisez dejiciebat pour projiciebat; entre re-
mansit et et illud les deux manuscrits répètent et
post comestionem posait in canistro; ils donnent
enarraho pour enarro, et le ms. 85o5 change
en conséquence attendis et advertis en attendes
et advertes (leçons qu'Hervieux juge, à tort,
préférables).
''' Le texte est encore ici donné d'après le
ros. B. N. nouv. acq. lat. 648, qui est géné-
ralement d'accord avec Raimond : tuto pour
tuiiori; omission d'un qui fautif avant comede-
rant; cepit loqui cum peregrino pour loqaebatar
peregrinus. En revanche le manuscrit a à tort
sapervenire pour pervenire. Le manuscrit et
l'imprimé ont en commun , comme le prouve
le texte de Raimond, les mauvaises leçons
perambalabat et viderit pour perambulaverat et
viderat.
''' A ce titre le livre de Raimond , depuis
l'endroit marqué, sera très utile à un futur
éditeur de Jean de Capoue , puisqu'il a pour
base un manuscrit bien plus ancien que ceux
qui nous sont parvenus et à peu près contempo-
rain de l'auteur.
'*' D'autres passages de Jean de Capoue et
de Raimond ont été juxtaposés par S. de Sacy
et par Hervieux et donnent lieu aux mêmes
observations.
3o.
236
RAIMOND DE BEZIERS.
espagnole. Voici d'abord la fin du chapitre m (vu deRaimond, v de
Jean) :
JEAN DEnAPOUE, éd. Dercnbourg , p. 161.
Inquit rex suo philosophe : « Perspiciendum
« est in hujusmodi parabulis quomodo pervenit
■ concilium parvorum animaliiim et vilium
« avium juvancium se invicem ; maxime homi-
I nés qui se constituèrent in hac consuetudine ,
« pervenlret eis fructus operacionum suarum et
« suorum processuum , rectitude in conservando
« opus misericordie et odiendo pravitatem et
• elongando iniquitatem '"'. »
RAIMOND DE BEZIERS, p. 167.
Inquit rex philosophe suo ista rcrba : « Per-
« spiciendum est in hujusmodi parabolis quo-
« modo pervenitconciliumparvorumanimalium
ï et vilium avium Invicem se adjuvancium ;
« maxime homines qui se constituèrent in hac
« consuetudine , eis fructus operacionum suarum
1 et rectitude suorum processuum in conser-
« vando opus misericordie teraciter pervenirel,
« et pev consequens odiendo pravilatem , et iniqui-
ntatem procul dubio elongando '*'. »
Nous choisirons pour le second parallèle le conte qui termine le
chapitre XII (xvii de Raiinond, xv de Jean), et qui, bien que sûrement
authentique, manque dans le texte imprimé de Jean de Capoue :
JEAN DE CAPOUE, ms. de Paris, fol. loa h.
Et loquens alius dixit : Tenemur, domine
rex, laudare Deum quia te regem super nos
constituit , et quia omnia sunt a Deo predesti-
nata. Et vebis dico quod tempère mee puericie
assistebam cuidam virorum nobiiium ; sed
cum factus fuissem vir, visum est michi relin-
quere mundum et ejus voluplates: et separa-
tus ab eo remanserunt michi de mee salarie
due denarii , et deliberavi in mee anime dare
unura eerum in eleniesinam, alterum vero pre
meo victu retinere. Et cogitavi dicens : « Non
« est in munde meritum sicut meritum alicujus
« anime redempcienis. » Et cum venissem ad fo-
rum occurrit michi venalor quidam portans
duas celumbas , quarum unam emere volui pro
une argenleo, et noluit. Et cum cogitassem ne
forte masculus et femina essent et eas separans
peccatum incurrerem, emi utramque pro due-
bus argenteis. Poslmedum cogitavi, dicens :
• Si liberavere ees circa hominum habitacio-
• nem , dubito ne quande ab hominibus capian-
RAIMOND DE séziERS , p. -jAl.
Exsurgens alius dixit eis : Tenemur, domine
rex, laudare Deum, omnium creuiorem, quia te
super nos constituit talem regem , et quia om-
nia sunt a Deo predestinata recio ordine et
creata. Et dico vobis quod in tempère mee
puericie cuidam virorum nobiiium assistebam;
sed cum factus fuissem vir, visum fuit michi
relinquere istiim mundum ejusque pariter vo-
luptates ; et ab eo separatus michi duo denarii
de meo salarie remanserunt, et deliberavi in
mee anime ununi in elemosina pro Dei servicio
elargiri , alterum vero pre mee viclu pênes me
retinere. Et cogitavi sic dicende : t Non est
0 in munde meritum sicut meritum alicujus
« rederapcionis anime in hoc mnndo. • Et cum
ivissem foras , quidam venator proiinus obviavit ,
portans duas celumbas in suis manibus valde
paieras, quarum unam emere volui pro uno
argentée , sed noluit consenlire. Et cum cogitas-
sem ut forsitan essent masculus et femella,
et eos separans peccatum ybrsifan incurrerem,
'"' Ici encore nous donnons le texte du ms.
de Paris (fol. 58 i), presque partoutd'accord avec
celui de Raimond : c'est ainsi qu'il a /)ara6u/is
^UT fabulis , quomodo pour qaando, juvancium
peurjuiare. Les mots pravitatem et elongando,
qui sont dans le ms. 6d8 et dans Raimond,
manquent dans l'imprimé.
<*' La comparaison du texte de Jean de
Capoue permet de corriger plusieurs fautes
des copistes de Raimond, qui écrivent prospi-
ciendum pour perspiciendum, changent se en
si avant et ajoutent se après constituèrent , et
répètent eis après perveniret. Nous ne relevons
pas ici les fautes propres à l'un eu à l'autre
des deux manuscrits de Raimond : elles n'ont
que très peu d'intérêt.
RAIMOND DE BEZIERS.
23:
• tur, cum sinl débiles et volare non poterunt. »
Et exiens ad magnam planiciem procul ab ha-
bitacione hominum , liberavi eos ibi. Qui trans-
volantes se super quamdam arborem posue-
runt. Et volens inde discedere , audivi alterum
dicentem alteri : « Jam eruit nos iste a magna
« tribulacione , cui tenemur bona retribuere. »
Et vocaverunt mé , dicentes : « Vere nobis ma-
ie gnam graciam contulisti , quam tibi tenemur
• recognoscere. Scias igitur quod in radiée hujus
«arboris latet thésaurus; iode ibi et invenies. •
Et accedens ad arborem fodi parum et mox
inveni. Tune invocavi Deum ut eos ab homi-
nibus liberaret. Et dixi ad eos : « Ex quo tanta
«est vestra intelligencia, et volatis intercelum
■ et terram , quomodo in hune laqueum inci-
« distisde quo vos liberavi ? » Dixerunt autem ad
me : « Vir sapiens , nonne scivisti quia non valet
« cursus levibus nec bellacio potentibus, sed in
« tempore divine destinacionis claudunturoculi ,
« ut quis non valeat sibi cavere ab eo quod super
« ipsum scriptum est desuper'*'?»
eml utramque pro duobus argenteis. Postmo-
dum iii animo cogita vi : « Si eos liberavero circa
«hominum habitacionem , dubito ne, cum sint
«débiles et volare non poterunt, abhominibus
« capiantur. » Et exiens ad magnam planiciem
procul ab habitacione hominum, eos ibidem
liberavi. Qui statim volantes super quadam
arbore i/i inslanli, et volantes inde ab arbore
descenderunt , et audivi alterum ipsum alteri
sic dicentem : « A magna tribulacione iste Homo
«liberavit nos, cui tenemur boiia retribuere
« sno loco. » Tune me taliter vocaverunt : « Vere
« nobis maximam graciam contulisti, quam tibi
« tenemur cognoscerei/i/empoj'eop/)or/uno.Scias
« igitur quod in radice liujus arboris thésaurus
• maximum est absconsus; fode ibidem et inve-
« nies absqae inora. » Et accessi ad arborem et
fodi parum et inveni que dixerant dicte aves. Et
tune invocavi Deum ut eas ab omni periculo
liberaret, et ad eas dixi l'sta l'ccia : « Ex quo
Il tanta est vestra intelligencia, et volatis inter
« celum et terram , quomodo in hune laqueum
« incidistis de quo vos [hodie] liberavi ? » Et dixe-
runt tune aves ad me : « O vir sapiens, nonne
« scivisti (juia non valet levibus cursus nec po-
« tcntibus bellacio , sed tempore destinacionis
« divine claudunturoculi , ut quis non valeat sibi
« cavere abeo quod super ipsum est destinatum
« et quod est scriptum desuper in hoc mando^'^? »
Il est facile de voir que le texte de Raimond ne diffère de celui de
Jean de Capoue que par de rares changements de mots, quelques
interversions, et surtout l'addition de mots inutiles, particulièrement
d'adverbes et de compléments superflus. Hervieux volt dans ces
modifications superficielles un effort du plagiaire pour « démarquer »
ses emprunts, et il ajoute, ce qui est inexact, que plus Raimond avan-
çait dans sa copie, moins il essayait de dissimuler ainsi son plagiat.
Le vrai caractère du travail auquel s'est livré Raimond de Béziers
apparaît quand on remarque que, dans les parties du livre qui sont
incontestablement de lui, il s'astreint autant que possible aux règles
du cursus, ou plutôt à la seule qui fût comprise et usitée de son
'"' Nous avons constitué le texte avec l'aide
du ms. de Paris et de l'imprimé ; nous n'entrons
pas dans les détails. Cf. Ward, op. cit., p. 167.
''' Nous avons rectifié le texte des manu-
scrits à l'aide de celui de Jean de Capoue ; on
verra pourquoi nous avons cru devoir ajouter
hodie avant liberavi. La leçon Et volantes inde
ab arbore descenderunt pour Et volens inde dis-
cedere est une erreur de Raimond ou plutôt
de l'auteur de la copie qu'il avait sous les yeux :
l'hébreu donne (p. 200) « pendant que je m'en
retournais ».
238
RAIMOND DE BEZIERS.
temps, et qui.consisle à exiger que toutes les propositions finales et,
autant que possible, les autres propositions se terminent par un
double trochée tonique précédé d'un dactyle tonique (par exemple,
dans le chapitre ii, ceteris honorabat, pardhus residebat, incomparabilem
et immensnm; dans le chapitre m, penitus siint incerta, snavUer super
domum, etc.). C'est à cette règle qu'il s'est efforcé d'assujettir le texte
qu'il copiait, pour le conformer à ce qu'il avait écrit lui-même : qu'on
veuille bien examiner dans les morceaux cités les mots changés ou
déplacés, et surtout les mots ajoutés, qui sont imprimés en italiques;
on verra que changements, déplacements, additions n'ont (sauf de
très rares v6xceptions, imputables peut-être aux copistes) qu'un seul
but : faire que le plus grand nombre possible de propositions, et
toujours les propositions finales, se terminent par cette chute. Rai-
mond n'a pas été difficile pour le choix de ses additions ides adverbes
comme taliter, prodnus, veraciter, procul dabio , des explétifs comme ista
verba, illa die, lïla hora, illomodo, ahscjue mora, etc., composent presque
tout son arsenal, et il les emploie souvent d'une façon si peu justifiée
qu'ils donnent à la phrase une lourdeur choquante et parfois même
embarrassent le sens. Si on les retranche, on trouve, sauf les quelques
substitutions d'homonymes et les interversions, un texte de Jean de
Capoue généralement excellent, tel qu'on devait s'y attendre d'après
la date du manuscrit suivi par Raimond''l II est amusant d'observer
le travail puéril et acharné que s'est imposé le plagiaire pour accom-
moder ce texte à des règles auxquelles l'auteur italien n'avait pas
songé à se soumettre.
Quant à l'œuvre de Raimond de Béziers comme traducteur, qui,
nous l'avons dit, est terminée au moment où commence son travail
de copiste, elle est assurément fort médiocre; toutefois elle a un cer-
tain intérêt pour l'histoire littéraire, puisqu'elle est, si nous ne nous
'*' Les différences relevées par Hervieux
(p. 49-5o) entre Jean de Capoue et I\aimond
de Béziers sont illusoires à partir du milieu du
chapitre vi ( = viii). Les noms Peridon et
Romi donnés au chat et au rat de ce cha-
pitre sont ceux des manuscrits de Jean de
Capoue (voir ci-dessus, p. aay, n. 3). — Les
variantes des noms du chapitre vu sont pure-
ment graphiques. — C'est bien un loup , dans
les manuscrits de Jean de Capoue comme dans
Raimond, et non un renard , comme dans le
Jean de Capoue imprimé, qui admoneste Ja
lionne au chapitre x. — Le conte du chapitre xii
qui manque dans le Direclorium imprimé est
celui que nous venons de donner d'après le ma-
nuscrit de Paris. — Le nom de l'oiseau perfide
du chapitre xii'" (=xvi) est dans Jean de Capoue
(voir ci-dessus, p. aa4) maizam d'après les ma-
nuscrits, dont le maziam (et non masia) de Rai-
mond n'est qu'une légère altération.
MIMOND DE BEZIERS. 239
trompons, le seul essai de traduction du castillan qu'ait produit la
France du moyen âge. Pour l'étude de l'histoire du Kalilah et Dimnah,
elle pouvait avoir de la valeur tant qu'on n'en connaissait pas l'origi-
nal espagnol; maintenant que nous le possédons, elle peut nous donner
une idée du manuscrit dont Raimond a fait usage et qui était sensi-
blement plus ancien que les deux qui ont servi à l'édition moderne;
mais le peu d'exactitude de la traduction de Raimond ne nous permet
guère, d'ordinaii'e, de retrouver les leçons de son manuscrit, et son
livre, dans sa première partie, ne peut servir qu'à rectifier çà et là
quelque forme altérée de nom propre.
11 nous reste à revenir sur quelques cas où Raimond de Béziers,
même dans sa première partie, a utilisé le livre de Jean de Capoue.
Mais il faut d'abord essayer de nous rendre compte , avec plus de pré-
cision que nous ne l'avons fait, des conditions dans lesquelles est née
son œuvre à moitié personnelle, à moitié plagiée. Il est certain, nous
l'avons dit, que, quand il entreprit son travail, il n'avait à sa disposi-
tion que le Calila et Dimna espagnol et n'avait aucune connaissance de
Jean de Capoue. Il nous paraît Ibrt probable qu'à la mort de la reine
Jeanne il dut restituer le manuscrit qui lui avait été confié, et que
c'est pour cela, plus encore que pour la «désolation» que lui causa
cette mort, qu'il renonça au travail commencé. Le fait est qu'à partir
de fendroit indiqué on ne trouve plus dans son livre aucune trace du
livre espagnol : il aurait pu cependant s'en servir pour introduire çà
et là quelques variantes, ne fût-ce que dans les noms, et masquer
ainsi quelque peu son plagiat; mais il ne l'a fait nulle part, ce qui
démontre à nos yeux qu'il n'avait plus le manuscrit espagnol à sa
disposition.
Il ne pensait pas sans doute pouvoir jamais reprendre l'œuvre inter-
rompue, quand un hasard inespéré lui mit entre les mains un ma-
nuscritde Jean de Capoue (apporté peut-être d'Italie à la cour papale,
établie à Avignon depuis iSog). Il se garda bien de souffler mot de
sa trouvaille, et il copia, en l'arrangeant comme on vient de le voir, la
seconde partie du livre, l'ajouta tranquillement à ses anciens cahiers,
fit recopier le tout dans un exemplaire de luxe, et l'offrit à Philippe
le Bel, en i3i4, comme entièrement traduit de l'espagnol.
En fait, la première partie seule avait été exécutée par lui d'après
la version castillane. Quand il la fit recopier pour la joindre à la se-
240 RAIMOND DE BEZIERS.
conde, qu'il empruntait à Jean de Capoue, il ne paraît avoir fait
subir à son travail, qui aurait cependant pu y gagner beaucoup,
aucune retouche à l'aide de la traduction latine qu'il s'appropriait
pour la suite. Il s'en servit seulement, comme nous le verrons, pour
le Proemium, qui n'était pas dans l'espagnol. Il ne fit d'ailleurs
au livre de Jean de Capoue, pour la première partie, qu'une sorte
d'emprunts. Le manuscrit espagnol dont il s'était servi paraît avoir
été, comme c'est le cas pour un grand nombre de manuscrits du
moyen âge, dépourvu des rubriques qu'il aurait dû contenir: elles
avaient sans doute été laissées en blanc pour être remplies par un
rubricateur, lequel n'avait pas accompli sa tâche. Raimond dut,
sur l'exemplaire qu'il destinait au roi, combler cette lacune : il le
fit avec l'aide du manuscrit de Jean de Capoue, qui, lui, contenait la
série complète des rubriques. Mais, agissant à l'étourdie comme il
en était coutumier, il n'a pas pris la peine de corriger certains détails
qui, dans les rubriques empruntées à Jean, ne cadraient pas avec son
texte, emprunté à l'espagnol. Contrairement à toutes les versions, il a
fait du prologue d'Abdallah ibu-Almoqaffa son premier chapitre, qu'il
a intitulé, de son chef. De condicionihus antujuorum philosophoram ; dans
Jean de Capoue, ce prologue était simplement désigné comme Proe-
mium. Le chapitre suivant, consacré à la mission de Barzoûyah, forme
chez Jean de Capoue un second proemium^^^ -, dans le manuscrit espa-
gnol imprimé par Gayangos il forme le chapitre premier; Raimond
en a fait le chapitre ii, et il a reproduit le titre donné par Jean de
Capoue: Quomodo rex misit Berosiam, sunm medicum, inprovincia Indie^'^\
sans faire attention qu'il appelait Berzehny dans son texte celui qu'il
nomme Berosias dans la rubrique. — L'autobiographie de Barzoûyah
forme, chez Jean de Capoue, le chapitre premier, dans l'édition es-
pagnole le chapitre ii; chez Raimond, elle forme le troisième, et
dans toute la suite du livre il est ainsi, pour le compte des cha-
pitres, en avance d'un numéro sur l'espagnol, de deux numéros sur
Jean de Capoue'^'. Cette autobiographie a pour titre, chez lui comme
'') Ms. Bibl. nat. nouv. acq. lat. 648 , fol. 5 v°. '*' Le ms. 85o5 présente ici une sinf^ularité.
Dans Jean de Capoue, ce chapitre n'a ni titre La table des chapitres, dont nous parlerons
ni numéro. plus tard, est conforme à la numération du
'"' Ms. nouv. acq. 6(i8 : Quomodo re.v [misit] ms. 85o4; mais la biographie de Bai-zoûyah,
lieroziam, medicum suam, in provincia Yndie. (jui dans celle table et dans 85o4 est le cha-
RAIMOND DE BEZIERS.
241
chez Jean de Capoue*'' : De Berosia medico, et est de equitate et de timoré
Dei; seulement Raimond a cru devoir ajouter, dans l'édition am-
plifiée, ac dilectione Dei et proximi, de contentu (sic) mundi, et cetera.
Les chapitres iv, v et vi de Raimond (ii, m et iv de Jean de Capoue)
ont également des rubriques prises à Jean, mais ces rubriques n'of-
frent plus rien de contradictoire avec le texte.
La partie de l'ouvrage de Raimond traduite de l'espagnol a en-
core subi d'une autre façon l'influence du livre de Jean de Capoue.
C'est dans ce livre, certainement, que Raimond a pris tout au moins
l'idée et le sujet des images dont il a orné l'exemplaire royal de son
ouvrage et les rubriques qui les accompagnent; images et rubriques
manquaient dans le manuscrit espagnol. Aucun des trois manuscrits
de Jean de Capoue que nous connaissons ne contient d'images; mais
tous présentent les rubriques destinées à guider l'illustrateur qui n'est
pas venu ^"*. Le manuscrit que Raimond a eu sous les yeux avait-il les
images? Nous n'en savons rien; mais il avait certainement les ru-
briques. Raimond les a reproduites dans l'exemplaire de luxe qui nous
est parvenu, et il a fait exécuter les images, soit d'après celles du
livre de Jean, soit, plus probablement, d'après les simples indica-
tions des rubriques. Mais ces rubriques, pour la première partie, ne
cadraient pas toujours exactement avec son texte, et il a cette fois
pris soin d'en modifier au moins une. En outre il en a ajouté, dans
le chapitre consacré à l'autobiographie de Barzoûyah, plusieurs qui
se réfèrent à ses additions personnelles, dont nous parlerons plus
loin. Laissant ces dernières de côté, nous allons rapporter ici les ru-
briques qui accompagnent les images de la partie du livre traduite de
l'espagnol, en mettant en regard celles du Dircctorium imprimé et, à
partir de l'endroit où commence le manuscrit hébreu, celles que ce
manuscrit contient (sans images). Le ms. 85o5 de Raimond n'a pas
pitre troisicme, est précédée (fol. 36 r°) des
mots : Incipiant capitula libri. Capituliim pri-
mum de Bosia seti Berzebuy mcdici, et est de
equitate et timoré Domini. Il est très curieux
que les deux Fautes Bosia pour Berosia et medici
pour medico se retrouvent dans 85o.4 ( (ol. 1 3 ,
c. 2; Hervieux, p. 4i8), qui porte d'ailleurs :
Explicit capitiiliim secundum. Incipit capitalum
tercium, etc. H semble que l'original des deux
manuscrits portait, conformément à la pre-
mière rédaction de Raimond : Incipit capita-
lum prlmum de [l'ita] Berzebuy medici, et que
cette rul)rique a été corrigée d'après celle du
livre de Jean de Capoue. — Les seize cha-
pitres suivants sont , dans 85o5 , dépourvus de
la désignation numérique qui, dans 85o4,
précède l'incipit pour chacun d'eux.
'"' D'après le ms. 648. Le Directoriam a un
peu modifié ce titre.
''' Voir Journal des Savants , i8f)9, p. 59).
.il
242 RAIMOND DE BEZIERS.
d'images, et ne présente qu'un petit nombre de rubriques, écrites
à l'encre noire et non distinguées du texte; nous noterons, pour
chacune de celles que nous relevons dans 85o4, la correspondance
avec 85o5. Nous ne commençons naturellement notre relevé qu'avec
le chapitre ii de Raiinond (second proemium de Jean de Capoue), par
lequel débutait le manuscrit espagnol de Raimond, comme le font
les deux manuscrits sur lesquels la version espagnole a été imprimée.
Pour le texte même du livre, Raimond n'a pas cherché, nous
l'avons (lit, à l'améliorer à l'aide de celui de Jean de Capoue; mais il
a inséré dans le chapitre i (iv de Raimond, ii de Jean) un conte
(n" 21) qu'il n'avait pas trouvé dans l'espagnol et qui ne remonte
en efiet ni à l'arabe, ni au peblvi mais que Jean de Capoue, ou
peut-être déjà Joël''', avait ajouté, — en l'empruntant, sans doute
par tradition orale, au livre, également indien d'origine, de Sindibad,
— le conte de la Femme et l' Apothicaire. Raimond l'a intercalé
(p. 495) tel qu'il se trouve dans Jean (p. 96), avec la petite intro-
duction qui le précède. Il est à remarquer qu'un autre conte, inséré
(un peu plus haut) comme celui-ci dans la version de Jean'^' et prove-
nant aussi de Sindibad, le conte célèbre de la Pie dénonciatrice mise
injustement à mort par son maître'^', n'a pas été ajouté par Raimond;
peut-être ne figurait-il pas dans le manuscrit dont il s'est servi et
a-t-il été ajouté plus tard par un interpolateur de Jean de Capoue'*'.
Dans la partie de son ouvrage qui précède le livre même de Dîna
et Calila, Raimond a encore fait à Jean de Capoue un emprunt que
nous devons signaler. Celui-ci avait placé, en tête du prologue qu'il
traduisait de Joël, et que Joël traduisait d'Abdallah ibn-Almoqafia,
un petit exposé des destinées du livre, depuis sa première forme jus-
qu'à celle qu'il lui donnait. Raimond n'avait rien trouvé de pareil
dans la version espagnole, et le manuscrit qu'il avait de cette version
était sans doute dépourvu de la rubrique finale (offerte par les
deux manuscrits qui ont servi de base à l'édition), d'après laquelle
la version castillane aurait été faite sur une première version latine
du livre arabe '^'. Aussi, en empruntant à Jean de Capoue ses rensei-
'"' Voir ci-dessus, p. aai ''' li figure dans nos manuscrits de Jean de
• '*' Ed. Derenbourg, p. 89; l'-d. Hervieux, Capoue, mais il peut avoir été interpolé dans
p.{l58; ce conte est aussi dans le ms. 648. leur original commun.
. C Voir Journal des Savants, iSyy, p. 687. '*' Voir ci-dessus, p. ig8.
RAIMOND DE BEZIRRS.
243
gnements, a-t-il, par une erreur naturelle, rattaché à l'hébreu la
version espagnole. Il a d'ailleurs placé ces renseignements une pre-
mière fois, tels à peu près que chez Jean, dans la préface de la
rédaction conservée dans le ms. 85o5, et une seconde fois, en en
modifiant la forme, dans la préface de la rédaction conservée dans
le ms. 85o4. Nous donnons, en regard, avec le passage de Jean de
Capoue, celui du ms. 85o5 et celui du ms. 85o4 :
Jean de Capoce '''.
Et prius quidem in lingua
fuerat Indorum (translatus '*'),
inde in linguam translatus Per-
sarum , postea vero reduxerunt
illum Arabes in linguam suam.
Ultimo exinde ad linguam fuit
reductus hebraicam. Nunc au-
tem nostri proposili est ipsum
iç linguam fundare latinam.
Ms. 85o5 P'.
Iste autem liber prius fue-
rat in lingua Yndorum, et post-
modum in lingua Persanim.
Postea vero reduxerunt eum
Arabes ad linguam suam. Ul-
timo exinde ad linguam fuit
reductus ebraycam. Processu
vero temporis de iiebrayca lin-
gua in ydioma hispanicum
apud Toletum presens liber
ultimo est translatus.
Ms. 85o4(''.
Qui quidem ab Indorum
lingua fuit in ydioma persicum,
satisque subsequenter in ara-
bicum , exhinc in ebraicum , a
quo finaliter apud Tholetum ,
ob ejus documentorum mémo-
randum ac venerabile myste-
rium , in hyspanicum translatus
est.
On voit que la rédaction du ms. 85o5 (rédaction simple) est sen-
siblement plus voisine de Jean de Capoue que celle du ms. 85o4
(rédaction amplifiée), d'où il résulte qu'elle est antérieure; on peut
donc croire que les préfaces et dédicaces du ms. 85o4 sont un rema-
niement de celles du ms. 85o5.
Nous arrivons maintenant à ce qui, dans le livre de Rairnond,
n'est ni traduit plus ou moins fidèlement de l'espagnol, ni copié de
Jean de Capoue. Il faut distinguer ici la rédaction simple du
ms. 85o5 et la rédaction amplifiée du ms. 85o4. Dans la première,
on ne peut considérer comme appartenant au médecin de Béziers
que les divers morceaux qui précèdent le livre même. Ces morceaux
ont sans doute, dans le manuscrit qui a servi d'original au ms. 85o5,
été ajoutés après coup. Us remplissent en effet dans celui-ci, comme
l'a remarqué Hervieux, un cahier à part, qui a eu Sa feuillets.
'"' Ms. nouv. acq. 648, fol. i ; éd. Deren-
bourg, p. 8; éd. Hervieux, p. 8o.
''' Le mot translatus se lit à la fois dans les
manuscrits qui nous sont parvenus et dans
l'édition; mais c'est une faute "de l'original
commun des diverses copies. S. de Sacy [Not.
et extr., t. X, 2* part., p. i 2 , n. i) l'avait re-
marqué avec raison (cf. Hervieux, p. i3, n.);
on voit que le manuscrit suivi par Raimond
n'avait pas cette faute.
''' Fol. 2 v° ; Hervieux , p. 43 ; Journal des
Savants. 1898, p. 172.
'*' Fol. 2 r°, c. 2 ; Hei-vieux , p. .386 ; Journal
des Savants, 1898, p. 170.
3i.
244 RAIMOND DE BKZIERS.
les 16 premiers étant signés de ai à a xvi; le premier feuillet a dis-
paru, le dernier est blanc. Ce cahier comprend quatre morceaux :
1" Une épître dédicatoire à Philippe le Bel, dont le commence-
ment, qui occupait le premier feuillet, manque. La suite'"' contient,
sur le traducteur elles circonstances dans lesquelles il dit avoir exécuté
son travail, des renseignements que nous avons résumés au début de
cette notice. On y remarque des citations en vers et les rubriques de
deux images, qui représentaient le translateur abandonnant son
livre à la mort de la reine Jeanne et le reprenant plus tard, et qui ne
se retrouvent pas dans le ms. 85o4.
2" Une préface, commençant au haut du folio an/v", et finissant
au milieu du folio ai' v"'^'. Elle contient des remarques sur le mérite et
l'utilité du livre, appelé Liber anreus, Liber regius, Liber sensibilinm mo-
raliiim (ms. animaliujn) exemplorumque snb exemplis {l.fiç/uris?) animalinm
et volalilium, et enfin plus communément Liber Digne et Calile, plus le
passage que nous avons cité sur l'histoire antérieure de l'ouvrage. Elle
se termine par une exhortation à ceux qui fréquentent les cours des
rois de lire et de relire sans cesse un livre aussi utile, au lieu de
perdre leur temps à des lectures frivoles.
3° La table des dix-neuf chapitres dont se compose l'ouvrage.
Cette table, assez détaillée, se termine à l' avant-dernière ligne du
feuillet coté a ixr" (p. 8 de la numérotation moderne)'"^'.
4° Le reste du cahier préliminaire est occupé par une table mo-
rale, avec renvoi aux folios où se trouve chacune des moralités qui
y sont relevées. Elle est précédée des mots : Incipit tabula et aactori-
tates. La présence de cette table, qui paraît rédigée avec soin, montre
bien que, dans l'esprit de l'auteur et des lecteurs, c'étaient les pré-
ceptes de conduite que contenait le livre qui devaient surtout le
rendre précieux.
Les cahiers suivants contiennent le Liber Dine et Calile, composé
comme nous l'avons dit, et ne présentent rien de personnel à Raimond,
sauf ce qui peut lui appartenir dans les passages de la première partie
''' Imprimée par Hervieux (p. t\\), et par <'' On remarquera, dans le titre du cha-
M. Léopold Delisle, Joiirn. des Sav., 1898, pitre 11 : de ilinere Bcrzebaii vel Betorias (sic)
p. l'ji. philosophi , et dans celui du chapitre m : Be-
'*' Imprimée en petite partie par M. Delisle, rozias philosophns. La forme Berozias {Beto-
loc. cit., p. l'ja. lias) provient de Jean de Capone.
RAIMOND DE BEZIERS.
245
où il paraphrase, plutôt qu'il ne les traduit, les considérations poli-
tiques et morales qu'il trouvait dans le livre espagnol.
Sa part est plus considérable dans la rédaction dums. 85o4.Nousen
examinerons d'abord la partie préliminaire*". Nous avons déjà parlé
du double feuillet qui, sur deux pages, contient six miniatures repré-
sentant des scènes de la fête chevaleresque donnée à la Pentecôte de
i3i3. Au verso de la deuxième de ces pages commence, après une
belle miniature représentant Philippe le Bel entouré des siens, l'épître
dédicaloire, qui, outre les louanges de Philippe, les protestations de
dévouement de l'auteur au roi et à la famille royale, et des réflexions
empruntées à saint Augustin et à saint Jérôme sur les traductions,
contient le passage que nous avons déjà cité (p. iqS), et qu'on a sup-
posé à tort être d'un interpolateur : In quo qindem libro addidi versus,
proverbia, auctoritates et alia secundam propositam matenam, prout in ipso
libro lector patent intneri, dictascjiie addiciones diixi per rabeum, ut ab
ipso libro antiquo discerni valeant, describendas. Nous reviendrons tout à
l'heure sur cette particularité.
2°. Après l'épitre dédicatoire se lit le Prohemium, qui débute par
une invocation à la sainte Trinité, et qui reproduit en partie la préface
du ms. 85o5. La remarque sur les lectures futiles auxquelles se
plaisent les nobles est ici plus développée et mérite d'être citée : Vos
igitur re(jalem curiam fréquentantes, qui tempus vestrum in narracionibus
amba(jicis^^\ verbi gracia Lanceloti et Galvani^^\ consimilibusque consumitis
libris^''\ in quibus nulla consistit sciencia tel modica viqet utditas, crebrius
instudentes , abjecla vanitatis palea, Librum istum recjium, virtutum qrani-
ferum, non solum semel, immo pluries attentissime perîegatis. On voit par
là combien la lecture des romans en prose de la Table Ronde, —
c'est certainement de ceux-là qu'il s'agit, — était à la mode au com-
mencement du XIV* siècle, et en effet c'est de cette époque que datent
la plupart des manuscrits qui nous en ont été conservés.
''' Comme feuille de garde figure un feuil-
let écrit seulement sur le recto (devenu le
verso), qui contient une préface inachevée
(quoi qu'en dise Hervieux) et mise au re-
but (comme l'a, le premier, reconnu M. De-
lisle). Elle ressemble beaucoup à l'épitre dé-
dicatoire du ms. 85o5.
''' Ce mot intéressant, qui rappelle les pul-
cherrimas régis Arturi ambages de Dante [De
valgari eloquentia), n'est pas dans 85o5. Le
copiste de 85o4 ne l'a pas compris: il a écrit
aubagacis, puis lui ou un autre a effacé le se-
cond jambage du deuxième u, ce qhi a donné
aubagicis, que M. Delisle a laissé tel quel;
M. Hervieux imprime aubagicis.
''' Le ms. 85o5 ne cite que Lancelot.
<*' Le ms. 850i4 porte libros; le ms. 85o5
a correctement : el aliis libris consimilibus.
2/|6 RAIMOND DE BÉZIERS.
3° Vient ensuite, comme dans 85o5, le sommaire des chapitres.
Il est plus détaillé, et comprend l'indication des récits, contes ou
fables, insérés dans chacun d'eux. Il donne aussi le nombre de ces
récits et des miniatures de chaque chapitre, ainsi que des vers qui,
au commencement de ce manuscrit, sont insérés dans chacun d'eux;
mais, comme l'a constaté M. Hervieux (p. 62 ), le compte est inexact
et constamment inférieur à la réalité.
La table morale qui se trouve dans le ms. 85o5 ne figure
pas ici. Vu le nombre immense des additions, presque toutes morales,
faites dans la rédaction amplifiée, cette table, déjà très longue pour
la rédaction simple, aurait demandé beaucoup de peine et aurait pris
des dimensions excessives.
Nous arrivons maintenant au livre même. Disons tout de suite que
d'un bout à l'autre la rédaction amplifiée reproduit intégralement et
sans changement la rédaction simple, mais en y faisant des adjonc-
tions qui consistent à peu près toutes en réflexions morales, les unes
en prose, les autres en vers, presque toujours empruntées à des
auteurs antérieurs. L'éditeur de Raimond a identifié un grand nombre
de ces citations; pour les identifier toutes, il faudrait se livrer à un
travail considérable et d'une médiocre utilité. M. Delisle a relevé les
noms des auteurs indiqués par le manuscrit même : c'est, pour la
prose, Sénèque, Cassiodore et Pierre Alphonse; pour les vers, Horace,
Ovide, Lucain, Martial''', Maximien, le Pseudo-Caton, les poèmes de
Tobie, d'Alexandre, d'Ysopus, de Pamphilas et du Contemptus miindi : on
voit qu'il n'y a là rien de rare et d'intéressant.
La façon dont ces additions sont pratiquées est des plus simples. Le
texte de l'ouvrage primitif étant lui-même rempli de réflexions mo-
rales, l'auteur accroche à telle ou telle, par les mots Unde versus, ou
Unde dicitar, ou par quelque formule semblable , de nouvelles réflexions
plus ou moins analogues, dont il enfile parfois une série longue et
confuse, si bien que le rapport avec le point de départ devient très
lâche. Les interpolations sont d'ailleurs faites, en général, avec beau-
coup de négligence et de gaucherie : elles sont introduites au milieu
d'un récit, parfois même au milieu d'une phrase, qu'elles inter-
''' U est appelé trois fois Martialis Cocas, suivant un usage fréquent au moyen âge, et dont
l'origine n'est pas bien connue.
i
RAIMOND DE BEZIERS. 24?
rompent mal à propos et dont elles rendent l'intelligence difficile.
C'est ce qui a porté Hervieux à penser qu'elles n'étaient pas de
Raimond, « lequel aurait avec plus d'à-propos évoqué les pensées mo-
« raies des prosateurs et des poètes, et ne les aurait pas intercalées au
«hasard au milieu d'un récit, d'un dialogue et même d'une simple
« phrase brusquement suspendus, puis repris sans transition. » Et
il conclut que ces additions sont l'œuvre « d'un moine à la fois 1res
« dévot et très érudil, qui, voyant dans la traduction du médecin de
« Béziers un monument de morale païenne conçu et exécuté sous une
«forme attrayante, a jugé qu'il en pouvait faire et en a fait un livre
« de propagande chrétienne. » Il est certain que l'amplificateur du Liber
de Dina et Calila est pieux et érudit, qu'il introduit ses citations sans
à-propos et les multiplie sans ordre et sans mesure. Mais cela em-
pèche-t-il qu'il puisse être Raimond lui-même.»^ Dans les dédicaces
et préfaces dont Hervieux ne refuse pas la paternité à Raimond, ne
le voyons-nous pas invoquer Celui
Qui rupem siccam fundere jussit aquas ,
et produire sans grande raison des vers empruntés aux auteurs mêmes
qui sont le plus souvent cités dans les additions? Il suffit d'ailleurs de
lire ces morceaux préliminaires et aussi le chapitre i, imité plutôt
que traduit de l'espagnol, dans la partie commune aux deux rédac-
tions, pour se convaincre que Raimond était un esprit confus et
mal ordonné. Il faudrait donc des raisons d'une tout autre valeur
pour nous induire à regarder comme des interpolations étrangères
et la phrase de la prélace du ms. 85o5 où il parle lui-même des
additions qu'il a faites au texte et, par suite, ces additions elles-
mêmes. ,;;,
Conformément à l'indication donnée dans cette phrase, les addi-
tions de la rédaction amplifiée sont, dans le ms. 85o4, écrites
en rouge. Hervieux assure (p. 70) que «cette précaution a été fort
« mal observée ». Nous n'avons pas eu l'occasion de vérifier l'exactitude
de cette remarque^'', et Hervieux lui-même, dans son édition, où
il a pris soin d'imprimer en petit texte ce qui n'appartient qu'à la
''' M. Delisle (Journal des Savants, 1898, « vers, les proverbes et les citations ajoutés au
p. 167) dit au contraire que «le scribe a mis «texte primitif». Ce jugement nous semble être
« beaucoup d'attention à écrire en rouge les parfaitement exact.
2/i8 lUIMOND DE BEZIEKS.
rédaction amplifiée, ne signale, si nous ne nous trompons, aucun pas-
sage qui aurait dû être écrit en rouge et l'a été en noir ou réciproque-
ment. 11 est donc très facile, soit dans le manuscrit, soit dans l'édition,
de discerner ce qui appartient proprement au livre de Dina et Calila
et ce qui est ajouté par Raimond. Cela est d'ailleurs rendu plus fa-
cile encore par le ms. 85o5, qui ne contient pas les additions, et
qui est, comme nous l'avons vu (p. iQÔ], copié sur un original, au-
jourd'hui perdu, autre que le ms. 85o4. Cet original contenait-il
également le texte amplifié, avec la distinction des écritures noire et
rouge ?
11 n'est pas vraisemblable, de prime abord, que Ton ait exécuté
deux manuscrits avec un tel luxe. En outre, nous avons vu (p. 2 43)
la preuve que, dans une phrase empruntée à Jean de Capoue, le
ms. 85o5 présentait une rédaction plus voisine du texte de Jean que
celle du ms. 85o4, évidemment remaniée. Il est donc probable que
le ms, 85o5 nous représente le premier travail de Raimond, c'est-
à-dire sa version partielle de l'espagnol achevée à l'aide de Jean de
Capoue et complétée par les pièces préliminaires. Ce travail avait été
transcrit dans un exemplaire destiné au roi, exeniplaire qui a servi de
modèle plus ou moins direct au ms. 85o5, et auquel appartenaient
les miniatures qui ont été par la suite annexées au ms. 85o4 et
d'autres dont le ms. 85o5 nous a conservé seulement les rubriques.
Plus tard, ayant fait à son œuvre des additions qui lui semblaient
en augmenter beaucoup la valeur, Raimond s'est décidé à en enrichir
l'exemplaire royal; il a donc fait recopier le texte primitif et les addi-
tions dans le manuscrit définitif qu'il a offert à Philippe le Bel, en
prescrivant au copiste de tracer en rouge ce qui ne faisait pas partie
du texte primitif et qui avait sans doute été écrit par lui, soit en
marge de son autographe, soit sur des feuillets isolés *'^
Nous ne nous étendrons pas davantage sur les additions répandues
'"' Le ms. 85o5 se termine par une sous- (voir Delisle, /. c, p. i64-5, et ci-dessus,
cription où il est dit que l'auteur a offert ce p. 197). La rédaction simple avait dû être
livre au roi Philippe à l'occasion des fêtes terminée un assez long temps avant l'insertion
de la Pentecôte de l'an i3i.^; mais il est pro- des additions dans le manuscrit qui fut rèelle-
bahle (|ue cette souscription n été composée ment offert au roi non à la Pentecôte de I.^i3 ,
avec des éléments empruntés au ms. 85o4 mais, comme on l'a vu (p. l^i), en i3i4
ou n un manuscrit tout à fait semblable seulement.
RAIMOND DE BEZIERS. 249
dans tout le corps de l'ouvrage, et dont nous avons indiqué le carac-
tère général. Mais il en est qui ont beaucoup plus d'étendue et d'im-
portance, et dont nous devons dire quelques mots.
L'autobiographie de Barzoûyah, dans sa forme authentique trans-
mise du pehlvi à l'arabe et de là à l'espagnol, est, nous l'avons vu, la
très curieuse confession d'un homme à la fois religieux et sceptique,
qui trouve dans la morale l'apaisement des anxiétés de son esprit.
Raimond de Béziers, dans son chapitre m, l'avait à son tour, mais
vaguement (et pour cause), traduite de l'espagnol. Dans sa nouvelle
rédaction, il a transformé Barzoûyah en un pieux chrétien, qui disserte
d'abord sur la foi, l'espérance et la charité, puis, très longuement, sur
l'aumône, et enfin adresse à Dieu une prière en vingt-six vers. Là-
dessus il s'endort et est transporté en songe dans le paradis, dont, au
réveil, il nous décrit en trente et un vers les splendeurs et les délices,
puis dont il nous énumère les habitants en plus de cent cinquante
vers. Dans toute cette longue interpolation, il n'y a que peu de chose
de Raimond : presque tout, prose et vers, est emprunté à des sources
dont il ne nous fait connaître qu'un petit nombre, et qu'on pourrait
sans doute retrouver si une telle recherche valait la peine qu'elle coû-
terait. Le reste du chapitre est encore agrémenté de sentences et sur-
tout de vers, mais il ne l'est pas plus que le reste de l'ouvrage.
Le chapitre i **" (v de Raimond, m de Jean) , où est raconté le procès
de Dina, a subi une interpolation presque aussi étendue. Dina, quand
il est condamné à mort, demande un confesseur, et c'est «l'ermite
« Bérosias » que Raimond fait venir auprès de lui , par une singulière
étourderie, puisque le livre même où figure ce récit est censé avoir
été rapporté de l'Inde et traduit de l'indien par Bérosias. La confes-
sion de Dina, que l'on peut attribuer en propre à Raimond, ren-
ferme quelques traits qui semblent bien être des traits de satire contre
certains ministres de Philippe le Bel, et qu'on est assez surpris de
trouver dans un ouvrage dédié à ce prince'"'. Dans la longue exhor-
'"' Il semble qu'il y ait à la tin une allusion « rialores populi. » — Raimond s'est avisé
aux révoltes qui marquèrent les dernières an- de mettre la scène en pays musulman :
nées du règne , et la dernière phrase , d'ailleurs Dina va en ambassade à Bagdad et au Ma-
rnai placée dans la bouclie du perfide Dina, roc, et, au lien de l'église, c'est la siiiagoga
vise clairement la cour du roi : « Dico quod qu'il s'accuse d'avoir peu fréquentée ; ce mot
« in curia régis non possunt fidèles diu vi- se prend souvent au moyen âge comme syno-
«vere, sed adulatores et bilingues et exco- nymc de mosquée, et c'est sans doute ainsi
Hisr. UTf. — .\x.\iii. .3a
250
RAIMOND DE BEZIERS.
talion que Bérosias adresse à Dina nous remarquons un petit traité
de la confession, avec des vers sur chacun des sept péchés capitaux
et de leurs quarante-deux « collatéraux » ''', qui ne sont certainement
pas l'œuvre de Raimond.
La plus considérable et la plus déplacée des interpolations se trouve
au chapitre m (= vu), qui roule sur la guerre des corbeaux et des
étourneaux (mis ici par Jean de Capoue au lieu des hiboux du texte
original). Elle n'occupe pas moins de quarante-cinq colonnes du
manuscrit. Les corbeaux et les étourneaux se faisant la guerre , un
corbeau joue le rôle de Zopyre dans la légende antique, et se fait
accueillir par les étourneaux, qu'il trahit ensuite au profit de ses
congénères. Lorsque les étourneaux le trouvent tout sanglant et qu'il
leur raconte qu'il est la victime des siens et qu'il veut se venger d'eux,
le roi des étourneaux délibère avec ses trois conseillers pour savoir
quelle créance on doit accorder aux dires du transfuge et quel trai-
tement il convient de lui appliquer. C'est dans la réplique du premier
conseiller qu'est insérée, du folio 84 /' au folio 96 è, l'interpolation
en question. Elle consiste en un traité De Consilio et Consiliariis ,
divisé en dix-sept chapitres , lequel est suivi des chapitres De custodia
persane in guerra constitute, De turribus et altis edificiis, De siiperbia, De
municione, De malis guerre; ces chapitres sont introduits par une
transition d'une remarquable gaucherie : Hec snnt que ego tibi, domine,
consulo in presenti; et quia tu, domine, multnm anelas ad guerram,
vola tibi aliqnid de guerra et persona custodienda in gueiris et contencionibus
declarare (fol. 92 r° a). Il est clair que cette digression n'est ici nulle-
ment à sa place. Mais le plus singulier, c'est que, le roi ayant répondu
à une question que lui adresse l'orateur, on lit ensuite (fol. 98 r° b) :
qu'il faut le prendre ici. Hervieux (p. 53o,
n. 1 ) dit que ce mot « et plus haut consislorio
«semblent indiquer que, comme Jean de
• Capoue, l'aniplificateur était un juif, et dé-
« montrer une fois de plus qu'il ne faut pas
• attribuer l'amplification à Raimond de Bé-
■ ziers,qui était chrétien «.11 oublie qu'il a attri-
bué cette amplification, dont il a fait remar-
quer le caractère dévot, à un moine, à un
• religieux lettré ».
''' Hervieux dit (p. 65) que «le récit est
« interrompu par la description des sept péchés
«capitaux en quatrains léonins au nombre de
0 deux par péché ». Cela est tout à fait inexact :
chaque péché capital remplit un vers, chaque
péché collatéral un; le nom du péché capital
est en tète , le nom des trois premiers et des
trois derniers des six collatéraux de chaque
péché capital est écrit après les trois vers qui
les désignent. 11 aurait fallu disposer et ponc-
tuer ces vers et ces titres tout autrement que
ne l'a fait l'éditeur. Les vers contiennent
nombre de fautes que l'éditeur n'a pas toutes
corrigées ni même remarquées. Nous citerons
seulement nemiiii pour Veneri au vers qui s'ap-
plique à la luxure.
I
RAIMOND DE BEZIERS. 251
Corvus respondit, tandis que celui qui parle est un conseiller du roi
des étourneaux. D'après l'éditeur de Raimond (p. ôgg), l'incohé-
rence et la prolixité de cette intei'polation ne permettent pas de l'attri-
buer à Raimond, et Hervieux est même porté à croire que sur l'œuvre
du premier amplificateur s'en est ici superposée une seconde, qui,
à en juger par sa nature et l'endroit où elle a été intercalée, ne
saurait être attribuée à celui-ci. Nous croyons, pour notre part, que
l'on a ici simplement l'effet d'un désordre qui s'est introduit dans les
notes destinées par Raimond à être incorporées à son travail. Quant
au manque de bon sens et de proportion que dénote cette longue in-
terpolation, nous ne trouvons aucune difficulté à l'attribuer au mé-
decin biterrois. Hervieux n'a pas eu le courage d'imprimer ce fatras,
et, bien que cela soit contraire aux principes qu'il a suivis dans son
édition, nous n'avons pas à notre tour le courage de l'en blâmer vive-
ment. Nous l'aurions plutôt approuvé d'avoir laissé dans le manuscrit
la plus grande partie de l'œuvre qu'il a publiée.
La dernière grande interpolation de Raimond est d'un autre genre.
Elle se trouve dans le chapitre xii*"' (xviii de Raimond, xvi de
Jean *'') , et comprend quatre contes copiés dans la Disciplina clericabs
de Pierre Alphonse, livre auquel Raimond a emprunté, dans tout
le cours de son travail, nombre de sentences et de réflexions morales.
Les quatre contes ne sont pas insérés en bloc, mais sont ajoutés à
quatre endroits difierents du récit primitif.
Telle est l'œuvre de Raimond de Béziers dans la dernière forme
qu'il lui a donnée. Hervieux l'a imprimée tout entière, sauf l'omis-
sion qui vient d'être signalée. Nous ne pensons pas que cette publi-
cation fût bien utile. En ce qui concerne la rédaction simple, le livre
de Raimond, dans sa seconde partie, n'est qu'une copie de celui
de Jean de Capoue avec les modifications de pure forme que nous
avons indiquées : cette partie sera très utile à celui qui donnera de
Jean de Capoue une nouvelle édition fondée sur les manuscrits, mais il
n'était guère nécessaire qu'elle fût imprimée à part. La première partie
pouvait l'être, ayant cet intérêt de nous offrir la traduction, d'ailleurs
'■' Hervienx dit par erreur qu'il y a déjà un conte interpolé dans le chapitre xii (= xvii): voir
Joarn. des Sav., 1899, p. 225, n. 1, et cf. ilnd., p. 587-588.
33.
252 RAIMOND DE BÉZIERS.
bien faible et souvent bien lointaine, du Calila et Dimna espagnol; on
jDOUvait y joindre les pièces préliminaires contenues dans les deux
manuscrits.
Quant à l'amplificalion subséquente, ce n'est guère qu'un cen-
ton de prosB et de vers qui ne méritait pas d'être mis au jour. Il
aurait suffi d'en extraire les quelques morceaux qu'on peut attribuer
à Raimond lui-même (comme la confession de Dina) et d'indiquer
autant que possible, si on voulait faire de laborieuses et difficiles
recherches, les sources où il a puisé.
La publication d'Hervieux est d'ailleurs faite avec conscience et
lui a donné de la peine. Il a redressé un assez grand nombre des
fautes souvent grossières commises presque à chaque ligne par
le copiste du ms. 85o4; le travail lui a été quelque peu facilité par le
uis. 85o5 pour les parties qui sont communes aux deux copies; mais
ce secours lui manquait pour tout ce qui est ajouté dans la rédaction
amplifiée. Il resterait après lui bien des corrections à apporter à ce
texte si fâcheusement défiguré; mais, encore ici, on peut dire que le
résultat ne payerait pas la peine.
L'œuvre de Raimond, depuis que Silvestre de Sacy l'a fait con-
naître, a souvent excité la curiosité des savants : on a cru posséder en
elle un anneau important de la chaîne qui relie le vieux livre pehlvi
venu de l'Inde à la littérature narrative de fEurope moderne. L'étude
attentive que nous en avons faite dissipe complètement cette illusion :
traduit, et très mal, dans sa première partie, d'un original que nous
possédons, copié, dans fautre, d'un livre qui est également entre
nos mains, le Dina et Calila du médecin de Béziers n'a aucune es-
pèce de valeur, sauf celle de pouvoir fournir quelques leçons utiles
au texte du Calila et Dimna espagnol et surtout du Kelila et Dimna
de Jean de Capoue. Maintenant qu'il est publié et connu, il ne sera
plus lu par personne, si ce n'est par ceux qui voudront rééditer fun
ou l'autre de ces deux textes. Quant à la partie personnelle à Raimond,
elle n'a d'intérêt qu'en ce qui concerne sa biographie et ses rapports
avec la maison de France.
Le Liber Dine et Calile ne paraît pas avoir eu de succès. Il n'est cité
par aucun écrivain postérieur. La seule trace d'un intérêt qu'y aurait
pris la postérité est la copie que « monsieur maistre Ymbert Benot »
RAIMOND DE BEZIERS.
253
fit exécuter en 1^96 par maître Guillaume de Vasseni, d'après un
manuscrit qui n'est pas parvenu jusqu'à nous et qui contenait la
rédaction simple. Le manuscrit qui contenait la rédaction amplifiée
n'a sans doute été lu et copié qu'au xix* siècle ^^'.
G. P.
'■' Le roi Jean possédait et avait muni de sa
signature un manuscrit auquel l'inventaire de
la librairie royale lait sous Charles V donne jwur
litre : ■ Le livre de Quilila et Dymas , moralitez
« a propos aux estas du monde • ; le livre était
• rimé et historié • ( voir L. Delisle , Le Cabinet
des manuscrits, t. lll, p. 467). Ce manuscrit
contenait donc une traduction en vers du cé-
lèbre ouvrage. Il a disparu. Loiseleur-Deslong-
champs, qui en a le premier signalé la mention
dans l'inventaire de Charles V [Essai sur les
fables indiennes, p. 22-a3), pensait que cette
traduction avait été « composée probablement
« sur la version de Raymond de Béziers » , et tous
ceux qui en ont parlé après lui l'ont répété , en
supprimant même la reserve indiquée par le
mot « probablement ». Mais les formes Quitila
et Dyma{s) , qui renvoient au Kelila et Dimna
de Joël et de Jean plutôt qu'au Dina et Calila
de Raimond , et l'ordre des deux noms , inter-
vertis dans Raimond , montrent que le poème
français perdu avait pour original la version
latine de Jean de Capoue (voir Journal des
Savants, 1899, P" ^83, n. 1).
r
254 VERSIONS DES VIES DES PERES.
VERSIONS EN VERS ET EN PROSE
DES VIES DES PÈRES.
Sous le titre de Vitœ pat mm, ou, moins correctement, de Vitas
patrum^^\ on désignait au moyen âge les histoires de plusieurs saints
personnages ayant mené dans la Thébaïde la vie ascétique, celles de
saint Paul l'ermite, de saint Hilarion, du moine Malchus, par saint
Jérôme, de saint Antoine, par saint Athanase, évêque d'Alexandrie.
En un sens plus large, on donnait le même nom à des compilations
où à la suite de ces légendes prenaient place celles de femmes qui,
dans la même contrée, s'étaient soumises à une dure pénitence (sainte
Euphrasie, sainte Euphrosyne, sainte Thaïs, etc.), et d'autres écrits
édifiants relatifs aux anachorètes du désert, tels que YHistoria mona-
chorum de Rufm d'Aquilée, les Verba seniorum attribués également à
Rufin, et trois autres recueils analogues et portant le même titre, que
l'on sait avoir été traduits du grec par le diacre Pelage, le sous-diacre
Jean et le diacre Paschasius.
Ces divers ouvrages se rencontrent très souvent groupés dans les
manuscrits du moyen âge. Il en a été formé des recueils qui ont été
imprimés au xv" siècle et au xvI^ Mais ces compilations, soit manu-
scrites, soit imprimées, diffèrent singulièrement par le contenu et par
l'ordre des matières. Certaines sont plus complètes que d'autres. Et
non seulement les livres distincts qui les constituent ne se présentent
pas selon un ordre uniforme, mais, dans certains de ces livres, par
<■' Vitas patrum se lit à la rubrique ini- Un miracle vueil comenchier
tiale ou à la formule finale de divers manu- Que Vitas patrum nous raconte,
scrits, et dans plusieurs anciennes éditions; ,y-^ j^ saint Jean Bouche d'or. v. 16-7. Roma-
voir Rosweyde, Vitee patram, éd. de 1638, nia, VI, 33o! d'. Vil, Coo. )
p. Lx, i.xi, i.xii. Cette désignation a été cou-
rante pendant tout le moyen âge:
En Vitas patrum . un haut livre. ^«'' «". "" ^^ '"''' "^ ♦^^^ .
,^ „ , , . , -, ,» , Que Vitas Patrum est apele.
(Début de la vie de saint Jean Paulus; voir ci- '
après p. 354.) {Witt.deV/addingloa, Manuel det pécha, \. gi-j.)
VERSIONS DES VIES DES PÈRES.
255
exemple dans les diverses collections de Verba seniorum, les chapitres
sont souvent classés d'une manière variable. Rosweyde, qui, en 161 5,
puis en 1628, dans une édition augmentée, a recueilli tous ces textes
en un gros in-folio'*', y joignant de savants commentaires, a le pre-
mier classé les anciennes éditions en trois groupes nettement dis-
tincts'*'. Tout récemment les nouveaux Bollandistes ont, avec plus de
détail et de précision, opéré le classement des mêmes éditions'^'.
Mais le même travail reste à faire pour les manuscrits, et, tant qu'il
n'aura pas été fait, il sera impossible de rendre un compte parfaite-
ment exact des sources auxquelles ont puisé les écrivains en langue
vulgaire qui ont traduit les Vitœ patram ou qui leur ont fait des
emprunts.
Or ces écrivains ont été nombreux et tiennent une place considé-
rable dans la littérature édifiante du moyen âge. La plupart des
auteurs de traités moraux ou théologiques ont parsemé leurs écrits
'"' Vitm patram, de vita et verbis seniorum,
sive Hisloriœ eremiticœ libri X, aactoribus suis
et nitori pristino restituti tic notationibus illas-
traii, opéra et studio Heriberti Rosweydi Ultra-
jectini , e Soc. Jesu, ihcologi. Editio secunda ,
varie aucta et illustrata. Antverpiae, ex ofTicina
Plantiniana. m.dc.xxviii.
Voici l'indication des dix livres. II est bien
entendu que la division en dix livres est ab-
solument arbitraire : I. De Vitis patrum liber
primas, auctore divo Hieronymo et aliis variis,
vies des saints Paul l'ermite, Antoine, Hila-
rion. Malchus, Onuphre, Pacôme, Abraham,
Basile , Ephrem , Siméon le Stylite , Jean l'Au-
mônier, Epictète , Macaire , Postumius , Fron-
, tonius , Barlaam et Josaphat , et des saintes
Eugénie, Euphrasie, Euphrosyne, Marie la
pécheresse, nièce de l'ermite Abraham, Thaïs,
Pélagie, Marie l'Egyptienne, Marine, Fa-
biola , Paule , Marcelle. La vie de Barlaam et de
Josaphat, dont l'introduction parmi les vies
des saints ou saintes de la Thébaïde n'est guère
• justifiée, est donnée par Rosweyde, non pas
d'après l'ancienne traduction, qui remonte au
moins au xil' siècle , mais d'après une traduc-
tion moderne de Jacques de Billy. — II. De
Vitispatram liber secundas , auctore RaJJino Aqui-
leiensi, presbytero. C'est l'ouvrage connu ordi-
nairement sous le nom d'Histori» monachorum
on d' H istoria ère metica. — III. De Vids patrum
liber lertias, aactore Ruffino Aquileiensi, pres-
bytero. Ce sont les Verba seniorum. — IV. De
Vitis patram liber quartas, aucloribus Severo Sal-
pitio et Joanne Cassiano. — V. De Vitis patrum
liber qaintus, auctore gneco incerto, interprète Pe-
laçfio , S. R. E. diacono. C'est un autre recueil
de Verba seniorum divisé en dix-huit lil^clli. —
VI. De Vitis patram liber sextas, auctore grœco
incerto, interprète Joanne, S. R. E. subdiacono.
Troisième recueil de Verba seniorum , divisé en
quatre libelli. — VII. De Vitis patrum, liber
septbnus , auctore grœco incerto, interprète Pas-
chttsio, S. R. E. diacono. Ce sont encore de»
Verba seniorum répartis en quarante-quatre cha-
pitres. — VIII. De Vitis patram liber octavus.
Palladii, Helenopoleos episcopi . . ., HistoriaLaa-
siaca. — IX. De Vitis patrum liber nouas, auc-
tore Tlieodoreto Cyri ep., interprète Gentiano
Herveto. — X. De Vitis patrum liber decimus .
aactore Johannc Moscho, interprète Ambrosio
camaldulensi. — Le contenu de l'édition de
Rosweyde est réparti entre quatre tomes de la
Patrologle latine de Migne (XXI, XXIII,
LXXIII, LXXIV).
<') Prolegomena, xvii-xx; édit. de 1628,
p. Ivij et suiv.
''' Bibliotheca hxtgiographica latina antiquœ et
mediœ œtatis (Bruxelles, 1900-1901), II,
p. 943, sous Patrum vit*.
256 VERSIONS DES VIES DES PÈRES.
d'exemples empruntés aux vies des Pères du désert ou aux Verba
seniorum. Nous l'avons constaté à propos du Manuel de péchés de Wil-
liam de Waddington*'', et on pourrait faire la même remarque
à propos de bien d'autres compositions.
Les vies rimées de saint Paul l'ermite, de saint Jean l'aumônier,
de l'abbé Moïse, des saintes Euphrosyne, Marie l'Egyptienne, Marine,
Thaïs, qui seront mentionnées en un prochain article, ont la même
provenance, puisque les originaux latins de ces légendes sont ordinai-
rement joints, dans les manuscrits comme dans les éditions, aux Vitœ
patram de saint Jérôme et de saint Athanase. Mais, en outre, les an-
ciennes collections de ces écrits ascétiques ont été de bonne heure
mises en français, soit en vers soit en prose.
I. — VERSION EN VERS.
HENKI D'ARCI, TRADUCTEUR.
Les traductions, ou plutôt imitations, en vers sont partielles.
Aucune de celles que nous connaissons n'embrasse l'ensemble ni
même une partie notable des écrits latins qu'on a groupés au moyen
âge et depuis (dans le recueil de Rosweyde) sous le titre général de
Vitœ patrum. Mais il est à croire que nous ne possédons pas tout ce
que nos anciens poètes ont composé d'après ces sources. Plusieurs des
poèmes dont le sujet est pris dans l'histoire des ermites de la Thé-
baïde nous sont parvenus par un ou deux exemplaires seulement, et
il n'est pas douteux que beaucoup ont dû se perdre.
Ici nous devons mentionner en passant le long poème connu sous
le nom de Vie des Pères ou de Vie des anciens Pères , auquel nos devan-
ciers ont consacré une courte notice '^\ et qui, à s'en tenir au titre,
semblerait être une traduction des Vitœ patrum. Mais le titre fait
illusion. Ce poème, qui comprend, dans les manuscrits non inter-
polés, soixante-quatorze contes dévots, est, d'après les dernières
recherches '^^ , l'œuvre de deux auteurs dont le second écrivait peu
après 12^1. Il se compose de deux recueils originairement indépen-
dants, dont le premier contient quarante-deux contes et le second
(■' Hist. lia. de la Fr.. XXVIII, igS, 196, '*' HisL lia. de la Fr.. XIX, 857-861.
aoi, etc. ''' flomania, XIII, 260 et suiv.
VERSION EN VERS DES VIES DES PÈRES. 257
trente-deux. Le premier auteur a conté la vie de Thaïs'*'; l'un et l'autre
ont fait divers emprunts à YHistoria monachorum de Rufin, et de là
vient le titre général Vie des Pères, appliqué à une compilation dont
les sources sont très variées.
Nous passons maintenant à l'examen d'un poème qui appartient
entièrement au sujet étudié dans la présente notice. Il contient la
traduction plus ou moins libre des deux traités, intitulés l'un et
l'a vitre Verba seniorum, qui forment les livres V et VI des Vitœ patrum
de Rosweyde, tous deux traduits du grec, le premier par le diacre
Pelage, le second par le sous-diacre Jean. A la suite vient la vie de
sainte Thaïs '"^'. Il nous en est parvenu deux copies : l'une est à
Paris (Bibl. nat. , fr. •J4862), l'autre à Londres (Musée brit. , Harl.
3 2 53) *^'. Dans la première le traducteur s'est nommé : c'est un cer-
tain Henri d'Arci, qui sera mentionné ultérieurement dans un article
sur les légendes en vers, comme auteur d'un poème sur l'Antéchrist
et de la version d'un apocryphe latin sur la descente de saint Paul
en enfer ''*' . Cet Henri d'Arci était un frère du Temple de la
Bruère, maintenant Bruer Temple, dans le comté de Lincoln. Il nous
le fait savoir au commencement de son poème'*' :
En l'onur Damnedeu, le roi omnipotent,
E de Marie sa duce mère ensement,
E de tuz seinz e seintes comunement,
Dirai vos un sermun que ci truis en présent :
Ço est de Vitas patrum, issi cum je l'entent,
Que translaté fu par divin aspirement
Al Temple de la Bruere tut veraiment.
Nient pur les ciers, mes pur la laie gent.
A la fin de la vie de Thaïs, il se nomme et donne quelques indi-
cations sur la façon dont il a accompli sa tâche :
Henri d'Arci, frère del Temple Salemun,
Pur amur Deu vus ai fet cest sermun :
A vus le présent e as frères de la maisun.
Ne quer loer de vus, si bone volonté nun;
'■' Ci-après, p. 375. XXXV, i" partie, iSy et suiv. (Notice sur le
''' Rosweyde, p. Sy/i. ms.fr. 2i862 de la Bibliothèque nationale).
''' Des morceaux tirés de ces deux copies <' Ci-après, p. SSg et 372.
ont été publiés dans les Notices et extraits. '^' Ms. de Paris , fol. 60.
UIST. LITTÉn. — WMII. 33
9,58 VERSION EN VERS DES VIES DES PERES.
Mes ore larrai l'escrire , par le vostre congié ,
Ke le mielz de l'essamplere ai enromancié;
Mes asquanz des chapitles ai je enticlessié ,
Ces en qui je ne vi g[u]eres d'utilité.
II annonce ensuite l'intention de mettre en français « la venue de
« l'Antéchrist », et le récit « des peines que saint Paul vit en enfer ». Les
deux poèmes qu'il a composés sur ces sujets font suite à la vie de
Thaïs dans le manuscrit de Paris.
Comme on l'a vu par les vers précités, Henri d'Arci n'a pas cru
devoir traduire tous les chapitres des Verba seniorum. L'ordre des
chapitres traduits n'est pas exactement le même que dans l'édition de
Rosweyde, mais il n'est pas prohable que le traducteur ait introduit
de son chef aucun changement. On sait que les manuscrits des Verba
seniorum , comme ceux de VHistoria monachorum deRufm, présentent,
dans l'ordre des chapitres, de nombreuses différences. La traduc-
tion est d'un style pénible, et la langue, comme aussi la versification,
présente les incorrections qu'on rencontre dans les œuvres les plus
médiocres de la littérature anglo-normande. On s'en convaincra par
les extraits qui en ont été publiés dans la notice du ms. fr. 24862 à
laquelle nous avons renvoyé dans une note précédente. Nous ne
savons sur Henri d'Arci rien de plus que ce qu'il a bien voulu nous
dire de lui-même. Sa langue et sa versification nous portent à croire
qu'il écrivait dans la seconde moitié du xiii' siècle.
II. — VERSIONS EN PROSE.
WAUCHIER DE DEMAIN, TRADUCTEIR.
Les traductions en prose paraissent avoir été plus goûtées. Nous
en connaissons quatre, qui diffèrent très notablement, et de chacune
desquelles nous possédons plusieurs copies. Nous les examinerons
suivant l'ordre chronologique.
Nous étudierons en premier lieu l'œuvre d'un traducteur qui, par
une heureuse et trop rare inspiration, nous a fait connaître son nom
et son surnom, et qui, de plus, nous a, dans son prologue, appris
pour qui et, par suite, à quelle époque il écrivait. Cet écrivain s'ap-
pelait Wauchier de Denain. Il fil sa traduction pour Philippe, niar-
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
259
ffuis (le Namur, mort en 1312. Les passages où ces précieuses notions
nous sont données seront imprimés plus loin .
Présentement, il convient d'énumérer les écrits latins qui ont été
translatés par ce Wauchier.
Le manuscrit dont nous nous servirons est un gros livre en
])archemin, composé de cent quarante feuillets à deux colonnes,
exécuté vers le milieu du xiii* siècle '''. Il est conservé à la Bibliothèque
de Carpentras, sous le n" AyS'^'. C'est, à notre connaissance, le seul
manuscrit qui renferme, sinon la totalité, du moins la plus grande
partie des traductions faites par Wauchier. Nous verrons plus loin
que quelques-unes se rencontrent, mêlées à des écrits d'une autre
origine, en certains légendiers français du xiii* ou du xiv" siècle.
Nous verrons aussi qu'il existe, en dehors du manuscrit de Carpen-
tras, quelques traductions et compositions variées qu'il est légitime
d'attribuer au même écrivain. Nous commencerons notre examen
par les ouvrages que renferme le manuscrit de Carpentras et dont la
liste suit :
1 . La vie de saint Paul l'ermite, par saint Jérôme ;
2. La vie de saint Antoine, abbé, composée en grec par saint Athanase, évoque
d'Alexandrie, mise en latin par le prêtre Evagrius;
3. La vie de saint Hilaiion, abbé, par saint Jérôme;
i. La vie de saint Malchas, le moine captif, par saint Jérôme;
5. La vie de Paul le Simple , ermite , ch. xxxi de VHistoria monachorum de Rufin
d'Acpiilée ;
6. Les livres I et III du Dialogue de saint Grégoire le Grand;
7. Ij Historia monachorum de Rufin d'Aquilée, moins quelques chapitres;
8. Les Verba seniorum de Rufin d'Aquilée.
'"' Les versions dont nous avons à nous oc-
cuper sont comprises dans les cent vingt-neuf
f)remiers feuillets. Vient ensuite (fol. lag-i^o)
a Conception de Wace. Les feuillets qui suivent
appartiennent à un autre manuscrit (l'écriture
est sensiblement différente) et contiennent
une grande partie de la version anonyme
en vei-s de Barlaam et Josaphat. Le premier de
ces deux manuscrits reliés en un volume (ou
du moins la partie qui renferme les traductions
faites par Wauchier) a dû être fait pour une
dame, car on lit dans la marge inférieure du
foL 1 ag recto les quatre vers qui suivent :
La Jame de qui est cest livre
A grant Iionor puisse elle vivre,
Et li maistre qui l'a escrit
Ja il n'et honte ne despit.
Dans nos citations nous nous référerons à
l'ancienne |)agination (en chiffres romains)
du manuscrit, la pagination moderne étant
erronée.
''' D'après le nouveau catalogue {Catalogue
général des manuscrits des Bibliothèques publiques
de France, t. XXXIV); c'est le n°465 du Cata-
logue des manuscrits de la Bibliothèque de Car-
pentras par Lamherl (Carpentras, 1863).
33.
260 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
Reprenons une à une ces diflférentes parties de la compilation de
Wauchier.
1 • La vie de saint Paul l'ermite et celle de saint Antoine ont été
détachées de l'ensemble que nous offre le manuscrit de Carpentras,
et ont pris place dans un légendier français, formé d'éléments divers,
qui est conservé, depuis un siècle, à la Bibliothèque impériale de
Saint-Pétersbourff, et dont une analyse détaillée a été donnée dans
les Notices et extraits des manuscrits, XXXVl, 67 7-7 1 6 ''l
Le prologue qui précède la vie de l'ermite saint Paul paraît s'appli-
quer à l'ensemble des traductions que renferme le manuscrit de Car-
pentras. L'auteur y insiste sur l'utilité qu'il y a à entendre conter
les vies des saints. Les termes dont il se sert indiquent clairement
qu'il écrit pour des gens qui entendent lire, mais qui ne lisent pas
eux-mêmes. Le même prologue se termine par un passage qui est
diversement corrompu dans le manuscrit de Carpentras et dans celui
de Saint-Pétersbourg, mais d'où il résulte clairement que Wauchier
a entrepris la série de traductions qui commence par la vie de Paul
l'ermite à l'instigation de Philippe, comte de Namur, fils de Bau-
douin, comte de Hainau et de Flandre, et de Marguerite, comtesse
de Flandre.
Philippe de Namur étant décédé en 1 2 1 2 , le traducteur a dû se
mettre à l'œuvre avant cette date. Toutefois, les termes dont il se sert
indiquent qu'au moment où il écrivait son prologue Philippe ne
vivait plus.
Voici ce prologue, avec le commencement de la vie rédigée par
saint Jérôme :
Ci comence a dire de saint Pol l'Ermite, le premyer ermite qui uiKjaesfu
(2)
A cex qui volentiers oient et entendent les escritures doit l'en conter les anciens
faiz ou l'en puet bon[e]s essemples ''' prendre, et les vies des sainz pères, si que la
mémoire de lor bonnes ovres poist lor cuers ratendrir et radocir et ensevir les ovres
par que l'en puet venir a la miséricorde de Dé, ce est a la vie parmenable; mes a
ceis qui de ce n'ont cure ne fait mie bon parler de lui ne de cels qui les ovres ont
ensevi de bien faire, quar cil qui de Dé n'a talant ne donroit gaires de ses sainz.
'"' La vie de Paul l'ermite occupe dans ce le même manuscrit, est ajouté en écriture cur-
manuscrit les feuillets 80 à 83. sive de In fin du xiil* siècle.
'*' Ce titre, comme tous ceux que renferme ''' Ms. essemplaif.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 261
El por cex'" ne conte l'en mie les dolces paroles ne les granz faiz ne les dures vies que
li saint home ont menées ça en arrière et menront encor por lor enmes sauver,
quar ce seroit perdue chose, por ce qu'entendre ni vorroient, quar l'en dit, et voirs
est, que parole est perdue qui n'est entendue de cuer. Mes a cels qui l'entendent
volentiers vodrai je conter, por ce qu'il i praignent bones essamples et retiegnent, les
vies des sainz pères que li bons cuens Pinlippes, marchis de Naimur, qui fu fil
Baudoin, le bon conte de Flandres et de Haino''^', [et] la bonne contesse Margarite,
qui les'^' a faites translater '*' de latin en ronmanz, après saint Jeroime, qui ensint
conmence.
Entre '^' les plusors a esté mainte questions sovent et mainte dotance qui premiers
conmença religion d'ermitage. Li plusor, qui darriere venoient et hâtivement'*''
voloient enquerre et demander, disoient qu'ele commença d'Elie lo prophète et de
saint Johan Baptiste; mes Helyes, selon ce qu'il nos semble, fu plus que moines ne
hermites, et '"'sainz Johans ausint, quar il commença a prophetizir, si conme l'Es-
criture testemoigne, très cpiil estoit el ventre sa mère; et por ce di je qu'il fu pro-
phètes et plus que hermites. \A autre dient et alTerment, et li pueples s'i asent plus,
que sainz Anlhoines fu chiés et coiimencement de cest huevre; et c'est veritez en
partie, et il ne fu pas tant devant toz les autres hermites com il conmença devant
toz'*' a faire et a ensevre les ouevres d'ermitage. Amatas et Macharies, qui furent
deciples saint Hîinthoine et qui l'ensevelirent et enfuirent , dient et tesmoignent que
sainz Pois, qui fu de Thebcs nez^'', conmença premiersla règle et les ouevres d'ermites
a faire, et si dient et racontent plusors choses qui li avindrent et qu'il solfri, dont
oiseuse chose seroit de raconter, la ou il habitoil en une fosse , et que lor chevox
les couvroient jusque a terre, ne n'avoient autre vesteùre ''•". Et por ce vos recon-
lerons nos de lui et de sa vie un poi, et si lairons a dire de saint Antboine très
qu'a tant que nos en dirons et conterons plus ententivement'"'.
'*' Lems.de Saint-Pétersbourg porte ce, qui hautement, dans le latin altius, mal compris,
détruit le sens. Saint-Pétersbourg : Li plusor qui ça arrier huu-
'*' Ms. baino. tentent voloient enquerre. . .
•'' Il faut, croyons-nous, supprimer qui les. <'' Carp. ajoute que.
''' Voici la leçon, évidemment corrompue, '*' Toz manque dans Carp.
du ms. de Saint-Pétersbourg :«... por ce qu'il '*' Carp. nos; corrigé d'après Saint-Péters-
• le relaignent et bons examples i praignent , si bourg ; latin : « Paulum quemdam Thebaeum
«cum li bons cuens Phelippes de Namur mar- «principem istius rei fuisse. »
■ tyrsles a faiz translater »( iVo<ices et extraits, '"' Le traducteur a omis intentionnellement
XXXVI , 685). cette phrase : « Quorum, quia impudens men-
''' Ici commence la traduction du texte de « dacium fuit , ne refellenda quidem sententia
saint Jérôme , dont voici les premières lignes : « videtur. »
« Inter multos sœpe dubitatum est a cpo potis- '"' Saint-Pétersb. entérinement, qui parait
«simum monachorum eremus habitari cœpta préférable. Ici le traducteur s'éloigne du texte :
«sit. Quidam enim altius repetentes, a beato saint Jérôme dit au contraire expressément qu'il
• Elia et Joanne sumpsere principium. Quorum n'a pas l'intention d'écrire la vie de saint An-
«et Elias plus nobis propheta videtur fuisse toine :« Igitur, ^uia c?e Antonio <am ^rœco ^uani
• quam monachus, et Joannes ante prophetare iromano stylo dili(ienter memoriœ traditam est,
«cœpisse quam natus est » (Rosweyde, «pauca de Pauli principio et fine scribere dis-
p. i7;Migne, Pair. /at.. XXIII, 17). «posui, magis quia res omissa erat quam fretus
'*' //a<ivenienf est une mauvaise leçon pour «ingenio. >>
262 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
Maintes '" églises furent degastées par la tempeste de IV^nnemi en la terre d'Egypte
et de Thebes, au tens que Decies et Valeriens estoient emperaor a Ronme, qui
saint Comille martirierent et saint Cyprien en la cité de Cartage; et en cel tens
voloient li crestïen por Nostre Seignor morir et desirroient <•'' par martyre, mes li
enemis ne'*> voloit mie que cil qui desiroient morir por Nostre Signor fussent main-
tenant ocis, enz voloit qu'en lor feïst griés tormenz et Ions martires solfrir, por ce
([«'il se repentissent de la bone pensée ou il estoient, quar il ne voloit mie avoir lor
cors, mes les âmes, ensi '*' com saint Cypriens dist et testemoigne, qui demostre
|en] escriture, qui dist : « A cels qui morir voloient ne losoit il mie reçoivre la mort. «
On peut voir par ce court morceau que le traducteur ne se piquait
pas d'une parfaite fidélité au texte. H y a même chez lui des inexacti-
tudes voulues, comme lorsqu'il atténue de propos délibéré la défiance
que saint Jérôme exprime à l'endroit de la vie de saint Antoine, con-
sidérée comme indigne de créance : il ne pouvait pas jeter la défa-
veur sur des récits qu'il allait traduire ou qu'il avait même déjà
traduits. Wauchier écrit d'un style simple, parfois familier, et en
somme approprié à la lecture publique; mais il était peu instruit. On
peut relever dans son œuvre bien des faux sens, bien des interpré-
tations incorrectes de noms de lieux. Ainsi il traduira ces mots du
chap. IV : Paulas. . .apud injenorem Thebaidam. . .relictus est, par
« Messire sainz Pois li hermites estoit remés a Thebes la petite^^^n. On
pourra noter dans la suite beaucoup d'inexactitudes de ce genre.
Nous citerons encore la fin de la vie, parce que le traducteur y
introduit quelques traits qui lui sont propres:
[Fol. vb ) Après ce que la nuit fii trespasée et li autre joiz repariez, sainz An-
thoines prist la cotte saint Pol qu'il a <*' fait[e] et entesue <^' de fuelles de paumier; et
puis s'en repaira a son luec et conta a ses deciples tôt par ordre ensi con li estoit
avenu; et bien sachiez que au jor de Pasques et de Pentecostc vestoit il adès celle
vesteûre saint Pol, quar il la tenoit en grant chierté et en grant veneracion. Ainsi
lina saint Pol, li premiers heraiites, con je vos ai conté et dit, et fu enseveliz et
mis en terre par les mains de saint Anthonne,qui molt fu prodom , et encore est de
grant mérite envers Nostre Seignor'*'. Et que feront li riche qui ont les granz pa-
trimoines et les riches palais et les cointes aorncmenz de diverses menieres, quant
'"' Carp. Saintes {faute du rubricafeur). '*' Corr. qu'il ol? Latin : • c|unm in sportii-
''' Plus clairement, dans Pétersbourg, en « i-um modum de palmarum foliis ipse sibi con-
cel tens desirroient li crestïen et voloient morir. «texuerat. »
''' Carp. nel. ''' Et entesue écrit sur grattage.
'*' Carp. et si. ■'' Cette phrase est du traducteur. Rien de
'*' Ms. de Carpentras, fol. ij a. tel dans Je latin.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
263
cil lu toz tens en tel vestciire com je vos ai dit, faite 'i' defuelle, et li seinbloit que
nulle rien ne li defaillistP Li riches boivent as riches henas les bon[s] boivres, et cil
bevoit a ses nues mains les aiguës des fontainnes et des ruissels. Mes encontre
ce est paradis aovert a celui qui povres estoit , et enfers recevra cels qui sont doré et
des granz richeces plain, qui n'ont de Dieu cure. Se[i]nz Pois gist povrement ense-
veliz en sa fosse, coverz de sablon et de terre, et de la se lèvera il et venra son
cors proprement en parmenable gloire; et cil sont couvert en lor tonbes de granz
pierres, qui ardront ensemble ex et ensemble lor pierres et lor maies ou[e]vres'^> el
parmenable feu. Miclz venroit qu'il esparnasent lor granz richeces, qu'il on[t] tant
aenmées, et si n'ensevelissent pas lor cors de riches dras, mes douassent por Deu;
quar ausi plainement porrissenl les cors qui sunt es dras de soie con il feroientt^'
en la pure terre; et qui conques list ceste vie, si li souviegne de saint Jeroime
qui dist que, se Nostre Sires li donnoit qu'il peûst eslire a sa volenté et prendre, il
esliroit ainçois et prendroit la coite saint Pol, ensemble ses désertes, que toz les
dras de soie de rois qui sont, ensemble lor roiaumes. Ainsi define de nionseignor
saint Pol, et si commence après de monseignor saint Anthoine'^'.
C'est bien plutôt une paraphrase qu'une traduction.
2. Les derniers mots, ajoutés par le traducteur, annoncent la vie
de saint Antoine, qui en effet prend ici place dans le manuscrit de
Carpentras. L'original est la traduction latine faite par Evagrius du
texte grec d'Athanase. Omettant le prologue d'Evagrius et celui
d'Athanase, Wauchier commence ainsi **^ :
Ci comence la vie monseygnor sayni Anthoyne.
{Fol. V d) Mesire sainz Anthoines fu nez d'Egypte, si ot un mult haut home
a père et mult haute dame a mère, et de grant religion plainne. Si fu gardez et
'"' Carp. quant cil qui fu losteiis eu tel me-
niere . . . fere. Corrige d'après S'-Pétersbourg.
'*' Pétersb. qui ardront ensemble aus et en-
samhle lor oevrcs.
''' Pétersb. car ausi porrissent li cors des ri-
ches genz en dras de soie com en.
'*' Voici la fin du texte latin :
« Libei in fine opusculi eos interrogare qui
sua patrimonia ignorant, qui domos marmo-
ribus vestiunt, (|ui uno filo villaruni insuunt
praedia. Huic seminudo quid unquam defuit?
Vos gemma bibitis; ille concavis mnnibus sa-
tisfecit. Vos in tunicis auruni texitis; ille ne vi-
lissimi quidem indumentum habuit mancipii
vestri. Sed e contrario illi paupemdo paradisus
patet; vos auratos gehenna susripict. IHe ves-
tem Christi, nudus licet, tamen servavit; vos
vestiti sericis indumentum Christi perdidistis.
Paulus vilissimo pulvere coo[)ertus jacet resur-
recturus in gloriam ; vos opei'osa saxis sepuicra
premunt cum vestris opibus arsuros. Parcile ,
quaiso vos, parcite saltem diviliis quas amatis.
Cur et mortuos vestros auratis obvolvitis vesti-
bus? Cur ambitio inter luctus lacrymasque non
cessât? An cadavera divitum nisi in serico pu-
trescere nesciunt? Obsecro, quicunque hiec
legis, ut Hieronymi peccatoris memineris, cui
si Dominus optionem daret, multo magis eli-
geret tunicam Pauli cum meritis ejus quam
regum purpuras cum pœnis suis. »
'*' Rosweyde, éd. de 1628, p. 36; Migne,
Patr. lut.. lAXIII.col. 127.
264 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
norriz par si grant anior et par si grant diligence et par tel cure qu'il ne quenois-
soit nulc rien se son perc non et sa mère et la maisnie de sa maison. Et quant il
fu onfes, unques ne fu ensiniez ne apris ensemble autres anfanz de fables que
l'escriture contoit, que li poète avoient lait et c'onlisoit es escoles"*. Mes il, qui estoit
ententis a totes bones buevres, demoroit toz tens et arestoil en maison sanz faire
nule folie ne nule mauvaise anfance, et mult sovent aloit a l'igliese ensemble son
père et sa mère, ne ne sivoit unques les anfanz qui estoient de son aage de faire
enfances. Mes les cboses con ii conseilloit en sainte Iglise, qui au salu de femme
estoient et au profit des conmandemenz , gardoit il et retenoit en son cuer, et ert
mult humilianz et obedianz a som père et a sa mere'^'; ne unques n'enoia a cels
qui ensemble lui estoient, si con li plussor enfant suelent faire qui sont norri doce-
ment [fol. vj) et soef; n'onques ne demanda nulles viandes si non celés qui apa-
reillies li furent, ne ne requeroit autre[s] choses que ce c'on li donnoit, et ce li sofi-
soit mult bien.
La traduction est par place très abrégée. Le long sermon d'Antoine
aux frères qui étaient venus l'entendre (ch. xv-xx) a été allégé d'un
grand nombre de préceptes moraux. Wauchier résume le texte en peu
de lignes, où il ne conserve guère que ce qui était de nature à frapper
l'imagination populaire :
[Fol. X d) Après lor commença a sarmoner mult longuement et a mostrer la
voie de salu en totes menieres que bon ior estoit, et lor traboit''' avant les autoritez
des évangiles et les escritures des profetes, et lor disoituncore qu'il se gardassent des
agaiz au diable, quar ii enemi se tresmuoit en plusors menieres de bestes : en ors,
en lions, en serpenz et en formes de bêles damoiseles por deçoivre cex qui a la
hauteco des cielx s'atendoient ; et si lor disoit encore : « Hé ! mi biau frère , par quantes
« menieres et sovent li deable sunt venu a moi , ausi com cbevalier armé , sor escor-
« pions qu'il cbevachoient , et si amenoient serpenz et bestes de diverses menieres,
« tcmt qu'il nemplissoient et avironnoient tote la maison ou je estoie, [fol. xj) et
« quant je les v[e]oie en tel meniere, je disoie : Hii in curribus et hii in equis, nos
« aatem in nomine Domini nostri magnijtcabimur[ys. xix ,8] ; tantoit com je avoie ce dit,
« il estoient chacié en voie par la haute miséricorde de nostre seignor Jbesu Crist'*'. »
La vie de saint Antoine est incomplète dans le manuscrit de Car-
pentras par suite de l'enlèvement du feuillet xxiij, qui contenait la
fin de la vie (chap. lx-lxii) et le début de la vie de saint Hilarion.
'•' Latin : «Et cuni jam puer esset, non se '"' Ms. trohait.
«littcris erudiri, non ineptis infantiutn jungi ''' Cf. le texte latin, ch. xx (Rosweyde,
« pasius est fabulis. » P^g^ 4^)- H y *"*' bien question de ce»
'*' Latin : « Sed tantuin ea quac legehantur apparitions fantastiques, mais il n'est pas dit
«auscultans, utilitatem praBceptonim vita; in- que les diables fussent à cheval sur les scor-
« stitutione servabat ». pions.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 2(55
Mais nous en possédons trois autres copies, insérées clans des recueils
de vies de saints en français, à savoir dans le manuscrit précité de
Saint-Pétersbourg''', qui contient aussi la vie de saint Paul, et dans les
manuscrits 807 d'Arras et B. 2. 8 de Trinity Collège, à Dublin. Dans
ces deux dernières copies la vie est incomplète du début, par suite
de la perte des premiers feuillets'^'.
3. La vie qui suit, dans le manuscrit de Carpentras, est celle de
saint Hilarion , dont le commencement a disparu avec le feuillet xxiij ^^K
Elle est traduite de saint Jérôme'*', comme celle de Paul l'ermite.
Nous possédons de la même traduction deux autres copies, insérées
dans des recueils de vies de saints en français : Bibl. nat., fr. 23 1 1 2 ,
fol. 274; Arras 807, fol. 84 (où le début manque par suite de la
perte d'un feuillet). On verra, parles premières lignes que nous
citons d'après le manuscrit 23 1 1 2 , que le traducteur a omis le pro-
logue de saint Jérôme :
Sains Hylaires fu nés de Tabathe, de une vile qui près est a .y. liues d'une chité de
Palestine qui Gase estoit apelée. Il avoit père et mère qui saiTazin estoient et qui
les ydeles aoroient, mais il n'ensivi mie ior loi ne ne tint lor créance, ains fu le rose
bêle qui douche et souef ist de l'espine. Ses pères et se mère l'envoierent en Alixandre
pour gramaire iiprendre. La aprist il et fu de molt bon engien si com jones enfes,
car adont estoit il encore de molt petit aage. Molt estoit saiges de parler, et de totes
gens amés en s'enfance, et si creoit en nostre seigneur Jhesu Criit, qui plus grans
cose estoit que toutes les autres. Il n'avoit cure de vanités ne de gex ne des luxures
que li autre enfant demenoient, ne ne s'i delitoit mie, ains estoit s'entente et se
volentés de bien faire et d'aler a sainte Eglise. Adonc, en cel tempoire, 01 cil joven-
ciaus parler de [saint Antoine de] oui li bons renons couroit par toute les contrées
d'Egypte, et molt bons talens li prist de lui aler veïr el désert. . .
En l'état actuel, la vie de saint Hilarion commence ainsi dans le
manuscrit de Carpentras :
[Fol. xxiiij) qui mult dolenz en estoit; et que faisoit li bons jovenciax de
<"' Voir la notice de ce manuscrit dans les S ^, et le ms. aSiia, fol. 27/» c) : «nuz, ne
Notices et extraits , XXXVI , 688. « n'avoit vestu qu'un sac tant solement , dont il
'*' Dans le ms. d'Arras (Romania, XVII, « covroil ses membres, et une pel que sainz
38o), le texte commence au chap. iv; dans le "Aiitoines li avoit donée. Ce a
ms. de Dublin, au chap. xi. « quar ses » Nous imprimons en italiques
'^' 11 subsiste du fol. xxiij un débris où l'on les parties restituées,
peut lire , au verso, ces mots qui appartiennent >'• Rosweyde, éd. de i6?,8, p. 76; Migne,
à la vie de saint Hilarion (cf. le texte latin, Pair, lut., XXill, 3o.
HIST. LITTÉR. — XWIU. 34
266 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
ccstes {sic) chose? Il ert mult corrocyez a lui meïsmes quant il pensoit a nul délit
terrestre; si se feroit del poing cl piz nu»i con s'il peïist les maies pensées fors de son
cors mètre par batre, et disoit a sa char qu'il la jostiseroit si de fain et de soif qu'ele
n'avroit cure de révéler, et qui jostiseroit si par chalors et par froidures qu'ele pen-
seroit ençois a la viande qu'a joliveté ne a folie. Dont conmença li sainz si dure vie
qu'il ne menjoit s'au tierz jor non et au quart tant solement por sostenir sa vie et son
cors ensemble, et adonc ne menjoit il si jus d'erbes non et petit d'eschalonges.
La vie de saint Hilarion se termine, à la façon d'un sermon, par
cette phrase qu'ajoute le traducteur :
[Fol. xxxvij) Ainsi trespassa li sainz boni de ce[s]te mortel vie, et fu en joie
parmenable ; ou Dex nos dont toz parvenir '" par sa doçor et par sa miséricorde. Amen.
Nous retrouverons plus loin des conclusions de ce genre. Tout
montre que la compilation de Wauchier, composée de parties faciles
à détacher, était en un certain sens un recueil de lectures édifiantes.
k. À la vie de saint Ililarion fait suite, dans notre compilation, la
traduction d'un autre écrit de saint Jérôme, la Vita Malclii, monacin
caplivi^^\ Cette traduction est, comme celle des écrits précédents,
assez libre. Jérôme nous dit, en son prologue, avoir composé cet
opuscule comme préparation à une œuvre plus grande : l'histoire de
l'Eglise depuis l'époque apostolique jusqu'à son temps. Use compare
aux marins, qui, avant de livrer des combats en haute mer, s'exercent
dans le port, en eau calme, à la manœuvre navale. Cette comparaison ,
assez fidèlement traduite dans une compilation dont nous traiterons
plus loin, a été entièrement laissée de côté par Wauchier, qui lui
substitue un lieu commun sur l'utilité de mettre en pratique les bons
enseignements que notis donnent les pieux écrits. Voici le début :
{Fol. xxxvij b) S. Jberoimes nos raconte et dit que ci! qui ot es saintes escritures
lo bien conter et dire lo devroit retenir en sa mémoire et ensivir par ses ovres; et
por ce nos dist sainz Jeroimes .j. aventure qu'il vit, que li plusors i praignent es-
semplc. Il conte qu'il esloit une foiz en une vile qui près estoit d'Antioche .\\x. miles;
celé vile si ert Romanias apelée, et n'ert mie molt grant; la trova il un viel home
qui Malcus avoit non, et bien sembloit qu'il fust de la contrée par nacion et par
langage. Une famé estoit ensemble lui, mult vielle et de grant aage, et si ert
'"' Ms. a3ii2 (fol. 285 c) et fu portés ses '*' Rosweyde,éd. de ibsS, p. 9^: Migne,
efpris en j. p.; ou D. n. vnele tons mètre. Patr. lut., XXII I, ^f).
i
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 267
conbrisiée par viellesce qu'il sembloit que la morz lui fust inult prochaine. Cil viex
honi et celé vielle famé, fait sainz Jeroinies, se maintenoient en tel manière et tel
religion qu'adès estoient au mostier et faisoient lor oroisons et lor proieres a Nostic
Seignor. . .
La vie de Malchus se termine connue un sermon :
[Fol. xlj h) Quar li hom qui s'est donez a Nostre Seignor et ses ovres velt ensivir
puet bien morir et trespasser de ceste vie, mais il ne puet mie legierement est[re]
Surmontez a choses faire qui li toUent la vie parmenable, et a celi vie nos dont
parvenir ensemble qui vit et règne par tôt les siècles des siècles. Amen "'.
La vie de Malchus, fait prisonnier par les Sarrasins, marié contre
son gré, par son maître, s'évadant à grand'peine et au prix de mille
dangers, avait de quoi exciter la curiosité naïve des gens du moyen
âge, et nous nous étonnons qu'il ne se soit pas rencontré un trouvère
pour en tirer la matière d'un édiliant roman d'aventure ^^'. Mais du
moins a-t-elle été plus d'une fois mise en prose française, comme on
le verra dans une autre notice. La version la plus ancienne, celle de
Wauchier, paraît avoir été goûtée, car elle a pris place dans plusieurs
légendiers français, à savoir dans le manuscrit Soy d'Arras'^', puis
dans quatre manuscrits qui appartiennent à un même groupe :
Musée brit., Addit. 17276, art. 119; Bibl. nat., fr. i85, art. 69;
fr, i83,art. 55(*'; Bibl. roy. de Belgique, 9226, fol. 178 v".
5. La vie de Paid le Simple, qui vient ensuite dans le manuscrit
de Carpentras, est la traduction du chapitre xxxi de VHistoria mona-
chomm de Rufin '^l Elle a eu le même succès que celle du moine Mal-
chus, car elle lui fait suite comme ici dans les mêmes légendiers ^^'.
De Pol le Simple (fol. xljc).
Uns hom fu en celé contrée ou sains Anthoines abitoit; si ert apelez Pous par
non, et en somon Simples. Cil hom se rendi en moniage; si vos dirai i'ocoison. Il
'■' Il y a seulement dans le latin : «... et '^' Bomunia. XVII, 79.
«hominem Christo tledituni posse mori, non ''> Pour ces trois manuscrits, voir Notices et
« posse superari ». extraits, XXXVI, 456 [Notice sur trois légen-
<*' Elle a été paraphrasée en vers latins; diers français attribués à Jean Belet).
voir Hist. lilt. de la Fr. , IX, 1 71 ; X, 334; '*' Rosweyde, p. Z|83 ; Migne , Putrol. lut..
Th. Wright, Bio<fraphia hritannica literaria, XXI , 457.
II, 78. — On sait que La Fontaine a traité '"' Notices et extraits, notice précitée; voir
en vers l'histoire de saint Maichus. aussi Bibl. roy. de Belgique, 9225, fol. 180 v".
34.
268 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
avoit famé, je ne sai s'ele ert laide ou bêle, quar ï'estoire ne le devise mie; mes ele
entendi tant qu'ele ama") autrui que son mari; et tant ala la chose que Pous le
Simples, ses barons, latrova et vit a ses propres iauz que elle avoit a son enmi
charnel compaignie, dont Dex desfende tôles autres dames! Quant Pous li Simple
vit ce, unques n'e[n] fist semblant ne ne lo dist a home n'a famé. Adont issi fors de
la maison toz dolanz et plains d'ire; et por la grant tristece qu'il avoit en son corage
s'en ala il el désert, ne ne dist a nelui ou il devoit alcr. Et quant il fu el désert entrez,
il ala amont et aval mult dolanz et mult angoissox, tant qu'il parvint a l'abaïe saint
Anthoine, qui adonc esloit encor en vie. Dont parla a lui, si li dist la confesse de
ce qu'il avoit veù, et li proia por Dieu qu'il li ensinast la voie de salu et la meniere
conment il se porroit salver, que jamais ne relorneroit ariere. Sainz Anthoines
lo regarda; si lo vit de simple nature; si li respondi et dist que bien se porroit salver
a la parfm, si voloit obéir au[s] corunandemens de son maistre, quar mult est
halte chose d'obédience : par li porroit il venir a vie parmenable. . .
On reconnaît à première vue que nous avons affaire à une version
fort libre. Le style en est aisé et même ne manque pas d'une certaine
verve; çà et là le traducteur ajoute à son original certains traits qui
sont peu en rapport avec la gravité du récit de Rufin, par exemple
lorsqu'il introduit une incidence pour nous dire que le texte (^ï'estoire)
ne nous apprend pas si la femme de Paul était belle ou laide. Voici du
reste le latin :
Fuit quidam, inter discipulos sancti Antonii, Paulus nomine, cognominatus
Simplex. Hic initium conversionis su£c hujusmodi habuit. Gum uxorem suam oculis
suis cum adultero cubantem vidisset, nulli quidem dicens , egressus est domum , et,
mœslitia animi tactus , in eremum semetipsum dédit, ubi, cum anxius oberraret,
ad monasterium pervenit Antonii, ibique ex loci admonitione et opportunitate con-
silium cepit. Cumque adisset Antonium ut iter ab eo salutis inquireret, ille intucns
hominem simplicis naturœ esse, respondit ei ita demum eum posse salvari si bis
quœ a se dicerentur obediref.
Cette légende se termine, comme les trois précédentes, par une
conclusion de sermon : « Et tantost fu cil gariz par la volenté Nostre
« Seignor, qui [lire cui) tote créature humaine doit servir et ennorer
«por avoir parmenable vie. Celui nos otroit Pater et Filius et Spiritus
«sanctus!» Aussitôt après, le traducteur introduit un prologue de
quelques lignes, formant transition entre les vies des Pères et un autre
livre qui est, comme celles-ci, une œuvre d'édification plus que
(')
Mieux , Arrns : • Mais tant dist H estoire qu'ele ama ».
VP:RS10NS en prose des vies des pères. 269
d'histoire. C'est le Dialogue de saint Grégoire, dont le manuscrit
de Carpentras place ici le premier et le troisième livre.
6. Le Dialogue de Grégoire, dont les deux interlocuteurs sont
saint Grégoire et son disciple Pierre, est peut-être de tous les écrits
patristiques celui qui a été le plus goûté et le plus cité au moyen âge.
L'auteur s'était mis d'avance à la portée, et même au niveau, des plus
humbles esprits. Sermonnaires, moralistes, collecteurs d'exempla l'ont
mis perpétuellement à contribution ; les écrivains en langue vulgaire lui
ont fait de nombreux emprunts et l'ont traduit, à plusieurs reprises,
en vers et en prose. H y a entre le Dialogus de Grégoire et les Vitœ
patrum (ce dernier titre étant entendu au sens très large où on l'a
employé au moyen âge) un certain rapport. De part et d'autre, il s'agit
d'histoires édifiantes, où le merveilleux tient une grande place, con-
cernant des hommes pieux qui, pour la plupart, ont renoncé au
monde pour se consacrer à la vie ascétique. Seulement, dans les Vitœ
patriim, la scène est placée en Egypte, particulièrement dans la Thé-
baïde, tandis que chez Grégoire le Grand elle est placée en Italie. Il
semble même que cette analogie ne soit pas fortuite, puisque certains
passages du prologue placé en tête du Dialogas donnent à penser que
Grégoire a voulu précisément faire pour les saints de l'Italie ce que
saint Jérôme, Rufin et d'autres avaient fait pour les saints de la Thé-
baïde. Aussi est-il fréquent de trouver, dans les manuscrits, le Dia-
logas joint à quelque partie des Vitœ patram. Il n'est pas téméraire
de supposer qu'il en était ainsi du manuscrit dont s'est servi notre
Wauchier.
La traduction du Diaîogus n'est pas complète. Le second livre, con-
tenant la vie de saint Benoit, a été laissé de côté''', ainsi que le qua-
trième livre, dont le sujet (le sort des âmes après la mort) lui a sans
doute paru au-dessus de la portée du public à qui il s'adressait. Il a
aussi supprimé le prologue de saint Grégoire, et l'a remplacé par
quelques lignes qui servent de lien entre la vie des Pères d'Egypte et
les récits tirés du Dialogue.
Cette traduction partielle du Dialogue a pris place à la fin d'un
des légendiers français, où nous retrouverons d'autres morceaux
'"' On verra plus loin que la vie de saint comme livre à part; c'est pourquoi elle ne se
Benoit avait été traduite par notre Wauchier, trouve pas dans le manuscrit de Carpentras.
270 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
empruntés à l'œuvre de Wauchier, dans le manuscrit fr. 281 12
(fol. 285 d) de la Bibliothèque nationale, où elle fait suite à la
légende de saint Hilarion.
Voici, d'après le manuscrit de Carpentras, le prologue qui précède
la version du Dialogue :
[Fol. xliij) Or ai je dit et conté une partie de la vie des sains Pères qui habitè-
rent en la terre d'Egypte , por ce que cil qui croient les saintes ovres qu'il fissent et la
sainte vie qu'il menèrent i preïssent essemple , quar de bien oïr et entendre doit li
bien venir et naistre. Or vos voldrai conter une partie des ovres et des vies de cex
qui habitèrent en Lonbardie, si con sainz Grigoires, cui en doit bien croire, lo
raconté a Peron son clierc, car il vielt faire savoir et entendre de quel vie et de con
îirant mérite li sainz home furent en celé contrée; si conmence ainsi'".
Des diz saynt Gregoyre''^\
S. Gregoires nos retraist et dist c'une vile estoit en une des parties de Lombardie ,
si conme prodome et saint home li avoi[en]t conté et dit, cu[i] il en devoitbien croire,
ou il avoit un prodome et une prode famé manant qui un fd avoient : Honoires estoit
apelez par non. Cil enfes avoit en lui astinence dès s'anfance, par quoi il voloit et
covoitoit a avoir la celestial vie, et ensemble tôt ce qu'il avoit en lui si grant vertu
d'astinence si con de boivre et de mengier, et de tote hoiseuse parole dire se tenoit
il plainnement. . .
C'est dans celte partie de son oeuvre que Wauchier s'est nommé. Ici,
comme en d'autres de ses traductions qui seront étudiées plus loin,
il aime à introduire, de temps à autre, dans sa prose, des réflexions
morales rédigées en vers. Nous n'en avons pas rencontré d'exemple
jusqu'à présent, mais nous aurons à en signaler plusieurs au cours
de celte analyse. C'est dans un de ces intermèdes poétiques qu'il
s'est fait connaître à nous. L'intercalation a lieu à la suite du cha-
pitre IX, où est conté un trait singulier de l'évêque Boniface de
Ferentino. Cet évêque, voulant faire faumône à des pauvres qui
étaient venus l'implorer, et se trouvant sans argent, avait forcé la
huche de son neveu, où il savait trouver douze pièces d'or, et les
avait distribuées à ces mendiants. Mécontent, le neveu réclama son
or. L'évêque, se mettant en prière, obtint de la Vierge qu'elle le
lui rendît. En le restituant au réclamant, il lui dit: «Voilà ton
M or, mais sache qu'en raison de ton avarice tu ne seras pas évêque
'■' Ce prologue ne se trouve pas dans le vas. 23i la. — <*' Dialogue, livre I, chap. u.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
271
« après moi. » Le Iraducleur, entrant dans les idées de son auteur,
nous communique à ce propos ses réflexions, d'abord en prose, puis
en vers :
{Fol. /t'y c) Or poez savoir que mult est maie chose d'avarice; que par avarice pert
en en .ij. manières: l'ennor terriene et celestial gloire. Hon ne porroit dire les granz
(Jolors et les granz malaventures que (lire (jui) les avers atendenl'*'.
Nus tiom avers n'nvra ja preu ,
Quar totens cuide il avoir peu :
Quant plus a avers hom avoir,
Mains a en lui sens et savoir.
D'avers ne vos sai plus que dire :
Diex les het trop; ce les empire;
Lor avoir preu ne lor vaudra ,
Quar petit lor profilera ,
Très puis que Diex lor voira nuire;
Qu'il par avoir cuident soduire.
Non mie Dex tant solement.
Mais toz li monz igalement '*' ;
Et il en lor vie perdront
Quanqu'a Dieu et au siècle avront.
Ne vos en quier plus a retraire ,
Quar des bons hai asez afaire;
Des avers hai la boche amere :
Qui en paroi'*' trop lou compère.
Lor ovre amere est plus que suie ,
Por ce le parler m'en annuie;
Mais ensivir me '*' convient l'esloire.
Si con je le '*' trus en saint Grigoire.
Et je sui Wauchiers de Denaing,
Qui voldroie que un '"' tel balng
Lor donast Diex que l'avarice
Laissassent, et [a] genteilisce
Se tornassent et a largesce ;
Ce seroit droiture et proesce.
Mais Diex en fera son voloir.
Qui que s'en doie après doloir.
Quar il est rois et emperere
Sor tote rien. A la matere
Voil revenir si con suel estre.
Si vos dirai avant de! prestre
Qui les deniers ot de fin or
Et les ot mis on son trésor.
Si con vos orendroit oites ,
Se vos de cuer i entendîtes.
Le livre II, comme nous l'avons dit, ne fait pas partie de la com-
pilation du manuscrit de Carpentras. Le premier chapitre du livre 111
est consacré à Paulin de Noie. Ce chapitre a été extrait de l'ensemble
et inséré comme vie de saint Paulin dans quelques-uns de nos anciens
légendiers français*''. Nous en transcrirons le début :
[Fol. lix) El tens que li Wandele orent gastée ia terre de Lonbardie et plusors
genz en furent menées en la région d'Aufrique, estoit cils sainz hom Paulins evesques
de la cité de Noie , si con vos m'avez oï dire davant. Tôt ce qu'il pooit avoir et aquerre
<"' Des vers qui suivent, le ms. aSiia
n'a conservé que les premiers, écrits ainsi
(fol. 392) :
Nus avers liom n'ara ja assés, car tous tans cuide
!1 avoir peu. Com plus a avers hom avoir, tant a il
plus sens et savoir (c'est le contraire). D'aver ne vue!
ore plus (lire : Dex les het trop, che les empire.
'*' On préférerait : « Non mie Deu . . . Mais
lot le mont igalement. »
(>)
(4)
(S)
m
")
379)
Bibl.
Ms. parole.
Suppr. me
Gorr. jel.
Ms. quen.
Ms. .S07 d'Arras, fol. 61 [Romania, XVII ,
; Musée brit. , Add. 17275, art. ii8;
nat.,fr. i83, art. 54; fr. i85, art. 58
{Notices et extraits. XXXVI, 456); Bibl. roy.
de Belgique, 9225, fol. 177 v°.
272 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
(le s'esveschié donoit ii et departoit a cex qui pris estoient; et tant dona por ex
rachaterque ii n'ot plus que despendre. Dont avint un jor q'une famé veve vint a lui
mult povre ; si Ii dist que ii genres au roi de[s] Wandelles avoit son fil en chativoisons
mis; mes, por Deu, aidast ii tant qu'ele eûst son fd racliaté et qu'il peiist en son pais
repairier arrière. . .
La traduction du livre III s'arrête un peu avant la fin du dernier
chapitre :
[Fol. Ixxxv) Pierres, fait sainz Grigoires, mult t'eusse eiicor a conter et a dire des
vertuz des sainz pères de cest[e] contrée qui furent esleû a ami Nostre Seignor, et
bien lo deiisse faire, mes je me haste si d'autre[s] choses que je icestc voil ore mètre
en SI
lence.
7. La version de l'Historia monachornm, ou Historia ercmuica^^\ qui
suit dans le manuscrit de Carpenhas le troisième livre du Dialogue,
est incomplète. On n'y trouve pas lescliapitres m, iv, x, xvii, xxii,
xxv-xxix et XXXI *^', de l'édition de Rosweyde. L'ordre des chapitres
traduits n'est pas non plus le même que dans cette édition. Le voici
avec les numéros de Rosweyde: i (Joannes),xv (Apelles) ,xvi(Paphnu-
tius), XII (Elias), xiii (Pythyrion), xiv (Eulogius), vu (Apollonius
d'Hermopolis), viii (Ammon), ix (Copres), xi (Elenus), vi (Theon),
XX (Dioscorus), ii (Hor), y (la cité d'Oxyrinchus), xviii (Sera-
pion), XIX (Apollonius, moine et martyr), xxi (les moines de Nitri),
xxiii (Ammonius), xxiv (Dydimus), xxx (Ammon, moine de Ni-
tri), xxxii (Piamon), xxxiii (Joannes).
La place que VHisloria monachorum occupe dans le manuscrit de
Carpentras est bien celle que Wauchier a voulu lui assigner. Le court
prologue qu'il a placé en tête de sa traduction ne laisse aucun doute
sur son intention : « Je vous ai conté, nous dit-il, une partie des faits et
« des vies des saints pères qui habitèrent en Lombardie; je vous conte-
« rai ensuite les œuvres des saints pères qui habitèrent en Egypte. »
Il ne faut pas croire que ces mots soient une phrase de transition
rédigée par un copiste : ils se lisent dans une autre copie que ren Terme
le ms. Bibl. nat., nouv. acq. fr, 10128 (foi.-a^5), oîi ils n'ont guère
déraison d'être, puisque ce manuscrit ne contient pas la version du
Dialogue de Grégoire. Disons en passant que cette seconde copie est
'■' Rosweyde, p. ifi8\ Migne, Patr. lai., '*' Le ch. xxxi avait été traduit à part (ci-
XX!, 387. dessus, p. 267).
VERSIONS E\ PROSE DES VIES DES PERES. 273
loin d'être complète : elle s'arrête à la fin de l'iiisloire de Paj)liiiutius,
qui est le troisième chapitre de la version de Waiichicr (chap. xvi de
Rosweyde) '''.
Dans l'une et l'autre copie l'œuvre est attribuée, non pas à Rufin,
le véritable auteur, mais à Poslumien, le pieux voyageur qui tient
une si grande place dans le premier des Dialogues sur saint Martin
de Sulpice Sévère. Il est vraisemblable que Wauchier a fait usage
d'un manuscrit où YHistoria monachorum était mise sous lé nom de
Poslumien. Rosweyde a mentionné des manuscrits de YHistoria qui
portaient celte fausse alti'ibution'"^', facilement explicable d'ailleurs.
Poslumien avait visité les anachorètes de la Thébaïde et admiré leur
genre de vie. Son récit, qui est comme un supplément au livre de
Rufin, occupe la plus grande partie du premier Dialogue de Sulpice
Sévère (').
Voici le commerjcement de YHistoria monachorum, d'après le texte
de Carpentras :
(Fol. Ixxxvc) Ci comence a conter Poslemiens , li sayns moynes, les vies des autres
sayns qa'il vit en son vivant.
Or vos ai je conté et dit une partie des faiz et [des] vies des sainz pères qui habitèrent
en la contrée de Lonbardie, si com sainz (iregoires meïsmes lo tesmoigne; or vos
retrairai je après les faiz et les ovres des sainz pères qui habitèrent en la terre d'Egypte ,
si con Posluiniens li moignes, qui partot fut et les vit, les raconte; et si dist qu'il
avoit veù tant de prodomes et de si sainte vie qu'il avoit veù a ses propres elz lo
trésor Jhesiicrist repost es humains cors, ne n'estoit mie droiz qu'il cesl trésor, ce
est les boncs ovres d'elx, vosist celer ne repondre si con envielz'*', ainz lo voloit
demostrer en la conmunité de cex qui bien voloient faire , quar bien estoit sers que '*',
de tant con plus de gent en seroient enrichi, de tant en aquerroit il plus grant
prophit et plus grant loange; et bien dist que si granz paisibletez de corage et si
granz bontez estoit en elx'*' que bien sembloit que por elx eûst esté dit : Fax multa
diligeniibas nomen taum, Domine *" ; ce est a dire : « Biax sire, granz pais est a celx qui
« ton non aiment. » Il manoient par l'ermitage '*' espessement''^', chacuns en sa celle,
mes il estoient tuit ensemble en charité conmune. Por ce estoient il devisé li uns
''' Nous verrons plus loin qu'il y a, à cet saint M.irtin; voir Hist. litt. de la Fr., II, 207.
endroit, une coupure bien marquée dans le ms. '*' Ms. 10128 envieus.
de Carpentras. ''' Carp. qui.
''' Vitœ patriim, 1628, p. \\v;cl'. Hisl. litt. '"! Ms. exls.
de la Fr., II, 207. ''' Ps. cxviii, i65.
<'' On lui a même, par suite de celte cir- ''' Mieux, 10128 : par les hermitaiges.
constance, attribué aussi le Dialogue sur '"' Corr. esparseiiient.
iiiST. LiTTKR. — xxxni. 35
274 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
en sus des autres qu'il voloient paisiblement tenir ior silence et que aucune voiz et
que aucune oiseuse parole ne les trobtast; ne nus n'i îestoit qui fust eu soing de sa
viande ne de sa vesteùre. Del tôt en tôt estoit Ior ententions mise a Nostre Soigner,
et, s'il avenoit que aucuns i eùst besoigne, de que que soit qui fust nécessaire a fus
de Ior cors, il ne lo queroit mie au siècle, ainz lo demandoit a Nostre Seignor ausi
conme a son père, et Nostre Sire Ior donoit errament ce qu'il demandoi[en]t. Si
granz foiz estoit en elx que si conmandassent a une montaigne qu'ele se reraeiist,
ele se tres|)orlast par lo[r] conmant d'un leu a altre. Soventes foiz avint que, quant
li grant flueve, ce sont les granz rivières, sorcroissoient tant qu'il issoient de Ior clia-
nox, si qu'il s'espandoient par la contrée, que li sainz hom'" les faisoicnt rentrer
par Ior oroisons en ior rives et retraire arrière; et soventes foiz avint qu'il alerent a
sec pie desore les aiguës, et firent morir maint grant serpent par la force de Ior
saintes paroles. Tant firent deplusors autres signes et d'autres miracles par Ior bones
ovres que nus ne doit doter que Ior mérites, ce est ce qu'il deservirent '^', n'aident
encor mult a sostenir le monde. Il estoient aorné de si bones mors et de si paisibles
et de si grant charité que chacuns n'avoit envie ne altre entente c'a bien faire. Chas-
cuns se penoil qu'il fust plus humles et plus bénignes et plus piex et plus pasciens
de son frère. S'il en i avoit aucun qui fust plus sages des autres, ce est de plus grant
cscience, cil estoit si dehonaires a toz les autres qu'il voloit estre desoz ''' toz il
mcnres et Ior sers por aemplir le conmandement Nostre Seignor a faire. Por ce,
fait Postumiens, que Nostre Sire me dona pooir que je ce veïsse et que fuse avec si
sainz homes ''*' por esgarder plusors choses de Ior ovres, conterai de chascun (jui me
revenra a mémoire, par la volenté Nostre Seignor'^', aucune chose, si que cil qui ne
les virent mie poissent entendre et oïr les ovres , si qu'il i praignenl exemple d'aquerre
gloire parmenable.
Tut a comencement, fait Postumiens, ferons nos lo fondement de nostre ovre,
por ce que li bon [i prengnent '*'] exemple, de Johan, qui asez devroit [a] toz sels
soffire [qui sont] des*''' religioses pensées, [et] faire entendre par ses saintes ovres au
venir au comble de totes vertuz et a la perfection de hautesce. Quar tant ot en lui de
bien, si con voz orez conter et retraire, si vos atalante, qu'il n'est nus, por qu'il a
Nostre Seignor vuelle, ne petit ne grant, entendre, qu'il n'i deûst de bien exemple
prendre '*'. Celui Johan veïsmes nos en la contrée de Tliebaïde. La manoit il en une
roche d'une halte montaigne qui près estoit del désert, qui voisins est a la cité qui
Lyco est apelée ...
La traduction de YHistoria monacltnriim est divisée en plusieurs
morceaux dont chacun est de longueur suffisante pour une lecture
'■' Mieux, 10128 : li saint home. '"' Les mots entre [] sont omis dans Carp.
'*' M», «e serrent, corrigé d'après lOiaS. ''' Ms. 10128 de.
'•'"' Mi. desor. ''' Ms. 10118 car tant ot en lui bien fi coiimc
'*' (jarp. me dona que je eusse si sainz homes vos orroiz retraire que l'en i puet bon example
tt que fuse avec ex; corrigé d'après 10128. prendre. Il n'y a rien, dans le latin, qui corres-
'*' Ce mot est ajouté en interligne. ponde à cetle phrase.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
275
édifiante. Le premier se termine (fol. 96 c du manuscrit d:; Car-
penlras) avec le chapitre de Paphnulius, et a une conclusion de
sermon : « Nostre Scignor, a cui honors et gloire soit par toz les
« siècles des siocle[s]. Amen. » C'est ce morceau, nous l'avons dit plus
haut, qui a été admis dans le légendier conservé sous le n° loiaS des
Nouvelles acquisitions françaises à la Bibliothèque nationale. Le se-
cond morceau se compose du seul chapitre sur Apollonius d'Hermo-
polis, qui est fort long, et finit par Amen; le reste de la colonne
reste en blanc. Le troisième s'étend jusqu'à la fin de l'ouvrage.
Ici encore, le traducteur présente occasionnellement ses réflexions
en rimes. Voici ce que nous lisons au chapitre de Dioscurus''' :
[Fol, cxj) Quant nos fumes de la parti, nos en alamcs, fait Postumiens, si
veïsmes en la pa[r]tie de Thebaïde un saint prestre, Dioscorus avoit non, qui avoit
en s'abaïe près de .c. moines dont il estoit pères en Nostre Signor, ce est qu'il les
doctrinoit de venir a vie parmenable. Cil sainz pères doctrinoit ses frères mult hum-
lement et mult dolcement, si con nos veïsmes, que nus d'elx n'aprochast au sacre-
ment de sainte iglise, tant con il eùst en lui malvaise conscience ne vilté orde, mes
il les espurjassent et lavassent par-sainte confession et par oroisons et par jeûnes;
quar ce devoit l'en faire. Des plusors autres saintes paroles les doctrinoit ïi sainz
pères, dont longue chose seroitde raconter tote i'ordenance et del dire.
Quar Ions sermons trop fort annaie
Plus que laiz tens ne longue pluie '''
A cex qui ament Dieu petit.
Dex ! com en ont poi de ''^' profit
Tuil li riche homme , ce me semble !
Quant .iiij. ou trois en a [enjsembie,
Plus volentiers oient parler
D'un riche aver qui fait ma[r]ler
Ses terres a ses coruées ,
Et «le lor granz ' coppes dorées
A quoi il boivent lor forz''' vins,
Qu'il n'oient les sermons devins.
Petit lor tient cil mal au cuer.
Hé! que ne lor sovient del fuer
Ou les lor âmes seront mises!
Si griément seront entreprises
Quant devant lor seignor vendront,
Qui jugera trest[ot] le mont!
Dex! que porront il devenir?
Feront il enparliers venir ?
Nenil, certes : vaines et foies
Seront [tresjtotes lor paroles.
Chascuns hom i trovera pertes ■'' ;
Jugié seront sus lor désertes.
Ses désertes ne dote nus ;
La n'avra force rois ne dus,
Ne qucns, ne prince de parage;
N'i vairont rien li eritage.
Ne li pris de chevalerie.
Dieux ! qu' iert ''' de la bachelerie
Qui si se font ardi et preu ?
Corront il la si sore Dieu
Com il font ci? Nenil, ce croi;
La n'ierent pas lor li desroi :
Plus coarz i seront que lièvres.
Se por mil anz avoir '*' les fièvres
'"' Cil. x\, Rosweyde, p. /f]i; Migne, Pair.
/«(., XXI, Ma.
'*' Ms. longues pluies.
'■'' Ms. petit.
'*' Ms. rp-tiiil.
'>> Ms. fort.
'"' Ms. prestes.
''' Ms. qui ert.
''^ Ms. avaient.
35.
276
VERSIONS E\ PROSE DES VIES DES PÈRES.
En pooient sol esclinper,
Jamais ne querroient aper
Rien a povre home n'abbeie,
Que il eussent en bailiie.
Fol sont liaut home qui n'entendent
Quex biens, qucx mais qui iapendenl;
[II] atendenl qu'il doivent faire.
Tant Guident savoir de l'afairc
N'i a celui ne cuide bien
Qu'en lui n'ait nés nul'autre rien
Que aens , cl que ce soit folie
Q'uns autres li recont et die.
Se trop n'est bien a son acori.
Par ce sont li haut home moit.
Ce ior fait Diex qu'il en despisent :
Ses paroles si petit prisent
Que neïs li oirs Ior grieve ,
Que poi faut que Ior cuers ne crieve ;
Mes sachient bien certainement
Que Dex en prendra vengement,
Ou en cest mont par tel manière
Qui mult Ior ert cruose et fiere ,
Ou en l'autre par tel dolor
Qui ne Ior faudra a nul jor.
Se Diex Ior done ci lo bien ,
!\'oblie il Ior malice rien,
Ain/, en avront [tôt] Ior mérite;
En nule rien n'en ierent quite,
Si con lesmoigne l'Escriture,
Qui vérité dit et droiture.
Or laisoiis nos ester de cex qui a cnviz oient la parole Nostre Seignor reconter et
dire, et qui cuidenl estrc sage; si sunt tuil farsidc foiie, si con l'en les porroit bien
provor par droit, s'il ert qui faire le vosist. Si dirons l'uevre, si com Postumiens
le continue, et si dui compaignon qui lo lesmoignent, qui dient qu'il virent un
autre saint home, quant il se furent parti de celui dont je vos ai devant conté. Cil '"
saint home qu'il troverent estoit pères de mult d'abcïes por sa sainte vie qu'il avoit
lontens menée. Or l'apeloient cil de la contrée par non '^'. Quant nos venimes
a lui, fait Postumiens, si avoit il nouante anz d'a'age. . .
8. C'est encore à Postumien que Wauchier attribue les Verba sc-
iiiorum^^^ de Rufin, qui terminent sa compilation dans le manuscrit
(le CarpeiitiMS. Il commence ainsi, traduisant le prologue :
[Fol. cxviij) Certes, il n'est liom crestïrns qui doive doter que par**' les vies
des sainz homes qui ont esté et sont encore, et par les ovres et par les mérites des
sainz pères, dont je vos racont les faiz en cest livre, ne dure li siècles, quar il
fuirent luxure et totc malvaistié, et si se mistrent el parfont hermitage et es orribles
roches de la grant desertine et es fosses obscures et solitaires. \a\ n'avoient il ne
fain ne soif; si les sostenoit Nostre Sire. Nos racontons es escritures les saintes foiz
des palriarcas et des prophètes, ce est d'Abraham et d'Isaac et de Jacob, de Moysen
et d'Elie et de saint Joham Baptiste et d'autres sainz homes, non mie por ce que
nos les glorefiomes, quar Nostre Sire les a bien gloreficz, mais por ce que cil qui les
liront et orront en metent avant la doctrine et les exemples'^' de vérité et de salu a
oes les âmes, si que eles puissent eschaper des tormenles maies parmenables.
Or vos conterai je avant, fait Postumiens, ce que nos oïnies et entendîmes des faiz
et des paroles des sainz pères.
<"' Ch. n, Rosweyde, p. 467; Migne, Pair.
/«/.,XXI,4o5.
'"' Le blanc est dans le manuscrit ; le nom
qu'il faut rétablir est llur.
''' Rosweyde, n. 4f)'i; Migne, Puh\ lat.
LXXI!I,739.
'*' Ms. par que.
''' Ms. esxempics.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
277
Moines estoient une foiz ensemble, devant lor saint pere ; si li demandèrent con-
ment en devoit maintenir astinence. Il lor respondi , si dist : « Mi bel fil, il covient que
« nos ahomes lot lo repos de ceste présente vie, et lescorporex deliz, et que nos ne
« queromes mie les honors des homes, quar eles sont vaines et trespassables. Se nos
« de ce nos atenomes , Nostre Seignor nos doni a les colosfiex repos en vie parmenable
« et gloriose leesce ensemble ses frères*'' angcles. »
Wauchier, ici comme ailleurs, aime à interrompre de temps à
autre sa traduction par des réflexions morales auxquelles il lui plaît
de donner la forme poétique. A la suite de l'histoire de deux moines
qui, tout entiers à la récitation du psautier, oublièrent leur repas '^*,
le traducteur introduit ces réflexions :
Seignor, tex geru ne sont or mie : {fol. cxix)
Miilt est plus la viande amie
A eex d'ore qu'adonc ne fust.
Nonporquant n'ierent pas de fust
Li saint horae qui ce fasoiont ;
Lor cors pas del toi n'aaisoicnt
As viandes n'aus bons morsiax.
Or cuide en que cil de Citiax
Traient grief paine de ramine[s] :
Qu'iert ''' dont de cex qui de racines
Vivoient et d'erbe menue ?
Certes , lor chose ert si venue ,
Par l'astinence qu'il avoient.
Que nule autre rien ne faisoient;
Mes or vielt chascun lo bon vin,
Chascuns demande le farsin ,
Chascun dote qu'il n'ait ja preu.
Chascun maldit et het lo keu
Qui petit atorne viande.
Se se[s] sires ne li conmande ;
Et se li sire vielt petit ,
Chascun hait son fait et son dit.
Nus n'est or qui voille astinence
Avoir por Dieu ne pascience.
Guerpie l'ont abé et moine ,
Arcevesque , vesque'*' et chaloine ,
Chevalier [et] clierc et vilain.
Laisie l'ont arrière main :
N'en tiegnent mes ne plait ne conte ;
De Dex servir a ch[asc]uns honte.
En la fin s'en repentiront
Quant il a jugement seront
De celui qui tôt jugera
Et qui tôt fist et desfera.
Ne Yoil plus dire ne parler de cex qui n'ont en ex astinence, ainz vos dirai, fait
Postumiens, d'une aventure qui avint a un abbé qui Zenon estoit apelez par non.
Prodom ert et de bone vie. . .
La version suit l'ordre du texte; du moins n'y avons-nous pas re-
marqué de transpositions. Mais tout n'est pas traduit : çà et là quel-
ques paragraphes ont été omis. Il est probable que Wauchier, ou le
copiste du texte latin qu'il avait sous les yeux, est responsable de ces
omissions. Mais nous n'avons aucune raison de croire que Wauchier
n'ait pas poursuivi sa traduction jusqu'à la fin de l'ouvrage. Or le
manuscrit de Garpentras, jusqu'à présent le seul exemplaire connu de
'"' Frères n'est pas dans le latin. — '^' S 6 , Rosweyde, p. AgS; Migne, LXXIH, 7^2. —
— *'' Ms. qui ert. — '*' Ms. vesques.
278 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
cette version, arrête le texte au paragraphe 65. Les Verba seniorum de
Rufin sont divisés, dans l'édition deRosweyde, en 220 paragraphes.
Il nous manque donc plus des deux tiers de la traduction. Comme le
texte du manuscrit s'arrête à la première colonne du feuillet 129, et
que la seconde colonne est occupée par le commencement de la
Conception de Wace, qui est d'une autre main, il faut bien admettre
que le copiste a laissé sa copie inachevée. Voici le dernier paragraphe
de la traduction (S 64 de Rosweyde) :
Frère qui travaillé estoient {fol. vj"ix)de malvaisses pensées en lor corages
vinrent a l'abé Elye por conseil qucrre qu'il feroient. Li saint pères les esgarda , si
vit qu'il estoient gras et refait'"; si comença a sorrire et dist a l'un, ausi con s'il
l'usl ses disciples : « Certes, frères, j'ai honte de toi , de ce que lu as norri si ton cors,
«et si regehis que tu ies moines. Pale colors et maigresce, ensemble humilité, est
"biautez et honors a moine. Li moines qui mult manjue et mult mes ovrer'"^' ne
« doit mie en lui avoir fiance; mais cil qui petit manjue et a en lui aslinence, encore
« ovre il petit, doit bien en lui avoir fiance. »
Il avint une autre foiz qu'une da[moiselle <"] . . .
Nous avons dit plus haut que le manuscrit de Garpentras ne conte-
nait pas tous les écrits hagiographiques traduits par Wauchier de
Denain. Nous croyons en effet pouvoir lui attribuer avec toute certi-
tude la traduction des vies de saint Jérôme, de saint Benoit (livre II
du Dialogue de Grégoire le Grand), de saint Martin, de saint Brice
et enfin celle des Dialogues de Sulpice Sévère sur saint Martin. Ces
écrits ne se rencontrent pas isolés : ils ont été admis de bonne heure
en divers recueils de légendes françaises dont il est à propos de
donner ici la liste :
Manuscrits où se trouvent à la fois les vies de saint Jérôme, saint
Benoit, saint Martin et saint Brice :
Arras, Soy.
Chanlilli , Musée Condé ,456 '»'.
'■> Latin ■ corpulenti ». à la suite, mais ces lignes ont été couvertes |)ar
''' Corr. et neis mult ovre? Lalin : « Monachus une miniature qui se rapporte à la Conception
« edens muHum et operans multum , non con- de Wace , dont le texte c minence à la colonne
«lidat; qui autem panim edit, etiam si piarnm suivante
«operatur, confidat et viriliter agat. » '*' Ce manuscrit et celui de Cheltenhani
l'> C'est le début du paragraphe 65 du latin. ( Biblioliièque Philiipps) , qui suit , contiennent
La ligne finit avec da; le reste du mot, et à peu près les mêmes légendes et dans le
sans doute quelques lignes de plus, venaient même ordre.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 279
Cheltenham, Bibl. Phillipps, 366o.
Londres, Musée brit., Roy. ao D vi'"; Addit. 17275'^'.
Paris, Bibl. nal., fr. i83, i85, 4i i, 4 1 2, a3i i 7.
Paris, Bibl. Mazarine, 1716.
Oxford, Queen's Coll., 3o5.
Manuscrits n'ayant que les vies de saint Jérôme et de saint Benoit :
Paris, Bibl. nat. , fr. 13/496.
Saint-Pétersbourg, Bibl. imp. , fr. 35.
Manuscrits n'ayant que ia vie de saint Jérôme :
Arias, 1 39.
Bmxel les, Bibl. roy., g-aaS.
Dublin, Trinity Coll.,B2.8.
Lyon, 772.
Manuscrits n'ayant que les vies de saint Martin et de saint Brice :
Paris, Bibl. nat.,fr. 6647, 23i 12.
Manuscrits n'ayant que la vie de saint Martin :
Paris, Bibl. nat., fr. /122, 1722g.
Enfin la traduction des Dialogues de Sulpice Sévère ne paraît s'être
conservée que dans un recueil dont nous avons trois copies: Bibl.
nat., fr. 4 1 1 et 4 1 2 ; Musée brit. , Roy. 20 D vi ^^K
Une circonstance matérielle, qui doit être relevée ici, suffirait à
nous faire conjecturer, à défaut même d'autres motifs plus forts, que
les traductions des légendes de saint Jérôme, saint Benoit, saint Mar-
tin et saint Brice ont un auteur commun : c'est qu'elles se suivent
dans un grand nombre de manuscrits, notamment dans les mss. fr.
i83 (Jérôme, art. 5o; Benoit, art. 5i ; Martin, art. 5 2 ; Brice , art. 53);
''' Ce manuscrit et les n°' 4i i et 4i2 de la
Bibl. nat. contiennent les mêmes légendes.
'*' Ce manuscrit et les n" i83 et i85 de la
Bibl. nat. sont de la même famille , ou du moins
ont un fond commun.
'^' Certains de ces manuscrits ont été l'objet
de notices détaillées, où sont citées les premières
lignes de chaque légende : Arras 807 [Roma-
nia, XVII, 366); Clieltenham [Noticea et extraits.
XXXIV, 1" partie, i85); Londres, Musée bri-
tannique, add. 17275; Lyon, 772 {Bull, de la
Soc. des anc. textes fr., i885, p. 4o); Paris,
Bibl. nat., fr. i83 et i85 {Notices et extraits,
XXXVI, 409); fr. 6447 {Notices et extraits,
XXXV, 435); Saint-Pétersbourg {Notices et
extraits, XXXVI, 677). La table des autres
légendiers sera donnée plus loin dans la notice
des légendes en prose.
280
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
— i85 (Jérôme, art. 54; Benoit, art. 55; Martin, art. 5G; Brice,
art. 57);' — Bruxelles 9225 (Jérôme, art. ^9; Benoit, art. 5o;
Martin, art. 5i ; Brice, art. 02 ). — Il en est à peu près de même du
ms. Add, 17275 du Musée britannique (Jérôme, art. ii3; Benoit,
art. 1 1 5 ; Martin , art. 1 1 6 ; Brice , art. 117 ), où les vies de saint Jérôme
et de saint Benoit sont accidentellement séparées par la translation
de saint Nicolas (art. 1 14), qui aurait dû évidemment prendre place
après la vie du même saint (art. 112). Dans le ms. 807 d'Arras, les
vies de saint Jérôme et de saint Benoit se suivent (art. 10 et 11), et
c'est probablement par une inadvertance du copiste que la vie de
saint Martin (art. 2 3) est placée loin de celle de saint Brice (art. 12)'''.
La famille composée des mss. 20 D vi du Musée britannique, 4i 1 et
4i2 de la Bibliothèque nationale, nous présente ces quatre vies en
deux groupes : d'abord saint Martin et saint Brice, puis, un peu plus
loin, saint Jérôme et saint Benoit.
Sans insister sur cette circonstance, nous donnerons les raisons
qui, à notre avis, permettent de désigner Wauchier de Denain comme
le traducteur de ces quatre légendes. Et d'abord, ici comme dans les
versions que renferme le manuscrit de Cai-pentras, nous rencon-
trons de temps à autre des réflexions morales exprimées en vers.
Plus d'un écrivain du moyen âge peut avoir eu la même idée, mais
les vers que nous allons citerne peuvent guère avoir été écrits que par
Wauchier. Prenons la vie de saint Jérôme''^'. Elle est pleine de récits
fabuleux, comme l'a reconnu D. Martianay, qui en a publié l'ori-
ginal latin '^'. Entre ces récits, l'un des plus connus est celui où il est
question d'un lion apprivoisé qui servait Jérôme et ses moines, et
que ceux-ci avaient injustement soupçonné d'avoir mangé un ànc
dont il avait la garde. La vérité était que l'àne avait été volé par des
marchands, mais le lion, ayant fini par le retrouver, le ramena au
logis, et, se présentant à chaque moine, témoigna par ses gestes
''' Remarquons que , dans le même manuscrit
d'Arras, les légendes de saint Jérôme, de saint
Benoit, de saint Brice sont suivies de celles des
saints Paulin, Malchus, Paul le Simple et
Antoine, qui sont aussi de Wauchier, et qui
sont comprises dans le ms. de Carpentras.
'*' En voici le début, d'après le ms. Bibl.
nnt. , fr. 4 1 3 :
(Fol. 157) «Seinz Jerosnie fu nez de haute
iignie , d'un chastcl qui fu apelez Slridons :
si estoit en la marche Dalinasse et de Pan-
nonie , mes il est destruit grant tens a , si corne
sont pluseurs autres viles qi ja furent de grant
nobleté. Li pères seint Jcronie eut a non
Kusel)ius , qi moût fu preudom et sages. Li filz
l'ensivi moût bien de science, si coni vos
porroiz oïr et entendre ...»
« Migne, Pulr.lut.. XXII, aoi.
VF>RSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
281
qu'il était innocent du méfait dont on l'avait accusé. Les moines
crurent devoir s'imposer une pénitence pour expier leur jugement
téméraire. D'où le Iraducleur prend occasion de nous dire en vers
que les moines de ce temps valaient mieux que ceux du temps
présent. Voici le texte, d'après le ms. Bibi. nat. fr. 4 1 2 , fol. 1 58 :
Li lions comença a aler molt liement par tout l'encloistre de Tabeie; si se coucha
devant chascun frere aussi com s'il vousist dire qu'il n'avoit mie faite la félonie c'on
li avoit sus mise. Quant ce virent li frere, il firent lor peneance por la cruiauté dei
blasme dont il l'avoient reté a tort; car adonl estoient moine plu et doz, ne ne
savoient mie tant de mal com il sevent ores.
Ceus qi or sont liet Nostre Sire ;
Nus n'en porroit conter ne dire
Lor maus ne lor malavenlures :
Deu héent et les Elscritures
Et lor ordre, mes c'est del meins :
Ja nus preudom n'ert lor compein»
Qi ne s'en plaigne, c'est la finï.
En moine a plus de iarrccins
Qu'en usurier de fauselé.
Et se li cuens la vérité
Savoit de ior cuers les félons ,
Ja ne seroit li ans si lous
Que por eus fcïst nule rien ;
Car je li mant, sel sace bien,
Qe por lui feroient petit
N'en orissons , n'en fet , n'en dit.
Li frere seint Jeroime disoient dei lion : « Veez ici nostre pasteur que nos damp-
« nions si cruelment com se ce fust uns devorrieres, et Nostre Sires nos a demostré
« mont beau miracle por ce qu'il fust de cest blasme escusez "'. »
Le comte auquel s'adresse l'auteur ne peut guère être différent du
comte Philippe de Namur, nommé dans le prologue du manuscrit de
Carpentras (ci-dessus, p. 261 ). D'ailleurs, nous trouverons plus loin,
dans la traduction des Dialogues de Sulpice Sévère, un témoignage
plus positif. 11 est à remarquer que ce hors-d'œuvre poétique a été
omis dans la plupart des copies. En fait, nous ne l'avons trouvé
que dans la famille formée par les manuscrits Bibl. nat. fr. 4 1 1 , 4 1 a ,
et Musée brit. 20 D vi. La même observation s'applique aux passages
que nous allons rapporter.
La vie de saint Benoit''^* contient aussi quelques morceaux en vers.
'*' Hya seulement dans le latin (Migne,
XXII, 312): «Quo viso, fratres pœnitentiam
« agentesquod ei crudelitatis intulissentcrimen,
« dicebant:Ecce pastorem nostrum , quem paulo
« ante ut voratorem crudeliter damnabamus :
« cum quanto eum praeconii miraculo, ut huic
• crinien auferret , ad nos dignatus est mittere
«Dominus! »
'*' Début, d'après le ms. Bibl. nat. IV. 4i2 :
RIST. LITTÉR. — XXXIII.
(Fol. ib8 d) « Uns hom fu de moût seinte vie,
«si com seinz Gregoires nos raconte. Cil hom
« estoit Beneoiz apelez par non , qi très s'en-
« fance avoit en lui cuer de viellece ; science et
« ses sens et ses meurs trespassoient son aage.
« Dont il avint q'il onques ne vout atonier
«son corage as deliz de cest siècle, einz des-
« pist le monde et totes les oevres qui veines
«estoient. . . »
36
282 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
Au chapitre xxiii de l'original latin (deuxième livre du Dialoffus de saint
Grégoire) est contée l'aventure de deux religieuses de noble naissance
qui avaient pris l'habitude de parler sur un ton hautain à un homme
pieux qui les servait. Benoit, l'ayant appris, les avertit qu'il les ex-
communierait si elles ne se corrigeaient pas. Elles ne tinrent pas
compte de cette menace, sur quoi le traducteur fait cette sortie contre
les femmes :
Car feines tencent volentiers, (fol. 16ù c) Dex qi les fist si les consaut
Ce leur samble moût bons inestiers. Et nos ausint! car moût sovent
Puis que tences ont entreprisses. Avons a eles mal covent,
?]les n'en erent ja souprises, Voire as pluiseurs, non mie a totes.
Ainz liment tant qe mal lor vaut. Mal font celés qui sont estoutes;
si com cez .ij. nonein estoient vers lor convers, qui onqes, por le mandement saint
Beneoit, ne s'amendèrent. . .
Un peu plus loin, ce sont les moines qui sont pris à partie :
[Fol. 167] Et bien saciez que adonc fist il la riule et escrist qe les moines ont
en lor abbeïes, et qu'il doivent tenir, se il seint Beneoit ne béent;
Mes lant lor a fel et tant dit Meinlicgne Dex en droite voie,
Q'il li sont trestoz contrctlif , Et les autres puist ravoier''*
Tiens i a , et non mie touz. Si qe Dex a merci les voie !
Cens qi ne sont fel ne estouz
Or saciez bien qe, en la riule qe sainz Beneoiz fist, puet l'en bien trovor tout si
com il vesqi et ses lez et tout si com li moine doivent vivre.
On voit que le traducteur de la vie de saint Benoit manifeste, à
l'égard des moines, les mêmes sentiments de défiance, sinon d'hosti-
lité, que le traducteur de la vie de saint Jérôme. Il est bien évident
que l'une et l'autre légendes ont été mises en français par le même
écrivain.
Les vies françaises de saint Martin et de saint Brice se suivent dans
les manuscrits. On ne rencontre guère l'une sans l'autre*^'. Il n'est pas
douteux qu'elles ont été mises en français par le même traducteur,
et il est plus que probable que ce traducteur est celui des vies de
saint Jérôme et de saint Benoit. De plus nous verrons que trois manu-
scrits joignent à ces deux légendes la traduction des Dialogues de
'"' Cevcrs reste sans correspondant. En outre, ''' Les mss. Bihl. nat. fr. 43S et lyî'igfont
il devrait prendre place après le suivant. La exception: ils ont la vie de saint Martin, mais
leçon du ms. fr. /|i i (fol. a48) est identique. non celle de saint Brice.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 283
Sulpice Sévère sur saint Martin. Il n'est guère douteux que le traduc-
teur a eu sous les yeux un recueil latin, comme il en existe beaucoup,
où les trois ouvrages étaient groupés.
La vie de saint Martin, traduite de Sulpice Sévère, commence par
un prologue qui, bien qu'écrit comme prose dans les manuscrits, est
certainement en vers, au moins pour le début que nous rapportons
d'après le ms. 4 1 2 : ^
[Fol. 103) Moût doit on doucement et volentiers le bien oïret entendre, car par le
bien savoir et retenir puet l'en sovent a bien venir. Qui bien ne seit ne bien n'entent
de bien faire n'a nul talent. Mes del bien nest sovent li biens,deImallimaus,sicom
dist l'Escripture. Por ce se doit l'en au bien avoier et le bien feire, si com li seint
home firent ça en arrière de cui nos trovons les oe\Tes et les vies [es] escriptures. Et
bien sacent tuit cil qi vivent qe ja n'avront tant de bien fet en totes lor vies qe,
qant la mort, dont nule rien n'eschape, les poindera au cuer, q'il ne cuident petit
avoir fait. Dex ! que feront dont cil qui riche sont et aise de l'avoir de cest siècle,
ne en eus n'ont douçor ne humilité ne miséricorde, ainz sont plein d'angoisse et
de traïsson et de félonie et de grant avarice, qe, com plus ont richesces et avoirs,
plus en desirrent a avoir P Ce fet li deables, qi en tel manière les a laciez et pris q'il
les en meine en infer le grant chemin plenier. De ce se gard[er]ent li seint home , qi , par
dolereuses peines et par griez tormenz et par veilles et par geûnes et par toutes bones
oevres, firent tant q'il vindrent a vie parmenable et a la corone de gloire. A ce regar-
dèrent li seint confesser et messires seinz Martins, dont ci comence la vie.
Plus loin, Sulpice Sévère (ch. xx) rapporte un trait de la vie de
saint Martin pour montrer en quelle estime l'empereur Maxime tenait
le saint évêque de Tours :
[Fol. 109 h) Li empereres coumanda a celi qi agenoilliez estoit q'il baillast a
i'evesqe la coupe , por ce q'il voloit qe li seinz hom li donast de sa mein a boire.
Mes seinz Martins but , et, tantost q'il ot beCi, si bailla la coupe au preslre qi a la
table seoit et venuz ert en sa compaignie, por ce q'il cuidoit qe nuz de toz ceus
qi la dedenz seoient fust si dignes de boivre après lui com li prestres; car grant chose
est de prestre, et li doit chascuns porter grant seignorie. Car, com plus est li hom
de haute lignie et acomphz de grant richesce, tant doit il plus grant iionor porter
au prestre qi Nostre Seignor lieve et couce, de cui tous li biens vient en terre et
el ciel lassus.
Dont cil serront mat et confus''', Et cil qi ses comans feront
Qi bien servi ne l'averont ; Averont joie et tel leesche ,
'"' Ce vers paraît rimer avec la prose qui fournit un vers de plus, et peut-être trois :>■ car
précède; toutefois il y a dans le ms. fr. /ta 2 (foi. « de liai vient tous li biens qui est el siècle ter-
91 d) une leçon, peut être préférable, qui « rien, et trestot cil del ciellassus, dont cil.. . »
36.
284
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
Tel signorie et tel hautesce ,
Ke nus deviser nel savroit.
[Certes, boin pourcacier l'eroit'"']
Riches, povres communément
Qui a cel esjoïssement
Peûssent servir sanz desfcnsc ;
Et cil qi ia venir ne pense
Elst, certes, en niolt maie voie,
Car li deables le desvoie ,
Qi o lui est soir et matin.
Qi la vie ot de seint Martin
Aucun bien en doit retenir.
Car del bien doit bien sovenir;
Le mal doit l'en lessier aler;
Ce oï sovent dire et conter
Qe del bien doit nestre li biens ,
Del mal le mal , as anciens.
Ne vos en sa! plus qe retraire :
Buer fu nés qi le bien puet faire
Car Dex l'aime, mon essient"'.
Quant li emperere o sagenl'^' vit que seinz Martins ot premiers la coupe baillie au
prestre cj'a nul des autres, il s'en esmerveillierent de grant manière, et si plot
moût a l'empereor el a toz cels qi environ lui estoient.
La vie de saint Martin se termine par ces vers
(")
Tant truevel'en en l'escriture''' (fol, H3)
Qi del trestot nos assegure
Et qi la vérité en dist ,
Tout ausi com Sevrins l'escrit.
Qi sa vie nous a retrete
El latin, qi molt bien l'a fcte.
Au tesmoing cens qi l'ont leûe
Et tote oïe et entendue.
Au cours de la légende nous avons rencontré un passage en vers,
qui, de même que ceux qu'on a lus plus haut, a le caractère d'une
satire morale (Bibl. nat., fr. 4i2, fol. io5 cd) :
Car qi son signcur voit bien faire Icgierement i puet example prendre. Et qant
li sires qi les aulres doit governer n'entent s'a mal non fore, li autre s'avoient par
aulel manière a tele oevre et a tel costume. Ce puet l'en veoir sovent en cel tens
d'ore plus que l'en ne feïst adonques, car par les seignors qi poesté ont et signorie
empire li .siècles et va a honte.
Car chascuns veut trestot avoir'*'.
Et chascuns tient a grant savoir
Que la ou doit douer souvent
Doinst a chascun pou ou noient ;
Mes je vous di que mal esploite
Qui tout a retenir convoite ,
"' Ce vers, omis dans le ms. 4i2, est réta-
bli d'après le ms. 422. Le ms. il i, (|ui est de
la même famille que 4i2, donne pour ce vers
une leçon inadmissil)le, ja tant ne s'en entre-
metroit, vers de pur remplissage qui se joint
mal à ce qui suit.
'*' Ailleurs, par exemple dans le ms. Bibl.
nat. fr. 17229 (fol. i35 d), les quatre pre-
miers vers seulement sont rapportés, et le
dernier est ainsi modifié : Avront grant joie et
grant leesce.
''' Ces mots forment un vers qui rime avec
Car morir convient en la fin.
Qui souvendroit de seint Martin
Et qui ses voies ensivroit
,1a, certes, avers ne serroit
Ne n'avroit en lui félonie
Ne mauvestie ne vilonie.
le précédent. 11 est difficile toutefois de ne
pas le joindre à la phrase en prose dont il est
le début.
'*' Au lieu des vers qui suivent , il y a sim-
plement dans le ms. 17229 (fol. i4i b), et
dans la plupart des autres copies : « Ce trueve
l'en en l'escripture. »
'*' Ms. Tant en trueve l'en l'escripture.
'*' Le premier seulement de ces vers est con-
servé dans la plupart des manuscrits : voir, par
exemple, inss. 17229 (fol. i3oc), Bibl. Maza-
rine, 1716 (fol. 5a).
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 285
Si en devroit bien sovenir Qi la mort tienent a folie ,
A tous cens qui cuident''' morir. Ne qui ne cuident ja Unir
Mes autres ne le dient mie ''' Ne de cest siècle départir.
A ce ne pensoient mie li deciple seint Martin , ainz cremoient la mort et doutoicnt.
Le récit de la translation, qui suit ordinairement la vie de saint
Martin dans les manuscrits, peut bien avoir été traduit aussi par
Wauchier, mais nous n'y avons pas remarqué de vers.
La vie de saint Brice est traduite d'une légende latine qui se ren-
contre souvent à part (elle est imprimée dans le Sanciuarium de Mom-
britius], mais qui n'est autre chose qu'un extrait de Vliistona Fran-
coram de Grégoire de Tours (livre 11). C'est vers le commencement
que le traducteur a intercalé quelques vers de sa façon. Nous citerons
tout le début de cette légende; on pourra, en comparant avec le
latin, voir comme le traducteur paraphrase et même développe son
texte (fr. 4 1 2 , fol. 127 b) :
Quant seinz Brices cstoit jovenceaus, il guaitoit*^' moût seint Martin por ce qu'il
le veoit vicl home et de grant abstinence et de seinle vie ; et li jovenceaus avoit le
cuer jovene; si ne li pleisoient mie les oevres del seint home qi estoit archevesqcs,
car il vousist bien (|'il se meintenist de dras et d'autres choses plus bêlement, si
com li pluiseur feroient encore, qe s'il veoienl les cvesques et les hautes persones
déduire povrement et en vielz habiz et en granz abstinences por l'amor Nostre
Siguor, il les en blasmeroicnt et diroient que ce seroit ypocrisie.
Por ce ne set l'en mes qe fere ; Qi se meintient moienement
Nus ne se set auquel chief trere : L'on li met sus q'il est escharz;
Beghins est qi viut fere bien, Si est li maus par tout esparz
Ne nus nel tient a crestïen Qe nus ne set qe devenir
Qi le mal fet apertement. Ne la quel voie il puist tenir.
Un jour avint qe uns hom estoit entrepris de grant enfermeté ; si aloil queranl
seint Martin por avoir santé et aide, car li seins hom vivoit '*' encore adonc. Seinz
Brices estoit lors dyacres, et si estoit en la place ou cil demandoit le seint arche-
vesqe. Quant seinz Brices l'oï, il li dist : « Se tu le vius conoistre, regarde de loing,
« car il est dervez, si le porrasbien reconoistre, car il est borgnes et aussi regarde il
« vers le ciel com il fust dervez. »Qant li povreshom entendi ce, il ne l'en fu gueres ,
einz ala tant qerant le seint home q'il l'ot trové, et si fu touz gueriz de s'enfermeté.
Et seinz Martins vint a seint Brice, qi diacres estoit, et parla en tel manière : « Brices,
« dont ne te samble je borgnes et dervez .»>. . .'^'. »
'"' Fr. 42 3 (fol. 87) doivent. « Turonicae civitatis episcopi, sunimi et incom-
'*' Fr. 422 Mes as autres ne di jou mie. « parabilis viri , de cujus virtutibus magna apud
''' Plusieurs mss. ont gaboit. « nos volumina retinentur, Briccius ad episco-
'*' 'SU. li seint home vivoient. «patum succedit. At vero Briccius iste,cuni
''' Voici le latin (Greg. Tur. , Hist. Franc. « esset primiEvae aetatis juvenis, sancto adhuc
II, i) : «Igilur, post excessum beati Martini i Martino viventi in corpore multas tendebat
286
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
C'est dans la version des Dialogues de Sulpicc Sévère sur saint
Martin que se trouve le témoignage le plus précis sur l'œuvre de
Wauchier. Il ne le cède pas en importance à ceux que nous a fournis
le manuscrit de Garpentras.
La version des Dialogues sur saint Martin nous a été conservée
par trois manuscrits qui forment une famille très nettement définie,
étant trois exemplaires à peu près identiques d'un même recueil
(Bibl. nat. , fr. 4 1 1 et 4 1 2 ; Musée brit. , 20 D vi). A la fin de cette tra-
duction se lisent des vers, écrits comme prose, où on apprend que le
traducteur des Dialogues est en même temps celui de la vie de
saint Brice ; qu'il s'appelait Gauchier, ce qui est le même nom que
Wauchier, et qu'il écrivait pour le comte de Namur. Le passage est
malheureusement corrompu dans les trois manuscrits, qui dérivent
évidemment d'un même original déjà fautif; cependant le sens géné-
ral n'est pas douteux. Voici le texte d'après le manuscrit Bibl. nat.
fr. 4 1 ^ , fol. 127. Nous mettons les vers à la ligne :
Or vos ai l'uevre consommée '''
Des miracles de saint Martin ,
Si com jes trovai el latin ,
Que Severus fist et treta.
Mes Gauchiehs, qi les translata
En ronianz , avant nos raconte
De Namur son signer
Avant la vie de seint Brice sans sejor'''
Qui fu esleûz
« insidias pro eo quod ab eodem plerumque cur
« faciles res sequeretur arguebatur. Quadam
« autem die , dum quidam infirmus medicinam
«a beato Martine expeteret, Briccium adhuc
• diaconum in platea cenvenit , cui simpliciter
« ait : « Blcce ego praestolor bcatum virum et
« nescio ubi sit , vel quid eperis agat. » Cui Bric-
«cius : «Si, inquit, delirum illum quaeris , pro-
ie spice eminus : ecce caelum solite , sicut amens ,
« respicit. » Cuinque pauper ille , eccursu rcd-
« dite , tpied pcticrat impetrasset , Briccioneni
« diaconum vir beatus alloquitur : « En ego,
« Bricci, delirus tibi videor ? »
'"' Ce vers parait isolé : en réalité il rime
avec la fin du paragraphe précédent, qui se
termine par ces mets : « Et il se levèrent tuit
« et départirent, car ja estoit près de la vesprée. »
'*' Ms. lin : Avant la vie sanz sejor De saint
Brice, ce qui parait meilleur.
A arclievesque del pais
Après la mort de ce seint home '*'
Dont contée vous ai la some.
Or aiez pais et si oie/. '*'
Et vos cuers a '*' bien apoiez,
Car pou puet li biens profiter
Celui qui nel viut escouter;
A enviz fet bien , ce m'est vis '*',
Qui le bien escoute a enviz'''.
'"' Saint Martin.
'*' Le ms. 4ia de la Bibl. nat. et le ms. du
Musée brit. portent aiez.
''' Les deux mômes mss. omettent a.
'*' Les deux mss. portent : ce m'est a vis.
''' \'oici deux essais de restitution dont au-
cun ne nous satisfait pleinement :
1° Mes Gaucliiers, qui les translata
En roman z, avant nos raconte.
Par le comanciement le conte
De Namur, Felip , son signor.
Avant la vie sans sejor
De saint Brice qui fu esiit
A archevesque de! pais.
2° Mais Gaucliiers, qui les translata
Kn romanz par romani le conte
De -Namur, son signor, nos conte,
[ Si com il plot a cel signor,]
Avant la vie, etc.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
281
Il n'est pas hors de propos de transcrire un passage de cetle version
(les Dialogues de Sulpice Sévère, pour montrer quelles libertés
Wauchier prenait avec son texte, abrégeant le plus souvent et n'hé-
sitant pas à omettre les passages difficiles.
DiAL. I, XXVII.
«Ego plane, inquit G;iHus, licet impar siin
1 lanto oneri, tamen, relatis suporiiis a Postu-
iniano obœdientiœ cogor exeniplis ut munus
1 istud quod imponitis non recusein. Scd, dum
1 cogito me hominem Gailum inter Aquitanos
1 verba faclurum, vereor no ofiV'iidat vestras
1 nimiuniurbanas auiessernio nisticior. Audietis
1 me tamen ut giirdonicimi hominem, nihil cum
1 fuco aut cothurno loquenlem. Natn si mihi tri-
i buistis Martini me esse discipuluin, iHud etiam
1 concedite ut mihi iiceat, exemple illius,inancs
sermonum pbaleras et verborum ornamcnta
contemnere. » — «Tu vero, inquit Postu-
t mianus , vel celtice aut si mavis gallice loquere,
1 dummodo Martin umloquaris. Egoaulem credo
quia, etiam si mutas esses, non defutura tibi
verba quibus Martinum facundo ore loquereris,
sicut Zacharia) in Johannis nomine lingua reso-
luta est. Ceterum, cum sis scbolasticus, hoc
ipsum quasi scholaslicus artificiose facis, ut
excuses imperitiam, quia exuberas eloqiientia;
sed neque monachum tam astutum neque
Galium decet esse tam callidum. Verum adgre-
dere potius et quod te manet explica : nimium
enim dudum aiias res agentes consumimus
tempus, et jam solis occidui umbra prolixior
1 monct non multum diei vicina nocte supe-
; resse. »
BiBL. NAT. , FR. 4 1 3 , FOL. 1 IQ.
Lors respondi Gaulus et si
dist : « Enrore no soie je mie sidi-
« gnes do raconter si grant oevre,
« li example d'obodience qe Pos-
« tumiens nos raconte me con-
« streint a ce qe je ne refuse mio
" ce que vos me rovez et proies qo
«je die. Mes je me criem molt
« qo mes paroles ne soient mie si
" bien assises coin les pluisors qo
Il vos avez oïes. Mes, nonporqant,
Il je vos conterai ce qe je en avrai
« veii a la plus bêle manière que
«je porai et savrai. » Dont dist
Postumiens : « Galle, di et parole
Il seûrement, car je rejehis et croi
«qe, se tu estoies mus et sanz
«parole, et tu de saint Martin
« parler voloies et ses fèz racontei',
« qe tu ta parole raveroies, aussint
« conme Zacharie le rot por de-
II mostroi' le non seint Jehan Bap-
II tiste. Mes or conmence heitie-
« ment et si nos raconte ce qe tu
« en sez et veïs, car nos avons
Il auques de tens gasté en autres
« paroles, et la nuiz aproche qi
« nos semont qe tu de conter ne
« targes mies. »
Les vies de saint Jérôme et de saint Benoit, la vie de saint Martin,
dont les Dialogues de Sulpice Sévère sont le complément, celle enfin de
saint Brice, disciple et successeur de saint Martin , se rattachent assez
naturellement aux récits sur les Pères de la Thébaïde et au Dialogue
de saint Grégoire. Saint Jérôme vécut de la vie des anachorètes qu'il
288 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PEIŒS.
a contribué à nous faire connaître. Les Dialogues de Sévère sur saint
Marlin sont conçus dans le même esprit que le Dialogue de Grégoire.
Il est naturel que tous ces écrits hagiographiques, inspirés par un
même sentiment et présentant une réelle analogie , aient été mis en
français par le même écrivain.
Il est une autre légende française, d'un caractère fort différent, que
nous croyons pouvoir joindre à l'œuvre littéraire de Wauchier, bien
que les preuves en faveur de cette attribution ne soient pas aussi
décisives que pour les ouvrages précédents. C'est une vie de sainte
Marthe, l'hôtesse du Christ, dont l'original a été imprimé dans le
Sanctuariiim de Mombritius. La traduction dont nous voulons parler
ne paraît pas avoir été fort répandue, car nous n'en connaissons que
deux copies, l'une qui fait partie d'un grand légendier français, le
manuscrit Bibl. nat. fr. 6/4^7 ''\ l'autre insérée, entre divers écrits
pieux en vers ou en prose, dans le manuscrit Bibl. nat. fr. igôSi '"^'.
Elle est précédée d'un long prologue en vers octosyllabiques, et
contient au moins deux morceaux qui présentent la même forme.
Dans le prologue et dans l'un des passages en vers, l'auteur exhorte
ses contemporains à faire le bien, à se garder de l'amour des richesses,
afin de n'être pas pris au dépourvu le jour redouté du jugement der-
nier. C'est une idée que Wauchier a plus d'une fois développée. Le
prologue, qui est fort long, ayant été publié ailleurs'^', nous ne le re-
produirons pas ici; nous lui emprunterons toutefois quelques vers
qui peuvent être utilement rapprochés de certains passages cités plus
haut. L'auteur, parlant du jugement dernier, s'exprime ainsi :
Por Dieu, sigiior, dont ke feront Biautés, cointise ne rikece?
Cil ki el siècle poi bien font Nenil, se par Dieu n'est donée,
Quant venra a cel jugement ? Ja n'i iert nule riens contée
Li vauront auques li parent , Par amparlier
Force , valors ne grant noblece ,
Comparez ces vers insérés dans la version de YHisloria monachorum
(ci-dessus, p. 276) :
Dex! que porront il devenir ? Seront [tresjtotes lor paroles. . .
Feront il emparliers venir ? N'i valront rien li eritage
Nenil certes : vaines et foies Ne li pris de chevalerie.
''' Une notice détaillée de ce manuscrit a '*' Ce manuscrit, qui n'est que du xv* siècle,
été publiée dans les Notices et extraits, XXXV, n"a pas été mentionné dans la notice citée à la
435-5io. Pour la vie de sainte Marthe, voir noie précédente,
p. 5oo-5o3. '•'* L. L, p. 5oi-5oa.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
280
Il y a, dans le prologue de la vie de sainte Marthe, une indication
précise des circonstances dans lesquelles cette légende a été mise en
français :
F'.nsi le coininande ma daine.
Gui Die\ garisse cors et aine ,
Et ait merchi de son bon père,
Ki fu et quens et emperere
De Constant inople le grant.
Et de sa inere le vaillant ,
Ki fu très jentils dame et sainte ;
Onques de li ne fisent plainte
A Dieu les glises ne les gens,
Ains lorfist mains hiaus dons et jens'''.
Baudouin, comte do Hainau et de Flandre, empereur de Gonstan-
tinople en 1 2o4 , mort en i 206, laissa deux fdles, Jeanne et Margue-
rite, qui furent l'une après l'autre comtesses de Hainau et de Flandre,
Ja première après la mort de son père, de 1206 à i244i la seconde
de 1244 à 1280. Si nous supposons que l'auteur de ces vers était
Wauchier, nous devrons nécessairement admettre que c'est pour la
première de ces deux dames que la vie de sainte Marthe fut tra-
duite'^l
Les ti-aductions que nous avons assignées à Wauchier sont-elles
les seules qu'il ait composées? Nous n'oserions l'affirmer. Toujours
est-il que nous n'avons reconnu sa manière dans aucune autre des
nombreuses vies de saints en prose française qui nous sont parvenues,
et qui fourniront la matière d'une prochaine notice dans le présent
volume. Il ne serait pas impossible, toutefois, qu'il fût l'auteur d'une
vaste compilation d'histoire ancienne, s'étendant de la création du
monde jusqu'au temps de César, qui fut composée, entre 1228 et
1280, pour un châtelain de Lille, appelé Roger. L'auteur anonyme
de cette composition aime, comme Wauchier, à joindre à certains de
ses récits des réflexions morales rédigées en vers octosyllabiques *'^'.
\
'"' Dans la notice précitée (p. 5oi), on a
supposé que la dame désignée était Marguerite ,
la seconde fille de Baudouin ; mais rien ,dans le
texte , ne favorise cette identification plus que
l'autre , et si on admet que le traducteur était
Wauchier, qui écrivait du temps de Philippe,
comte de Namur, c'est-à-dire vers i a 1 2 , il
devient infiniment probable qu'il est ici ques-
tion de Jeanne.
''' Notons ici que leur mère , la femme de
Baudouin, Marie de Champagne (fiao^),
passait pour une femme instruite. Sur le tom-
beau de son frère , Thibaut II 1 , comte de Cham-
IIIST. LrrTER. — \x\ui.
pagne, mort en laoi, elle était représentée,
ainsi que d'autres membres de sa famille , et à sa
statue était jointe une inscription ainsi conçue :
Hec est germanu , Oos unicus , una Maria ,
Circa quam studuit Ibrmandam tota sopliia.
(H. d'Arbois de Juhainville, Hist. des durs
et des comtes de Ckampar/ne , IV, q5.)
'"' Cette compilation a été analysée dans la
Roniania, XIV, 87 et suivantes. Quelques addi-
tions à cet article ont été faites dans le Bulletin
de la Société des anciens tea-tcs français, i8g5,
p. 83-96.
37
290 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
Ces vers lie présenlent rien de bien caractéristique et la valeur poé-
tique en est médiocre, en quoi ils ne se distinguent guère de ceux
que nous avons rapportés dans les pages précédentes. On y trouve
aussi, comme chez VVauchier, des exhortations à fuir le péché et à
vivre saintement, fondées sur la pensée de la mort, et en même temps
une tendance à blâmer la vie des nobles et notamment leur vanité et
leur avarice. Ce sont là des lieux communs, qui, en l'absence de
preuves positives, ne nous permettent pas d'aller au delà d'une
hypothèse.
Nous présenterons une dernière hypothèse au sujet d'un ouvrage
de tout autre nature, que des raisons assez fortes permettent d'attri-
buer à notre Wauchier de Denain. Il s'agit de l'une des continuations
du Percevalde Chrétien deTroyes, dont l'auleur a élé jusqu'ici, non
sans vraisemblance, appelé Gaucher de Dourdan. Mais, comme on l'a
fait remarquer dans un précédent article'"', ce nom se présente dans
les manuscrits avec de nombreuses variantes : Ganchier de Doleris,
Gauchier de Doudain, Gauchier de Dordans , Chaucer du dous tans, Gau-
tier de Denet, Gautier de Dons'^K Or un manuscrit de Perceval récem-
ment acquis par le Musée britannique (Addit. 366i4'''') porte Gau-
chier de Donaing, et il n'est pas douteux que Donaimj est une ancienne
forme du nom actuel Denain, qui, selon une obligeante communi-
cation de notre confrère M. Longnon, était en latin Donincuin'-'*K Le
nom du continuateur de Chrétien est donc identique à celui de notre
traducteur de pieuses légendes. Il y a une autre raison d'identifier le
premier avec le second. La continuation de Perceval qui a pour auteur
Gauchier ou Wauchier de Denain est restée inachevée. Par une cause
ignorée elle s'arrête au milieu d'une phrase. L'œuvie interrompue fut
reprise par le poète Manessier, qui, d'après son propre témoignage,
travaillait pour la comtesse Jeanne de Flandre. Il n'est pas invrai-
semblable de supposer que Wauchier avait entrepris de continuer le
Perceval à la requête de la même dame, de sorte que l'identité du nom
et fidentité des circonstances conduisent à la même conclusion.
<') Ilisl. lia. de la Fr.. XXX, 38. logue de vente (1901). Voir Bibl. de l'Ec. des
''' Voir l'édition de Potvin, note sur le cWtej, LXllI, 56.
V. 33755. '*' Flodoard,i4;inaiej, ad ann. ((3 1. L'édition
''' Ancien ms. Barrois 1 , ayant appailenu au des Monamenla Germaniae historica a adopté la
comte d'Ashburnham; c'est le n" 463 du cala- mauvaise leçon DomincHHi, mais voirla variante.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 291
Nous ne savons pas quelle était la condition sociale de Wauchier
de Denain. Nous pouvons conjecturer qu'il était clerc, quoiqu'il ne
prenne cette qualité en aucun des passages où il s'est désigné. Mais
devait être un clerc séculier ou un de ces chapelains vivant dans le
ce monde que les seigneurs avaient habituellement dans leur mesnie.
Assurément il n'appartenait pas à un ordre religieux : l'opinion défa-
vorable qu'il exprime au sujet des moines ne laisse guère de doute
sur ce point. C'était un homme pieux, ayant de la pitié pour le
pauvre peuple et poursuivant d'une haine vigoureuse 1 avarice et
la cupidité des « hauts hommes »''\ d'ailleurs médiocrement instruit,
ce qui ne nuit pas à son style, qui est en général simple et clair. Les
seules données chionologiques que nous possédions sur sa vie et sur
son activité littéraire se déduisent des passages que nous avons cités.
C'est du vivant de son protecteur, le comte de Namur, qu'il traduisit
les vies de saint Jérôme, de saint Benoit, de saint Martin (y compris
les Dialogues de Sévère) , de saint Brice, par conséquent avant 1212;
c'est plus tard sans doute qu'il entreprit de mettre en français les Vies
des Pères et les livres l et III du Dialogue de saint Grégoire. Ce qui, du
moins, paraît assuré, c'est que le prologue des Vies des Pères, ou plus
])articulièreinent de la vie de saint Paul l'ermite, a été écrit après la
mort de Philippe de Namur. Quant à la vie de sainte Martl)e, si,
comme nous le pensons, elle doit être attribuée à Wauchier, elle ne
peut évidemment être antérieure à 1206, année où .leanne de Flandre
succéda à son père, Baudouin de Constantinople. Il est même très
probable qu'elle est postérieure à 1211, c'est-à-dire au mariage
de Jeanne avec Ferdinand de Portugal. Depuis la mort de son père
jusqu'à cette date la princesse fut sous la garde de Philij)pe Auguste
qui la tenait prisonnière, et il n'est guère vraisemblable qu'on lui ait
oIFert une composition littéraire avant sa libération. La même conclu-
sion s'applique à la continuation de Perceval, qui , étant restée inache-
vée, peut passer pour l'une des dernières œuvres de Wauchier. Nous
n'oserions affirmer que ce fût exactement la dernière de ses œuvres.
On a remarqué, en effet, que l'histoire ancienne composée pour le châ-
telain Roger entre 1228 et 1 280, que nous sommes portés à attribuer
à Wauchier, est incomplète. L'auteur annonce dans son prologue
'"' Voir ci-dessus, p. 275.
37.
292
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
l'intention de traiter des premiers temps de l'histoire de France et de
l'histoire des Flandres. Son travail, tel qu'il nous est parvenu, s'ar-
rête à l'époque de César*''. 11 est d'ailleurs fort possible que Wau-
chier ait poursuivi simultanément la rédaction de ses compilations
historiques et celle de la continuation de Perceval.
TRADLCTION EN PROSE, FAITE POUR BLANCHE, COMTESSE DE CHAMPAGNE.
Vers le temps où Wanchier traduisait pour le comte de Namur
les vies des Pères ermites et de quelques autres saints, peut-être
3uelques années plus tard, un écrivain anonyme composait une œuvre
u même genre pour Blanche de Navarre, épouse ou veuve de Tlii-
baut 111, comte de Champagne. Il traduisait plusieurs des écrits con-
sacrés aux anachorètes de la Thébaïde, ignorant très probablement
qu'il avait eu un devancier. Son œuvre paraît avoir été bien accueillie.
Nous n'en connaissons pas plus de deux copies complètes, l'une à la
Bibliothèque nationale, fr. io38'^', l'autre à la Bibliothèque munici-
pale de Lyon, n° 778, mais des parties plus ou moins considérables
s'en trouvent dans d'autres manuscrits que nous énuméreions à la
fin de la présente notice. Avant d'aller plus loin, nous transcrirons
tout d'abord, d'après le ms. fr. io38, le prologue en vers qui nous
fournit toutes les notions que nous possédons sur les conditions dans
•'' Voir Romaiiia, XIV, 57.
'*' Ce manuscrit, exécuté en France vers ie
commencement du xiv' siècle, l'ut bientôt
transporté en Angleterre. Une uote tinaie ,
d'une écriture anglaise, nous apprend qu'il ap-
partint , dans la seconde moitié du même siècle ,
à la comtesse d'Oxford, Philippe de Couci, fille
d'Enguerran VII de Couci. D après une autre
note , écrite au folio 4 v°, il fut acquis , après le
décès de cette • dame , par Sibille de F'elton ,
abbesse de Barking ( FIssex ) . Acheté en Angle-
terre, probablement par Charles d'Orléans, il
revint en France au xv* siècle et fit partie de
la librairie de Blois, avec laquelle il entra, en
i544, dans la bibliothèque royale, à Fon-
tainebleau. Voir Delisle, Le Cabinet des manu-
scrits,!, 110. — Nous faisons usage de ce manu-
scrit parce qu'il est, avec l'exemplaire de
Lyon , le seul complet. Mais nous ne nous dis-
simulons pas qu'il contient beaucoup de mau-
vaises leçons, comme on le constate facilement
par la comparaison avec d'autres copies (voir
plus loin, p. 29g, note 4). Le texte de Lyon
n'est pas plus correct.
La langue du manuscrit 1 o38 présente cer-
taines particularités entre lesquelles deux se
rencontrent fréquemment dans les textes fran-
çais de la Champagne : les groupes an et en
avaient pris le même son, et, par suite, sont
souvent écrits l'un pour l'autre; ainsi comende-
rcnt, conlenence, qucnque , tent (tant), et inver-
sement van: (vents). L's placée avant une
consonne, n'étant plus prononcée, est souvent
omise : crrticns , montrer, tretot ; d'autres fois,
celte même lettre , considérée comme muette ,
est introduite en des mots où elle n'a que
faire : ausire, aast rement, meslre (mestre), usl
(eut).
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
293
lesquelles l'ouvrage a été fait. Nous ne l'avons rencontré que dans les
deux manuscrits précités*''.
I 2
Seinte '^' Escriture fet savoir (fol. à b)
A ceus qui ont sens et savoir
Qu'il enseignent si con il doivent,
Ix Car cil qui l'avoir Dieu reçoivent,
S'il ne l'emploient et éprennent,
L'Escriture dit qu'il mesprennent.
Ore est moult sHges qui emploie
8 Et despende bien la monnoie
Que Damedieux li a bailliée,
Que, s'il ne l'a monteploiée,
Jesu Crist li demandera
Au jour ou nus ne pledera.
Gentil contessc de Champaigne,
Fille au bon roy Sansse d'Espaigne ,
Ge n'ai mie en moi grant science.
Et nepourquant vostre excellence,
Qui ne fet pas a correcier.
Me fist ceste euvre comencier.
Par vous encomençai ceste euvre
Por cuers de crestiens esmeuvre
A bien penser et a bien faire ,
Et pour eus de pechié retraire.
Les autres dames de cest mont ,
2 4 Qui plus pensent aval qu'amont ,
Si font les mençonges rimer
Et les paroles alimer
Pour les cuers mielz enrooillier
28 Et pour honesté avillier.
Dame, de ce n'avez vos cure :
De mençonge qui cuers oscure,
Corrompent la clarté de l'ame,
20
Sa N'en aiez cure, douce dame.
Leissiez Ciigès et Perceval,
Qui les cuers tue et met a mal,
Et les romanz de vanité; (c)
36 Assez trouverez vérité.
Jeroimes dit que cuers entiers
N'ot pas mençonge volontiers.
Toute mençonge Dieu desplest;
4o Et ce que Dieu het, si vous plest.
C'est granz maux et grant vilenie.
Or se giirt chaucuns qu'il ne die
Chose qui a mal faire apraigne
^ /i Et qui les cuers des genz espraigne
De rage et de maie aventure.
Tout va , mes que bien fait qui dure :
Force, biauté, chevalerie,
US Aise de cors et seingnorie.
Et quanc'on voit tretout trespasse.
S'uns riches hom avoir amasse
Tout per t quanqu'il a en ime heure ;
62 Chose qu'il a ne li demeure.
Il meurt et on le met en terre.
Dieux! pour qu'est on si chauz de!
[querre
Puis c'on pcrt ce c'on a si tostP
56 La mort est celé qui tout toust.
Qui bien penseroit a la mort,
Con parfondement ele mort ,
Tost despiroit tretout ce monde.
60 Qui des deliz du mont se monde.
En son cuer en souztret et oste,
8. Corr. despent en bien? — 910. Lyon baillie. Que s'il bien ne la multeplie. — 3i. Corrompent pour cor-
rompant? Lyon -Et c. la cl. dame. — 34. Lyon perce et trait a vaul. — io. si, Lyon j'z7. — /16. Lyon Tôt
aa ma» qui. Le sens est : Tout passe; seuls les bienfaits durent. C'est l'ancien proverbe : «Tout passe fors
que le bienfait» (Le Roux de Lincy, Livre des prov., II, 437). — 53. met, Lyon mot.
'*' Un bibliophile du xviii* siècle, M. de
Bombarde , possédait un manuscrit de la même
version, ainsi décrit dans un ancien cata-
logue : « La vie des Pères du désert , en prose ,
• avec une épitre dédicatoire en vers» (H. Mar-
tin, Histoire de la Bibliothèque de l'Ai'senal,
p. 286 ). Nous ignorons le sort de ce manuscrit.
Peut-être est-ce l'exemplaire de Lyon.
''' L'j initiale contient une miniature repré-
sentant un moine écrivant.
294
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
H a Nostre Seingnor a oste.
N'est il buer nez a cui manoir
6ti Daingne cil qui tout fisl manoir ■'
N'est il merveilles, quant en cendre
Daingne li roys du ciel descendre?
Vilz est li monz et home et feme;
68 Tuit sonmcs boc, fors que l'anie
Qui fait vivre et mouvoir le cors.
Li cors put et lame en est l)ors.
— Conment? Il est et biaux et genzP
n 2 — Non est , mes il le semble as genz
Par ce qu'il ont foible regart :
Nus n'est , qui par dedenz regart.
Nous lisonnies en escritures [d)
-j 6 Que nus n'est biaux en ses natures.
Ce qu'en tient home et famé a bêle
Ce par ce que li jours chancelé;
Et , qui esgarde bien a droit ,
8o Soit uns bons trop biax orendroit ,
Si le change une fièvre et mue
Qu'il a sa grant biauté perdue.
Tout vet défaillant, toi empire;
84 Pour ce si doit on tout despire.
Et , puis qui n'est rien qui ne faille ,
Foux est cil qui se fie en faille;
Ge di, qui veut si m'en desdie,
88 Foux est qui en ce mont se fie.
Nous trouvons, lisant en cest livre.
Que cil qui vouloient bien vivre
Laissassent viles et citez,
9'2 Que tout leur sembloit vanilez.
Et fuioient quanqu'il veoient :
Tuit seul es deserz s'en fuioient
Pour conquerre iluec paradis,
96 Car il leur estoit bien a vis
Qu'il n'a riens estable sor terre;
Si vouloient le ciel conquerre :
El ciel a quanqu'en puist voloir.
1 00 Metez i tout vostre vouloir.
Gentil contesse, fille a roi.
Les autres facent lor derroi ,
Et vous ailliez la loial voie ,
1 o 4 Si que li rois des rois vos voie
Vivre en cest siècle loiaument ,
Et vous regart si doucement
Qu'il vos traie a sa compaignie
1 08 Par la bonté de vostre vie.
Cijenist li prologues.
62. Vers omis dans Lyon. — 70. et, Lyon i/uant. — 71. Lyon csl il. — 75-6. Lyon escriptuie. . . sa
nature. — 78. Lyon Ce est. — 79. Lyon Et qu'il n'esgardent. — 88. Vers proverbial: Fox est qui ou siècle se
fie est le premier vers d'un des contes de la Vie des Pères {Jahrbuckf. rom. u. ertgl. Literatur, VU, iïj). —
gi. Lyon leissoient. qni vaut mieux. — gS. Lyon E fui noienz. — 98. .S'i, Lyon SU. — 101. Ms. Gentille.
Ces vers expriment avec une lacililé commune des idées banales.
On n'y trouve presque rien qui s'applique particulièrement aux Pères
du désert, rien qui ne puisse être dit à propos d'un ouvrage d'édi-
fication quelconque. La parabole du talent enfoui, d'où est tiré
l'exorde, avait été maintes fois utilisée par de pieux trouvères, et les
développements sur la vanité des biens de ce monde sont un lieu
commun très rebattu. D'autre part, la recherche des rimes léonines,
qui a comme résultat la prépondérance des finales féminines, dénote
un versificateur exercé. Nous ne serions pas surpris que fauteur de ce
prologue eût composé quelqu'un des poèmes hagiographiques dont
nous donnerons la liste en un prochain article. Nous n'avons d'ail-
leurs aucun renseignement sur sa personne. Sans nul doute c était
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 295
un clerc. Peut-être était-il le chapelain de la comtesse Blanche. Nous
verrons plus loin qu'il devait appartenir au clergé séculier. Il est
permis de supposer qu'il était Champenois. Nous désignerons sa ver-
sion parle nom de «version champenoise».
L'usage de mettre un prologue on vers au-devant d'un écrit en
prose, sans avoir été très fréquent, est attesté par un certain nombre
d'exemples qui, assez naturellement, se placent dans les premières
années du xiii'' siècle''^, alors que la prose commençait à obtenir fa-
veur pour les compositions historiques et surtout pour les traductions.
Par une sorte de concession à l'usage plus ancien d'écrire en vers,
qui devait se continuer longtemps encore, on rimait la préface, ou, si
on intercalait dans la traduction quelques réflexions personnelles, on
les rédigeait en vers, comme faisait Wauchicr de Denain.
Notre traducteur nous fait part de temps à autre des idées que lui
inspirent les récils qu'il met en français, mais il les exprime en prose.
Blanche de Navarre, parle commandement de qui l'ouvrage fut
composé, épousa en 1 199'''' Thibaut III, comte de Champagne. Elle
devint veuve en 1 201, quelques mois avant la naissance de celui qui
devait être Thibaut le Chansonnier. Elle exerça la régence jusqu'à la
majorité de son fils, en 1222, et mourut en 1229. C'est donc entre
1 199 et 1229 que se place la rédaction de l'ouvrage, plus près, vrai-
semblablement, de la seconde date que de la première.
La comtesse de Champagne était femme de tête, car, pendant la
minorité de son fils, elle eut à faire face à bien des difficultés et s'en
tira à son honneur'^'; mais elle paraît avoir eu peu d'inclination pour
la littérature vulgaire, qui, de son temps, fut si florissante en Cham-
pagne; en quoi elle différait sensiblement de sa belle-mère (qu'elle
ne connut jamais), Marie de France, femme du comte Henri le Libé-
ral. L'auteur du prologue pouvait donc, sans l'étonner, lui parler
avec mépris de CUcjès, de Perceval, et envelopper dans une même
réprobation tous les c romans de vanité». Ses goûts étaient sérieux.
Elle avait prié Adam, abbé de Perseigne, de lui envoyer ses sermons.
Celui-ci les lui adressa, avec une lettre où il exprimait des doutes sur
'"' Une histoire en prose de Philippe Au- ''' Voir, pour celte date , H. d'Arbois de Ju-
guste commençait par un prologue versifié ; voir bainville , Histoire des ducs et des comtes du
Romania, VI, 49^. De même encore l'histoire Champagne, IV, 89.
ancienne jusqu'à César qu'il est permis d'attri- ''' Voir pour l'histoire de sa régence , l'ou
buer à Wauchier (ci-dessus, p. 28g). vrage cité, IV, 101 et suiv.
296
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
l'aptitude de la comtesse à comprendre des écrits latins : à la vérité elle
pourrait se les faire expliquer, « mais, ajoutait-il, sache bien, ma fille,
M qu'un ouvrage traduit d'une langue en uneautre perd toute saveur''' ».
La défiance d'Adam de Perseigne à l'endroit des traducteurs n'em-
pêcha point la comtesse de faire faire la compilation dont nous allons
distinguer les éléments à l'aide du ms. fr. io38 de la Bibliothèque
nationale. Les manuscrits qui contiennent quelques parties du même
ensemble de traductions seront examinés et classés plus loin.
L'ouvrage est divisé, dans les manuscrits complets, en deux livres
qui renferment chacun la traduction d'écrits assez divers. Le premier
livre contient les vies de saint Paul (par saint Jérôme) et de saint An-
toine (par saint Athanase), avec YHistoria monachorum de Rufin. Les
traités dont se compose le second livre sont les Verba semonim. attri-
bués à Rufin (hvre m du recueil de Rosweyde), les Excerpta de
Sulpice Sévère et de Cassien (livre IV de Rosweyde), des extraits des
Verba seniorum traduits par le diacre Pelage (livre V de Rosweyde);
puis les vies des saintes Marine, Euphrosyne, Marie la pécheresse,
nièce de l'abbé Abraham, Thaïs (fin du livre I de Rosweyde), suivies
de quelques morceaux d'origines diverses; enfin les vies de saint
Hilarion et du moine Malchus. Après la vie de Malchus se trouve l'ex-
plicit du second livre. Les manuscrits de Paris et de Lyon con-
tiennent encore quelques écrits français dont nous parlerons plus
loin, mais qui n'ont guère de rapport avec les vies des Pères.
Nous donnerons présentement quelques extraits qui permettront
d'apprécier le caractère des traductions et de distinguer cette compi-
lation d'autres de même genre. Voici le début (Rosweyde, p. 17 b;
Migne, Pair, lat., XXlll, 19), qu'on pourra comparer à celui de
Wauchier (ci-dessus, p. 260) :
(Fol. 1 '*') Le premier livre des sainz Pères.
Ici conmencc la vie des sainz Pères; premièrement de saint Pol l'ermite ^^\
''' Durand et Martène, Amplissima Colleclio,
I, 1035.
*'' C'est en réalité le cinquième feuillet , mais
les quatre premiers, contenant la table et le
prologue, ont une pagination à part.
''' Ici le nis. de l-yon 773 introduit, en ren-
voi dans la marge inférieure, un prologue, em-
prunte à une autre version de la vie de saint
Pan! l'ermite, commençant ainsi : «Assez de
« gent ont scjuvent doute qui lu H premiers
«hermites qui premièrement habitast es forez,,
«quar li aucun dient (]ue sainz Helyes et saint
«Jehanz furent cbiés et commencement de tel
« manière d'ordre ...» C'est la traduction du
prologue de saint .Icrome. Nous aurons à men-
tionner, dans une prochaine notice, plusieurs
copies de la traduction française à laquelle a|V
pariient re prologue
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 297
Sainz Giroimes conte, el comencement de ceste vie, de .ij. emperieres qui moût
furent crieus et meut tourmentèrent de cretïens. Entre ces choses que li dui empe-
reeurs firent, si en furent .ij. que sainz Giroimes conte pour moutrer leur grant
cruiauté et pour moutrer en quel persécution sainte Yglise estoit au tens saint Pol,
le premerain hermite, cui vieil conte cy. La première chose fu que, quant il orent
assez tormenté saint Gyprien , le beneoit hermite et martyr, par une manière de tour-
ment que l'en apeloit chevau de fut, et il l'orcnt gité en feu et en flambe et mis en
paelles ardenz, si comenderent que en l'oinsist de miel et si le meist l'en u plus
ardent soleil, les mains liées deriere le dos, pour ce que les mouches le poinsissent
de leur aguillons . . .
Voici maintenant le début de la vie de saint Antoine par saint
Athanase (Rosweyde, p. 35; Migne, Patr. lat., LXXIII, i 9,5) :
(Fol. 3 d) Ici conmence la vie saint Anloinne.
Li evesque[s] delà cité d'Alixandre qui avoit o non Athenaises, qui preudom estoit
et bons clers, escrist premiers la vie saint Antoine en grieu, et .j. prestrcs qui avoit
non Evagre la translata de grieu en latin, par la prière d'un preudom qui avoit non
Innocensies. Moût par fu saint Antoinnes de haute vie, si come vous orreiz en cel
livre. Nous lisons qui fu d'Egypte nez et hauz hons de lignage. Ses pères et sa mcre
le firent si près d'eus nourrir que il ne quenoissoit nului se euz non et cens de leur
meson. . .
La traduction de i'Historia monachorum de Rulin fait suite à la vie
de saint Antoine. Le prologue y est plutôt abrégé que traduit. On lira
plus loin ce prologue, ainsi que les premières lignes de YHistoria pr.o-
prement dite. L'ordre des chapitres n'est pas le même que dans
l'édition de Rosweyde, mais, par contre, il est, pour les parties com-
munes, semblable à celui de Wauchier'*'. Voici comment, dans notre
traduction, se suivent les chapitres'"^' :
I (Johannes), xv (Apeiles), xvi(Paphnutius), xu (Elias), xiii (Pithyrion), xiv(Eu-
logius), VII (Apollonius d'Hermopolis), VIII (Ammon), ix (Copres), xi (Helonus),
VI (Theones), XX (Dioscorus), ii (Hor), v (la cité d'Oxyrinchus), xviii (Serapion),
xrx (Apollonius, moine et martyr), xxi (les moines de Nitri), xxii (Cellia), xxiii (Amnio-
nius), XXIV (Didymus), xxx (Ammo, moine de Nitri), xxxi (Paulus Simplex), xxxii
(Piammon), i!i(Ammo), iv (Benus), x(Syrus), xvn (le monastère de l'abbé Isidore),
xxviii (Macarius senior), xxix (Macarius junior), xxx (fin de ce chapitre), vu (fin de
''' Voir ci-dessus, p. 272. — '"' Nous faisons précéder chaque nom du numéro du chapitre
selon l'édition de Rosweyde.
HIST. LITTÉB. XXXIII. 38
298 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
ce chapitre), xxiii (fin de ce chapitre), xxv-xxvii (Cronius, Origenes, Evagrius,
Johannes).
La traduction est complète, sauf qu'il y manque l'épilogue.
La version de notre anonyme, bien que parfois abrégée, se tient
ordinairement plus près du latin que celle de Wauchier. 11 s'en faut
cependant qu'elle soit littérale : c'est une traduction assez libre,
écrite en un style simple et facile. Le traducteur y a introduit sur les
moines de son temps. Comparés aux pieux solitaires de la Thébaïde,
quelques réflexions d'où l'on peut induire que, s'il était chapelain de
la comtesse Blanche, comme nous sommes portés à le croire, il n'ap-
partenait probablement pas à un ordre religieux.
Cette version de YHistoria monachorum se rencontre, plus ou moins
complète, en divers manuscrits qui seront étudiés plus loin. Mais, dès
maintenant, nous pouvons dire que le manuscrit français 35 de la
Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg présente, du feuillet 19^
au feuillet 2 3 1 , la même seriedetextesquelesmss.Bibl.nat.fr. io38
et Lyon 773, à commencer par la version de YHistoria monachorum de
Rufin, pour finir avec celle de Yldnerarium Antonini^^K
La traduction de YHistoria monachorum^'^^ commence ainsi :
(Fol. 11c) Ici conmence li prologues sus la vie des seinz Pères hermites.
Diex, qui fist toute créature, si est tant douz et tant debonneires qu'i voudroit que
tuil fuissent sauf, et que tuit coneïissent'^' la voie de vérité. Les uns atreit par beilies
paroHes, les autres par menaces; les .j. bat et chastie pour eus amender, et les autres
pour son exemple. Exemple est une chose qui moût feit bien [et] mal , dont je di, a
mon esgart, que cil pèche plus morteiment '*' qui pesche en espérance et en espert"'
que cil ne feit qui pèche en repost. Savez por quoi? Cil qui pèche en espert corront
soi et autrui, soi par som pechié, autrui par mauvese essample; mes cil qui pèche
en repost ne feit mal s'a lui non. Assez trocAC l'en essemple de bien feire ans bons exam-
ples des preudes homes et aus livres des sainz. Pour bonne example donner a ceus
qui voudroient a bien entendre, fist uns preudons ce livre, et aia cerchant toute
Egypte pour les bons homes (|ui i souloient estre; et quant il ost veù et cerchié les
''' Des extraits du texte de Saint-Péters- ''' Lyon et Saint-Pét., yricmc»/.
bourg ont été publiés dans les Notices et ex- '*' Dans le ms. i o38 , au-dessus de ce mot
traits , XXXYl , 704 et suiv. est écrit apert. Ms. de Lyon : qui p. en esgart.
''' Rosweyde, p. 448; Migne, XXL 391 . Ms. de Saint-Pétersbourg: ^«e cil peclic plus
''' Ms. covoitassent , corrigé d'après Lyon et grieinent qui pechc en apert que cil qui mespmnt
Saint-Pétersbourg. en repost.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 299
morz et la contenence a chascun , il s'en revint en la terre de Jérusalem , et par la
prière des moinnes qui habitoient u mont Oiiveile, escript il la vie des Pères'", et
si leur donna bonne essample de vivre, et premièrement de saint Jahan l'ermite.
Ici conmence la vie saint Jehan li ermites^'^\ Sainz Jehans li ermites habitoit en une
partye de Baythe [Us. Thebayde), en .j. désert de la cité de Liquesor, en une moût
roite roche. Moût i montoit l'on a painiie, et, se l'en i montoit par aventure, l'en
trovoit l'uis de son moustier clos, nen i pooit l'en entrer. Illec fu li bons [hom] en-
clos dès ce que il ot .xl. anz juques a tant qu'il en ost .iiij". et .x. Ceuls qui venoient a
lui regardoit par une fenestre, fors les famés qui ne vouloit veoir. De tant conme
il plus s'esloingnoit des terriennes choses, de tant estoit il près de Dieu. Damedieu li
avoit donné sa [lis. sij grant grâce de prophecic, qu'il ne disoit mie tant seullement
aus païsanz'^' les choses qui souloient avenir, ainz disoit neis a l'empereeur Theodose
conment il li cherroit de ses batailles et par coi il avroit la victoire . . .
Le traducteur supprime ou abrège les longues observations mo-
rales que l'auteur de YHisioria moncichoram place dans la bouche de
l'ermite Jean. Mais en revanche il ajoute çà et là quelques remarques
de son cru, par exemple à la fin du chapitre sur la cité d'Oxyrynchus,
qui était toute peuplée de moines et de nonnes très charitables '''^ :
[Fol. 21 d) En la contrée de Thebayde avoit une cité qui avoit nom Oritun. S'i
avoit tent [sic] de bien et de rehgion que nus ne le porroit dire. Tout estoit celle
cité plaine de moines et de nonnains et d'autre religieuse gent. et tuit estoient preu-
donmes en la ville, si qu'il''' i avoit gardes atiriées a toutes les portes pour recevoir les
povres genz el les pèlerins qui passoient, et pour eus livrer quenque mestiers seroit. Li
evesques de la ville tesmoingnoit, et li bourj ois, qu'il avoit bien en la ville .xx"'. moines
et .x". nonnains. Se aucuns passoit par mi la ville qui hebergier vouioit, chascune
yglise le vouloit avoir a hoste, tant y avoit de bien et de charité. Or est moût nustre-
ment par les abbaï[e]s, que, quant l'en y a assez hurlé, si n'i puet l'en entrer, ainz despendent li
moine et li autre barateeurs quenque il devroient mestre en leur hospitalité.
Nous citerons le début de la vie de saint Paul le Simple [Hist. mo-
'"' On lit dans le prologue de Rufin : «Tamen, gemment les mots H ermites du texte qui suit.
« quoniam fratrum caritas eorum qui in monte ''' « Non tantum civibus et provincialibus
« sancto Oliveti commanent hoc a nobis l'requen- «suis. » Chap. l.
«ter exposcit ut /Egyptiorum monachorum vi- <*' Hist. monuch., ch. v, Rosweyde, p. 45g.
« tam virtutes([ue animi et cultum pietatis atque Le même morceau a été cité dans la notice du
«abstinent!» robur quod in eis coram vidimus ms. de Saint-Pétersbourg {Notices et extraits,
«.explicemus , precibus ipsorum qui hoc impe- XXXVI, 706), qui offre souvent un texte pré-
«rantjuvandum mecredens, aggrediar. »(Ros- férable à celui du ms. l'r. io38. — Les addi-
weyde, p. /i48; Migne, XXI, 387.) tions du traducteur sont imprimées en plus
'*' Cette faute {li ermites pour l'ermite) vient petit texte.
de ce que le rubricateur a reproduit ininlelli- '*> Ms. 1 o38 : et cil qui.
38.
300 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
nach., ch. xxxi), à titre de comparaison avec la version de Wauchier
(cf. plus haut, p. 267) :
{Fol. 23 c) Entie les deciples saint Antoyne en ot .j. qui ot non Pois; Simples
estoit apelez par seurnon. Tiex fu 11 conmencemenz de sa vie. Il trouva avec sa
famé .j. lecheeur gisant; et quant il l'ot trouvé, onques nul dist, ainz s'en foui u
désert plainz d'esreur et de tristesce. La ou il s'en aloit forvoiant par le désert, si vint
au moutier saint Antoine. Pensa il : « Or les tu bien venuz. Cil preudons t'ensein-
(1 gnera bien que tu doiz feire. » Ala s'en , et li pria qui li donast aucune forme de
vivre. Saint Antoinnes le vit de si simple chiere ; si li di[s]t : « Se tu veus faire ce que
« je t'enseignerai , tu seras saus ...»
Voici le dernier paragraphe de la version [Hist. monach. , ch. xxv-
XXVII et xxxiii; Rosweyde, p. 479 et 484; Migne,XXI, 448 et 46o) :
[Fol. 28) Quatre preudonmes avoit en ce désert de moût grant religion*" et de
niout hautes mérites vers Dieu. Crones avoit non li uns , et li autres Origenes, li autres
Evagres , et li quarz estoit apelez Jehans. Entre les autres vertuz que li premiers es-
toit, si estoit de si grant humilité que nus plus. Li autres estoit de si grant sens et de
si grant pascience que ce estoit une merveille. Li tierz avoit grâce de Nostre Seigneui'
de connoistre esperiz s'il estoient ou bon ou mal , ne ne menjoit nulle foiz de pain.
Li quarz '^', qui Jehans avoit non, avoit si grantgrace de Dieu que nus ne fust ja si
destorbez ne si courouciez, s'il l'oïst parler, qui ne fust joianz.
Ici fine li premiers livres de la Vie des Pères, et conmence li secons.
Ce que les manuscrits Bibl. nal. fr. io38 et Lyon 773 qualifient
de « second livre » est une suite d'ouvrages divers, savoir :
Les Verba seniorum, attribués à lUifin (livre III de Rosweyde);
Les Excerpla Cassianiet Sulpicii Severi (livre IV de Rosweyde);
Des exiraits des Verba senioram, traduits du grec en latin par le
diacre Pelage (livreV de Rosweyde), auxquels sont entremêlés quel-
ques morceaux tirés de deux autres recueils de Verba seniorum, ceux
du sous diacre Jean (livre VI de Rosweyde) et du diacre Paschasius
(livre VII de Rosweyde) ;
Les vies des saintes Marine, Euphrosyne, Marie la pécheresse, fille
de l'abbé Abraham, Thaïs (fin du livre I" de Rosweyde);
Plusieurs récils d'origines diverses;
Les vies de saint Hilarion et de saint Malchus.
'■' Ms. religiona. — ''*' Ch. xx\iv.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 301
Ce second livre commence ainsi'** :
[Fol. 28) Moinnes demandèrent a .j . saint home conment il seroient abstinent. « Biauz
« fiuz, dist li preudons, ii covientque vous lessiez touz les repos de ceste mortel vie,
« les deliz de la char et les précieuses viandes, et que vous ne querez nulles des hen-
<■ neurs du monde. Se vous ce feites , Damedieu vous hennorera '^'. »
Ici encore le traducteur ne se fait pas faute de manifester son anti-
pathie pour les moines de son temps. Ainsi, à la fin du paragraphe 6
(Rosweyde, p. 493 h; Migne, LXXIII, 742) :
[Fol. 29) Uns preudons si ala visiter .j. autre et saluer. Cil le reçut moût Hée-
ment et a belle chiere et appareilla lentilles a mengier'^'. En ce qu'eles cuisoient, si
distrent entr'eus : « Alons, si chantons nos heures et nos siaumes; après si men-
« gérons. » Us alerent; onques ne cessèrent juques a tant qu'il orent tout chanté le sau-
tier. Quant il orent tout chanté le sautier, si lurent d'autres escritures si ententive-
ment qu'il ne sorent onques l'eure qu'il fujorz. Et quant il aperçurent le jour, si con-
mencierent a parler d'autres escritures , juques a nonne. Lors s'entresaluerent et con-
menderent a Dieu li uns li autres'*', et cil s'en râla en sa celle qui son compaingnon
estoit alez veoir. Ambedui avoiant [sic) oublié a mengier por l'Escripture; si trouva
li bons bons l'uille et les lentilles dedanz; si dist : «Dex, merci! conment avons
nous oublié a mengier por noiant ? » Maint sont ores de moines par le monde qui n'enten-
dront a pièce tant au[s] siaimies ne aus oroisons que il en oublient le bolvre et le mengier.
Il n'épargne pas les religieuses (S 33 ; Rosweyde, p. 5o4b; Migne,
LXXIII, 760):
[Fol. 35 d) Uns autres moinnes avoit une sereur. Si oïdire que elle estoit malade;
si l'ala veoir. Elle estoit nonne religieuse, et renonmée de grant sainteé et de bon
contenement. Ses frères estoit une foiz venuz en s'abaïe, mes elle nu vout point
recevoir, pour ce qu'elle nevouloitmie que, pour achaison de lui, parlât aus austres
nonnains, ainz li manda par une vielle famé : « Biau sire frère, alez vous en; vous
« me verrez en 1 autre siècle. » Or sont les nonnains d'autre manière, qu'elles font venir a elles,
souz couverture de parenté, leur amis et leur privez, (JUi sont leur amis par parolies, mes l'uevre
que il font coupe le parage.
Le traducteur a omis les articles 4i à 43 des Verha seniorum, parce
qu'ils se trouvaient déjà, à quelques mots près, dans YHistoria mona-
'■' Cf. ci dessus, p. 277, la version de Wau- weyde.p. 492; Migne , Pair. /at. , LXXIII , 739.
chier. <') Ms. menchier.
'*' Verba seuioram de Ruûn, I, i; Ros- '*' Lire /i on /« «a<re,«?
302 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
chorum, chap. xxvii et xxix. La traduction des Verba seniorum se ter-
mine ainsi (S 2 19 de l'original) :
[Fol. 57 d) Uns frères de Nitre avoit espargnié .c. s. de lin qu'il avoit ouvré, vl
plus les avoit gardez pour espargnierque por avarice. Il fu morz; si lessa les deniers,
et li preudome du désert , dont ill i avoit plus de .v"". , que tuit habitoicnt cliascun par
soi en sa celle , si oïrent dire que cil frères estoit morz o tout propre, et pristrent con-
seil qu'i feroient de li et de l'argent. Li uns dient que l'en les doint aus povres, Il
austre dient qu'en les rendist au[s] parenz. Maint conseil en firent puis, et tant que
.iij. abez, par qui li Sainz Esperiz parloit, atirerent que l'en les metroit en terre avec lui ,
et diroit l'en : « Ta pecune soit avec toi en perdicion ! » Li livres dist qu'il nu firent mie
tant por cruauté conme pour donner example a ceus qui vifestoient qu'il ne meïssent
ensemble. Tuit li moinne d'Egypte orent si grant poor de celle vanjance qu'il tenis-
sent puis a grant crieme se uns frères eûst a sa mort .xij. d. ensemble.
La traduction des Excerpta de Cassien et de Sulpice Sévère (livre IV
de Rosweyde), qui fait suite à celle des Verba seniorum, paraphrase
le texte, mais l'abrège plus souvent encore. Certains chapitres ont
même été omis de propos délibéré. Le traducteur supprime tout ce
qui a un caractère proprement théologique. Voici le commencement
(Rosweyde, p. 536; Migne, LXXIIl, 81 5) :
(Fol. 58) Cornent cil qui fist cest livre cercha les divers règnes por trovcr les hermi-
tages des seinz Pères. Cil qui ce livre fist conte qu'il ala en Quartage pour vcoir lesleus
aus sainz homes qui illec esloient, et meesniement por veoir le sepulclire saint Cy-
priem , le beneùré martir qui fu martyriez soz les empereres Datyen et Valeriam , qui
lors resnoient. Quant il ost.xv. jours est6, si rentra en mer etvoutaleren Alixandre,
mes li vanzleurfu contraires, si brisa li maz, et les voiles rompirent, etparpoi que la
nef ne fu perie. Mes li notonnier giterent leur ancre et sauvèrent la nef au mieuz qu'il
porent. Près d'euls, ce leur sembla, virent sèche terre, et se mistrent en la barge et
alerent la. Quant il furent entré en celle illeite, si atendirent li un l'autre a la rive,
tant que la tampeste s'apaiast; et cil qui ce livre fist ala avant par curiosité de res-
garder et por savoir s'il troveroit nul leu ou il pouïst prandre bon essample. Onques
n'oï l'en dire qui pleûst nulle foiz en celle ille. Vanzetestorbcillonsdoutoientmoutli
habitant. Nul blé n'i croissoit ne nulle herbe , fors que, la ou la terre estoit .j. poi plus
freche, iluec venoit .j. pou d'erbe pongnanz, mes tant y aVoit que elle estoit bonne
aus brebiz du pais. Lipaïsant ne menjoient se leit non, et liplus riches, c'est voirs,
avoient .j. pou de pain d'orge, mes je ne sai ou il le prenoient, se por ce non qu'il
avoit .j. petit tertre en celle ille qui portoit tel blé conme c'estoit ; .xxx. jourz après ce
que l'en i avoit semé , coilleit l'en blé , tant par i estoit grant la chalor du solleil. Nul
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
303
autre ne fest la gent u pais demorer, se pour ce non qu'il sont franc de treû et de
servage'''.
Partout ala cil qui ce livre fist. Si vist devant lui une petite brouceite'^', et ala la ,
si trouva dedanz .j. viellart vestu d'une[s] piaus de moutons, et tornoit une muelle.
Salua lui''', et cil le reçut moût debonnerement, et ne sai quanz frères qui estoienl
ensemble o lui. Entre les autres choses qu'il parloient, si distrent cil qu'i estoient
crestïen'''; et li bons bons, quant il oï ce, si conmenra a plorer de joie et leur
chaï aus piez. Il l'en levèrent, et il gi ta jus ses piaus de mouton; si les fist asseoir
et mengier, et aporta la moitié de .j. pain d'orge que .j. ricbes hom du pais li
avoit envoie. Moût les conroia bien de ce pain et de une berbe qu'i leur aporta
qui plus estoit douce que miel. Li livres ne la nonme pas, mes il dist qu'elle sem-
bloit mente, et babondoit de fueilles.
Il furent .viij. jours entour celui , et tant que aucunes des gens du pais conmen-
cierent a venir a eus, et leur distrent que leur ostes estoit prestres, et leur avoit
moût bien encelé®. Au moutier alerent avec lui, qui n'estoit guieres mieudres de la
meson au provoire, et demandèrent des afaires du pais et conment l'en vivoit.
L'en li respondi que l'on n'ivendoit ne n'acbetoit, ne n avoit l'en cm'e ne d'or ne
d'argent; et cil l'esproverent et offrirent de leurs deniers aus païssanz, mes ne tro-
verent onques que nul en preïst. A ce qu'il orent ce veii, si entrèrent en la mer
avec leurs compaingnons. ( Ch. ii ) Quant li tens fus apessiez , si vindrent en Alixandre ,
ou il avoit grant lençon et grant descorde entre les evesques et les moines de la
terre por les livres Origenes. Li uns disoient que l'en les devoit bien lire, quar moût
i avoit de bien , li austre disoient que non , que moût i avoit de desreson , et que
plus tost en pooit venir trop plus mal que bien. (Ch. m) D'ilec en alerent em
Bethléem, qui est loing de Jherusalem .vj. railles, et .vj. jornées i avoit d'Alixandre;
illuec trouveront saint Jeroisme, ou il trouvèrent tant de bien, si com il disoient
et tesmoingn[oi]ent, que ce estoit une merveille. Quatre langages savoit : latin,
grieu, hebrieu, caldieu, et adès estoit en oroison ou en leçon. Moût leur plot
leur affaires, ne jamès ne se queïssent movoir de lui; mes il tentoient'*' a aler en
Egj]pte en la parfonde Thebaïde. Si li conmenderent touz les escriz et touz leur
contes'''. (C/i. iv) Congié pristrent; si s'en alerent et vinstrent en .j. désert pr^s de
''' Nous citerons quelques iig-nes du texte
latin pour permettre d'apprécier le caractère
de la traduction :
« IncolcP loci illius lacté vivunt. Qui soler-
tiores sunt vel, ut ita dixerim, ditiores, hor-
daceo pane utuntur. Et ibi sola messis est qua'
celeritate proventus, per naturam solis sive
aeris, ventorum casus evadere solet : quippe
fertur a die jacti seminis trigesimo die matu-
rescere. Consistere autem ibi homines non alla
ratio facit quani quod oinnes tributo liberi
sunt. »
Suit une phrase omise par le traducteur, où
Sulpice Sévère dit que cette ile est voisine de
la Cyi'énaïque , où Caton , fuyant devant César,
conduisit son armée.
''' « Tugurium. »
(') Ms. loi.
'*' Le traducteur n'a pas suivi exactement
le latin , qui emploie la forme directe , et passe
gauchement du singulier au pluriel. Il y a dans
le texte : « Invenio ibi senem in veste pelli-
« cea. . . Ejectos nos in illud littus exponimus. . .
« Christianos nos esse ...»
'*' « Quod summa nos dissimulatione cela-
B verat. »
'*' Corr. tendoienl?
''' La traduction est ici très fautive : « Huic
304 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
Nil, le flneve qui cort par Egypte, ou il trouvèrent moût d'abaïes, et virent'", que
illecques que en austre[s] lieux qu'il cerchierent, ces contes que nos conterons ci après.
Les chapitres xv à xxiv ont été omis par le traducteur, qui s'ex-
plique à ce sujet en ces termes :
[Fol. 61b) Li livres parolle ci après d'abaïes qui estoient en Egypte, conment
li moines i estoient vestu el quiex huevres il fesoient. Li uns habitoient par euls
en leur celles et li austres en leur celles et en covant; si fesoit chacuns sa semaine la
cuisine et appareilleit aus frères a mengier. Et quant il a tout ce conté, si revient
assa matire. Nous n'en voulons riens dire, qu'il y a pou de prru et assez de parolles,
et avons de tiex choses a conter qui moût sont bonnes, et toute nostre entente i
voulons mestre. Et pour ce que Jehans sonne autretanz comme « la grâce de Dieu'"^' »,
si conmencerons a saint Jehans, et Diex envoit sa grâce a nous!
Vient ensuite la traduction des chapitres xxvi à xxx,xxxn à xxxviii,
XL à XLvni, L et liv, les chapitres xxxi, xxxix, xlix, li, lu, lui et lv
étant omis'"*'. Le chapitre liv, l'avant-dernier de la compilation latine
(De monacho qui, in solitadine , noctu vidit multitudinem dœmonum, Ros-
weyde, p. 556; Migne, LXXIII, 847), commence ainsi :
[Fol. 65) Uns frères aloit par le désert; si trouva une fosse. IHec s'arestut et
chanta les psaumes, selon ce que sa coustume estoit. Quant il ost ses oroisons fmées,
et il se vout couchier dormir, que lassez estoit, si vit une grant compaignie de
deables, et avec eus leur prince et lor seingnor, qui estoit moût grant de nature
et plus orrible de semblant. . . .
Nos deux manuscrits ne marquent, à la suite de ce chapitre, aucune
coupure. Ils poursuivent, pendant environ vingt-cinq feuillets'*', par
une série d'exemples tirés : i°des Verba seniorum traduits du grec par
le diacre Pelage (livre V de Rosweyde); 2° des Verba senioram traduits
parle sous-diacre Jean (livre VI de Rosweyde); 3° des Verba seniorum
traduits par le diacre Paschasius (livre VII de Rosweyde).
Les morceaux empruntés à chacun de ces trois livres sont à peu
« ergo traditis atque cominissis omnibus meis , tatio nominam liebraicnrani de saint Jérôme ,
« omnique famiiia quae me, contra voluntatem manque dans l'original.
«animi, secuta, tenebat implicilum, exonéra- ''^' Toutefois les chapitres i,ii, i.iii, lv ne
«tus quodam modo gravi fasce, penitus ac sont que déplacés : on les retrouvera plus loin,
« liber, egressus sum ad Alexandriam. » ms. fr. io38, fol. 67 d el 68.
'"' Corr. oîrcnt? '*' Dans le manuscrit io38 du folio 65 au
'' Cette étymologie , empruntée à l'Interprc- fol. 88 d.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 305
près groupés selon leur origine, mais l'ordre méthodique d'après le-
quel les exemples sont rangés dans les originaux n'est nullement res-
pecté. Les Verba seniorum de Pelage sont divisés en dix-huit lihelli
ayant pour titres respectifs : i, De profeclii patram; ii, De qaiete;
III, De compunctione ; iv, De continentia; v, De fornicatione; vi. De eo
(juod moiiaclius nilnl debeat possidere, etc. Le traducteur, soit qu'il ait
suivi un recueil d'extraits où cet ordre était bouleversé, soit qu'il
ail pris sur lui de faire un choix d'exemples et de les disposer à sa
guise, brouille l'ordre des UbelU et intercale çà et là , parmi les éléments
empruntés aux Verba seninram de Pelage, divers autres éléments tirés
des recueils similaires de Jean et de Paschasius.
Nous ne pourrions rendre compte de l'ordre adopté par le traduc-
teur sans citer au moins quelques lignes de chacun des morceaux tra-
(hiits, ce qui équivaudrait à une publication partielle. Nous essaierons
cependant de donner une idée de la façon dont a procédé notre tra-
ducteur; nous suivons, comme précédemment, le ms.fr. io38.
Le premier morceau, après les extraits de Cassien et de Sulpice
Sévère, est tiré des Verba seniorum de Pelage, îibell. i, S lo (Rosweyde,
p. 562; Migne.LXXllI, 856)0):
[Fol. 65 b) Exemple. Quant li abes Jehans se inouroit, si vinstrent si deciple a
lui et li prièrent qu'il leur lessat aucune bonne parolle en leu d'eritage par coi il
pouïssent plus tost venir en hausteice de perfection. Li bons bons gemy et soupira
parfondement , et leur dist , tout en ploranl : « Je ne fis onques ma propre volenté ,
« ne onques a autrui n'enseignai chose que je ne feisse avant. »
L'exemple qui vient ensuite est formé des paragraphes 19 et 22
du même libellas (Rosweyde, p. 563; Migne, LXXIII, 857) ^^':
Exemple. L'en demanda a .j. preudomme conment la poor Dieu venoit en
borne. Il respondi briément : « Se bons a humilité et povreté , et il ne juge autre , c'est
« la poor de Dieu '^'. La vie au moine c'est adès de pensser a sainte Escripture, et de
« adès ouvrer a ses mestres, et que il ne juge nului ne ne mesdie d'austrui ne ne soit
« murmureeur, car il est escript : « Vos qui amez Nostre Seingneur, heez mal. »
Les feuillets 65 à 67 du ms. io38 sont occupés par des exemples
'"' Ce morceau est originairement emprunté '*' La fin du paragraphe 22 n'est pas tra-
au traité de Cassien De cœnobiorum institiiiis, duite.
1. V, ch. xxvin. ''' Latin : « sic venitjln eo timor Domini. »
niST. LiTTÉn. — xxxni. Sg
300 VERSIONS EiN l>aOSE DES VIES DES PERES.
empruntés aux Uhelli m, v, vi, vu, ix, x. Aux il". 67 cl et 68 nous trou-
vons la version des chapitres lu, lui et Lvdes extraits de Cassien et de
Sulpice Sévère ^''. Suivent quelques morceaux pris au libellas xviii
(le Pelage. Au folio 69, le traducteur emprunte aux Verba senionimde
Paschasius (chap. xxv, 4;Bosweyde, p. 678) l'apologue des arbres
du Liban, source de la fable de La Fontaine La Forêt et le Bûcheron,
et deux exemples aux Verba senioram de Jean [libell. m, 4, etiv, i3;
Roswcyde, p. 653 et 659). Il revient ensuite (fol. 69 d) aux Verba se-
nioriim. de Pelage. Les récits qu'il en tire appartiennent aux libelli v
(fol. 69 d-7 1 c), IX, XIII (fol. 72), XVII, xiv, XII (fol. 73), de nouveau
AU. libellas V (fol. 7 4-7 5), puis aux /iie//t vu, vi, x,xiii, ix,x(fol. 75-77),
XV, XVI, xviii (fol. 78-80). Du folio 80 au folio 85 nous trouvons toute
une suite de récits tirés dos quatre libelli des Verba senioram de Jean.
Le premier récit est la vision de la vierge qui vit son père en paradis
et sa mère en enfer (i, i5? Rosweyde, p. 646). Les exemples qui
suivent sont empruntés aux trois derniers libelli du même recueil. An
folio 85 d nous revenons aux Verba senioram de Pelage [libelli iv, vu,
VI, II, IV, V, VI, XII ). Le morceau linal (xii, 3; Rosweyde, p. 61 3;
Migne, LXXIII, 941) est celui qui commence ainsi :
[Fol. 88 d) Li abes Dulas, qui fu deciplos l'abé Besarion, disoit : « Je alai, dist il,
une foiz en la ceile mon abé, si le trovai en oroison. . . »
A la suite de ce morceau le traducteur a placé une sorte d'épi-
logue de sa façon, ainsi conçu :
De tiex choses et de tiex miracles est touz 11 livres plains ci arriéres, mes orc
conmencent les vies aus hauz homes sainz et religieus, [si connie] saint Geroisme.s
et li haust clerc et li bon le descristrent. Qui i prandra exemples de bien faire il
fera que sages.
Il semble bien résulter de ces paroles que le traducteur ne s'est pas
astreint à mettre en français tout le recueil latin qu'il avait sous les
yeux, et qui, bien évidemment, commençait par les vies attribuées à
saint Jérôme, à qui il fait honneur du tout. À mesure qu'il avançait
il prenait plus de libertés avec son texte, abrégeant souvent, et choi-
sissant à son gré. Mais il ne paraît cependant pas probable qu'il ait à
''' Cf. plus haut , p. 3o4 , note 3.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 307
plaisir mêlé les livres qu'il prétendait traduire; il est plus vraisem-
iDlable qu'il a fait usage d'une compilation où le même désordre
existait déjà. Dans cette partie de l'œuvre, le traducteur, sans doute
pressé de finir, est sobre de réflexions morales. En voici cependant
une qui fait suite à un bref récit des Verba seniomm de Pelage
(ix, 10; Rosweyde, p. ôgô b; Migne, LXXIII, 912) :
(Fol. 72) Uns preudons dist : « Se tu es chastes, ne juges pas celui qui feit for-
« nication, cjuar tu foroies aussi contre loi connie il feit. » Cil qui dist : « Ne feire pas
« fornication », dist aussi : « Ne juges iiului. » Trop en est, liui li jourz, touz ii siècles en est
|>iainz et, enfechiez, que, tantost comme l'en voit que auquns mesurent, si queurent tuit seure et
tuit Je jugent; et, ce (|ui encor vaut pis, la ou il ne sevent point de mal, la dient il assez mal
et trop.
L'épilogue que nons citions tout à l'heure annonçait « les vies aus
« hauz homes sainz et religieus ». Nous rencontrerons en effet plus loin
la vie de saint Hilarion et celle de saint Malchus, mais ce que nous
trouvons d'abord dans nos manuscrits, c'est la vie de quelques saintes
femmes d'Egypte, en premier lieu celle de sainte Marine, dont voici
le début :
(Fol. 88 d) Ici conmence la vie de sainte Marine, virgC^^K II fu .j. preudons au
siècle qui avoit une fdle que il moût amoit. Talent li prist d'aler en religion ; si con-
menda sa chiere fdle a .j. sien ami, et après si sala randre a une abaïe. L'en le
reçust [fol. 89) moût volentiers, et il fu moût douz et si debonneires et serviables
que li abes se merveiUeit moût, et l'enmoit plus que touz les autres moines de
leanz, por ce qu'il estoit leaus bons et moût obedianz. . .
Vient ensuite la vie de sainte Euphrosyne'"^' :
(Fol. 90) Ci conmence la vie de sainte Euf résine, virge, (jai se faisait apeler frère
Marin Mareit^^K Un preudons fu qui avoit non Panuces, moût hennorables a toutes
genz et bons vers les bomes et vers Dieu. 11 se maria moût ricbemeiit et prist une
famé de haut lingnage qui moût esloit preuz et honeste, mes elle estoit brahaingne,
si ne pooit avoir nul enfant. . . .
Puis l'histoire de Marie la pécheresse, nièce de l'ermite Abraham'*' :
(Fol. 98) D'une recluse qui s'en ala au siècle por .j. moine qui la corrumpi. Li abes
Abraham avoit .j. frère, et cil frères mourut, si lessa une seue fdle qui encor n'avoit
'"' Rosweyde, p. SgS; Migne, Pair, lut., '''' Cette leçon ne s'explique guère : iSmara^-
LXXIII, 6gi. Jh>-, dans le latin.
''1 Itosweyde, p. 363; Migne, LXXIII, 643. '' Rosweyde, p. 368; Migne, LXXUI, 65 1.
39.
308 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
que .vij. anz. Petite estoit et orfeline. Si la pristrent li ami son frère et la menèrent
a son oncle la ou il estoit, en sa celle. Li preutlons si avoit double celle, si tenoient
l'un[e] a l'autre. Si fist mestre sa nièce en l'une, et li livroit par une fenestrece que
mestiers li estoit, et ii aprenoit son sautier. ...
L'histoire de Thaïs''' :
(Fol. 96 d) D' une folle famé qui avoit non Tays. Enciannement fu une soudoiere
qui avoit non Tays, tant belle et tant gente que maint bome vandirent pour lui leur
beritage, et furent povre et chetis au darrenier. Moût avoit la damoiselle d'amis qui
l'amoient follement, et si qu'il s'entrebeoient et s'entrocioient a son huis. . .
À la suite de la vie de sainte Thaïs la version champenoise intro-
duit une légende qui n'a rien de commun avec les Vies des Pères, à
savoir l'histoire de saint Hospitius, contée par Grégoire de Tours,
Historia Francoram, VI, 6, et ahrégée par Paul Diacre, Ilistoria Lango-
bardorum, III, 1, 2. Le nom du saint n'est pas donné dans la version
française, dont voici les premières lignes :
(Fol. 95 c) D'un reclus qui estait ceinz de chaannes. En la cité de Nicée*'" avoit .|.
reclus de grant abstinence qui estoit ceinz de cbaannes de fer en pur le cors et
la baire par desus, et ne menjoit nule foiz que pain sangle et .j. poi de dates; en
quaresme menjoit racines de berbes que l'en li aportoit. Premièrement usoit l'eive
ou elles estoient cuites, et après si menjoit les racines. . . .
Nous revenons aux Vitœ patrum avec la vie de saint Fronton (en
latin, Frontonias oaFronto), que le traducteur appelle Frontin. C'est
un abrégé, bien plutôt qu'une traduction, du texte latin'^':
(Fol. 96 d) Comment Nostre Sires pourvist saint Froniin de viande. Quiconque» a
en soi sens et discrétion si doit niout volentiers oïr et entendre les vies aus sains,
quar illeques puent il aprandre exemple de bien vivre, et leur aines sauver, s'en eus
ne demeure. Et por ce que tuit doivent vouloii- le salu de leur amcs et de leur
proimes, veil ge, ïeit cil qui descript ceste vie, conter .j. conte qui avint en Capadoce
n'a mie encore lonc tans.
Un preudome i avoit, qui avoit non Frontins, plains et abevrez du Saint Esperit,
ne n'avoit cure de la gloire du monde, ainz pensoit du tout en tout a la vie pardu-
rable, pour qui amor il s'en ala u désert, soi soissantieme de compaingnons
Mais à partir d'ici jusqu'à la vie de saint Hilarion (fol. 100 b) nous
'■' Rosweyde, p. SyA; Migne, LXXUI, de Lyon et de Saint-Pétersl)ourg ont con-
66 1 . serve la bonne leçon.
'*' Judée, dans le ms. i o38. Les manuscrits <'' Rosweyde, p. aSS; Migne, LXXIII, 437.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 309
trouvons une suite d'historiettes pieuses qui n'ont aucun rapport
avec les anachorètes de la Thébaïde.
La première est la légende bien connue du crucifix de Beirouth.
Elle apparaît pour la première fois dans un sermon attribué à saint
Alhanase''', d'après lequel elle est ici traduite :
(F'ol. 97) Coiiment U juif trouvèrent l'image du cracefiz et le ferirent a costé d'une
lance, et il sainna sanc et eive. Saint Athenayses, li evesques, si conte miracles d'un
ymage Nosire Seingneur qui esloit en une cité que l'en apeloit Brito, entre Tyr et
Sydoine; si rendoit treiï a Anthyoche. . . .
La seconde est l'histoire, empruntée à Bède [Hisloria ecclesiaslica ,
1. V, ch. xiii), d'un homme qui, ayant trop tardé à faire pénitence,
mourut désespéré :
(Fol. 97 d) Duserjant a ./'. roi qui fu dampnez por ce qu'il ne se voulait confesser.
Uns lions fu en la contrée de Perse l"^' moul pesme et moût crueil. Si vit une avision
qui riens ne ii valut, mes moût aida a autrui. De la cort le roi Choerant estoit, et
maintes foiz li amonestoit li rois qui se confessa[s]t de ses péchiez et se repenlist
ainçois que Diex le tuast si soudainnement. . .
Un prêtre nommé Plegiles doutait de la présence réelle du Christ
dans l'Eucharistie. Mais le Christ lui apparut sur l'autel sous la forme
d'un enfant. Ce récit ne se trouve pas dans tous les textes des Verba
seniorum de Pelage. Rosweyde l'a publié, dans les notes du libellus xvii
(p. 643 b], d'après deux des anciennes éditions :
(Fol. 98 c) D'un prestre a qui Diex s'aparut por sa prière en char et en os et en sanc.
H estoit .j. prestre qui avoit non Plegiiles, moût religieus, et moût volentiers chan-
toil sa messe a l'autel ou li confessors Nime gisoit . . .
La vision de ce moine dissolu, forgeron de son métier, qui, au mo-
ment de mourir, vit le lieu qui lui était réservé en enfer et mourut sans
confession, est encore tirée de Bède [Hisloria ecclesiaslica, 1. V, ch. xiv) :
(Fol. 98 d) D'unfevre moine qui vist son lieu dedanz enfer. Cil qui ce livre fist
dist qu'il vit .j. frère en une moût liche abbaïe qui moût vivoit vilment plus que
mestiers ne li fust . . .
<'' Publié parmi les Sporw de ce Père (Migne, Chrisli, n° v. Cf. Notices et extraits , XWYl ,
Patr. yr<pc« , XXVIII , 8 1 3-820 ). Pour d'autres 710, note 1.
rédactions, qui toutes dérivent de ce sermon, ''' Sic dans le ms. io38; Merce dans le ms.
yoir lu Biblintheca hagiogruphica latina des Hol- 778 de Lyon; dans Bède in provincia Mer-
iandistes, 1, 637, sous Miracala in imaginibus cioram.
310 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
Suivent quatre récits empruntés, directement ou par l'intermé-
diaire de quelque recueil d'extraits, à YHistoria triparlila de Cassio-
dore. Le premier est relatif à une statue de Jésus-Christ au pied de
laquelle croissait une plante qui acquérait la \ertu de guérir toutes
les maladies dès qu'elle avait poussé au point de toucher la bordure
de la robe dont le Christ était vêtu. Ce récit, relaté originairement
par Eusèbe, a été reproduit par Grégoire de Tours [Liber in (jloria
martyrum, xx) d'après la version de Rufin (VII, xiv). Mais notre
traducteur ne l'a pris ni à Grégoire de Tours ni à Rufln, car il y
mentionne des circonstances dont ne parle pas Eusèbe, celle-ci
notamment que l'image du Christ avait été abattue par l'empereur
Julien et remplacée par une statue érigée en son honneur : il l'a
tiré de VHistoria tripartita, 1. VI, .chap. xli''^ :
(Fol. 9g) D'un ymage Nostre Seingneur, por qui il^'^^fesoit pluseurs miracles Dieu
meismes. Il avint .j. miracle, au tens Julien l'empereeur, d'une ymage Nostre Sein-
gneur, (pie la famé que Diex guéri de l'emfermeté du sanc quant elle toucha a lui,
avoitmise en Ceseire Phelippe, une cité de Phenice qu'il apeloient Paneam. Ici!
emperieres Juliens en oy parler, et la fist jus mestre du lieu ou ele estoit. . .
C'est encore à VHistoria tripartita (1. VI , chap. xlii) qu'a été emprunté
le récit relatif à une source miraculeuse située près d'Emmaûs, qui
commence ainsi :
(Fol. 99) D' une fontaine ou Jesacrist et ses deciples lavèrent leur piez. Il aune cité
en Nycliopole, et delez celle cité avoit une ville que li sainz livres des euvangilles
apelle Emaûs, et li Romain l'apeloient Nichopolam. . .
Un évangile apocryphe '^^ conte que, pendant la fuite en Egypte, un
palmier, sur l'ordre de Jésus, abaissa sa cime jusqu'aux pieds de
Marie pour qu'elle pût en cueillir les fruits. Cette légende a été
recueillie par Cassiodore dans le chapitre précité, d'où elle a passé
dans notre compilation :
(Fol. 99 b) D'an arbre qui enclina a Jesucrist et a sa mère quant il aloient en Egypte.
L'en conte que en une cyté de Thebaïde qui a non Hermopolis a .j. arbre que
l'en appelle persidre, de telle vertu que, quant l'en en pant au col a .j. malade du
fruit ou de la feiuUe ou de l'eschorche, qu'il est gueriz isnellement. . .
'"' Migne, Pair, lat., LXIX, io58. (Tischendorf, Evangelia upocrypha); Liber de
'*' Corr. i. inftmlia Matiae et Christi Salvatoris. . . édit.
''' Pseado- Mutthuel evangelium, chap. xx Schade (Halle, 1869), p. Sg.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 311
Enfin ce recueil d'histoires édifiantes se termine par deux récits dont
le héros est saint Spiridion, évêque de Trimithonte, en Chypre. Ils se
retrouvent, contés en termes différents, dans VHistoria ecclesiastica de
Rufin (1. I, chap. v)'*' et dans YHistoria tripartita de Cassiodore (1. I,
chap. x)(^', mais il ne paraît pas qu'ils aient été pris directement à
aucun de ces deux auteurs, car notre version commence par placer
l'histoire au temps de Constantin, ce qui ne vient ni de Rufin ni de
Cassiodore. H est probable que notre traducteur aura eu sous les
yeux un extrait modifié de Cassiodore commençant par ces mots :
Tempore Constant ini perspeœimus fuisse Spyridionem, Tremithiindum epi-
scopum. . . , qui se trouve en divers manuscrits'^'. Voici les premières
lignes de la version :
(Fol. 99 c) D'an evesquc de Cliipre (^ui ostfame et enfanz a qui larrons voulaient eni-
bler ses brebiz. Au tans Costantins vit cil qui escript cest conte .j. evesque eu Ciiipre
qui touz crouieit de veilleisce; si contoit l'en de lui maintes choses, et il en retint
auguiies; si les escrit por donner example de bien feire aus genz. . .
La vie de saint Hilarion''*' est traduite assez librement : le prologue
est très abrégé; dans la traduction deWauchier de Denain (ci-dessus,
p. 265) il avait été complètement supprimé. Ce qui vient ensuite est
paraphrasé et même, en certains endroits, développé :
(Fol. 1 oo b) Ici commence li prologues de la viesain[i\ Ylariom. Saint Giroimes, qui
fu bons clers et sainz bons, descrist la vie saint Ylarion, et apela le Saint Esperit en
aide qu'il li doint sanz et pooir de descrivre les vertuz que sainz Ylarions fist. Moût
grant et grief [fu] la matire, si que sainz Giroimes dist que, se Omers, li poestes, en
vousist parler, n'en poïst il pas si a droit parler conme la matire le requiert; et por
ce apela il le Saint Esperit qui les cuers escbaufe en s'aide et les langues feit parler,
qui lui doint et ostroit qu'il puist ce saint dignement loer. . .
Saint Hylarions fu nez d'une ville que l'en apeloit Chothabatam , près d'une cité
de Palestine qui a non Audres'^'. Ses percs et sa mère furent paien : si aouroient les
ydolles; et il fu nez d'euls ausint conme la rose de l'espine. L'espine est dure et pon-
gnant, et la rose tandre et soef fiera nt : ainsint estoient ses pères et sa mère dur et
mescreant, et il estoit douz et.debonneires. Moût l'amoient tendrement. Si l'envoierent
a l'escole en Alixandre. Illec aprist si bien , tant conme aages et sans d'enfant se puet
estendre , que tuit se merveilloient de son angin . . .
'"' Migne , Patr. lat. , W\ , i"] i . '*' Rosweyde, p. 75; Migne, Patr. lai.,
O Ibid., LXIX, 895. XXIII, 19.
''' Par exemple dans le ms. IMbi. nat. lat. ''> «Hilarion, ortus vico Thabatlia , qui cir-
i6o5i, fol. 7g; cf. Bibliotheca lia^iograpkica «citer quinque niiilia a Gaza urbe Palsestinaî
lalina, sous Spyriijion (p. ii34). «ad Austrum situs est.»
312
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
Dans la vie fie saint Malchus''', le prologue de saint Jérôme, qui était
difficile à traduire, a été assez bien rendu :
(Fol. io"7 c) Comment .j. moine fa en servage trante .y. anz. Cil qui se doivent en
mer combattre, si essoient premièrement en la coie mer conment il le feront en la
parfonde mer, se besoinz lor croissoit. Leurs gouvernaus fléchissent et traient les
avirons et apparellent leur cros et ordonnent leur batailles seur le planchier de la
nef, par ceste reson que il ne criement mie se il venoient au besoing. Ausint, feit
sainz Giroimes, je, qui mesui longuement teûz, me vueil essaier en une petite euvre,
ausint conme [pour] le reoil oster de ma langue, pour ce que je puisse venir a
descrivre plus grant istoire que je ai en proposement, se Diex me donne vie. . .
A la suite de la vie de saint Malchus, le ms. fr. io38 (fol. i lo) in-
dique par une rubrique la fin de la Vie des Pères et le commencement
d'un autre ouvrage : « Ici fine la Vie des Pères, et cil qui ce livre fist
« raconte les voyages que saint Antoine fist en la terre d'outremer. »
Ces prétendus voyages de saint Antoine ne sont pas autre chose que
Vltinerarium Antonini martyris, récit d'un pèlerinage en Terre Sainte
attribué à Antonin, non Antoine, natif de Plaisance, qui vivait
au VI" siècle et ne fut point martyr*^'. Il est infiniment probable que
la version française de cet itinéraire est l'œuvre de notre traducteur
anonyme. Elle se trouve en effet à la même place, c'est-à-dire à la
suite de la vie de saint Malchus, dans le ms. 778 de Lyon*^' et dans le
ms. de Saint-Pétersbourg. Le traducteur aura rencontré Vilinerariam
dans le manuscrit d'après lequel il a mis en roman la vie des Pères,
et, confondant Antoninus avec Antonius, il aura cru utile de le trans-
later, comme un appendice à l'histoire de saint Antoine l'ermite.
La version de l'Histoire de Barlaam et Josaphat, qui suit i'Idnerariam
Antonini dans le ms. io38 (fol. 1 14), se rencontre en plusieurs manu-
scrits dont quelques-uns renferment des extraits en français des Vies des
Pères, ce qui n'autorise nullement à l'attribuer au même traducteur^'*'.
<"' Rosweyde, p. q3; Migne, XXllI, 55.
''' h' Ilinerariam Antonini, dont il existe deux
rédactions, a été plusieurs fois édité, notam-
ment dans les Itinera et descriptiones Terrae
sanctae de T. Tobler, t. I , p. 9 1 et 36o ****
(Société de l'Orient latin, 1877-1880). —
La traduction a été publiée d'après notre
ms. fr. io38 par M. Aug. Molinier, ibid., p. 383.
On ne croit plus que cet ouvrage soit d'Antonin
de Plaisance.
'"' Dans le ms. de Lyon la version de l'Iti-
néraire est comprise dans la Vie des Pères, car
c'est à la suite de cette version qu'est placée la
rubi-ique : Cifenist la Vie des Pères.
'*' Des spécimens de cette version de Bar-
laam et Josaphat ont été publiés dans Barlaam
a. Josaphal ,Jranzôsisc.hes Gedichi des dreizeknten
Jahrhunderls von Gui de Cambrai, hgg. von
H. Zotenberg u. P. Meycr (Stuttgart, i864),
p. 347 et suiv.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES. 313
La compilation que nous venons d'étudier, étant formée d'ouvrages
analogues par le sujet, mais originairement distincts, se prêtait assez
naturellement à la division en recueils partiels. S'il n'existe plus, à
notre connaissance, de la compilation précédée du prologue en
vers, que deux exemplaires (Bibl. nat. fr. io38, et Lyon 773), nous
pouvons en indiquer plusieurs copies moins complètes, et il est bien
probable que toutes celles qui existent ne nous sont pas connues. Il
est à noter que les vies de saint Paul l'ermite et de saint Antoine ne
se trouvent que dans les deux exemplaires pourvus du prologue. Si on
ne les a pas fait entrer dans les recueils de légendes françaises en
prose dont nous parlerons en un autre article, c'est vraisemblablement
parce que la place était déjà occupée, soit par la version de Wauchier,
soit par une autre version qui sera mentionnée en son lieu.
Les manuscrits où nous avons reconnu des parties plus ou moins
considérables de la compilation champenoise sont :
1° Le ms. de Saint-Pétersbourg, déjà mentionné plus haut, qui
renferme (fol. 194-229) toute la compilation sauf le prologue, les vies
de saint Paul et de saint Antoine dans le premier livre, et sauf la
vie de sainte Thaïs dans le second ''',
2" Le ms. Bibl. nat. fr. -24430, exécuté en Flandre vers l'an i3oo,
renferipant: I (fol. 83), ÏHistoria monachoram , qui commence au cours
du chapitre 1" (saint Jean l'ermite) , à ces mots : « .j. '^' Il fu uns hom de
M la cité de Thebayde qui menoit molt maie vie et estoit partout nou-
« mes de lecherie et de mauvaistié. Il se repenti pour la pitié de Dieu,
«et entra en .j. sépulcre... » (cf. ms. io38,fol. i3;Rosweyde,p. 454 b;
Migne, XXI, 4oo). A la fin : « Chi finist li premiers livres de Vita Pa-
triim. » — II (fol. 90), les Verba seniorum attribués à Rufm : « xlij. Moine
«demandèrent a .j. saint père comment il seroient astinent...» —
III (fol. 95 d), les Excerpta de Sulpice Sévère et de Cassien : « Ixxxxij.
« Unsbienprodom,unboinsabes,sienvoia a.j. hermitain. . . «(cf. ms.
fr. io38,fol. 38 b). — IV (fol. 108 d). Vies de sainte Marine, de sainte
Euphrosyne, de saint Fronton, etc. (cf. ms. fr. io38, Col. 88 d et
suiv.). — Cet exemplaire se termine par les deux récits relatifs à saint
Spiridion, mentionnés plus haut (p. 3i i) d'après le ms. io38,fol. 99 c.
''' Voir, pour une description détaillée, No- manque par suite d'une lacune du manuscrit.
tices et extraits, XXXVI, 703-713. Une partie '*' Dans cet exemplaire les paragraphes sont
de la traduction des Verhu senioram de Rufin numérotés en série continue dej à ccxxxj.
HIST. I.ITTKR. XWIII. ^O
31^1 VKRSIONS EN PROSK DES VIES DES PERES.
3° Le ms. Bibl. nat. fr. 249^71 du commencement du xiv'^ siècle,
renfermant : I (fol. 1 ), YHisturia monachorum à partir du chapitre ix
(saint Aymon); — II (fol. 4ov°), les Ker/taseaiorum attribués à Rufin; —
III (fol. 1 06 v°) , les Excerpla de Sulpice Sévère et de Gassien ; — IV, les
vies de Marine (loi. 179 v"), d'Euphrosyne (fol. i84 V) , etc. —
Après les récits concernant Splridion (fol. 199), vient la vie d'Hila-
rion (fol. 201), avec laquelle se termine le volume. Le texte de ce
manuscrit est fort abrégé.
4° Le ms. 772 de la Bibliothèque de Lyon (xiii* siècle), qui, ren-
fermant un assez grand nombre de légendes hagiographiques en prose
et quelques autres opuscules*'^, contient aussi une partie de la version
champenoise. On y trouve, d'après cette version, mais en texte assez
abrégé, les vies de Marine (fol. 109), d'Euphrosyne (fol. 109 d), de
Marie, nièce d'Abraham (fol. 111 b), de Thaïs (fol. 1 13). Enfin les
derniers feuillets (fol. 278b-28i) sont occupés par un extrait des
Verba seniornm de Rufin, d'après la même version, i^es premiers cha-
pitres font défaut, le texte commençant avec le S 65 des Verba seniorum
(Rosweyde, p. 5i 1), à ces mots : « Si con l'abes Assenés se seoit en
«un camp, si vint une rice feme a lui; virge estoit et moût doutoil
«Dieu. .. » (cf. ms. io38, fol. 39 d). Le manuscrit de Lyon a perdu
ses derniers feuillets : dans l'état actuel cette copie s'arrête au S 1^3
des Verba seniorum.
5" Le ms. B. N. fr. 17231, du xv*^ siècle, incomplet du début et de
la fin, renfermant, sous forme rajeunie, de nombreux extraits de la
version champenoise : la vie de saint Malchus, à laquelle manquent
les premières lignes (fol. 1); des extraits de Rufin, Verba seniorum
(fol. 5 c); des extraits de Pelage, Verba seniorum (fol. 20 c); la vie de
Marie, nièce de l'ermite Abraham (fol. 34 b); celles de Thaïs (fol. 38) ;
d'Hilarion (fol. 4i d); le voyage du faux saint Antoine (fol. 69 c; cf.
ci-dessus, p. 3 12). Suivent (fol. 67) de nouveaux extraits des Verba
seniorum de Pelage, des récits variés empruntés à des sources diverses,
l'un desquels se rapporte à saint Louis (fol. 92 d), la vie de sainte
Euphrosyne (fol. 96 c) , etc.
Nous signalerons plus loin une copie partielle de la version
champenoise combinée avec une compilation que nous allons faire
connaître.
(') Décrit en détail dans le Bulletin de la Soc. des anc. textes français , i885, p. 4o etta'v.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 315
COMPILATION DE LHISTORIA MONACHORUM DE RUFIN
ET DE DIVERS RECUEILS DE DITS DES PERES.
Cette compilation se compose essentiellement d'extraits de VHis-
toria monachoriim de Rufin et des Verba seniorum du diacre Pelage,
mais elle comprend aussi divers morceaux étrangers à ces deux
ouvrages. Nous en connaissons deux manuscrits : Bibl. nat. fr.
aSi 1 1, de la fin du xiir siècle ou des premières années du xir*", et
9088, du xv*". Ces deux copies sont loin d'être semblables : la seconde
contient un petit nombre de paragraphes qui manquent dans la pre-
mière, mais par contre la première en renferme beaucoup qui ne
sont pas dans la seconde. Nous suivrons le manuscrit 281 1 1. Nous
ne savons ni quand ni par qui a été faite la compilation. Elle
nous parait postérieure à la version champenoise, et nous inclinons
à la placer vers la fin du xiir siècle. La traduction n'est pas toujours
très fidèle, mais elle est d'une bonne langue et le style en est simple
et coulant.
Le récit du début est donné comme étant de saint Jérôme, et il
est probable que le traducteur étendait cette attribution à tous les
livres où il prenait ses extraits. On mettait fréquemment sous le nom
de saint Jérôme l'ensemble des écrits variés que l'on désignait par le
titre vague de Vitœ ou Vitas pat mm.
Les trois premiers morceaux sont empruntés à l'histoire de l'ermite
Jean qui forme le premier chapitre de YHistoria monachorum, mais ils
ne se suivent pas dans le même ordre que dans le latin. Nous donne-
rons le texte entier du premier, qui ne correspond pas au début de
VHistoria, et les premières lignes des deux autres. Nous transcrirons
en note quelques lignes de la version champenoise pour qu'on puisse
bien se rendre compte de la différence des deux traductions'''.
'"' {B. N.fr. 1038.fol. 12 d) Uns moines, pensoit qu'il les avoit de soi meïsmes, ne
tlist saint Jehans, estoit qui habitoit en ce mie de Dieu. Li deables sot celé pensée; si se
désert ou .j. [Us. li, c.-à-d. S. Jean) sainz hons pensa que il l'engingneroit. Et, quant ce vint
habitoit. Moût estoit de grant abstinence et a .j. jour a la vesprée, si prist forme d'unemout
gaaingnoit a ses mains ce que il menjoit. De bielle famé, et vint a luis au moine, moût
toutes bonnes vertuz estoit aourne;;, et si ma- lassée et moût travailliéc, et, par semblant,
noit en une croûte u désert. Un petit se com- si se lessa cheoir au[s] piez au moine et li pria
mença a eslever des vertuz que il avoit, et qu'il eûst merci de lui. «La nuit, feitel, m'a
4o.
316 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
[Fol. 156) Ci commence la vie des Pères en prose^^\ Sainz Jeroimes nos raconte,
es vies des sainz pères, d'un hermite qui ot bon commencement et malvese fin. 11 fu,
ce dit, .j. liermite qui abitoit en une bove : si estoit de granl abstinence. II gaaignoit
a son iahor ce dont il devoit vivre. Il estoit en oroison par jor et par nuit; il estoit
floriz de toutes bones vertuz. Quant lonc tens ot menée tel vie, si se commença
a fier en ses biens et a cuider que il fust mieudres que uns autres. Quant li anemis
aperçut que il lu cheûz en tele pensée, si s'aprocha de li et li tendi ses laz. Un
jor, au vespre, se mist li deables en la forme d'une moût bêle femme : si vint
ausi comme lassée a l'uis de la bove a l'ermite; si se lesse dedenz cheoir ausi comme
s'ele ne peùst aler avant, et vient as piez celui, et li crie merci. « La nuit, dist ele,
« m'a ci souprise; suefre moi que je me repose huimès en .j. angle de ta celle, que
« les bestes sauvages ne me dévorent. » Cil , par pitié qu'il en ot , la reçut dedenz sa bove
et demanda l'achoison de sa voie. Celé li feint une chose assez voiseusement , et entre
ses paroles mesloit uns moz envenimez de folie, si que par ses blanches paroles com-
mence a bestorner li corage de celui et a fléchir de foie amor. Après vienent plus
blanches paroles , mellées de gious et de ris. Après , celé , comme hardie , met sa main
a la barbe et au menton celui. Que vos diroie je plus? Au derreain trébuche li che-
valiers Jhesucrist, car tantost commença a eschaufer dedenz soi du feu de luxure; si
oublia toutes les poines (pie il avoit soufertes lonc tens por Dieu , puis s'abesse li fols
vers celé por pechier la ou il la cuidoit embracierl Celé, qui n'estoit pas femme, mes
malvès esperit , commence a braire et a crier et a uUer, et s'esvanouï dedenz les braz
celui , et tout maintenant s'assemble une grant tourbe de deables en fair, si com-
mencent a huchier : «Ha! moines, qui estiez eslevez jusques au ciel, comment
« es tu descendus jusqu'en abisme.3 Apren que cil qui se soushauce sera humiliez. »
Et cil , ensi comme desvez , ne pot soffrir la honte ; si se commence a désespérer. Et
quant il dut reperier a lui meïsmes et amender son forfet par penitancc et par
larmes, il ne le fist pas, ainz s'en ala au siècle et s'abandonna a toute vilanie de
pechié. Il guerpi la compaignic; des sainz homes por ce que il nu rapelassent par
bonnes paroles ; et se il vosist estre repériez a la première vie, il eûst sans doute
recouvré son lieu et sa grâce de Dieu.
Après ce nos raconte saint Jeromes d'un autre qtii ot bonne fin et malvès con-
mencement. Il fu, ce dit, uns bons en une cité, qui menoit moût orde vie de
pechié; et disoient les genz que il estoit le plus malvès du monde'-'. . .
Puis le traducteur revient au début de YHistoiia monachorum avec
l'histoire du moine Jean'^' :
[Fol. 156 d) Uns sainz hermites qui avoit non Jehans habitoit en la roche d'une
«seurpris; soufrez, feit elle, que je ine repose commencement , la Vie <ips7'èrM, en vers, c'est -
« mèsennuitceanz en .j. angleitde vostrc celte, à-dire l'ouvrope indiqué ci-dessus, p. a 56, dont
«que les bestes ne me menjucent ça fors. » Cil certains éléments seulement sont empruntés
en ot j)itié, mist la dedanz sa croûte, et si 11 aux récits latins relatifs aux Pères du désert,
demcnda qu'elle aloit (juerant par ce désert. '*' Rosweyde, p. 454 b; Migne, XXI, 4oo.
'"' Le même manuscrit aSiu contient, au ''' Rosweyde, p. 449 b; Migne, XXI, Sgi.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 317
moût grant montaigne dont la montée estoit griés et l'entrée estroite. Onques,
dedenz .xl. anz, nus n'entra dedenz sa celé. 11 parioit a cels qui a lui venoicnt par
une fenestre et les edifioit. Il ne voloit soufrir que femme venist devant soi. H avoit
une celle par dehors ou il herbejoit les pèlerins, et il estoit en la seue ententis a Dieu
du tout
Nous avons imprimé plus haut le début de ce morceau d'après la
version de Wauchier (p. 27/i) et d'après la version champenoise
(p. 299) : on se convaincra facilement que ces trois traductions sont
indépendantes.
Immédiatement après ce récit, le traducteur, abandonnant pour
un temps YHistoria monachorum, passe aux Verba seniorum de Pelage :
{Fol. 157 b) L'abes Pieur mengoit en alant, et quant l'on li demandoit por quoi
il le fesoit, il disoit : « Por ce que je ne voil avoir nul délit en mengant. »
[Lihell. IV, S 34; Rosweyde, p. 670 b; Migne, LXXIII, 369.)
Le compilateur suit assez exactement l'ordre des Lïbelli de l'ori-
ginal, prenant dans presque tous quelques paragraphes ''^ Puis il
passe aux Verha seniorum, traduits par le sous-diacre Jean flivre VI
de Rosweyde), auxquels il emprunte quelques morceaux*^'. Il re-
vient ensuite à YHistoria monachorum^^^ et aux Verba seniorum de
Pelage, mais en intercalant parmi les extraits de ces deux ouvrages
un grand nombre de récits pris ailleurs, par exemple dans les Verba
seniorum de Rulin (livre III de Rosw^eyde) '''', dans les extraits de Cas-
sien (livre IV de Rosweyde) '*', les morceaux empruntés à ces deux
recueils étant toutefois peu nombreux. Nous ne sommes pas surpris
qu'il ait traduit la vie de sainte Marine '**', et probablement aussi celle
de sainte Thaïs : l'auteur de la version champenoise les avait tra-
duites aussi; mais il est plus digne de remarque que notre compila-
teur a puisé dans des écrits qui n'ont rien de commun avec les
ermites de la Thébaïde tels que le Dialogue de saint Grégoire ''l
W Libellus V, fol. i58; libell. vi, fol. 169; "> Chap. ui, lui (fol. 176).
Ubell. VII , ibid. : libell. VIII , fol. 1 60 ; libell. ix , <«' Ms. 23 1 1 1 , fol. 1 83 d ; ms. gBSS , fol. 33.
fol. 161; libell. X, ibid.; libell. xi, ibid.; Le second de ces manuscrits contient aussi la
libell. XIV, ibid.; libell. xv, fol. 162; Ubell. xvii, vie de Thaïs (fol. 32), qui fait défaut dans le
foi. i63; libell. xviii, ibid. ms. a3iii. Cette légende et celle de sainte
''' Libelli l, 11, m (fol. i65 et 166). Marine font partie du livre I de Rosweyde,
''* Chap. II, XVI, XXIX (fol. 167 à 169); p. 374, 393; Migne, LXXIII, 661, 691.
chap. XIV (foi. 172). <'! Ms. 23iii, foi. 179-182; ms. 9688,
'*' SS 14, i5, 23, 26 (fol. 172), 3i, 35, foi. 26-29.
37, 89 (foL 173, 174), 198, 208 (loi. 175).
318 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
Nous nous bornons à ces indications. Après le premier^ tiers environ
de la compilation, les sources varient tellement qu'il serait impos-
sible de rendre un compte détaillé des éléments qui la composent,
à moins d'en donner une édition où la source de cbaque para-
graphe serait indiquée. Il est même, en certains cas, fort difficile de
déterminer quel était l'état primitif de la compilation, plusieurs des
morceaux étrangers aux Vies des Pères ermites ne se rencontrant
que dans le manuscrit 281 1 1, qui est le plus ancien des deux, mais
où néanmoins des interpolations ont pu se produire. Parmi les récits
propres à ce manuscrit nous citerons : le conte des deux frères qui
vient originairement de Bailaam et Josapliat, mais qui n'a probable-
ment pas été emprunté directement à ce pieux roman'"'; l'histoire
bien connue de ce jeune homme de haute naissance qui, prié par
son père de quitter le monastère où il s'était rendu , refuse de le faire
tant que son père n'aura pas supprimé une mauvaise coutume en
vigueur dans sa terre, c'est que les jeunes meurent aussi tôt, souvent
plus tôt que les vieux '^'; une rédaction abrégée de la vie de saint
Gilles'^'; un récit donné comme tiré de la vie de saint Sevrin, mais
dont nous n'avons pas retrouvé la source, où l'on voit un usurier,
enseveli par faveur dans une église, soulever sa pierre tombale au
moment du service divin, et sortir de l'édifice'*'. On conçoit que ces
l'ecueils d'histoires édifiantes se prêtaient facilement à des additions
variées et conservaient toujours un caractère un peu flottant.
C'est ici le lieu de faire connaître un manuscrit où sont juxta-
posées une partie de la compilation dont nous venons de traiter et une
partie de la version champenoise étudiée précédemment. C'est le
manuscrit fr. ^22 de la Bibliothèque nationale, dont l'écriture est de
la fin du XIII* siècle '*'. Il ne devra pas être négligé si un jour on
'■' Ms. a3iii, fol i85 c La rédaction rfe Bocon (Pari», 1889, Soc. des ancien» textes
semble se rapprocher particulièrement de l'rançais) , p. 397.
celle de Jacques de Vitri, imprimée dans ''' Fol. 187.
la Romaniu , XllI, 691, et dans Crâne, The '' Fol. 182 c.
Exempla of Jacques de Vitry (London, 1890), '''' Le manuscrit 0 appartenu à Alexandre
n° XLll. Petau, coiiune le montre une note inscrite au
'*' Fol. i85 b. La source est probablement bas de la première pnpfe. Il porte une ancienne
un conte de Jacques de Vitri qui n'est pas |)aginatinn (|ui rominence au loi. iii/'"ri/ et se
compris dans le recueil de Cranc, mais dont continue jusqu'au fol. ccxiiij. Nous ignorons
le texte est imprime dans les notes des Contes ce que sont devenus le» 86 première feuillets.
VERSIONS E\ PROSE DES VIES DES PÈRES. 319
entreprend la publication de la version champenoise, car il a souvent
de meilleures leçons que le manuscrit fr. io38, dont nous avons
fait usage. Les trois premiers morceaux sont empruntés à la compi-
lation des manuscrits 'i3iii et 9088, bien qu'ils ne soient pas
placés tout à fait de même. Le texte commence ainsi :
(Fol. 1) Sains Jheromes nous raconte, es vies des sains Pères, d'un hennite ki
eut molt boin commencement et malvaise lin. Il fut, ce dist, uns hermites ki liabi-
toit en une bove: si estoit en grant abstinence et gaaignoit a sa labour ço dont il
vivoit. li erl en orison par jor et par nuit; il ert lloris de toutes boines vertus. Quant
il ot lonc tant mené tel vie , si se commença a fier en ses biens et a cuidier k'il fust
miudres c'uns autres. Quant li anemis .s'aperçut k'il fu chaùs en tel pensée, si aprocba
vers lui et se ii tendi ses las. Un jor, au vespre, se mist li dyables en forme d'une
molt bêle famé; si vint aussi comme lassée al huis del boin hennite; si se laisca
dedens chaoir aussi com s'ele ne peiist aler avant, et vint as pies celui, si li cria
merchi : «La nuis, dist ele, m'a souprise; sueffre que jou me repose en un angle
« de ta celé huimais, ke les bestes sauvages ne me dévorent. » Cil, por pitié k'il en
ot, le recbut dedens sa bove et li demanda l'ocoison de sa voie. Celé li fainst une
cause assés visseusement, et entre ses paroles melloit mos envenimés de folie, si
que , par ses blanges , commence a descolvrir son corage celui et a flecir en foie amor.
Après vinrent plus blances paroles, mellées de giu et de ris. Après celé, com hardie ,
mist sa main a le barbe et al menton celui. Que vous diroie plus? Al daarrain Ire-
buce le chevalier Jhesu Crist, car tanlost commence a escaufer dedens lui de fu de
luxure; si oblia toutes les paines k'il avoit lonc tans eues pour l'amour de Dieu,
puis s'abaisça li fols vers celi pour pecier. Si com il le cuida embracier, celé, ki n'es-
toit pas feme mais malvaise esperite, commence a braire et a uiler; si s'esvanuï
d'entre les mains celui, et tout maintenant une grans torbe de dyables en l'air si com-
mencierent a hucier : «O moignes, ki estoies ellevés dusques au ciel, comment os
«tu descendus dusques en abysme?. . . »
Les deux récits qui suivent sont tirés des Verba senioriim de Pelage '''.
On les retrouve compris dans la compilation des manuscrits aSi 1 1
et 9688, mais à une autre place ^'^^ Aussitôt après ces deux récits, le
manuscrit 42 2 revient à la vie de saint Jean l'ermite^^' par laquelle
s'ouvre VHistoria monachornm de Rufin, et conle l'histoire du moine
repentant de ses péchés qui, durant trois nuits consécutives, fut
assailli et battu par les démons''''. A partir de cet endroit le texte est
celui de la version champenoise, plus correct à certains égards que
''' Li6eW. XIV, SS 1 7 et i8;Rosweyde,p. 619; '"' B. N. fr. 42a, loi. 1, col. b c.
Migne. LXXIII, 962. ('> Rosweyde, p. 454 b; Migne, XXI, 4oo.
<•) Ms. 23iii, loi. i6i d et 162, ms. gSSS, On a donné plus haut, p. 316-7, le début de
fol. g v' et 10. ce récit d'après le ms. 23n 1.
320
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PERES.
dans le manuscrit fr. io38. On en jugera par ce court extrait où les
deux leçons sont rapprochées :
B. N. fr. 4 2 2, fol. 1 d.
H fu uns hom en le cité deTebayde ki
menoit molt maie vie, et estoit partout
nummés de lecherie et de malvaistié. H
se repenti par la pitié de Diu et entra
en un sépulcre ''', et ploroit illuec et sos-
piroil et prioit Dieu merchi sans cou k'il
n'osoit nomer le non de Dieu. Quant
il ot esté une semaine en cel sépulcre, si
vint ly deables a lui par nuit, et se li
dist : « Mal vais lechieres, que fais tu chi?
« Tu as faites toutes les lecheries et toutes
n les malvaistiés que nus hom peùst faire :
« or veus devenir castes et relegieus ;
« quant tu ne te pues mais aidier, si veus
«faire ta penitance. Tu ics aussi coni
Il uns de nous, et si ne pues autres estre.
« Revien t'ent avec nous, et cou tantet ke
Il t'as a vivre emploie en tes delis et en tes
Il volentés '*'. Nous te donromes assés de-
II lisses et bêles femes, et quankes tes
Il cuers devisera , et , se tu vels mal soffrir.
Il atent .j. petitet; tu en aras assés. Çou
Il eiisces tu en infer que tu suefTres ci :
Il onques ne te haster de mal traire.
Il quant tu i venras assés par tans. »
À la suite des paragraphes relatifs à Crones, Origenes, Evagres et
Jean (cf. ci-dessus, p. 3oo) est indiquée la fin du premier livre : « Ci
« fenist li premiers livres de Vids patram » (fol. 1 6 d).
Le texte se poursuit ainsi, toujours d'accord, sauf de nombreuses
variantes, avecle manuscrit io38, jusqu'à la vie de sainte Thaïs, dont
B. N. fr. io38,fol. i3.
Il fu uns bons de la cité de Thebayde
qui menoit moût maie vie, et estoit par-
tout nommez de lecherie et de mau-
vestié. Il se repenti par la pitié de Dieu et
entra en un moutier. Si vindrent li deable
a lui par nuit , et si li distrent : « Mauves
Il licbierres , que les tu ci ? Tu as feit
Il toutes les lecheries que nus hom pouist
« feire , et or veus devenir chastes et reli-
« gieus ; quant tu ne puez mes rien feire , si
Il veus ta pénitence feire. Tu es ausi comme
« .j. de nous, ne ne puez autre estre, et
Il vien t'en encore a nous, et ce tentet que
Il tu as encore feit te quiton. Revien en tes
Il délices et en tes volentez. Nous te don-
« rons délices et belles famés , et quanque
Il tes cuers devisera. Se tu veus mal sou-
« frir, atant .j. petit : tu en avras assez.
« Ce eusses tu en enfer que tu suefTres ci ;
Il onques ne te haster de mal traire : tu
Il y venras assez a tans. »
'"' C'est la bonne leçon comme aussi pour
la suite : • . . .et intra sepulcrum se quoddam
» concludens , priorum scelenim poUutiones la-
iicrymarum fontibus diluebat, diebus ac noc-
« tibus in faciem prosiratus.et ne allevarequi-
mlein ausus oculos ad caelum, neque vocem
«cmittere et nomen Dei nominare.sed in solis
« geinitibus et flotibus perdurabat ...» 11 est
visible que la version est abrégée , mais la leçon
de io38, comme on peut le voir, écourie
encore cet abrégé.
'*' Latin : « Redi ergo magis, redi ad nos;
• et quod superest tibi tcmpus in perlmenda
« voluptate non perdas. >
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 321
nous n'avons, dans le manuscrit fr. 4'i2, que les premières lignes
(cf. ci-dessus, p. 3 08) :
{Fol. 83 c) H fut anchienement une soldoicre qui .ivoit non Thays, tant beie et
tant gcnte que maint home vendirent pour ii leur iretage, et furent povre caitif al
daarrain. Molt avoit li damoisele d'amis qui l'anioientfolenient, et [si] qu'il s'entre-
haoient et s'entrocioient , tele eure estoit, a son huis.
Suit immédiatement, sans rubrique, la vie de saint Martin dont
nous avons traité précédemment à propos de Wauchier de Denain''^.
Puis viennent la vie en prose de saint Nicolas et sa translation
(fol. 97 d), une traduction de la lamentation de la Vierge au
pied de la croix ''^' (fol. i2'i), une vie en prose de sainte Marie-Made-
leine (fol. 126), et enfin (fol. 127 c) la version du traité sur l'Anté-
christ d'Adson, abbé de Montier-en-Der'"''. Ce dernier texte est incom-
plet, le manuscrit ayant perdu son dernier feuillet.
TRADUCTION DES VEliBA SElSIOIiVM DE PELAGE,
DE VHISTORIA MONACUORVM , DES VIES DE SAINT l'AUL L'ERMITE,
DE SAINT MALCHUS ET DE SAINT FRONTON.
Les versions que nous avons étudiées jusqu'à présent n'avaient
d'autre objet que de mettre à la portée d'un public peu lettré des his-
toires édifiantes. Elles ne prétendaient nullement à l'exactitude. Leurs
auteurs ne se croyaient obligés ni de tout traduire, ni même, parfois,
de conserver l'ordre suivi dans les recueils latins qu'ils s'étaient donné
la tâche de faire passer en français. C'étaient des adaptations plutôt
que des traductions. Le recueil dont nous allons parler présente un
tout autre caractère. H est l'œuvre d'un écrivain qui a fait effort pour
rendre les textes avec une exactitude rigoureuse. Aussi son style est-il
parfois pénible et embarrassé. Nous pensons que ce traducteur, qui
ne s'est pas fait connaître, était Français. Il est vrai que les deux manu-
scrits qui nous ont conservé son œuvre ont été exécutés dans le nord
de l'Italie, la forme de l'écriture ne laisse point de doute à cet égard,
'"' Ci-dessus, p. a83. (inciens textes français, 1875, p. 64- Une autre
'*' D'après un opusrule latin attribué à saint copie de la même version se trouve dans le
Bernard et qui a été plusieurs fois traduit en nis. ^■ja de Lyon {Bulletin, i885, p. 5o).
français. I-a version (pie renferme le nis. /(sa ''' On possède bien d'autres copies de la
a été signalée dans le liallelin de la Société des inènie version : voir Romunia , XVII, 383. •
iiisr. i.iTTKB. — xxxni. 4i
322 VERSIONS KN PUOSE DES VIES DES PÈRES.
mais la langue esl exempte d'italianismes, (^e sont deux transcriptions
fidèles de textes originairement écrits en France, (les deux copies
sont contenues dans les manuscrits B. N. fr. 43o et 9760. Elles ren-
ferment ou du moins ont renfermé (car l'un des deux manuscrits
esl incomplet) les mêmes écrits, bien que dans un ordre différent.
Voici l'indication sommaire de ces écrits :
B. N. IV. 9760. B. N. Ir. kS
().
I. (Foi. 1) Les Verba seniorum de Pelage. i. (Fol. 2) Le Dialogue de saint (iré-
•1. (Fol. yS) Vie de saint Paul l'ermite. goire.
3. (Fol. -78 c) Historia monachorum de -2. (Foi. 89) Vie de saint François.
Ruiin. 3. (Fol. 97 y") Les Verba seniorum de
'i. (Fol. 128) Vie du moine Malclms. Pelage,
f). (l'^ol. I 3o) Vie de saint Fronton. /|. (Fol. i36) Vie de saint Paul l'ermite.
6. (Fol. 1 33) Le Dialogue de saint Gré- 5. (Fol. 139) h' Historia monachorum.
goire. — La version s'arrête à la (in du
7. (Fol. 2;i8) Vie de saint François. chap. xxviti {de duobus Macariis),
au foi. 1 60 , qui termine un cahier.
La suite de Y Historia monachorum ,
et probablement aussi les vies de
saint Malchus et de saint Fronton ,
manquent par suite de la perte des
derniers feuillets du manuscrit.
11 nous semble bien, à en juger par le style, que toutes ces traduc-
tions sont l'œuvre du même auteur. Toutefois nous ne nous occu-
pons présentement que des cinq articles qui ont trait à la vie des
Pères. Nous suivrons naturellement le manuscrit 97 Co, le seul
complet.
Les Verba seniorum de Pelage ne sont pas compris dans l'en-
semble des traductions faites par Wauchier et ne figurent que par
extraits dans la compilation étudiée à l'article précédent, de même
que dans la version champenoise. Ici cet ouvrage est traduit fort exac-
tement, l'ordre des morceaux étant le même que dans Rosweyde. Les
titres des lihelli sont parfois mis en français*''. Pour un motif que
nous ne saurions deviner (simplement peut-être parce que le traduc-
''' Ms. 9760, fol. 5 h. De componction [U- contre fp.< batailles de fornication quant elles se
hell. lu); fol. 8 c, De continence (libell. iv); eslievent entre les homes (UMI. v, De fornica-
l'ol. i5 c. Relation des cauteles qui doivent estre tione), etc.
à
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 323
teiir aura fait usage d'un manuscrit incomplet), la traduction n'est pas
poussée au delà du Ubelliis xii.
Nous allons donner quelques échantillons de cette traduction, dont
l'auteur, comme ses devanciers, ne manque pas de faire honneur à
saint Jérôme de tous les écrits relatifs aux vies des Pères :
(Fol. i) Ci comencent les cnhortemens des sains Pères et les perfections des moines,
les<fuels sains Jeromes translata et niist de grec en latin. Uns hons demanda a l'abbé
Antoine et dist : « Que garderai je por plaire a Dieu ? » Et li viels respondant li dist :
« Garde ce que je te coniande ici : en quelconque lieu tu vas, aies tousjours Dieu
« devant tes iex , et, en ce que tu fais, ajousle la tesnioignance des escriptures, et,
« en quelconque lieu tu seras , ne te remue pas tost. Garde ces trois choses et tu
« seras sauf. »
Li abbes Pambo demanda a l'abbé Antoine, disant : « Que ferai je. •* » Li viels li re.s
pondi : « Ne te vueilles pas trop fier en ta justice ; ne te repent de chose trespassée
« et soies continens de ta langue et de ton ventre'". ». . . .
[Fol. 1 d) \Â abbes Cassiaii raconta de un abbé Jehan, qui estoit le premier de
la congrégation, que il fu en sa vie de grant non. Et quant vint que il dut morir et
partir de ce monde, o grant aliegrece et a bon propos de pensée a Dieu, ses frères
furent entour lui, et si li prièrent que il leur deïist , en lieu de héritage , laissicr aucune
brieve parole de salut, par laqueie il peûssenl monter a la perfection qui est en
Jhesucrist. Et il, en souspirant, dist : « Je ne fis ma propre volenté ne ne ensei-
« gnai a autrui chose que je ne feïsse avant'". »
Cette version est matériellement fort exacte, mais elle n'est pas tou-
jours correcte; ainsi ces mots du latin Dixit sanctœ memoriœ Syncletica
ilibelL III, 16) sont rendus par « Uns sains hons qui ot non Sincletice »
(fol. 7). Syncletica est le nom d'une femme.
La traduction, nous l'avons déjà dit, s'arrête à la fin du lihellus xii.
Vient ensuite la vie de saint Paul l'ermite, qui commence ainsi :
(Fol. yS b) Ci comence la vie de saint Pol hermite, selonc saint Jérôme '•^'.
Entre maint home fu souventes fois douté qui fu li premiers moinnes qui comencza
a habiter el désert , quar aucuns, vueillans comencier de lonc tans ariere, distrent de
saint Helye et de saint Jehan Baptiste , li uns desquels me samble que il fu plus que
moinnes; li autres comencza a prophetisier avant tpie il nasquist; les autres dient
que sains Antoines fu chief de ceste riegle , et a ce s'acorde tous li peuples. Et c'est
'"' Verba seniorum. libell.l, i,3 (Rosweyde, semblance parait accidentelle, car elle ne se
p. 5a a; Mi<,'ne, LXXIIl, 855). poursuit pas plus loin.
'*' /61V/. , /i6pK. I , I o. La traduction du même ''' Rosweyde, p. 17; Migne, XXIIl, 17.
passage dans la version champenoise (ci-dessus. Cf. ci-dessus, p. ■^61, la version de Wauchier
p. 3o5)est presque semblable; mais cette res- et, p. 297, la version champenoise.
324 VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES.
voirs en partie, quar il ne iupas de tousU premiers, mais il solicita et dunna exemple
a tous les autres; mais Amalhas et Machaires, deciples de saint Antoine, li uns des-
(|uels enseveli le cors de son maistre, afiemient que uns qui ot non Pol deThehes lu
li premiers hermites, mais il n'en ot pas le non. Et ceste oppinion approuvons-
nous. . .
{Fol. 73 (l) Ou tans que Decius et Valeriens parsivoient et destruisoient crestïenté,
ouquel tans sains Cornilles sousiint martyre a Rome et sains Cypriens a Cartage,
maintes eglyses furent gaslées en Egipte et en Thebayde. Les crestiVns esloient ardans
el volenteïz de morir por le non de Nostre Seigneur Jesucrist; mais li anemis de
l'umainne génération, qui tant par est malicieus, querant ocquoison de delaier la
mort de cels que il veoit appareilliés de morir pour Dieu, desiroit la mort des âmes,
non pas celé des cors; et, si corne Cyprien meesme dist, lecpiel Decius fistmartyrier,
il ne le[s] laissoit occire*". Et pour faire savoir a lagentla cruauté de lui, nous en ra-
conterons briement .ij. exemples. Il fist prendre un martyr lerme en la foi de Jhesu-
crist, et, puis que il l'ot tourmenté en feu et en oile boulant, il le fist oindre de miel
et li fist loier les mains derrière le dos et mètre le au soleil qui moult estoit ardans,
quidant a ce cjue cil doutast les aguillons des mouschesqui les paeles de Toile ardant
avoit souffertes et vaincues . . .
h'Historia monachoruin de Riifin, ici allribuée à saint Jérôme, est tra-
duite tout aussi littéralement. Voici les premières lignes du texte,
que l'on pourra comparer à la traduction de Wauchier (ci-dessus,
p. 272), où est omis le commencement du prologue, et à la version
champenoise (p. 298], qui est beaucoup plus libre :
(Fol. 78 c) Ci comciicc la vie des Pères selonc Jérôme '^l
Beneois soit Diex cpii vuet que tuit soient sauf et parvieignent a cognoissance de
vérité, qui adrecza neiz nostre voiage en Egypte et nous moustra grans miracles (pii
seront pourfitables a cels qui après nous vendront, desquels nous n'avrons tant seu-
lement ocquoison de sauvement, ainz en avérons neiz estoire pourfitable qui mous-
trera la voie de vertus a tous cels qui vodront aprendre doctrine de foi et de vérité
et de pitié. Quar, ja soit chosi; que noz ne soions souffisans a si grans choses ra-
conter, ne me samble digne chose que home de petite auctorité s'entremete de haute
matere et raconte par humie sermon les hautes vertus. Toutes voies, pour ce que la
charité des frères qui avueques nous mainnent ou mont d'Olivet nous requiert cl
prie souvent que nous escrisons la vie et les vertus des moinnes d'Egypte et leur
habit et leur pitié et leur haute abstenance, je l'essaierai de faire, aians fiance
d'estre aidiés par les prières de cels qui m'en requièrent, non mie tant pour pris
acquerre dou bien dire come pour le pourlit et pour l'edellement de cels <[ui les
' '' Il y a dans le texte : volenlibus mori non permittebatur occidi, — ''' Rosweyde , p. 448 ; Migne ,
X\I, 387.
VERSIONS EN PROSE DES VIES DES PÈRES. 325
pstoirps liront, quant chascuns sera enflaniez des bons exenipies et despitera les deliz
dou siècle et se tournera a repos et a oevre de pitié . . .
(Fol. 80) De saint Jehan. Adonques premièrement prendons [a] Jehan , 11 quels toz
seuls vraiement puet assez soulïire a esveillier et adrecier tous les corages religieus et
devos a Dieu a hautece de vertus et esmouvoir a trace de perfection. Cestui Jehan
veïmes nous en la contrée de Tliebayde , el désert séant près de la cité de Lico , et ha-
bitoit en la roche d'une haute montaigne. Moult fu grieve et anuieuse la montée, et
l'entrée dou moustier fii close et fermée, si (jue del quarantime an de son aage
jusques au lxx\"", ouquel il fu quant nous le veïmes, nus lions n'entra en son her-
mitage, mais il se laissoit veoir par une fenestre a cels qui la venoient, et d'ilueques
leur sermonnoit pour leur edeliement, ou leur respondoit, se aucuns requeroit de
lui conseil. Nule famé mais ni ala ne onques ne l'i vit; neiz les homes i aioient pou
souvent et a certainne saison ...
Nous transcrirons ici le début de la vie de Paul le Simple, que l'on
pourra comparer avec la traduction de Wauchier (ci-dessus, p. 267)
et avec la version champenoise (p. 3oo) :
(Fol. 12a b) De saint Pol le Simple, hennite.
Entre les desciples d'Antoine, en fu uns qui ot non Pol, et parsurnon li Simples.
Cis ot tel comencement de sa conversation. Come il eûst sa feme trouvée avuec un
pautonnier, il n'en dist mot a nului, ainz issi del bostel dolans et tristes, et s'en ala
el désert, et erra tant qu'il vint au moustier d'Antoine, et ilueques, pour le lieu que
il trouva aaisié , prist conseil de soi meesme , et s'adrecza a saint Antoine pour lui
demander cornent il se peûst sauver. Cils , regardans l'ome de simple nature , li dist que
il se porroit sauver se il voloit obeïr a ce que il li diroit. . .
A la suite de la traduction de VHistoria monaclwrum prennent place
les vies de saint Malchus [Vita sancti Malch'i captivi monaclii) et de
saint Fronton. La première avait déjà été traduite par Wauchier (ci-
dessus, p. 266), l'une et l'autre font partie de la version champe-
noise (ci-dessus, pp. 3i 2 et 3o8). Début de la vie de saint Malchus :
(Fol. 125 b) Ci comence l'estoire dou nwinne chetif.
Cels qui en mer se doivent combatre essaient premièrement leur nez et leur galies
dedens le port et en la mer quoie, et tournent les avirons sus et jus et essaient leur
rames et leur aprest, et se garnissent de crans de fer''', et metent la gent d'armes sur
les galies pour els aûser de la manière et de la contenance qui en l'estour est néces-
saire, et que il aprengent a els fermement tenir en estant, si que, quant ce vendra au
combatre et a hurter l'un a l'autre, que il n'aient paour de ce que il avront devant
apris. Ansinques , je , qui longuement me sui teûs , me vueil premièrement exerciter par-
(') , Ferreas manus et uncos préparant. »
326 VERSIONS KN PROSE DES VIES DES PERES.
lant des oevres des simples homes et moi aprendre de parier et oster aussi come la
ruille de ma langue, si que je puisse parvenir a parler de la grant estoire, (juar je ai
propos, se Die\ me donne vie, et mes anemis me laissent, de escrire l'estoire de la
venue de nostre Sauveur jusques a nostre tans ...
À la (liflFérence de la version champenoise, la vie de saint Fronton,
qui vient ensuite, n'est pas traduite d'après le texte publié par Ros-
weyde (p. 238), mais d'après une autre légende, dont quelques ex-
traits ont été imprimés par Paillon, dans ses Monuments inédits sur
l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence, II, 428, 43o, 432.
Nous citerons plus loin, en note, le début de cette vie d'après un
manuscrit de la Bibliothèque nationale. Notre traduction de la vie de
saint Fronton contient le prologue, qui manque dans beaucoup des
manuscrits latins, et dont il suffira de rapporter les premières lignes :
(Fol. i3o b) Ci comence la vie de saint Frontin. Qui a comencié a estre hons de
Dieu et de Jhesucrist , qui est chevaliers de Dieu et qui a espérance dou règne de Jhe-
sucrist, il doit avoir si granl cuer et si ferme espérance que il n'ait paor de nule aver-
sité ne de tempeste nule, quar victoire ne puet estre se bataille ne est avant. Qui
vaintra la bataille, il sera couronnez. Li nochiers cognoist bien quant la mer est
tempesteuse '", li chevaliers se cognoist en la bataille. La tempeste ou il ne a péril est
déliée'**. Au péril de l'aversité s'esprueve la vérité. Très chiers frères, soions appa-
reilliés de tote nostre pensée, o ferme foi et ruste vertu , a souffrir toute la volenté de
Nostre Seigneur. . .
{Fol. 131) Uns vieils moinnes fu qui ot non Frontins, qui de s'enfance avoit esté
dévot a Dieu, et avoit assamblé en la ville ou il fu nez .Ixx. moinnes pour servir a
Dieu ; et lonc tans habita avueques els en la ville desus dite , et tous jours ci eissoit et
amendoit en oevre de Dieu, et moult fu loez des gens et maiement de cels qui
amoient la foi, mais moult li anuioit de ce que il ne demouroit en aucun désert ou
que il ne vivoit a l'exemple de Helye. 11 fu enflammés dou Saint Esperit et prist par
conseil de conforter ses frères et d'abandonner le moustier a tout son meuble et
d'aler s'en tout nut el désert, disant que li couvens des frères estoit gaaing dou trésor
celestial'^'. . .
'"' Contre sens; latin; «Gubemator in tem- dein tempore iu predicta civitate cum eis ha-
pestate dinoscitur. • (B. N. lat. 17623, fol. 63.) bilans, in opère Dei rrescebat. Laudabatur
'•' « Delicata jactatio est cum periculuni non quoque a piuribus ; sed , cum esset magno tedio
est. > afllictus , eo quod non [ad] aliquam solitudinem
''^' Lat. 12396 (xn" s.), fol. i58 : « Erat qui- ad Heliae pergeret exemplum, iniit, accensus a
dana senex monarhus, a prima étale Deo de- Spiritu Sanrto, consilium ut, confortalis fratri-
volus, nomine Frontonius. Hic, ut septua- bus, reliclo monasterio sic cum ovibus, bnre-
giiita monachos in civitate qua natus est ad nium peterci nudus, asserens Iratribus ccnlii-
serviendum Domino congregavit, multo qui- plum esse thesnurorum caelestium lucrum. . . •
VERSIONS KN PROSE DES VIES DES PÈRES.
327
Les diverses compilations relatives aux vies des Pères que nous
avoHsS analysées dans les pages précédentes ne sont pas les seules qui
nous aient été conservées. Mais nous ne pouvons maintenant traiter
d'œuvres qui sont postérieures à l'époque où nous devons nous ar-
rêter. Nous nous bornerons donc à mentionner une compilation du
XV" siècle, qui nous est connue par un manuscrit daté de 1496 (Bibl.
nat., fr. 2291 1), où ont été réunis : 1" (fol. 1) ÏHistoria monachorurn
de Rufin, y compris le prologue (livre II de Rosweyde); 2° (fol. 87)
les vies de saint Paul l'ermite, de saint Antoine, de saint Hilarion,
de saint Malchus, de sainte Paule, de sainte Pélagie, de sainte Marie
l'Egyptienne, de sainte Marine, de sainte Euphrosyne, de saint Fron-
ton, de saint Siméon Stylite, de sainte Euphrasie, de saint Macaire
romain, de saint Posthumius, de saint Onuphrius, de saint Abra-
ham l'ermite, de saint Pachoine, de saint Chrétien du Mans*'', de
saint Jean l'Aumonier, de sainte Eugénie, de saint Basile, de saint
E])hrem; 3" (fol. 2i3) les Verba seniorum du même (livre III de Ros-
weyde), avec le prologue, qui n'a pas été traduit dans les versions
étudiées précédemment; 4° (fol. 272 d) les Verba seniorum traduits
du grec par Pelage (livre V de Rosweyde); 5° (fol. 388) les Verba se-
niorum traduits du grec par Jean (livre VI de Rosweyde) ; 6° (fol. 4o3)
les extraits de Sulpice Sévère et de Gassien (livre IV de Rosweyde);
7" (fol. 420) les Verba seniorum traduits par Paschasius (livre VII
de Rosweyde) '"■^'.
Nous croyons utile, en terminant cette notice, de donner la liste,
par bibliothèques, des manuscrits que nous avons utilisés :
M,%M;»cniT».
HA^ICftCBITS,
Arras iSg (prose) ayj)
— 307 (prose) a65, 378
Bruxelles 9325 (prose) 267, 379
Carpentras /173 (prose) 359
Chantilly, Musée Condé (prose) 378
Cheltenham, Bibl. Phillipps366o (prose) 379
Dublin, TrinilyCollegeB. 2. 8(prose). 265, 279
Londres, Musée brit. , Roy. 30. D. vi
(prose).. 379,281,286
— Harl. 3 353 (poème de Henri
d'Arci ) 257
— Add. 17375 (prose) 267
'"' Cette vie est tout à fait étrangère auv
Vies des Pères.
'*' Notons encore que le tns. B. N. Ir. 991
(xv* siècle), qui renferme des ouvrages très
divers, contient aux ff. i5o et i5i, la vie de
Thaïs , un dit de saint Ephreoi ( Vorba seniorum
de Pélaffc , lihcll. x , S 3 1 ) , et la vie de Pélagie
(Rosweyde, p. 376), d'après une traduction
différente de toutes celles que nous avons
passées en revue. Du reste, la vie de Pélagie
n'est comprise dans aucune de ces traduc-
tions.
328
F.KGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
MANOSCRIT».
Lyon 77a (prose) 379, 3i4
— 773 ( prose) • 392
Oxford, Queen's Coll. 3o5 (prose)
279
P<iris, Bibl. nat. , l'r. i83 (prose) . . 367, 279
— — — i85 (prose). .. 367, 279
— - — — /iii (prose). 279, 281, 286
— — — /il a (prose). 279, 381, 28G
— — — /i3a (prose). 279, 3i8, 3ao
— — — 43o (prose) 322
— — — io38 (prose). . 392,313,
3i5, 330.
— — — 6447 (prose) . 379, a88
— — — 9688 (prose] 3i5
— — ' — 9760 (prose) 3aa
— — — 13/196 (prose) 27.;^
Mi!! vftcftiTs.
fAUKS.
Paris
Bil)l.nat.,fr
17339 (prose).
• 279
384
—
— —
17231 (prose).
• • . .
3i4
—
— —
19531 (prose).
. . . .
a88
-
— —
3391 1 (prose).
....
.i27
—
— —
a3i 1 I (prose).
. 3i5
3i8
—
— —
33i 13 (prose).
. 365,
279
—
— —
i3\ 17 (prose)
....
379
—
— —
a/i43o (prose)
3i3
—
— —
24862 (poème
de H.
_
d'Arci). . ..
•r»7
34947 (prose)
....
3.?
—
— N. acq. Ir. ioia8 (prose).
37a ,
J75.
—
Bibl. Mazar.
1716 (prose). .
• 379.
a84
Saint-
Pétersbourg ,
Bibl. iinp., fr.
35 (prose).
260,379,
3i3.
P. M.
LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES
EN FRANÇAIS.
I. LEGENDES EN VERS.
Sous le litre de Légendes hagiographiques nous comprenons tous
les récits ayant pour ohjet l'histoire du Christ, de la Vierge Marie et
des saints, qui ont été composés par des écrivains chrétiens en vue
de l'instruction ou de l'édification des fidèles, depuis les preniiers
temps du christianisme jusque vers le xT siècle, époque où la j^ro-
duction des légendes s'est arrêtée, ou du moins a revêtu un nouveau
caractère. Les plus anciennes de ces compositions, évangiles apo-
cryphes, vies des apôtres, passions des premiers martyrs, appar-
tiennent au christianisme oriental, et leur forme originale est grecque.
Traduites de honne heure en latin , elles se sont rapidement propagées
I. LEGENDES EN VERS. 329
dans l'Occident chrétien, tantôt isolément, tantôt groupées avec des
légendes d'origine purement latine, en des recueils très variés. Au
cours du moyen âge leur nombre s'est grandement accru. La pro-
duction des vies de saints a été considérable chez nous du vi" au
XI'' siècle; pendant le même temps de nombreuses légendes, rédi-
gées en grec dans l'empire d'Orient, reçurent, ordinairement dans
le sud de l'ItaHe, la forme latine, et de là se répandirent dans la
chrétienté occidentale. Ces innombrables écrits, pour la plupart d'une
véracité douteuse, dontplusieurs rnème étaient qualifiés d'apocryphes
dès l'antiquité, ont été pour les littératures en langue vulgaire, et par-
ticulièrement pour noire littérature, une source inépuisable de com-
positions variées, en vers et en prose. Sous la forme romane ils ont
acquis une vitalité nouvelle et retrouvé faccès des ànies simples et
naïves auxquelles leurs auteurs ignorés les avaient destinés.
L'analogie du sujet nous conduit à ranger parmi les légendes un
certain nombre d'écrits qui, bien qu'ayant pour but fédilication des
fidèles, ont cependant à un beaucoup plus haut degré que les anciennes
légendes le caractère historique. Telles sont les vies des saints du xu''
et du xiii'' siècle : celles de saint Thomas de Cantorbéry, de saint
François d'Assise, de saint Domhiique, de saint Antoine de Padoue et
de quelques autres. L'histoire de ces personnages a été de bonne
heure popularisée par la poésie française.
Les premières légendes pieuses que nous rencontrons dans notre
ancienne littérature sont en vers. La forme rythmique et rimée s'im-
posait dès qu'il s'agissait d'œuvrcs faites pour être chantées ou réci-
tées devant un public illettré. Il ne faut pas chercher dans ces poèmes
une originalité qui en est à peu près exclue par leur caractère même.
Leur intérêt est ailleurs. Certains sont au nombre des plus anciens
monuments des langues romanes. Il suflira de rappeler les deux
poèmes (la vie de saint Léger et la Passion du Christ) que nous a
conservés un manuscrit de Clermont-Ferrand. D'autres, tels que la
vie de saint Alexis et celle de sainte Thaïs, se recommandent par
l'élégante simphcilé de la narration, par l'habileté avec laquelle les
données hagiographiques ont été mises en œuvre, par l'incontestable
valeur du style. Et celles mêmes de ces légendes en vers qui sont
l'œuvre de versificateurs de second ordre peuvent fournir d'utiles
notions à l'histoire des idées et des croyances sujîerstitieuses. Aucun
HIST. LITTÉn. XXXIII. 42
:ViO LKGKNDKS HAGlOfiMPElIQUKS EN FRANÇAIS.
des écrivains qui ont mis en vers la vie de sainte Catherine et celle de
sainte Marguerite ne s'est élevé au-dessus de la médiocrité : le fait
seul que chacune de ces légendes a fourni la matière de dix ou onze
poèmes témoigne avec éclat de la popularité dont jouirent ces deux
saintes à partir du xiT siècle.
Il est sûrement intéressant, à un point de vue purement histo-
rique, de constater en quels sens se manifestaient les goûts variés
du public, et la masse énorme de légendes versifiées qui nous sont
parvenues fournit à cet égard de précieux indices.
L'Eglise, indifférente ou même hostile aux compositions en langue
vulgaire, faisait une exception en faveur des écrits hagiographiques.
On a souvent cité le passage d'une somme de pénitence du xin' siècle
qui, invoquant l'autorité du pape Alexandre III, excepte de la répi-o-
bation qu'encouraient les jongleurs ceux d'entre eux (jui cantant gesta
principum et vitas sanctorum^^K On a lieu de supposer que beaucoup de
nos légendes pieuses ont été mises en vers par des personnes ecclé-
siastiques. Le fait est certain pour plusieurs : Thibaut de Vernon,
qui, d'après le témoignage d'un moine de Saint- Wandrille, aurait
composé au xi*^ siècle plusieurs vies de saints, et notamment celle
de saint Wandrille, était chanoine de Rouen'^l L'auteur du plus
ancien poème sur sainte Catherine était une religieuse bénédictine;
celui d'une des vies de saint Grégoire était moine à Oxford; une
des vies de saint Thibaut et celle de saint Mathurin de Larchant
ont été rédigées en vers par des membres du clergé séculier, etc.
Si les indications de ce genre ne sont pas plus nombreuses, c*e.st que
la plupart de nos versificateurs ont gardé l'anonyme, outre que,
bien souvent, les copistes ont supprimé les vers où les auteurs se
nommaient.
Les écrivains qui ont versifié en langue vulgaire les légendes des
saints croyaient faire œuvre pie en mettant à la portée des lais, «en
« plain romanz », comme dit l'auteur de la vie de sainte Julienne, des
écrits édifiants, accessibles à ceux-là seulement qui savaient le latin.
''' Ce texte, signnlé par M. L. Delisle à Fr. moignage, relativement récent, d'après lequel
Guessard, a été cité in extenso par ce dernier Israël, grand chantre de la roHégialc de l)orat
dans la prélace de H non de Bordeaux, p. vi. (diocèse de Limoges) au xi* siècle , aurait mis
'•' Ce témoignage a été cité et discuté par « en vers et en langue vulgaire » l'Histoire
G. Paris, La vie de saint Alexis, p. 43. — sainte jusqu'à l'ascension du Christ {Hist. litl.
Nous accordons moins de confiance A un té- de lu France, Vil, a3o).
1. LEGENDES EX VERS. 331
Des poète squi, dans leur jeunesse, s'étaient laissés aller à composer des
poésies légères, faisaient plus tard amende honorable en traduisant
la vie d'un saint. C'est le sentiment qu'exprime l'auteur de la vie de
saint André lorsqu'il dit :
Ju ai sovent traitiét d'ainur,
De joie grant et de dolzur,
De vaniteit et de folie,
Degas, de ris, de legerie;
J'ai loliiét en ma jovente :
En altre liu or ai m'enlentt*.
Gant jovenes fui, teii ctiosc fis
Et mon penseir en tel liu mis
Dont moi repent et vul retraire.
Car teil chose est a Deu contraire'".
Denis Piramus nous apprend, dans le prologue de sa vie de saint
F^dmond, qu'au temps où il hantait les cours, il avait fait des serven-
tois, des chansonnettes, des saints d'amour, mais, sentant la vieillesse
approcher, il se repent et veut s'appliquer à une œuvre plus louable.
C'est de même encore que, vers la fin du xiii" siècle, Richier, le tra-
ducteur de la \ie de saint Rémi par Hincmar, s'accuse d'avoir « semé
«( sur grève, en rivage de mer », jusqu'au moment où des prudhommes
lui ont indiqué une œuvre plus profitable :
Et Richiers, qui soloit semer
Sor grève , en rivage de mer.
En terre qui fruit ne puet rendre ,
Ne vueit mais a oiseuse entendre;
Car mauvais fruit li a rendu
Tant com il i a entendu
Et a sa perte i a pené;
Mais or l'ont preudonie assené
Qui li ont enseigné une wevre
Dont grant matere li awevre'^'.
Les écrivains qui se sont imposé la tâche de versifier les vies des
saints n'étaient pas toujours inspirés par une piété éclairée. Les
'■' Arclt. des Missions , 2' série, t. V, p. 209. — '*' Vers i3 et suiv. [Notices ci extraits dei manu-
scrits, XXXV, i" partie, p. 12 4).
42.
332 LKGEiNDES HAdlOCRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
légendes qui ont été le plus souvent traduites et dont le succès a été
le plus durable sont au nombre des plus fabuleuses, il suffit de citer
celles de saint Alexis, de saint Euslache, de saint Georges, de sainte
Marguerite, de sainte Catherine. Certaines passaient pour de vérita-
bles talismans ayant la vertu de protéger contre des dangers déter-
minés ceux qui les lisaient ou même en portaient sur eux des
copies; tel est le cas des vies de saint Georges et de sainte Marguerite.
Le mérite littéraire n'entrait pour rien dans leur succès.
Les vies dont nous possédons des traductions en vers peuvent se
répartir en trois classes :
1" Un groupe considérable de légendes appartenant aux premiers
siècles du christianisme et qui, entrées dans la composition des offices
liturgiques, ont pris place dans la plupart des bréviaires. Entre ces
légendes figurent celles que nous venons de mentionner comme par-
ticulièrement fabuleuses. Elles se recommandaient ordinairement à
la curiosité non moins qu'à la piété des fidèles par les récits mer-
veilleux et souvent dramatiques dont elles sont remplies. Elles ont
eu le plus grand succès. On en possède généralement plusieurs ver-
sions, dont quelques-unes nous ont été conservées par de très nom-
breux manuscrits.
2° Des vies de saints vénérés en des localités déterminées, intro-
duites, sous forme de leçons, dans les bréviaires de certains diocèses,
ont été mises en français pour satisfaire la piété des fidèles de ces
localités. De ce nombre sont : la vie de saint Wandri Ile, traduite par
Thibaut de Vernon, qui ne nous est pas parvenue; les vies de
saint Evroul, du bienheureux Thomas de Biville, en Normandie;
de saint Thibaut, en Champagne; de saint Mathurin de Larchant, en
Gàtinais; de saint Germer, à Beauvais; de saint Eloi, à Noyon;
de saint Quentin, en Vermandois; de saint Yves, en Bretagne;
de saint René, à Angers; de saint Alban, de saint Edouard le
Confesseur, de saint Edmond, de sainte Etheldreda, de sainte Mod-
wenne, de sainte Ositha, en Angleterre.
3" Des vies de saints récents, souvent contemporains, tels que
saint Thomas de Canlorbéry, saint François, saint Dominique, sainte
Elisabeth de Hongrie, saint Antoine de Padoue.
Enfin, certains livres de l'Ancien et du Nouveau Testament,
I. LÉGENDES EN VERS. 333
plusieurs évangiles apocryphes, de pieuses fictions de divers genres,
ont fourni la matière de poèmes que nous avons cru pouvoir classer
avec les vies des saints. Tels sont les poèmes sur Joseph, sur Tobie,
sur le Christ, sur la Vierge Marie, les traductions de l'Evangile de
Nicodème, de l'Évangile de l'Enfance, du traité d'Adson sur l'Anté-
christ, etc.
Ces poèmes, de provenances très diverses, mais ayant tous en vue
l'instruction religieuse et l'édification des fidèles, ont été classés à leur
rang alphabétique dans le catalogue qui suit. Le nombre en est extrê-
mement considérable. Nous en avons enregistré plus de deux cents,
et il n'est pas douteux que plusieurs nous ont échappé. Considérons
aussi que beaucoup d'entre eux ne nous sont parvenus que par des
copies uniques, d'où l'on peut induire qu'un grand nombre sont
irrémédiablement perdus. Ici, comme en d'autres brandies de la
littérature, la fécondité de nos anciens auteurs a été incomparable.
Celles des traductions en vers dont nous pouvons, avec plus ou
moins de certitude , déterminer l'origine , appartiennent presque toutes
à la Normandie, à l'Ile-de-France, au Beauvaisis, à la Picardie, à
l'Artois, à la Flandre française, à la Champagne. L'Angleterre aussi
fournit, au xii*^ siècle et au xiii% un contingent fort important. Mais
nous ne voyons guère de ces compositions qu'on puisse "attribuer à
la Lorraine, sinon la vie de saint Jean l'Evangéliste par Thomas de
Vaucouleurs, et, quant h la région située entre Paris et les pays
de langue d'oc, elle est pauvre en légendes versifiées comme en tout
genre de poésie vulgaire. Une vie de sainte Catherine, probablement
poitevine, l'histoire de saint Martin, par Péan Gastinel, composée à
Tours, une rédaction lyonnaise de la légende de Théophile, voilà
à peu près tout ce que nous pouvons attribuer sans hésitation à la
région moyenne de la France.
Les légendes en vers, si grande que soit la place qu'elles occupent
dans les littératures vulgaires du moyen âge, et paiticulièrement dans
notre ancienne poésie française, ne constituent cependant pas un
genre à forme déterminée. Tandis que la chanson de geste adopte dès
l'origine la disposition en laisses monorimes de longueur variable, et
s'y tient jusqu'à la fin, tandis que les romans d'aventure et les fableaux
sont, à bien peu d'exceptions près, en vers octosyllabiques à rimes
appariées, les versificateurs de nos légendes ont employé les formes
334 LÉGENDES HAtilOClRAPHIQLES EN FRANÇAIS.
les plus diverses, entre lesquelles deux sont particulièrement fré-
quentes : le couplet de vers octosyllabiques et le quatrain de vers
alexandrins (''; mais on a aussi des exemples de poèmes en laisses
monorimes (saint Alban, saint Alexis, saint Eustache), en vers de six
syllabes (Job, Joseph), en alexandrins à rimes appariées (l'Antéchrist,
saint Jean-Baptiste, la vision de saint Paul), en stances de cinq vers
de dix syllabes (saint Alexis) ou de douze (saint Thomas de Gantor-
béry, sainte Marie-Madeleine), en quatrains de vers octosyllabiques
(saint Jean-Baptiste) ou décasyllabiques (sainte Agnès), en sixains
(saint Denis, saint Thomas de Cantorbéry), en huitaius (saint Eu-
stache, saint Georges), etc. La plupart de ces poèmes ont été cer-
tainement composés pour être lus ou récités, soit en privé soit en
public ^^^ mais certains assurément, parmi les plus récents comme
parmi les plus anciens, ont le caractère de cantiques, et devaient être
chantés aux pèlerinages.
On voit que les légendes versifiées présentent, à divers points de
vue, un intérêt varié, alors même que la valeur littéraire en est mé-
dioci'e ou nulle, ce qui est souvent le cas. Et cet intérêt est d'autant
plus grand que le genre qu'elles constituent a été plus longtemps
cultivé. En effet, fusage de mettre en vers les vies des saints, les
récits pieux, s'est continué jusqu'à la fin du xv^ siècle. A cette époque
appartiennent certaines parodies des vies des saints, telles que les
sermons joyeux de saint Raisin, de saint Faulcet, de saint Belin, de
saint Haren, de saint Ongnon , etc. ^^\ preuve que les légendes pieuses
C L'auteur anonyme d'un Art de rhétorique leur chante un jongleur {Romania, XIX, 334).
composé dans la première moitié du xv* siècle Celte vie de saint Maurice , pour le dire eu
dit, à propos du quatrain d'alexandrins mono- passant, ne nous est pas parvenue. — Il faut
rimes : « ...et en fait on tout communément dire que certaines vies de saints, composées en
diz de vies de saints. » Recueil d'Arts de rhélo- An^eterre , ont été faites ])ien plutôt pour être
riqac, p. p. E. Langlois [Doc. inédits), p. 28. conservées dans de riches bibliothèques ecclé-
''' Notamment dans les établissements reli- siastiques ou seigneuriales qu'en vue d'une ve-
gieux, et spécialement dans les couvents de ritable publicité. Telles sont notamment les
femmes. A la fin d'un recueil de vies de saints vies de saint Alban , de saint Edouard le Con-
et de saintes en vers exécuté en Angleterre au fcsseur(la première des trois mentionnées dans
commencement du xiv' siècle, on lit : «Ce la liste ci-après ) , de saint Thomas de Cantor-
livre [est] deviseie a la priorie de Kempseie béry (la troisième delà liste), qui nous ont été
(Campseye, en SulTolk) de lire a mengier» conservées chacune par un manuscrit luxueu-
(Welbeck, Bibl. du duc de Portland). — Un sèment orné de nombreuses et belles minia-
iioèuie composé au commencement du xiii* »iè- tures.
cle nous montre de jeunes écuyers,([uivontêtre ^ '^ Voir Hist. litt. de la lù., XXIII, ^g-J:
adoultés chevaliers, écoutant, pendant la veil- E. Picot, Le Monoloijne driimiitiqiie , dans Romu-
lée des armes, la vie de saint Maurice, que nia, XV, 363 et sniv.
I. lk(;endes en vers. 335
en vers jouissaient encore d'une grande popularité. Et cependant dès
le commencement du xiu'' siècle ces mêmes légendes apparaissent
sous la forme de traductions, plus ou moins libres, plus ou moins
abrégées, en prose. A la différence des vies versifiées, qui, le plus
ordinairement, se présentent isolément, les versions en prose sont de
très bon nebeure groupées, selon un ordre variable, dans des recueils
qu'il n'est pas impossible de répartir en un certain nombre de classes.
Ces recueils de légendes en prose, qui, sans cesse accrus, ont eu
bien des éditions successives depuis environ le milieu du xiri' siècle
jusque vers le xv% seront étudiés dans la seconde partie de la pré-
sente notice.
Il serait assurément désirable de classer en ordre à peu près chrono-
logique les légendes en vers, d'indiquer le caractère de chacune
d'elles, d'en apprécier la valeur littéraire, qui est fort variable, de
fléterminer la petite part d'originalité qui peut s'y rencontrer, et qui,
pour être limitée, n'en existe pas moins à un plus haut degré que dans
les vies en prose, ])lus fidèlement traduites du latin. Le sujet, pris dans
son ensemble, ne manquerait pas de nouveauté; car la plupart des
légendes en vers sont encore inédites, beaucoup n'ont jamais été
signalées à l'attention des érudits, et bien peu ont été fobjet d'une
étude suffisante. Nos devanciers les ont négligées, à quelques excep-
tions près. Toutefois nous nous ferions scrupule d'introduire ici une
longue suite de notices qui auraient pu figurer légitimement dans les
volumes consacrés au xii' siècle et au xiii', mais qui, actuellement,
seraient hors de leur place. Tout ce que nous croyons pouvoir faire,
en vue d'atténuer une lacune qui désormais ne peut plus être com-
blée dans cet ouvrage, c'est de dresser une table alphabétique des
légendes en vers français dont nous avons connaissance, indiquant
pour chacune d'elles la forme de la versification, le siècle auquel
nous croyons pouvoir fattribuer*'', les manuscrits qui nous l'ont con-
servée, les éditions ou notices dont elle a été l'objet.
lii
'"' Cette indiciition ne peut être, en général, lenir compte de ce fait que plusieurs des
donnée que d'une façon assez vague et reste poèmes dont la composition est placée au
souvent hypothétique , les seuls éléments pou- xiii* siècle ou au xiv" peuvent êti'e des rédac-
vant servir à déterminer l'Age de ces poèmes tions nouvelles de poèmes plus anciens. L<î
étant le plus ordinairement le caractère de la Voyage de saint Brendan , composé dans le se-
versiGcation et de 1« l.inguc. 11 faut en outre cond quart du xiT siècle, a été remanié, une
330 LEGENDES HAdKKlRAPHJQlJES EN FRANÇAIS.
L'ordre alphabétique, qui a l'inconlestable avantage (Je faciliter
singulièrement les recherches, est le seul auquel nous puissions nous
arrêter. Le classement en ordre chronologique ne pourrait être que
très incertain, et en bien des cas il serait absolument arbitraire; il
exigerait d'ailleurs des discussions qui occuperaient trop d'espace.
Son utilité principale serait de nous permettre de grouper les légendes
qui ont un auteur commun; mais le cas où plusieurs légendes versi-
fiées peuvent être, avec certitude, attribuées a un même poète est
rare. Il ne se présente guère, dans l'état actuel de nos connaissances,
que pour les vies de saint Germer, de saint Josse et pour l'une des vies
de sainl Eustache, composées au commencement du xiii'' siècle ])ar
l'ierre (de Beauvais),pour quelques légendes mises en vers par Wace,
par Ghardry, par Gautier de Goinci, par Rutebeuf, et pour un certain
groupe de vies de saintes, dont l'auteur commun paraît avoir été le
frère mineur Nicole Bozon, qui écrivait en Angleterre dans la pre-
mière moitié du xiv' siècle et auquel nous consacrerons une notice
dans un de nos prochains volumes.
La liste qui suit embrasse tout le moyen âge. Nous y avons lait
entrer des poèmes qui appartiennent aux premiers temps de notre
littérature, comme la vie de saint Léger, et des poèmes du xv*" siècle.
Si, d'une part, nous revenons en arrière sur des périodes que ÏHistoire
littéraire de la France a dépassées, d'autre part nous anticipons sur
l'œuvre de nos successeurs. Mais ceux qui viendronta|)rès nous ne nous
reprocheront pasde leuravoir épargné quelques recherches, et il n'était
pas inutile que la table de nos légendes en vers lût une fois dressée*''.
centaine d'années plus lard, par un écrivain qui
s'esl donné la tàchede rajeunir la langue et d'al-
longer d'une syllabe les vers féminins , les((uels ,
dans la réduction priuiitive, n'ont que huit syl-
labes, l'accent final portant sur la seplième. L'an-
cienne vie de saint Alexis, en couplets de cin([
vers, a été systématiquement modiliec et ampli-
fiée à plusieurs reprises. La vie de saint Josse,
écrite au commencement du xill' siècle, a été
démesurément alionpéc au xiv'. Si les rédac-
tions originales de ces poèmes s'étaient pei'-
dues , nous serions exposés à prendre ces rajeu-
nissements pour les rédactions primitives.
''' Nous ne croyons pas devoir faire entrer
dans l'énuniération qui suit les courtes légendes
en vers qui , sans avoir le caractère proprement
liturgique, étaient chantées dans les églises à
cei-taines fêtes, telles que les Kpitres farcies de
saint Etienne, de sainl Jean rEvangélisle,des
saints Innocents, de saint Thomas de Cantorbéry
(36-2() décembre), de saint Biaise (3 février),
de saint Thibaut de Provins (3o juin), sur les-
([uelles on peut voir Hist. tilt, de la /"'r., XIII,
109 et suiv. , et Bulletin du Comité de-: travaux
historiques , section d'histoire et de philologie,
année 1887, p. 3i6 et suiv.
I. LEGENDES E\ VERS. 337
Agathe (Sainte).
Vie en vers octosyllabiques, composée en Angleterre au commencement du
xiv' siècle, probablement par Bozon (le frère mineur ISicole Bozon.^). Ms. : Londres,
Mus^e britannique, Cotton, Domilien xi, fol. io5. Voir Fr. Michel, Rapports au
Ministre [Doc. inéd.), p. 269. Premier vers :
Or voyie cunter de sainte Agace.
Agnès (Sainte).
1 . Vie en quatrains de vers décasyllabiques, xm" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 1 553 ,
fol. '100 v". Premier vers :
Ki bien velt comenchier a parler.
'! .;w,t
2. Vie en quatrains de vers alexandrins, xui" siècle. Ms. : Carpentras, 106,
fol. 126. Premier vers :
D'une france pucele vos vuei dire et conter.
3. Vie en vers octosyllabiques , composée en Angleterre au commencement du
xiv" siècle par Bozon (le frère mineur Nicole Bozon!'). Ms. : Londres, Musée brit. ,
Cotton, Domitien xi, fol. io3 v". Extrait dans Les contes moralises de Nicole Bozon,
frère mineur, publ. par L. Toulmin Smith et P. Meyer (Paris, i 889, Soc. des anc.
textes français), p. xlviu. Premiers vers :
Jeo sui prié, meis, sans prier.
Me deit amour bien charger.
Alban (Saint).
Vie en laisses rnonorimes de vers alexandrins, composée au xin° siècle en Angle-
terre, à Saint-Albans, et publiée, d'après un ms. unique et incomplet du début, par
M. R. Atkinson, Vie de seint Auban, a poem in Norman Frencli ascribed lo Matthew
Paris '", nowfor the first time editedjrom a manuscript in thc library of Trinity Colle(je,
Dublin (London. 1876, in-/i")'^J.
Alexis (Saint).
1 a. Vie en couplets monorimes (assonances) de cinq vers décasyllabiques,
xi' siècle, plusieurs fois pubUée. Mss. : Hildesheim (église de Saint-Godoard ) , fol. 29;
Bibl. nat., nouv. acq. fr. ^5o3 (ancien Libri i 12), fol. 1 1 v°; fr. 19525, fol. 26.
Editions nombreuses; il suffira de citer G. Paris et L. Pannier, La vie de saint
Alexis, Paris, 1872 [Bibliolh. de l'Ecole des hautes études, fasc. vu); VV. Fôrster et
E. K.oschwitz, Altfranzôsisches Uebungsbach, 2' éd. (1902), col. 97. Premier vers :
Bons fu H siècles al tens ancienor.
''* Cette attribution n'est pas fondée. bali, de qiiodam libro galtico excerptus et in
<*' 11 existe au Musée britannique (Cotton, latinam translatns. Un autre manuscrit du
Claud. E IV ) un manuscrit de la fin du XIV' siècle même ouvrage est conservé à la Bodléienne
contenant, fol. .^34 v°, un Tractatus de nobiti- (Bodley .'}85).Cf. Th. Duffus Hardy, /Je.'cri/jtofi
tate,vita et martirio sanctorum Albaniet Amplii- Catalogue,!, n" 33 et .34.
IlIST. I.ITTF.B. XXXIII 43
338 LKGENDES HAGIO(iRAPHlQUES EN FRANÇAIS.
1 b. Vie en laisses monorimes (assontinces), renouveHemenl de la vie précédente,
dite « rédaction interpolée », fin du xii" siècle ou commencement du xiii*. JVls. : Bihl.
nat. fr. i 2/17 1 , fol. 5 1 . Edition : G. Paris et L. Pannier, ouvr. cité, p. 1 9g et suiv.
Premier vers :
Signour et dames , entendes un sermon.
1 c. Vie en laisses monorimes (rimes), remaniement de la vie précédente,
xm" siècle. G. Paris et L. Pannier, ouvr. cité, p. 279 et suiv. Premier vers :
Cha en arrière, au tens anchienors'''.
I (/. Vie en quatrains de vers alexandrins monorimes, remaniement de la vie pré-
cédente, xiv' siècle. G. Paris et L. Pannier, ouvr. cité, p. 336. Premier vers :
Ens en l'onneur de Dieu le père tout puissant '''.
I. Vie en laisses monorimes de vers alexandrins, rédigée directement d'après
le latin. Mss. : Bibl. nat., fr. 2 1 62 ; Oxford, Bodl. , Ganonici mise. 7/1. Edition : De
saint Alexis , eine altfranz. Alexiaslerjende aus Aem 13. Jaltrhunder, hgg. von Joseph
Hertz, K'rancfort-sur-le-Mcin, 1879 (Programme de la Realschiile israélite de Franc-
fort). Premier vers :
Plaist vos a escolteir d'un saint homme la geste.
3. Vie en vers octosyllabiques, commencement du xm" siècle. Ms. : Bibl. nat.,
fr. 2 54o8, fol. 3o. Édition : par Hippeau dans les Mémoires de l'AcaxUmie de Caen,
année i856, puis par G. Paris, Romania, VIII, 169. l'remier vers :
Bone parole boen leu tient.
II. Vie en vers octosyllabiques, très abrégée, faisant partie du Tomhel de Char-
treuse, par FjUStache, prieur de la Fontaine-Notre-Dame (dioc. de Soissons).
xiv" siècle. Mss.: Bibl. d'Avranches, 2/i4; Bibl. nat., nouv. acq. fr. 6835 (ancien Asb-
burnham, Appendix 175), fol. 82. Publiée en extraits, d'après le premier de ces
manuscrits , par l'abbé Desroches : Extraits de plusieurs petits poèmes écrits à la fin du
\iv' siècle par un prieur du Mont-Saint-Michel (Caen, 1839), p. 4 2. Premier vers :
Il ot en cei temps de jadis.
Ami et Amile.
Ces deux frères ne sont assurément pas des saints authentiques. Ils ont été cepen-
dant considérés comme tels au moyen âge. La légende latine a été discutée par les
BoHandistcs (12 octobre), et imprimée en dernier lieu par M. E. Kôlbing, Amis
and Amylouns, zugleich mit dcr altfranzôsischen Que/Ze (Heilbronn, 1 88/1, deuxième vo-
'■' Le» éditeui-s n'ont connu de celte redac- '*' L'un des manuscrits ( celui d'Ai-ras) coni-
tion qu'un seul manuscrit (Bibl. nat., l'r. 1 553). mence par : Oês , seigneur, pour Dieu le très doalz
Depuis, un second manuscrit, appartenant à roy amant {(]. Paris et L. l'annier, p. 337).
la bibliothèque du chapitre de CarHsle, a cte — Un manuscrit resté inconnu aux éditeurs
découvert. G. Paris en a donne les variantes a été signalé récemment à Bruxelles, Romania,
dans la Romania. XVII, io() et suiv. XXX, 3oo.
I. LEGENDES EN VERS. 339
lume de Y A Itemjlische Bibliothek du même savant). D'après cette légende a été composé ,
au xiii' siècle, par un écrivain anglais le poème français d'Amis et Ainiliin, publié
par M. Kôlbing , ouvrage cité , p. i i i . Sur les manuscrits , voir cette édition , p. i.xxui.
Premier vers :
Ki veut oïr chançoun d'amour'''.
André (Saint).
Vie en vers octosyllabiques. Première moitié du xiii" siècle. Mss. : Oxtord, Bodl.,
Canonici mise. 7/1, loi. 120; Paris, Arsenal 35 1 6, fol. fiy. Extraits du ins. d'Oxford
dans P. Meyer, Documents manuscrits de l'ancienne littérature de la France, p. 2o5.
Premier vers :
Une raison dire vos vulli [Ari:. d. volon).
Antéchrist. On connaît au moins trois poèmes français sur l'Ant/'cbrist :
1. Un poème composé en Angleterre par un templier nommé Henri d'Arci'-'. La
versification en est fort incorrecte ; on peut cependant supposer que l'auteur a visé à
faire des vers alexandrins rimant deux par deux. 11 existe deux copies, assez diffé-
rentes , de ce poème. Elles ont été indiquées dans les Notices et extraits des manuscrits ,
I. XXXV, Impartie, p. 26. Premier vers :
Si d'Anlecrist volez oïr la mémoire.
2 . Poème en vers octosyllabiques , composé , dans la première moitié du xiii" siècle ,
en Lombardie. Ms. : Paris, Arsenal 36i!i5, fol. /i v°. Le poème est daté, à la fin,
de Vérone, laSi, date qui doit venir d'une copie; antérieure, le manuscrit de
l'Arsenal n'étant guère que de la fin du xiii' siècle. Premier vers :
Pour ce que je saile françois.
3. Poème en vers octosyllabiques, compris dans la compilation que Geufroi de
Paris a intitulée La Bible. Ms. : Bibl. nat., fr. 1 526, fol. 1 79. Premier vers :
Oez por Dieu et por son non.
4. Poème composé en Angleterre au xiii" siècle et qui n'a pas l'Antéchrist pour
sujet imique. La versification en est très irrégulière. La plus grande partie est en vers
octosyllabiques; la fin est en vers de dix à douze syllabes. Ms. : Oxford, Bodléienne,
Rawlinson Poetry 24 1, p. aSg. Extraits dans Romania, XXIX, 79. Premier vers :
Seignurs, vous qe en Dieux créez.
Antoine de Padoue (Saint).
1 . Vie en cpiatrains de vers alexandrins, xiv' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 2 1 98, fol. 4o.
Premier vers :
Jhesucrist, qui en la crois laissa son corps estendre.
'"' Nous mentionnons pour mémoire la fait entrer dans son œuvre d'autres éléments,
chanson de geste d'Ami et Amile [Histoire '*' Le même qui a mis en vers les Verba se-
littéraire de la France, \X1(, 388 et g5o), niornm (ri-dessus, p. aSy), la vision de saint
dont l'auteur a utilisé la légende latine , mais a Paul et ia vie de sainte Thaïs ( ci-après , p. 376 ).
43. •
340 LKGE\DES HACJIOOKAPHIQUES EN FRANÇAIS.
2. Couplets devers décasyllabiques, rimant ababbcbc. xv' siècle. Bibl. nal., fr.
5o36, fol. j I y. Premier vers :
Pour plaire a Dieu, qui est sur tous puissant.
AuDRÉE (Sainte), Etueldreda, abbesse d'Ely.
Vie en vers octosyllabiques , composée en .\ngieterre. xiii* siècle. Ms. : Welbeck ,
Bibl. du duc de Portland, i C i , fol. i ooc. Premiers vers :
En bone houre e en bon porpens
neveroit chascuu user son tens.
AvENTiN (Saint).
Les Bollandistes ont connu une vie en vers français de .saint Avcntin, évêque
de Châteaudun , que nous n'avons pas pu retrouver. Ils on ont donné un abrégé
sous ce titre : Vita ex rhylhino gallico succincte concinnata [AA. SS., février, I, 488).
Ils font connaître en ces termes le manuscrit dont ils se sont servis :
Ex ejus (5. Mcdurdi Custroiluncnsù) ecclesù-p ms. codice vitain S. Avpntini nacti suinus,
rhythino gallico scriptam,rudi satis et impolitu, quam ita vei-timus ut sententiain omneni
redderemus , non quae superflup multa adjecta eraiit, neutiquani ad inodernam gailica> lin-
guae elegantiam cxacla.
Barbe (Sainte).
1. Poème d'environ 620 vers octosyllabiques. Fin duxiii' siècle. Ms. : Bibl. roy.
(le Belgique io295-3o/i, fol. 5g. Le début dans flomanm, XXX, Soh- Premiers
vers :
Qui a talent de Dieu servir
Si viegne avant pour moy oyr.
2. Poème en quatrains, xiv' on xv" siècle. Ms. : Avignon 61 5, fol. ()6 (copie
inachevée du xvi" siècle). Premier vers :
Jhesus Crist , qui pour nous heut persecusion.
Barlaam et JosAPHAT (Saints).
1. Poème d'environ 12,000 vers octosyllabiques, composé vers le commence-
ment du règne de saint Louis par Gui de Cambrai. Mss. : Paris, Bibl. nat., fr. i553,
fol. 197; Mont-Cassin, 329. Publié, d'après le premier de ces mss., par H. Zoten-
berg et P. Meyer (Stuttgart, j 864). Premiers vers :
Qui bien commence et qui bien sert
Gueredon au doble désert.
2. Poème en vers octosyllabiques ayant h peu près la même étendue que le pré-
cédent. xm° siècle. M.ss. : Carpentras 473 (anc. 465), fol. 139; Tours 949;
Besançon 552 (fragments). Extraits dans l'ouvrage cité, p. 336'". Premier vers :
Li cuers me dit et amoneste.
'■' Ce poème a été mis en prose. On possède trois copies de cette rédaction en prose. Voir
Notices et extraits des mnnuscrits, \XXVI, 713.
!5
I. LÉGENDES ES VERS. 341
3. Poème en 295/i vers octosyllabiques, composé en Angleterre, vers le coni-
nienceraent du xui" siècle, parChardri. Mss. : Londres, Musée brit., Cotton, Cali-
gula Aix, fol. 1 95 ; Oxford, Jésus Coll. 29, fol. 68. Edition : C/ia/f/ry's Jojiap/iaz,&<
Dormans and Petit plet..., hgg. \on John Koch (Heilbronn, 1879; 1. 1 de VAltfran-
zôsische Bibliothek) , p. 1 . Premier vers :
Ki vout a nul ben entendre.
Plusieurs des paraboles que renferme l'histoire de Barlaani et de Josaphat ont
été détachées de la légende latine vers le xii" siècle , et ont fourni la matière de divers
petits poèmes qui ont été mentionnés par nos devanciers '".
Bon ou Bonet (Saint), évèque de Clermont. Une légende relative à ce prélat
fait partie de plusieurs recueils latins de Miracles de la Vierge f^' et, par suite, a été à
diverses reprises mise en français.
1 . Poème en vers octosyllabiques, faisant partie des Miracles de la \ ierge traduits
par Adgar, dit Willame. Ms. : Londres, Musée brit., Egerton 612, fol. 82. Édition :
Adgar's Marienlegenden , hgg. von Cari Neuhaus (Heilbronn, 1886, p. 1 loj. Pre
miers vers :
En Auverne a une cité
Dunt li nuns est ja treslumé.
2. Poème en vers octosyllabiques faisant partie d'un recueil de Miracles de la
Vierge mis en français par un écrivain anglais resté anonyme. Ms. : Musée brit., Roy.
20 B XIV, fol. 1 45. Premiers vers :
En-Alverne est une bonne cité
Noble , de grant antiquité.
3 . Poème en vers octosy Uabiqucs , par Gautier de Coinci , publié par l'abbé Poquet ,
Les Miracles de la sainte Vierge , colonne 3o3. Premier vers :
Que que volenté me sèment.
6. Poème anonyme en vers octosyllabiques. xiu" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. /|23,
fol. 102. Premiers vers :
Puis que parler ay commencié
De ma dame sainte Marie.
Brendan (Saint).
Poème en vers octosyllabiques , les vers féminins accentués sur la septième syllabe ,
composée par un certain Benoit, à la demande de la reine Aélis, femme de Henri J",
roi d'Angleterre, probablement peu après 1121, date du mariage de celte reine.
Mss. : Musée brit., Cotton, Vesp. B x.; Oxford, Bodléienne, Rawl. mise. 1870,
foi. 85 (fragment); Paris, Bibi. nat., nouv. acq. fr. /i5o3, fol. 19 (ancien Libri-
Ashburnham 112, volé à Tours par Libri) ; \ ork. Bibliothèque du Chapitre , 16 k 1 2 .
'■' Voir Hisl. lilt. de la Fr., XMII, 76, B. V. Marine, rédigé par le P. Poncelet et
77, 357; voir aussi Romania, XIII, Ô91. publié dans le tome XXI des Amilecla Bol-
''' C'est le n° 1 73 de l'Index Miraculoriini landiunu.
342
LÉGENDES HAGIO(àRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Edition : par H. Suchier, clans Romanisvhe Stadicn, 1, 867 (iSyô); c'est une repro-
duction figurée du ms. cottonien ; Fr. Michel , La Vie (le saint Brandaii [ Paris, 1 88t>).
Premier vers :
Donna Aaliz ]a reïne.
Ce vieux poème a été renouvelé dans la première moitié du xiii' siècle ; les vers
féminins ont été ramenés à la forme usuelle par l'addition d'une syllabe, et la langue
a été rajeunie. Ms. : Arsenal 35 16, fol. 96. Edition en copie figurée dans la Zcit-
schriftfûr romanischc Philologie, II, li^Q. Premier vers :
Seignor, oies que jo dirai.
On sait que la légende de saint Brendan a été introduite par Gautier de Metz
dans la seconde rédaction de son Imacje da monde^^\ Cet épisode a été publié par
i\\}r>mA\, LaLé(jende de saint Brandaine iJPdiYh, 1 836), d'après le ms. B.N. fr. ihliU.
Catherine d'Alexandrie (Sainte).
1. Me en vers octosyllabiques, par Clémence, religieuse bénédictine du mo-
nastère de Barking (Essex) '2', remaniement d'une version antérieure que nous n'avons
plus. Mss. : Bibl. nat., nouv. acq. fr. /|5o3 (anc. Libri i 12), fol. 83; fr. 23i 1 •> ,
fol. 317 v°; Welbeck, Bibl. du duc de Portland, iC i,fol. 2^6. Les deux premières
de ces copies ont été publiées en l'egard l'une de l'autre, dans les Mémoires de l'Aca-
démie des sciences de Prague , par M. U. Jarnik , avec préface et notes en tchèque
(Prague, 189a, in-4°). Premier vers :
Cil kl le bien set et entent.
2. Vie en vers octosyllabiques, composée en poitevin. L'auteur est désigné à la
fin, dans des vers latins ajoutés par le copiste, sous le nom de Anmericiis, Pictnvc
gentis aniicus. Ms. : Tours, g/iS, incomplet du début. Edition : La Passion sainte
Catherine , poème du xiif siècle en dialecte poitevin, parAumeric, moine du Mont-
Saint-Michel '•'*', publié pour la première fois, d'après le ms. de la Bibl. de Tours,
par F. Talbert (Paris et Niort, i885, in-4°).
3. Vie en vers octosyllabiques, par Gui, conservée dans le ms. de La Clayette
(voir Notices et extraits, XXXIII, 1" partie, p. 62). xiii° siècle. Publiée par Henry
(') Voir Hht. litl. de la Fr.. XXIU, 324.
L'opinion exprimée à cet endroit que la rédac-
tion, dite interpolée, de Xlmaije du mnndc,
serait l'œuvre d'un copiste messin, n'est plus
admise. L'inlerpolateur est l'auteur lui-même,
Gautier de Metz. Voir Romania, XXI, /iSa.
(" L'Hùt.Uu.dekFr.{\X\in,i:^i)nomme
l'auteur Dimence, selon le ms. fr. a3) 13 (dési-
gne à tort comme portant le n° i6.'')65), et lui
attribue une oriffine flamande. Ces erreurs ont
été partiellement rectiliées dans Romania, Wll ,
4oi, d'après l'autre manuscrit.
''' Les vers latins de la fin ne disent pas
qu'Aumeric fût moine du Mont-Saint-Michel :
Sic Aiinicrirus, Pictavc gentis amioiis,
Ëximie vitain Ratlieriae Iranstiilit istaiii.
Sit locus in cetis moiiacliis Sanrti Micliaelis,
Quorum pars siimus. Per secula vivat liic unus.
H semble que l'auteur, le Poitevin Aumeric ,
soit distingue du copiste, moine de Saint-Mi-
chel , et rien ne prouve que le monastère soit
celui du Mont-Saint-Michel in periciilo maii.i.
Il s'agit plus probablement de Saint-Michel au
diocèse de Lucnn.
1. LKGENDES EN VERS 343
Alfred Todd, Publications of tkc modem lan^aacje Association of America, XV, 17 et
suiv. (Baltimore, 1900). Premier vers :
Pour l'amitié de Jhesucrist.
fi. Version en vers octosyllabiques, dont on connaît neuf copies qui ont été indi-
quées dans les Notices et extraits, XXXIII, 1" partie, p. 60, XXXIV. i"' partie,
p. i65; Bulletin de la Société des anciens textes français, 1896, p. ào; Romania,
XXX, 3 10. Des extraits en ont été publiés par le P. Cahier, d'après un manuscrit
de l'Arsenal, dans les Nouveaux mélanxjes d'archéologie, III ( 1 875), 7/». Premier vers :
Nous trovomes en nos escris.
5. Vie en sixains de vers décasyllabiques. xiif siècle. Ms. : Tours, 9'j8,
fol. 122 v°. Premier vers :
Por amer Dieu vos pri , genz bone et bêle.
6. Vie anonyme en vers octosyllabiques. xm" siècle. Ms. : Paris, Arsenal 36^5,
fol. 26'". Des extraits en ont été publiés par M. Ad. Mussafia, dans les Comptes
rendus de l'Académie de Vienne, classe de philosophie et d'histoire, LXXV ( 187/1),
249; cf. Notices et extraits , XWÎll , i" partie, p. 61. Premier vers :
De laiser les mauvais pensez.
7. Vie en vers octosyllabiques, rédigée en forme d'oraison. xv° siècle. Mss. : Chan-
tilly, Musée Condé 101; I^ondres, Musée brit., Lansdownc 38o, fol. 2 04 v";
Paris, Bibl. nat. , fr. 24864, fol. 1 12. Premier vers :
Ave, très sainte Catherine.
8. Vie en septains de vers octosyllabiques [ahahcch), rédigée en forme d'orai-
son, xv' siècle. Mss. : Bibl. nat., fr. 18026. fol. 219 v°; Saint-Brieuc 1, fol. 195
(incomplet du commencement). Premier vers :
Dieu vous sauve [lis. saut), vierge Katerine.
(). Vie en quatrains de vers alexandrins, xv' siècle. Deux anciennes éditions :
livret gothique de 24 ff. , s. 1. n. d., Bibl. nat., Réserve Ye 847; édition de Jean
Treperel, Paris, s. d., Bibl. nat.. Réserve Ye 820. Premier vers :
Au nom de Jhesucrist qui les fins cueurs affine.
10. Vie en couplets de formes variables, en vers de dix et de sept syllabes, com-
posée par un certain Destrées en i45i. Ms. : Bibl. nat., fr. 14977, fol. 4i. Pre-
mier vers :
Comme le cerf désire soy retraire.
I 1 . Vie en forme de prière , composée de neuf couplets à refrain, xiii" siècle. Ms. :
''' Sur ce manuscrit exécuté en Lombardie, voir plus haut, art. Axtéchhist.
344 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Londres, Musée brit., Egerton 6i3, fol. 6 v". Edition : P. Meyer, Recueil dancicns
textes, partie française, n° Ixj. Refrain :
Très duce Katerine,
Seez nostre mecine.
Christine (Sainte).
1 . Poème en quatrains de vers alexandrins, par Gautier de Coinci '". Mss. : Car-
pentras io6, fol. 66; Paris, Bibl. nat., fr. 817, fol. 171. Premier vers :
Li sages Salomons qui fluns fu de savoir.
2. Poème en vers alexandrins rimant deux à deux. Cette vie, de la fin du
xiii" siècle, semble-t-il, n'est connue que par quelques vers du début que cite le
président Fauchet ( Œuvres, 1 6 1 o , p. 553). Premier vers :
Seigneurs qui en vos livres par maistrie metez.
3. Vie en vers octosyllabiques, composée en Anglelerre au commencement du
XIV* siècle, probablement par Bozon (le frère mineur Nicole BozonP). Ms. : Londres,
Musée brit. , Cotton, Domitien xi, fol. 101 v°; voir Fr. Michel, Rapports au Ministre
{Doc. inéd.), p. 268. Premiers vers :
Ore esculez de nne virgine
Ke est appelle Oistine.
/j. Poème en huitains de vers octosyllabiques rimant en ahuhbchc, w' siècle.
Ms. : Bibl. nat., fr. 24865, fol. 74. Premiers vers :
C'ensuit la vie et la légende
f De madame saincte Christine.
5. Poème en vers octosyllabiques, w' siècle. PMition gotbique, Paris, s. d.,
décrite par H. Harrisse, Excerpta Colombiniana , n° 2 4o, p. 180. Premier vers :
Au nom de Dieu victorieux.
Christophe (Saint).
1 . Vie en vers octosyllabiques. xiii' siècle. Le seul ms. connu faisait partie de la
collection du baron Dauphin de Veriia (n° i 286 du catalogue de vente''^'). 11 a été
décrit sommairement par M. Drlisle, Bibl. de l'Ecole des chartes, L\l (1896), 683.
Premier vers :
En nom de sainte Trinité.
2. Vie en quatrains de vers alexandrins, xiv* siècle. Mss. : Bibl. nat., fr. 26549;
Bibl. Pbillipps, 3668, à Chellenbam. Premier vers :
Seigneurs, j'ay oy dire souvent en aucuns lieux.
''' Gautier de Coinci ne s'est pas nommé vers, Gautier affirme qu'il a jadis rimé l'his-
dans cet ouvrage. Toutefois il n'est guère dou- toire de sainte Christine (voir G. de Bure,
teux (|u'il en soit l'auteur. On y a reconim son Cataloijiic (1rs livres ilr feu M. le duc de La
style (P. Paris, Manuscrits français, VI, Sig). Vnllicre, Supplément, p. la).
et, de plus, en un des miracles qu'il a mis en ''' Le sort de ce manuscrit est inconnu.
I. LÉGENDES EN VERS. 345
3. Vie très courte (environ deux cents vers) en couplets do cinq vers (quatre
vers décasyllabiques rimant ensemble et un vers de deux syllabes rimant avec le
vers correspondant du couplet suivant), mv" siècle. Bibl. nat.,fr. i 555, fol. 126 v°.
Premier vers :
Poy a de bien en cest siècle mortal.
Clément (Saint) , pape.
Poème en vers oclosyllabiques, composé'en Angleterre d'après les Reco(initiouc>!
attribuées au pape Clément. Commencement du xin" siècle. Ms. : Cambridge. Tri-
nity Coll. R. 3./|6, fol. 122. Extrait dans Notices et extraits, XXXVIII, 3o6. Pre-
mier vers :
Li clerc de scole ki apris unt.
Croix (Invention de la sainte).
Poème en vers octosyllabiques faisant suite à la Vie de saint Silvestre (vers SgS et
suivants). Fin du xn' siècle ou commencement du xiri". Ms. appartenant à M. le mar-
quis d(^ ViHoutreys. Edition : La Vie de saint Silvestre et l'Invention de la sainte Croix,
à la suite du Cartalaire du Chapitre de Saint-Laud d'Angers publié par A. Planche-
nauit (Angers, 1903). Premiers vers :
Deus cenz ans peis el .xxx. trois
Qu'en croiz fut mis Dieus ii haut rois.
Croix (Légende de l'arbre dont fut faite la). Voir Seth.
Crucifiés (Les dix mille) du mont Ararat.
Poème en vers octosyllabiques. xiv' ou xv" siècle. Ms. : Besançon, 2oà, fol. 159.
Edition gotbique, s. 1. n. d., 16 fl'.; voirH. Harrisse, Excerpta Colombiniana , n°2/j8,
p. i83. Premiers vers :
A la loenge et a i'onneur
De Jhesucrist , nostre sauveur.
Denys (Saint).
1. Vie en quatrains de vers alexandrins, xv' siècle. Mss. : Bibl. nat. , fr. igi86,
fol. i/i3 v°; 24433, fol. 186 v". Premier vers :
Monseigneur saint Denis , trésor de sapience.
2. Vie en sixains de vers octosyllabiques {aabccb). xv" siècle. Ms. : Bibl. nat.,
fr. 1741, incomplet de la fin et mutilé en divers endroits. Premier vers :
Nul ne repute pour merveylie.
DiELDONNÉE (Sainte), mère de saint Jean Chrysostome.
Poème en quatrains de vers alexandrins, dans lequel est introduite la légende
de saint Jean Bouche d'or, xiv* siècle. Ms. : Bruxelles, Bibl. roy. de Belgique,
1 0298-304, fol. 47 v°. x\nalyse et extraits dans Romania , XXX, 3oo. Premier vers :
Pour chou que on liesmoigne partout generaument.
IIIST. I.ITTÉn. XXXIII. 44
346 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Dominique (Saint).
Poème en vers octosyllabiques composé peu après laSA. Mss. : Arras, 3o-,
fol. 282; BibL nat., l'r. igSSi; fol. 22. Extraits dans Romania, XVII, Sgâ.
Premier ^ ers :
Li clerc truevent en l'escripture.
DoitMANTS (Les sept).
Poème en 1 898 vers octosyllabiques* composé en Angleterre, vers le commence-
ment du xiii" siècle , par Cliardri. Mss. : Londres , Musée brit. , Colton , Galigula A ix ,
fol. 2 16; Oxford, Jésus Goll. 29, fol. 83. Edition : Chardij's Josaplmi, Set âormanz
and Petit plet. . ., bgg. von John Kocb (Heilbronn, 1879; t. I de V Altjranzôsische
Bihliothek) , p. 76. Premier vers :
La vertu Deu ki tuz jurs dure.
Edmond (Saint), roi d'Estanglie.
1. Vie en quatrains monorimes devers octosyllabiques, composée vers la fin
du xii" siècle en Angleterre. Ms. : Cambridge, Caius and Gonville Goll. li'iô, p. 1 o5
et suiv. ; 1 700 vers. Premiers vers :
Ore entendez la passion
De saint Edmunt le bon barun.
2, Poème en vers octosyllabiques, composé au xiii' siècle, en Angleterre, par
Denis Piramus'". Ms. : Musée brit., Cotton, Domit. xi, fol. 1 (incomplet de la fin).
Extrait dans Fr. Michel, Rapports au Ministre (i836. Doc. inédits), p. 268; édition
dans Memorials of Saint Edmond abbey, ediled by Th. Arnold, t. II, p. 1 37 (London,
1892, Rolls séries). Premier vers:
Mult ai usé cum[e] pechere.
Edmond (Saint), archevêque de Cantorbéry.
Poème en vers octosyllabiques, composé à la requête d'une comtesse d'Arundel.
Ms. : Welbeck, Bibl. du duc de Portiand, i G 1 , fol. 85 d. Premiers vers :
Ki de un sul felun ad victoire
Mut pot aver joie et gloire.
Edouard le Go:<kesseur (Saini), roi d'Angleterre.
I . Poème en vers octosyllabiques , composé au milieu du xiii* siècle pour Aliénor,
femme de Henri III, roi d'Angleterre, d'après Aelred de Ricvaulx. Ms. : Gambridge,
Bibl. de l'Université, Ee m Sg. Edition : par H. R. Luard, Lires of Edward the (lon-
fessor (Londres, 1 858, Rolls séries). Gf. Hist. litt. de la Fr., t. XXV II, p. 1 . Premier
vers :
Kn mund ne est , ben vus l'os dire.
'"' On a supposé, sur la foi du prologue de cette opinion, qui résulte d'une interprétation
cette vie de saint Fjdmond, que Denis Piramus erronée des vers de Denis Piramus, a été plus
était aussi l'auteur du roman de Partonopeus d'une fois réfuléi- : voir Ronuitiia , IV, i48;
de Blois (Hist. lilt. delà l''r., XIX, 629). Mais Ward, Cal(d. of romances, I, 700, etc.
1. LEGENDES EN VERS. 347
2. Poème envers octosyliabiques , composé , comme le précédent, en Angleterre,
au XIII* siècle, d'après Aelred. Ms. : Vatican, /?<"(/. 489. Fragment dans la publication
précitée de Liiard, p. 384- Les premiers et les derniers vers ont été imprimés par
M. Ernest Langlois, Notices et extraits, XXXIII, a" partie, p. 10. Premier vers :
Le tens aveit ja sun curs fait.
3. Poème en vers octosyliabiques, composé en Angleterre, xiif siècle. Ms. : Wel-
beck, Bibl. du duc de Portland, i C 1 , fol. 56. Premiers vers :
Al loenge le Creatur,
Commenc cest ovre et sa v.ilur'''.
ÉlelthÈre, voir Leiiire.
Elisabeth de Hongrie (Sainte).
1 . Poème en vers octosyliabiques par frère llobtut de Cambligneul. xiii' siècle.
Ms. : Bibl. nat. , fr. igSSi, fol. 112. Edition : par Jubinal, Œuvres de Rutebeuf,
i™ édit. , II, 36o'*'. Premier vers :
Hoin qui sambiance enformé a.
a. Poème en vers octosyliabiques, comjiosé par Rutebeuf pour Isabel, comtesse
de Champagne, fille de saint Louis, par conséq^uent entre i255 et 1271. Edi-
tion : Jubinal, Œuvres de Rutebeuf , nouv. édition, II, 3 10. Cf. Hist. litt. de la
Fr., XX, 780. Premier vers :
Cil Sires dist que l'en aeure.
3. Poème en vers octosyliabiques. Fin du xm' siècle. Ms. : Bruxelles, Bibl. roy.de
Belgique i0295-3o/j, fol. i58 v°. Extraits dans Romania, XXX, 3io. Premiers
vers :
Sire Diex, plains de [grant?] douçour,
Fontaine de bien et d'onnour.
4. Poème en vers octosyliabiques, composé au commencement du xiv" siècle et
en Angleterre, probablement par Bozon (Nicole Bozon, frère mineur?). Mss. : Lon-
dres, Musée brit. , Cotton, Domitien xi, fol. 99;Welbeck, Bibi. du duc de Port-
land, I C I, fol. 1. Un extrait du premier de ces manuscrits a été publié par
Fr. Michel, Rapports au Ministre [Doc. inéd.), p. 267. Premiers vers :
Novelc chose ''' en nostre verger
A nus se mustra avant lier.
Éloi (Saint).
Poème en vers octosyliabiques. xiii" siècle. Ms. : Oxford, Bodl., Douce gà,
''' Il existe de ce poème une rédaction en '"' Ce poème n'a pas été reproduit dans la
prose conservée dans le ms. Egerton -j^b du seconde édition de Jul)inal.
Musée britannique. ''' Manuscrit du duc de Portland : rose.
44.
348 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
daté de 129/1; incomplet du début. Edition : Les Miracles de sainl Eloi, poème du
XI n' siècle, publié... par M. Peigné-Delacourt. Béarnais, Noyon et Paris, s. d.
(1859), extrait des Mém. de la Soc. archéol. de l'Oise, t. IV'".
Etheldreda , voir Audbke.
EupHROSYNE (Sainte).
Poème en laisses monorimes de dix vers alexandrins, composé probabiemcnidans
le Nord de la France, au commencement du xni° siècle. Mss. : Bruxelles 92 '29-30,
fol. 61 v° [Romania,X\l, 169); La Haye, Bibl. roy. 265, fol. 61 \° [Romania, XIV,
i3o); Oxford, Bodl., Canonici mise, -jli, fol. 87; Paris, Arsenal 52o/i, fol. 87 v°.
Extraits dans P. Meyer, Documents manuscrits de l'anc. litt. de la France, p. 2()3;
Recueil d'anc. textes, p. 33/i. Premier vers:
Nove chançon vos dîmes de bêle antiquité.
EiisTACHE (Saint) ou Placidas.
1. Poème en laisses monorimes devers alexandrins, dont il ne subsiste plus
qu'un fragment contenant 36o vers, par un certain Benoit. Commencement du
xiii' siècle. Ms. : Londres, Musée brit., Egeiton i('66.
2. Version envers octosyllabiques. Commencement du xiii° siècle. Mss. : Madrid,
Bibl.nat., Fe i4g (voir BaM. delaSoc. des une. textes français, 1878, p. 17); Paris,
Bibl. Sainte-Geneviève, 792, fol. 111 {\o\r Romania, XXUI, 5o3). Premier vers :
Qui weult oïr sarmon novel.
3. Version en vers octosyllabiques à rimes léonines, par Pierre (de Beauvais).
Commencement du xui' siècle. Mss. : Londres, Mnsée brit., Egerton 7/15, fol. i;
Paris, Bibl. nat., fr. !35oa, fol. 76; fr. igSSo, fol. 1; Moreau 1715, fol. i (ms.
de La Clayette). Extraits , d'après le dernier de ces manuscrits , dans Notices et extraits ,
XXXIII, I " partie, p. 6 1 . Premier vers :
De diverses meurs se diversent.
à. Version en vers octosyllabiques. xni" siècle. Ms. : Bibl. Phillipps Cheltenham),
4i56, fol. i3i. Extraits dans Notices et extraits, XXXIV, i"" partie, p. 227. Pre-
miers vers :
Jhesucrist, par scinl Eiistace,
Nus tramette la sue grâce.
5. Version en vers irréguliers do dix à douze syllabes rimant deux à deux, faite en
Angleterre p;ir Guillaume de Ferrières. xni' siècle. Ms. : Bibl. du cbapitre d'York,
1 6 K 1 3, fol. 1 o4. Premiers vers :
Un riches hom estait en Rome jadis.
Ben dei emperor e de mult fjrand pris. *
<■' 11 y avait dans la librairie du Louvre une III, iSy). Ce livre, aujourd'hui perdu, ronfer-
copie de ce poème (n° 928 de l'inventaire pu- niait aussi les vies rimées de saint Quentin et
blié par M. Delisle, Le Cabinet des manuscrits, de saint Julien.
I. LKGEXDES EN VERS. 349
6. Version en vers octosyllahiques faite en Angleterre. xin' siècle. Ms. : Dublin,
Trinity Collège D. 4. 1 8, fol. ii. Premier vers :
Au tens que {'estât de seintee.
y. Version en quatrains de vers décasyllabiques. xiii' siècle. Bibl. nat., fr. i Sy^,
loi. 1 65. Premier vers :
Seignor et daines, entendez tuit a moi.
8. Version en vers oclosyllabiques. xiv' siècle. Ms. : Bruxelles , Bibl. roy. de Belgique
loagS-SoA, foi. i65. Extrait dans Romania, XXX, 3i i. Premier vers :
Au tamps l'empereur Traiicn.
g. Version en sixains [aabccb). Il n'en subsiste qu'un fragment consistant eu un
feuillet rogné qui sert de garde au ms. 1 85 de S. Jobn's Coll., Oxford, et qui a été
publié par M. Stengel à l'appendice de sa description du ms. Digby 86 (p. 126-
lay).
10. Version en quatrains de vers alexandrins. Fin du xiv' siècle ou commence-
ment du w'. Ms. : Bibl. nat., fr. i555, fol. 97'". A été imprimée à la lin du
XV* siècle : voir Brunet, Manuel du libraire, b' éd., V, 1 1 8g. Premier vers :
Tout mon {wurpensement ay mis en biaus moz dire.
1 1 . Version en huitains de vers octosyiiabiques [abnbbcbc). Fin du xv' siècle.
Ms. : Bibl. nat., fr. 2^95 1 . Premiers vers :
A l'honneur du Père et du Filz ,
Kt du beooict Saint Esperit.
EvRouL (Saint).
Vie en vers octosyiiabiques. xiv' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 1 9867. Édition : par
i'abbé Blin, Bulletin de la Société historique de l'Orne, t. VI, p. 1 . Premier vers :
Li haut conseil et l'ordenance.
Fanl'EL.
I^oème en vers octosyiiabiques. xm° siècle. On en possède plusieurs copies qui
dînèrent considérablement les unes des autres; voir Revue des langues romanes,
y série, XIV, 119; Romania, XVI, 216, 236, XXV, 546; Bibl. de l'École des
chartes, LVI, 682, LXII, 6o3. P^dilion, d'après un manuscrit de Montpellier, par
M. Chabaneau, Revue des langues romanes, 3' série, XIV, 1 07. Premier vers :
Dieus qui ccst siècle {ou le monde] commença.
''^ Une autre copie du même poème se trouve ( n" 97 du catalogue dressé pour la vente de cette
dans un manuscrit qui faisait jadis partie de la collection , Londres, 1901). Nous ne savons qui
collection Barrois , à Ashburnham pLice, n" 4 1 3 s'en est rendu acquéreur.
350 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Ce poème, que précède ordinairement dans les manuscrits une Histoire de Jésus
cl de Marie dont il sera question plus loin (à l'art. Jésus), conte la conception mira-
culeuse d'un certain Fanuel, qui, d'une façon non moins surnaturelle, donna nais-
sance à sainte Anne, la mère de la Vierge Marie. L'original de ce récit est inconnu.
Le nom de Fanuel est emprunté à l'évangile de saint Luc (ii, 36), où la prophé-
tesse Anne (qui n'est pas la mère de la Vierge) a pour père Phanuel.
Fiacre (Saint).
Poème en huitains [ababbcbc). xv" siècle. Edition de Denys Meslier, Paris, s. d.,
Bibl. nat. , Réserve, Ye 819. Premiers vers :
Tout ainsi comme l'aigle instniit
Sespetis poucins a voler'*'.
Foi (Sainte).
Vie en vers octosyllabiques, par Simon de Walsingham, moine de Bury-Saint-
Edmond. Ms. : Welbeck, Bibl. du duc de Portland , i G 1 , fol. 1 Z17 d. Premiers vers :
Seignurs , vus que en Deu créez
E en la fei estes fermeez.
François d'Assise (Saint).
1. Poème en vers octosyllabiques. xiii' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. aogà, fol. 1.
Premiers vers :
A la loenge et a l'onor
De JhesuCrist, nostre seignor.
2. Poème composé en Angleterre, xiii' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 1 35o5. Premier
vers ;
La grâce Deu bien aparust.
3. xiii* siècle. Ms. : Bibl. nat. , fr. 1 983 1 , fol. 68. Premiers vers :
Amers est [et] pons et passages
Ue paradis ou chascuns sages.
k. xiv' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 2093. Premiers vers :
Dieu le Père, Dieu le Filz, Dieu le S. Esprit''',
Qui tout a créé et tout fit.
Ge.neviève (Sainte).
Poème en vers octosyllabiques, composé dans la seconde moitié du xiii' siècle par
un certain Renaut, qui se qualifie de clerc, pour une dame de Valois, peut-être l'une
'■' Une autre vie de saint Fiacre, en fran- mention des première mots du second feuillet
cais, Caisail partie de la librairie du Louvre suffit à montrer qu'elle était différente de celle
{DeMile , Le Cabinet des manuscrits, III, 167, qu'a imprimée Denys Meslier.
n" 929). Les anciens inventaires n'indiquent ''' Faul-i\ corriger Dieu Père et Filz et Saint
pas si elle était en vers ou en prose. Mais la Esprit ?
I. LÉGENDES EN VERS. 351
des femmes de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel*''. Mss. : Bibl. nat. ,
lat. 5667, fol. 35 (voir Delisle, Catal. des mss. des fonds Libri et Barrais , p. 208);
fr. i35o8; Sainle-Geneviève, ia83, fol. 80 (voir Ch. Kohier, Etade critique sur le
texte de la vie latine de sainte Geneviève de Paris, p. xlviii). Premier vers :
Ma dame de Valois me prie.
Georges (Saint).
1 . Poème en vers de sept syllabes composé en Angleterre, vers la fin du xn° siècle
ou au commencement du xiii*, par Simund de Fresne. Ms. : Bibl. nat., fr. 902,
fol. I 08. Extraits dans Zeitschr.f. roman. Philologie, V, 5 i a. Premier vers :
Sages est qui sen escrist.
1. Poème en vers octosyllabiques , publié par V. Luzarche sous le nom de Wace,
mais qui n'est pas de cet auteur'^'. Ms. : Tours, 927, fol. lij. Édition : La Vie de la
Vierge Marie , de maître fi" ace. . ., suivie de la Vie de saint Georges, poème inédit du
même froar^re (Tours iSSg), p. 93. Premier vers :
Bel gent qui venuz este ensemble.
3. Poème en vers octosyllabiques. xiv* siècle. Ms. : Bibl. Pliillipps, à Cheltenham,
3668 (non folioté). Edition : par J.-E. Matzke, dans Publications of the modem
language association of America, t. XVIII (1 903), p. 1 58- 1 7 1 . Premier vers :
De par le tilz sainte Marie.
!i. Poème en huitains [ababbcbc). xiv° siècle. Ms. : Bibl. nat., Nouv. acq. fr.
44 1 2 , fol. k'] i ■ Premiers vers :
De saint George et preu chevalier,
Pour le preu qui nous en poet venir,
Vuell briefment sa vie rimer.
Germer (Saint).
Poème en vers octosyllabiques, composé par Pierre (de Beauvais) au commen-
cement du xiii' siècle. Ms. de La Clayette , p. 1 9 ( Bibl. nat. , Moreau 1715). Extraits
dans Notices et extraits, XXXIII, 1" partie, p. 1 2. Edition : par le vicomte de Caix
de Saint-Aymour, Mémoires et documents pour servir à l'histoire des pays qui forment
aujourd'hui le département de ÏOisc (Paris, 1 898), p. i 73. Premier vers :
Au tans que Dagoubers li rois.
''' La Gallia chrislianaj VII, 7^8, identifie effet, une ancienne rédaction en prose de ce
ce Renaut avec un prieur de Marizi-Sainte-Ge- poème, conservée en plusieursmanuscrits, porte
neviève qui devint chancelier de l'abbaye de « La dame de Flandres » ( voir Notices et ex-
Sainte-Geneviève en i3o6, opinion adoptée traits, t. XXXiV, 1" partie, p. igS). Cette
par M. Joseph Petit, CAar/es (/e Ka/ois, p. a 3 8. leçon serait préférable, si, comme nous le
Mais, outre que cette identification est une pure pensons, le poème est antérieur à ia fin du
conjecture, nous ferons remarquer que la leçon xiu" siècle.
«Madame de Valois», bien tpe se trouvant ''' Voir A. Weber, dans Zeitschr.f. rom.
dans les trois manuscrits, est contestable. En Pliii., V, 5,S''u
352 LÉGENDES HAGiOCJUAPHlQUES EN FRANÇAIS.
Gilles (Saint).
Poème en vers octosyllabiques par Guillaume de BemeviHe. Fin du xii* siècle.
Mss, : Florence, Laurentienne , Conventi soppressi 99, fol. 111 V; Musée brit. , Hari.
91a, fol. i83 V, fragment contenant les vers agyS-SoSy {Romania, XXXIII, 95).
Edition : La Vie de saint Gilles, par Guillaume de Berneville, poème du xii* siècle
publié par G. Paris et A. Bos (Paris, 1 88 1 , Société des anciens textes français). Pre-
mier vers :
D'un dulz escrit orrez la sume.
Grégoire le Grand (Saint), pape.
1. Poème en vers octosyllabiques , achevé en iiili parAnger, moine de Sainte-
Frideswide, à Oxford. Ms. , probablement autographe: Bibl. nat. , fr. 24766,
fol. i53. Édition : par P. Meyer, Romania, XII, 1 52. Premier vers :
Descrite avons, la Dé merci.
2. Poème en vers octosyllabiques, achevé en i326. Mss. : Bibl. nat., fr. 914,
fol. 369; Evrèux, franc. 8 (ancien gS), fol. i35. Edition (d'après le second de
ces mss.) par A. de Montaiglon, Romania, \IU, 5 18. Premier vers :
Saint Gregore , le très noble homme.
Grégoire, saint apocryphe.
1. Poème en vers octosyllabiques. xii' siècle. Mss. : Tours 927, fol. 109; Arsenal,
35i6,foi. 101; Arsenal, 3527, fol. i55; Bibl, nat. , fr. i545, fol. 121; Musée
brit., Egerton 612, fol. 76; Cambrai, 812. Sur les cinq premiers de ces mss. et
leurs rapports, voir Zeitschr.f. roman. Philologie, X, 32 1 . Édition : Vie du pape Gré-
(joire le Grand, légende française publiée pour la première fois [d'après le ms. de
Tours], par V. Luzarche (Tours, 1857). Premiers vers :
Or escotez, por Deu amor,
La vie d'un l)on pecheor.
2. Vie en quatrains de vers alexandrins, xiv" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 1707,
fol. 8. Édition : Légende de saint Grégoire, rédaction du xiv" siècle publiée. . . par
Cari Fant (Upsala, 1 887). Premier vers :
Or entendes, seigneurs, que Jhesus vous beneye!
Guillaume, roi d'Angleterre, saint apocryphe.
1. Vie en vers octosyllabiques, par Chrestien. Fin du xii" siècle. Mss. : Cam-
bridge, Saint John's Collège, B 9, fol. 55 [Romania, VIII, 3i6); Paris, Bibl. nat.,
fr. 375, fol. 24o. Éditions : Fr. Michel, Chroni(jaes anglo-normandes , III, 39 (d'après
le ms. de Paris); W. Fôrster, Christian von Troyes sàmtlichc fVerke ,\\\ 2 55 et suiv.
(d'après les deux mss.). Premier vers :
Crestïens se vuet cntremetre.
2 . Vie en quatrains de vers alexandrins. Fin du xin° siècle ou commencement du
XIV'. Mss. : Londres, Musée brit., Add. i56o6, fol. i4o [Romania, VI, 37); Paris,
I. J.KGENDES EN VERS. 353
Bibl. nat., fr. 2 4632, fol. i. Edition (d'après ie second de ces mss.) : Fr. Michel,
ouvr. cité, III, i yS. Premier vers :
Por rccordcr un dit sui ci endroit venuz.
HiLDEVERT (Saint).
Poème en vers octosyllabiques. xiv° ou xv" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 2/1 865,
fol. 90. Premier vers :
Dieu le puissant, père de gloire.
Ildefonse (Saint).
Légende qui se rencontre en un grand nombre de recueils des Miracles de Notre-
Dame en latin'", et a pris place dans les recueils français dont l'indication suit :
1. Dans les Miracles traduits par Adgar, dit William. Edition, d'après le nis.
Edvvardes'-', fol. 3 v", par J. A.Herbert, dans Romania, XXXII, /|0i. Premier vers:
En Tuiette la grant cite,
2. Dans les Miracles mis en vers par un écrivain anglais anonyme. Ms. : Musée
brit. , Roy. 20. B. xiv, fol. laS. Premier vers :
En ia bone cité de Tuiette.
3. Dans les Miracles de Gautier de Coinci. Nombreux manuscrits. Edition : Poquet ,
Les Miracles de la sainte Vierge, col. 7 y. Premier vers :
Un arcevesqae ont a Tholete.
Invention de la sainte Croix, voir plus haut Croix.
Jacqijes le Majeur (Saint).
x\ucune rédaction en vers de la vie de ce saint ne nous est parvenue, mais il
en existe une rédaction en prose qui parait avoir été faite d'après un poème en
vers octosyllabiques actuellement perdu. Ms. : Arsenal, 35 16, fol. 61. Edition:
par P. Meyer, Romania. XXXI, 202 et suiv.
Jean l'Aumônier (Saint).
Vie en vers octosyllabiques (environ y y 00 vers) composée en Angleterre. Com-
mencement du xni' siècle. Ms. : Cambridge, Trinily Coll., R. 3. 46. Extraits dans
Notices et extraits , XXXVIII ,292. Premier vers :
Li siècle voit mult en déclin.
'"' N° 1 1 7 de l'Index miracalorum B.V. Marine ainsi désigné parce qu'il a figuré à la vente des
publié par le P. Poncelet dans le tome XXI des livres de Sir Henry Hope Edwardes ( Londres ,
Analecta Bollandiana. Christie, 1901). 11 a été acquis à cette vente
'*' Le ms.Egerton 6 12, d'après lequel le recueil par un Ijibliophile anglais , dont le nom ne nous
de miracles traduit par Adgar a été publié par est pas connu, qui a autorisé M. J. A. Herbert,
M. Neuhaus(voir ci-dessus l'art. Bon), a perdu du Musée britannique, à en publier une des-
les feuillets où devait se trouver cette légende. criplion et des extraits (Romania, XXXII,
Le ms. Edwardes, qui nous l'a conservée, est Sg/i-ZiiS).
uiST. irrrÉn. — wxui. 45
354 LKGENDKS HACJIOdRAPHlQUKS EN FRANÇAIS.
Jean Baptiste (Saiiii).
1. Vie en vers alexandrins rimant deux à deux. Ms. : Florence, Laurentienne ,
(jonventi soppressi 99, fol. i44 (copie inachevée renfermant 244 vers). Edition :
(J. Paris et A. Bos, La vie de saint Gilles (Paris, 1881, Société des anciens textes
français), p. vj. Premier vers :
De saint Johan dirai ço que jo truis escrit.
2. Vie en vers octosyllabiques, divisée en huit livres et datée de 1822. Mss. :
Bibl. nat., fr. 2182; N. acq. fr. ySiS (ancien ms. Ashburnhani, Appeniix i55),
incomplet des premiers feuillets et du dernier. Premier vers :
Ou nom de Dieu , devant tout euvre.
3. Vie en quatrains de vers octosyllabiques [abah). xv" siècle. Ms. : Arsenal,
649, fol. I i3. Plusieurs éditions gothiques : voir Brunet, Manuel, V, i 192-3. Cette
vie a été réimprimée, d'après une édition de Jean Treperel, par A. de Montaiglon et
J. de Rothschild, Recueil de poésies françoises des xv' et xvi' siècles, X, 298. Pre-
mier vers :
Au nom de la vierge Marie.
Jean Bocche d'or (Saint) '•'.
Version en vers octosyllabiques composée dans la première moitié du xni* siècle ,
parRenaut. Mss. : Arsenal, 35 16, fol. -ji v°; 35 17, fol. 216; Arras, 58-. Publié
par A. Weber, Romania, VI, 828, d'après le ms. 35 16 de l'Arsenal; cf. Romania,
VII, 600, où sont données les variantes du ms. 35 1 7. Premier vers :
Se cil qui les roumans ont fait.
Jean l'Evangéliste (Saint).
1 . Vie en quatrains de vers alexandrins. Commencement du xui' siècle. Mss. :
Arras, 807, fol. 172; Madrid, Bibl. nat., Ee i5o(anc. F. 149); Bibl. nat., fr.
2089, fol. 22. Extraits dans Bullet. de la Soc. des anc. tex tes français, 1878, p. 54
et 61 ; Romania, XVII, 387. Premier vers :
L'autorités nos dist une raison por voir'''.
2. Vie en vers octosyllabiques, par Thierri de Vaucouleurs, moine de Saint-
Arnoul de Metz. Première moitié du xm" siècle. Mss. : Berne, 388, fol. 1; Car-
pentras, 467 (anc. 489). Extraits (d'après le ms. de Berne) dans Franz Thormann,
Thierri von Vaacoalears' Johannes-Legende (Darmstadt, 1892). Premier vers :
A la loange et a la gloire.
Jean Paulus (Saint).
Poème en vers octosyllabiques. Première moitié du xiii' siècle. Mss. : Arsenal,
'"' Cette légende a été intro<liiite , comme '*' C'est la leçon du ms. de Madrid; Arras :
on l'a dit plus haut (p. 345), dans le poème et lesnwigne por voir; Bibl. nat. : Salemoiis disi
relatif à sainte Dieudonnée. et conte une ruison por voir.
I. LKGENDES EN VERS. 355
35i8,fol. 2o3 v°; Bibl. nat., fr. i553, fol. hii. Une courte analyse de ce poème
est donnée dans Romania, VI, 3 29. Premier vers :
En Vitas patram, .j. liaut livre.
Jésus.
Nous rangerons ici un certain nombre de poèmes qui retracent , soit l'histoire com-
plète du Sauveur, d'après les Evangiles ctcertaines données apocrv plies, soit des parties
de cette histoire, et particulièrement les traductions plus ou moins libres des évan-
giles de l'Enfance et de Nicodème. En premier lieu nous placerons une suite de trois
poèmes en vers octosyllabiqnes, qui, d'après le caractère de la versification, peuvent
être attribués à la fin du \ii' siècle, mais qui ne sont pas nécessairement du même
auteur. Nous les intitulerons respectivement Y Histoire de Marie et de Jésiis, la Passion,
la Descente de Jésus aux enfers. On les rencontre ordinairement copiés en série
continue dans les manuscrits. Souvent ils sont comme soudés ensemble, sans qu'aucun
indice extérieur, tel qu'une rubrique ou une grande capitale, marque le passage de
l'un à l'autre. Très fréquemment, ils sont joints à d'autres poèmes : à la légende
de Fanuel , qui en forme comme l'introduction , au poème de l'Assomption de Notre-
Dame, qui en est la conclusion. Parfois d'autres éléments sont introduits dans cette
compilation, par exemple la version de l'évangile de l'Enfance, qui, en un manu-
scrit de Grenoble, a été intercalée dans l'Histoire de Marie et de Jésus.
Histoire de Marie et de Jésas. Fait suite, en certains manuscrits, au roman de
Fanuel. Commence à la naissance de la Vierge et se poursuit jusqu'à l'entrée de
Jésus à Jérusalem , de façon à se relier au poème de la Passion indicjué ci-après.
Nombreux manuscrits qui présentent des variantes de rédaction très considérables
et des interpolations diverses. Extraits dans /iomanm , XVI, 44, 218, 237; XXV,
55o. Editée, d'après un manuscrit de Montpellier, sous le titre général de Roinanz de
saint Fanuel, par M. Chabaneau, Revue des langues romanes, i' série, XIV, 178.
Commence ordinairement par un prologue dont le premier vers est : Qui Dieu aime
parjitcment; mais dans certains manuscrits (Arsenal, 8201, et Musée Fitzwilliam)
il y a un autre prologue commençant par ce vers : Or escoutés (ou entendes) por Dieu
amor.
Passion. Poème en vers octosyllabiques , qui se rencontre, en des états très diffé-
rents, dans beaucoup de manuscrits, et qui, en sa forme première, pourrait être
plus ancien que le poème précédent, auquel il fait suite dans la plupart des manu-
scrits. Dans certains, il se termine au crucifiement; ailleurs il se continue jusqu'à
l'ascension. On trouvera l'énumération de ces manuscrits et des extraits de plusieurs
d'entre eux dans Romania, XVI, 47, 227, 244; XXV, 55 i; ]Sotices et extraits,
XXXIV, 1" partie, p. i64. Un abrégé de ce poème est compris dans la compi-
lation du manuscrit de Montpellier que M. Chabaneau a publiée sous le titre de Ro-
manz de saint Fanuel; voir Revue des langues romanes, à' série, XIV, 23o. Premier
vers, selon diverses leçons :
Oez moi trestuit doucement.
(Jr escoutez mut doucement.
iô.
350 LKGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Seignor, oiez moût doucement.
Oés trestuit iiiout humblciiiont.
Oez trestuit communément.
Descente de Jésus aux enfers. Ce poème, fondé esscntielietnent sur la seconde
partie de l'évangile de Nicodème [Descensus Cliristi ad inferos^ ne se rencontre ja-
mais isolément, mais fait toujours suite au précédent, avec lequel il ost, dans
certains manuscrits, en quelque sorte soudé. Il a été introduit par Geufroy de Paris
dans le second livre de sa «Bible des set estaz du monde» (Bibl. nat., fr. i5a6,
fol. lia d). Les copies présentent des variantes très considérables, surtout dans
la partie qui se rapporte à l'histoire du Christ entre la résurrection et l'ascension.
Premier vers :
Or entendez selon l'escrit [Arsenal, oaoi).
Or cscoutez qu'en la fin dist ( Musée Filzwilliam).
Or entendes tuit par amor [Grenoble).
Nous mentionnerons présentement les poèmes relatifs à la vie du Christ, qui sont
restés indépendants de la compilation dans laquelle sont entrés les trois poèmes
ci-dessus énumérés*". Nous n'espérons pas en dresser une liste complète, ces
poèmes ayant été fort nombreux, et plusieurs d'entre eux n'ayant fait, jusqu'à
présent, l'objet d'aucune étude'-".
Evangile de l'Enfance.
1. Poème en vers octosyllabiques. xiii° siècle. Mss. : Grenoble, i iSy, fol. 3a v°,
oîi ce poème est intercalé dans Y Histoire de Marie et de Jésus: Bibl. Didot, n° 26 du
catalogue de la vente de 1881 ; Oxford, Bodléienne, Selden supra 38; Cambridge,
University Library, GG. 1.1, fol. 7/19 v"'^'. Extiaitsdans Romania, XV, 336; XVI,
•i2 1; XVIII, 1 29. Premier vers :
Dire vos veul clii et retraire.
2. Poème en vers octosyllabiques composé au \ni° siècle en Angleterre. Ms. : Cam-
bridge, Corp. Chr. Coll. 66, fol. 227, copie, peut-être incomplète, qui fait suite au
poème, indiqué plus loin, sur la légende de Seth. Premier vers :
En ce! tens ke Herodes saveit.
Evangile de Nicodème. Trois versions en vers octosyllabiques.
I. Version de Chrestien, composée au commencement du xiii' siècle, el proba-
'"' Toutefois la version de l'i^aMplo do
l'Knfance fait partie de cette compilation dans
le ms. de Grenoble.
'*' Notons en passant que nous ne possédons
certainement pas tous les poèmes qui ont jiour
objet l'histoire de Jésus. Ainsi, un manuscrit
(le la librairie de Charles V renfemiait, à la
suite du « Trésor en prose » ( Bi-unet Latin ) :
« la vie Jhesu (^rist rymée que fist saint l\obert •
( I.ibrairie du Louvre , n° 45a ; Delisle, Lr Cabinet
des mannscrils, 111, i36). Saint Robert est très
probablement Robert Grossetête, évt^que de
Lincoln , qui ne fut jamais canonisé, mais qui,
dans im poème français composé en Angle-
terre, est qualifié de saint [Romania, X\1X ,
54)- Mais aucun des poèmes relatifs i» Jésus-
(;hrist qui nous sont parvenus ne porte le nom
(le cet (-crivain, ni ne semble pouvoir lui être
attribué.
<'' Dans ie» mss. d'Oxford et de Cambridge,
exécutés en Angleterre, le texte est remanié
de façon que les vers riment, non plus deux
par deux, mais quatre par quatre; voir Boma-
nia , XVI, aai.
I. LKGENDES EN VERS. 357
blement en Angleterre. Mss. : Florence, Convenu soppressi gg, fol. ga; Bibl. de
M. Mac Lean, à Tunbridge Wells, fol. lo (voir Bail, de la Soc. des anc. textes jran-
çais, 1898, p. 81). Edition (d'après le ms. de Florence) : G. Paris et A. Bos, Trois
versions rimées de l'évangile de Nicodèine (Paris, i885, Société des anciens textes
français), p. 1. Premiers vers :
En l'onur de la Trinité
Ai en curage et en pensé.
2. Version d'André de Coutances. Commencentient du xm* siècle. Ms. : Musée
brit., Add. 10289, fol. 6^ v". Édition : G. Paris et Bos. ouvr. cité, p -jh. Premier
vers :
Seignors, meslre André de Costances.
3. Version anonyme composée en Angleterre à la fin du xm' siècle. Ms. : Londres,
Palais de Lambeth, 522, fol. 85. Édition: G. Paris et A. Bos, ouvr. cité, p. iSg.
Premiers vers :
En le nun de la Trinité ,
TreU persones en unité.
Histoire de Jésus-Christ jusqu'à la Passion exclusivement. Poème en vers octosylla-
biques. xiii' siècle. Mss. : Paris, Arsenal , 52o4 , fol. 1 ; Bibl. nat. , fr. 9588 , fol. 'i-j v°.
Dans ces deux copies le poème est suivi de la Passion en vers octosyllabiques men-
tionnée plus haut. Le ms. de l'Arsenal est précédé de cette rubrique : Ci endroit
commencent les Enfances nostre sire Jhesucrist, et parle premièrement de sa naissance et
de ce qui s'en sait. Premiers vers :
Or escoutés [Ars. entendez), si faites pais.
De Jhesucrist [Ars. Damedieu) et de se» fais.
La Nativité de Jésus-Christ. Poème en vers octosyllabiques à rimes léonines, qui
paraît être du Gautier de Coinci (i8'7/i vers). Première moitié du xm" siècle. Ce
poème comprend l'histoire de la V iei^e depuis sa troisième année , et conduit celle
de Jésus de sa naissance au retour de la terre d'Egypte. Mss. : Paris , Ai'senal , 35 1 -,
fol. 1 10 v°; Bibl. nat., fr. 22928, fol. 10; 25532, fol. ilik V (rubrique initiale :
Ci commence la Nativité nostre seigneur Jhesucrist et ses enfances). Edition (d'après le
ms. 25532) par Reinscli, Archiv fàr dus Studium der neueren Sprachen, t. LXMI,
p. 2 38. Premiers vers :
Qui vient oïr la vérité
De la sainte nativité
Jhesucrist, si escout men conte.
Histoire de Jésus-Christ après son enfance. Poème en vers octosyllabiques à rimes léo-
nines qui fait suite au précédent et qui paraît être du même auteur. Mss. : Arsenal,
35 1 y, fol. i3i v" (rubrique initiale : Chi commenche la Nativité saint Jehan et li fais
Jhesucrist); Bibl. nat., fr. 25532, fol. 266 (rubrique initiale : C'est si comme Nostre
Sires ala par terre]. Premier vers :
Ki a voir dire met sentante.
358 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Histoire de Jésus-Christ jasçiaà son baptême par saint Jean Baptiste. Poème en vers
octosyllabiques. xiu' siècle. Ms. : Vienne, Bibl. impériale, 343o, fol. 89, où le
poème est suivi de la Passion en vers octosyllabiques mentionnée plus haut, p. 355.
Premier vers :
Entendez, seigneurs, un petit.
Histoire de Jésus-ChrLit. Poème en vers monorimes de dix à douze syllabes, composé
au commencement du xin' siècle et en Angleterre. Ms. : Musée brit. , Cotton , Vitellius
D m, dont il ne subsiste que des fragments très endommagés, de sorte qu'on ne
peut savoir quelle était l'étendue de ce poème. On peut voir cependant qu'il contient
divers éléments apocryphes (par exemple la légende du bois de la croix). Extraits
dans Romania, XVI, 2 53.
Passion. Poème en vers alexandrins nionorimes par le prêtre Herman de Valen-
cit-nnes. Ein du .xii* siècle. Ce poème, ordinairement joint à la Bible en vers du
même auteur, se rencontre isolément dans trois mss. : Londres, Musée brit.,
Harl. 2253, fol. 23; Egerton 2710, fol. 112; Paris, Bibl. nat., fr. 19525,
fol. 191 v°"' (voir Bull, de la Soc. des anc. textes français , 1889, p. 8zj). Premier
vers :
Mult par fu grant icele élection.
Passion. Poème en vers octosyllabiques composé au xiv° siècle d'après les données
évangéiiqui's. Mss. : Bibl. nat., fr. i53/i, foi. 1 ; i555, fol. iôà\ 19186, fol. 129;
2/1865, fol. 1 1 1 ; Rome, Vatican, Reg. lij'i, fol. 1. Premier vers :
Bonnes genz , plaise vous a taire.
Passion. Poème en vers octosyllabiques composé en Angleterre, xm* siècle.
Ms. : Cambridge, Trinity Collège, B. i/i. 39, fol. 74. Extraits dans Romania,
XXXII, 38. Premiers vers :
Seignurs , piaist vus [a] esculer
Cuni Deus vint en terre pur nus sauver?
Pas.<iion. Poème en vers alexandrins monorimes par Nicolas de Vérone. Milieu
du xiv' siècle. Ms. : Venise, Bibl. Saint-Marc, ZZ4, provenant de la bibliothèque
de Francesco Gonzague, capitaine de Mantoue (voir Romania, IX, 5o5), et acquis
en 1893, par la Bibliothèque Saint-Marr. Extraits publiés par P. Meyer [Romania,
IX, 006) et par A. Thomas [Biblioth. des Écoles françaises d'Athènes et de Rome,
fasc. XXV, p. 2 3). Premiers vers :
Seignour, je vous ay ja, pour vet's et iwur sentante,
Contié maintes istoires en la langue de France.
'■' Dans ces trois manuscrits les quinze pre- traits, XXXIV, i" partie, p. 199), dans le ms.
miers vers sont de dix syllabes. Cette forme i63'j8 de ia même collection, etc. Mais, en
a été conservée plus ou moins exactement en d'autres manuscrits, les vers de dix syllabes ont
plusieurs des mss. où la Passion est jointe à été convertis en vers de douze, par exemple
la Bible, par exemple dans le ms. 4i56 de la flans le ms. Bibl. nat., i'r. 20089 (fi"''^'"' ''«
Bibl. PhiUipps, à Cheltenham {Notices et ex- la Soc. des anr. textes français , 1889, p. 83).
I. LEGENDES EN VERS. 359
Passion. Poème en vers décasyllabiques monorimes, composé dans l'Italie
du Nord, peut-être par Nicolas de Gasola, l'auteur d'un long poème sur Attila.
Milieu du xi\' siècle. Ms. : Venise, Bibl. Saint-Marc, cod. gall. VI, daté de i37i.
Edition : par A. Boucherie, Revue des langues romanes, I (1870), 82, 108, 208.
Premiers vers :
Après la Passe , quand Yhesus dure paine
Doul e travaille sol por la jens humaine ...
Job.
Poème en vers de six syllabes, imitation très libre du livre de Job. Commencement
du xiii' siècle. Ms. : Arras 807, fol. 1 -9. La copie est incomplète par suite de lacunes
du manuscrit. Ce qui en reste (SSg vers) a été publié dans la Romania, XVII, 889.
Premiers vers :
La vie d'un saint honine
Voel raconter par conte ...
JosAPHAr, voir Barlaam.
JosEPU, fils de Jacob.
Vie en vers de six syllabes. Fin du xii* siècle ou conmiencement du xiii". Mss. :
Bibl. nat. , fr. 2^429, fol. gl^ v°; Nouv. acq. fr. ioo36 (anc. Barrois 171, à Ash-
burnham place), fol. io5'"; Rome, Vatican, Reg. 1682, fol. 9/1 (E. Langlois,
Notices et extraits, XXXIII, 2° partie, p. 2o3). Le début dans Romania, XXIII, 10.
Edition: Die altfranzôsisclie « Histoire de Joseph »... von Wilhelm Steuer ( Erlangen ,
I Qo3). Premiers vers :
D'une ancienne esloire
Vous veil faire mémoire '*'.
JossE (Saint).
I . Poème en vers octosyllabiques composé au commencement du xm' siècle par
Pierre (de Beauvais). Ms. de La Clayette (Bibl. nat., Moreau 1715), p. 29. Extrait
dans Notices et extraits, XXXIII, i"* partie, p. 1 6. Premiers vers :
In nomine Domini dit
La vie saint Joce et descrit.
•i. Vie en vers octosyllabiques, développement de la précédente, par un moine
de Saint-Josse-sur-Mer (Pas-de-Calais). Fin du xiv' siècle on commencement
du XV*. Ms. : Bibl. nat., fr. 2101. EIxtrait dans la notice et à l'endroit précités.
Premier vei's :
Raisons et volenté ensemble.
*'' Ce manuscrit, qui appartenait jadis à Le Bibliothèque nationale et du ms. de Rome;
Rouv de Lincy, est mentionné dans l'Hist. litt. le début du ms. Nouv. actj. ioo36 est un peu
de la Fr., |XVIII, SSy, note i. Il est décrit difierent :
dans la Bibl. de FEc. des ch., LXII, 601 -4. Sienor, or entendes,
''' Telle est la leçon du ms. a^^ag de la Qui DamelHieu amés.
360 LKCIENDES HAG10(JR APHIQUES EN FRANÇAIS.
3. Quatrains composés pour servir de légendes à une suite de peintures sur la
vie du saint. xv° siècle. M.s. : Bibl. roy. de Belgique, logSS. Premiers vers :
S'ensieul la vie de saint Josse,
Les miracles et les mérites.
Judas.
1 ° Vie en vers oclosyllabiques , rédigée au xm" siècle , d'après une légende latine in-
sérée textuellement, semble-t-il, par Jacques de Varazze dans la vie de saint Ma-
thiasl". Ms. : Turin, Bibl. roy., L ii, i4 (anc. ms. fr. G i i.i3), fol. Syg. Edition:
A. d'Ancona, La leggenda di Vergogna e la le(jgendadi Giuda (Bologne, 1869, Scella
di cnriosità letterarie, dispensa XCIX), p. -yS. Premiers vers :
Dieus qui le [lis. de) scienche devine
Les entendemens enlumine.
2° Poème en vers octosyllabiques, composé au xiii" siècle en Angleterre. Ms. :
Oxford, Bodléienne, Laud. mise. /171, fol. 1 lii. Extraits dans P. Meyer, DocumeaU
manuscrits de l'une, littér. de la France, p. 242. Premier vers :
Seignurs, pur Deu, ça escutei.
Julien L'HosprrALiER , ou de Brioude.
Poème en vers octosyllabiques composé par « Rogier » pour un comte Philippe.
Fin du xii° siècle ou commencement du xiii'. Ms. : Arsenal, 35 16, fol. 84. Extrait
dans Notices et extraits, XXXV, 487. Edition par M. Ad, Tobler, dans Archivfûr das
Studiwn der neaeren Sprachen, Cil (1899), 1. Premier vers :
Cil troveor qui biaus dis truevent.
Julienne (Sainte).
1 . Poème en vers octosyllabiques. Commencement du xiii" siècle. Mss. : Bruxelles,
Bibl. roy. de Belgique, io295-3o4, fol. iSy; Cheltenham, Bibl. Phillipps 3668;
Oxford, Bodléienne, Canonici mise, -jk, fol. 63; Douce 38 1 (fragment); Paris,
Arsenal, 35i6, fol. iiy v"; Bibl. nat., fr. 1807, fol. i64v°; 2094, fol. 2o4.
Extraits des deux manuscrits d'Oxford dans P. Meyer, Documents manuscrits de
l'anc. litt. de la France, p. 199; édition, d'après ces deux manuscrits, dans « Li ver
del jaise «, en fornfransk predikan, akademisk afliandiing af Hugo von Feilitzeri
(Upsala, i883), appendice paginé 1-24. Premier vers :
Or escotez, bon creslïen'*'.
2. Poème en vers octosyllabiques, composé en Angleterre, au commencement
du xiv" siècle, probablement par Bozon (le frère mineur Nicole Bozon. 3). Ms. : Musée
brit., Colton, Domitien xi, fol. .102 v°. Voir Fr. Michel, Rapports aa Ministre [Doc.
inédits), p. 268. Premier vers :
Ore escutez une eslorie.
Laurent (Saint).
Vie en vers octosyllabiques composée en Angleterre dans la première moitié du
xiii* siècle. Mss. : Musée brit., Egerton 2710, fol. 1 48 \^(voir Bull, de la Soc. des
'"' lA'qcnda aiirt'ii , ch. xi.v. On a dit et ré- '*• Le ms. Bibl. nat. fr. 1807 n un pro-
pété à tort qu'elle avait pris place dans la le- loguc particulier. Déliut : Diex de loin bicnz
gende de saint Matliieu. veille entreduire.
I. I.KGENDES EN VERS. 361
anc. textes français , 1889, p. 56); Paris, Bibl. nat., fr. igoao, fol. 1. Édition; De
saint Laurent, poème anglo-normand du xii" sièclo, publ. par Werner Sôderhjelni
(Paris, 1888); cf. le même dans Mémoires de la Société néo-philologiqae à Helsingfors ,
(1893), p. 2 1. Premier vers :
Maistre , a cest besoing vus dreciez.
LÉGER (Saint).
Vie en sizains de vers oclosyliiibiques (aabbcc). V siècle. Ms. : Clermont-Ferrand ,
i8q. Fac-similé dans Les plus anciens monuments de la langue française (Société des
anciens textes français, 187.")), pi. --9. La bibliographie de ce poème, souvent
publié, a été donnée dans Ed. Koschwitz, Les plus anciens monuments de la langue
française (ô' édition, Leipzig, 1897), p. 35. et dans Stengel, Die ûltesten alffran-
zôsischcn Sprachdenkmâler (2'^ édition, Marburg, 1901), p. 2 3. Premier vers :
Domine De devemps iauder.
I.1EHIBE'" (Saint).
Poème en vers alexandrins à rimes accouplées, xiii" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr.
2 443o, fol. 117. Premier vers :
En l'ouneur de celui ki fist le lirmament.
Léocadie (Sainte).
Légende qui ne concerne pas, à proprement parler, la vie de cette sainte. C'est
l'histoire de ses reliques, portées de Tolède à Soissons par Louis le Pieux, et qui,
volées en 1219, furent miraculeusement retrouvées au bout de quelques jours. Ce
récit a fourni à Gautier de Coinci la matière d'un assez long poème en vers octosyl-
labiques, publié par Méon, Nouv. recueil, I, 270, et par Poquet, Les Miracles de la
Sainte Vierge, p. 1 i 1 ; cf. Hist. litt. de la Fr., XIX, 847. C'est la suite de la légende
de saint Ildefonse mentionnée plus haut. Premier vers :
Que de mémoire ne déchoie.
Leu (Saint).
Poème en 63 quatrains de vers alexandrins, xiv" siècle. Mss. : Bibl. nat. , fr. 1 555,
fol. i3o; 1809, fol. 69. Premiers vers :
Le roi de paradis, qui pour nous s'estendy
En l'arbre de la crois au jour de vendredy.
Llcie (Sainte),
Poème en vers octosyllabiques composé au commencement du xiv" siècle en An-
gleterre, probablement par Bozon (le frère mineur Nicole Bozon?). Ms. : Musée
Brit. , Cotton , Domitien xi , fol. 9 1 . Premier vers :
De seinte Lucie vus dirray.
Magloire (Saint).
Vie en vers octosyllabiques , composée en i3i9 par Gefroi des Nés'"^'. Ms. : Ar-
senal, 5 122. Un fragment en a été publié dans le Recueil des Historiens de la France,
XXII, 166-1 70. Premier vers :
David , li glorieus prophètes.
'"' Eleutherius, évêque de Tournai. — ''' Appelé par erreur « Clefroi de Metz» dans l'Hist.
liU.de laFr.. XWII, 187.
IIIST. UTTÉR. WXHI. A6
362 LKGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Marguerite (Sainte).
On connaît de cette légende neuf versions rimées, toutes en vers octosylla biques,
sauf les n°' a et 3 de la liste qui suit :
I. Version de Wace. xii' siècle. Mss. : Paris, Arsenal, 35 16, fol. cwx (extraits
dans Cahier, Nouveaux mélaïujes d'archéologie, Paris, iSyS, p. 71); Tours, 927,
fol. 2o5, incomplet du commencement; Troyes, igoS. Edition : La vie de sainte
Marguerite, poème inédit de VNace... par A. Joly, Paris, 1879 (extrait des
Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 3' série, t. X), d'après le
manuscrit de Tours. Premier vers :
A l'onor Deu et a s' aïe.
a. Version en laisses de quatre à neuf vers alexandrins monorimes, composée en
Angleterre. Fin du xn' siècle ou commencement du xiii'. Ms. : Cambridge, Bibl.
de l'Université, Ee. vi. 1 i , fol. i ; voir Romania, XV, 269. Edition : La vie de sainte
Marguerite, an anglo-norman version of tbe xui"" century, now first edited from the
unique ms. in the University library of Cambridge by Fr. Spencer, s. 1. n. d.
(1889). Premier vers :
Puis ke Deus nostre sire de mort resucitn.
3. Version anonyme, en 68 laisses monorimes formées, le plus ordinairement,
de six vers alexandrins, composée en Angleterre, xni* siècle. Ms. : Bibl. du chapitre
d'York, 16 K i3, fol. 119. Premier vers:
La vie d'une vierge vus voil issi conter.
f\. Version anonyme en (juatrains de vers décasyllabiques , composée en Angle-
terre, xiii" siècle. Ms. Edwardcs, fol. 1 '". Premiers vers :
A la Deu loenge e a la sue gloire
Faire vélums d'une virgine mémoire . . .
5. Version de Fouque. xin" siècle. Ms. de La Clayette, p. 37 (Bibl. nat., Mo-
reau 1 715). Extrait dans Notices et extraits, XXXHI , impartie, p. ui. Premiers
vers :
Après la sainte passion
Et après la surrection
De nostre maistre Jhesucrit.
6. Version anonyme , peut-être composée en Angleterre, mu' siècle. Ms. : Bibl.
nat., fr. 198 a 5, fol. 1I12. Editions : Deux rédactions diverses de la légende de sainte
Marguerite en vers français . . . par Aug. Scheler, Bruxelles, 1877, p. 7"^ (extrait
t'' Sur ce manuscrit, qui contient en outre premiers quatrains de cette Vie de sainte Mar-
une partie des Miracles de la Vierge par Adgar, guérite ont été publiés dans la Ronuima ,
voir ci-dessus l'article Ii.dkfonsk. — Les trois XXXII , 896.
I. LEGENDES EN VERS. 363
des Mémoires de l'Acadtmie d'archéologie de Belgique). La vie de sainte Marguerite . . .
par A. Joly, p. 83. Premier vers :
Escotez, tote bone gent.
•j. Version anonyme, dont on possède plus de cent copies du xui* au xv' siècle,
et qui a été notamment introduite en un grand nombre de livres d'heures. Editions
nombreuses de la fin du \v° siècle et du xvi' siècle; voir Brunet, Manuel du libraire,
5" éd., V. Soi. Editions du xviii' siècle et du xtx' dans ia Bibliothèque bleue; voir
Ch. Nisard, Histoire des livres populaires , a' éd., II, 167. Plusieurs éditions de la
même version ont été publiées au \ix* siècle d'après des manuscrits, la dernière
dans La vie de sainte Marguerite, poème de Wace, . . . par A. Joly, p. 99. Premiers
vers :
Après la sainte passion
Jesuclirist, a l'assencion,
Quant il fu en son (00 ens ou) ciel montés.
8. Version anonyme en vers octosyllabitpies très irréguliers faite en Angleterre
au XIII* siècle. Ms. : Musée brit. , Sioane 161 1, fol. liy v°. Premiers vers :
Qui cest escrit vodra entendre ,
Par bel essample purra aprendre.
9. Fragment comprenant 80 vers octosyllabiques , trouvé el publié par M. Zin-
gerle, Romanische Forschungen, VI (1891), 4i6. xni' siècle.
1 o. Version anonyme , composée en Angleterre , probablement par Bozon (le frère
mineur Nicole Bczonl'). xiv' siècle. Ms. : Musée brit., Cotton, Dom. xi, fol. 98 .
Premier vers :
Vus qui avez desirance.
I 1 . Version anonyme, xiv* siècle. Ms. : Bibl. nat., Nouv. acq. fr. 6352. Premier?
vers :
Kscoutez tuit , par tel couvent
Que Dieu vous doint entendement.
Marie, mère du Sauveur.
Entre les nombreuses compositions en vers qui ont été consacrées à la Vierge
Marie , on n'a admis ici que celles dont fobjet est de conter quelque partie de son
histoire. Le poème de Wace sur l'établissement de la fête de la Conception, étant le
récit du miracle à la suite duquel cette fête fut instituée, au xi' siècle, aurait pu être
omis. Nous l'avons inscrit sur notre liste parce qu'il contient, outre ce miracle,
riiistoire de la Vierge jusqu'à la naissance de Jésus. Nous rappellerons que Y Histoire
de Marie et de Jésus, classée plus haut à l'article Jéscs, peut être jointe aux poèmes
qui concernent l'histoire de la Vierge.
Conception. Poème en vers octosyllabiques par Wace. Milieu du xii' siècle.
Ce poème se compose de deux parties. La première (vers i à 170) est relative
à rétablissement de la fête de la Conception de la Vierge à la suite d'un miracle ac-
compli au profit de Helsin, qui fut abbé de Ramsay, au xf siècle. L'original suivi
i6.
364
lé(;km)es hacio(;r\phiques en français.
par Wace est un opuscule latin attribué, mais à tort, à saint Anselme'". La seconde
partie commence à ces vers
Biens est et droiz que l'en vos die
De ma dame sainte Marie.
(éd. Mancel et Trébutien, p. 9; éd. Luzarcbe, p. 10); elle contient le récit de la
naissance de la Vierge d'après Y Evangelium de nativitale Mariée , et son histoire jusqu'il
la venue au monde de Jésus. Ce poème est toujours joint à l'Histoire des Trois Maries
mentionnée ci-après. Mss. : Cambridge, S. John 's Coll. B 9, fol. 1 (iîomania, VIII,
3io); Carpenlras, k'ji (anc. 465), fol. i35; Londres, Musée brit., Add. j56o6.
foL 37; Paris, Bibl. nat., fr. 818, fol. 4''''; iSay, fol. 1; 19166,101. 186 d;
•i44'i9 , fol. 73; 25532 , fol. 32o;Moreau 1716, p. i4i (ms.Noblet de La Clayette);
Rome, Vatican, Re^. 1682, fol. 58; Tours, 925, fol. 61. B^ditions : L'étahiisse-
ment de la fête de la Conception Notre-Dame , dite Fête aux Normands, par Wace...
publié par Mancel et Trébutien (Caen, 1842), d'après le ms. Bibl. nat., fr. 25532;
La vie de la Vierge Marie de maître Wace . . . (Tours, 1859), publiée par V. Lu-
zarche, d'après le manuscrit de Tours. Premiers vers :
Ou nom Dieu, qui nos doint sa grâce,
Oe/. que nos dit maistre Wace.
fr. 25532, suivi par Mancel et Trébutien, les six pre-
Se aucuns est cui [lis. qui) Dieu ait chier.
Sa parole et son mestier.
Dans le ms. Bibl. nat.
niiers vers sont différents
Dans certaines copies de cet ouvrage ont été intercalés , en totalité ou en partie , d'au-
tres poèmes. Ainsi, dans le texte que nous offre le ms. Add. i56o6 du Musée bri-
tannique, ont été introduits le roman de Fanuel (ci-dessus , p. 349), une grande partie
de YHistoire de Marie et de Jésus (p. 355) et le récit de la Passion qui lui fait suite
en beaucoup de manuscrits [ibid.). Ces interpolations ont été étudiées dans un ar-
ticle de la Romania, XVI, 2 3 2. Dans le texte dums. Noblet de La Clayette a été intro-
duite une partie de l'Histoire de Marie et de Jésus et de la même Passion : voir
Notices et extraits, XXXIII, 1" partie, p. 49-
Histoire des Trois Maries et Assomption Nostre Dame. Poème en vers octosyllabiques,
par Wace, faisant suite à la Conception dans tous les mss. énumérés à l'article pré-
'"' Miracidum de conceptione sanctœ Mariœ,
dans les œuvres de saint Anselme, éd. fierbe-
ron, i>. 507; M igné. Pair. /«/. ,CLIX, coI.Sig;
reproduit , d'après l'édition de D. Gerberon ,
dans l'appendice de la publication de Mancel et
Trébutien citée plus loin. Ce récit a pris place
en plusieurs recueils de miracles de la Vierge
et a, par suite, été plus d'une fois traité en vers
français : ainsi, dans le recueil d'Adgar (éd.
Neuhaus, p. i36), dans celui de Gautier de
Coinci (éd. Poquet, col. 5i5), etc.
''' Dans ce manuscrit le poème est suivi
d'une courte composition en 148 vers octo-
syllabiques sur l'établissement de la fête de
la Nativité de la Vierge. Ce poème, dont les
premiers vers sont : A la Jhesii beneïçon , Vous
ai dit la Conception , ne saurait être attribué à
Wace; il semble plutôt, d'après les rimes,
avoir été composé dans le Lyonnais, pays où
le ms. 818 a été exécuté. Il a été publié par
R. Reinsch , Die Pseiido-Erangelien von Jesn iind
Maria' i Kindheit, p. 31.
I. LKGBINDES EN VERS.
365
cèdent (éd. Mancel et 'rrébulien, p. Sa; éd. Luzaiche, p. 56). Mais de plus, il se
trouve, sans l;i Conception , dans les mss. ci-après indiqués : Oxford, University Coll.
loo, fol. loo; Paris, Arsenal, 35 16, fol. 52 (rubrique : De la mort l\ostre Dame);
Bibl. nat., lat. 5ooi, fol. ii-j (le début seulement'"); fr. aSZiSg, fol. i88 v" (voir
Bull, de la Soc. des anc. textes français, 189g, p. 02 ). Dans les trois derniers de ces
manuscrits le poème est précédé d'un prologue commençant par ce vers :
Gace ai nom qui fas cest escrit.
(Mancei et Trébutien, p. 5^ ; Luzarcbe, p. 56)'"'". Dans le ms. d'Oxford, le prologue
manque; le poème commence ainsi : Parleram a la Deu aïe (cf. Mancei et
Trébutien, p. 53; Luzarcbe, p. ôy). La seconde partie de ce poème, L'Assomption,
ou, selon la rubrique de certains manuscrits, Le Trespassement Nostre Dame, se
rencontre en deux rédactions d'inégale étendue. La plus longue est la rédaction
originale; la plus courte en est l'abrégé. Voici le début de l'une et de l'autre :
HEDACTIOX Oni(;iNAI,E.
L'autre an après la passion,
Elsteit Nostre Dame a maison ,
Sole en un lieu privcement.
Si prist a piorer tendrement
Por amor et por desirier
De son dois iils, qu'eie ot tnni chier.
Por dezirrier del rei altisme
Se dementeit a sei meïsme :
t Molt vosisse , se Dieu pleiist ,
« Que dès or mais me receûsi ;
«Forment désir que j« la fusse
« Ou je mon fil veeir pciisse.
«Biaus sire fius, regarde niei,
« Fai que puisse estre avecque tel ,
« La ou tu es , en paradis
« Que tu promèz a tes amis. »
(Ms. (le Tours, éd. Liizarriie, p. (>i
REDACTION ARHEUEE.
Après la sainte passion
Estoit Nostre Dame en maison ,
En Nazareth , la ou fu née ,
Molt coiirechie et esplorée.
Pour le désir del roi liautisme
Se dementoit a li meïsme :
« Forment désir que je la lusse
• Ou jeu mon fil veoir peûsse,
• La ou il est, en paradis
« Que il proumet a ses amis. »
(Ms. (lu Musée Fitzwilliam, Cambridge;
Ttomanm , XXV, 554.)
P).
La première de ces deux rédactions est celle que l'on trouve ordinairement à la
suite de ï Histoire des Trois Maries, qui est, comme on l'a vu plus baut, précédée d'un
prologue au début duquel Wace se nomme. Elle se rencontre aussi isolément ou à la
suite d'autres poèmes , par exemple dans les mss. Bibl. nat., fr. 1 807, fol. 1 7/1 ; 28 1 5 ,
'"' Le manuscrit est incomplet : il ne reste
du poème que les 45 premiers vers, écrits à
longues lignes au verso du dernier feuillet.
''' Il convient de rectifier ici ce qui a été
dit dans Notices et extraits , XXXUI , 1 " partie ,
p. 44 et 48 , où l'on a émis l'hypollièse que le
poème qui conte l'histoire des Trois Maries et
l'Assomption de Notre-Dame n'était pas de
Wace. On avait, à tort, considéré le vers où
Wace se nomme comme appartenant à l'épi-
logue de la Conception , tandis qu'il commence
le prologue de l'Histoire des Trois Maries. En
réalité, les deux poèmes sont indissoluble-
ment liés : le prologue du second contient un
résumé du premier.
''' Nous introduisons çà et là dans le texte
de Luzarche quelqiies légères corrections
d'après d'autres manuscrits.
366 I.KGENDES IIAGIOGRAPHIQUKS EN FRANÇAIS.
fol. iig; Grenoble, iiSy, fol. 120 [liomania, XVl, -l'io). Quant ix la rédaction
abrégée, nous ne l'avons jamais rencontrée isolée; le plus souvent, elle fait suite au
poème delà Passion indiqué ci-dessus, p. 355; voir Romania, XVI, 55; XXV, 554;
Notices et extraits , XXXlll , 1" partie, 56.
La Généalogie Nostrc Dame. Poème en vers octosyllabiques à rimes léonines, où
il est traité sommairement de sainte Anne, des trois Maries et de la naissance de la
Vierge. Paraît être de Gautier de Coinci. Première moitié du xiu" siècle. Mss. : Paris,
Arsenal 35 1 7, fol. 5 ; Bibl. nat. , fr. 22928, fol. 1 . Extraits, d'après ce dernier manu-
scrit, dans R. Reinsch, Die Pseiido-Evangelien von Jesn nnd Maria's Kindheit, p. 76.
Premier vers :
Ki a voir dire peine met.
La Nativité Nostrc Dame. Poème en vers octosj^llabiques à rimes léonines
(944 vers), qui paraît faire suite au précédent , dont il est séparé, dans le ms. 35 1 7
de l'Arsenal , par le premier livre des Miracles de Gautier de Coinci , et qui doit
être attribué à cet auteur. Il reproduit en substance le Pseudo-Matthœi Evangelinm.
Première moitié du xiii" siècle. Mss. : Paris, Arsenal, 35 17, fol. io5; Bibl. nat.,
fr. 22928, fol. 3v"; 25532, fol. 227. Edition :Reinsch, dans Archiv fur das Stndinni
der neueren Sprachen, t. LXVII, p. 85. Premiers vers:
Oez tuit la première livstoire
De Nostre Dame, qui i>st voire.
Le Mariaye Nostre Dame. Sous ce titre on trouve, dans les mss. Bibl. nat. fr. /J09,
fol. 1 à 1 1 , et 22928, fol. 3, un poème en vers octosyllabiques où est narrée l'his-
toire de la Vierge depuis la salutation angélique jusqu'à la naissance de Jésus et
(jui se termine par l'histoire des trois Maries. Les /j 1 5 premiers et les cjuatre derniers
vers de ce poème, qui en compte 1 32 2 , ont été publiés d'après le ms. fr. 409 , par
R. Reinsch, Die Psendo-Evangelien von Jesn nnd Marias Kindheit, p. 78 et suivantes.
Cette composition n'est qu'un extrait de l'Histoire de Marie et de Jésus raentioiméc
ci-dessus (art. Jésls). Le morceau publié par Reinsch se retrouve parmi les frag-
ments de cette histoire mis au jour, d'après le ms. Bibl. nat. fr. 1 553, par le même
savant, p. 44 et suiv. de l'ouvrage précité. Premiers vers : .
En l'ouneur Dieu et en mémoire
De la haute dame de gloire.
L'Assomption, par Herman de Valenciennes. Poème en laisses monorimes de vers
alexandrins. Fin du xn" siècle. Nombreux mss.; voir Romania, XV, 3o8; Notices cl
extraits, XXXIV, i" partie, p. 208; Bulletin de la Société des anciens textes, 1889,
p. 9 I ; 1 894 « p. 49. Premier vers :
Seignor, or escotez, que Deus vos beneïe.
L'Assomption. Poème en vers octosyllabiques à rimes léonines, qui paraît être «le
Gautier de Coinci. Première moitié du xni' siècle. Mss. : Paris, Arsenal, 3517,
I. LKGENDES EN VERS. 367
lof. l'ji; Bibl. nat. , fr. aSSSa, l'ol.aSS. Le début, d'après ce dernier manuscrit ,
dansReinsch, Pseado-Evangelien , p- S^. Premiers vers :
Ki vieut oïr vers moi se traie.
Car en propos ai que retraie
L'Assumption de Nostre Dame.
Le Treapas Nostre Dame. Poème en vers octosyllabiques. xiv" siècle. Ms. : Arras ,
•j'ii (écrit en i^ya). Premier vers :
Très douches gens, or entendes.
Maries (Les Trois).
Outre le poème de Wace indiqué plus haut (p. 364), il existe sur les trois Maries,
lilles de sainte Anne, mais de pères dill'érents (la vierge Marie, Marie fille de Cléo-
phas, et Marie fille de Salomé), deux poèmes :
1. Poème de cent quatorze vers octosyllabiques, par Pierre (de Beauvais).
Commencement du xui' siècle. Voir Notices et extraits, .\XX11I, T partie, p. /lô.
Premier vers :
Pierres qui fist de Charlemenne.
2. Poème en vers octosyllabitpies , par Jean de Venette, achevé en iSSy. Mss. :
Bibl. nat., fr. i53i, i532, 12/168, 243 1 1 '". Imprimé plusieurs fois depuis i5i i
jusqu'au xvii' siècle. Voir Sainte-Palaye , Mém. de l'Acad. des inscr., XIII (ly/jo),
."iao; Brunel, Manuel du libraire, sous Venette (Jehan). Premier vers :
Un ami ai droit a Paris.
Marie l'Égyptienne (Sainte).
On connaît, sur ce sujet, quatre poèmes en vers octosyllabicpies :
1. Poème composé à la fin du xii* siècle, en Angleterre, par Adgar. Ms. : Lon-
dres, Musée brit., Egerton 61 a, fol. 89. Edition : Adgar s Marienlegenden . . ., hgg.
von C. Neuhaus [Altfranzôsische Bibliothek , Heilbronn), p. 194. Premiers vers :
Ci tmis escrit la sainte vie
De la Egyptienne Marie.
2. Commencement du xiii' siècle. Mss.: Berlin, Bibliothèque du Musée royal
(fragment''^'); Londres, Musée brit., add. 366i4, fol. 271 v" (ancien Barrois 1)'";
Oxford, Bodléienne, Canonici mise. 74, fol. 89; Corpus Chr. Coll. 232 ; Paris, Ar-
senal, 35 16, fol. ii3 v°; Bibl. nat. ,fr. igSaS, fol. i5; 23ii2, fol. 325. Publié
d'après le ms. de Coi-pus, par Cooke, à la suite du Château d'amour de Robert
''' U y avait dans le fonds Barrois, à Ash- publié par M. Tobler, dans les Comptes-ren-
burnham place, un manuscrit de ce poème, dus de l'Acad. des sciences de Berlin (classe de
n" 464 du catalogue imprimé pour lord Ash- philosophie etd'histoire) LXIII (lyoS), 967-9.
imrnhani, n"6o2 du cataloguede vente(igoi). ''' Ce manuscrit présente une rédaction par
Nous ignorons où il se trouve actuellement. ticulière pour les premiers et les derniers vers :
'*' Ce fragment , rapporté de Damas , a été Premier vers : Tôt H home et Mes les femes.
368 LKGENDKS HAGIO(;RAPHIQlJI':S EN FRANÇAIS.
Grosseteste (Caxton Society). A été mis en prose'", traduit i-n espagnol'*', et para-
phrasé en vénitien'^'. Premier vers :
Seignor, oiez une raison.
3. Par Rutebeuf. Mss. : Bibl. nat., fr. SSy, fol. 3 16; i635, fol. 71. Édition :
.lubinal, Œuvres de Rutebeaf, nouv. éd., II, 2 63; Kressner, Rustebuef's Gedichte,
p. a a 3. Cf. Hist. litt. de la Fr., XX, 181. Premier vers :
(«)
Ne puet venir trop tari a oevre
/j. Poème en vers octosyllabiques, composé en Angleterre dans la seconde moitié
du xiii" siècle. Ms. : Londres, Musée brit. , Roy. 20 B xiv, foi. 1 19. Premier vers :
Or entendez , pur Deu omur.
Marie-Madeleine.
1. Vie en couplets de cinq alexandrins monorimes, composée en Angleterre, au
xui' siècle. Ms. : York, Bibl. du Chapitre, 16 K i3, fol. 128. Le manuscrit est
incomplet : il ne reste plus (pie quarante-deux vers de cette vie. Premier vers :
Seignui's ke Deu amez , en lui aiez fiance.
2. Vie eu vers octosyllabiques composée en Angleterre au commencement du
xiv° siècle, par Bozon (le frère mineur Nicole Bozon?). Ms. : Londres, Musée
brit., Cotton,Domifienxi, fol. 92. VoirFr. Michel, Rapports au Ministre {Doc. inéd.) ,
]). 2fi5. Premier vers :
Confort est al peclieûr.
3. Vie en quatrains de trois vers de dix syllabes et d'un d(> (|uatre [aaab bbba, etc.).
xiv' siècle. Mss. : Besançon, ioà,ki. 1 65; Archives des Basses-Pyrénées, nis. 10.
Premier vers :
Or escoutés , vous qui solez pechier.
Un épisode de cette légende a été traité à part : le miracle opéré par l'inter-
cession de Marie-Madeleine en favevu- du seigneur de Manseille'^', qui, du reste, se
rencontre aussi à part en latin. On en connaît deux rédactions en vers :
I. Poème en vers octosyllabiques, par Guillaume, clerc normand. Commence-
ment du xiii' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 19525, fol. 65: Welbeck, Bibl. du duc
de Portiand, i C 1, fol. 5o c. Editions, d'après le premier de ces manuscrits:
'■' Notices et extraits, XXXV, Aga. '*' M. Mussafia a montré (ouvr. cite, p. 173)
''' Mussafin, Ufb^r die Quelle d. aUspanisclien que, depuis levers SyS environ (le poème en a
« Vida de S. Maria Egipciaca », Comptes rendus 1 396 ) , Rutebeuf a imité de très près la version
des séances de l'Académie de Vienne , classe de précédente.
philosophie et d'histoire, t. XLIII (1863). '"' Voir sur ce miracle Hist. litt. de la lu: ,
'") Romaniu , XII , 407-8. XXXIl , 96 ; Notices et extraits, XXXVI , 87.
1. LKGENDES EN VERS. 369
Ad. Schniidt, Rowanische Stmlien, IV, 523; R. Reinsch, Archiv f. das SUulmni d.
ncneren Sprachen, LXIV, 87. Premiers vers :
Après ceo que nostre seigiior
Jhesucrist, le veir sauveor.
2. Fragment consistant en treize sizains rimant aab aab, les vers a de huit syl-
labes, les vers b de quatre. Conservé dans un ms. de Trêves, du xiri° siècle, publié
en dernier lieu par G. Doncieux, Romania, XXII, 266.
Marine (Sainte).
Poème en vers octosyllabiques. Fin du xiii" siècle. Mss. : Bruxelles, Bibl.roy. de
Belgique, loago-Soi, fol. 128 [Romania, XXX, Sog); Rome, Vatican, Reg. 1728,
fol. io5. La seconde de ces copies a été publiée en extraits par Ad. Keller, Romvart,
p. 6o5, et en entier par M. L. Clugnet, Revue de V Orient chrétien, igoS. Premier
vers :
Moult e&t folz qui son uinbin chace.
Marthe (Sainte).
Poème en vers octosyllabiques, composé en Angleterre, au commencement du
xiv* siècle, jirobablement par Bozon (le frère mineur Nicole Bozon ?). Ms. : Londres,
Musée brit. , Cotton , Domitien xi, fol. 97. Voir Fr. Michel, Rapports au Ministre
[Doc. inéd.), p. 267. Premiers vers :
Beu seigneurs, ki [vus] délitez
Noveles oyer de estrangetez.
Martin (Saint).
Vie en vers octosyllabiques par Péan (Paien)Galineau, chanoine de Saint-Martin de
Tours. Ms. : Bibl. nat. , fr. 1 06 3 , fol. 1 '". Éditions : La vie de monseiçjneur saint Martin
de Tonrs, par Péan Gatineau. . ..publiée par fabbé Bourassé (Tours, 1860, publi-
cation de la Société des bibliophiles de Touraine'-'); Leben and fVanderthaten des
heiligen Martin. . . , von Péan Gatineau, hgg. von W. Sôderhjelm (Stuttgart, 1896);
Dos altfranzôsische Martinsleben des Péan Gatineau aas Tours , neue nach der Hand-
schrift revidierte Ausgabe, von W. Sôderhjelm (Helsingfors, 1899). Premier vers :
Ocz trestuit un novau conte.
Mathurin (Saint).
1. Vie en vers octosyllabiques, par Jean, prêtre de Larchant (632 vers). Fin du
xiii' siècle. Ms. : Londres, Musée bril., Add. 17278, fol. 128. Extraits dans Notices
et extraits, XXXVI, 458. Premier vers :
Cil Dieu qui n'ot commencement '''.
2. Vie en vers octosyllabiques, composée en 1 489 par un autre Jean, prêtre de
Larchant. Cinq éditions, sans date, publiées de ,1 525 environ à 1 600. Edition faite
<■' Ce manuscrit a fait partie de la librairie ''' Cette publication n'est que partielle,
du Louvre : n° 968 de l'inventaire publié par ''' Dans cette légende, le saint est appelé
M. De\h\e, Le Cabinet des manascrils, lll, ibS. Mathelin. , „ ,...,,.
HIST. LITTÉR. — XUni. 4 7
370 LEGKNDKS HAGIOGRAPHIQUES KN FRANÇAIS.
d'après les précédentes par A. de Montaiglon et J. de Rothschild, Recueil de poésies
Jrançaùes des xv' et xri' siècles, XII (1877); 347. Premier vers :
En l'honneur de sainct Mathui-in.
Melaine (Saint).
Fragment trouvé dans une ancienne reliure, et consistant en trente-deux qua-
trains de vers octosyllabiques {abab). Edition : A. Angot , Deux vies rythmées de saint
Melaine à l'usage de l'éfilise de Laval, dans la Revue du Maine. XXXVI, 1 70 '".
MoDWENNE (Sainte).
Vie en quatrains de vers octosyllabiques, composée en Angleterre vers le commen-
cement du X m' siècle. Mss. : Oxford, Bodléienne, Digby 34; Weibcck, Bibl. du duc
de Portland, 1 G » , fol. i56 d. Un morceau du premier de ces manuscrits a été
publié par M. H. Suchier, Ueber die Mattliaeus Paris zugeschriebene « Vie de seint
Auban "(Halle, 1876), p. 54-58. Premier vers :
Oez, seignurs, pur Deu vus pri.
Moïse (Saint), ermite de la Thébaide.
Vie en quatrains de vers alexandrins tirée d'un poème composé au commencement
du xin" siècle, dans le pays de Liège, et connu sous le nom de Poème moral. Les mss.
sont indiqués dans la préface de l'édition de ce poème, publiée en 1886 par
M. W. Cloetta dans le tome III des Romanische Forschungen. La vie de saint Moïse
commence avec le quatrain 27 du poème. Premier vers :
Uns hoiii i'u d'Elyope qui Moyses ot nom.
Nicolas (Saint).
I. Vie en vers octosyllabiques, par VVace. xii" siècle. Mss. : Cambridge, Trinity
Coll. B i4. 39, fol. 48; Oxford, Bodléienne, Douce 270, fol. 91 v°; Digby 86,
fol. i5o; Paris, Arsenal, 35 16, loi. 69; Bibl. nat. , fr. 902, fol. 1 17. Éditions :
Monmerqué, Li jus saint ISicolai [Paris. i834, Société des bibliophiles françois),
p. 3oi , d'après les deux mss. de Paris; M. Delius, A/ai.f/re fVace' s S' Nicholas {Bonn ,
i85o), d'après les deux mss. d Oxford. Extraits du ms. de Cambridge dans
Romania, XXXII, 24. Voir Hist. litt. de la Fr., XVII, 63 1. Premier vers :
A ceu» qui n'uni letres aprise».
•1. Vie en vers octosyllabiques. xni" siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. i555, fol. i34-
Premier vers :
Or escoutez, grans et inenour.
O.NUPHKE (Saint).
Vie en vers octosyllabiques, xv' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 24953, fol. q. Pre-
mier vei-s :
En nom de Dieu prcmieremont.
''1 La seconde de ces vies, qui n'est aussi chaque couplet est suivi d'un verset de l'Ex-clé-
qn'un fragment trouvé dans les mêmes cir- sinstique, en. xi.vin, (|ui fait partie de l'olTice
constances, est plutôt un cantique, dont des Confesseurs.
. I. LEGENDES EN VERS. 371
Opportune (Sainte).
Vie en vers octosyllabiques. Edition gothique (8 iF. ; Paris, s. d.). Voir H. Har-
risse, Excerpta Coloinbiniaiia , n" ^i^\. Premier vers :
Ainsi qu'ez saincts livres on iist.
OsiTHA (Sainte).
Vie en vers octosyllabiques. composée en Angleterre, mu" siècle. Ms. : Welbeck,
Bibl. du duc de Portland, i C i , fol. i 3/j b. Premiers vers :
Ceo nus mustre seinte Escriptiire
Bon fet ki met en Deu sa cure.
Patrice (Le Purgatoire de saint).
On possède sept versions en vers français de l'ouvrage de Hugues de Saltrey, De
piirgatorio sancti Patricii. Toutes sont en vers octosyllabiques, excepté le n° 6. La
version y a été faite en France, et probablement aussi la version 6. Les autres ont
été composées en Angleteire.
1. Version de Marie de France. Fin du mi' siècle. Ms. : Bibl. nat., fr. 25407,
fol. lOQ. Editions: Poésies de Marie de France, publ. par B. de Roquefort ( i83a),
II, Al i; L'Espargaloire de saint Patriz of Marie de France. . . . , by Th, A. Jenkins
(Philadelphia, 189/1; 2* éd., Chicago, igoS, dans le tome VU des Decennial Publi-
cations de l'Université de Chicago, première série). Premier vers :
Al nun de Deu qui od nus seit.
2. Version anonyme, xui' siècle. Ms. : Musée brit., Cotton, Domit. A iv, fol. 2 5 7.
Extraits dans Ward, Catal. oj romances, II, 468. Premier vers :
Un moyne de Saltereye.
3. Version anonyme, xiii* siècle. Mss. : Musée brit., Harl. 278, fol. 191 ; Bibl.
nat., fr. 2198, fol. 3o. Extraits du ms. de Londres dans Ward, Catal. of romances,
II, 472. Premier vers :
Pur la bone gent conforter.
4. Version anonyme, xiii* siècle. Ms. : Cambridge, Bibliothèque de l'Univer-
sité, Ee. 6. I I . Le commencement et la fm dans Romania, VI, 1 54- Premier vers :
En honurance Jhesu Crist.
5. Version anonyme, xui' siècle. Fragment consistant en un feuillet mutilé qui
sert de garde au ms. du Musée brit. Lansdowne 383. Extrait dans Ward, Catal. of
romances, II, 474.
6. Version de Beroul en quatrains de vers alexandrins. Mss. : Cheltenham, Bibl.
Phillipps, 4i56, fol. 184 (manquent les 90 premiers vers); Tours, 948, fol. 102.
Extraits des deux mss. dans Notices et extraits , XXXIV, 1 ■* partie , 2 4 i . Premier vers :
En l'onor Damidieu et a la soe gloire.
372 LKGENDKS HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
y. Version de Geulioi de Paris, introduite par lui dans le quatrièm(; li>re de sa
compilation intitulée : « La Bible des set estaz du monde. » Ms. : Bibl. nat. , fr. i 826 ,
fol. i5^. Premier vers :
Fiiites pës, por Dieu, bonne gent.
Paul (Vision de saint).
Le récit de la descente de saint Paul en enfer sotis la conduite de saint Michel,
originairement rédigé en grec, a été de bonne heure mis en latin, et s'est prompte-
ment répandu par tout l'Occident en des rédactions différentes. Celle des rédactions
latines qui a été le plus souvent copiée, et qui paraît être la plus récente'", est la
source de six poèmes français :
I . Poème en vers octosyilabiques, composé en Angleterre, vers la fin du xii^ siècle,
par Adam de Ros. Premier vers : .
Seignor f rere , or escutez.
3. Poème en vers octosyllabiques. xni" siècle. Premier vers :
Li autre trouveor qui truevent.
3. Poème en quatrains de vers alexandrins, xiii" siècle. Premier vers :
Beau seignor ot vos dames, faites que l'on nous oie,
OU :
Seignor, or m'entendez, qui Damredeu amez.
tx. Poème en vers octosyllabiques, par Geufroi de Paris. Remaniement du pré-
cédent, xiu' siècle. Premier vers :
Seignor, sor cest air que veez.
5. Poème en vers alexandrins rimant deux à deux, composé en Angleterre, au
xm' siècle, par Henri d'Arci, templier. Premier vers :
Si vus musterai cum jol trovai escrit.
(i. Poème en vers octosyllabiques, composé en Angleterre à la fin du xiu' siècle
ou au conmiencement du xiv". Premier vers :
Oyez que jeo trêve en escrit.
Des n" 1 et 3 il existe plusieurs copies; on en a deux du n° 6 et une des n°' \
cl 5. Ces manuscrits ont été énumérés dans les Notices el extraits, XXXV, i55-6,
ainsi que les travaux dont ils ont été l'objet.
Paul l'Ermite (Saint).
Poème en vers octosyllabiques, composé en Angleterre, par frère « Boioun » (le
'' C'est celle qui commence par ces mots : plusieurs loi», en dernier lieu dans la Ro mania ,
• Dies dominicus dies est electus in quo gau- XXIV, 365, en regard de la version française
dchunt angeli. . . » Le texte en a éle publié ci-après indiquée sous le n°6.
frère mineur Nicole Bozon?), xiii' siècle.
Portiand, i C i , fol. 6. Premiers vers :
I. LKGENDES EN VERS.
Ms. : Welbeck,
373
Bibliothèc[ue du duc de
Le primer hermite ke ay trovee
Seint Pol le Hermite est nomee.
Paule (Sainte).
Vie en vers octosyllabiques à rimes léonines. Seconde moitié du xiii" siècle. Ms. :
Cambridge, S. John's Coll. B 9. \ oir Romania, Vlll, 820. Premier vers :
Li proverbes au vilein disf .
Paulin (Saint), évèqne de Noie.
I. Vie en vers octosyllabiques, qui fait partie du poème connu .^oiis le nom
de Vie des anciens Pères'^^K Nombreux manuscrits érmmérés dans Romania, XIII,
!j34; cf. Notices et extraits ,XX\lll , ^partie, p. 66, et XXXIV, 1" partie, p. i56.
Extrait et analyse dans le Jahrbachjûr romanische iind englische Litcratar, VII, 4i5,
art. de M. Tobler. Premier vers :
Diex qui ses biens nous abandonne.
a. Vie en vers octosyllabiques, faisant partie du Tombelde Chartreuse (voir article
Alexis, n" à), publiée en extraits par l'abbé Desrociies : Extraits de plusieurs petits
poèmes écrits à la fin du xin' siècle par un prieur du Mont-Saint-Michel, p. i 2.
PiLATE.
Rédaction en vers octosyllabiques d'une légende latine, composée vers la fin du
XI!* siècle au plus tôt, où est contée l'histoire de Pilate depuis sa naissance jusqu'au
crucifiement de Jésus'*'. Ms. : Turin, Bibl. nat. , L 11 1 A , fol. ôyS. Edition : A. Graf,
Roma nella memoiia e nelle imatfinazioni del medio evo, 1 , 4 1 6. Premiers vers :
N'est pas buiscus, ains fait bone oevre
Li Iroveres qui sa bouche oeuvre
De bonne trouve[û]re dire'*'.
Quentin (Sajnt).
I. Vie en vers octosyllabiques, par Hue de Cambrai, xiii" siècle. Ms. : Bibl. nat.,
fr. 6447, fol. 3o8. Extrait dans Notices et extraits, XXXV, p. ôo6. Premiers vers :
Li recorders et li descrires
Des griés tormens et des martyres.
'■) \oir Hist. litt. de la Fr. , XIX, 857, et ci-
dessus, p. 256. — La vie de saint Paulin e^t
le n° 33 de la table de la Vie des anciens Pères
dressée par Alfred VVeber dans ses Handsclirift-
liche Stttdien (Frauenfeld, 1876), p. 12.
''' Cette légende latine se rencontre en di-
vers manuscrits du xui* et du xiv° siècle, dont
quelques-uns ont été indiques par E. Du Meril ,
Poésies pop. lut. du moyen âge (Paris, 1847),
p. 358, note. Du Méril en a publie, p. 359 et
suîv. , une version française en prose d'après le
ms. Bibl. nat. fr. i553. La légende latine est
reproduite en abrégé par Jacques de Varazze
dans sa Légende dorée, ch. lui, De passione
Domini, éd. Grasse, p. 23i («Fuit quidam rex
Tyrus nomine.. . »); la suite dans le ch. Lxvn,
De S. Jucoho upostolo , p. 299 (« Vldens Pilatus
quia Jesum innocentem condemnaverat . . . •).
''' Il est intéressant de noter que les six pre-
miers vers de ce poème sont empruntés litté-
ralement au début du Tournoiement Antecrist
de Huon de Méri.
374 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FMNÇAIS.
a. Vie en quatrains de vers alexandrins (169 quatrains). Fin du \ni' siècle ou
commencement du xiv'. Ms. : Bibl. nat., fr. aSi 17, foi. 228. Edition : Une Vie de
saint Quentin en vers français du moyen âge jjubliée et annotée par Werncr
Sôderhjeim ( Heisingfors , 1902), dans les Mémoires delà Société néo-phihlofjique de
Helsinçjfors , t. III. Premier vers :
Douce gent, je vous pri que vous vous veilliez taire.
3. Vie en vers octosyllabiques, qui paraît avoir été composée pour senir de lé-
gende à une histoire en images du saint. Le seul manuscrit coimu est un rouleau de
parchemin de 1 7 mètres de longueur, écrit et peint dans la première moitié du
xv' siècle. Édition : Vie de saint Quentin , d'après an ms. conservé aux archives de
r église Saint-Quentin , à Louvain, publ. par Adolphe Everaerts (Louvain, 187/4).
Premier veis :
Au tems de Dyocletien.
Reine (Sainte).
Vie en strophes de onze vers de dix syllabes (62 strophes), par Jean Piquelin,
« chapellain de la Saincte Chapelle du palais royal, à Paris». Fin du xv" siècle.
Deux éditions gothiques (Paris, Nicole de La Barre, i5oo; Troyes, Jehan Lecoq,
s. d. , 16 ff.). Voir E. Picot, Catal. de la Bibliothèque James de Rothschild, 1, 286.
Premier vers :
Noble Dame de vertus décorée.
Remi (Saint).
Vie en vers octosyllabiques à rimes léonines, par Richier. Fin du xiii' siècle.
Mss. : Bibl. roy. de Belgique, 5365 et 6^09. Ces deux manuscrits ont fait partie de
la bibliothèque de Charles V; ie .«econd paraît avoir appartenu antérieurement
à celle de Philippe le Long*". Extraits dans Notices et extraits, XXXV, p. 1 1 .
Premier vers :
La clarté qui France enlumine.
René (Saint), évêque d'Angers.
Vie en vers octosyllabiques composée à la fm du xv' siècle ou au commencerni-nf
du \vi'. Publiée en 1897, d'après une copie conservée à la bibliothèque d'Angers,
par l'abbé Urseau, dans la Revue des Facultés catholiques de l'Ouest, et en 1 899 par
M. .1. Denais, Monographie de la cathédrale d'Angers, p. 270 et .suiv. Premier vers :
, A tous chrestïen» soit notoire.
Richard (Saint), évêque de Chichester (+ 1 2r>3, canonisé en 1 262).
Vie en vers octosyllabiques, en deux livres, dont le second contient les miracles.
Ms. : Welbeck, Bibl. du duc de Portland, i C 1, fol. 222. Premiers vers :
Bon est de mettre ei] escril
Verni cunte de fet et dit.
Delisle, Le Cabinet des manutcrits . 111, SaS.
ï
l. LÉGENDES EN VERS. 375
Sauveur (Saint), ermiti-.
Vif en quatrains de vers alexandrins, xv" siècle. CVst l'histoire d'un lils voué au
diable par sa mère et délivré par l'intercession de la Vierge M;u'ie '. Ms. : Paris, Ar-
senal, "2 1 I 5, fol. 48. Edition : Ronmnia, XXXIII, i6o. Premier vers :
En l'onneur Jhesucrist, le roy de magesté.
SÉBASTIEN (Saint).
V ie en quatrains devers alexandrins, xiv' siècle. Ms. : Bibl. nat. , IV. i 555 , fol. 20 i .
Premier vers :
Jhesucrist, qui sur touz est vray fusicïen.
Seth, fils d'Adam.
La légende de Seth, ou de l'arbre dont fut faite la Croix, a été contée, avec
plus ou moins de détails, en plusieurs poèmes français. Mais nous ne connaissons
qu'un poème dont elle soit l'unique objet. Ce poème, en vers octosyllabiques, et com-
posé , vers le milieu du xui* siècle , en Angleterre , est transcrit dans le ins. 56 de Corp.
Chr. Coll., Cambridge, fol. 22 1 v°. Il est précédé de l'original latin [Post peccatum
Ade. . .). Premiers vers :
Après ke Adam fu getez
De paradyz pour ses pochez.
Silvestre (Saint).
Vie en vers octosyllabiques, qui se continue par une version, également en vers
octosyllabiques, de Ylnventio sancttp Crucis. Fin du xii' siècle ou commencement
du xiif. Ms. appartenant à M. le marquis de Villoutreys. Notice par M. L. Delisle,
Bibl. de l'École des chartes, LIX, 533. Deux cents vers environ du début sont pu-
bliés dans la Romania, XXVIII, 288 ; le texte complet est publié en appendice au Car-
tniaire de Saint-Laud; voir plus haut Croix (Invention de la sainte). Premier vers :
Qui de cuer i voldra entendre.
Thaïs (Sainte).
1. Vie on quatrains de vers alexandrins, tirée du Poème moral mentionné ci-
dessus, à l'article Moïse. La vie de sainte Thaïs commence avec le quatmin 120.
Premier vers :
D'une damine vul dire qui fut d'Egipte née.
2. Vie en vers octosyllabiques faisant partie de la Vie des anciens Pères^'^\ Extraits
et analyse dans le Jahrbach fur ivman. and enql. Literatar, VII, iog. Premier vers :
Ce n'est pas or quanque reluit.
3. Vie en vers alexandrins assez irréguliers , composée en Angleterre , au xiii* siècle ,
par Henri d'Arci, templier. Mss. : Londres, Musée brit. , Harley 2 2 53, fol. 21 v°;
Paris, Bibl. nat., fr. 2^862 , fol. 97 \°. Edition, d'après lems. de Paris, dans Notices
et extraits, XXXVI, 147; extrait du ms. de Londres, ibùL, 167. Premier vers :
Une dame fud ja ki ot a nun Thaisis.
''' (>'est en réalité, bien qu'on lise à la fin racles de la Vierge du P. Poncelet, n°' 3oo
Ëxplicit la vie saint Sauveur, un miracle de la et 638, 667, 127a, i558 [Analecta Bollun-
Vierge. On a de ce miracle plusieurs rédactions diana, t. XXI ).
latines et françaises; voir l'Index des Mi- ''' Voir ci-dessus, arl. Paulin.
376 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Théophile.
1 . Poème en vers octosyllabiques , composé en Angleterre à la fin du xii' siècle
par Adgar, dit Guillaume. Ms. : Musée brit., Egerton 6 i i , fol. 22. Éditions:
A.Weber, Zeitschrift f. wmaii. Philologie, I,53i ; G. Neuhaus, Ad(jar's Marienlecjenden
(Heilbronn, 1886), p. 82. Premiers vers :
Ainz ke la maie gent de Perse
Vindrent a Rume tant averse.
2. Poème en vers octosyllabiques, par Gautier de Coinci. Première moitié du
xm' siècle. Nombreux manuscrits. F^ditions : Jubinal , Œuvres de RatebeaJ, 1" éd. , III ,
p. 2A8; Poquel, Les Miracles de la sainte Vierge, col. 3o. Premier vers:
Pour ceus esbatre et déporter.
3. Poème en vers oclosyHabi(|ues, à rimes mêlées d'assonances, composé dans la
région lyonnaise au xiii" siècle. Mss. : Bibl. nat., fr. 423, fol. lolt v°; 818, fol. 70.
Edition : Bartsch, La langue et la littérature françaises depuis le ix' siècle jusqu'au
X!V' siècle, col. 46 1. Premiers vers :
Enceis qu'eussent cil de Perse
Rome destruite et déserte.
Thibaut (Saint), de Provins.
1 . Poème en vers octosyllabiques. xiii' siècle. Ms. : Bibl. nat. , fr. 24870, fol. 46.
Premier vers :
Or antandez, très douce gent.
2. Poème en quatrains monorimes de vers alexandrins composé, en 1267, par
Guillaume d'Oye, vicaire de Tremblins'". Même ms. , fol. 68. Premiers vers :
Les seignors anciains qui ont batailleor
Çai en arriers esté et de genz venquecr'*'.
Thomas (Saint), archevêque de Gantorbéry.
1. Poème en couplets de cinq vers alexandrins monorimes, composé, peu après
1172, par Gamier de Pont-Sainte-Maxence.Mss. : Cheltenbam , Bibl. Phillipps , 8 1 1 3 ,
fol. 16; Londres, Musée brit., Cotton, Domitien xi, fol. 28; Harl. 270, fol. i;
Oxford, Rawlinson G 64i, fol. 10 (fragment); Paris, Bibl. nat., fr. i35i3, fol. 1;
Welbeck , Bibl. du duc de Portland , i G j , fol. 9 ;W olfenbùttel , Bibliothèque ducale,
34.6, fol. I. F^ditions : Leben des h. Thomas von Canterbuij, ligg. von J. Bekker
(Berlin, i838, extrait des Mémoires de i'Acad. de Beriin), d'après le ms. de Wol-
'■' On lit à la fin de ce poème (fol. 107) : i adeplus est sanitatem de cartana, anno gracie
«Guillermus de Oye, dictus lleijons, tunctem- « M° ce* i.x* septimo, mense julio. »
« poris vicarius ecclesie Béate Marie de Trem- '*' Les premiers vers de ce poème et du
«blins, scripxit et, divino dictante llamine, de précédent sont transcrits dans I^'s Lapidaires
«lalino in romanum transtùlit, ob lionorem et français de Léonold Pi
• reverentiam beatî Theobaldi , cujus precibus j>. a4. 'nni ■ 11. '
annier (Paris, 188:) )
I. LIÎGENDES EN VERS. 377
fciibùltel; supplément, «i'après le ins. Harléicn et le ms. fie Paris, dans les Mém.
(le l'Ac. de Berlin, i8/i(), p. !ii. La vie de saint Thomas le inarlyr. . ., publ. par
ilippeau (Paris, i85c)). Voir Hisi. litt. de laFr., XXl[I, 367. Premier vers :
Tuit li fisicïen ne suiit adès bon mire.
2. Poème en sixains de vers de huit et de quatre syllabes (aataai), composé en
Angleterre, au commencement du xiii" siècle, par 'rère Benêt, d'après une vie latine.
Mss. : Cambridge, Clare Coll. Kk. /|. 8 (incomplet du début); Cheitenham,
Bibl. Phillipps 81 i3, loi. 1; Londres, Musée brit. , Cotton, Vespasien D iv,
fol. I àg v°; Vespasien B xiv, fol. gS v"; HaH. SyyS , fol. 1 ; Paris, Bibl. nat. , fr. 902,
fol. 129. Edition : FV. Michel, Chronique des dans de Normandie , lU , ^61 (Paris,
i844. Doc. ùje</.), d'après le ms.de Paris; variantes du ms. Harl., ibid., 6i5.
Voir Hist. litt. de la Fr., XXIIl, 383. Premier vers :
Al Deu loenge en son serviso.
3. Poème en vers octosyilabiques , composé dans la première moitié du xui° siècle
(vers 1220?), d'après la compilation latine connue sous le nom de Quadriloçjus. On
ne connaît de ce poème qu'un fragment consistant en quatre feuillets ornés de
riches miniatures, qui appartiennent à la faunlle Goethals-Vercruysse, de Courtrai.
Edition : Fragments d'une vie de saint Thomas de Cantorhéry en vers accouplés. . .
publiés par Paul Meyer, avec fac-similé en héliogravure de l'original (Paris, i885,
Soc. des anc. textes français).
Thomas Hélie (Le bienheureux), de Biville.
Poème en vers octosyilabiques répartis en paragraphes de longueur inégale, dont
chacun se termine par un proverbe. Le nom de l'auteur, donné sous forme énignia-
tique en deux vers latins, paraît avoir été Jean de Saint-Martin, xiv' siècle. Ms. : Bibi.
nat., fr. /(901 , fol. /ly (copie exécutée à la fin du xvii" siècle, d'après un original
perdu, par le curéToustain de Billy). Edition : Vie du bienheureux Thomas de Biville,
poème du xin' siècle, publié pour la première fois par F^. de Pontaumont, p. i/jy
(Cherbourg, 1868). Voir L. Delisle , Vie du bienheureiur Thomas Hélie de Biville (Cher-
bourg , 1 860 ) , p. 10; Hist. litt. de la Fr. , XXXI ,72. Premier vers :
Nous devons estre curions.
ToBlE.
Poème en vers octosyilabiques, composé au commencement du vm" siècle, à lu
demande de Guillaume, prieur de Kenilworth, probablement par Guillaume, clerc
normand. La première partie de ce poème (338 vers sur environ 1 /ion) est le déve-
loppement du verset Misericordia et Veritas obviaveruntsibi; Jastitki et Pax osculaLœ suni
(Ps. Lxxxiv, 11). Mss. : Oxford, Bodléienne, Rawiinson Poetry 22/1 (anc. Rawi.
Mise. 53/i), fol. 1; Jésus Coll. n" 29 (incomplet); Paris, Bibl. nat., fr. igSiô,
fol. 129. Édition : R. Reinsch, dans Archiv f. das Studium der neaeren Sprachcn,
LXII, 38o (d'après le ms. de Paris et le ms. de Jésus Coll.). Premier vers :
Cil qui semé bone semence {ms. de Paris).
Ki ke semé bonne semence {Rawiinson).
HIST. LITTÉB. XWIII. 48
378 LÉGENDKS HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Yves (Saint).
Poème en quatrains de vers alexandrins, xiv" siècle. Copie des \ingt-huit premiers
vQTs, dans un recueil manuscrit, Bibl. Sainte-Geneviève, 24, fol. i63. Voir Hùt.
litt. (le la Fr. , XXV, i 43. Premier vers :
A la digne loenge du père glorieux.
II. LÉGENDES EN PROSE.
Les légendes en prose française ont été écrites en vue d'un public
assez différent de celui à qui t taienl destinées les légendes en vers.
Ces dernières étaient faites pour être lues ou récitées à des auditeurs
le plus souvent illettrés, qu'on cherchait à édifier en même temps
qu'à intéresser. Les vies en prose s'adressent plutôt à des lecteurs, c'est-
à-dire à des personnes laïques sans doute, mais ayant toutefois une cer-
taine culture et le goût de l'instruction. Aussi se montrent-elles plus
tard que les rédactions en vers. Les écrits en prose obtenaient plus de
crédit, auprès des gens désireux de s'instruire, que les œuvres rimées,
préjugé favorable qui n'était pas toujours bien fondé, car, entre les
légendes en prose que nous possédons, il s'en trouve plusieurs qui,
loin d'être la reproduction fidèle de documents latins, ne sont rien de
plus que les rédactions dérimées de telle ou telle des légendes en
vers énumérées dans les pages précédentes. Tel est le cas pour certaines
vies de Barlaam et Josaphat, de saint Edouard le confesseur, de saint
Jacques de Galice, de saint Julien, de sainte Marie l'Egyptienne, de
sainte Geneviève. Mais ce sont là des exceptions. I^a plupart de nos
anciennes vies de saints en prose française sont traduites directement
du latin. Lorsqu'on leur aura consacré une étude détaillée, que nous
ne pouvons entreprendre ici, on reconnaîtra qu'elles sont l'œuvre de
nombreux traducteurs qui différaient par la méthode et par le style,
les uns s'en tenant au sens général, abrégeant les parties trop spé-
cialement théologiques, s'appliquant à mettre des récits édifiants ou
merveilleux à la portée d'un public médiocrement instruit; les autres,
plus exacts, mais en un certain sens moins intelligents, s'attachant
à rendre littéralement chaque mot du texte au détriment parfois de
la clarté et de faisance du style.
Il paraît bien certain que bon nombre de nos légendes en prose
n'ont jamais eu, pour ainsi parler, d'existence indépendante, qu'elles
II. LÉGENDES EN PROSE. 379
ont été mises en français, non pour être publiées isolément, mais pour
former des collections ha<,nographiqnes, de véritables légendiers. Ces
légendiers, nous les étudierons plus loin, et nous lâcherons de les ré-
partiren classes plus ou moins caractérisées. Nous verrons que, tout
en renfermant des éléments communs, ils varient beaucoup pour la
composition et pour l'étendue. L'un d'eux, que nous rangeons parmi
les plus anciens, ne comprend que quatorze légendes; un légendier
d'Oxford, qui parait avoir été formé au xiv" siècle, n'en contient pas
moins de cent cinq. Mais, en dehors d'un fonds de légendes qui, dès
l'origine, apparaissent groupées, il existe plusieurs vies que nous
savons avoir été publiées à part. Nous les rencontrons, en effet, dans
cette condition en divers manuscrits, ce qui n'empêche nullement
({u'elles aient pu, par suite, prendre place dans tel ou tel légendier.
C'est de celles-là que nous nous occuperons en premier lieu, parce
qu'elles sont ordinairement les premières qu'on ait mises en prose
française, et nous chercherons d'abord à fixer l'époque où elles
parurent.
VERSIONS DE LÉGENDES ISOLÉES.
L'usage de traduire en prose les vies des saints paraît s'être intro-
duit dans les pays de langue française dès les premières années du
xiii" siècle, peut-être un peu plus tôt, selon l'interprétation que l'on
donnera à un témoignagedu chroniqueur Lambert d'Ardres, qui sera
cité plus loin. Le commencement du xuf siècle est l'époque où la prose
française prend son essor, où on femploie pour des traductions ou
même pour des compositions originales que jusqu'alors on avait cou-
tume de rédiger en vers. Au xii" siècle, la prose n'est représentée
que par un petit nombre d'écrits : les anciennes versions du Psautier,
qu'on ne peut guère faire remonter au delà de i i5o; la traduction
des Livres des Rois, un peu plus récente; une ancienne description
de Jérusalem, qui, en sa première rédaction, est antérieure à la
prise de la sainte cité (i 187); la chronique d'Ernoul, composée vers
1 190, où est contée la chute du royaume franc de Palestine, et sans
doute d'autres compositions dont la date ne peut être déterminée.
Mais, dès le commencement du xiii'' siècle, nous voyons paraître
successivement trois traductions de la chronique du Pseudo-Turpin,
les récits de Villehardouin et de l»obert de Clari sur la quatrième
à8.
380 LIKîEiNDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
croisade, les traductions ou compilations de Wauchier de Denain, sans
parler de divers ouvrages anonymes qu'il semble légitime, malgré
l'absence de données précises, de rapporter au même temps. C'est
également au commencement du xiii" siècle qu'ont été traduites
les premières vies de saints en prose française qui nous sont par-
venues. Peut-être même y en eut-il d'antérieures. Le chroniqueur
Lambert d'Ardres rapporte que le comte de Guines et d'Ardres Bau-
douin Il (ti2o6), au temps où il possédait le comté d'Ardres,
c'est-à-diro entre 1176 et ii8i*'\ avait fait faire par un «maître
M Landri de Waben », d'ailleurs inconnu '"^^ une traduction en roman
i^de latino in romanvm) du Cantique des Cantiques'^' et se la faisait sou-
vent lire. Le chroniqueur ajoute que le même seigneur avait appris par
cœur les évangiles des dimanches, accompagnés de sermons appro-
priés*'*', et la vie de saint Antoine habilement traduite'^'. Cette vie
de saint Antoine semble perdue. Nous ignorons même si elle était
en vers ou en prose. Dans le second cas, elle serait plus ancienne
qu'aucune des versions en prose de vies de saints que nous possédons.
Los premières versions en prose d'écrits hagiographiques qui nous
soient parvenues sont très probablement celles que nous devons à
deux auteurs dont nous connaissons le nom et ies écrits : Wauchier
de Denain, dont nous avons parlé précédemment, et un certain
'*' André Ducliesne, Hisl. généal. des mai-
sons de Guines, d'Ardres... (Paris, i63i),
''' Ce Londri est mentionné dans VHisl. lût.
de la Vr. , XV, 5o i , d'après le texte de Lambert
d'Ardres, cité par André Ducliesne, mais c'est
à tort que nos devanciers l'ont appelé « Landri
"de Valognes». L
lieu de Wahanio.
"de Valognes». Duchesne avait lu Vaaianio au
"PI"
itlu
''^' On a identifié cette version du Canliipie
avec une version poétique du même livre que
nous a conservée un manuscrit du Mans(J. Bon-
nard. Les traductions de la Bible en vers français
an moyen âge, p. iSa; H. Suciiier, Zeitschrijt
f. rom. Philologie, VllI, 4» 4)- Mais cette iden-
tification est fort douteuse, car le texte de
Lambert d'Ardres ne nous dit pas que la tra-
duction exécutée par Landri fût en vers.
'*' 11 existe, sous le titre de Miroir, une
version en vers des évangiles des dimanches,
accompagnés de sermons et d'exemples (voir
Romania , XV, 296 et suiv., XXXll, 29 et suiv.).
Mais c'est l'oeuvre d'un Anglais appelé Robert
de Gretham , et elle ne peut être identifier
avec celle dont parle le chroniqueur.
'*' «Sed, cum omnem omnium scientiam
« avidissime amplecteretur et omnem omnium
« scienliam corde tenus retinere nequivisset ,
• vinim eruditissimum magistrum Landericum
«de Wabbanio, dum Ardcnsis honoris preesset
« conies doniinio, Canticuni (]anlicorum, non
« solum ad lilterain , sed ad mvsticani spiritualis
«interprelationisinlelligeiitiam.de ialino in ro-
• manum, ut eorum mvslicam virtutem saperet
«et intelligeret, Iransferre sibi et sepius ante
«s(' légère fccit. Evangelia quoque plurima, et
• maxime dominicalia , cum sermonlbus conve-
■ nientibus, vitflm quoque sancti Anthonii mo-
«nachi, a <|uodam Alfrido diligenter interpre-
« talam, diligenter didicil.» (Edition du M" de
(îoderrov-Ménilglaise,p. lyS: Pcrt7.,Scri^Jorp.«,
.\XIV, 598.)
II. LEGENDES EN PROSE.
381
Pierre, vivant en Beauvaisis, qui composa divers ouvrages pour
levêque de Beau vais Philippe de Dreux (+ 1217)*'' et pour un
seigneur picard appelé Guillaume de Cayeux'-'. Ce Pierre, qu'il paraît
légitime d'appeler Pierre de Beauvais, pour le distinguer de ses nom-
breux homonymes, traduisit, en 1212, par ordre de la comtesse
Yolant, femme de Hugues Champ d'Avesne, comte de Saint-Pol'^', le
IJber de miraciiUs S. Jacobi ( saint Jacques le Majeur ou de Compos-
telle), livre publié au xii'' siècle, sous le nom du pape Calixte 11 -'', par
un Poitevin nommé Aimeri Picaud, dans une compilation où figurent
divers documents apocryphes destinés à confirmer l'attribution du
livre au ])ape Calixte. En tête de sa translation, Pierre a placé une
série d'introduction dont il a emprunté les éléments aux récils qu'il
traduisait'^'. Cette version du Livre des miracles de saint Jacques le
Majeur n'est pas entrée dans les recueils de légendes dont nous par-
lerons plus loin : une autre traduction, probablement un peu moins
ancienne, y a pris place. Toutefois le travail de Pierre devait être
rappelé, puisqu'il est assurément l'une des plus anciennes traduc-
tions en prose française d'une œuvre hagiographique dont nous ayons
connaissance.
Nous pouvons encore ranger parmi les légendes en français pu-
bliées isolément, et avant le temps où paraissent les premiers lé-
gendiers, une vie en prose do saint Eustache, qui parait avoir joui
d'un grand succès, si on en juge par le nombre relativement consi-
dérable des copies qui nous l'ont conservée. La vie de saint Eustache,
''' Voir j\otices et extraits des manuscrits,
XXXIII, 1" partie, p. 9-18 et 23-48.
<*' G. Paris, dans Romania, XXI, 263. —
Guillaume de Cayeux prit part à la troisième
croisade pomme homme de Richard 1". Il est,
à cette occasion , mentionné à pliisieui's reprises
dans VEstoire de la guerre sainte d'Ambroise
( voir l'cdif ion de G. Paris, àla lable des noms).
Il l'ut fait prisonnier à Bouviiies et bientôt
remis en liberté. On ne connaît pas la date
de sa mort. Comme il figure dans l'Histoire de
Guillaume le Maréchal (v. 4538) avant 1 183,
il y aurait peu de vraisemblance à lui attribuer
un acte de i23o, émanant d'un seigneur du
même nom, qui est conservé dans le Trésor
des chartes (Teulet, Lavettes, 11° 2099). Ce der-
nier est plus probablement le lils du croise
de I 190.
'^' Cette Yolant est la «comtesse Yolant» à
qui fut dédié le roman de Guillaume de Palerne ,
et non |)as, comme on l'a supposé ici-méme
(XXII, 839), la comtesse de Nevrrs Yolant, qui
vivait dans la seconde moitié du xiii' siècle.
'' Sur la fausseté de cette attribution , voir
Hist lin. de la Fr., X, 532 et suiv. ; Delisle,
}tote sur le recueil intitulé « De miraculis suncti
«./rtcoAi»,dans le Cabinet historique , 1' série. Il
(1878), p. 1-9; Friedel, Etudes compostellanes ,
1 [Otia Mersciana, Liverpool, 1899 j.
''' Voir, sur la version de Pierre , A otices et
extraits des manuscrits, XXXIII, 1" partie,
p. 23-3o.
382 I.KCENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FMNÇAIS.
dont l'original est grec, est un pieux roman plein des plus émou-
vantes péripéties. On a vu plus haut que, de la lin rlu xii'' siècle
jusqu'au \v% on en avait fait jusqu'à onze versions riniées. On ne
sera pas surpris d'apprendre qu'elle a été au moins quatre lois tra-
duite en prose. Entre ces versions en prose il en est une qui doit être
mentionnée présentement, parce qu'elle se rencontre, copiée à part,
dès le milieu du xin* siècle environ. C'est en effet à celle époque que
nous attribuons le ms. B. N. fr. 2^64, où elle a pris place entre une
vie de saint Denis, dont nous parlerons j)lus loin, et une ancienne
traduction du Pseudo-Turpin. Elle n'a été admise que dans un petit
nombre de nos anciens légendiers*'', la plupart de ces recueils ayant
préféré une autre version. L'auteur de la traduction que nous vou-
lons, faire connaître écrit d'un style alerte et familier, émaillé de
locutions populaires qu'on n'a pas coutume de rencontrer dans les
(i3uvres de ce genre. C'est qu'il s'adresse à des auditeurs, non à des
lecteurs. Sa vie de saint Eustache est faite pour être lue ou récitée à
haute voix devant un auditoire avide de récits merveilleux. Nous en
transcrivons c[uelques extraits d'après le ms. fr. 2 464, donnant en
note, pour aider à la comparaison, les premières lignes de la vie
lat
me
{•■!)
''' Bibiiotlièqiie Sainte -Geneviève 588,
fol. io6 d ; Musée Conde 456 , fol. 89 v°; Bibl.
Phillipps , art. 3o (voir Notices et extraits , XXXV,
1" partie, p. 189); Lyon 772 (Bull, de la
Soc. (les une. textes, i885, p. 64); B. 'H.
fr. i83, ari. 73; fr. i85, art. 48; Mus. brit.,
Add. 17275, art. 38 (pour les trois derniers
de ces manuscrits voir Notice sur trois légendiers
français attribués à Jean Belet , dans Notices et
<;j;trai<J, XXXVl, 43o, 47a, 483); Bruxelles
9236, fol. 33o; Oxford, Queen's Coll. 3o5,
fol. 122 d.
''' Mombritius, Sanciuarium , cf. AA. SS..
sept. VI, 123 (20 septembre). Çà et là nous
corrigeons ou complétons le texte à l'aide du
ms. B. N. lat. 5577 (x' siècle) :
In difbiis Trajani imperatoris, <la;moniiin pra;-
valente failacia, crat magister niiiitum nomine Pla-
ridus, gcnere seciiiuluni carnem insignis, opibus
|>ollcns, sed da;nioiiuin scrvitio rapliis.opvribusvi'ru
et justitia tunctis virtutiim eral prtulilus iucrili< :
sukveniebat oppressis, patrocinaliatiir gravatis in
judicio; pliires etiam a judicibiis injuste damnalos
relcvabat; surdos vesliebat [.esuricntes satiabal'*'],
et, ut vere diram, cunrtis indigcntibus in vila sua
dispensans, sicut in Aclibus aposlolorum legilur, ni
fitiani in bis leniporibusCornolins vidcrctnr. liabi'hal
vppo et conjugem eadem sub d.Tnionum ruiliu'a
fîxistcntem, sed siniilem moribus marili senti'nlia-.
Pro<n'antur ei fdii duo quos edncabant parcs priipria
\olunlate. Erat vero nobilis in justitia et |H>t<>ns in
U'Ho, ni et ipsi Barbari sulyugarenlur ab 00. Eral
cnim venatione induslrius omnibus dicbus. S'd
niisericors et benignus e"' Deus , qui semper et ubiqnc
ad se sibi dignos vocal, non dcspexit hujus n|)era
nec voUiit Ix-nignani et Deo dignam nicnteni sine
niercede <lespri idolâtrie ronleclam lenebri», s<hI,
sccunduni quod srriptum ost quo<l « in omni génie
a qui operatur justitiam accoptus est ei » [AcT, x , >35] ,
|K!rvi'nit ad islum benigna misericordia et euni
salvari lali \ohut modo (°' . . .
■' R(!-tabli d'oprèslf ms. lai. S577. — '''' Mombritius: «.
• hoc modo».
induslrius, ac benignus •
'"^ Mombritius ; tsatvari vull
ri. ij:(;em)es en prose. 383
Voici le commencement de la version française (B. N. fr. i/jGA,
loi. /il):
Au tons ïrajan l'eiiipt-ieor, ([ue deablos avoit grant force et grant pooir, que par
lui qup par ses nienistres, [fu"'] uns hom, mestres de chevaliers et de grant lignage,
Placidas par non , et de grant richesce, honorez sor toz les autres; mes un poi i ot de!
poil de! leu'*', car il estoit en error et en mescreance. Ce estoil domages, si vos
(lirai por quoi. Il secoroit toz cels (pii avoient niestier de secors; il aidoit toz cels
qui avoient niestier d'aide, cels qui estoient grevez en jugement, les forsjugiez et
les dampnez a tort; il rclevoit de son avoir les povres; il revestoit les nuz; il
rt'peissoit les famelleus; il departoit de ses viez choses. Il sembloit ja au tens de lores
(lorniile io preudoine que saint Pierres'^' converti. Il avoit terne d'autretel manière,
(jui meut li resembloit bien de bones tcches et de bones mors. Mes ele estoit ausi
en error et aoroit les ydres. Cil dui avoient .ij. enfanz qu'il norrissoient d'un cuer
et d'une volenté. Encor vos di plus de lui qu'il estoit bons en guerre et bons en
justice, si qu'il metoit toz ses anemis au desoz, et toz Barbarins metoit il neis soz
pies. De chiens et d'oiseaus savoit il qant (pi'il en estoit, de bois, de rivière et de
gibecier'*'; en ce s'estudioit il chascun jor. Mes Nostre Siies, li pius, li deboneres,
qui bien set et voit les quex il doit a soi apeler et atrere, n'ot mie vn despit les
bones oevres del haut home, ne le bon cuer qu'il avoit el ventre, et encor estoit
coverz de la nue d'error et de mescreance. H nel vost mie lessier sanz guerredon,
car, si coiue l'Escinture dist : « En totes manières de genz tpii I)eu croient et aiment
« et qui béent a droit et a reison, il plest'*' bien a Nostre Seignor »; et por ce ot il pitié
del haut home et le vost sauver en tel manere que je vos dirai.
Un jor avint qu'il s'en issi, si com il avoit en us et en costume, as montaignes
por chacier a tôt son esforz, a tôt son baudoire'*', a tôt grant compaignie de che-
valliers, et vit tantost devant ses ielz une grant assemblée de cers cpii peissoient, et
il tantost de l'atirier ses compaignons par torbes et par eschieles; si corut grant
aleiire après les cerz. Que que li chevalier entendoient a la chace et a la prise, ez vos
un cerf plus bel et plus grant que tuit li autre, et s'en vint par devant lui, et se
parti de la compaignie as autres , et se feri el bois la dedenz , la ou il estoit plus espès.
Placidas le vit, qui moût le covoita, et leissa toz ses compaignons; si corut après a
mesniée escherie. Tuit cil se lassèrent et recrurent qui avec lui estoient; mes il ne
'"' Ce mot , que nous restituons d'après dans le ms. de Lyon : » mais grant defaute
d'autres manuscrits , manque aussi dans la copie avoit en lui. »
de Lyon 772. !'^' Saint Pot, dans 2/16^; cf. les Actes des
''' Locution populaire qui est souvent em- apôtres, ch. x.
))l()yée pour dire (|u'il y a soupçon de trahison. '*' S.-Gen. et de herser et de gibier. — Le
Ainsi dans le Ménestrel de Beinis (éd. N. de traducteur a longuement paraphrasé ces mots
VNailly, S 383) : «Adès avra il en Templiers du texte latin: « Erat venatione industrius om-
« dou poil dou leu » ; mais ici , comme eu d'autres « nibus diebus. »
exemples, le sens est plutôt :« il y eut (chez *^' S.-Gen. Toute manière .. . il plaisent.
« Eustache) un défaut, une tache. «Cette locution '"' S.-Gen. baudaire; lalin cum omni exercitu
a [)aru trop familière à certains copistes. Ainsi " el gloria.
38^1 LKGENI)P:S Il\(ilO(;UAPIIIQLES KN FRANÇAIS.
i'u ne las ne recrcûz, ainz fist to/. jorz sa cliace, si coni Dous le vost , ne ses chevax
ne recrat ; ne [ne] leissa [a] aler par les broces ne par essarz ne par espiiies après le cerl ,
et ja fu H cerz nnout esloigniez de tote la conipaignie , et s'en monta sor une roche en
haut; si s'aresta et estut iluec.
Li mestres des chevaliers s'aprocha tôt sanz sa conipaignie, et regarda tôt entor
soi et environ ; si devisoit en (|uel manière il poïst ce! cerf prendre ; mes cil qui a
tôt le sens et tôt le savoir, ])ar sa douçor et par sa miséricorde porchaça et cliaca
celui qui le cerf chaçoit , et hersa celui qui lecerf voloit herser, par soi meïsme, non
par autrui, ne mie si com il converti Cornille, le liai home, parla houche saint
Père, mes si com il converti saint Pol par sa demostrance. Placidas s'estut [iluec]
longuement et se merveilloit de la grandor et de la heauté del cerf, mes sanz et
pooir li falloit del prendre. Ensi estoit tôt pris (f. /|3) de ce qu'il nel pooit prendre;
mes Nostre Sires li mostra lores qu'il ne montast en Fauvel '", et qu'il n'encharchast
chose ne n'enpreïst dont il ne [se] poïst chevir. Et tôt ainsi com il fist fasnesse parler
desoz Balan , et reprendre le vassal de sa musai'die , tôt autressi mostra il a cestui ,
entre les cornes del cerf, le signe de la verale croiz plus cler et plus resplendissant
<[ue H rais del soleil, et en mileu des cornes l'image nostre seignor Jhesu Crist,
(|ui fist le cerf parler en guise d'ome; et apela Placidain, si li dist : « Placidas, por
« quoi vas tu encontre moi? tpie me demandes tu? Voiz [que] por l'amorde toi sui je
« venuz en ceste heste, ([ue tu [me] voies et que tu ine conoisses. Je sui '^' Jhesucrist,
ic que tu sers , et si n'en sez mot. Je ai hien veù les aumônes que tu lez chascun jor as
« povres et as hesoigneus. Or me sui venuz a toi mostrer par cest cerf. Tu hées a la
« prise del cerf, et je hé a fere de toi ma proie. Tu ne lieras ne ne prendras le cerf,
« mes je t'en menrai pris et lié, que il n'est droiz ne reisons que mes amis, qui tant a
« fet de hones oevres , serve dès or en avant les deahles , ne qu'il aort les ydres qui n'ont
« ne sens ne savoir, ne secors n'aide ne puent fere; et por ce ving ge en terre le
n monde sauver en tel semhlance come tu puez veoir. »
Quant li mestre des chevaliers oï le cerf, qu'il cuida que a lui parlast ^^\ si fu
si eshahiz et ot si grant peor qu'il chai de sus son palefroi a terre. Quant ii fu re-
venuz et il ot son cuer repris, il se dreça et vost veoir plus ententivement la mer-
veille qui li estoit appareûe. Si di.st entre ses denz : « Quel merveille et quelle vision
« est ce cpii m'est apareùe? » Et dist : « Beau sire, descuevre moi et demostre ce que.
« tu diz, se tu velz que je croie en toi. » Lors li dist Nostre Sires : * Entent a moi,
« Placidas, je sui Jhesu Crist cjui de noient fis ie ciel et la terre, et les .iiij. elemenz
« en .iiij. leus mis. Je fis le jor, je fis la nuit, je fis clarté, je fis teniehres, je fis l'auhe
« crevant et le soleil raiant, je fis la lune por la nuit anlumineir et les estoiles por le
« ciel atorner. Je estahli le tens et les anz et les jorz et les mois. Je fui cil qui forma
« home de terre. Je fui crucifiez et enseveliz, et resuscitai au tierz jor de mort a vie. »
'•' «Chevaucher Fauvel » est une expression • entreprise «; il y a dans le latin : Demonslral
bien connue qui signilie « tromper, user de per- illi Deas jadicinm taie non teniere neque supra
«fidici; voir A. Tobler, Comptes rendus de stiw virtatis marjniludint'm. Cf. monter au baiard
l'Acad. de Berlin, 1883, p. 5/ia, et Hist. litt. dans YHist. (le Gutll. le Maréchal, v. 538/i.
de la Fr., XXXII, 110. Ici le sens parait être '*' S.-Gen. et que tu connaisses que je sui.
plutôt «s'embarquer témérairement dans une '"' Le copiste ajoute, par erreur, »i ot.
II. LKCÎENOES EN PROSE. 385
De temps à autre le traducteur introduit dans son texte certains
commentaires de sa façon. Ainsi le mot arena lui a fourni la matière
des explications qui suivent :
[Fol. 58) Quant ce vit li tiraiiz qu'il ne les porroit escroUer ne giter de ior
créance, il conienda (ju'il lussent tuit quatre mené en l'areine, et qu'en Ior leissasl
corre un lion sauvage. L'areinne si estoit une grant place en Rome ou li vallet jooient
a l'escreniie, et les damoiseles i faisoient Ior bauz et Ior queroles, li damoisel i
poignoient Ior clievax, li champion i donoient les cox l'empereor, et li bachelcr
i jooient a l'escreniie , as boreaus et as talevaz. Por tex jeus et por autres s'asem-
bloient iluec as lestes cil de la cité.
Nousavous cru utile de donner quelques extraits de la vie de saint
Eustache parce qu'elle présente des particularités de style que noiis^
n'avons pas rencontrées ailleurs et qu'elle est, en somme, un docu-
ment intéressant et, pour une traduction, assez original, de la prose
française dans la ])remière moitié du xiii^ siècle. Nous traiterons plus
sommairement de quelques autres légendes françaises, un peu moins
anciennes peut-être, mais qui, pourtant, ne peuvent guère être pos-
térieures au milieu du xiii" siècle.
Le manuscrit fr. 2464, d'après lequel nous venons de donner
quelques extraits de la vie de saint Eustache, renferme encore, nous
l'avons dit, une vie de saint Denis, traduite de la légende rédigée ])ar
l'abbé Hilduin'"', dont il convient de ])arler ici; car, de même que
celle de saint Eustache, elle fut écrite pour former un livre à part, ef
n'a été introduite que tardivement dans certains de nos légendiers.
Nous ne savons ni par qui ni exactement à quelle époque elle a été
mise en français. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'elle est
antérieure à i 2 5o. Nous la trouvons, en effet, dans un manuscrit très
richement enluminé, qui fut exécuté à cette époque, et dans le mo-
naslère même de Saint-Denis'"^*. Elle se rencontre encore, soit isolée,
soit jointe à des compositions d'un tout autre caractère, en plusieurs
manuscrits du xiif au xv'' siècle'^'. Les légendiers proprement dits
'') Voir Hist. llU. (le la lu:, IV, 610; Mo- ''' Paris. B. N. fr. 696 (manuscrit fait à
iinier. Les sources de riiisl.de lù: , l, 2i. Saint-L)enis), io4o, iiGi, i35o2, i gôSo ;
'*' \o\r]ielislc , ^'olice sur un liera à peintures Troycs, ig55; Londres, Musée brit., Add.
exécuté en 12.')0 dans l'ahhave de Saint-Denis i.5'Jo6 {\oiv Romanin , VF, 27); Harl. /i/|0(),
{Bibl. de l'École des chartes^ XXXVJII, 444). fol. 3.
HIST. MTTKR. XXXHI. 40
386 LÉGENDES HAGIOGR\PHIQUES EN FRANÇAIS.
où elle a pris place sont peu nombreux ''', ces recueils ayant géné-
ralement adopté une autre traduction plus littérale de l'œuvre de
l'abbé Hilduin ^'K
Notre vie française de saint Denis n'est pas la traduction pure et
simple de l'ouvrage de Hilduin : le traducteur y a joint divers mor-
ceaux relatifs à saint Denis, dont le détail a été donné par M. Delisle
dans l'article précité '^'. (l'est du reste ce qu'il nous apprend à la fin
d'un prologue qui ne paraît s'être conservé que dans un manuscrit,
le n" 696 du fonds français de notre Bibliothèque nationale. Nous
crovons utile de reproduire ici ce prologue, avec les premières lignes
de la vie proprement dite :
Mi seigneur et mi compaignon, vosire conmandeinent et voz prières m'ont sou-
ventes loiz contraint, et encor contraignent de jour en jour, a faire et a ordcner nous
aucun tretié ou aucune bêle istoire qui vous soient plesanta oïr; mes, pour la peti-
tece de mon engin, je ne vous puis rien 1ère de moi, ainz convient encor, se je le
puis fere, c|ue je preingne en bouche d'autrui et de plus sages de moi ce que je vous
baudroi. Si me vue! esforcier et cntremetre de traire vous de latin en IVançois , de
piuseurs volumes, chose qui plesaiit et bone est a oïr a touz ceux qui bien vivent
et honeslement en la foi crestienne, especiaument a nous touz qui sommes nez et
estraiz du roiaume de France. Si n'i a rien que pure vérité. Si pourrez en cete
liuevre voier moût de beaus faiz et de loables, et moût de mavais. Si fait bon tout
(jïr : les bones huevres pour fere les et pour demorer i par bon essample, les mau-
veses pour foïr les et eschiver. Et tout autresi conme missires sainz Denises fu
chief et patrons de France, et par lui furent noz anciens pères entroduiz, et nos
après, en la foi crestienne, tout aussi vuell je, a l'aide dou Pcre et du Fil'*' et du
Saint Esperit, de ses faiz et de sa glorieuse passion et de ses compaignons fere chief
de coronne et conmencement de cete huevre. Et por ce que aucuns ne cuideroient
pas, par aventure, que aucun glorieus martir et confesser et aucunes glorieuses
virges reposassent en l'église dou precious martir monseigneur saint Denis, se il
ne savoient la reson et la manière conment il i furent aporlé, le me covient chou-
chier en ceste huevre après les fèz et la glorieuse passion dou très beneiiré martir
monseigneur saint Denis et après l'invention de li et de ses compaignons, et après
aucuns miracles que Nostre Sire fist por lui ou lieu ou il est ore en cors ensepou-
turez honorablement. Si conmencerai einsi eu non de la sainte Trinité, amen.
''' Sainle-Geneviève, 588, foi. 89; Musée ferment aussi la vie de saint Eustache dont on
Condé 456, fol. 77; Bil)l. Phillipjis 366o, on a parlé ci-dessus, p. 38a, note i.
art. 26 [Notices et extraits, XXXV, 189); '*' Voir Notices et extraits, XXXV, 48i
deux des trois légendiers qui portent le nom (notice du ms. B._N. fr. 6447).
(le Jean Belcl [Notices et extraits, XXXVI, C' Bihl. de l'École îles chartes, XXXVIII,
43o); Oxford, Queen's Coll. 3o5, fol. 94 d. Il 4.53.
est à remarquer que tous ces manuscrits ren- <*' Ainsi corrigé; première leçon fin:.
H. LEGENDES EN PROSE. 387
Ici comencent lifet et la passion monseigneur saint Denis.
Après la preciose mort que nostro sires Jhesii Cri/., virais Deu\ et verais home,
vout souirrir en la veraie croii! pour le salu de monde, et après sa resurrercion et sa
glorieuse ascenssion es sainz cielx ou il siet a la destie sou père, la doctrine et 11
preeschemenz des apostres s'espandi et s'estendi par toutes terres et parvint a toutes
manières de gent. . . .
Si l'on considère que ie manuscrit 696 a été exécuté à Saint-Denis,
on sera sans doute porté à croire que le traducteur de celte compi-
lation relative au saint qui était regardé conime le patron du royaume
de France''^ était un moine de l'abbaye fondée en l'Iionneur de ce
saint, et que, par ces mots du début «Mi seij^neur et mi compai-
'< o^ion », il désigne son abbé et ses confrères.
Entre les légendes en prose française qui ont été pidjliées isolément ,
soit vers le temps où ont paru les premiers légendiers, soit même
à une époque plus ancienne, il faut compter encore celles de saint
Brendan, de saint Julien, de saint Jacques de Galice, de sainte Marie-
Madeleine, de Barlaam et Josapliat, de saint Patrice, de saint Vast,
de l'Antéchrist, ime version de l'Evangile de Nicodème, etc.
Nous possédons deux versions en prose de la légende latine de saint
Brendan ( Vifa ou JSavùjado sancti Bremiani). L'une d'elles, qui est assez
libre, se rencontre en un grand nombre de légendiers français, comme
ou le verra dans la suite de cette notice; l'autre, beaucoup plus exacte,
ne nous a été conservée que dans le manuscrit B. N. fr. i553, qui est
un vaste recueil d'ouvrages variés, la plupart en vers, (^elle-ci a été
publiée deux fois, d'abord par A. Jubinal''^', puis, récemment,, pai-
M. \^ahlund'^'. Le manuscrit a été exécuté en 12 85; la version nous
paraît sensiblement antérieure à cette date, mais, alors même qu'elle
serait postérieure au milieu du xiii* siècle, époque où apparaissent nos
plus anciens légendiers, elle n'en devrait pas moins être mentionnée
ici puisqu'elle n'a été admise en aucun recueil de légendes françaises.
'*' Voir L. Dellsle , iVoticei e< extraits , XXI , Nat.-Bibl. fr. 1553, von neuem, mit Einlei-
3' partie, p. aSo-i. tung, lat. und altfrz. Parallel-Texten , Anmer
''' La leyendc lutine de saint Brandaines, avec kungen und Giossar, hgg. von Prof. D' Cari
nue traduction inédite en prose et en poésie ro- VVahlund ( Upsala , Almqvist u. Wiksell , ujoi).
mânes (Paris, i836). Le texte du ins. iâ33 occupe, dans cette édi-
'^' Die altfranzôsische Prosaûbersetznnr/ von tion, les pages .3 à loi. En regard est imprimé
Brendans Meerfakrt, nach d-jr Pariser Hdschr. le texte latin.
^i9-
388
LKC.ENDES HAGIOGRAPIIIOURS EN FRAKCAIS.
Par contre, la vie de saint Jnlien se rencontre généralement jointe
à d'autres légendes hagiographiques'''. Toutefois nous la trouvons
isolée dans le nis. B. N. fr. i546, qui est du xiii' siècle. Cette cir-
constance à elle seule ne nous autoriserait pas à affirmer que la vie
de saint Julien est indépendante des légendiers, car on aurait pu la
tirer de l'un d'eux pour la transcrire dans le ms. 1 5^6, mais un argu-
ment plus valable se tire de sa composition même. Cette vie, en
ellet, n'est pas traduite du latin'"'' : elle a été librement rédigée d'après
le poème que nous avons mentionné ci-dessus, p. 3 60 : des expres-
sions, pai'iois même des vers entiers du texte, sont conservés dans la
prose '^'. Or il est bien peu probable qu'aucun des écrivains anonymes
qui se sont les premiers imposé la tâche de former un légendier
jrançais en traduisant un choix de légendes latines, ait eu l'idée de
remanier en prose un texte en vers.
C'est aussi d'après un poème qu'a été rédigée en prose une vie de
saint .lacques le Majeur qui s'est conservée dans un seul manuscrit.
Arsenal 3 5 1 6 '^'. Bien que , dans ce manuscrit , elle soit jointe à quelques
autres légendes françaises, il n'est pas douteux, on le verra plus loin,
lorsque nous traiterons de ces légendes, qu'elle en est complètement
indépendante. D'ailleurs nos anciens légendiers contiennent une tout
autre vie de saint Jacques le Majeur, accompagnée de la translation
et des miracles, traduite directement du latin '^'.
Dans nos anciens légendiers français, on ne trouve pas moins de
(|uatre légendes de la Madeleine qui diffèrent considérablement les
unes des autres, ayant été traduites de vies latines très fliverses'*'.
''' Voir Bullelin de la Sor. des une. textes,
188.'), p. 63; 1892, p. ()3; Notiees et extraits,
XXXIV, 1" partie, p! 191; XXXV, 486;
XXXVI, /,29, 70-!.
'*' L'ori<,'inal latin ne nous est point parvenu,
ou (lu moins n'a pas été découvert jusqu'ici.
On en a deuN abrégés dans la Legeiida utirea
de Jactpies de Varazze (cli. xxx , édition
Griisse, p. lit) et dans les Ge.ila lïomanovuin
(ch. XVIII ).
''' La rédaction en pi-ose a été publiée dans
['Arcliiv fur dus Studinin der neueren Spraclieii
iiitd Litteraturen , t.t^VII (1901), p. 80 el suiv. ,
d'après le ras. B. X. fr. 6/1/17. A ce pro(X)S
l'éditeur clierrbe à prouver (t. (;VI, p. 3o4
et suiv.) (jue c'est la version en pros<! (pi est
l'original du poème. Mais cetle opinion, qu'il
serait tiop long de discuter ici, e.st de tout
point insoutenable. Le début du texte en prosi-
indique clairement que ce texte est composé
d'après un ouvrage « en romans » : « Uns preu-
dom nous raconte la vie de monseignor saint
•lulien qu'il « translutée de lutin en romans, et
disi ...»
'*' Publiée dans la Bomuniu , XXX, a52.
'*' Voir Homaniu. X\'II, 37/1, et aussi la
Notice du ms. B. N. fr. (ikUl , dans Yo/icc' c(
extraits, XXXV, a' partie, p. 469 et /177.
'"' Voir Notices el extraits, XXXV, /191;
XXXV'I, 36; Romania, XXX, 007.
II. J.ÉGENDES E^ PROSK. 389
(^elle dont nous allons donner un extrait est tout à fait indépendante
de ces quatre légendes. Elle nous a été conservée dans trois manu-
scrits dont aucun n'est un légendier. L'un d'eux est le n" 35 1 6 de l'Ar-
senal, où se trouve la vie de saint Jacques dont nous venons de parler;
les deux autres sont les n°' 4^2 et igoSi du fonds français de la
Bibliothèque nationale. Il y a, entre ces trois exemplaires, des variantes
assez notables pour nous porter à croire que cette rédaction a été très
souvent copiée. Aussi ne serions-nous pas surpris si on en découvrait
de nouveaux manuscrits. Dans le texte de l'Arsenal, la vie de la
Madeleine est suivie de cinq autres lé«|;endes éf^alement en prose,
entre lesquelles celle de saint Jacques le Majeur, mais nous étudierons
tout à l'heure la composition de ce petit groupe, et nous verrons qu'à
l'origine la vie de la Madeleine n'en faisait pas partie, non plus que la
vie de saint Jacques. Voici les traits caractéristiques de notre légende.
Elle est rédigée avec beaucoup de liberté, à ce point qu'il est difli-
cile de déterminer d'après quelle source latine elle a été mise en
français. 11 est probable que le rédacteur a utilisé plusieurs sources.
L'histoire de la sainte, au temps où elle vivait en Judée, est traitée
très rapidement. Aucune allusion n'est faite à la pécheresse de l'Evan-
gile qu'on a confondue au moyen âge avec Marie de Magdala. La
légende se compose de trois éléments: i° l'arrivée à Marseille, et la
conversion d'un seigneur qui ici est appelé prince d'Aquilée, non pas
prince fie Marseille ou de Barlette comme ailleurs'''; 2° le voyage de ce
seigneur en Terre-Sainte et le miracle qui préserve la vie de sa femme
et de son fils abandonnés dans une île déserte*'^'; 3" la mort, ou ])lutôt
l'assomption de la sainte; /j" l'enlèvement subreptice de son corps et
son transport à Vézelai. Cette dernière partie est un très court abrégé
de la légende de Badilon'^', où ni Badilon ni Girart de Roussillon ne
sont nommés. L'auteur écrit d'un style simple et coulant. Il se met en
scène, s'adressant visiblement à des auditeurs plutôt qu'à des lec-
teurs. Sa façon de conter ne laisse rien paraître de la contrainte
et de l'effort qu'on remarque souvent dans les traductions : c'est
plutôt un récit primesautier qui ne suit que de loin les originaux
latins. En voici le début, d'après le manuscrit de l'Arsenal (fol. Sy),
'■' Voir Notices et extraits, XXXVl , 38. — '"' Pour les sources latines de ce miracle,
Une autre rédaction fait de ce personnage un voir Hisl. lut. de la Fr., XXXII, 95-6.
chevalier d'Aquitaine {Romuiiia, XXX, 3o8). '^ \oir Hist. Htt. de la lu., XXXII, 97.
300 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
les deux autres copies présentant à cet endroit un texte visiblement
abréfçé''' :
H est voirs, et nos devons tos croire, k(! li dons parlais Jhesus (iris rechut mort et
passion por son pulle rachàter des mortels Icnebres d'infer, et resnscita de mort
conme voira Dex, et conmanda ses apostles a preechier, et ior devisa les contrées
ou il anonceroieiit la foi Jhesu Crist, Saint Piere et saint Pol converti la gent vers
Rommc, sains Jakesala vers Surie, sains Johans converti les (iricus, sains Andrieus ol
Esclabonie, sains Thomas converti la gent d'Ynde qui point de créance n'avoient.
En l'autre Inde la plus lonctainc fu sains Bortolomeus; sains Philipes conqulst la
terre vers Egypte; sains Judes et sains Simons aierent en Arrabe et en Perse, et
conquistrent le pais jusqu'en Ynde; sains Mars preecha le pople d'entor Alixandre;
sains Mathis conquist Moretaigne , et la sainte Madelaine preecha la foi Jhesu Crist,
son maistre, et fist moût grant pople servir [et] ahorcr Jhesu Crist, si com vos or[r]és
chi après dire, conment et en quel manière ele converti ele roi d'Aquilée et tôt le
pople de son règne. Messire sains Pierres, qui de très grant amor anioit les amis
Nostre Seignor, et qui bien connut alcuns des amis al verrai amant, et nieesmement
de'^' la Madelaine, por ce que il savoit bien que ele très ardantment l'amoit et '■'"que
de li ne .se departiroit il mie, si li avroit donée une proiere''' esperituel qui eùst
cure de li, si le conmanda a saint Maximien, et il geta de lui .Ixx.'^' meneurs deables.
et se li dist : « En celé doce garde que nos dous pères Jhesu Crist conmanda sa
« doce mère , ce fu al douch ewangeliste , te conmant je , doche sainte ancele Dieu , doce
« amerouse Madelaine n. Après ce ils se divisèrent et par mer et par terres. Que que
li altre alaissent, il n'est mie mestiers que je le die ore chi, mais je dirai de la
Madelaine, et ainsi com Maximiens'*'' ariverent a Marseille et pristrent terre, et con-
mencierent a preechier a Marseille et totc la terre d'Aquilée. Li Madelaine avoit a
non Madel[ain]e por .j. castel qui siens estoit en la terre de Jheiiisalem, et mees-
mement avoit ele une conté qui soe estoit, et dedens Jherusalem avoit ele une rue;
et tôt ce li venoit de son patremoine. Et ce di je por chou que on sace la nobilité et
la hauteche de lui, car ele estoit de lignie de roi, et si avoit lot ce laissié por ce que
ele fust povre et sanlans a Jhesu Crist son douch ami; et si ne voloit mie que les
richeses le destorbassent a penser a ses amours . . .
<'' Voici les premières lignes de la leçon du l.e sujet de la dernière phrase doit être non
ms. fr. 422 (fol. ia5 c), dont le ms. l'r. ig.^Sl pas « .Ihesucris » , mais, comme dans le ms. de
ne dilfère que par de légères variantes : l'Arsenal ( et aussi dans le ms. fr. i 963 1 ) , « sains
r lerres m.
Qiianl li <lisriple Jliesurrisl eurent rcchul le saint (») < /,
Espirt, il s'en partirent doi et (loi pour alcr preechier ,1 '. ' !• ' ," .... .,
I. foi que Ior boins maistres Jhesucri» for avoit ' ^u l.eu de et qu. n a ici aucun sens, d
ensaignié a ses sains qui plus fermement et plus Caut "re, connne dans les deux autres copies
tenremenl l'amoienl. Issi se départirent li ami al (ci-de»sus, note 1 ), se pensa.
vrai amant. Et Jliesucris nieismement, pour chou '*' Corr. nn père.
qu'il savoit que li douche Magdelaine l'amoit plus (») Septein rfffHioHia, dans .Jacques de Varaz/.e
ardamment que li autre disciple, si se pensa que 1^^ Grasse, p. 4o8), mais c'est à .lésus qu'est
<le li ne se parliroil il mie desci adont qu'il li aroit „,tribué ce miracle.
qu.s ,K,re espintuel qn, eûsl cure de h. Si le ;., ^j, ^,.^^ j^, j^^^ ^^tres copies : U
romnianda a S. Maximien qui estoit .1. des .Ixx. ,,. ,....#• • '
railleurs disciples nostre signeur JhesucrisU Magdelaine et savi* Muj-muens.
II. LEGENDES EN PRaSE
391
Le pieux roman de Barlaam et Josaphat, venu originairement de
rinde,niis en grec au vu*' siècle, abré<>é enlalin auxii', ou peut-être un
peu plus tôt, a édifié de nombreuses générations de croyants, qui ne
soupçonnaient guère que sous le nom de Josaphat ils vénéraient Boud-
dha. Nous en avons énuméré plus haut (p. 34o) trois rédactions
rimées, nous en signalerons deux versions en prose, qui ont pu
s'introduire en quelques-uns de nos légendiers, mais qui en étaient
primitivement indépendantes. L'une de ces versions, nous l'avons dit ,
n'est que la mise en prose de l'un des poèmes; l'autre a été laite sur le
latin, et nous l'avons déjà rencontrée jointe à la version champenoise
des Vies des Pères^'l On la trouve jointe à d'aulres ouvrages en divers
manuscrils'"^^ mais les légendiers qui l'ont admise sont peu nom-
breux. Nous ne pouvons citer que les mss. B. ÎN.fr. 172*^9 (fol. a^i),
4i3 (fol. 32/4) et 'j3ii7 (fol. 388). Remarquons encore que dans
les deux derniers de ces manuscrits elle est considérablement abrégée.
La merveilleuse visite du chevalier Owein au Purgatoire de saint
Patrice, contée en latin par Hugues, moine de Saltrey (comté de
Tluntingdon) qui vivait au xii'' siècle*^\ a obtenu, jusqu'au xvi" siècle,
un succès plus grand peut-être que le non moins merveilleux voyage
de saint Brendan. L'opuscule de Hugues de Saltrey a été, à diverses
reprises, mis en vers français''"'. On l'a traduit deux fois au moins en
prose. De ces deux traductions l'une, conservée dans le manuscrit
B. N. fr. 16210, fut peu répandue, l'autre, qui nous paraît notable-
ment plus ancienne, a été très souvent copiée. Nous la rencontrerons
dans un grand nombre des légendiei's que nous passerons en revue au
cours de cette notice'^'. Mais on la trouve aussi en dehors des légen-
diers, par exemple dans les manuscrits B. N. fr. 834 (fol. i33), 967
f*' Ci-dessus, p. 3 12. Il paraissait naturel
(l'annexer le pieux roman de Barlaam aux Vies
(les Pères. 11 est fait mention, dans les iVbuiieaua:
comptes de l'Argenterie, publiés par Douët
d'Arcq , d'un « roumans de la Vie des Pères et
«de Barlaam et Josaphat», à la date de iSaS
(p. 64).
'') Bi.N. fr. 187, 988 (fol. 354, incomplet);
Musée brit. Old. roy. 20 B v (fol. 157); Va-
tican, Reg. 660; 1728 (fol. 48).
'■^' Le récit de Hugues de Saltrey, générale-
ment cité sous le titre de De Piirgatorio sancti
Patricii, a été plusieurs fois imprimé, notam-
ment par Colgan, AA. SS. veteris et majoris
Scotiœ seu Hiberniœ [Lo\an'n , i645, 1647), '^'
273 et suiv. Une nouvelle édition de ce récit
a été puljliéo en 1889, par Ed. Mail, dans
les Romanisclie Forscliiingen, VI, i4o-i()7,
en double texte: d'après Colgan et d'après un
manuscrit de Bamberg. Voir la Bibliographia
hagiographica latinu des Bollandistes , sous
Patriciiis.
'*' Nous en avons indiqué (ci-dessus, p. 37 1 )
sept versions en vers.
''' La plupart de ces copies ont été indiquées
dans la Romania, XVII, 382.
392 LKGFADKS IIACIOCRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
(fol. i3-4), i544 (fol. io4), igSSi (fol. 2), Reins 291 (fol. i85).
Enfin , elle a été imprimée trois fois, à part, dans la première moitié
(lu XVI'' siècle ''l C'est, à notre avis, une présomption cpie cette tra-
duction ne faisait point partie, originairement, des compilations que
nous étudierons plus loin.
Saint Vast était un saint très vénéi'é en Artois. Nous possédons de
sa légende une traduction fort littérale , d'un style lourd et embarrassé ;
elle nous a été conservée dans un manuscrit d'Arras'"^', qui appartenait
jadis à la bibliothèque de l'abbaye de Saint- Vast et y fut probablement
exécuté. Bien que ce livre, dont nous parlerons plus loin, reproduise
un ancien légendier, il est certain que la vie de saint Vast ne faisait
pas originairement partie de ce légendier. Le caractère dialectal y
est notablement plus prononcé que dans les autres compositions tran-
scrites dans le même recueil. Il faut donc admettre qu'elle a été,
sinon traduite par le copiste du manuscrit de Saint-Vast, qui écri-
vait vers le milieu du xiii'' siècle, du moins insérée par lui dans le
légendier dont il faisait un nouvel exemplaire'^'.
Le traité de l'Antéchrist, par Adson, moine de Montierender,
«a été si fameux dans les siècles destitués de critique, qu'on en a
«voulu faire remonter l'honneur jusqu'à saint Augustin, d'autres
<i seulement jusqu'à Alcuin ou à Raban Maur, entre les écrits desquels
«il se trouve imprimé''''». Ainsi se sont exprimés nos devanciers à
l'égard de cette puérile composition, qui n'a pas eu moins de succès
en français que sous sa forme originaire. Nous en avons indiqué plus
haut (p. 339] quatre versions, plus ou moins libres, en vers. De la
traduction en ])rose, qui fut faite dans la ])remière moitié du
xiii" siècle, on connaît au moins une douzaine de copies'*' dont quel-
ques-unes (par exemple B. N.fr. io38, fol. 162, et 19531, fol. 16 v°)
ont pris place en des manuscrits qui ne sont pas proprement des
légendiers, bien qu'ils renferment cpielques légendes.
''' Voir Bninet, Manuel, 5* éd., IV, <)8o; apparlieni aux (Icrniéres années du xiv' siècle
cl", le Catalof/ac de la Bibl. du baron J. de (il est daté de i^gç)), il serait téméraire de
Rothschild, n'aoai. classer la vie de saint Vast dont il contient
■'' /lomu/im, XVII, 385. l'unique copie . parmi nos plus anciennes lé-
'^' Notons ici qu'il existe une autre version gendes françaises,
de la vie de saint Vast, également conservée *'' Hisl. litl. delà l'r. , VI, i"}*;)-
dans un manuscrit provenant d'Arras {Romu- ''' La plu|)arf ont été indiquées dans la Rn-
nia, XXXIII, 16). Mais, comme ce manuscrit mania, XVlI, ."583
jja p1u|)n
. XVII,
II. LEGENDES EN PROSE.
393
Parmi les légendes qui ont eu une existence indépendante avant
d'être admises dans quelques-uns de nos légendiers, nous pouvons en-
core ranger une traduction de l'Evangile de Nicodème que nous trou-
vons isolée dans les manuscrits B. N. fr. 187, ^09, 907, etc. Nous
verrons plus loin dans quels légendiers elle a pris place *'^. On peut
mentionner ici une autre version du même apocryphe, conservée
dans un manuscrit français du xiv' siècle (B. N. fr. i85o), qui est
restée isolée, n'ayant été admise en aucun recueil de légendes.
Nous rencontrerons encore, surtout dans les recueils manuscrits
d'une époque tardive, d'autres légendes qui paraissent avoir été
d'abord publiées isolément, avant de prendre place en certains lé-
gendiers. Nous les signalerons au passage; mais, étant imparfaitement
renseignés sur l'époque où elles ont été mises en français, nous ne
croyons pas devoir en parler présentement.
VERSIONS DE LEGENDES GROUPEES.
Nous allons maintenant commencer l'étude des légendiers propre-
ment dits. Et d'abord nous traiterons d'un très petit recueil qui nous
a été conservé par quatre manuscrits: Arsenal 35i6;B. N. fr. 196 2 5;
Musée britannique, Harl. 2 2 53; Egerton 2710. Les légendes y sont
transcrites dans l'ordre qu'indique le tableau suivant :
Arsenal 35i6
(fol. 67 et suiv.)
S" Marie-Madeleine,
S. Jean l'cvangéliste ,
S. Jacques le Majeur,
S. Jean Baptiste ,
S. Pierre,
S. Paul.
B. N. KK. 19635
(fol. 3i et suiv.)
S. Jean l'évangéliste ,
S. Jean Baptiste,
S. Barthélemi,
S. Pierre,
S. Paul.
Musée br., Harl. 3253 Musée br., Eg. 3710''*
(fol. 4i et suiv.) (fol. 92 et suiv.)
S. Jean l'évangéliste,
S. Jean Baptiste ,
S. Barthélemi,
S. Pierre.
S. Jean l'évangéliste ,
S. Pierre,
S. Barthélemi.
Si l'on fait abstraction des légendes de Marie-Madeleine et de saint
Jacques le Majeur (manuscrit de l'Arsenal), dont il a été question
plus haut, il nous reste un recueil formé des légendes de saint Jean
Baptiste et de quatre apôtres : Jean l'évangéliste, Barthélemi, Pierre,
''' Le début est publié, d'après le ms. de
Lyon 772, dans le Bulletin de la Société des
anciens textes, i885, p. 48, et, d'après le ms.
B. N. fr. 64^7, dans les Notices et extraits
HISr. LITTEH.
des manatcrits, XXXV, 2* partie, p. 475-
'*' Ce manuscrit a été décrit en détail dans
le Bulletin de la Société des anciens textes, 1889 ,
p. 93.
5o
394 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Paul'''. La traduction de ces légendes est sûrement antérieure 31267
ou i'i68, date du manuscrit de l'Arsenal, et on doit admettre que
ce petit légendier a passé de lionne heure en Angleterre, car le manu-
scrit fr. 195^5 et les deux manuscrits du Musée britannique sont
d'origine anglaise. Peut-être le recueil devait-il être complété par une
version en prose de l'Evangile de Nicodème, suivi d'un autre apo-
cryphe sur la Véronique qui manque dans Arsenal, mais se trouve
dans les trois livres anglais*"-^'. Ces divers textes n'ont été rencontrés
jusqu'à présent en aucun autre manuscrit que ceux indiqués ci-dessus.
Sans doute l'Evangile de Nicodème et les mêmes vies de saints ont leur
place dans plusieurs légendiers français, mais ilsy sont représentés par
des rédactions tout à fait différentes de celles que nous offrent les
quatre manuscrits précités. Nous donnerons, à titre de spécimen, le
commencement de la passion de saint Paul et celui de la vie de saint
Barthélemi. Voici d'abord le début de la première de ces deux
légendes, d'après le ms. de l'Arsenal (fol. 66 r" b), corrigé çà et là à
l'aide du ms. igÔsô (fol. 42) :
Après la passion le beneùré saint Pierre, par droit devons conmenchier la passion
saint Poi, car ils furent compaignon de la prédication en Rome, et ensement de
passion. Quant saint Pol ot converti molt de! Romain pople a la foi nostre segnor
Jhesucrist, .j. jor que il preechoit en une haute maison que on apeloit Canacle '^',
•j- jovenceals que on apeloit par nom Patrocle, qui servoit Noiron l'empereor de sa
cope, et qui ert de biais gens nés, car il ert parent l'empereor, il [lis. si) vint la ou
sains Pois preechoit, por oïr la parole al saint apostle, car il ert ja espris de l'amor
nostre segnor Jhesucrist, por ce qu'il oï dire as altres qui avoient oï la parole del
beneûré apostle; et, quant il ne pot entrer en la maison por la pres[sje de la gent
qui i estoient, si H pesa molt, car il desiroit molt a oïr les enseignemens de vie par-
durable; si s'aerst a .j. piler de la fenestre; si s'asist iluec por oïr celui cui il molt
desiroit a oïr. Et li aposlles, conme cil qui molt amoit a parler de son segnor,
demora molt longement en la parole, et al jovencel, qui molt ententifment amoit
la parole a oïr, prist someil, si s'endormi; si ii deslachierent les mains de la fenestre,
et li jovenceals chaï jus, si que il morut. . . .
L'original est la Passio sancti Pauli apostoll, plusieurs fois publiée'*';
mais la version ne commence qu'au second paragraphe. Plus loin
'■' L'omission de saint Barthélemi dan» le '*' On en a cité quelques lignes dans le Balle-
ms. de l'Arsenal , de saint Paul dans le ms. Har- tin de la Soc. des anc. textes , 1 889 , p. 89.
leien.de saint .lean-Baptiste et de saint Paul ''' «In cenacoJo editiori. »
dans le nis. Egcrtoii, peut être considérée <'' En dernier lieu par Lipsius, ,4c/a npojfo-
comme accidentelle. loram apocrypha. 1, 23.
IL LEGENDES EN PROSE. 395
nous rencontrerons une autre version où le premier paragraphe est
traduit.
Voici maintenant le début de la vie de saint Barthélemi d'après le
ms. 19526 (fol. 38 d), cette vie ne se trouvant pas dans le manuscrit
de l'Arsenal :
Ceo cuntent ceus qui sevent deviser les parties del munde que U'eis Indes sont :
la première si est celé qui s'estent vers Ethiope, la secunde qui s'estent vers Mede, la
tierce qui est fin de totes les terres, car de l'une part atoche le règne de teniebres
ou unques jor nen est, el de l'altre part fine a la grant mer de Occeane, outre la-
queie nient de terre nen a. En ceste deeraine Inde vint saint Bertremeu l'apostle;
si entra en un temple ou aveit un ydle de Astaroth le diable, et, si conme pèlerin
estrange, mest iloc. En cel ydle ert Astaroth le deable, que la genl diseient qu'il
sanout les langors et que il feseit les cius veer, mais il ne! faisoit de nuls fors de cels
qu'il aveit avuglez. La gent de cel pais ert senz conoisance de veir Deu , et por ceo
les deceveient les fais deables qui Deu se faiseient apeler, et sis escharniseient , por
ceo k'il n'aveicnt verai Deu , et il quidouent que lor respuns fusent par la vertu
de Deu, et ii fol malade créaient k'il les gariss[ei]ent de lors enfermelez. . . .
C'est la traduction du livre VIII des Apostolicœ Historiée du Pseudo-
Abdias'''. Une version toute différente sera mentionnée jjIus loin.
Nous abordons présentement l'étude de recueils plus importants,
qui varient beaucoup pour l'étendue et la composition, mais où on
retrouve un fond commun et où l'on peut reconnaître au moins la
trace d'un arrangement plus ou moins méthodique. On verra qu'un
premier recueil, limité aux saints de l'époque apostohque, s'est accru
peu à peu par des additions successives et indépendantes, de telle
sorte que, vingt ou vingt-cinq ans avant la fmdu xiii'' siècle, il s'était
formé plusieurs légendiers distincts par une partie de leurs éléments,
mais fondés sur une base commune. Les manuscrits qui nous ont
conservé ces légendiers sont fort nombreux. Nos bibliothèques de
Paris en renferment une vingtaine et les bibliothèques des départe-
ments et de l'étranger plus encore. L'étude de ces manuscrits est, en
raison même de leur dispersion, très difficile. Il s'en faut que tous
aient été l'objet de notices suffisamment détaillées. Les descriptions
qu'on peut lire dans les catalogues imprimés sont, le plus souvent, de
'"> Fabricius, Codex apocryphas Novi Teslamanti, p. 669; Lipsius et Bonnet, Acta apostoloram
apocrypha. II, i" partie, ia8.
5o.
396
LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
peu d'ulilité, lors même, ce qui n'est pas toujours le cas, qu'elles
donnent la liste des légendes, car le nom du saint ne sufïit pas:
pour beaucoup de récits hagiographiques , nous avons deux ou trois
traductions, parfois même davantage, qui ne peuvent se distinguer
que par la citation des premières lignes. Il est, par suite, possible
que plusieurs manuscrits, importants peut-être, aient échappé à nos
recherches. De plus, beaucoup de nos anciennes collections de lé-
gendes françaises ont été compilées d'après deux ou trois légen-
diers antérieurs, et, comme nous ne sommes pas sûrs de posséder
tous les légendiers primitifs, comme, d'autre part, plusieurs états
intermédiaires nous manquent, il est difficile d'établir un classement
rigoureux de toutes ces collections de légendes françaises. Nous es-
sayerons cependant de répartir nos légendiers, selon leurs affinités,
entre un certain nombre de groupes que nous rangerons dans un
ordre à peu près chronologique. Ce classement provisoire pourra
être ultérieurement perfectionné et complété par des études de
détail qui ne sauraient prendre place ici.
Groupe A. — Le légendier que nous considérons comme le plus
ancien de tous ceux qui nous sont parvenus et que, pour cette rai-
son, nous appellerons légendier A, est un recueil de quatorze lé-
gendes qui nous a été conservé en quatre manuscrits, à savoir:
Saint-Pétersbourg, Bibl. imp., fr. 35; Lyon, Bibl. munie, 770;
Tours, 1008; Modène, Bibl. d'Esté, fonds étranger 116. Ces quatre
manuscrits ayant été l'objet de notices particulières'*', il ne sera
pas nécessaire d'énumérer tous les morceaux qu'ils contiennent;
on se bornera à déterminer la composition du légendier qui, avec
de légères variantes dans l'ordre des légendes, est commun aux cinq
manuscrits.
'"' Le ms. 770 de Lyon , dans le Balletin
de la Société des anciciif textes français , année
i888;lems. de Tours 1008, ibid. , année 1897;
le ms. de Modène , ibid. , année 1 90a ; le ms.
de Saint-Pétei-sbourg, dans les Notices et ex-
traits, t. XXXVl. À la suite du légendier que
nous allons étudier, les mss. de Tours et de
Modène, qui sont apparentés de très près,
renferment cinquante légendes traduites de la
Légende dorée (Jacques de Varazze) , dont nous
n'avons pas à nous occuper ici. Quant au ms. de
Saint-Pétersbourg , il contient plusieurs légen-
diers distincts mis bout à bout , entre lesquels
le premier seul nous intéresse présentement,
et de plus , comme on l'a vu plus haut (p. 3 1 3),
la version de la Vie des Pères que nous dési-
gnons par le titre de version champenoise.
Ce manuscrit a été exécuté en France ; les trois
autres ont été écrit» dans l'Italie »ej)tentrio-
nale.
II. LÉGENDES FA PROSE. 397
Voici, d'après le manuscrit de Saint-Pétersboui<,', la série des
pièces que renferme le légendier que nous essayons de reconstituer :
1. (Fol. 3) Dispale de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le magicien
{^Passio sanctorum apostolorum Pétri et Paali, du Pseudo-Marcelius'''). — Quant
saint Fous fu venus a Rome, U Juïf vindrent a lui . . .
2. (Fol. -j c) Passion de saint Pierre^'^\ — D'entendre la g;Iorieuse passion saint
Pierre l'apostre . . .
3. (Fol. 1 1 b) Passion de saint Paa/'^'. — De la passion saint Pol saichent tuit
créant en Nostre Seigneur . . .
4. [Passion de saint Jean l'évangéliste. — Bien est seûe chose que la seconde per-
sécution que, puis Noiron, fu faite sur ci'estïenz fist Domitiens li empereres'*'. . .]
5. (Fol. i6) Passion de saint Mathiea^^^ — Voirs est que Die\ a cure des
homes , mes plus a il cure des âmes que des cors . . . "'.
6. (Fol. 20 c) Passion de saint Simon et de saint Jade^'^K — Bien avez oï et en-
tendu cornent, après le haut jor de l'ascension nostre seigneur Jesu Crist et après
t'avenement dou Saint Esperit. . .
7. (Fol. a5 b) Vie de saint Pliilippe^^K — Douce chose et bonne est a oïr parler
des oevres Nostre Seignor et des vies et des saintes passions des sainz apostres . . .
8. (Fol. 26) Vie de saint Jacques le Minear^^K — Au tens que li saint apostre
preechoient la seinte évangile par le monde et annonçoient la seinte loi Nostre Sei-
gnor par toutes terres, sainz Jaques, (jui estoit apelez Justes par son non, estoit de-
meurez en la terre de Jérusalem ...
9. (Fol. ay) Vie de saint Jacques le Majeur (avec la translation et les miracles'"").
— Après le jor de la seinte Pentecoste , que li sainz Esperiz fu descendus sor les
apostres et que Nostre Sires lor ot enscignies toutes les meunières des langaiges . . .
10. (Fol. 38 b) Passion de saint Barlhélemi "". — Quant Nostre Sires fu
montez es ciaus, si com vos avez oï et entendu, et li apostre se départirent par le
monde . . .
'"' Fabricius, Codex apocryphas Novi Testa-
menti, III, 633; Lipsius et Bonnet, Acta apo-
stolorum apocrypha, I, 11 9.
'*' Première partie du De passione Pétri et
Pauli apostolorum , attribue à saint Lin, dans
Lipsius et Bonnet, I, i.
''' Deuxième partie de l'ouvrage indiqué à
ia note précédente.
'*' Il manque ici quatre feuillets dans le ms.
de Saint-Pétersbourg. Nous restituons le com-
mencement d'après le ms. de Lyon. L'original
est la Passio sancti Johaimis evangelistœ , attri-
buée à Mellitus ou Meliton (Moinbritius, Sanc-
taariam, II; Fabricius, III, 606; Migne, Pair,
greeca, V, 124; Bibliotheca Casinensis, II,
Florilegium, p. 67).
''' Apostolicte historiœ , 1. VII (Fabricius,
Codex apocr. N. Test., II, 687; A A. SS.,
sept., VI, aai).]
'*' Il est bien certain que cette vie et la
suivante ont été traduites par le même écri-
vain, car la seconde est annoncée dans les
dernières lignes de la première. Voir Notices
et extraits, XXXY, 478.
''' Apost. hist., 1. VI, ch. VII et suiv. (Fa-
bricius, II, 608).
(') Ibid., ]. X, ch. II (Fabricius, II, 738).
C' A A. SS., mai, I,3o.
('•' ^^. SS.JuiUet,VI,5i.
'"' Apostolicee historiœ, l. VIII (Fabricius,
II, 669; cf. Bull, de la Soc. des anc. textes,
i885, p. 55).
398
LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
1 1. (Fol. kl c) Passion de saint Longin'^^^ — Moût devroit volentiers chascuns
qxii crestïens est oïr et entendre de vrai cuer et par vraie pensée retenir les passions
et les vies des sainz apostres . . .
12. (Fol. A3) Passion de saint Afarc'^'. — Au tens que li saint apostre estoient
espandu et départi par le monde por anoncier et preechier aus estranges gens . . .
13. [Passion de saint Thomas l'apôtre^'K — Bien est drois et raisonz que tuit cil
qui crestïan sont et qui Dieu aiment et croient oient voluntierz de Nostre Seignor
et de ses apostres . • • ]
14. (Fol. àS d) Passion de saint André ^''K — Après le saint glorieus jor delà
sainte ascension Nostre Seignor, et après le saint jor delà Pentecoste, que li apostre,
qui embeù estoient de la grâce dou Saint Esperit ... .
Les légendes qui suivent dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg
(saint Martial de Limoges, saint Nicolas, saint Paul l'ermite, saint
Antoine'*', saint Mammès, saint Christophe, saint Quentin, saint Cu-
cufat, etc.) sont indépendantes de notre légendier.
Les trois autres manuscrits ont les mêmes légendes, mais non
pas tout à fait dans le même ordre. Pour les six premières, il n'y a
aucune différence. Les huit dernières sont ainsi rangées dans les au-
tres copies :
Lyon 770 et Tours 1008 : (7) Thomas, (8) Philippe, (9) Jacques
le Mineur, (10] Jacques le Majeur, (11) Bartliélemi, (12) Marc,
(i3) André, (i^) Longin.
Le manuscrit de Modène est exactement de la même famille que
ceux de Lyon et de Tours *^'. 11 range les légendes dans le même ordre,
sauf que, par suite de quelque erreur, il rejette la vie de Longin beau-
coup plus loin, parmi les légendes traduites de Jacques de Varazze
(art. 29). Par contre, il intercale, tout à fait hors de propos, entre
la vie de Simon et Jude et celle de Thomas, une vie de saint Chryzant
et de sainte Daire traduite de la Légende dorée.
Nous devons mentionner ici un manuscrit de notre Bibliothèque
'') AA.SS..man,U,i8à.
(•' AA.SS., avrU, 111,347.
''' Mombritius , Sanctuariam, 11. — Nous
restituons, d'après le manuscrit de Lyon,
le début, qm manque dans Saint-Péters-
bourg par suite de la perte d'un feuillet. Le
début du texte latin est imprime dans le
Bulletin de la Soc. des anc. textes français ,
1888, p. 82.
''' Apostolicœ historiœ, 1. 111 (Fabridus, II,
457; Lipsius et Bonnet, Acta apottolorum apo-
crypha, II, 1).
'*' Les vies de saint Paul et de saint An-
toine sont traduites par Wauchier de Denain ;
voir ci-dessus, p. a 60.
'•' On a relevé des fautes commune» à ce»
trois manuscrits, ou à deux d'entre eux (Tours
et Modène), pour les parties qui n'ejistent que
dans ces deux derniers. Voir Bull, de la Soc. de*
anc. textes, 1902 ,notesdespages8a,86,87,9i.
U. LÉGENDES EN PROSE.
399
nationale, fr. 686, qui, en ses derniers feuillets (fî. 449 ^^ suiv.)*^',
renferme un petit légendier composé des mêmes légendes que le
légendier A , à savoir : i , la dispute de saint Pierre et de saint Paul
contre Simon le magicien; i , la passion de saint Pierre; 3, la passion
de saint Paul; 4, la passion de saint Jean l'évangéliste ; 5, saint Ma-
thieu; 6, saint Simon et saint Jude; 7, saint Jacques le Mineur;
8, saint Jacques le Majeur; 9, saint Barthélemi; 10, saint Longin;
11, saint Philippe; 12, saint Marc; i3, saint Thomas l'apôtre;
i4, saint André. Toutefois la ressemblance n'est complète que pour
les six premiers articles. Les huit derniers présentent, par rapport
au légendier A , des difiFérences notables et se rattachent à d'autres
recueils dont nous traiterons plus loin.
Nous avons dit que, dans le recueil de Saint-Pétersbourg, toute
une série de légendes variées a pris place à la suite des quatorze
morceaux qui constituent notre légendier primitif. H y a aussi, dans
les recueils de Lyon, de Tours et de Modène, quelques additions que
nous allons indiquer :
(Lyon, art. i5; Tours, art. 19 et 33®; Modène, art. 3o'''.) Saint Denis'^^K
— Après la sainte passion nostre seingnor Jhesu Crist et sa glorieuse résurrection ,
que H apostres furent départi per le monde por anoncier et preeschier la sainte loi
Nostre Seignor. . .
(Lyon, art. 16; Tours, art. 20; Modène, art. i i .) Saint Came et saint Damien^^\
— Cil qui crestïen sont et Nostre Sire aiment et croient veulent volontiers oïr et
entendre les paroles et les euvres qui de lui sont et vienent • . .
(Lyon, art. ly; Tours, art. 21'^'.) Les sept Dormants'^^K — El tens que Decius
César maintenoit l'empire de Rome, estoient en la cité de Feise .vij. homes, jeunes
bacheliers et de belle forme, dont li uns estoit apelez Maximianus et li autres
Malcus et li tiers Martinianus . . .
'"' Le ms. 686 contient, en ses iHj pre-
miers feuillets, l'Histoire ancienne jusqu'à
César que nous avons cru pouvoir attribuer
à Wauchier de Denain (ci-dessus, p. 289),
et une traduction partielle de l'ouvrage toscan
qui a été publié sous le titre de Conti di antichi
cavalieri (Florence, i85i).
**' La légende de saint Denis est copiée deux
fois dans ce manuscrit.
'"' A la suite de la vie de Longin , parmi les
vies traduites de Jacques de Varazze.
'*' Légende traduite de Hilduin, mais la
traduction est différente de celle dont ii a été
question ci dessus, p. 385.
C ^^.5S., sept., VII, 473.
'*' Cette légende ne se trouve plus dans le
ins. de Modène , parce que , à l'endroit où elle
devait prendre place, à la suite de la légende
de Come et Damien, plusieurs feuillets ont
été enlevés. En dehors des manuscrits de Lyon
et de Tours , cette rédaction n'a été rencontrée
jusqu'ici que dans un manuscrit du xv* siècle ,
écrit;» Ath (Hainau); voir ilomania, XXX, 298.
''' Mombritius, IL
400 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Il n'y a rien de plus dans le manuscrit de Lyon. Les recueils de Tours
et de Modène contiennent encore cinquante légendes traduites de
Jacques de Varazze , dont nous n'avons pas à nous occuper.
Notons que les vies de saint Denis et des saints Côme et Damien
existent aussi dans le recueil de Saint-Pétersbourg : elles se font suite
comme ici et en bien d'autres légendiers''', mais elles sont placées
(flf. 162 et suiv.) en une tout autre partie du manuscrit.
On voit, en résumé, que le légendier A ne contient, en son état
original, que les quatorze légendes énumérées plus haut. 11 est con-
sacré aux saints apostoliques, auxquels est joint, assez naturellement,
l'apocryphe Longin, identifié avec le soldat romain qui, d'après le
quatrième évangile (xix, xlx)-, aurait percé d'un coup de lance le flanc
de Jésus déjà mort.
Groupe B. — Le légendier que nous rangeons, dans l'ordre chrono-
logique, après celui dont nous venons de parler, est un recueil de
quarante-deux légendes dont nous possédons deux exemplaires dans
les manuscrits B. N. nouv. acq. fr. 10128 et Bibl. roy. de Belgique
1082 6'"^'. Tous deux sont du xiii* siècle; le manuscrit de Bruxelles
peut dater des environs de 1 260; celui de Paris semble un peu moins
ancien. Ils offrent d'ailleurs le même texte *^'. Nous les désignons par
la lettre B. Nous commencerons par dresser la liste des morceaux
qu'ils renferment, puis nous présenterons quelques observations sur
la façon dont le légendier a été composé. Nous suivons le manuscrit
de Paris , cpmblant une lacune à l'aide de celui de Bruxelles.
1. (Fol. 2) Dispute de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le magicien^'^K —
Quant seint Pox fii venuz a Rome , tuit li Juif vindrent a iui et li distrent : « Desfent
nostre loi en laquele tu es nez. . . » (^ 1 ).
2. (Fol. 10) Passion de saint Pierre. — D'entendre la glorieuse passion seint
Pierre l'apostre et son martyre. . . [A 2).
3. (Fol. I 6 d) Passion de saint Paul. — De la passion seint Pol sachent tuit
'>'' Par exemple dans le groupe B ci-après dans les autres inventaires de la même coUec-
étudié. tion.
'*> Ce manuscrit vient de la Bibliothèque '*' La ressemblance se manifeste jusque
des ducs de Bourgogne. Il est mentionné dans dans la condition matérielle, l'un et l'antre
l'inventaire (le Bruges (1467) et dans celui étant réglés à 36 lignes par colonne.
de Braxelles (1487), n" i2o3 et 1967 de la '*' Nous citons le légendier A d'après le
Bibliothèque protypograpliiqae de Barrois et m», de Saint-Pétersbourg (ci-dessus, p. 897).
II. LEGENDES EN PROSE. 401
créant en Nostre Seingneur que, ({uant seint Luc li evangelistres fu venuz a
Rome... {A 3).
4. (Fol. 2 2 c) Martyre de saint Jean l'évangéliste. — En cel tens que Domi-
ciens estoit empereres de Rome , seint Jehan li esvangelistres , 11 frères seint Jacques
l'apostre. . . '".
5. (Fol. 23) Vie (le saint Jean l'évangéliste. — Bien est conneùe chose que la
segonde persecucion qui puis Noiron fu fête seur les crestïens fist Domitiens il em-
pereres. . . [A 4).
6. (Fol. 29) Vie de saint Jacques le Majeur, suivie de la translation et des
miracles. — Ce sachent tuit créant en Nostre Seigneur ([ue, après le jor de la
seinte Pentecoute, que li seinz Esperiz fu descenduz sus les apostres. . . (il 9).
7. (Fol. 5o b) Vie de saint Mathieu. — Voirs est que Diex a cure des
cors des homes, mes plus a il soing des âmes que des cors. . . (A 5).
8. (Fol. 58 c) Vie des saints Simon etJude. — Puis le haut jor de i'acenssion
Nostre Seingneur, et après la > enue del Seint Esperit , se départirent li apostre par
les diversses parties del monde. . . (A 6; variante au début).
9. (Fol. 6 y) Vie de saint Philippe. — Sicom la divine page tesmongne , .xx. anz après
I'acenssion Nostre Seigneur, ce est que il monta es cieux. . . ( A 7 ; variante au début).
10. (Fol. 68 b) Vie de saint Jacques le Mineur. — Ne vos doit mie ennuier se
ge vos conte ici après la vie et la passion de monseigneur saint Jasque le petit, qui
fu Justes apelez en seurnon. . . (A 8; variante au début).
11. (Fol. 69 d) Vie de saint Barthélemi. — Or \os dirons de monselngneur seint
Berthelemi l'apostre, ql, après le haut jor de facenssion Nostre Seingneur. . .
(A 10; variante au début).
12. (Foi. 76) Vie de saint Marc. — Resons est et droiture que fen trulsse en
fescriptm-e conment mislres seint March 11 evangelistres ala en Esgypte. . . (A la;
version différente).
13. (Fol. 77 b) Vie de saint Longin. — Moût devroit volentiers chasquns qui
crestïens est oïr et entendre de veral cuei' et par bonne penssée retenir les passions
et les vies des seinz apostres et des martirs ... (A 11).
14. (Foi. 80) Vie de saint Sébastien [AA. SS, janvier, II, 265), — Au tens que
Dyocletiens et Maximiens estolent empereeur de Rome, et li destruisoient touz
ceuls qui aorolent Nostre Seingneur . . .
15. (Fol. 84 d) Vie de saint Vincent [AA. SS., janvier, II, Sgi). — Tuit cii
qui crestïen sont devrolent volentiers oïr et entendre les vies et les passions des
seinz martyrs por ce que il aucun bon essample i prengnent et retiengnent . . .
16. (Fol. 90 d) Vie de saint Georges (d'après la vie latine publiée par Arndt,
dans les Comptes rendus de l'Acad. de Saxe, classe de phil. etd'hist. , 1874, p. 49). —
Veralement reconte la divine page que , qant ii seint home se penoient et effor-
çolent d'acroistre et d'essaucler la seinte loi nostre seingneur Jhesucrlst, si com vos
avez oï , uns rois estoit en Persse . . .
'"' Apostolicee hittorite, 1. V, ch. u (Fabricius, p. 534); cf. Ldpsius, Die apociyplien Apostel-
geschichten uiul Aposteltegenden, I, 4i3-4.
HIST. I.ITTÉH. XXXUI. 5l
4M LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
17. (Fol. 96 b) Vie de saint Christophe (d'après la vie latine inédite dont ledébut est
cité dans Notices et extraits, XXXV, p. hSi , n. 2). — Mont puet estre liez a qui
Nostre Sires done tant de sa grâce qu'il ne li desplest mie a oïr les paroles qui de
lui sont et les vies des seinz martyrs. . . .i .
18. (Fol. 107 c) Vie de sainte Agathe [A A. SS., février, I, 61 5). — Au tens
que seinte crestïenté croissoit et essauçoit par les paroles et par les hauz miracles que
Nostre Sires faisoit. . .
19. (Fol. 111c) Vie de sainte Liice (Surius, i3 décembre). — Au jor que la
renomée et la parole croissoit et esforçoit moût durement par pluseurs contrées,
des halz miracles que Damlediex deinoutroit et faisoit en la cité de Cathenense . . .
20. (Fol. -iili b) Vie de sainte Agnès [AA. SS., janvier. II, igk). — Tuit de-
vons grâces et loenges rendre a nostre seigneur Jhesucrit des seintes virges et des
passions que eles soufrirent por l'amor de Nostre Seingneur . . .
21. (Fol. 1 19 c) Vie de sainte Félicité et de ses sept fih{AA. SS.,iu\l\el, III, i3).
— Veritez est, si com fescripture tesmongne, ([ue en cel tens que Antonins esloit
empereres a Rome, estoient cil qui creoient en nostre seingneur Jhesucrist moult
aprient et grevé. . . '-,'••( 'ni/il) 1 .
22. (Fol. 121 d) Vie de sainte Christine [AA. SS., juillet, V, 5i^). — Quant
seinte crestïentez croissoit et essauçoit par les hauz miracles que Nostre Sires faisoit
por les seinz et pour les seintes qui, por sa loi essaucier, recevoient martyre . . .
23. (Fol. i3o b) Invention de la sainte Croix [Inventio S. Cracis^^''). — A .ce.
anz et .xxxiij. del regnement del vaillant empereeurde Romme, coutiveeur de Dieu
Costentin, el siste an de son regnement, estoient montes genz assemblées scur la
rive de Dunou , appareilliées de bataille contre les Romeins . . .
24. (Fol. i33 d) Vie de saint Quiriaque (seconde partie de VInventio). — En la
fin del regnement l'ennoré empereeur Costentin, entra el règne Juliens li empereres,
qui fel estoit et plein de tirannie . . .
25. (Fol. i3/i c) Vie de saint Denis (d'après Hilduin'*'). — Après la passion
nostre seingneur Jhesucrist et sa glorieuse resurretion , que li apostre furent espandu
par le monde por annoncier et preeschier la seinte loi Nostre Seingneur *')...
26. (Fol. i4i b) Vie des saints Côme et Damien [AA. SS., septembre, Vil,
U'ji). — Cil qui crestïen sont et Nostre Seingneur aiment et croient doivent volen-
tiers oïr et entendre les paroles et les oevres qui de lui sont et muevent, et meesme-
ment les vies et les passions des seinz martirs . . .
27. (Fol. 1/17) Vie de saint 5ù;<c (Mombritius, Sanctuariuni, II). — Ce fu el
tens que Decius César fu empereres, que cil qui Nostre Seingneur- apeioiont estoient
martiriez ... A» w I
2fi. {Foi.. 149 b) Vie de saint Laurent [AA. SS. , août , 11 , 5 1 8 ). — Aprè« ce que
i(.(l'. I I !•■,'■!■
''' Plusieurs foi» publiée : Mombrilius, iSanc- '*' Surius, 9 octobre; Migne, Pair, lat.,
tuariiim, I; AA. SS. , mai, I, ài5; Invenlio CVI, a3.
S. Crucis , actorum Cyriaci pars I, Inline el <''' Même rédaction que dans les manuscrit»
graece. . ., coniegit et digessit Alfred Holder du groupe A (ci-dessus, p. Sgg).
(Leipzig, Teubner, 1889). .v-'. 1,
I ' Ali,- / f -- . ijrii.j .i-iii
II. LÉGENDES EN PROSE. .u^aMA
403
seint Sixtes fu martiriez , si conme vos avez oï devant , H chevalier qui avoient
pris seint Lorenz le baillèrent et le livrèrent a Parthesmes. . .
29. (Fol. i53 b) Vie de saint Hippolyte (Monibritius, II). — Vos avez oï de
seint Lorenz le beneoit martir , conment il reçut martire por l'amor nostre seingneur
Jhesucrist ...
30. ( Fol. 1 56 c) Vie de saint Lambert '" ( d'après la vie latine par F^tienne , évêque
de Liège , AA. SS. , septembre , V, 58 1 ). — Gloire et enneur doit estre a touz crestïens
de raconter et de dire les passions des seinz martirs ...
31. (Fol. i63) Purgatoire de saint Patrice^'^K — En cel tens que seinz Patrices
li granz preeschoit en Yrlande de la parole de Dieu . . .
32. (Fol. 171 d) Vie de saint Julien de Briowde'^K — Uns preudonies raconte la
vie nionseinguor seint Julien que il a translatée du rounianz'*', et distque cil qui Tes-
couteront i avront moût grant preu . . .
33. (Fol. 186) Vie de saint Drendan^^K — En la vie de monseingneur seint
Brandam , qui moût est deliteuse a oïr a cors et a ame . . .
34. (Fol. 200) Vie de saint Thomas de Cantorbéry^*\ — Mi chier fdl, ceste feste
doit estre célébrée a grant solempnité par veraie devocion . , .
35. (Fol. 20^) Vie de saint Silvestre (Monibritius, II). — Seint Selvestres,
" sa mère, qui vueve estoit, a un provou-e por
quant il fu emfes, si le bailla Lavisce'""
aprendre... ... ! l j, 1. ...jwi l
36. (Fol. aaod) L'An<^c?in5<'*' (traduit iTAdsbn , voit* e^-iAessus , p. 892). — Vos
de\ ez sa\ oir premièrement que Antecrist est apelés por ce que il sera en totes choses
contraires a Jhesucrist ...
37. (Fol. . . .) L' Assomption {Transitas Mariae, texte B'"). — Quant nostre sires,
nostre sauverres Jhe.sucris, por le sauvement de tôt le monde. . .
r
'"' Cette vie française a été publiée d'après
le ms. du Musée britannique Old royal ao
D VI , avec le texte latin en regard : Vie de
saint Lambert, en français du xiij' siècle, tra-
duite de la biographie écrite au i' par Etienne,
évêque de Liège, publiée par Joseph Deniarteau
(Liège, 1890; in-8°, 69 pages).
<*' Voir ci-dessus , p. 39 1 .
Voir ci-dessus, p. 388.
Lire de latin en roumanz.
Voir ci-dessus, p. 387.
Ce morceau n'est pas proprement une
vie du saint archevêque : c'est la traduction
d'une homélie publiée par Giies, S. Thomœ
Cant, vita, etc., II, i46 (Oxford, i845), sous
le titre de Passio S. Thomœ. . . auctore ano-
nyme, et reproduite dans Migne, Patr. lat.,
t. CXC, p. 3ia, et dans Robertson, Materials
for the history of Thomas Becket, IV, 186.
''' Lauisce ou Lauiste, lire Juste.
(•)
(«)
'*' La colonne où commence cette légende
est entièrement grattée ; on peut toutefois y
déchiflrer quelques mots qui suffisent à l'iden-
tification. Nous transcrivons les premiers mots
en nous aidant du ms. de Bruxelles. Manquent
ensuite vraisemblablement quatre feuillets qui
devaient contenir l'article 87 et le commen-
cement de l'article 38. C'est aussi d'après le
ms. de Bruxelles que nous rétablissons le dé-
but des articles 3"] et 38. — Le traité de
l'Antéchrist devait être suivi, ici comme ail-
leurs, d'un court morceau, qui ne vient pas
d'Adson, et qui est intitulé, dans les manu-
scrits, «le Jugement Nostre Seigneur». Nous
considérons ce morceau, dont nous ignorons
la source , comme faisant partie de la rédac-
tion française du traité de l'Antéchrist, et ne
lui assignons point de numéro.
<'' Tischendor(, Apocalypsesapocryphae (Lip-
siae, 1866), p. ia4.
5i.
404 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
38. (Fol. 22 1 b) Miracles de saint André^^K — Bien sachent tuit cil qxii sont
créant en nostie soingneur Jhesucrist que uns emfes qui Egiptius avoit non, cpie
ses pères, qui Demestres estoit apelez, amoit souvereinnement . . .
39. (Fol. 235 c) Vie de saint Arnoal, évêqae de Tours [Catal. codd. hatjiogr. Bibl.
nat. Parisiensis, I, /n5). — Tuit créant on Nostre Seingnour doivent oïr et en-
tendre la benoite vie monseigneur saint Hernol, le beneoit niartir. . .
40. (Fol. 2^1 b) Vie de sainte Marie -Madeleine [Catal. codd. hagiogr. Bibl. nat.
Parisiensis, III, 525). — Après ce que nostre sires Jhesucriz, qui est uioiens de
Dieu et des homes , par sa passion et par sa resurection , ot véincue la mort . . .
41. (Fol. 2^7) Vie de sainte Marie l'Égyptienne (mise en prose de la vie rimée
indiquée ci-dessus, p. 867, sous le n° 2 '^'). — A ce premier mot vos dirai por quoi
ele fu apelée egipcienne : quar ele fu née d'Egipte et norrie et reçut baptesmc . . .
42. (Fol. 253 d) Vie de saint Luc [Catal. codd. hagiogr. Bibl. regiae Bmxellensis,
II, 38, 278, kofi). — Seint Luc l'evangelistre , selon ce que dient li autor et li
livre de l'Eglise, fu siriens'^' et nez d'Antioche, et fu bons fuisiciens ''' . . .
Ce légendier a visiblement le caractère d'une compilation formée
d'éléments divers juxtaposés plutôt que classés. Nous y trouvons :
1° (Art. 1-1 3.) Douze des quatorze légendes dont se compose il,
il y manque saint Thomas [A, art. 1 3) et saint André '^'. Il y a en plus,
dans cette partie, un récit sur le martyre de saint Jean l'évangéliste
(art. 4) qui ne se trouve pas dans A. De ces différences on peut déjà
conclure que les articles communs aux légendiers A et B n'ont pas
été empruntés par le second au premier, ce qui est du reste confirmé
par certaines variantes caractéristiques, ainsi qu'on peut le recon-
naître en comparant les courts extraits que nous avons imprimés de
l'un et l'autre légendier. En somme, dans cette partie, les deux re-
cueils reproduisent, avec plus ou moins de liberté, un fond commun.
a" (Art. i4 à 32.) Quatre légendes de martyrs (Sébastien, Vin-
cent, Georges, Christophe), et cinq de martyres (Agathe, Luce,
Agnès, Félicité, Christine), formant deux petites séries que nous re-
'"' La rubrique annonce une vie de saint faite par Wauchier de YHistoria monachorum de
André, mais il n'y a que les miracles. L'on- Rufin. Nous l'avons signalée ci-dessus , p. 373.
ginal dans Periz, Monamenta, série in-zi". Ensuite (fol. 267) vient la version en prose,
Scriptores reram merovingicaram.l , 816. d'après le latin, de l'histoire de Barlaam et
'*' Cf. Notices et extraits, XXXV, a* partie, .losaphat, dont on a d'autres copies (ci-dessus,
p. 493;XXXyi,p. 468. p. 3i3).
'*' Ms./n sifiens. <'l La traduction des miracles de saint An-
'*' Le ms. Nouv. acq. fr. loiaS contient dré, qui se trouve à la fin du recueil (art. .ÎS),
encore, à la suite de la vie de saint Luc n'est pas à confondre avec l'article 1 4 du légen-
(fol. 355), un texte incomplet de la version dier A.
I
IL LÉGENDES EN PROSE. 405
verrons, dans le même ordre ou à peu près, en d'autres légen-
diers'''.
3° (Art. 2 3 et suiv.) Une série de légendes non classées, commen-
çant à Yinventio S. Cracis , parmi lesquelles nous reconnaissons celles
de saint Denis et des saints Côme et Damien, que nous avons déjà
vues plus haut (p. 399) entre les additions au légendier A. Nous y
trouvons aussi trois vies (Sixte, Laurent et Hippolyte) qui semblent
bien avoir été traduites par le même écrivain , et qui reparaîtront dans
le même ordre en un grand nombre des légendiers que nous étudie-
rons par la suite. La vie de saint Lambert (art. 3o), précédée d'un
prologue du traducteur, pourrait être jointe à ce petit groupe, car,
en d'assez nombreux manuscrits, elle fait suite aux vies de saint Sixte,
saint Laurent et saint Hippolyte. Le Purgatoire de saint Patrice, les
vies de saint Julien et de saint Brendan (art. 3i-33), la légende de
l'Antéchrist (art. 36) , ont été mises en français et publiées à part avant
la composition de notre légendier. C'est du moins la conjecture que
nous avons exprimée plus haut (p. 388 et suiv.). L'homélie sur la vie
de Thomas de Cantorbéry (art. 34) ne saurait être attribuée à aucun
des traducteurs qui ont mis en français les autres morceaux du légen-
dier; la traduction de cette homélie est presque littérale; le style en
est lourd et pénible, tandis que les autres traductions que renferme
notre légendier B sont assez libres et d'un style simple et facile. La
vie de saint Julien l'hospitalier (art. 32), rédigée en prose d'après un
poème, a eu une existence indépendante avant d'être introduite dans
nos recueils de légendes en français. Nous sommes portés à croire qu'il
en a été de même de la vie de Marie l'Egyptienne (art. 4i), qui est
aussi la mise en prose d'un poème. Sans doute cette vie ne s'est
pas rencontrée jusqu'ici en dehors des légendiers : il ne semble pas
probable, cependant, qu'elle ait été écrite pour prendre place dans
ces compilations dont les auteurs avaient coutume de faire leurs
traductions d'après les textes latins.
Les vies de saint Silvestre (art. 35), de saint Arnoul (art. 39), de
sainte Marie-Madeleine (art. 4o), de saint Luc (art. 42) apparaissent
ici pour la première fois : ce sont des additions que nous retrouverons
en maint autre recueil. Remarquons que la Madeleine a été placée
'•' Les quatre premières de ces cinq vies manuscrit de Saint-Pétersbourg (Notices et
de martyres forment un groupe à la fin du extraits, XXXVI, 714).
406 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
intentionnellement auprès de Marie l'Égyptienne. Quant à la vie
de saint Luc, qui clôt le légendier, elle est bien évidemment une
addition : sa place naturelle eût été dans la première partie du
recueil, près de celle de saint Marc; et c'est aussi la place qui lui a
été assignée en deux éditions augmentées de notre légendier, comme
on le verra dans les pages qui suivent. iM.n ^
Nous retrouverons en de nombreux légendiers les éléments de celui
que nous venons de décrire. Nous étudierons ces légendiers les uns
après les autres, en commençant par ceux qui s'éloignent le moins du
type B.
Nous traiterons d'abord de deux manuscrits qui, malgré l'addition
de quelques légendes, se rattachent d'assez près au type B pour qu'il
soit possible de les faire entrer dans le même groupe : ce sont les
n*" Add. 65 2 4 du Musée britannique , et 588 de la Bibliothèque Sainte-
Geneviève. Nous désignerons le premier par B\ le second par B^.
Le ms. Add. 652/4, delà seconde moitié du xiii"' siècle'*', peut être
considéré comme représentant une édition augmentée de -B. Les diffé-
rences sont les suivantes : i " la vie de saint Luc est placée à sa place la
plus naturelle , après celle de saint Marc; 2 "les miracles de saint André
et la vie de saint Arnoul (art. 38 et-Sg de 5 sont intervertis; 3° la vie
de saint Georges (art. i6 de B) manque; 4° ce manuscrit ajoute neuf
légendes; 5° il range les dernières vies dans un autre ordre.
Voici la table complète de ce recueil, les premières lignes du texte
n'étant données que pour les légendes qui ne figurent pas dans B :
1 . ( Fol. 2 ) Dispute de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le magicien ( B i ).
2. (Fol. 7 b) Passion de saint Pierre [B a).
3. (Fol. lie) Passion de saint Paul (B i).
4. (Fol. 1 5 b) Martyre de saint Jean l' évangéliste [B k). '
5. (Fol. i5c) Vie de saint Jean l'évangéliste {B b). '
'' ' 6. (Fol. 19 c) Vie de saint Jacques le Majeur (B 6). "'
7. (Fol. 33 d) Vie de saint Mathieu {B 7).
«11 8. (Fol. 39) Vie des saints Simon et Jude (B 8).
9. (Fol. lih h) Vie de saint Philippe [B 9).
10. (Fol. AS bj Vie de saint Jacques le Mineur [B 10).
,11, (Fol. 1x6 h) Vie de saint Barthélemi (B 1 1 ).
<■' L'écriture est anglaise et on rencontre ch fois il n'est guère douteux que ce légendier
et là des formes du français d'Angleteire. Toute- soit la copie d'un manuscrit fait en France.
IL LÉGENDES EN PROSE. 409
12. (Fol. 49 c) Vie de saint Marc {B i-x).
13. (Fol. 5o d) Vie de saint Luc {B 42).
14. (Fol. 5i c) Vie de saint Longin (B i3).
15. (Fol. 53 b) Vie de saint Sébastien {B ilt).
16. (Fol. 56) Vie de saint Vincent [B i5).
17. (Fol. Sg d) Vie de saint Christophe [B i-j).
18. [Fol 66 c) Vie de sainte Agathe {B 18).
19. (Fol. 68 d) Vie de sainte Lace (B 19).
20. (Fol. 70 b) Vie de sainte Agnès (B ao).
21. (Fol. 73) Vie de sainte Félicité (Bai).
22. (Fol. 74 c) Vie de sainte Christine (B 22).
23. (Fol. 79 d) Invention de la Croix (6 23).
24. (Fol. 8a) Vie de saint Qairiague [B ik).
25. (Fol. 82 d) Vie de sainte Pétronille {A A. SS., mai, III, 10). — Ci comense
li escriz que Marcellus, H disciples monseignur seint Père, fist aus benois martires
Nero etChileo. 11 lor dist : « Vos conustes bien Perenele, que fut paralitique. . . »
26. (Fol. 83) Vie de sainte Felicala{AA. SS., mai III, 1 1). — Placeus (^ Flac-
cus) torna son corage en la seinte virge qui estoit nomée Fenicula. Placeus li dist :
« Eslis une chose"' ...»
'''• 27. (Fol. 83 b) Vie de saint Bahylas [AA. SS., janvier, II, 571). — Ci comence
la ^ie seint Babile , l'evesque d'Antyoche , qui fu au tens Numerien , qui la loy des
payennes tenoit , et aoroit les ydoles et les ymages entailiéez de coevere et d'arreyn . . .
28. (Fol. 84) Vie de saint Marias, de sainte Marthe et de leurs fils Aadifax et
Abacac [AA. SS., janvier II, 216). — Du tens Claudien l'empereor vint un home
a Rome atot sa famé et ses .ij. fdz . . .
29. (Fol. 85) Vie de saint Félix de Noie (AA. 55., janvier, I, gSi). — Voirs est
qu'il avint que, après le trespassement monseignur seint Félix. . .
30. (Fol. 85 c) Vie des Trois frères jumeaux [Catal. codd. hagiogr. Bihl. reg,
BruxelL, II, 291). — Al tens de [lis. ke) Speosippus et Eleosippus et Meleosippus,
cil trois frères, vindrent avant, corust par tote la citée de Langres. . .
31. (Fol. 87) Vie de saint Denis (B 2 5).
32. (Fol. 91b) Vie des saints Came et Damien [B 26).
33. (Fol. 94c) Vie de sainte Anastasie [Bihlioth. Casinensis, III, Florileginm ,
p. 179). — Ore entendez, si vos dirrons avant d'une seinte virge qe mult ama
Nostre Seignur et ses overes, seinte Anestaise ot non'^'. . .
34. (Fol. 101c) Vie de saint Arsène (Rosweyde, Vitae patrum, p. 507; Migne,
Patr. lat., LXXllI, 702). — Uns home fu el paleis Theodose qui estoit nomez
Arsannes; si ot .j. filz. . .
35. (Fol. 101 d) Vie de sainte Cécile (Mombritius, 1). — Haute chose est d'oir et
''* Cette légende et la précédente sont les ''' Dans le ms. 1716 de la Mazarine cette
deux parties d'un même apocryphe. Aussi vie est précédée d'un prologue qui manque
les trouve-t-on toujours ensemble. ici comme dans les autres copies.
408
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
d'entendre et de retenir la seinte foi et la seinte ioy Nostre Seignur qe li apostre
tendrent. . .
06 c) Vie de saint Sixte {B a 7).
08) Vie de saint Laurent {B 28).
10 b) Vie de saint Hippolytc [B 2g).
11 d) Vie de saint Lambert [B 3o).
I 5 c) Purgatoire de saint Patrice [B 3 1).
20 d) Vie de saint Julien de Brioude [B ^2).
29 c) Vie de saint Brendan [B 33).
37 d) Vie de saint Thomas de Cantorhéry [B 2>!x). 1
lio) Vie de iaint Silvestre [B 35).
5o) L'Antéchrist [B 36).
5i) L'assomption Notre-Dame [B S^).
53 b) Vie de saint Arnoal [B 3g).
56 d) Miracles de saint André [B 38).
65 c) Vie de sainte Marie-Madeleine [B ko).
68 d) Vie de sainte Marie l'Egyptienne [B di).
36. (
Fol. 1
37.
Fol. I
38.
Fol. 1
39.
Fol. 1
40.
Toi. 1
41.
Fol. 1
42.
'Fol. 1
43.
Fol. I
44.
Fol. 1
45.
Fol. 1
46.
Toi. 1
47.
Fol. i
48.
Fol. 1
49.
Fol. 1
50.
Fol. 1
Le manuscrit 588 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, que nous
désignerons par 5^, est la première partie d'un recueil d'ouvrages
variés, mais tous de la même écriture, dont la seconde partie est
actuellement conservée à la Bibliothèque nationale sous le n" 24^29
du fonds français. Le légendier, toutefois, est complet dans le manu-
scrit de Sainte-Geneviève : il n'y manque aucun feuillet. Il est certai-
nement apparenté aux légendiers B et B^ que nous venons de décrire,
mais il ne dérive ni de l'un ni de l'autre. Des quarante-sept légendes
3u'il renferme, vingt-sept seulement sont comprises dans B et trente
ans BK Trois de celles qui manquent à ce dernier manuscrit (n°* 5,
i8, 26) se retrouvent dans B. Il contient enfin quatorze légendes
qui sont inconnues à J5 comme à B\ et, entre ces quatorze légendes,
il en est deux, celles de saint Denis (20) et de saint Eustache (24)
qui, nou,s l'avons vu plus haut (p. 38 1 et suiv.), sont des composi-
tions isolées, accueillies plus ou moins tard dans des compilations
en vue desquelles elles n'avaient pas été rédigées. La table qui suit per-
mettra d'apprécier d'un coup d'oeil les particularités qui distinguent
la compilation du manuscrit de Sainte-Geneviève*'* :
''' Nous ne citerons les premiers mots que pour les légendes que nous n'avons rencontrées ni
dans B, ni dans B\
II. LEGENDES EN PROSE.
1. (Fol. I ) Conversion de saint Paul. — Après ce que saint Estiene fu B
lapidez, li jouvenciaus qui gardoit les robes de cels qui le lapidèrent,
qui avoit non Saules'" «
2. (Foi. I d) Dispute de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le
magicien i
3. (Fol. 7) Passion de saint Pierre 2
4. (Fol. 1 2 ) Passion de saint Paul 3
5. (Fol. 16 b) Martyre de saint Jean iévangéliste 4
6. (Fol. i6 c) Vie de saint Jean l'évangéliste -'. . . 5
7. (Fol. 2 1 b) Vie de saint Philippe t. . . 9
8. ( Fol. 2 1 ) Vie de saint Earihélemi 11
9. (Fol. 2 5 d) Miracles de saint André 38
10. (Fol. 4o) Vie de saint Jean Baptiste. — Molt doit chascuns crestïens
et chascune crestïene volentiers oyr parler de Dieu et de ses amis'*' .... //
1 1. (Fol. A 5 c) Vie de saint Jacques le Majeur, suivie de la translation
et des miracles 6
12. (Fol. 63) Vie de saint Mathieu 7
13. (Fol. 69 c) Vie de saint Simon et de saint Jude 8
14. (Fol. 76) Vie de saint Thomas l'apôtre^^^ //
15. (Fol. 80) Vie de saint Barnabe (Mombritius, 1). — Sains Barnabés
Hapostres fu de Chipre, et fu apelez Joseph, et fu en l'office d'apostre'*'. //
1 6. ( Fol. 80 d) Vie de saint Lac /i2
17. (Fol. 81 d) Vie de saint Marc 12
18. (Fol. 83 d) Vie de saint Etienne [Acta apostoloram, ch. \i et vu).
— Après la Pentecoste , quant la foiz de sainte Eglise comença a essaucier '^'. //
19. (Fol. 84 c) Vie de saint Vincent i 5
20. (Fol. 89 c) Vie de saint Denis ^^> //
2 1 . (Fol. 1 0 1 c) Vie de saint Clément (Mombritius , 1 ; Surius , 2 3 nov. ).
— Sains Climens fu li tiers apostoies de Ronme. Il faisoit volentiers les
enseignemenz saint Père , et sains Pères li donna la digneté d'estre apo -
stoles''" //
409
1
2
3
'4
5
9
1 1
48
7
8
i3
1 2
16
'"' Homélie pour la fête de la Conversion
de saint Paul (aS janvier), qui a pris place en
un assez grand nombre de légendiers; voir
Bull, de la Soc. des anc. textes français , 1892,
p. 91; Notices et extraits, XXXV, 475. Elle
se trouve aussi dans le légendier classé selon
l'ordre de l'année liturgique. Notices et ex-
traits, XXXVI, 22.
'*' Pour d'autres copies, voir Notices et
extraits, XXXVI, 428. L'original latin de ce
récit, s'il existe, ne nous est pas connu. C'est
plutôt une compilation rédigée d'après diverses
sources latines.
HIST. LITTER.
XXXIII.
''' Même rédaction que dans le légendier/l,
ci-dessus, p. SgS.
'*' Légende qui a pris place en de nombreux
légendiers. Voir Notices et extraits, XXXV,
^79- ^
<*' Se rencontre en de nombreux légen-
diers; voir Notices et extraits, XXXV, 48 1.
''' C'est la version dont nous avons parlé plus
haut (p. 385). Celle que renferment les légen-
diers B (art. 25) et B' (art. 3i) est diffé-
rente.
''' Même version ailleurs; voir Notices et
extraits, XXXIV, 1'" partie, p. 189.
52
410 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
22. (Fol. ïoli) Viedesaint Valentin [AA. SS., févr., II, ySG). — Sainz B B'
Valentins fu evesques d'une cité qui avoit non Tarenne. Moit estoit preu-
doiii et bons clers'^' « «
23. (Foi. io5c) Viedesaint Jacques le Mineur{AA. SS., mai, I, 3o). —
Sains Jacques, dont vous avez oy, ([ui fu cousins Jhesucrist et fu evesques
de Jérusalem, et fu apclez Juste en sornon'^' « «
24. (Fol. 1 o6 d) Vie de saint Eustache. — Au tensTroyen fempereour,
que dyables avoit grant force et grant pooir'^' « //
25. (Fol. 1 1 3 b) Vie de saint Georges^''^ 1 6 //
26. (Foi. 1 18 b) Vie de saint Christophe l 'j i y
27. (Fol. I 2y b) Invention de la Croix aS 23
28. (Fol. i3ob) Vie de saint Qairiaque a/j 2I1
29. (Fol. 1 3 1 ) Vie de saint Bahylas // 2 y
30. (Fol. i32 b) Vie de saint Marins, de sainte Marthe, etc « 28
31. (Fol. i33 d) Vie de saint Félix de Noie « 29
32. (Fol. 1 34 c) Vie des Trois frères jumeaux « 3o
33. (Fol. 1 36 c) Vie de saint Côme et de saint Damien 26 32
34. (Fol. 1 4 1 b) Vie de saint Arsène // 34
35. (Fol. 1 4 J d) Vie de saint Sixte 2 y 36
36. (Fol. 1 43 d) Vie de saint Laurent 28 37
37. (Fol. 1 46 d) Vie de saint Hippolyie 29 38
38. (Fol. 1 49 b) Vie de saint Lambert , . . 3o 39
39. (Fol. 1 54 c) Vie de saint Longin 1 3 1 4
40. (Fol. 1 56 d) Vie des saints Fabien et Sébastien 1 4 1 5
41. (Fol. 1 60 b) Vie de saint Thomas de Cantorbéry 34 43
42. (Fol. i63b) Vie de saint Chrysant et de sainte Daire [A A. SS.,
oct., XI, 437). — Tholomeus(/. Poleniius), très nobles bons et honorez
delà cité d'Alixandre, bien puissans , quant il vint en la cité de Ronme'*'. « //
43. (Fol. 1 67) Vie de saint Théodore (abrégé de la légende latine qui fait
partie du Sanctuarium de Mombritius). — Au tens de deus empereours
Maxime et Maximien , toutes les gens estoient contrains a sacrefier as
ydoles. A ceus contredisoit molt sainz Theodores^®' // «
44. (Foi. 167c) Vie de saint Martinien [AA. SS., juillet, I, 3o3;
Bibliotheca Casinensis , Floril. , p. 2 4o). — Quant Symons Magues fu mors
'"' Se trouve en plusieurs iégendiers fran-
çais; voir Notices et extraits, XXXVI, 43 1.
''' Nous avons déjà rencontré deux traduc-
tions de la vie de saint Jacques le Mineur,
l'une dans A (art. 8), l'autre dans B (art. 10)
et dans jB' (art. 10). Celle de B' diffère de
l'une et de l'autre. EUe se trouve en quelques
Iégendiers; voir Notices et extraits, XXXIV,
1" partie, p. 189.
'^ Voir plus haut, p. 38 1.
'*' Cette vie a été publiée , d'après ce manu-
scrit même, dans les Publications of the Mo-
dem language Association of America (Balti-
more), nouv. série, X, 5i5-5a5.
''' Voir, pour d'autres copies de cette ver-
sion, Bull, de la Soc. des anc. textes français ,
1892, p. 91.
'*' Cette version n'a été rencontrée jusepi'ici
que dans quelques manuscrits dont il sera ques-
tion plus loin. Cf. /Yo^ ('/ p.rir., XXXVl, /i5o.
IL LÉGENDES EN PROSE.
et crevez, si com vous avez oy dire, Noirons, li très félons empereres, con- 1^
manda a .j. haut home puissant, qxii Paulin estoit apeiez, qu'il preïst les
.ij. aposti-es S. Père et S. Pol «
45. (Foi. 1 69) Vie de saint ylmou/(" ig
46. (Fol. 1 73 d) Vie de saint Pantaléon (Mombritius, II). — Au tens
que Maximiens estoit empereres a Ronme , ert grans persecucions sur ceus
qui en Nostre Seigneur creoient, et H plusour se repounoient es mon-
taignes et es fosses''^' «
47. (Fol. i-j g d) Vie de saint Victor {AA.SS.JévT.JÎl, lyS). — Anto-
nins fu jadis uns rois de paiennie. Cis rois conmanda par tout son em-
pire que , t[ui trouveroit crestïen en nul [lia] , que il fust contrains a faire
sacrefice aus ydoles'*' //
411
à-J
Groupe C. — Nous rangeons dans cette classe certains recueils qui
contiennent une grande partie des légendes que nous avons rencon-
trées dans le groupe B et qui les présentent dans le même ordre. Nous
désignons par C deux manuscrits à peu près semblables, l'un appar-
tenant à notre Bibliothèque nationale , îr. ^12, l'autre conservé au
Musée britannique, Old Roy. 20. D. vi'*). Ils se composent de 67 ar-
ticles. Le premier manuscrit est daté (fol. 227 c) de 1286; le second
est au moins aussi ancien. Nous désignerons par C un autre exem-
plaire qui contient le môme recueil avec diverses additions.
C est identique à B pour les légendes 1 à 2 2 . 11 n'a pas les articles 2 3
à 26 de 5 (Invention de la Croix, saint Quiriaque, saint Denis, saint
Côme et saint Damien). Il a, sous les n°' 24 à 27, les articles 27 à 3o
de B, dans le même ordre. Il a encore, sous les n"' 4o, 43, 67, les
articles 37, 3i, 36 de B. Ainsi donc, sur 67 articles, C en a 29 qui
lui sont communs avec B. Mais, de plus, les articles 23, 28, 29 se
retrouvent soit dans B\ soit dans B"^. Restent vingt-cinq légendes que
'"' Cette vie, quoique se trouvant dans la
famille B, n'en est cependant pas tirée, ici , en
efiFet , le début est tout autre : « Iceste parole
«puet estre entendue de monseigneur saint
« Hernoul , en cui honor nous sommes assemblé.
«Icil sains, ce nous dist l'Escriplure, fistgrant
«vertu devant Nostre Seigneur, et toute la
«terre fu raemplie de sa doctrine. . . » Le
même début se rencontre en d'autres copies :
voir Notices et extraits, XXXVL ^Sg.
''' Voir, pour d'autres copies, Romania,
XVlI,38oetXXXlV, /II.
''* On connaît au moins trois autres copies de
cette rédaction. Voir Noticeset extraits , XXXVI ,
457, et Bibliothèque royale de Belgique 952.5 ,
fol. i?,?,.
<*' La seule difterence est que dans le second
de ces deux manuscrits manque le premier
des deux récits relatifs à saint Jean l'évangé-
liste (art. 5 de la liste qui suit). D'autres diffé-
rences dans l'ordre des légendes ne sont qu'ap-
parentes et viennent de ce que, lors de la
reliure du manuscrit 20. D.vi, certains cahiers
ont été déplacés.
53.
412
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
nous n'avons pas rencontrées dans les groupes A. et B. Entre ces vingt-
cinq articles, cinq (3o, 3i, Sa, 36, 3/) sont des traductions faites
par le Wauchier de Denain dont nous avons longuement traité dans
une précédente notice. Les vingt autres légendes reparaîtront en
des recueils que nous étudierons plus loin.
Nous donnerons présentement l'analyse de C d'après le ms. B. N.
fr. 4i2('):
l.
2.
3.
4.
5.
6.
et des miracles
7.
8.
9.
10.
II.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
Fol. 5) Dispute de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le magicien.
Fol. lo) Passion de saint Pierre.
Fol. \lib) Passion de saint Paul.
Fol. 1"] d) Martyre de saint Jean l'évangéliste.
Fol. i8) Vie de saint Jean iévangéliste.
Fol. 2 1 d) Vie de saint Jacques le Majeur, suivie (fol. 2 lie) de la translation
Fol. 35) Vie de saint Mathieu.
Fol. Sg d) Vie de saint Simon et de saint Jade.
Fol. 45) Vie de saint Philippe.
Fol. 45 d) Vie de saint Jacques le Mineur.
Fol. 46 d) Vie de mint Barthélemi.
Fol. 49 d) Vie de saint Marc.
Fol. 5i b) Vie de saint Longin.
Fol. 52 d) Vie de saint Sébastifn.
Fol. 55 c) Vie de saint Vincent.
Foi. 59) Vie de saint Georges.
Fol. 62) Vie de saint Christophe.
Fol. 68 d) Vie de sainte Agathe.
Fol. 7 1 ) Vie de sainte Luce.
Fol. 72 d) Vie de sainte Agnès.
Fol. 75 d) Vie de sainte Félicité et de ses sept fils.
Fol. 77) Vie de sainte Christine.
Fol. 82 b) Vie de sainte Cécile (B^ 35).
Fol. 87 b) Vie de saint Sixte {B 27).
Foi. 88 c) Vie de saint Laurent (B 28).
Fol. 91) Vie de saint Hippolyte [B 29).
Fol. 92 d) Vie de saint Lambert [B 3o).
Fol. 96 d) Vie de saint Pantaléon [B'^ 46).
Fol. 101 c) Vie de saint Clément [B'^ 21).
Fol. io3) Vie de saint Martin de Tours, par Sulpice Sévère, traduite par
Wauchier de Denain; cf. ci-dessus, p. 283. Suit (fol. i i3d)la translation.
'"' Nous ne transcrirons les premiers mots que pour les légendes qui n'ont pas encore été
mentionnées.
11. LEGENDES EN PROSE.
413
31. (Fol. 1 i/i) Dialogues de Sulpice Sévère sur saint Martin, traduits par VVau-
chier de Denain; cf. ci-dessus, p. 286-7.
32. (Foi. 127) Vie de saint Brice, traduite par Wauchier de Denain; cf. ci-
dessus, p. 285.
33. (Foi. 128b) Vie de saint Gilles [AA. SS., sept., I, 299). — Nus crestïens n'est
en terre qi Nostre Signor voeiiie servir ne amer, qi voientiers n'entend^ et oie ceus
qui racontent et dient les oevres des seinz homes'". . .
34. (Fol. 1 3i b) Viedesaint Martial (Surius, 3o juin). — Au tens qe nostre sires
Jesucriz preechoit et enseignoit les Juïs, qi estoient de la lignie Benjamin, en la
terre de Jérusalem'*'. . .
35. (Fol. 1/12) Fie c?eiaintiVico/as(Mombritius, 11), suivie des miracles (fol. i^3c)
et de la translation (fol. i5i). — Moût doit voientiers oïr et entendre tote créature
qi Nostre Signour aime et croit les vies et les oevres des seinz (^' . . .
36. (Fol. 187) Vie de saint Jérôme, traduite par Wauchier de Denain; voir ci-
dessus, p. 280.
37. (Fol. i58d) Vie de saint Benoit, traduite par Wauchier de Denain; voir ci-
dessus , p. 281.
38. (Fol. 167 d) Vie de saint Alexis [AA. 6'i\ , juillet , IV, 254)- — En cel tens
qe la loy Nostre Signor estoit creûe et essaucie , et qe les genz se penoient donques
plus de bien faire qu'il ores ne font '*'...
39. (Fol. 170c) Vie de sainte Irène [A A. SS., mai II, 4). — Seinte Yrine, la
martyre nostre signor Jesucrist , fu fille au roi Lichin et a la roine Licine , et fu née
en la cité de Magedon , . ,
40. (Fol. 17a d) L'Assomption {B i-j).
41. (Fol. 174 d) Vie de sainte Ca//imne ( Mombritius , 1). — Les estoires annales
nos enseignent qe Costentins li fmz, qui reçut de Costentin son père le gouvernement
de l'empire'^' . . .
42. (Fol. 181 ) Vie de saint André [Passio sancti Andreae apostoli^^^) , suivie des
miracles (fol. 1 83)'^'. — De la passion seint Andrieu dient einsint li exposteur : Nos
le veïsmes tout prestre et dyacre des eglisses d'Achaïe . . .
43. (Fol. 192 b) Purgatoire de saint Patrice [B 3i).
44. (Fol. 197 d) Vie de saint Paal l'ermite (saint Jérôme). — Assez de genz ont
sovent douté qi fu li premiers hermites qui premièrement habita es forés'*' . . .
'*' Nous retrouverons cette version en de
nombreux légendiers. Un plus long morceau
du début a été cité dans la notice sur trois lé-
gendiers attribués à Jean Belet , art. 1 1 1 ( No-
tices et extraits des manuscrits, XXXVI, 453).
''' Pour d'autres copies de cette version,
voir Romania, XVII, 385; Notices et extraits,
XXXrV, 1" partie, ig/l.
''' Version publiée en i834, pour la So-
ciété des Bibliophiles français, par Monmer-
qué, d'après le ms. B. N. fr. 4a 2. Voir Ro-
mania, XVII, 38 1.
'*' On a d'assez nombreuses copies de cette
vie ; voir Notices et extraits , XXXVI ,691.
''' Pour d'autres copies, voir Notices et ex-
traits. XXXVI, 466.
'*' Lipsius et Bonnet, Acta apostolorum apo-
crypha, I, a" partie (1898), 1.
''' Les miracles correspondent à B 38.
'*'■ Version différente de celle de Wauchier,
ci-dessus, p. a6 1 , et de la version champenoise ,
ci-dessus, p. 2 g ■7. Nous en avons toutefois
rencontré le prologue dans un manuscrit de
cette dernière version (ci-dessus , p. 296, note 3).
Hi
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
45. (Fol. 200 b) Translation du corps de saint Benoit à Fleari (Adrevaldus). —
Au tens que li Longuebarz, qui ne creoientpas Nostre Signor, [furent"'], il esloientsi
cruel que il ocioient toz les Crestïens . . .
46. (Fol. 202 d} Vie de saint Mavr {AA. SS. , janvier, I, 1 oSg), — Seinz Mor fu
nez de Rome et fu niolt gentiuz hoin . . .
47. (Fo}. 207) Vie de saint Placide {AA. SS., octobre, III, 1 i/i). — Au tens
Justin et .lustinien , qui furent empereur de Rome . . .
48. (Fol. 209) Vie de saint Easlache {AA. SS., sept., II, i23). — Au tens que
Traianus estoit empereres de Rome, il avoit avec lui un sien baron qi avoit non
Placides W.. .
49. (Fol. 2 1 ï h) Vie de saint Fursi [AA. SS., janvier, II, /4/j). — Un preudome
fu qi ot non Fursins, de moût honorable vie, molt nobles par lignage'^*. . .
50. (Fol. 2 i3) Vie de sainte Marguerite (Mombritius). — Après la glorieuse ré-
surrection nostre signor Jesucrist, et puis qe si ajjostre orent tuit receù la celestiei
corone par la victoire de martyre ''"' . . .
5 1 . (Fol. 2 1 i b) Vie de sainte Pélagie ( A A. SS. , octobre , IV, 261). — Nous devons
toz jorz rendre grâces a Nostre Seignor qi ne veut pas qe li pecheor périssent'*'. . .
52. (Fol. 2 1 5 c) Vie de saint Siméon {AA. SS. , janvier, I). — Seinz Simeons fu
esleûz de Nostre Signor por lui servir, et ses oevres li plorent dès s'enfance . . .
53. (Fol. 217c) Vie de saint Mamertin [AA. SS., avril, II, 759). — Nus cres-
tïens ne conoist com la pitiez de la miséricorde Jesucrist est granz, ne com grant
grâce sa debonereté done a l'umein lignage . . .
54. (Fol. 219) Vie de saint Julien du Mans [AA. SS., janvier, II, 762). — Seinz
Juliens, qi fu evesques du Mans, fu nez de Rome de molt gentils genz. . .
55. (Fol. 221) Vie de sainte Marie l'Égyptienne {AA. SS., avril, I, 76). — En la
contrée de Palestine ot un moine , seint home et de bone vie , qi , de s'enfance , fu
norriz en moniage. . .
56. (Fol. 225) Vie de sainte Euphrasie [AA. SS., mars, II, 264, texte du ms.de
Saint-Omer). — A Rome ot un sénat qui ot non Antigonus, et estoit molt boens boni
et cremoit Nostre Seigneur. . .
57. (Fol 226) L'y4n<^c/tmf, suivi du «Jugement Nostre Seigneur'^' »(B36,fi'45).
Le ms. B. N. fr. fin, que nous désignerons par C\ contient le
même légendier que les mss. B. N. fr. 4i2 et Musée brit. 20. D. vi.
<"' Ce mot , qui manque dans le ms. 413,
est rétal)li d'après le ms. 4 1 i .
'*' Cette version est différente de celle dont
nous avons donné des extraits ci -dessus,
p. 383.
f' Cf. Notices et extraits. XXXVI, Uo.
'*' Une partie de cette version a été pu-
bliée, d'après le ms. B. N. fr. 4i 1 (sur lequel
voir plus bas) , par A. .loly, La vie de sainte
Marguerite , iioème inédit de Wace [ Paris , Vie-
weg, 1879), p. i4i. — Divers extraits du
texte latin sont cités dans le même ouvrage,
p. I 3 1 et suiv.
'"' Un fragment plus long de cette version
a été imprimé dans le Bulletin de la Société des
anciens textes français, i885, p. 66, d'après ie
ms. 7 7 a de Lyon.
'•> Ce dernier morceau a pour rubrique :
«Ici comence de la résurrection .Ihesu», mais
c'est un titre erroné , que nous remplaçons par
celui que présentent d'autres manuscrits (voir
p. 4o3, note 8).
11. LEGENDES EN PROSE.
4i:
Ce qui le Histing^ue, c'est uniquement que le recueil y est précédé de
cinq morceaux qui ont pour sujets : i°la nativité du (îhrist''*; -i" l'ado-
ration des Mages; 3" la purification de Notre Dame; 4° 1'"^ passion du
Christ et sa descente aux enfers; 5° une homélie sur la conversion de
saint Paul. Ces cinq articles forment comme une introduction au légen-
dier proprement dit. Nous les retrouverons, augmentés d'un sixième
article, sur la chaire de saint Pierre, en tête de recueils plus ou moins
différents de C. Il ne nous parait pourtant pas que ces opuscules aient
été composés ou traduits en vue de servir de préambule à des collec-
tions hagiographiques. D'abord, ils sont absolument indépendants
les uns des autres, et on n'a même pas pris la peine de les relier par
une formule de transition. Puis on les rencontre ]5resque tous en
divers manuscrits qui ne sont nullement des légendiers'"^'.
Les trois premiers articles sont de véritables sermons, entrecoupés
de citations bibliques en latin. Le prédicateur s'adresse de temps à
autre à ses auditeurs dans les formes ordinaires: « Seignor. . ., Bonne
gent 11. De ces sermons, le deuxième, pour l'Epiphanie, et le troisième,
sur la Purification, présentent une étroite ressemblance avec ceux
que Maurice de SuHi a composés pour les mêmes fêtes : certaines
parties sont identiques de part et d'autre; ailleurs le texte de nos
deux articles est abrégé ou développé ^'^l Nous croyons que Maurice
de Sulli, dont les sermons français ont été si souvent copiés au
xii" siècle et plus tard, est f original. Nous reconnaissons toutefois
qu'il ne sera possible d'arriver, sur ce point, à une complète certi-
'"' Un texte latin de ce récit se trouve dans
YAbbreviaiio in gestis sanclorum dont il sera
traité plus loin. Woir Notices et extraits, XXXVI,
317, note a.
'*' Par exemple , les quatre premiers articles
sont transcrits : dans le ms. B. N. fr. ^og ,
ff. 12-33, qui ne contient d'ailleurs qu'une lé-
gende hagiographique , celle de la Madeleine
(fol. 160), les autres ouvrages que renferme le
même manuscrit (le Mariarie Notre Dame, en
vers, la Somme le Roi, la Lamentation Notre
Dame ) ayant un tout autre caractère ; dans les
mss. B. N. fr. 24209, (T. 2 et suiv., et 22/I95,
fi". 2 et suiv. , qui sont identiques , soit qu'ils
aient été copiés l'un de l'autre , soit qu'ils aient
eu un modèle commun (voir la description
qui en est donnée dans le Recueil des Histo-
riens des croisades, Histor. occid., II, xxiii et
XXIV, sous les anciens n°' Sorh. 383 et 387, la
description donnée dans le Catalogue général
des mss. français étant insuffisante) ; enfin,
dans le ms. de Turin L. i; 5 (ancien K. vi. 8,
Pasini), fol. 2 et suiv., qui, pour le contenu,
est identique aux deux précédents. — Le qua-
trième article (évangile de Nicodème) se ren-
contre non seulement dans le ms. 409 , mais
encore, isolément, dans les mss. B. N. i'r. 187
et 907, et ailleurs encore (cf. ci-dessus, p. 393).
— Quant au cinquième (conversion de saint
Paul), on le trouve, comme les (juatre pre-
miers articles, dans le ms. Ir. 409, fol. 29.
<'' Voir les rapprochements établis dans la
notice du ms. B. \. fr. 6447, Notices et extraits,
XXXV, 473-474.
416 F.RGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
tude que lorsqu'on aura une édition critique de la rédaction française
des sermons de Maurice de Sulli. I^e quatrième morceau est la tra-
duction de l'évangile de Nicodème, dont nous avons dit un mot plus
haut (p. 393). Le cinquième est l'homélie sur la conversion de
saint Paul qui se lit en tête du ms. de Sainte-Geneviève (ci-dessus,
p. 409).
Groupe D. — Nous rapprochons ici deux manuscrits qui, malgré
d'assez nombreuses différences, ont évidemment un fond commun :
B. N. fr. 17229 (D) et 6447 {D^)- Le ms. D commence par les
cinq morceaux dont nous venons de parler. Il en ajoute un sixième,
une homélie sur la chaire de saint Pierre, qui se trouve ailleurs
encore que dans les légendiers'^^ Le ms. D' a les mêmes récits à la
même place, sauf qu'il intervertit les homélies sur la conversion de
saint Paul et sur la chaire de saint Pierre (art. 5 et 6 de /)).
Nous commencerons par donner une analyse détaillée de D, en
indiquant la concordance avec C, et, pour les pièces qui ne se trouvent
pas dans C, avec les manuscrits du groupe B. Disons tout d'abord
que D est de la seconde moitié du xiii" siècle, qu'il a été exécuté en
Artois, peut-être à Arras même, et qu'il renferme quelques légendes
locales, ou du moins offrant un intérêt particulier pour les fidèles du
Nord de la France, qui ne se rencontrent, à notre connaissance, nulle
autre part sous la même forme.
1 . (Fol. 1 ) Nativité de Jésus — Qant ii tens fut raempliz que nostre sires Jhesu-
criz volt nestre de madame sainte Marie . . .
2. (Fol. i) Apparition (F.piphanie). — Veritez est que, qant nostre sires Jhesucrist
fu nez en la cité de Belleam . . .
3. (Fol. 4) Purification. — Qant li tens fu aconpliz de la gesine madame sainte
Marie. . .
k. (Fol. 5) Passion du Christ et descente aux enfers (Evangile de Nicodème)''''. —
Annas et Kayphas et Symyme , Dadami et Gamaliel . . .
5. (Fol. i3b) Conversion de saint Paul^^K — Après ce que seinz Estiennes fu
lapidez. . . (B* 1).
'*' Par exemple dans le ms. B. N. fr. 409 , ■ gneur devant Pyiate » ; dans le ms. Phillipps :
cité à la note 3 de la page précédente. «Le parlement de la traïson N.S. conment il
'*' Le titre, dans les mss. B. N. 17239 et « fu vendus et trais».
6447, est: tLe parlement de traïr Nostre Sei- ''' La rabrique porte : «Ci commence la con-
II. LÉGENDES EN PROSE.
417
6. (Fol. ili) Chaire de saint Pierre. — Sainte Eglise fet feste en remanbrance
de Tanneur que seinz Peros ot . . .
7. (Fol. i4c) Dispute de saint Pierre et de saint Paul contre Simon le magicien
(C i).
8. (Fol. 2 1 c) Passion de saint Pieire (^2).
9. (Fol. 27 c) Passion de saint Paul (G 3).
10. (Fol. 32 d) Martyre de saint Jean l'évangéliste [C k).
11. (Fol. 33) Vie de saint Jean l'évangéliste [C 5).
12. (Fol. 38 c) Vie de saint Jacques le Majeur, suivie de la translation et des mi-
racles (C 6).
13. (Fol. Sy b) Vie de saint Mathieu (C 7).
( Fol. 64 b) Vin de saint Simon et de saint Jude (G 8).
14.
15.
16.
17.
(Fol. 71b) Vie de saint Barnabe (B* i5).
(Fol. 72) Vie de saint Thomas t apôtre (B-^ ili]-
(Fol. 76 c) Vie de saint Barthélemi (G 11).
18. (Fol. 81) Vie de saint Marc {C 12).
19. (Fol. 83) Miracles et vie de saint André (6 38, G I12 O).
(Fol. 97 b) Vie de saint Luc (B 42).
98 c) Vie de saint Jacgues le Mineur (G 1 0) '^'.
00 c) Vie de saint Etienne (B" 18).
01b) Vie de saint Vincent (G 1 5 ).
06 d) Vie de saint Georges (C 16).
d) Vie de saint Christophe (G 17).
c) Vie de saint Nicolas. — Saint Nicholas fu nez de hautes genz
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
et de seintes '^'
27. (Fol.
lation (G 3o
(Fol
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
1 1
27) Vie de saint Martin (traduite par Wauchier), suivie de la trans-
43) Vie de saint Denis (B 28 , B' 3 1 ).
49) Vie de saint Côme et de saint Damien (B 26, B' 32, B^ 33).
54) Vie de saint Arsène (B' 34, B"^ 34).
55) Vie de saint Sixte (C 24).
57) Vie de saint Laurent (C 25).
60 c) Vie de saint Hippolyte (G 26).
63 c) Vie de saint Lambert (C 27).
69 b) Vie de saint Julien de Brioade ( B 32, B' 4 1 ).
82 b) Vie de saint Brendan (B 33, B^ 42).
« version S. Pol , qui doit estre el conmencemeni
«del livre de la vie des seinz.» Et, en efTet,
c'est par ce morceau que débute le ms. de
Sainte-Geneviève {B'), comme on l'a vu plus
haut , p. 409.
'■' Dans C 42 la vie est placée avant les
miracles.
HIST. LITTÉR. XXXIII.
'*' À la suite de cette vie on lit : « Ici defment
« les glorieuses vies aus beneoiz apostres nostre
«seigneur Jhesucrist, et après conmenceront
« les vies au[s] beneoiz martirs nostre seigneur
I Jhesucrist. •
''' Cette vie est diJFérente de C 35 (ci-
dessus, p. 4^1 3).
53
418
LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
37.
38.
39.
ig/i d) Vie de saint Thomas de Cantorbéry [B 3/i, B^ 43).
198) Vie de saint Silvestre (JB 35, B^ kà).
(Fd.
(Fol.
(Fol. 2 I a d) Vie de saint Jean Baptiste (J5* 10).
40. (Fol. 2 1 8 d) La Vengeance de Notre-Seignear. — Il avint, el point et en l'eure
de la passion nostre seignor Jhesucrist, que Tyberius César, li empereres de Rome,
fu pris de greveuse enferrneté '" . . .
41. (Fol. 222 b) Vie de saint Edniond^^K — A icelui tens que Donstans, li arce-
vesques de Dureaume''', sage et ancien home, fesoit sa Visitation par sa province. . .
42. (Fol. 2 3o d) Vie de saint Thibaud. — Saint Thiebaut fu nez de l'eveschié de
Troies ; ses pères ot non Arnous et sa mère Gile '*'...
43. (Fol. 233 b) Purgatoire de saint Patrice (C /i3).
44. (Foi. 2/11 b) Barlaam et Josaphat. — En cel tens que les églises el li mostier
furent conmencié a edefier el non nostre seignor Jhesucrist , et que li seint honnie
conmencierent Nostre Seigneur a servir par diversse manière d'ordre monial '*'...
45. (Fol. 290 c) Vie de saint Longin (C i3).
46. (Fol. 292 d) Vie de saint Sébastien [C i4).
47. (Fol. 297) Vie de saint Arnoul, évêqae de Toars [B Sg, 5' 47).
48. (Fol. 3o2(«') L'Assomption {C ào).
49. (Fol. 3o5b) Vie de sainte Agnès [C 20).
50. (Fol. 3o9 d) Vie de sainte Félicité et de ses sept fils [C 21).
5 1 . (Fol. 3 1 I c) Vie de sainte Christine [C 22).
52. (Fol. 319 c) Invention de la Croix (B 23, B^ 23, B^ 27).
53. (Fol. 322 d) Vie de sainte Pétronille (B^ 26).
54. (Fol. 323 b) Vie de sainte Felicula (B^ 26).
55. (Fol. 323 d) Vie de sainte Cécile (C 23).
56. (Fol. 33 1) Vie de sainte Marie-Madeleine. — La beneoite Magdeieine, selonc
l'orgueil! de! siècle , si fu née d'un lingnage moit noble '■"...
57. (Fol. 337) Vie de sainte Marie l'Égyptienne. — Uns preudons fu en l'église de
Palestine , aornez de vertuz et de saintes paroles '*'...
58. (Fol. 344) Vie de sainte Catherine. — Les veraies estoires nos racontent que
cil Costantins. . .
'"' Cette légende, dont on a plusieurs rédac-
tions, ne se rencontre pas ordinairement dans
les légendiers en prose française. Toutefois il
y a une copie de la même version dans le lé-
gendier dn Queen's, Oxford, fol. 6.
'*' L'original est la vie de saint Edmond,
roi d'Estanglie, rédigée par Abbon de Fleuri
(Miene, Patrol. lai.. CXXXIX , Soy ; T. Ar-
nold, MemoriaU of Saint Edmnnd's Ahbey , I,
3; etc.).
'"' Dorobernensis. Le traducteur a pris Can-
torbéry pour Durham.
<** En dehors du ms. 17239, cette version
ne se rencontre que dans le Légendier classé
selon l'ordre de l'année liturgique, art. 79;
voir Notices et extraits , XXXVJ , 34.
'*' Voir ci-dessus, p. 391.
'*' A cet endroit on lit cette rabrique : Ci
conmencent les virges.
''' Cette vie , qui n'est pas à confondre avec
celle de B 4o, B' ^9, se rencontre en divers
manuscrits qui ne sont pas tous des légendiers,
par ex. dans le ms. de La Clayette; voir No-
tices et extrait! , XXXIIl, i"* partie, 64-65.
'*' Cette vie, différente des deux que nous
avons rencontrées précédemment (B 4i, /i
5o, C 55), fait suite à celle de Marie-Made-
leine dans le ms. de La Clayette.
II. LÉGENDES EN PROSE.
419
59. (Fol. 352 d) La Chandelle d'Amas. — En non del Père et duFill et del saint
Esperit, dites tuit et toutes : Amen. A icel tans le bon evesque Lambert, qui fu li pre-
merains evesques d'Arraz'^'. . .
60. (Fol. 357 d) Vie de sainte Agathe (G 18).
61. (Fol 36 1 d) Vie de sainte Anastasie. — Sainte Anastasie fu née de Rome, et
fil de molt gentik genz. Seins Grisodones fu ses mestres en la foi Jhesu Crist"''. . .
62. (Fol. 363 b) Les Onze mille vierges. — El tans que nostre sire Jhesu Crist
avoit le siècle auques conquis et converti a la sainte foi'^'. . .
Entre ces soixante-deux articles, il en est quarante-cinq que nous
avons déjà vus, soit dans C, soit dans les divers légendiers du groupe -B.
C'est assez pour justifier la place que nous assignons au manuscrit
fr. 17229. Il serait impossible, à moins de se livrer à des compa-
raisons de détail qui ne peuvent prendre place ici, de déterminer
avec précision ses rapports soit avec l'un des manuscrits B, soit avec C.
Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il présente des affinités
diverses avec ces deux groupes'*' : il place en premier lieu les apôtres,
parmi lesquels saint Paul**', puis un choix de martyrs et de confes-
seurs appartenant en général aux premiers siècles du christianisme,
disposition déjà suivie plus ou moins régulièrement dans B et C;
mais ce qui est particulier à notre recueil, c'est l'idée de grouper
ensemble les vierges, à partir de l'article 48.
L'originalité du ms. 17229 consiste dans les additions qu'il fait aux
légendiers antérieurs. Ces additions sont au nombre de huit : la Ven-
geance de Notre-Seigneur, traduction d'un apocryphe qui n'est pas , à
proprement parler, une légende hagiographique (art. 4o), les vies
de saint Edmond (art. /ii), de saint Thibaud (art. ^2), de Barlaam
et Josaphat (art. 44 )i de sainte Catherine (art. 58), de sainte Ana-
stasie (art. 61), des Onze mille vierges (art. 62 ) , la légende de la Chan-
delle d'Arras (art. 59). De ces huit morceaux il en est au moins trois
'"' Version qui n'a été rencontrée jusqu'ici
que dans ce manuscrit. L'original est dans
Cavrois, Cartal. de N.-D. des Ardents à Arias
(Arras, 1876), p. gi-
'*' Cette vie, différente de B' 33, a été ad-
mise dans le Légendier classé selon l'ordre
de l'année liturgique. Notices et extraits,
XXXVI, 17.
'*' On a plusieurs autres copies de cette
version; voir Notices et extraits, XXXV, ^97;
XXXVI, 466.
'*' Avec C .■ il y a dans le ms. 17229
un article (l'art. 27) qui se trouve dans C,
mais qui manque à tous les manuscrits du
groupe B. Avec B^ : les articles 5, i5, 16, 22
sont communs à ii' et au ms. 17229 ; ils font
défaut dans B et B' comme dans C, etc.
'*' Nous pensons que c'est par suite d'une
omission accidentelle que la vie de l'apôtre
saint Philippe n'a pas été transcrite dans ce
manuscrit : elle devait probablement se placer
entre les articles i4 et i5.
53.
420 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
qui n'ont probablement pas été tirés d'un légcndier, mais qui cir-
culaient comme pièces isolées : la Vengeance de Nôtre-Seigneur, Bar-
taam et Josaphat et la Chandelle d'Arras. La dernière de ces légendes,
d'un caractère tout local, n'a sans doute été admise dans le nis. 17229
que parce que le copiste était d'Arras.
Nous n'aurons pas besoin d'énumérer les pièces dont se compose
le légendier que renferme lems. B. N. fr. 6(447 (^')' ^"i paraît avoir
été écrit vers 1275 : on en a publié naguère une analyse détaillée '*'.
Il comprend soixante-huit articles, soit six de plus que D. Pour le
commencement, jusque vers l'article 28 (qui correspond à l'article 25
de D) , les deux recueils ne diffèrent guère que par quelques trans-
positions. Mais, dans la suite, l'ordre des légendes varie sensible-
ment, et chacun des deux recueils comprend des articles qui font
défaut dans l'autre. D' a treize légendes que n'a pas D :
29. S. Babylas(Bi 27, 6^29).
30. S. Marius(7îi ^g^ fi^ 3o).
31. S. Félix (B' 29, B^ii).
32. Les Trois jumeaux (/i^ 3n, B^ Sa)
43. S.Quiriaque(BetB'2 4,B-2 8)
45. L'Antéchrist (B' 45, 6' 67).
46. S. Rémi.
De plus les légendes de Marie -Madeleine (47), de Marie l'Egyp-
tienne (48), d'Anastasie (54) sont différentes de celles que nous
trouvons dans D (56, 57, 61). D'autre part, huit des légendes de D
manquent dans Z)' :
26. S. Nicolas. 42. S. Thibaud.
39. S. Jean Baptiste. 44. Barlaam et Josaphat.
40. Vengeance de Notre-Seigneur. 58. S** Catherine.
41. S. Edmond. 59. Chandelle d'Arras.
Nous aurons plus loin à indiquer certains rapports de D' avec un
légendier tout autrement ordonné, celui que renferme le manuscrit
fr. 28 1 1 2 de la Bibliothèque nationale.
''' Notices et extraits, XXXV, 467 et suiv. <*' C'est la rédaction, précédée d'un pro
— Pour la date du manuscrit , voir ibid. , logue en vers , que nous avons cru pouvoir attri-
p. 436. buer à Wauchier de Denain, ci-dessus, p. 288.
50.
S"Luce(Bi 19, G 19).
57.
S. Biaise.
59.
S. Brice(6'32).
65.
S. Nazaire.
67.
S. Pantaléon (B^ Zi6, C 28)
68.
S" Marthe («.
II. LEGENDES EN PROSE. 421
Groupe E. — Nous classons ici deux manuscrits qui renferment,
sans variante importante, un légendier fort difTérent des recueils que
nous avons étudiés dans les pages précédentes, tout en présentant des
rapports évidents avec certains d'entre eux. Ce sont les n"" /i56
du Musée Conde et 366o de la Bibliothèque Phillipps, à Chel-
tenham. Le premier est daté de i3i2; le second ne paraît pas anté-
rieur au milieu du xiv*" siècle. Le manuscrit du Musée Condé est
demeuré inconnu jusqu'à ce jour; celui de Cîheltenliam a été analysé
en détail dans les Notices et extraits des manuscrits, t. XXXIV, i'" partie,
p. 183-197. Ils contiennent les mêmes pièces et les rangent dans le
même ordre'''.
Le légendier E se compose de 86 articles qui ne sont pas tous des
légendes, puisque l'un d'eux (art. 68'"') est une traduction partielle
du Pastorale de saint Grégoire, dont nous avons d'autres copies. Il
est donc notablement plus étendu que les légendiers examinés dans
les pages précédentes. Il présente une division en cinq séries indiquées
par des rubriques dans le manuscrit du Musée Condé : 1 " divers mor-
ceaux sur la nativité de Jésus-Christ, l'adoration des Mages, etc.,
indiqués ci-dessus, p. 4i5 (art. 1 à 5); 2° vies des apôtres (art. 6
à 2 3); 3° vies des martyrs (art. 2 4 à ^2); 4° vies des confesseurs
(art. 43 369); 5" vies des vierges (art. 70 à 86). Il a dû être constitué
avant i3i2, date du ms. du Musée Condé, mais il ne peut être de
beaucoup antérieur, puisqu'il contient (art. 73) la rédaction en prose
de la vie versifiée de sainte Geneviève, composition qui appartient,
selon toute probabilité, à la seconde moitié du xiii'' siècle*^'.
Ce légendier, n'étant pas au nombre des plus anciens, doit avoir
été compilé d'après des recueils antérieurs fort analogues à ceux que
nous avons passés en revue. Il commence par une sorte de sermon
sur l'Annonciation qui ne paraît dans aucun de ceux-ci, mais que nous
retrouverons ailleurs'^'. Viennent ensuite (art. 2 a 7) les six morceaux
'"' À part deux ou trois qui n'occupentpas ''' Sur cette vie en vers voir ci-dessus,
la même place. Ainsi la vie de sainte Elisabeth p. 35o-35 1 .
est transcrite dans le ms. du Musée Condé '*' Par exemple dans le ms. de Lyon 772,
entre la vie de sainte Geneviève et celle de d'après lequel le début a été publié [Bull, de
sainte Agnès, tandis que, dans le ms. Phillipps, la Soc. des anc. textes, i885, p. 45); dans le
elle est rejetée tout à la fin de recueil. ms. B. N. fr. 4i3 (fol. 365) du groupe F (voir
'*' Nous citons d'après la description du ms. plus loin); dans le Légendier liturgique [No-
Phillipps insérée dans les Notices et extraits. tices et extraits, XXXVI, 37).
422 LKGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
sur la Nativité, l'Apparition, ou adoration des Mages, la Purifica-
tion, la Passion, la chaire de saint Pierre et la conversion de saint
Paul, qui forment en quelque sorte l'introduction de C et de D.
À partir de l'article 7 (conversion de saint Paul) jusqu'au n" 34, on
observe un accord constant avec le légendier de Sainte -Geneviève
(5^, art. 1-28). Depuis l'art. 35 l'accord cesse : E n'a pas les vies de
Babylas, de Marius (5"^ 29, 3o), des Trois frères jumeaux (/i^ 32),
de Sixte [F^ 35), de Chrysant et Daire, de Théodore, de Martinien,
d'Arnoul, de Pantaléon, de Victor [B'^ Ixi-lx"]). Dans la suite, des
coïncidences plus ou moins prolongées peuvent être constatées entre
ce légendier et les manuscrits des groupes C et D. On les reconnaîtra
facilement en comparant l'analyse de ces recueils avec celle du ms.
Phillipps donnée dans les Notices et extraits. Entre les traits qui carac-
térisent ce groupe il faut noter l'admission d'une traduction partielle
de la Régula pastoralis de saint Grégoire (art. 68) , qui n'est guère à sa
place dans un légendier, d'une vie de saint Bernard, accompagnée
des miracles (art. 69) , qui n'occupe pas moins de 34 ou 35 feuillets
dans nos deux manuscrits, et d'une vie de sainte Geneviève, rédigée
en prose d'après le poème de Renaut indiqué ci-dessus, p. 35o.
Du légendier j5^ il convient de rapprocher le ms. 1716 (ancien
568) de la Bibliothèque Mazarine, qui paraît avoir été écrit dans les
premières années du xiv" siècle. Ce manuscrit, que nous désignerons
par Ê'\ est fort incomplet : il y manque, au commencement, plusieurs
cahiers; quelques feuillets ont été arrachés dans le corps du livre;
enfin les lettres ornées qui se trouvaient au début de chaque légende
ont été coupées avec quelques lignes de texte. Par suite de ces muti-
lations, l'état primitif du recueil ne peut être reconstitué avec une
entière certitude. Cependant, si l'on compare ce qui subsiste de ce
manuscrit fragmentaire avec le légendier E, on n'aura aucun doute
sur la parenté des deux recueils :
£'
E
£'
E
1.
(Fol. i)S. Silvestre
43
7.
(Fol. 37 c) S. Rémi...
5i
2.
(Fol. i/ib) S.Grégoire.
àà
8.
(Fol. 38 bù c) S. Bren-
3.
(Fol. ao d) S. Patrice. .
lib
dan
54
II.
(Fol. 28) S. Nicolas . . .
47
9.
(Fol. 5o) S. Martin . . .
55
5.
(Fol. 33) S.Antoine.. .
5o
10.
(Fol. 64 a) S. Brice . . .
56
6.
(Fol. 35) S. Paul l'er-
11.
(Fol. 65)S.Maur
<^7
mite
60
12.
(Fol. 71 b)S. Alexis. . .
58
II. LEGENDES EN PROSE.
423
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
2rt.
27.
£» E
(Fol. 75b) S. Benoit.. . 89
(Foi. 88) Translation du
même saint 61
(Fol. 91b) S. Julien du
Mans 62
(Fol. 94) S. Siméon. . . 63
96 d) S. Jérôme. . 6/1
99) S. Fursi 65
101 d) S. Martial.
) 1 6 c) S. Éloi . . .
1 1 7 b) S. Hilaire.
118) Barlaam et
66
46
^9
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
(Fol.
Josaphat''' u
(Fol. 1 6y d) Pastoral de
saint Grégoire 68
(Fol. iSyd) S.Gilles..
(Fol. i9i)S. Godric...
(Fol. 2 59) S" Marie-Ma-
deleine
(Fol. 264 b) S"- Marie
l'Egyptienne
(Fol. 270) S" Catherine.
67
70
7;^
86
7^
75
7'
72
£1
28. (Fol. 277 d) S" Gène
viève
29. (Fol. 296) S'- Elisabeth
30. (Fol. 3 n) S" Agnès...
31. (Fol. 3i6a)S''Foi... .
32. (Foi.3i8)S"Anastasiei'-').
33. (Fol. 327 c)S"Margue-
rite 76
34. (Fol. 332 a) Les Onze
mille vierges 77
35. (Fol. 335 d) S" Chris-
tine
36. (Fol. 343 d) S"Cécile(»).
37. (Fol. 349 a) S'' Marine.
38. (Fol. 35 1 d) S" Marthe.
39. (Fol. 356 c) S" Agathe.
40. (Fol. SSgcjS-Luce..
41. (Fol. 36 id) S" Julienne.
42. (Fol. 365 b) S'^Félice.
43. (Fol. 367 a) S^Pétro-
nille
44. (Fol.367c)S"Felicula('').
78
//
79
80
81
82
83
84
85
Les différences, comme on le voit, sont assez faibles : l'ordre n'est
pas exactement le même; certaines légendes d'jl? manquent dans E^
(art. ;48, 62, 53, 69). En revanche, E' renferme deux légendes fort
longues, celles de Barlaam et Josaphat (art. 21) et de saint Godric
(art. 24) , qu'^" ne possède pas. La vie de saint Godric est une addition
particulièrement importante : c'est la traduction, qui jusqu'ici n'a
pas été rencontrée en dehors du manuscrit de la Bibliothèque Maza-
rine, de la vie de saint Godric par Reginald, moine de Durham'^'.
Cette traduction a été faite en Angleterre au xiii" siècle. L'auteur y a
intercalé des observations morales qu'il a jugé à propos de rédiger
en vers de huit syllabes, comme avait fait avant lui Wauchier de
Denain,
'"' C'est la version qui se trouve dans D,
art. 44 (p. 4 18), et ailleurs.
'*' Voir ci-dessus, p. 407, note a. Cf. No-
tices et extraits, XXXVI, 468.
>'' Dans D, art. 55.
'') Dans D, art. 54-
'*' Publiée par Jos. Stevenson, Durham,
1847, in-8° (Surtees Society).
424 I>EGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Groupe F. — Les manuscrits B. N. fr. ,4 1 3 et 2 3 1 1 7 ''' forment une
famille bien caractérisée qui se rattache d'assez près au groupe E,
plus particulièrement à EK Ils ne sont pas identiques : certains
articles se trouvent dans l'un qui manquent dans l'autre, et l'ordre
n'est pas tout à fait le même de part et d'autre'^', mais en somme les
différences sont peu importantes**'.
Le ms. 23 117 se compose de 106 articles; le ms. 4i3 renferme
quelques unités de plus'*'. Ce légendier n'est pas assez important pour
que nous jugions nécessaire d'en dresser la table. Nous nous borne-
rons à dire qu'il présente les plus grands rapports avec D, D' et E.
Comme ce dernier, il est divisé en cinq séries : 1° les morceaux pré-
liminaires sur la vie du Christ, la conversion de saint Paul et la
chaire de saint Pierre; 2° les apôtres; 3° les martyrs; 4° les confes-
seurs; 5° les vierges. Nous mentionnerons toutefois, d'après le ms.
2 3 1 1 7, les articles que nous n'avons rencontrés ni dans D ni dans E,
et qui, naturellement, se retrouvent dans le manuscrit 4i3 :
5-8. (Fol. 1 5 ) « La longue évangile ». — Récit de la passion d'après les quatre évan-
giles : saint Mathieu, chap. xxvi et suiv. "" ; saint Luc, chap. xxii et suiv. ; saint Marc,
chap. XIV et suiv.; saint Jean, chap. xviii et suiv.
17. (P^ol. 63 c) Saint Jean l'évangéliste. — Domiciens fu empereres de Rome
après Noiron , et conmanda que touz les crestïens que l'an troveroit oceïst l'an . . .
— Même version B. N. fr. 987 (f. 60 v°); Oxford, Queen's Coll. 3o5 (fol. 17 b).
22. (Fol. 1 07 d) Saint Thomas l'apôtre. — Nostre sires Jhesucriz s'aparut a saint
''' Le ms. 23117 est de deux écritures
d'époques différentes : les 287 premiers feuillets
sont de la fin du xin* siècle, la suite est du
conunencement du xiv" siècle ; le ms. 4 1 3 est
de la fin du xiv' siècle.
''' On pourra s'en rendre compte en com-
parant les notices données dans le catalogue
imprimé des manuscrits français de la Biblio-
thèque nationale, où ces deux légendiers sont
analysés avec une exactitude suffisante.
'*' Voici les principales. Le ins. /n3 contient
divers morceaux tirés de la Légende dorée de
Jacques de Varazze , qui manquent dans 23 1 1 7 :
fol. 2o4, la vie de saint Augustin (éd. Grasse,
eh. ia4); fol. 333-56o, une série de chapitres
relatifs aux fêtes de l'Eglise, la Toussaint
(ch. 162), la Commémoration des morts
(ch. i63), les Litanies (ch. 70), la Septuagé-
&ime , etc. ( chap. 3 1 et suiv. ) , les Quatre Temps
(chap. 35), l'Ascension (ch. 72), la Circonci-
sion (ch. 1 3), l'Epiphanie (ch. i4); fol. 363, la
viedes saints Gervais et Protais (ch . 85) ; fol. 366,
la Purification ; fol. kll'], la Dédicace de l'Eglise
(ch. 182). Le ms. 23i 17 contient deux copies
des vies de saint Jean Baptiste (ff. 36 et 129),
de saint Sébastien (ff. 166 et 237) et du traité
de l'Antéchrist (ff. 126 et 398), ce qui indique
que le compilateur a eu sous les yeux deux
recueils différents. Dans le même manuscrit,
la vie de saint Quentin (fol. 228) est en vers
(cf. ci-dessus, p. 374), tandis que dans 4i3
(fol. 176) elle est en prose , et traduite de la Lé-
gende dorée [ch. 160).
'*' Voir la note précédente.
'*' Il y a ici, dans les deux manuscrits, une
faute commune : les chapitres traduits de l'évan-
gile de saint Mathieu sont placés sou* le nom
de saint Marc.
IL LEGENDES EN PROSE. 425
Thomas l'apostre an cel tens qu'il estoit an Cesaire ... — Même version B. N. fr.
686 (fol. 528c), 281 12 (fol. 21); Cambridge, S. John's CoU. B 9 (fol. 90c).
23. (Fol. 11 5) Saint Philippe. — Après l'ascenssion de Nostre Seigneur
preescha seinz Phelipes en Siche, cpii est an une partie de Grèce, le nom Jhesu Crist
.XX. anz. . . — Même version B. N. fr. 686 (fol. 524 b); Oxford, Queen's Coll.
3o5 (fol. 37).
26. (Fol. laS b) Saint Pierre es liens. — Ci orroiz dire et raconter por quele
ochoison fu célébrée la fesfe saint Père que l'an dit a vincula ... — Même version
B. N. fr. 987 (foL 121).
27. (Fol. 128 d) Saint Marc. — En cel tens que seinz Pères li apostres ot
preeschié en Antbioche et il ot grant partie de la gent convertie a Deu. . . —
Même version B. N. fr. 686 (fol. 525 c); 281 12 (fol. 78); Cambridge, S. John's
ColLB.9(foL 168); Oxford, Queen's Coll. 8o5 (fol. 46 d).
54. (Fol. 264) Saint Biaise. — Comme S. Biaise fust de bonne vie et de hon-
neste, il fu fais evesque dune cité qui a non Sebaste. . . — Même version B. N.
fr. 987 (fol. 128); Oxford, Queen's Coll. 3o5 (fol. 90 b); Légendier classé selon
l'ordre de l'année liturgique , art. 8 1 '".
79. (Fol. 858) Saint Firmin, évêque d'Amiens. — Après la passion et résurrec-
tion Jhesucrist , ou temps de preste '^' que la foy chrestienne commença a croistre par
diverses partiez du monde, estoit en la cité de Pampelune uns bons honourables
entre les sénateurs qui ot non Fermes . . .
80. (Fol. 859 c) Saint Bernard. — Saint Bernart fu nés de Bourgoigne, en
.j. chastel qui a non Fontaines, qui estoit a son père, et estoit extrait de hautes
gens selonc le siècle ...
84. (Fol. 402) La Conception Notre-Dame. — Li rois Heraus d'Angleterre mut
jadis granz guerres en Normandie contre le duc Guillaume et contre l'autre peuple. . .
Des articles qu'on vient de citer le plus intéressant est assurément
le dernier, qui n'est pas traduit du latin, mais qui est la mise en prose
du poème cie la Conception, par Wace'^*.
Groupe G. — Quatre manuscrits d'étendue fort différente, mais
remontant très certainement à un type commun, constituent ce
groupe : Bibliothèque royale de Belgique 92 2 5 ; B. N. fr. 1 8 3 et 1 85 ;
Musée britannique, Addit. 17275. Ce sont de grands livres, écrits
sur trois colonnes, exécutés avec un certain luxe vers le milieu ou
dans la seconde moitié du xiv" siècle. L'original commun de ces
quatre recueils est représenté le plus purement par le manuscrit de
'"' Notices et extraits, XXXVI, 24. — '*' Temporibus priscis (AA. SS. . Sept. VII , 5i ). Le tra-
ducteur n'a pas compris priscis. — ''' Sur lequel voir ci-dessus, p. 363-364.
HI8T. LtTTÉR. XXXIII. 54
426 lé(;endes hagio(;raphiques en français.
Bruxelles, qui renferme 71 légendes. Viennent ensuite le ms. B. N.
i83 avec 77 légendes, le ms. i85 avec 187, le ms. de Londres
avec i54'".
La cause principale de ces différences est que le recueil de Bruxelles
ne contient que des légendes originales, tandis que dans ce premier
fond les trois autres recueils ont intercalé un nombre variable d'ar-
ticles empruntés à une traduction de la Légende dorée'^'. Dans le ms.
de Londres, 62 articles ont cette origine; 60 dans le ms. B. N. fr.
1 85 (et ce ne sont pas tous les mêmes que dans le recueil de Londres).
Le ms. fr. i83 n'a pris à la Légende dorée que son prologue et son
premier chapitre (VAvent). Nous n'avons pas à nous occuper présen-
tement des morceaux empruntés à Jacques de Varazze. Les traduc-
tions de la Légende dorée devront faire l'objet d'une notice à part.
Disons cependant que la version dans laquelle ont puisé les écrivains
de nos trois recueils est connue : on en possède au moins deux
copies, l'une du commencement du xiv* siècle, appartenant au sémi-
naire du Puy-en-Velai; l'autre, moins ancienne, conservée à la Biblio-
thèque nationale sous le n° 2 0o3o du fonris français. Dans les deux
manuscrits de Paris et dans celui de Londres, des rubriques, placées
soit au commencement soit à la fin, semblent attribuer la totalité
dés recueils à un certain Jean Belet (ou Beleth) qui nous est d'ailleurs
inconnu'^'. Certains modernes, pour ne s'être pas rendu compte de la
composition de ces recueils, ont cru qu'ils étaient en totalité l'œuvre
de ce Jean Belet. Mais cette attribution ne serait admissible que
pour les parties empruntées à la Légende dorée, et, même en ce cas,
elle reste douteuse'"'.
'"' La manière de compter les légendes peut
varier, selon que l'on réunit en un seul article
la vie , les translations et les miracles, ou qu'on
donne à ces morceaux des numéros distincts,
ce qu'il est parfois nécessaire de faire quand,
par exemple , la vie et les miracles sont séparés
par d'autres récits. — Il faut noter ici que
dans les deux manuscrits de Paris , et surtout
dans le manuscrit de Londres, certaines léjjendes
ont été copiées deux fois, ce qui permet de
supposer que les compilateurs de ces manu-
scrits ont puisé à plus d'une source.
'*' Nous avons rencontré plus haut (p. 4oo)
des légendiers où de nombreux articles étaient
tirés de la Légende dorée , mais , dans ces re-
cueils, les morceaux ayant cette origine for-
maient un groupe assez nettement séparé du
reste ; dans le ms. de Londres , au contraire ,
et dans le ms. 1 85 de notre Bibliothèque na-
tionale, légendes originales et légendes abré-
gées empruntées à .Jacques de Varazze sont
entremêlées sans ordre apparent.
<"' On ne saurait, bien entendu, l'identifier
avec le théologien Jean Belet, qui vivait au
XII* siècle {Hisl. litt. de la Fr., XIV, ai8-aaa).
'*' En effet, les deux manuscrits de la ver-
sion à laquelle ces emprunts ont été faits sont
anonymes, et, d'autre part, la mention de
II. LEGENDES EN PROSE. 427
Quant aux légendes qui ne sont pas tirées de la compilation de
Jacques de Varazze, leur nombre varie selon les manuscrits. Nous
avons dit qu'il y en avait 7 1 dans le recueil type, celui de Bruxelles.
Il V en a quelques-unes de plus dans les trois autres manuscrits,
qui, par contre, omettent, peut-être accidentellement, telle ou telle de
celles dont se compose le manuscrit de Bruxelles. Il n'est pas utile
de dresser la liste de toutes ces légendes, les quatre manuscrits du
groupe G ayant été analysés ailleurs en détail^''; mais nous essaierons
de distinguer les éléments qui sont entrés dans sa composition, en
f)renant pour base le manuscrit de Bruxelles, et nous signalerons les
égendes qui sont propres à ce groupe, ou, du moins, que nous
n'avons pas rencontrées ailleurs.
On peut reconnaître dans ce légendier cinq séries assez distinctes :
1° les cinq récits sur la Nativité, l'Apparition, la Purification, la
Passion, la conversion de saint Paul, que nous avons déjà rencon-
trés en tête de plusieurs recueils'^^ ; 2° une série, à peu près complète,
des récits concernant saint Pierre, saint Paul et les apôtres, qui est
le fond le plus constant de nos légendiers; 3" une suite non classée de
quatorze légendes entre lesquelles ligure, brisée par diverses inter-
calations, une série des vierges assez analogue à celle que nous avons
rencontrée dans le groupe E^^^\ l\° sept vies traduites par Wauchier
de Denain: saint Jérôme, saint Benoit, saint Martin, saint Brice,
saint Paulin de Noie, saint Malchus, saint Paul le Simple'*'; 5° une
suite non classée de dix-huit légendes entre lesquelles il ne s'en
trouve qu'une, celle de saint Léonard, qui mérite une mention
spéciale.
C'est dans la troisième série, et aussi dans la cinquième, qu'ont
pris place certaines légendes dont nous ne connaissons aucune copie
en dehors du groupe G. Ce sont les vies de saint Mathias (Bruxelles,
art. 2i), de saint Maurice (Bruxelles, art. 25), de saint Oswald
Jean Belet comme traducteur pourrait s'ex- ''' Ci-dessus, p. 4i5, 4i6,^2a.
pliquer parle fait que ce théologien est souvent ''' Ci-dessus, p. 423.
cité par Jacques de Varazze. '*' Voir ci-dessus, p. 266, pour les vies de
''' Pour le ms. de Bruxelles, voir Romania, Malchus et de Paul le Simple; p. 278 et suiv.,
XXXIV, 24-43; pour les trois autres recueils, pour les autres. C'est par erreur que, p. 279,
yoirla Notice de trois légendiers français attribués le ms. de Bruxelles a été classé avec les re-
à Jean Belet , Yinbilée dansles Notices et extraits , cueils qui ne renferment qu'une seule des vies
XXXVI, 409-486. traduites par Wauchier, celle de saint Jérôme.
54.
428 LÉGENDRS HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
(Bruxelles, art. 28), de saint Léonard (Bruxelles, art. 57). Cette
dernière est particulièrement intéressante. D'abord le traducteur à
qui nous la devons s'est fait connaître. C'est un certain «Rogier de
Longastre », selon les deux manuscrits de Paris, « Rogier de Longatix »,
selon le manuscrit de Bruxelles. Ce nom et ce surnom nous sont
d'ailleurs inconnus, et nous craignons que les deux formes du sur-
nom soient corrompues. Quoi qu'il en soit du traducteur, l'œuvre
offre un caractère très particulier. Ce n'est pas une simple traduction
de la légende latine, c'en est plutôt une imitation très libre, conçue
en vue de la récitation publique, et d'une allure très vive'^l
Bien qu'aucun des quatre manuscrits du groupe G ne soit anté-
rieur au milieu du xiv" siècle , il est certain que le légendier qui forme
la base de ce groupe, et qui est représenté le plus exactement par le
manuscrit de Bruxelles, était constitué dès le xiii" siècle, car nous
retrouverons les mêmes éléments, disposés selon le même ordre, dans
un recueil artésien dont nous traiterons tout à l'heure.
Parmi les légendes ajoutées par le manuscrit de Londres au fond
primitif, il en est trois que nous ne pouvons nous dispenser de men-
tionner ici, car nous ne les retrouverons pas ailleurs. Ce sont les vies
de saint Teliau (art. 90) , de saint David (art. 91) et de saint Mathurin
de Larchant (art. 128). La vie de saint Mathurin est en vers : nous
l'avons enregistrée en son lieu'"''. Les vies de saint Teliau, évêque
de Llandaff (Galles), et de saint David, archevêque de l'antique Me-
nevia (Saint David's) , sont en prose, et par conséquent appartiennent
au sujet de cette notice. Nous ne saurions dire pour quel motif on
a jugé à propos de mettre en français l'histoire de ces deux saints
gallois, qui n'ont eu aucune popularité en France *^^ Mais il est in-
téressant de noter que le traducteur de la vie de saint Teliau s'est
nommé et a daté son œuvre. On lit en elfet ces mots à la fin de
la version : « Ci fenist la vie de saint Thelian [sic] , translatée de latin
« en françois, que mestre Guillaume des Nés translata l'an mil .iij^ et
'"' Voir les extraits publiés dans les Notices sait si ce culte est un souvenir du séjour de
et extraits, XXXVI, 45a. sept ans et sept mois que ce saint aurait fait
'*' Ci-dessus, p. 369. auprès de saint Sanson, évéque de Dol (Lobi-
''' Saint Teliau, toutefois, a été honoré en ncau. Histoire des saints de lirettiijiie , Rennes,
Bretagne (le 9 février) et a donné son nom à lyaii, p. 39), ou s'il est dix à (|ueique apport
une commune du département des Côtes-du- de reliques dont on n'a , du reste , conservé
Nord, maintenant appelée Saint-Thélo. On ne aucune trace.
11. LÉGENDES EN PROSE. 429
« .XXV., le jour de saint Michel Arcange ''l » Nous ignorons si la
traduction de la vie de saint David est du même auteur. Il n'est pas
interdit, toutefois, de le conjecturer : les deux vies se suivent dans
l'unique copie que nous en possédons, et la traduction en est égale-
ment médiocre; le style en est lourd, et les erreurs y sont nom-
breuses, surtout dans la traduction des noms de lieux.
Il nous reste à examiner un certain nombre de légendicrs isolés
que nous n'avons pu faire entrer dans aucun des groupes étudiés ci-
dessus. Assurément le fond ne varie guère : il est des légendes qu'on
voit reparaître dans tous les recueils; mais il ne suffit pas que deux
légendiers contiennent en partie les mêmes morceaux pour être
groupés ensemble; il faut encore que l'ordre de ces morceaux soit
identique et que les leçons soient semblables. Plusieurs des recueils
que nous allons passer en revue sont des compilations formées plus
ou moins arbitrairement à l'aide de légendiers plus anciens. Nous
noterons à l'occasion les affinités partielles qu'ils présentent avec les
groupes étudiés dans les pages qui précèdent.
Arras, 807'^'. — Ce manuscrit peut passer pour l'un de nos plus
anciens légendiers. Il a été écrit dans le nord de la France, vraisem-
blablement à Arras, peu après le milieu du xiii"" siècle. Il a malheu-
reusement souffert de nombreuses mutilations. La comparaison d'une
pagination remontant à la fin du xiv" siècle avec l'état présent accuse
un déficit de 1 13 feuillets, et, lorsque le volume a été paginé pour
la première fois, il y manquait déjà, au commencement, à tout le
moins un cahier.
Voici, telle qu'il a été possible de l'établir, la liste des légendes en
prose que renferme ce manuscrit, avec renvois au groupe C (ci-des-
sus, p. 412) et au principal manuscrit du groupe G, celui de
'■' Notices et extraits, XXXYl, /lib-àA"]- — du Catalogue général des manuscrits fiançais
On a proposé, à cet endroit , d'identifier « mestre (in-4°). — Une notice détaillée de ce légen-
« Guillaume des Nés », avec un « maistre GelTroi dier a été publiée dans la Romania. XVII,
«des Nés» qui, en iSsô, traduisait la vie de 346-4oo. On y trouvera le texte, en entier ou
saint Guillaume d'Aquitaine , et avait , en 1 3 1 9 , par extraits , de diverses légendes versifiées qui
mis en vers la vie de saint Magloire (voir ci- ont été mentionnées ci-dessus, p. 346, ibi,
dessus, p. 36 1). 359, aux articles Dominique, Jean l'évangéliste ,
'"' N° 85 1 du catalogue publié dans le t. IV Job.
430 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Bruxelles, avec lequel, comme on le verra, le recueil d'Arras pré-
sente d'évidents rapports :
1 . Dispute de saint-Pierre etde saint
Paul contre Simon le Magicien (Ci,
G 6).
I bis'''K Passion de saint Pierre (C2 ,
G 7).
2. Passion de saint Paul (C'3, G8).
3. Saints Procès etMartinien (G 9).
Il . Miracles de saint André (G /i a ,
G 10) (2).
5. Saint Barthélemi (C i 1, G 1 1).
6. Saint Jacques le Majeur, avec la
translation et les miracles ( C6, G 1 2).
7. Saint Philippe (Cg, G i4).
8. Saint Mathieu (C 7, G 1 5).
9. SaintsSimon et Jude(C8, G I 6).
10. Saint Jérôme (G 36, G 47).
11. Saint Benoit (C 37, G àS).
12. Saint Brice (C 32 , G 5o].
13. Saint Paulin (G 5i).
1 4. Saint Malchus ( G 5 2 ).
15. Saint Paul le Simple (G 53).
16. Saint Antoine'*).
17. Saint Pantaléon (C 28, G 63).
18. Saint Hiiarion '*'.
19. Saint Nicolas (G 35,G/|6).
20. Saint Patrice ( G /i 3).
21. L'Antéchrist (G 57).
22. Saint Fursi.
23. Saint Martin (G3o, G /jg).
24. Saint Martial (C 34, G /iS).
25. Saint Vast.
L'ordre, on le voit par la concordance, est à peu près le même
que dans G. Les difiérences sont minimes et probablement acciden-
telles. Si les cinq premiers articles de G manquent dans Arras, c'est
que le premier cahier de ce manuscrit est perdu. Et c'est probablement
par une inadvertance du copiste que la vie de saint Martin se trouve
rejetée à la fin du volume (art. 28), quand sa place naturelle était
avant la vie de saint Brice, comme partout ailleurs. Une autre diffé-
rence entre le manuscrit d'Arras et G, l'omission dans Arras de la vie
de saint Jean l'évangéliste (art. i3 de G), s'explique de la façon la
plus simple : le copiste d'Arras a supprimé cette vie en prose parce
qu'il devait transcrire plus loin (art. 26) une vie rédigée en vers du
•'' Dans la noticedelajRomania (p. 371), on
a rëuni à tort cet article au précédent. Nous
le désignons par i bis pour ne pas changer la
série des numéros.
'') La version des miracles ne commence
fias tout à fait de même dans toutes les copies,
ci le début est : «Des glorieuses miracles
• S. Andrieu sacent tuit créant en nostre signour
« Jhesu Crist que .j. enfes qui Egiptius avoit
« non , que moût forment ses pères amoit ... ».
Telle est la leçon de deux mss. du groupe G
(Bruxelles et Musée brit. 17376) et de plu-
sieurs des légendiers dont il sera traité plus
loi n . Les groupes B CD{ ci^lessus , p. à.oà , etc. )
offrent pour ce début une variante.
*'' C'est la traduction de Wauchier de De-
nain, dont nous avons rapporté le début ci-
dessus, p. 363, et qui se retrouve aussi dans
le légendier de Saint-Pétersboiu-g, Notices et
extrait». XXXVI, 688.
'*' Traduction de Wauchier, ci-dessus,
p. 265.
II. LÉGENDES EN PROSE.
431
même saint. Notons enfin, à titre de coïncidence intéressante, la pré-
sence dans les deux recueils, et à la même place, de la vie de saint
Procès et de saint Martinien (Arras 3, G 9). Tout bien considéré,
les différences certaines entre G et Arras se réduisent aux sui-
vantes : le manuscrit d'Arras a la série presque complète^'' des vies
traduites par Wauchier de Denain (saint Jérôme, saint Benoit, saint
Martin, saint Brice, saint Paulin, saint Malchus, saint Paul le Simple,
saint Antoine, saint Hilarion); dans G les vies de saint Antoine et de
saint Hilarion font défaut. Arras a encore trois légendes qui manquent
à G : celles de l'Antéchrist, de saint Fursi et de saint Vast, mais
cette dernière a un caractère tout local et ne se trouvait sûrement
pas dans le légendier primitif '^^. En revanche, G contient plus de
quarante légendes que le manuscrit d'Arras n'a pas et n'a jamais eues.
Mais ces différences n'empêchent pas que les deux recueils aient une
base commune.
Alençon, 27'^'. — Ce manuscrit, dont l'écriture appartient à la pre-
mière moitié du xiv* siècle, renferme, à la suite de la Somme le Roi
de frère Laurent, un court légendier qui peut prendre place auprès
du manuscrit d'Arras, parce qu'il présente les légendes des apôtres
à peu près dans le même ordre et offre, en général, les mêmes le-
çons. Mais la ressemblance ne va pas plus loin, et notamment nous
ne trouvons ici aucune des légendes traduites par Wauchier de
Denain, ni la vie des saints Procès et Martinien. Voici la table des
2 1 légendes dont il se compose :
1. Conversion de saint Paul. 8.
2. Chaire de saint Pierre. ras 6).
3 . Dispute de saint Pierre et de saint 9 .
Paul contre Simon le Magicien ( Arras 1 ). 10.
4. Passion de saint Pierre (Arras 11.
ibis). 12.
5. Passion de saint Paul (Arras 2). ras 9J.
6 . Miracles de saint A ndré (Arras It). 13.
7. Saint Barthélemi (Arras 5). 14.
Saint Jacques le Majeur (Ar-
Saint Jean l'évangéliste.
Saint Philippe (Arras ■7).
Saint Mathieu (Arras 8).
Saint Simon et saint Jude
Saint Marc.
Saint Etienne.
(Ar-
'"' n n'y manque que la vie de saint Paul
l'ermite, ci-dessus, p. 260.
''' Voir ci-dessus, p. 3g a.
''' Décrit en détail dans le Bulletin de la
Société des anciens textes français, 1892, p. 68
et suiv.
432 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
15. Saint Clément. 19. Saint Ignace.
16. Saint Chrysant et sainte Daire. 20. Saint Valcntin.
17. Saint Sébastien. 21. .Saint Julien de Brioude.
18. Saint Vincent.
Les articles 1 3 à 1 6 et 2 i sont compris dans plusieurs des groupes
que nous avons passés en revue. Quant aux vies de saint Sébastien
(17) et de saint Vincent (18), ce ne sont pas celles que nous
avons déjà rencontrées dans le groupe B et ailleurs; ce sont des
versions qui reparaîtront dans le manuscrit B. N. fr. aSi 12 , dont
nous allons parler, et où nous retrouverons aussi l'article 19 du
manuscrit d'Alençon. Remarquons enfin que les huit derniers articles
se suivent selon le même ordre dans le légendier de Queen's Collège,
Oxford (art. 28 à 3o).
B. N.fr. 23112. — Manuscrit de la seconde moitié du xiii'' siècle''',
copié dans le nord de la France, comme on le voit par les formes de
langage. Il renferme 55 légendes en prose '^', qui sont comme placées
au hasard, sans classement aucun. Ce désordre donne à supposer
que le compilateur a emprunté les éléments de son recueil à des
légendiers dilïerents, hypothèse que l'examen des légendes transcrites
tend à confirmer. Quelques articles appartiennent à ce qu'on peut
appeler le fond commun des légendiers (1, 45 à 55); mais c'est
le moindre nombre. Ailleurs on constate des coïncidences avec le
recueil d'Alençon (art. 1, 2,9, i3, 27), avec le légendier de Queen's
Coll. (Oxford), énorme compilation formée de la combinaison d'élé-
ments divers (art 12, i4, i5, 16, 19, 20a 26), avec le ms. B. N. fr.
6447i notre -D' (art. 44 à 5i). Enfin certaines légendes n'ont été,
jusqu'à présent, rencontrées en aucun autre recueil (art. ] 1, 33 à 87,
39 , 4o , 4 1 , 4 2 ). La vie de saint Grégoire est copiée deux fois (art. 1 7
et 57).
(') Au bas du dernier feuillet on lit: Anno répelée, notamment par nos devanciers, à
Domini jucc. Levesque de La Ravallière, qui propos de quelques-uns des ouvrages que ren-
avait rédigé sur ce recueil une notice dont on terme le même manuscrit [Hist. litt. de la Fr.,
trouvera le résumé dans les Mémoires de l'an- XVIII , 89 ).
cienne Académie des Inscriptions (XXIII, '*' La table suivante compte 58 numéros,
254), crut voir dans ces mots (qui sont un mais les art. a8 et 3o ne sont pas des légendes
simple essai de plume) la date du manuscrit, en prose, et les art. 54 et 55 sont ailleurs
et son erreur a été depuis lors maintes fois comptes pour un.
II. LÉGENDES EN PROSE.
à33
1. Saint Clément. 20.
2. Saint Chrysant et sainte Daire '". 21.
3. Dispute de saint Pierre et de saint 22.
Patd contre Simon le magicien. 23.
4. Saint Pierre (2). 24.
5. Saint Paul. 25.
6. Saint Thomas W. 26.
7. Saint Jean l'évangéliste'*'. 27.
8. Saint Silvestre. 28.
9. Saint Sébastien («. 29.
10. Saint Philippe'*). 30.
1 1 . Saint Jacques le Mineur. 3 1 .
12. Sainte Agnès W. 32.
13. Saint Vincent!»). 3.5.
14. Sainte Agathe («). 34.
15. Sainte Julienne O»). 35.
16. Sainte Perpétue et sainte Féli- 36.
cité'"). 37.
17. Saint Grégoire. 38.
18. Saint Marc"*'. 39.
19. Saint Alexandre"»). 40.
Saint Janvier"*'.
Sainte Domicilia"^'.
Saint Pancrace"*'.
Saint Victor"".
Sainte Pétronille "8).
Saint Pierre l'acolyte"".
Saint Prime et saint Félicien '2*'.
Saint Ignace'*".
Sainte Thaïs (en vers).
Saint Mathias'2*'.
Les Vers de la Mort (Héiinand).
Saint Georges'*^).
Saint Barthélemi '«).
Saint Mathieu '*5).
Saint Simon et saint Jude.
Saint Jacques le Majeur.
Saint Laurent.
Saint Antoine.
Saint Julien de Brioude.
Sainte Bathilde<2<".
Saint Arnoul '"'.
'"' Cet article et le précédent se stiivent de
même dans le ms. d'Alençon.
<*' Les articles 4 et 5 sont une version du
De passione Pétri et Pauli apostoloram différente
de celle qui se rencontre ailleurs (ci-dessus,
p. 397, notes 2 et 3).
'" Ce n'est pas la version ordinaire (ci-des-
sns, p. 398). Les premières lignes des deux
Tersions sont imprimées dans le Bail, de la Soc.
des anc. textes, 1888, p. 83.
'*' Même observation. La version ordinaire
(ci-dessus, p. 397) est différente
<*' Même version que dans le ms. d'Alençon
(art. 17).
'•' Même version que dans le ms. B. N. fr.
686 (ci-dessus, p. Sgg). La version ordinaire
(ci-dessus, p. 397) est difierente.
''' Diffère de la version ordinaire (ci-dessus,
p. 4o2). Se retrouve dans le ms. de Queen's
Coll. (Oxford), art. 91.
'*' Même version que dans le ms. d'Alen-
çon, art. i3.
'*' Diffère de la version ordinaire (ci-dessus,
p. 4o3 ). Se retrouve dans le ms. de Queen's
Coll., art. 93, et dans B. N. fr. 4a3 (ci-après,
p. 446).
HIST. LITTÉB. XXXin.
''•' Queen's, art. 93.
<"' Queen's, art. 94.
'"' Version qui se trouve encore dans le ms.
B. N. fr. 686, fol. 525, dansS. John's, art. 30,
et dans Queen's, art. 19.
<"' Queen's, art. 3a.
('•> Queen's, art. 33.
'"' Lire Domitilla. Queen's, art. 96.
<"' Queen's, art. 47.
(") Queen's, art. 48.
<"' Queen's, art. 96.
'"' Queen's, art. 49.
'"' Queen's, art. 5o.
f' Ms. d'Alençon , art. 19; Queen's, art. 39.
'"' Se trouve dans le groupe G et ail-
leurs.
'"' Cette version ne parait pas se trouver
ailleurs.
'"' Même observation.
'"' Nous n'avons pas retrouvé ailleurs les lé-
gendes des articles 33 à 36 sous la forme
qu'elles ont ici.
'"' Version que nous n'avons pas rencontrée
ailleurs.
'"' Version différente de celle qu'on trouve
dans B (jirt. 39), ci-dessus, p. 4o4.
55
434
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
41. Saint Paul l'ermite <".
42. Saint André ^'^K
43. Saint Denis.
44. Sainte Félicité l^'.
^5. Sainte Christine.
46. Sainte Cécile.
47. Saint Sixte.
48. Saint Hippolyte.
49. Saint Biaise W.
50. Saint Martin'".
51. Saint Brice.
52. Saint Lambert.
53. Saint Gilles.
54 et 55. Saint Nicolas (et transla-
tion).
56. Saint HilarionW.
57. Saint Grégoire''".
58. Saint CucufatW.
Cambridge, Saint John s Coll. 9, ff. 84-166 ^^\ — Ce court légen-
dier (il ne renferme que vingt légendes) est, par sa composition, très
difiFérent de tous les autres. Il a une légende en commun avec le
groupe E, la vie de sainte Julienne (19) *'°^, que nous rencontrons
aussi dans les mss. B. N. fr. 18496 (5) et 23ii2 (i5). La vie de
saint Silvestre (i5) est commune à un grand nombre de légendiers;
la vie de sainte Luce (17) est la même que dans les mss. 18496 et
de Queen's ; quatre (8, 18, i4, 20) font partie du légendier 281 li.
Toutes les autres (1 , 2 , 4-i 2 , 16, 18) sont des versions nouvelles de
légendes dont nous connaissons des versions plus anciennes.
1.
Saint Jean l'évangéliste.
11.
Saint Pierre.
2.
Saint André.
12.
Saint Agapet.
3.
Saint Thomas apôtre.
13.
Saint Clément.
4.
Saint Paul.
14.
Saint Chrysant et sainte Daire
5.
Saint Jacques le Majeur.
15.
Saint Silvestre.
6.
Saint Barlhélemi.
16.
Sainte Agnès.
7.
Saint Mathieu.
17.
Sainte Luce.
8.
Saint Simon et saint Jude.
18.
Sainte Agathe.
9.
Saint Philippe.
19.-
Sainte Julienne.
10.
Saint Jacques le Mineur.
20.
Saint Marc.
'"' Même version que ci-dessus, p. 4i5.
<*' Cet article et le suivant contiennent des
versions que nous n'avons pas encore rencon-
trées.
''' C'est bien la version déjà mentionnée ci-
dessus, p. ào% [B ai), quoique le commence-
ment ne soit pas le même; mais dans D'
(art. 60, Notices et extraits, XXXV, ^98) le
débat est tel qu'ici.
'*' Se trouve dans D' (art. 67).
<'' Cest la version de Wauchier, ci-dessus,
p. a83; mais il est remarquable que notre
manuscrit a ici, au début, la même variante
que D' (art. 58).
'"' Traduction de Wauchier, ci-dessus,
p. a65.
f Même légende qu'au n° 17.
'*' Se trouve dans le ma. de Saint-Péters-
bourg et ailleurs; voir ci-aprés, p. 436, et No-
tices et extraits, XXXVI, 090.
'•' Notice dans la Romania. VIII, 330.
L'écriture est des premières années du
XIV* siècle.
'"' Voir ci-dessus, p. 4a3.
II. LÉGENDES EN PROSE. 435
Tours, 1015 '^^K — Ce manuscrit, de la fin du xiv^ siècle ou du
commencement du xv% est très mutilé, beaucoup des miniatures qui
l'ornaient ayant été coupées. H a été copié , comme on le voit par les
formes du langage, sur un manuscrit plus ancien. C'est un de nos
plus courts légendiers, car il ne contient que seize légendes, qui
toutes se retrouvent dans les manuscrits du groupe D, et presque
toutes dans les groupes B C. Il ne paraît pas cependant qu'il puisse
être considéré comme dérivant d'un manuscrit du groupe D. En voici
la table :
1. Passion (Evangile de Nicodème). 10. Martyre de saint Jean l'évan-
2. Conversion de saint Paul. géliste.
3. Chaire de saint Pierre. 1 1 . Saint Philippe.
k. Saint Barnabf'. 12. Dispute de saint Pierre et de
5. Saint Thomas apôtre. saint Paul contre Simon le magicien.
6. Saint Barthélemi. 13. Saint Mathieu.
7. Miracles de Saint .André '*'. 14. L'invention de la Croix.
8. Saint Simon et saint Jude. 1 5. Saint Côme et saint Damien.
9. Vie de saint Jean I evangéliste. 1 6. Saint Julien de Brioude.
Oxford, Queen's Collège 305. — Vaste recueil, écrit par deux
mains dans la seconde moitié du xv'' siècle, contenant ii4 articles.
11 est à propos de classer ici ce légendier qui a été composé d'après
plusieurs des recueils dont nous avons traité dans les pages précé-
dentes. Le fond paraît avoir été fourni par des manuscrits des
groupes C E F. Un certain nombre d'articles sont tirés de légendiers
plus ou moins analogues à celui d'Alençon et au n° 23 1 1 2 de la Bi-
bliothèque nationale. Mais il y a aussi quelques légendes que nous
n'avons pas rencontrées ailleurs, du moins sous la même forme :
celles de saint Placide (art. 58), de saint Nicaise de Rouen (60),
de saint François (86), de sainte Geneviève (98), de sainte Margue-
rite (107), de sainte Bathiide (110), de sainte Bertille (1 14)- Nous
ne croyons pas utile de donner ici le dépouillement du légendier
d'Oxford , qui a été analysé en détail dans la Romania , XXXIV, 2 1 5 .
B. N.jr. 987. — Manuscrit du xv^ siècle contenant 38 articles,
''' Décrit dans le Bulletin de la Société des ''' Même début que dans les mss. d'Arras et
anciens textes français , 1897, p. -jb et suiv. d'Alençon.
436 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
dont 35 se retrouvent dans le légendier d'Oxford. L'un d'eux, la vie
de saint Pierre l'acolyte, n'a été trouvé jusqu'ici que dans ces deux
manuscrits. L'analyse de ce recueil , assez peu intéressant, a été donnée
dans la iîoma/iia, XXXIV, 3 34-
Bibl imp. de Saint-Pétersbourg ,fr. 35, ff. 3-125 et 156-194^'K — Ce
grand recueil, écrit dans la seconde moitié du xiii" siècle, se compose,
de six parties bien distinctes : i" un recueil de trente légendes dont
les quatorze premières forment le légendier A étudié ci-dessus
(p. 396 et suiv.); 3° de très nombreux extraits du Légendier classé
selon l'ordre de l'année liturgique, dontil sera traité plus loin; 3° une
série de quatorze vies de saints; 4° la version dite champenoise de la
Vie des Pères (ci-dessus, p. 3 1 3) ; 5" la mise en prose d'un des poèmes
sur Barlaam et Josaphat; 6" les vies des saintes Agathe, Luce, Agnès,
Félicité. Nous ne nous occuperons présentement que des sections I,
1I1,VL
L Nous n'avons pas à revenir sur les quatorze premières légendes,
celles qui constituent le légendier A. Voici l'énumération des autres,
avec quelques renvois qui en faciliteront l'identification :
Suite de la Section I.
15. Saint Martial (Arras, 2/1).
16. Saint Nicolas (Arras, 19).
17. Saint Paul l'ermite (trad. de
Wauchier de Denain).
18. Saint Antoine (trad. de Wau-
chier).
19. Saint Mammès.
20. Saint Christophe (B \q, B^ 17,
jB^ 26, etc.).
2 1 . Saint Quentin.
22. Saint Cueufat (B. N. 13/196,
art. 5).
23. Saint Nazaire(Di 65).
24. Saint Gervais et saint Protais.
25. Saint Etienne protomartyr.
26. Saint Agapet.
27. Saint Alexis (G 38, £58).
28. Saint Jérôme (trad. de Wau-
chier).
29. Saint Benoit (trad. de Wau-
chier).
30. Saint Gilles (G 33, £67).
Section III.
(Fol. i56) Saint Georges (i3 16,
5» 25, G 16, etc.).
(Fol. 159) Saint Babylas (B' 27,
B^ 29).
(Fol. 159 c) Saint Marius [B^ 28,
B^ 3o).
(Fol. 160 c) Saint Félix de Noie
(B'29,B»3i).
(Fol. 16-1 b) Les Trois frères ju-
meaux (B» 3o, B* 32).
C Décrit dans les Notices et extraits. XXXVl, 677 et suiv.
II. LEGENDES EN PROSE. 437
(Fol. i64c) Saint Denis (Ba5, (Fol. i 8 1 c) Saint Julien de Brioude
51 3i,Z) 28, etc.). (B 32, fil Al, D 35, etc.).
(Fol. 1 66c) Saint Côme et saint Da- (Fol. 187 c) Saint Brendan (B 33,
mien (B 26, fil 32, B'^ 33, etc.). BU\^,D 36, etc).
(Fol. 169 d) Saint Sixte (B 27, fil 36,
B» 35, etc.) Section VI.
(Fol. 171) Saint Laurent (B 28, (Fol. 2^70) Sainte Agathe (B 18,
B137, B2 36, etc.). B' 18, C 18, etc.).
(Fol. 173 b) Saint Hippolyte (B 29, (Fol. ilx^ c) Sainte Luce (B 19,
B'38, B237). ' Bi 19, C 19, etc.).
(Fol. 17/1 d) Saint Lambert (B 3o, (Fol. 'jSi b) Sainte Agnès (B 20,
B' 39, B2 38, etc.). Bi 20, C 20, etc.).
(Fol. 178 c) Purgatoire de saint Pa- (Fol. ibk) Sainte Félicité (B 21,
trice(B 3i, B' 4o, C 43, etc.). B' 2 1 , C a 1 , etc.).
B. N.J'r. 13496. — Ce manuscrit, qui peut être attribué à ia fin du
xiii" siècle ou au commencement du xiv", a été exécuté en Bourgogne.
Le caractère dialectal y est assez marqué pour ne laisser aucun doute
à cet égard. Au xv" siècle, sinon plus tôt, il appartenait à l'hôpital du
Saint-Esprit de Dijon.
Malgré son peu d'étendue, il est précieux en ce qu'il nous a con-
servé quelques morceaux rares ou même uniques. Entre les vingt et
une légendes qu'il renferme, cinq seulement, les articles 1 (saint
Julien), 12 (saint Denis) , 17 (saint Brendan), 20 (saint Silvestre),
2 1 (Purgatoire de saint Patrice), ont été fort répandues; deux d'entre
elles (art. 12, 21) sont des versions isolées qui ont été publiées à part
avant de prendre place dans les légendiers. La vie de Girart de Rous-
sillon (art. i4), qui ne fut point un saint, mais qui avait fondé
l'abbaye de Pothières, et dont la fabuleuse histoire ne pouvait man-
quer d'intéresser des lecteurs bourguignons, ne se trouve point
ailleurs sous cette forme. La vie de la Madeleine (art. 8), qui inté-
ressait aussi les Bourguignons à cause de la translation du corps de
la sainte à Vézelai, se présente ici dans une rédaction que nous
n'avons rencontrée nulle part ailleurs. Le morceau sur saint Lazare
(art. i3) paraît également unique, mais ce n'est pas, à proprement
parler, une légende.
1. (Fol. 1) Saint Julien de Brioude (B32; cf. ci-dessus, p. 388).
2. (FoL i3) Saint Cucufat (B. N. fr. 23i 1 2, art. 58).
3. (Fol. 18) Sainte Catherine {D 58).
438 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
4. (Fol. 26 c) Sainte Euphrasie. — Ou temps Theodosore l'ompereor fu .j.
homs, scnators en la cité de Ronme, qui Antigonus avoit a non. . . (Queen's Coll.,
Oxford, art. io3)(i).
5. (Fol. 36 c) Sainte Julienne {Ë8i, £• /»i,B.N. f'r. aSi 12, art. i5; S. John s
Coll., art. ig).
6. (Fol. Sg d) Sainte Luce (S. John s Go\i., art. 17).
7. (Fol. 42) Saint Bernard [E 6q).
8. (Fol. 1 3 1 ) Sainte Marie-Madeleine. — En celui tans que nostre sire Jhesucriz
aloit par terre corporehnent , estoit en ceies parties une noble femme née dou chaste!
qui est nommez Magdalum . . .
9. (Fol. i46c) Sainte Marthe. — Sainte Marthe fu suers sainte Marie Magdalene
et Ladres, oui Diex suscita, et fu de la lignie de roy . . (Légendier liturgique,
art. 8g).
10. (Fol. i48) Sainte Marie l'Égyptienne (D Sy, £ 71, E^ 26).
11. (Fol. 1 55 b) Sainte Élisabeth{E 86).
12. (Fol. 17g) Saint Denis [B^ 20, E 26).
13. (Fol. ig7 b) Saint Lazare. — Li séquence de l'euvangile selon saint Jehan :
En celui temps estoit uns languissanz , li Ladres de Bethanie , dou chastel Marie et
Marthe(2).
14. (Fol. 217) Girart de Roassillon^^^'
1 5. (Fol. 1 3g) Saint Grégoire [E 44 , B. N. fr. 23 1 1 2 , art. 1 7).
16. (Fol. 245 c) Saint Jérôme (version de Wauchier de Denain).
17. (Fol. 248) Saint Brendan {B 33, B^ 42, etc.).
18. (Fol. 25g) Saint Fursi (C 4g, £ 65, etc.).
19. (Fol. 264) Saint Benoit (version de Wauchier de Denain).
20. (Fol. 282) Saint Silvestre {B 35, B> 44, Z) 38, E 43, etc.).
21. (Fol. 2g8) Purgatoire de saint Patrice (B 3i, C 43, Z) 43, E 45, etc.).
Bibliothèque royale de Belgicjue, 10295-10304. — Ce manuscrit,
dont on trouvera la notice détaillée dans la Romania, XXX, agB-Si 5,
contient un recueil de légendes françaises en vers et en prose. Écrit à
Ath (Hainau) en 1^28 et 1 429 , il a été compilé d'après des légendiers
qui ne nous sont pas tous parvenus, car il nous a conservé certains
articles qui paraissent uniques. Dans la liste qui suit on énumérera
seulement les légendes en prose , avec les numéros d'ordre qui leur
sont attribués dans la notice précitée.
''' Cette version est différente de celle de Augustin sur saint Lazare et une série de mi-
C 56 (ci-dessus, p. 4i/l). racles dont la scène est à Antun.
'*' On voit que ce morceau est non pas une ''' Version publiée dans la Romania (VllI,
légende, mais la traduction du ch. xi du 179 et sniv.), en regard de l'original latin,
quatrième évangile. Suivent un sermon de saint tiré d'un manuscrit.
II. LEGENDES EN PROSE.
439
1.
D,D\
2.
3.
4.
ioo8"
5.
bourg).
10.
II.
12.
23.
24.
Saint Christophe {B, B\ B^, C,
Saint Sébastien [ihid.].
Onze mille vierges [D, D^, E).
Sept dormants (Lyon 770, Tours
Saint Quentin (Saint - Péters-
Saint Georges.
Sainte Euphrosyne.
Saint Antoine'^'.
Sainte Marie Madeleine.
Sainte Marthe [E, G).
27. Saint Laurent (iJ, B\ B^, C,D,
D\ E).
33. Saint Hippoly te (liirf.).
34. Saint Lambert [ihid.).
35. Saint Sixte ((èiW.).
36. Saint Longin (ièid.).
37. SaintQuiriaque(B,B',B2,ZJi,fî).
38. Saint Babylas(B^B^D').
39. Saint Marius (iiic?.).
40. Trois frères jumeaux [ihid.].
41. Saint Côine et saint Damien
{B,B\1^\D,D\E].
42. Saint Denis (7î^ £).
On voit qu'il y a dans ce manuscrit quatre versions, qu'on peut,
jusqu'à présent, considérer comme uniques (art. 10, 11, 12, 23).
Elles ne peuvent être attribuées à un seul traducteur : tandis que la
vie de saint Antoine est traduite de la façon la plus littérale, dans un
style très pénible, la vie de la Madeleine, au contraire, semble être
une compilation très librement laite d'après plusieurs sources; le
style en est très aisé et tout à fait adapté à la récitation en public. La
légende des Sept dormants (art. 4) n'avait été rencontrée jusqu'ici
que dans des recueils écrits en Italie.
Bihl. Sainte-Geneviève 587, ff. 3-32^^K — Petit recueil composé de
douze légendes empruntées à divers légendiers. Les articles 1 à 3
se retrouvent au début de plusieurs des manuscrits étudiés au cours
de la présente notice (C, D, E, ci-dessus, p. 4i5 et suiv.). L'art. 12
(saint Georges) est commun. Les autres articles se rencontrent aussi
en d'autres recueils, notamment dans celui de Saint-Pétersbourg,
mais sont cependant peu fréquents. Le n" 9 (saint Apollinaire) ne
nous est pas connu d'ailleurs.
1. Nativité. 3. Passion (Évangile de Nicodème).
2. Apparition, ou adoration des 4. Sainte Marthe (£ 80).
Mages. 5. Saint Cucufat.
'"' Voir ci-dessus, p. 399.
'*' Les articles i3 à 22 sont des légendes
très abrégées qui ne sont peut-être que des
sermons pour la fête de quelques saints. 11 en
est de même des art. 25 et 26. Voir Roma-
nia, XXX, 3o5, 307 et 309.
''* Décrit dan s les Notices et extraits , XXX VI ,
718-719.
440 LÉ(iENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
6.
Saint Manimès'''.
10.
Saint Gorvais et saint Protais'",
7.
Saint Agapet '^'.
11.
Saint Etienne'*'.
8.
Sainte Marguerite"'.
12.
Saint Georges {B i6, B^ ^5
9.
Saint Apollinaire.
C i6,
etc.).
Dublin, Trinity Collège B. 2. 8. — Ce manuscrit est d'une écriture
anglaise que l'on peut rapporter à la fin du xiv* siècle. Il n'est pas
douteux qu'il a été copié sur un original français. Dans son état ac-
tuel il se compose de 91 feuillets, mais le commencement fait défaut
et il manque des feuillets en plus d'un endroit. H renferme vingt
légendes qui ne sont pas de celles qu'on rencontre le plus souvent
dans nos vieux légendiers français. Plusieurs nous sont déjà connues
par le manuscrit de Saint-Pétersbourg et par le n° 687 de Sainte-
Geneviève, dont nous venons de parler; d'autres forment une série
continue qui paraît bien empruntée au Légendier classé selon l'ordre
de l'année liturgique. En voici la liste :
1.
Saint Antoine'*'.
11.
Saint Fuscien et saint Victorique,
2.
Saint Mammès.
12.
Saint Nicaise.
3.
Saint Cucufat.
13.
Les Innocents.
4.
Saint Nazaire.
14.
Saint Thomas de Cantorbéry'",
5.
Saint Gervais et saint Protais.
15.
Saint Julien et sainte Basilique.
6.
Saint Etienne.
16.
Saint Nicolas.
7.
Saint Agapet.
17.
Saint Thomas apôtre.
8.
Saint Alexis.
18.
Saint Martial.
9.
Saint Jérôme.
19.
Sainte Elisabeth.
10.
Saint Éloi.
20.
Saint Grégoire'".
Les articles 1 et 9 sont au nombre des vies traduites par Wauchier;
la vie de saint Nazaire (art. 4 ) n'a été rencontrée jusqu'ici que dans 1)^
(art. 65, ci-dessus p. 420); les articles 1, 3,5,6,7 sont dans les
manuscrits de Saint-Pétersbourg et de Sainte-Geneviève; les articles 10
à 1 5 sont classés selon le même ordre dans le Légendier liturgique, ce
'*' Voir la notice du ms. de Saint -Péter»- <'' Incomplet du début par suite d'une la-
bourg, Notices et extraits, XXXVI, 688. cune.
'*' Ibid. , p. 69 1 . '*' La fin du manuscrit est occupée par une
<'' Ibid. . p. 465. copie inaclievée de la version du Pastoral de
'*' Ibid. , p. 6go. saint Grégoire. Cette même version a été admise
'*' Ibid., p. 690-691. dans les manuscrits du groupe E (ci-dessus,
'•' Version de Wauchier. Manque le début, p. Asaj-Ellese rencontre ailleun
par suite de la perte d'au moins un feuillet. le ms. B. N. fr. a486/i. fol. 179
II. LEGENDES EN PROSE.
441
qui prouve qu'ils en sont tirés. Quant aux articles 8 et 16 à 20, ils
sont probablement tirés d'un manuscrit du groupe E où se trouve
aussi le Pastoral de saint Grégoire.
Lyon, Bibl. municipale 772'^'. — Ce manuscrit ne contient pas seu-
lement un choix de vies de saints : on y trouve encore une version,
connue d'ailleurs, du Planctus beatœ Mariœ, attribué à saint Bernard
ou à saint Anselme (art. 6), un morceau sur les heures canoniques
(art. 7 ), un long sermon sur la vie contemplative connu sous le nom
de « Livre du palmier» (art. 82), de longs extraits des Vies des Pères,
d'après la version dite champenoise (art. 28-.3i, Sg)^^^ et quelques
autres morceaux de littérature profane ou religieuse. Les légendes
proprement dites ont été puisées à des recueils divers dont l'un devait
être plus ou moins analogue à C (ci-dessus, p. 4i4), l'autre étant
certainement le Légendier classé selon l'ordre de l'année liturgique
dont il sera question plus loin. Nous donnons, dans la liste qui suit,
la concordance entre le manuscrit de Lyon et ce légendier.
1. Annonciation {Lég. lit, 45)'^'.
2. Nativité (L^j. /if., 8)'*'.
3. Lessaints Innocents (L^^./i<.,i 2).
4. Saint Jean Baptiste {Lég. lit.,-ji].
5. Passion '".
6. La Plainte de Notre-Dame.
7. Heures canoniques.
8. Saint Longin'®'.
9. Invention de la Croix (Lej.tt., 55).
10. Saint Etienne (Lejf. lit., 10).
11. Sainte Marie -Madeleine {Lég.
lit, 88).
12. Chaire de saint Pierre {Lég.
lit., 37 )W.
13. Saint BarthélemiW.
1 4. Saint Mathias {Lég. lit.
15. Saint Barnabe {Lég. lit.
16. Saint Marc'»'.
17. Saint Vincent (L^jf. W.,
18. Saint Laurent»»'.
19. Saint Nicaise {Lég. lit., 6).
20. Saint Jérôme'"'.
21. Sainte Marie l'Egyptienne {Lég.
lit. Ixli).
38).
68).
24).
'■' Décrit en détail dans le Bulletin de la
Société des anciens textes français , i885, p. Ao
et suiv.
<*' Voir ci-dessus , p. 3i4.
'*' Ce morceau se retrouve encore ailleurs.
Il forme le début des manuscrits du groupe E.
•*' Morceau par lequel commencent C\ D ,
D'; c'est l'article 2 du groupe E.
'*' D'après l'Evangile de Nicodème , art. 4 de
D et D'; art. 5 du groupe £, etc.
'"' A art. II, /} art. i3, etc.
HIST. LITTÉll. \X\ni.
''' Se trouve aussi ailleurs ( D 6 , D' 5, etc.).
'*' Version que renferment la plupart des
légendiers. Seulement ici, il y a , au début, une
leçon qui ne se rencontre que dans les manu-
scrits du groupe A (art. 10) et dans le ms.
B. N. fr. 423.
<*' Même début dans A ( art. 12); même ver-
sion, mais avec un commencement différent,
dans les autres groupes.
<"' B(art. 28),B'(art.37),B*(art.36),etc.
'"' Version de Wauchier de Denain.
56
4^12
LKGKNDES HÂGIOGRAPHIQLiES EN FRANÇAIS.
28. Sainte Maiine'".
29. Sainte Euphrosyne'*'.
30. Marie la pécheresse.
31. Sainte Thaïs.
38. Barlaam et Josaphat''".
22. Saint Eloi {Lég. lit., 2).
23. Saint Grégoire (L^jf. lit., /ii).
24. Saint Julien l'hospitalier'".
25. Saint Eustache'^).
26. Sainte Suzanne'^'.
27. Sainte Pélagie'*'.
(KM I
On voit qu'une grande partie des légendes que renferme ce
manuscrit sont tirées du Légendier liturgique. Néanmoins il serait
impossible de le classer à la suite de ce légendier, l'ordre des pièces
étant complètement bouleversé.
Airas, Bibl. municipale 657 [anc. 139), ff. 55-87. — Du légendier
772 de Lyon il convient de rapprocher le manuscrit 667 d'Arras,
qui contient en grande partie les mêmes légendes. C'est un beau livre
de la seconde moitié du xiii" siècle, écrit en Picardie. La richesse de
son enluminure lui a été funeste. Beaucoup des miniatures qui l'or-
naient ont été découpées, des feuillets ont disparu, de sorte qu'il est
assez difficile d'en déterminer exactement le contenu. Voici la liste
des légendes dont nous avons pu constater l'existence; nous en indi-
quons la concordance avec le manuscrit de Lyon et, pour les deux
derniers articles, avec d'autres recueils :
9.
3.
24).
4.
5.
6.
1. Sainte Suzanne (Lyon, 26).
Sainte Pélagie (Lyon, 27).
Saint Julien l'hospitalier (Lyon,
Saint Jérôme (l^yon, 20).
Saint Eloi (Lyon, 11).
Plainte de Notre-Danoe (Lyon, 6).
7. Heures canoniques (Lyon, 7).
8. Saint Eustache (Lyon, ib).
9. Purgatoire de saint Patrice (B, B^
C,D,D', fi.etc).
10. Saint Alexis {C, E, Saint-Péters-
bourg).
En dehors des légendiers proprement dits, on rencontre en cer-
tains manuscrits de petites collections de légendes françaises qui
A'' J3 32 , B' ^1, D 35, etc. Voir ci-dessus,
p. 388.
''' JB' a4, etc. Voir ci-dessus, p. 38a, n. 1.
''' Traduction des ch. xin et xiv du livre de
Daniel. Copie incomplète du même texte dans
le ms. d'Arras GSy (anc. iSg), fol. 53.
'*' L'original est dans les Vitœ patrum de
Rosweyde (a* édition), p. 876 (Migne, Patr.
lai.. LXXm, 663; d.AA. SS.. oct. IV, a6i).
Copie de la même version dans le ms. d'Arras
précité, fol. 5/4.
'*' Version champenoise, ci-dessus, p. 307.
'*' Pour cette légende et les deux suivantes,
voir ibid.
''• Mise en prose d'un poème; voir ci-dessus,
p. 34o, note I .
IL LEGENDES EN PROSE.
443
n'ont qu'une médiocre importance, étant le plus souvent tirées de
recueils plus étendus qui nous sont parvenus. Le manuscrit B. N.
fr. 2 5532 renferme, du fol. 281 au fol. 320, la vie, si souvent
copiée, de saint Julien l'hospitalier, l'une des vies de Marie-Made-
leine'*', la vie de saint Gilles, l'Invention de la Croix, la vie de sainte
Marthe'"^', le Purgatoire de saint Patrice , l'Antéchrist. — Le manuscrit
B. N. fr. 422, dont nous avons parlé ci-dessus (p. 3 18) à propos des
versions en prose des Vies des Pères, contient aussi quelques vies de
saints et de saintes : celles de saint Martin (fol. 83), de saint Nicolas
(fol. 97), de saint Jean l'évangéliste (fol. 117), de Marie-Madeleine*^'
et la légende de l'Antéchrist. — Dans le manuscrit B. N.fr. ig53i nous
trouvons, jointes aux vies rimées de saint Dominique et de sainte
Elisabeth'*', les légendes en prose de saint Patrice (fol. 2), de l'Anté-
christ (fol. 16 v"), de sainte Marthe (fol. i48 v"), de saint Augustin
(fol. i63), de sainte Marie-Madeleine (fol. 169 v°). La légende de
sainte Marthe existe ailleurs en un texte plus complet '^'; celle de saint
Augustin paraît unique; celle de la Madeleine a été citée ci-dessus,
p. 388-890. — Enfin nous mentionnerons un manuscrit de la fin
du xiv* siècle, conservé à Copenhague (fonds Thott, 11° 217), qui
contient les légendes suivantes : l'Assomption'"', une vie de sainte
Marguerite, dont on n'a pas signalé d'autre copie, la vie de la Made-
leine que nous venons de rencontrer dans le ms. B. N. fr. 2 5532'''.
Les légendiers dont il nous reste à parler se distinguent à tous
égards de ceux dont nous nous sommes occupés jusqu'ici.
Légendier lyonnais ; B. N.fr. 818, ff. 154-175. — Dans ce manuscrit
<'' Celle que nous avons déjà rencontrée
dans B (art. io) , dans B' (art. ^g), dans û'
(art. 47).
'*' La même que dans E (art. 80), £'
(art. 38), ci-dessus, p. ^23.
''' Voir sur cette rédaction , dont on a plu-
sieurs copies ci-dessus, p. 389.
''' Ci-dessus, p. 346 et 3^7.
'*' Cette rédaction est celle que nous avons
rencontrée plus haut dans le ms. fr. 64^7 (i^'),
p. 288, et que nous attribuons à Vauchier de
Denain. Seulement ici les premières pages de
légende ont été omises. Le texte commence
ainsi : « Apriès chou que Nostre Sire fti resusci-
tés de mort vie et fu montés es ciels en sa
grant seignorie , et il ot ses apostles conferniés
et doné del Saint Esperit gracie, ceste sainte
damoisele, qam q'ele ot et pot avoir aporta
ele as pies des apostles, car tout cil ki creoient
adonques en Dieu estoient ausi com uns cuers
et une ame » Cf. le ms. 6447 {^')i
fol. 3o4 b.
'*' Même légende que dans B (art. 37),
B' (art. 46), C (art. 4o), D (art. 48), D'
(art. 55).
''' Voir Abrahams, Description des mss. fran-
çais du moyen âge de la Bibl. royale de Co-
penhague (i844). p. 9-1 1.
56.
lidti
LliGENDES HAGIOGRAPHIOUES EN FRANÇAIS.
sont copiés, à la suite l'un de l'autre, deux légendiers absolument dif-
férents par le contenu, par la langue et par l'écriture. C'est du premier
que nous allons nous occuper. La langue en est purement lyonnaise.
Nous avons tout lieu de croire qu'il a été, non seulement transcrit,
mais composé à Lyon ou dans les environs. On le considère ajuste titre
comme le plus ancien document du dialecte lyonnais qui nous soit
parvenu. Il ne saurait être, en effet, postérieur à la fin du xiii" siècle,
époque à laquelle appartient le manuscrit, et nous le croyons an-
térieur aux Méditations de Marguerite d'Oyngt , qui fut religieuse,
puis prieure de Poleteins, près de Lyon, depuis 1 286 environ jusqu'à
sa mort, en i3io''^ Aucune des vingt-six légendes que renferme le
recueil lyonnais n'a pris place dans les nombreux légendiers que nous
avons passés en revue ; quelques-unes seulement ont été intercalées,
sous une forme légèrement francisée, parmi des légendes en pur
français et connues d'ailleurs, dans un manuscrit dont nous parlerons
tout à l'heure, le n° 428 du fonds français de la Bibliothèque nationale.
Le légendier lyonnais a été analysé en détail dans les Notices et
extraits des manuscrits^'^h Pour chaque morceau on a indiqué l'original
latin et transcrit les premières lignes du texte. 11 suffira donc, présen-
tement, de donner la liste sommaire des légendes dont se compose le
recueil :
1. Dispute de saint Pierre et
saint Paul contre Simon le magicien.
2. Saint André.
3. Saint Jacques le Mineur.
4. Saint Jean i'évangéliste
5. Saint Jacques le Majeur.
6. Saint Thomas apôtre.
7. Saint Simon et saint Jude.
8. Saint Barthélemi.
9. Saint Mathieu.
10. Saint Philippe.
11. Saint Martial.
12. Saint Christophe.
13. Saint Sébastien.
''' Voir Œuvres de Marguerite d'Oyngt ,
prieure de Poleteins, publiées par E. Philipon,
avec une introduction de M.-C. Guigue (Lyon,
Scheuring, 1877). — Nos devanciers ont
commis une double erreur en l'appelant « Mar-
guerite de Duyii» (Duingt, Haute-Savoie), et
en plaçant sa mort vers 1294 [Hist. litt, de la
fr., XX,3o5).
'•' XXXIV, II , 71 et suiv. C'est la seconde
partie d'un mémoire intitulé Notice sur le recueil
de miracles de la Vierge renfermé dam le ms.
de la Bibl. nat. fr. 818 (iSgS). — Depuis
la publication de ce mémoire, une édition
du légendier lyonnais a été commencée par
MM. Mussafia et Gartner, sous le titre assez im-
propre d' Altfranzôsische Prosalegenden (Vienne
et Leipzig, W. BraunmûHer, 1" partie, 1896,
aSa-xxvi pages). — Ces légendes ont fourni la
principale base du mémoire de M. Edouard
Philipon sur In morphologie du dialecte lyon-
nais aux xiii' et XIV' siècles, Romania, XXX,
ai 3-39/1.
H. ].f/;endes en prose. 445
14.
i>aint Georges.
21.
Sainte Christine.
15.
Saint Marc.
22.
Sainte Euphéniie.
16.
Saint Biaise.
23.
Sainte Agathe.
17.
Saint Adrien.
24.
Sainte Luce.
18.
Sainte Marie-Madeleine'".
25.
Invention de la Croix
19.
Sainte Eulalie.
26.
Saint Mammès.
20.
Sainte Eugénie.
I
On voit que ce légendier n'est lyonnais que par la langue : il ne
contient aucun saint de la région où il a été composé. Le traducteur
a suivi l'ordre que nous avons observé en plusieurs de nos légendiers
français: les apôtres, quelques anciens martyrs, un certain nombre
de saintes, l'Invention de la (iroix, et enfin saint Mammès, saint
vénéré à Langres. De toutes ces légendes nous possédons des versions
françaises, sauf pour sainte Eugénie et saint Mammès.
B. N.fr. 42.V. — Ce recueil est formé d'éléments disparates qui se
retrouvent en maints autres légendiers. Il paraît, d'après l'écriture,
avoir été fait au commencement du xiv* siècle, et certaines particula-
rités de langage permettent de croire que le copiste appartenait à la
région lyonnaise. Il y a, du reste, dans cette compilation des mor-
ceaux tirés du légendier lyonnais que nous venons d'analyser.
Dans la table qui suit on ne donnera de numéro qu'aux légendes
hagiographiques proprement dites.
1. (Fol. i) Passion de saint Paal (B 3; ci-dessus, p. /joo).
2. [¥o\. 3 b) Saint Jean l'évangéliste (B 5; ci-dessus, p. /ici).
3. (Fol. 6) Barlaam et Josaphat (mise en prose d'un poème; voir ci-dessus,
p. 3ùo, note i).
(Fol. 2o) Extraits de la Vie des Pères d'après la version champenoise : vies de
sainte Marine, de sainte Euphrosyne, de Marie la pécheresse (voir ci-dessus,
p. 3o7)(2).
4. (Fol. 2o'''') 5amf JSartMemi (légendier lyonnais, art. 8).
5. (Foi. 23) 5am< ^ndre (légendier lyonnais, art. 2).
6. (Fol. a/j d) 5am<e £a/aiïe (légendier lyonnais, art. 19).
'"' Il ne serait pas impossible que, par p. 4o8), dans le ms. B. N. fr. 25532 et dans
e\ception , cette vie eût été rédigée d'après une le ms. Thott 2 1 7 de Copenhague,
des versions françaises , celle dont nous avons ''^' C'est par oubli que nous n'avons pas
cité le début d'après B (ci-dessus, p. 4o4) et mentionné le ms. fr. 423 entre les recueils qui
qui se rencontre encore dans le ms. Add. 652^ ont admis la totalité ou des extraits de la ver-
du Musée britannique (art. ^9, ci-dessus, sion champenoise (voir ci-dessus, p. 3 1 3).
4i6 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
7. (Fol. 26 c) Saint Mathieu (légendier lyonnais, art. 9).
(Fol. 29 d) Sermon eu français.
8. (Fol. 32) Sainte Marie- Madeleine (version du Légendier liturgique , art. 88 ,
déjà rencontrée dans le ms. -j-ji de Lyon; ci-dessus, p. 44 1 ).
9. (Fol. 33 b) Sainte Marthe (version du Légendier liturgitpie, art. 89,
déjà rencontrée dans le nns. B. N. fr. iSZigô, ci-dessus, p. /j38).
10. (Fol. 34) Sainte Agnès [B 20; ci-dessus, p. Ixoi).
1 1. (Fol. 35 d) Purçjaloire de saint Patrice (fi 3 1 ; ci-dessus, p. /io3 ).
(Fol. 39 d) « De Joseph d'Arimatia. »
(Fol. 5o) Plainte de Notre Dame (même version dans le ms. B. N. fr. 818,
fol. ly; voir Bull, de la Soc. des anc. textes, 1876, p. 63).
(Fol. 62) Extraits de la Vie des Pères.
12. (Fol. 53 c) Saint Sébastien [iégendier lyonnais , art. i3).
13. (Fol. 56) Saint Brendan [B 33; ci-dessus, p. /io3).
14. (Fol. 62) iSain< Jacques /e Mo/eur (légendier lyonnais, art. 3).
15. (Fol. 63 c) Saint Philippe [Ugendier lyonnais, art. 10).
(Fol. 64) Sermons en français. — (Foi. 79) Traduction en prose du Lucidaire.
— (Fol. 91) Extraits de la Vie des Pères.
16. (Fol. 91b) 5am< Georges (légendier lyonnais, art. r4). — Suivent des extraits
de la Vie des Pères et divers poèmes dont on trouvei'a la liste dans le catalogue im-
primé.
17. (Fol. i3'7) Sainte Agathe (même version que dans le ms. B. N. fr. 23i 12,
art. 1 4 , ci-dessus, p. 433).
Ce qui semble résulter assez clairement de cette liste, c'est que le
compilateur a mis à contribution le légendier lyonnais (art. 4» 5^
6, 7, 12, i4, i5, 16), un légendier plus ou moins analogue aux
manuscrits du groupe B ( art. 1, 2, 10, ii, i3) et le Légendier
liturgique (art. 8 et 9) , mais il n'est nullement impossible qu'il ait eu
sous les yeux, outre le légendier lyonnais , un manuscrit analogue à
celui de Lyon, où des vies empruntées au Légendier liturgique et
à d'autres sources se trouvaient déjà mêlées aux vies du légendier B.
Légendier français composé à Lyon; B. N. Jr. 818, ff. 276-S07. —
Ce recueil, qui ne comprend pas plus de huit légendes, diffère essen-
tiellement du légendier lyonnais, auquel il fait suite dans le même
manuscrit. L'écriture est d'une autre main, et probablement un
peu plus récente; la langue est purement française, bien que les
traductions dont se compose le recueil aient été faites à Lyon ou dans
les environs. Le style en est lourd et parfois obscur : le traducteur
visait à une exactitude littérale qu'il n'obtenait qu'au détriment de la
II. LEGENDES EN PROSE.
447
clarté. H n'v a rien chez lui qui rappelle l'élégante simplicité des tra-
ducteurs plus anciens, qui se préoccupaient peu de rendre chaque
mot ou même chaque phrase de textes généralement écrits en un
latin précieux et affecté , mais n'avaient pas d'autre ambition que de
mettre à la portée d'auditeurs laïques ou ignorant le latin la sub-
stance des récits hagiographiques. Notre traducteur lyonnais écrit
évidemment pour des lecteurs plutôt que pour un auditoire. Sa ma-
nière est analogue à celle du traducteur de la vie de saint Vast, dont
nous avons parlé plus haut (p. 392]. Celte tendance à la traduction
littérale se manifeste de plus en plus à partir de la fin du xiii* siècle,
époque à laquelle nous attribuons le recueil. Nous en trouverons
d'autres exemples.
Les légendes dont se compose le recueil sont les suivantes :
1" saint Laurent^''; 2" saint Eustache; 3° saint Martin de Tours;
4" saint Clément pape; 5° les Quarante-huit martyrs de Lyon*'^*;
6° saint Irénée'"*'; 7° saint Justf"'; 8° sainte Consorce'^'. Les quatre pre-
mières avaient déjà été traduites; de la seconde, notamment, nous
avions déjà trois versions en prose, mais il n'en est pas de même des
quatre dernières, qui intéressent spécialement l'Eglise de Lyon, (^ette
circonstance, jointe à la présence du légendier dans un manuscrit évi-
demment lyonnais, ne laisse aucun doute sur son origine. Nous rap-
porterons ici, comme échantillon du style de ces versions, le début
de la vie de saint Eustache, que l'on pourra comparer avec l'ancienne
version citée plus haut, p. 383. Il ne sera pas inutile non plus, pour
arriver à la pleine intelligence de ce texte obscur, de recourir à la
partie correspondante de l'original latin, imprimée dans la note 2
de la page 382.
. 1'"' Celte version a été publiée à la suite de
la vie en vers du même saint, par M. Werner
Sôderhjelm, ci-dessus, p. 36 1.
'*' D'après Eusèbe [Hist. eeclesiastica] , tra-
duit par Rufin, 1. V, chap. i-iii (édition de
l'Académie de Berlin, Leipzig, igoS, t. II,
p.4o3, ligne 3,àp. 4i5, ligne 6);ci'.AA. SS..
1 juin.
''' Ce n'est pas , à proprement parler, une vie
de saint Irénée, c'est la traduction littérale
d'une série de passages relatifs à ce saint, tirés
de VHistoria eeclesiastica d'Eusèbe, d'après la
version de Rufin. Voici, à peu près, l'ordre
dans lequel se suivent ces passages : livre V,
début du prologue, début du ch. i, chap. m,
IV, V , VI ; 1. IV , ch. XIV et XV ; 1. V , ch. xv et xx ;
1. III , ch. XXXVI. Il n'est pas à croire que le
traducteur fi-ançais (ou plus probablement,
lyonnais) ait fait lui-même ce choix de mor-
ceaux. Il est probable qu'il l'aura trouvé tout
fait dans une compilation latine que nous ne
connaissons pas.
'*' Traduction de la Vita prolixior, publiée
dans A A. SS., sept., I , ^-jA.
''' A A. SS.. juin, IV, 25o (éd. Palmé, V,
2là).
448 LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANCIS.
(Fol. 280) Ici conmence la vie del bcneûré saint Eustache et la passion, et de sa
modlier, la très beneiiré[e] , ensement. Es tens de l'empereeur qui estoit apeiez Traianus ,
esquels tens la failace del deable valoit durement, estoit uns mestres de chevaliers
qui estoit apeiez Placidas par son nom, nobles de lignage, segont la char, resplen-
dissanz de richeces, devant puianz de tote honeur, mes porpris des coutivemenz de
deables. Icist estoit riches des oevres de justice et de totes les mérites de vertuz.
H aidoit as oppressez; il dcfcndoit en jugement les agravez. Certes, cist relevoit par
ses richeces plusors qui estoient dampné a tort des juges; et vestoit les nuz et dis-
pensoit nécessaires choses a toz les besoigneus et indigenz, en tel guise que il fust
veûz ja en icez tens Cornelies, si corne l'en lit os Actes des apostres. Icist avoit o soi
femme estant ensemble soz la coutiveûre de deables, mes nequedant ele estoit con-
sentenz as mours de son mari . . .
Nous avons vu plus haut (p. 4 00) que des articles traduits de
la Legenda aurea de Jacques de Varazze avaient été, en certains
manuscrits, ajoutés à d'anciens recueils composés de légendes origi-
nales. L'inverse s'est aussi produit. Le manuscrit médicéo-palatin
i4i de la Bibliothèque Laurentienne, écrit à Arras en 1.^99, con-
tient un légendier français en 2o3 articles disposés selon l'ordre de
l'année liturgique, dont 1 5o environ sont traduits de la Legenda aurea,
tandis que les autres ont été pour la plupart empruntés à des lé-
gendiers semblables ou analogues à ceux que nous avons étudiés dans
la présente notice. Quelques-uns de ces morceaux, toutefois , n'ont pas
été jusqu'ici rencontrés ailleurs. Nous signalerons, par exemple, une
vie de saint Vast (art. 4'4) dont nous avons déjà dit un mot (ci-dessus,
p. 392, note 3), et une vie de saint Jean Paulus (art. 200) qui n'est
autre chose que la mise en prose d'un poème indiqué en son lieu,
dans une précédente notice (ci-dessus, p. 354)- Nous ne nous éten-
drons pas davantage sur ce légendier artésien, dont il a été fait une
description très détaillée'''. Nous verrons, dans le chapitre suivant,
qu'il a existé en latin ou en français, en dehors de la Légende
dorée, plusieurs compilations où les saints sont rangés dans l'ordre
de l'année liturgique.
LÉGENDIERS CLASSES SELON l'oRDRE DE l'aNNÉE LITURGIQUE.
Les compilations hagiographiques que nous avons étudiées jusqu'à
présent sont, en général, classées selon un ordre plus ou moins mé-
(!)
Romania, XXXIII, i-^Q.
II. LEGENDES EN PROSE.
449
thodique, que l'on pourrait, en un certain sens, qualifier de hiérar-
chique et qui est observé dans les Litanies : d'abord les légendes
relatives au Sauveur et à la Vierge Marie, puis celles qui se rapportent
aux apôtres, aux martyrs, aux simples confesseurs, et enfin aux
vierges. Cet ordre est souvent troublé par de nombreuses interver-
sions et par fintercalation , faite un peu au hasard, de nouvelles
légendes; il se laisse pourtant reconnaître en beaucoup de nos vieux
recueils. Les deux légendiers dont nous allons parler, et qui ne sont
probablement pas les seuls de leur espèce, ollrent une disposition
toute diflérente, puisque les saints y sont rangés selon l'ordre de
leurs fêtes, à commencer, naturellement, par l'Avent.
L'idée de résumer les vies des saints honorés par fEglise en des
jours déterminés (soit au jour aniversaire de leur mort, soit à celui
de leur translation) et de grouper ces résumés en des livres spé-
ciaux pour être lus aux offices, est fort ancienne. Elle se manifeste
d'abord par les lectionnaires, dont plusieurs remontent à l'époque
carolingienne. Puis, en dehors de l'usage liturgique, on a, dès le
xii" siècle au moins, formé des recueils hagiographiques, plus ou
moins analogues aux (jvva^dpnx grecs, où les légendes sont classées
selon Tordre du calendrier. Ces recueils pouvaient servir à la lecture
journalière, notamment dans les monastères; ils fournissaient aussi
une matière toute prête aux prédicateurs.
Celles de ces compilations qui ont eu le plus de vogue sont les
suivantes :
i" La Samma de divinis ojficus de Jean Belet (xii'' siècle)''', dont
une partie consiste en une série de vies des saints présentées sous
une forme très abrégée;
2° U Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum, ou Summa de vids
sanctorum, compilation faite vers le milieu du xiii*^ siècle, en tous cas
après 1 280, et probablement dans le diocèse d'Auxerre''^';
'■> \oir Hist. lin. de la Fr., XIV, 218.
'*' Lebeuf, Mémoires concernant l'histoire
d'Aaxerre, publiés par Cballe et Quantin, IV,
3g4 , SgS ; Delisle , Le Cabinet historique , XXIII
(1877), 4-7; P. Meyer, Notices et extraits,
XXXVI, 2-4. Aux manuscrits énumérés dans
le dernier de ces mémoires il faut ajouter le
n° 1.7.6 dePeterhouse (Cambridge), décrit par
HIST. LITTÉB. XXXIII.
M. James dans son Descriptioe catalouue of tlie
manascripts in the library of Peterhouse (Cam-
bridge, 1899), P- '9^"i99' ^t le n° 227 de
Balliol (Oxford). — Au chapitre sur l'Assomp-
tion sont rapportés deux miracles de la Vierge
datés de laSo. Dans la vie de saint Amateur,
évêque d'Auxerre, est mentionnée la construc-
tion de la cathédrale de cette ville, en 1209,
57
450
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
3" La Legenda anrea , de Jacques de Varazze;
/[" Le Sanctorale de Bernard Gui, composé entre les années i3i2
et i3i8(".
La Summa de Jean Belet a été traduite en français''^\ mais il ne
paraît pas que la partie réservée aux vies des saints ait été jamais
copiée à part, soit en français, soit en latin. De la Legenda anrea il
existe plusieurs versions totales ou partielles, dont la plus répandue
a été celle de Jean de Vignai, exécutée avant iS^B, date du plus an-
cien manuscrit qu'on en possède'^'. Quant au Sanctorale de Bernard
Gui, il ne paraît pas avoir été mis en français. Au contraire, VAbbre-
viatio ou Summa de vitis sanctorum est la base principale d'un légendier
français dont nous allons nous occuper en premier lieu.
Ce légendier, que nous désignons sous le titre de «Légendier
classé selon l'ordre de l'année liturgique», ou, plus simplement, de
i( Légendier liturgique », se compose de 168 légendes. Comme il a été
l'objet d'une notice détaillée dans les Notices et extraits des manu-
scrits^''\ nous n'aurons guère ici qu'à résumer des faits déjà connus.
On en possède au moins six copies complètes ou fragmentaires'^'.
Déplus, un manuscrit de l'Arsenal (n" 8706) en renferme des extraits
(48 légendes). Tous ces manuscrits sont de la fin du xiii' siècle ou du
xiv% sauf celui de l'Arsenal, qui est du xv^ En outre, trois autres
manuscrits contiennent des parties considérables du même légendier,
jointes à des légendes qui en étaient originairement indépendantes,
Le premier est le manuscrit français 3 5 de la Bibliothèque impériale de
Saint-Pétersbourg (seconde moitié du xiii'" siècle), vaste recueil plus
d'une fois cité dans les pages précédentes'^', et qui, à la suite d'un
certain nombre de légendes disposées à peu près dans l'ordre du
premier des groupes étudiés précédemment, contient de nombreux
par Guillaume "postea Parisiensis episcopus».
Guillaume fut ëvèque de Paris de 12 9.0 à i 3 3 3; il
avait occupé le siège d'Auxerre de 1307 à 1220.
'"' L. Delisle, Notices et extraits des manu-
scrits (TA uxerre, XXVII, a* partie, p. 274-292
(S i3i-i43).
'•' B. N., lal, 995. Voir Bulletin de la Société
des anciens textes français , année i884, p. 83.
''' On a donné la liste de ces versions dans
la Romanittj XXXIIl, 3, 4. L'une d'elles est
contenue dans le manuscrit artésien de la
Bibliothèque Laurentienne , dont nons avons
parlé ci-dessus, p. 448.
« XXXVI, 1-69.
'•' Paris, B. N. fr. 988, 1782 (court frag-
ment); Bibl. Sainte-Geneviève 587; Epinal 70;
Lille 45i ; Musée brit. Add. i523i (fragment).
— Le ms. de Sainte-Geneviève , qui n'a pas été
utilisé dans la notice citée à la note précédente ,
est décrit dans les Notices et extraits, XXXVI ,
717-731.
"> P. 360, 379, 3i3, 397,436.
II. LEGENDES EN PROSE. 451
extraits (en tout 66 articles*'') dulégendier classé selon l'ordre du calen-
drier liturgique. Ces extraits ont été choisis de façon à ne pas faire
double emploi avec le recueil qui les précède dans le même manu-
scrit. Le second manuscrit est le n" 368^ de la Bibliothèque de l'Ar-
senal, qui a été écrit en Lorraine au xv* siècle. Il renferme 1 14 des
légendes du Légendier liturgique, entre lesquelles ont été intercalées
4 I vies de saints dont plusieurs appartiennent au diocèse de Metz '"^'.
Enfin un manuscrit de la bibliothèque de l'Université de Leipzig,
exécuté au xiv^ siècle en Lorraine, et probablement à Metz, contient,
à la suite de morceaux divers, dont plusieurs sont traduits de Jacques
de Varazze, environ 125 légendes tirées du Légendier liturgique'^'.
Cette compilation est apparentée de près au manuscrit de l'Arsenal
que nous venons de citer.
Afin de montrer le rapport qui existe entre YAbbreviatio et le légen-
dier français qui en est dérivé, nous allons donner la liste des lé-
gendes que renferme la compilation latine, y joignant la concordance
avec les légendes correspondantes du recueil français. Ce tableau est
d'autant plus utile que YAbbreviatio est inédite et que même l'indi-
cation des morceaux dont elle se compose n'a jamais été donnée. On
remarquera que dix-huit de ces morceaux n'ont pas été admis dans le
légendier français, et que, d'autre part, ce dernier renferme jusqu'à
dix légendes qui manquent à VAbbreviatio^'^K
Saint André (3o nov.) i Saint Etienne (26 déc.) 10
Saint Éioi (1"' déc.) 2 Saint Jeanrévangéiiste(2 7 déc). i 1
Saint Nicolas (6 déc.) 3 Saints Innocents (28 déc.) 12
Sainte Luce (1 3 déc.) 5 Saint Thomas de Gant. (29 déc). 1 3
Saint Thomas, apôtre (2 1 déc). 7 Saint Siivestre (3 1 déc.) 1 4
Nativité (25 déc.) 8 Sainte Golomhe (3 1 déc.) 1 5
Sainte Anastasie (28 déc) 9 Girconcision (i^janv.) //
Sainte Eugénie (26 déc.) // Sainte Geneviève (3 janv.). ... 16
<■' Plusieurs de ces articles sont en déficit, '*' Y ok Romaiiia, XXVIII, 266267.
le manuscrit ayant subi de nombreuses muti- ''' N° i55i. Nous devons une description
lations, mais on peut se rendre compte de son détaillée de ce manuscrit à l'obligeance de
état primitif grâce à une table dressée au M. Sucliier, professeur à lUniversité de Halle,
xiv' siècle , qui est reliée au commencement '*' La liste qui suit a été dressée à l'aide des
du volume. Voir Notices et extraits, XXXVl, mss. ly.^i de la Bibliothèque Mazarine et 56.^^9
692-700. (lu fonds latin de la Bibliothèque nationale.
57.
452
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Epiphanie ( 6 janv.) //
Saint Julien et sainte Basilisse
(9Jan^)'" •?
Saint Rémi (i 3 janv.) i 44
SaintHilairedePoitiers(i 3janv.) 1 8
Saint Félix de Noie (i 4 janv.). . 1 9
Saint Marcel , pape ( 1 6 janv. ) . . //
Saint Antoine , abbé ( i 7 janv.) . 2 o
Saint Marius ( 1 9 janv.) n
Saint Fabien (20 janv.) 21
Saint Sébastien (20 janv.) 22
Sainte Agnès (2 1 janv.) 2 3
Saint Vincent (22 janv.) 2 4
Saint Timothée (22 janv.). ... //
Conversion de aint Paul (28
janv.) 2 5
Saint Prix le martyr (2 5 janv.) . 26
Sainte Savine (99 janv.) 27
Saint Savinien (29 janv.) 28
Saint Ignace (1" févr.) 29
Purification (2 févr.) 3o
Saint Biaise ( 3 févr.) 3 1
Sainte Agathe (5 févr.) 32
Saint Vast( 6 févr.) 33
Saint Amand (6 févr.) 34
Saint Valentin (1 4 fév.) 35
Sainte Julienne ( 1 6 févr.) 36
Chaire de saint Pierre ( 2 2 fév.). 37
Saint Mathias (24 févr.) 38
Saint Satyr et saint Saturnin
(7 mars) , 39
Saint Vigile, évêque d'Auxerre
( 1 I mars) 4o
Saint Grégoire, pape (1 2 mars). 4 1
Saint Longin (i5 mars) 4a
Saint Benoit (2 1 mars) 43
Annonciation (25 mars) 45
Saint Ambroise ( 4 avr.) 46
Saint Mamertin (20 avr.) 47
Saint Marien (20 avr.) 48
Saint Georges (23 avr.) 5o
Saint Marc (25 avr.) Si
Litanies //
Saint Vital (28 avr.) . 82
Saint Philippe, apôtre (i" mai). 53
Saint Jacques le Mineur (i" mai) 54
Saint Amateur, évêque d'Auxerre
(i" mai) //
Saint Athanase ( 2 mai) //
Invention de la Croix (3 mai). . 55
Saint Alexandre , pape (3 mai). 57
Saint Quiriaque (4 mai) 58
Saint Jean Porte-Latine (6 mai). //
Saint Gordien (10 mai) 69
Saint Pancrace (12 mai) 60
Saint Nérée et saint Achillée
(1 2 mai) 61
Toussaint (1 2 mai) '^' //
Saint Pérégrin (16 mai) 62
Saint Urbain (25 mai) 63
Saint Prisque (26 mai). ... 64
Sainte Pétronille (3i mai). ... 65
Saint Pierre et saint Marcel
(3 juin) 66
Saint Prime et saint Félicien
(9 juin) .•; ^7
Saint Barnabe (1 1 juin) 68
Saint Vit (1 5 juin) 69
Saint Cyrice et sainte Julite
(16 juin) 70
Saint Gervais et saint Protais
(«9JU'") ;•. 7'
Saint Alban (22 juin) 72
Saint Jean Baptiste ( 2 4 juin ) . . 73
Saint Gallican (26 juin) 74
Saint Jean et saint Paul (2 6 juin). 75
Saint Pierre et saint Paul
(29 juin) •/. 76
Saint Paul (29 juin) 77
Saint Martial (3o juin) 78
Saint Procès et saint Martinien
(ajuill.) 80
'"' Fait défaut dans le ms. lat. .SGSg.
'•** C'est la première date de cette fête,
transportée au i" novembre par le pape saint
Grégoire le Grand.
II. LEGENDES EN PROSE.
/i53
Translation de saint Martin
(/ijuill.) 83
Sainte Félicité (lo juili.) 84
Saint Victor'') (21 juili.) 86
Sainte Marguerite (20 juili.). . , 87
Sainte Praxède (2 1 juili.) //
Sainte Marie-Madeleine (2 2 juili.) 88
Sainte Marthe ''•^> ( 2 9 juili.). ... 89
Saint Apollinaire (a 3 juiU.) .... 90
Saint JacquesleMajeur(25juill.) 91
Saint Christophe (2 5 juili.). . . . 92
Les Sept donnants (27 juili.), . gS
Saint Pantaléon (27 juili.). ... 9/1
Saint Nazaire (28 juili.) 96
Saint Félix (29 juili.) 96
Saint Simjdice et saint Faustin
(agJyiU.) 97
Saint Loup, év. de Troyes
(29 juili-) 98
Saint Abdon et saint Sennen
(3o juili.) 99
Saint Germain l'Auxerrois
(3i juili.) ICO
Saint Pierre es liens ( 1" août) . 101
Les Machabées (1" août) J02
Saint Eusèbe , évêque de Verceil
{i" août). io3
Saint Etienne, pape (2 août). . io4
Translation de saint Etienne
(3 août) .*. 1 o5
Saint Cassien d'Alexandrie '"
(5 août) 106
Saint Dominique (4 août) .... 107
Saint Sixte, pape (6 août) , . . . 1 08
Saint Donat (7 août) 109
Saint Cyriaque (8 août) 110
Saint Laurent ( 1 o août) 111
'*' Saint Victor de Marseille..
'*' Cette vie manque dans le ms. lat. SGSg.
Da reste elle n'est pas à sa place. On a évi-
demment voulu la rapprocher de la légende
de Marie-Madeleine.
''' Cette vie et la suivante manquent dans
le ms. lat. 6639.
Saint Hippolyte ( 1 3 août)
Saint Eusèbe . prêtre '^' ( 1 4 août).
Assomption® ( 1 5 août)
Saint Agapet (18 août)
Saint Bernard de Clainaux
(20 août)
Saint Timothée (22 août)
Saint Symphorien (22 août)..
Saint Timothée et saint Apolli-
naire (23 août)
Saint Barthélenii (24 août). . .
Saint Augustin (28 août)
Saint Julien de Vienne (28 août).
Saint Julien l'hospitalier ^^K . . .
Décollation de saint Jean
Baptiste (29 août)
Saint Félix de Rome (3o août).
Saint Loup d'Orléans ( 1" sept.).
Saint Gilles (1" sept.)
Nativité de Notre-Dame ( 8 sept.).
Saint Adrien (8 sept.)
Saint Gourgon et saint Dorothée
(gs^Tt-)-. : /
Exaltation de la Sainte Croix
(i4 sept.)
Saint Corneille, pape ( 1 4 sept.)
Saint Cyprien (i4 sept.)
Sainte Euphémie ( 1 6 sept. ) . . .
Sainte Lucie et saint Géminien
(16 sept.)
Saint Lambert ( 1 7 sept.)
Saint Mathieu (2 1 sept.)
Saint Maurice ( 2 2 sept.)
Sainte Thècle de Séleucie (23
sept. )
Saint Andoche (24 sept.)
Saint Firmin ( 2 5 sept. ) //
'*' Cette légende , qui n'a que trois lignes ,
manque dans le même manuscrit.
''' Suivent divers miracles, sur lesquels
voir la notice du Légendier en ordre liturgique
(Notices et extraits, XXXVI, 48).
''* Devrait être au ag janvier; voir le mé-
moire précité, à l'art. 123.
1 2
l3
i4
i5
16
'7
18
•9
20
2 1
22
23
24
2 5
26
27
28
29
3o
3i
32
33
34
35
36
37
38
39
454
LEGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Sainte Justine et saint Cyprien
( 2 6 sept. ) 1 4o
Saint Cùme et saint Damien
( 2 y sept.) I 4 1
Saint Michel (29 sept.) 1^2
Saint Jérôme (3o sept.) 1 43
Saint Léger (2 oct.) 1 45
Sainte Foi (6 oct.) 1 46
Sainte Pélagie d'Antioche( 8 oct.) 1 k"]
Sainte Marguerite dite Pelage'"
(8 oct.) i48
Saint Serge et saint Bacchus
(7 oct.) 1 49
Saint Denis (9 oct.) 1 5 1
Saint Calixte ( 1 4 oct.) 1 52
Saint Léonard de Noblat et saint
Léonard de Corbigni ( 1 5 oct.) . . . i 53
Saint Luc ( 1 8 oct.) 1 54
Saint Just ( 1 8 oct.) 1 55
Les Onze mille vierges ( 2 1 oct. ). 1 56
Saint Crépin et saint Crépinien
(25 oct.) \h-j
Saint Simon et saint Jude
(a5 oct.) i58
Saint Quentin (3 i oct.) 1 59
Saint Eustache (ao sept.)'"^'. . . 160
Les Quatre couronnés (8 nov.). «
Saint Théodore (9 nov.) «
Saint Martin , pape ( 1 2 nov.). . n
Saint Mennas ( 1 1 nov.) n
Saint Martin de Tours ( 1 1 nov.). i 6 1
Saint Brice ( 1 3 nov.) 162
Sainte Cécile (22 nov.) i63
Saint Clément, pape (23 nov.). i64
Saint Chrysogone (24 nov.). . . i 65
Sainte Catherine (2 5 nOv.). ... 1 66
Saint Saturnin, martyr à Tou-
louse (29 nov.) 1 67
Saint Saturnin, martyr à Rome
(29 nov.) 168
Les dix légendes que le légendier français n'a pas empruntées à
VAbbreviado sont celles des saints Fuscien et Victorique (4), de saint
Nicaisc (6), de sainte Marie l'Egyptienne (44), des saints Tiburce et
Valérien (49), de sainte Restorée, sancta Restituta (56), de saint Thi-
baut (79), de saint Erasme (81), de saint Alexis(85), de saint Fran-
çois d'Assise (i5o), et enfin (82) une homélie sur la résurrection du
fils de la veuve (Luc, vu, 1 1-1 5 ^^^). Il e^ peu vraisemblable que le
traducteur ait eu un texte de YAbbreviatio différent de celui qui nous
est parvenu en plusieurs copies. On est plutôt porté à croire qu'il
s'est octroyé la liberté d'omettre certaines légendes et d'en ajouter
d'autres. Cette supposition est d'autant plus vraisemblable qu'il paraît
avoir traité très librement son original. Dans les morceaux qu'il a
traduits, il ne s'est pas astreint à suivre littéralement le texte. C'est
ainsi qu'il a supprimé, comme étant peu appropriées au but qu'il se
<"' Celte légende est jointe à la précédente ,
comme dit le compilateur, « propter morum et
• nominuni siniilitudinem ». Mais la similitnde
du nom n'est pas complète. 11 s'agit d'une
vierge appelée Marguerite qui, déguisée en
homme et sous le nom de Pelagiiis, se rend
dans un monastère. Cette légende a été ré-
sumée par Jacques de Varazze, éd. Grasse,
chap. CLi.
'^ Anciennement au 1 novembre.
''' C'est l'évangile du quinzième dimanche
après la Pentecôte.
If. LEGENDES EN PROSE.
455
proposait, toutes les discussions historiques auxquelles s'est livré, en
certains cas, l'auteur de V Abbreviado , et où celui-ci faitpreuve d'un sens
critique bien rare chez les auteurs de compilations hagiographiques '"'.
La composition de notre légendier français soulève une autre
question à laquelle il n'a pas été possible, jusqu'ici, de donner une
réponse satisfaisante. Entre les 168 articles dont il se compose, il en
est 3o au moins qui se rencontrent, mêlés à des légendes dont la
source n'est pasY Abbreviatio , dans certains des légendiers précédem-
ment examinés, notamment dans le manuscrit 772 de Lyon, dans
celui de Dublin, dans les manuscrits des groupes Dct£'*'^', etc. Faut-il
croire que ces 3o articles ont été empruntés à notre légendier par les
compilateurs de ces divers recueils, ou, inversement, que l'auteur de
notre légendier les a pris à des recueils antérieurs.'* La première hypo-
thèse paraît vraisemblable en certains cas : nous l'avons dit en trai-
tant du manuscrit 772 de Lyon et du manuscrit de Dublin; mais eu
d'autres cas elle n'est guère admissible ^^K Une particularité à noter,
et dont l'explication nous échappe, est que, parmi ces trente ar-
ticles, dix-sept sont compris dans les vingt-huit premiers numéros du
Légendier classé selon l'ordre liturgique, c'est-à-dire dans les deux
premiers mois; les treize autres sont répartis entre les mois de février
à juillet C).
Légendier de Chartres. [Bïbl. de Chartres, n" 333, fol. 73-110.) —
''' Voir la notice du Légendier français classé
selon l'ordre de l'année liturgique, notes des
art. 58, 70, et aussi les art. 1 14 et ia8.
^^ Les articles saint Eloi ( 2 ) , saint Nico-
las (3), saint Fuscien et saint Victorique {à),
saint Nicaise (6) , Nativité (8), sainte Ana-
stasie(9), saint Etienne (10), Innocents (12),
saint Thomas de Cantorbéry (i3), sainte Co-
lombe (i5), saint Julien et sainte Basilisse
(17), saint Hilaire de Poitiers (18), saint Fé-
lix (19), saint Antoine (20), saint Vincent
(a4), Conversion de saint Paul (26), saint Savi-
nien (28), saint Biaise (3i), Chaire de saint
Pierre {37), saint Mathias (38), saint Gré-
goire (4i), sainte Marie l'Egyptienne (44),
Annonciation (45), Invention de la Croix
(55), saint Barnabe (68), saint Jean Baptiste
(73), saint Thibaut (79), sainte Marie-Made-
leine (88), sainte Marthe ( 89), saint Rémi
(i44, an 1" octobre, date de la translation,
mais l'Abbreviatio et certains mss. français pla-
cent cette légende au 1 3 janvier, ce tpii sem-
ble plus correct; voir Notices et extraits,
XXXVl, 20, note 2).
'■^' Par exemple , le morceau sur la Nativité
du Christ (8), dont pourtant le texte latin
existe dans VAbbreviatio (voir Notices et extraits,
XXXVl, 17), se rencontre dans tant de manu-
scrits, dont plusieurs ne sont pas proprement
des légendiers, qu'on ne peut sans invraisem-
blance le considérer comme emprunté au Lé-
gendier liturgique. L'inverse est beaucoup plus
probable , d'autant plus que ce morceau a tout
à fait l'allure d'un sermon, étant entrecoupé
d'adresses du prédicateur à ses auditeurs , ce
c[ui n'est pas du tout dans le caractère des
autres morceaux dont se compose le légendier.
C Voir Notices et extraits, XXXVI, 6.
456 LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Le recueil dont nous allons traiter présentement est beaucoup
moins étendu que le précédent. Il a été certainement composé dans
le diocèse de Chartres. Il ne paraît pas avoir été fort répandu, car
on n'en connaît qu'un seul manuscrit, conservé et très probablement
exécuté à Chartres. Il renferme 45 légendes, assez brièvement contées,
dont voici l'énumération*'' :
1 , Saint André; 2, saint Nicolas; 3, Conception N.-D. ; II, sainte Luce; 5, saint
Thomas, apôtre ; 6 , saint Etienne ; 7 , saint Jean l'év. ; 8 , les Innocents ; 9 , saint Thomas
de Cantorbéry; 10, saint Silvestie; 11, saint Hilaire; 12, saint Lomer; 13, saint
Fabien; 1^, saint Vincent; 15, saint Julien; 16, saint Biaise; 17, saint Grégoire;
18, saint Lubin; 19, saint Benoit; 20, l'Annonciation; 21, saint Georges ; 22, saint
Marc; 23, les Rogations (grande litanie); 24, les autres Rogations (petite litanie);
25, l'invention de la Croix; 26, saint Chéron; 27, saint Barnabe; 28, la Nativité
de saint Jean Baptiste; 29, saint Pierre et saint Paul; 30, saint Martin; 31, saint
Arnoul; 32 , sainte Marie-Madeleine; 33, saint Christophe; 34, sainte Anne; 35, saint
Germain l' Auxerrois ; 36 , saint Pierre es liens ; 37 , saint Etienne , pape ; 38 , saint Syni-
phorien; 39, la Nativité N.-D. ; 40, saint Mathieu; 4l , saint Michel; 42, saint Simon
et saint Jude; 43, la Toussaint; 44, sainte Cécile; 45, saint Clément.
Suivent un sermon surles dîmes, un « communis sermo de uno apo-
«stolo», d'autres sermons «de pluribus confessoribus » , «de uno
« confessore » , sur la dédicace des églises et sur la Purification de
Notre-Dame.
La présence de saints spéciaux au diocèse de Chartres (saint Lomer,
saint Lubin, saint Chéron), et qui ailleurs étaient peu connus, indique
clairement l'origine du recueil. Les légendes proprement chartraines
ont été publiées par M. Lecocq dans les Mémoires de la Société archéo-
logicfue d'Eure-et-Loir, t. IV (1867), P- ^9^ ^^ suiv., avec le sermon
sur les dîmes. Celle de saint Christophe et le commencement de celle
de saint André ont été insérés dans une notice du manuscrit de Char-
tres [Romania, XXllI, 180). Ces extraits suffisent à donner une
idée de ce recueil, qui paraît avoir été destiné à fournir la matière de
sermons.
Nous ne croyons pas avoir épuisé, dans cette longue notice, toute
la série des versions en prose française des légendes hagiographiques.
<'* La liste donnée dans le Catalogue général des manascrits des bibliothèques de France, XI,
160, est incomplète.
II. LÉGENDES EN PROSE. ^57
Nous nous sommes surtout attachés à l'élude des recueils où les lé-
gendes sont plus ou moins systématiquement groupées, des légen-
diers proprement dits. Mais on a fait, vers la fin du xiii* siècle et au
commencement du xiv*, des traductions françaises de certaines vies
de saints, qui n'ont pas pris place dans les légendiers. Nous nous
proposons de leur consacrer plus tard de brèves notices.
Commue nous l'avons fait précédemment pour les versions des Vies
des Pèr s, nous donnerons, en terminant, la liste, par bibliothèques,
des ni t ip crits utilisés dans la présente notice.
Âlençon 27. 43 1
Arras 807 4^9
— 657' Ma
Braxelles gaaS 383 (note 1),
4ii (note 3), 4^5
— ioa95-io3o4 438
— 10326 ( B) 4oo
Cambridge , S. John's Coll. 9 434
Chantilly, Mtuëe Condé {E) . . 382 (note 1) ,
421
Chartres 333 455
Cheltenham, Bibl. Phillipps 366o [E).
382 (note 1], 421
Copenhague, fonds de Tholt 217 443
Dublin, Trin. Coll. B. 2. 8 44o
Epinal 70 45o (note 5)
Florence, Laur. , Med.-Pal. i4i 448
Leipzig i55i 45 1
Lille 45 1 45o (note 5)
Londres, Mus. br.. Royal 20 D vi (C).
4o3(note 1), 4i 1
— — Harl. 2 2 53 393
— — Harl. 4409 385 (note 3)
— — Add. 6524(B') 4o6
— — Add. i523i.. 45o (note 5)
— — Add. i56o6.. 385(nole3)
— — Add. 17275 (G). 382 (note 1),
425-9
— — Eg. 2710 393
Lyon 770 396, 398-9
— 77a 38a (note 1), 44»
.Modène , Bibl. d'Esté , fonds étr. 1 16. . 396 ,
398-9.
Oxford, Queen'sColl. 3o5.. 38a (note i), 435
Paris, Arsenal 35 16 388-9, 393-4
— — 3684 45i
— — 3706 45o
— Bibl. Mazarine 1716 (£') 422
— — 1731 45i
— Bibl.naf., fr. i83. . 38a (note i), 42 5
— — — i85.. 382 (note i),4a5
— — — 187. 391 (note 2), 393,
4 1 5 ( note 2 )
— — — 409. 393, 4i5 (note a)
_ _ _ 4i, (6") 4i4-6
— — — 4i2(C) 4ii-4
— — — 4i3(F) '91,424
— — — 422. 389,39o(nole 1).
443
— — — 423 445
_ _ — 686 399
— — — 696 385 (note 3),
386
— — — 818 443,446
— — — 834 39 1
— — — 907- 393, 4i 5 (note 2)
— — — 957 39 1
— — — 987 435
— — — 988 .... 39 1 ( note 2 ) y
45o (note 5)
— — — io38 39a
— — — io4o. . . . 385 (note 3)
''* .N° 189 du Catalogue imprimé ( Catalogue général des manuscrils, in-4°, t. IV).
HIST. I.ITTBR. XXXlII. 58
458
LÉGENDES HAGIOGRAPHIQUES EN FRANÇAIS.
Pari», Bibl. nat., fr.
i5M
i546
i553
i85o
2464
6447 (O')
13496.. . .
i35o2 . .
. . 393
... 388
, . . 387
, . . 393
. 38i-3
4i6, 4ao
... 437
385 (note 3)
iSaio 391
17329(0). 391,416-20
19625.. . 393, 394-5
19531 389, 392 ,
443
22495. . 4i5 (note 2)
19530. . 385 (note 3)
a3i 12 432
23117 i^'")-- 391,424
Paris , Bibl. nat. , fr. 24^09.. 4i5(nole2)
— — — 25532 443
— — N. acq. fr. 10128 (B). 4oo
— — lat. 5639. .. 45i(note4)
— Bibl. Sainte-Geneviève 587. . 439,
45o (note 5)
— — 588(C'), 382 (note 1).
4o8-ii
Reims, 291,
395
Saint-Pétersbourg, Bibl. imp., fr. 35.. 396-7,
436, 45o
Tours 1008 396, 398 9
— ioi5 435
Troyes, 1966 385 (note 3)
Turin L.1.5 4i5 (note 2)
P. M.
JACQUES DE LAUSANNE
FRÈRE PRÊCHEUR.
Antoine de Sienne fait deux personnages d'un seul'". 11 appelle l'un
des deux Jacobus de Osanna, et le place en l'année i3i4; l'autre Ja-
cobns de Lausania : quant à ce Jacobus de Laiisania, il vécut, dit-il,
suivant quelques-uns, en 1263, suivant d'autres en iSyô. Mais il
tient ces deux dates pour également fausses, car il a lu dans de vieux
papiers , à Barcelone, que ce Jacobus de Lausania vivait en 1817. Donc
ces deux homonymes auraient été contemporains, d'abord l'un
et l'autre frères Prêcheurs et plus tard, dans le même temps, l'un et
l'autre évêques de Lausanne. Du Cange ne paraît pas admettre la
distinction de ces deux Jacques '^', et Fabricius l'a sans hésitation
rejetée'^'. Elle n'avait pas d'autre fondement, même pour Antoine de
Sienne, qu'une erreur commise, au xvi* siècle, par un écrivain espa-
gnol, le dominicain Jean de la Cruz.
Jacques de Lausanne, ainsi nommé du lieu de sa naissance, entra,
dès sa première jeunesse, au couvent que 1rs religieux de Saint-
Dominique possédaient en cette ville depuis environ i2 3o'''l 11 fut
ensuite envoyé, ayant été jugé capable de pousser plus loin ses
études, dans la florissante maison de Saint- Jacques, à Paris. Mais vers
quelle année ? C'est là ce qu'on ignore. Nous le trouvons pour la
première fois à Paris en l'année i3o3.
Un témoignage peut être allégué comme prouvant qu'il quitta Lau-
sanne quelques temps auparavant. Un de ses sermons prêché dans la
ville de Reims in synodo, ou, comme nous lisons ailleurs, in consis-
torio in capitulo''^\ a pour date, dans un manuscrit de Vienne'^', l'année
1 3oo. Mais une note tirée d'un autre manuscrit, que possédait l'abbé
Decamps, abbé de Signi, et transcrite sur une des marges du ms. latin
18181, fol. 32 1, de la Bibliothèque nationale, rapporte ce chapitre
provincial et ce sermon à l'année 1807.
'■' Bibliolheca fr. Preed. , ip. 122,129. '*' Q^étii et Echard, Sci-ipl. ord. Prœd., t.],
<*' Glossar. med. et inf. latin., t. VII, p. 397. p. 547-
''' Bibliotheca med. et inf. alalif , t. iV, ''' Bibl. nat., ms. Jat. 14799, loi. 222'.
p. i3, i.S. ''' Tabula cod. nus. Vind., n° 63 1.
58.
460 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
Voici maintenant des documents dignes d'une entière confiance.
Le 26 juin i3o3, Jacques de Lausanne assiste, à Paris, au chapitre
de son ordre extraordinairement assemblé pour délibérer sur la con-
vocation, demandée par le roi, d'un concile général. Il est encore
simple frère''^ C'est au'mois de mai i3i 1 qu'il est appelé, pour la
première fois, à commencer ses exercices de bachelier. À cette date,
un chapitre général, tenu dans la ville de Naples, l'autorise à lire
l'Ecriture Sainte au couvent de Saint-Jacques'"'^'. Il figure encore avec
le titre de bacchalarius Bibliœ, dans une pièce du mois de juillet 1 3 1 4 ,
parmi les théologiens chargés d'examiner un livre suspect de Durand
de Saiut-Pourçain'^'. Cependant, au mois de juin i3i3, il avait été
désigné pour commenter les Sentences fannée suivante'*', el une
décision capitulaire du mois de mai 1 3 1 4 avait confirmé cette désigna-
tion'^'. Les leçons des sententiaires ne commençant que le 10 oc-
tobre, Jacques de Lausanne dut prendre possession de sa nouvelle
chaire au mois d'octobre 1 3 1 4i et Bernard Gui nous atteste qu'il l'oc-
cupait en 1 3i6'^', sans doute avec le titre de bachelier « formé ». Ses
leçons eurent, comme il paraît, un grand succès : car, en fannée 1 3 1 7,
le roi Philippe pria le pape de lui faire octroyer au plus tôt la
licence, et, le 3 juillet de cette année, le pape écrivit au chancelier
Thomas de Bailli , f invitant à faire ce que le roi désirait, sans retarder
f)0ur cela la collation du même grade aux candidats présentés par
es supérieurs de f ordre'^'. Cela veut dire que le pape demandait pour
lui ce qu'on appelle un tour de faveur. Il lui fut accordé : Jacques
de Lausanne fut pourvu de licence avant la Saint-Martin de l'année
i3i7'«'.
Une des obligations des bacheliers était de prêcher quelquefois,
devant faire leurs preuves en ce genre d'exercice. Jacques de Lau-
sanne prêchait certainement dans les églises de Paris dès Tannée 1 3 1 5.
C'est lui-même qui nous fapprend. Nous lisons, en effet, dans un de
ses sermons : Beatas Dominicas , institutor et rector noster, vocal nos
fratres ordinis sui ad. . . slatuni contemplationis. Ordo reniiit et excusât
'"' Charlul. Univ. Paris., t. Il, p. 102. '*' Chartul. Unir. Paris., t. Il, p. 172.
1') Ibid., p. i48. <•' QuélifetÉchard, loc. cit.
''' Les Commentarii in IV libros Sententiarum ''' Chartul. Univ. Paris., t. II, p. ao6.
(ms. a3i du Mans, fol. i46 v°; Catal. (fén. des <*' Denifle, Quellen zur Gekhrtengeschichte
mss. ,in-8'', t. XX, p. 166). des Predigerorden , dans Archiv far Ltteratur-
'** Cliarlul. Univ. Paris., t. II, p. 16.7. und kirchrngeschiclUe , i. Il, p. 216.
JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR. 461
ouod est senex, nec solum octogenarius , sed etiam nonagenarius et plus,
hodie est annus nonagenarius octavus; sed certe ista excusatio mala^^\
L'ordre de Saint-Dominique ayant été fondé par Honorius III au
mois de décembre do l'année 1216, le sermon que nous venons de
citer est donc de l'année 1 3 1 5.
Une fois en possession du grade de licence, Jacques de Lausanne fut
bientôt appelé aux plus hautes fonctions de son ordre. Quand, en
l'année i3i8, Hervé Nédellec, prieur delà province de France, fut
nommé général, c'est à Jacques de Lausanne que fut attribuée l'ad-
ministration de cette province. En l'année i3qi, venant de présider
le chapitre provincial dans la ville de Bourges, il entreprit de visiter
])lusieurs maisons de son ordre; mais, parvenu jusqu'au couvent de
Pons, au diocèse de Maillezais, 11 y fut retenu par une maladie qui
l'emporta. On ne sait pas la date précise de sa mort; il est, du moins,
constant qu'en l'année i32 2 (nouveau style), vers la fin de janvier,
Hugues de Vaucemain élait élu pour le remplacer comme prieur
provincial.
Echard fait ici remarquer que Jean de Torquemada s'est gravement
trompé quand il a fait mourir notre docteur sur le siège épiscopal
de Lausanne. L'erreur commise par Torquemada s'explique d'autant
moins que l'église de Lausanne n'eut alors aucun évéque du nom de
Jacques.
Jacques de Lausanne a laissé, comme nous l'avons dit, de nom-
breux écrits, dont quelques-uns, fréquemment copiés au xiv* siècle
et au xv% ont encore paru mériter, au xvi% les honneurs de l'im-
pression. Mais le succès de ce fécond écrivain n'a pas duré plus
longtemps, même dans son ordre; Echard ne l'a guère plus épargné
que Casimir Oudin. Ce qu'ils lui reprochent surtout l'un et l'autre,
c'est d'avoir toujours manqué de gravité. Il en manquait peut-
être naturellement. Quoi qu'il en soit, il s'est fait un système
d'être constamment jovial, même en discourant sur les choses
qui prêtaient le moins à rire, et, comme il n'avait pas de goût, il a
trouvé partout quelque prétexte pour oser les badinages les plus vul-
gaires. Ajoutons qu'il s'exprime dans le plus mauvais latin, ne s'in-
quiétant d'observer aucune règle de la grammaire, ne faisant consister
<■' Bibl. nal., ms. lat. 18181, fol. 124'.
'i62 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
l'art d'écrire qu'à jouer sur les mots, et se donnant toute liberté d'en
fabriquer, pour être burlesque. Jacques de Lausanne est donc un
écrivain très peu recommandable, malgré l'enjouement et la vivacité
de son esprit. Faisons pourtant remarquer qu'on ne perdra pas toute
sa peine en lisant les livres de cet auteur, car on trouvera, dans le
fatras de ses pointes et de ses autres facéties, un assez grand nombre
d'allusions historiques, d'anecdotes et de traits de mœurs. Nous allons
nous efiforcer de dresser le catalogue exact de ses écrits.
I. SvpER Sententias lectura Thomasina.
Tel est le titre qu'Échard donne à cet ouvrage qui commence,
dit-il, par ces mots : Utrum theologia sit scientia? Argiiitur (jnod non,
(fuia scienda est de universalibns. Échard a lu, dit-il, ce début dans un
manuscrit du couvent de Saint-Jacques que nous n'avons pas retrouvé.
Mais il n'est guère possible de douter de l'exactitude de cette indica-
tion, qu'un autre témoignage confirme.
Le manuscrit latin n" 1 5^2 de la Bibliothèque impériale de Vienne
contient, sous le nom de Jacques de Lausanne, des Qaœstiones super
Sententias, appelées aussi Lectura Thomasina snper Sententias, qui com-
mencent par ces mots : Circa principium primi îibri quœritar primo utrum
sancta theologia sit scientia. Arguitur primo cjuod non. Suit un commen-
taire du premier et du second livre des Sentences. Quant au com-
mentaire des livres III et IV, il a dû être également rédigé par Jacques
de Lausanne, mais n'est représenté dans ce manuscrit de Vienne
que par des titres de chapitres *'l
En outre, dans le manuscrjt latin n° 4^93 de la même biblio-
thèque se trouve, également sous le nom de Jacques de Lausanne,
un Compendium Sententiarnm Lombardi, qui commence par : Capientes
aliquid. . . In libro primo suo Magisler prœmittit . . . Notre auteur a-t-il
abrégé les Sentences après les avoir commentées? Nous reproduisons
ce renseignement tel qu'il nous est fourni par le Catalogue.
II. Postula morales super Pentateuchum.
Les gloses morales sur les livres divers qui composent le Penta-
<•' a. Cliartal. Unit. Paris., t. II, p. 167.
JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR. 463
teuque n'étant pas toujours réunies, cela nous oblige à parler séparé-
ment de chacune d'elles,
La glose sur la Genèse nous est ofTerte par les inss. latins 14798
et 1^799 de la Bibliothèque nationale, où elle commence par: Fn
pnncipio creavit . . . In verbis propositis, scihcet « In pnncipio creavit Deus
« caium », tangimus (juaUior, ratione (juatuor causarum L'exemplaire que
contient le ms. latin 6o5 de la même bibliothèque n'est pas une copie
complète; ce sont des extraits, comme d'ailleurs le titre nous en
avertit : Extractio moralis postille Jacobi de Lozanna super Genesim; et
ces extraits commencent par : Terra erat inanis . . . Ovum venti dicitur
inane et vacuam, quia non habet virtutem ut inde proveniat puUas.
Voici la méthode du glossateur. 11 ne cite pas tous les mots du
texte, mais il n'omet aucun de ceux qu'il peut interpréter mo-
ralement, et son interprétation morale est souvent une satire très
acerbe. Ce sont les évêques qu'il traite le plus mal, mais sans épargner
les curés, les usuriers, les avocats, les nobles et les femmes. Son in-
struction en matière d'exégèse est à peu près nulle; ce qu'il sait le
mieux, c'est l'histoire naturelle, comme il a pu l'apprendre dans les
bestiaires et dans les Étvniologies d'Isidore de Séville. Elle lui sert à
comparer les mœurs des hommes à celles des animaux; ce qu'il fait
constamment, quelquefois avec esprit. En somme, qu'on n'aille cher-
cher dans cette glose aucune explication du texte; on n'y trouvera
que des moralités plus ou moins ingénieuses.
Les évêques vsont, disons-nous, particulièrement censurés. H les
compare à Lamech qui, suivant la tradition''', était grand chasseur
quoique aveugle, et qui, chassant sous la conduite d'un enfant, tua
Caïn lorsqu'il pensait tuer une bête. Ainsi les évêques, atteints de la
même cécité, frappent, au lieu des pervers, les plus honnêtes gens'^*.
Faut-il s'en étonner? Ce sont, pour la plupart, des parvenus sans
titres; ce qui les a faits ce qu'ils sont, c'est la simonie, c'est le népotisme.
L'Église défend aux évêques d'avoir des femmes, des enfants; ils n'en
ont pas de jure; mais, de facto, c'est tout autre chose. Voilà un bien
grand mal'^'. Quant à la simonie, c'est un vice qu'on ne prend plus
même la peine de dissimuler : Nota de episcopo qui dixit alleri episcopo,
'"' ÇÂ.Historiascolastica,Genesis,<:\\.\\\\ui ''* Ms. 6o5, fol. 8 v°.
(Migne, t. CXCVm, 1079). '*' Ibid.M. ^ v°. Ms. 14798, fol. 4o5V.
464 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
et ille dixii jratri Jacobo de Losanna : « Scio (fuod maie inlravi; » sed pro
lerecundia non audebat dimittere^^K
Si les évêques sont tellement blâmables, les chanoines qui com-
posent leurs chapitres ne valent pas mieux qu'eux. Les méchants y
sont étroitement associés contre les bons. Quelqu'un s'avise-t-il de
censurer un coupable.'* La masse indignée le défend et charge
l'honnête homme de ses imprécations. Nous citons au hasard;
presque à chaque page on rencontre des traits pareils. Les religieux
étaient alors en guerre avec les évoques qui contestaient leurs privi-
lèges, et, des deux parts, on s'accusait avec la même aigreur.
La glose sur l'Exode est, plus ou moins complète, dans le n" 60 5
de la Bibliothèque nationale, où elle commence par : Hœc sunt no-
mina. . . Moraliter exponitur sic. Le ton de cette glose est celui de la
précédente. Quelques prélats prétendent réformer les mœurs de leurs
clercs. Ils ressemblent, dit le glossateur, à certain vieux crabe qui
voulait instruire un jeune à marcher droil; mais le jeune répondait
au vieux : « Maître, je marche comme vous'^l » Nous traduisons le
passage suivant sur les dévotes d'autrefois : « Le pauvre, n'ayant pas
« d'horloge, se lève au chant du coq et commence à travailler; il dii-
« fère en cela de la poule, qui, souvent placée près du coq , ne se lève
«pas à sa voix, mais commence à bien glousser. Le coq est le pré-
« dicateur, les poules sont les béguines. De même que les poules ne se
«lèvent pas à la voix du coq, mais gloussent, ainsi les béguines ne
«se disposent pas, entendant la voix du prédicateur, à faire quelque
« bonne œuvre; mais elles babillent entre elles : « Ah! qu'il a bien dit
M cela! Qu'il a bien piqué son homme ! » Mais le pauvre diable, le prédi-
« cateur entendu, aussitôt se présente, en disant : « Maître, que voulez-
« vous que je fasse'^' ? » Voilà ce qu'on est sans doute surpris de ren-
contrer dans une paraphrase sur le neuvième chapitre de l'Exode.
Jacques de Lausanne avait composé une glose sur le Lévitique
dont nous connaissons des extraits publiés au xvi"' siècle dans un vo-
lume dont il sera parlé (p. 472). On pourrait croire que ce commen-
taire existe dans le manuscrit 27 de Toulouse, si l'on s'en fiait à une
indication du tome VII du Catalocjue général in-4°; mais cette indi-
cation est fautive. La glose qui remplit les feuillets 1^9 et suivants
0)
Ms. 6o5, fol. 3o V*. — m Ibid. — fi Ibid.. fol. 107 V.
JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR. 465
de ce manuscrit est un commentaire sur l'Exode, tout à fait indépen-
dant du recueil de gloses qui le précède et porte le nom de Jacques
de Lausanne.
Sixte et Antoine de Sienne, Possevin , tous les anciens bibliographes
nous attestent que Jacques de Lausanne a commenté de même les
Nombres et le Deutéronome'*'. Nous ne saurions, à la vérité, désigner
aucune copie de ces deux commentaires, qui n'ont pas eu proba-
blement beaucoup de succès; mais nous avons la certitude qu'on les
possédait encore au xvi^ siècle. L'éditeur du volume plus haut cité
les mentionne l'un et f autre et reproduit quelques phrases de celui qxii
se rapporte aux Nombres; quelques phrases seulement, ce commen-
taire n'offrant, dil-il, que de rares leçons de morale; et il ajoute que,
dans le commentaire sur le Deutéronome, il n'en a pas rencontré une
seule '^'.
IJL Commentaires slr divers livres de l'Ancien Testament,
On va jusqu'à dire que Jacques de Lausanne avait interprété
suivant cette méthode tous les autres livres de l'Ancien et du Nouveau
Testament. Nous prouverons qu'on a mis à son compte quelques
gloses dont il n'est pas l'auteur. H est vrai, toutefois, qu'il en a com-
posé beaucoup.
Parmi les autres livres de l'Ancien Testament, il a certainement
commenté le livre de Job. Sixte de Sienne en désigne, d'après un
manuscrit de Venise, un exemplaire commençant par : Sustinentiam
Job audistis. Il faut lire sans doute Sufferentiam , ce début paraissant
être emprunté au cinquième chapitre de l'épître de saint Jacques.
Or, on conserve, en effet, dans le n° 667 de la Mazarine, un com-
mentaire sur Job qui commence par Salferentiam Job audistis. Mais
il y est sans nom d'auteur, et on nous apprend, de plus, qu'il est com-
posé d'extraits empruntés à saint Grégoire. Jacques de Lausanne,
si curieux de montrer son esprit, aurait certainement dédaigné de
faire œuvre de compilateur. D'autre part, nous avons dans les
n°' 14798 et 1^799 de la Bibliothèque nationale deux exemplaires
*^ . • .
'"' Quétif et Echanl, Script, ord. Prœd. , 1. 1, din, Comm. de script, eccl. , t. III, col. 783.
p. 548. Ant. Senensis, Biblioth., p. laS. Ou- ''' Foi. 54.
UIST. LITTÉR. XXXIII. Sq
466 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
d'une Lectura sur Job, par Jacques de Lausanne, dont voici les pre-
miers mots : Vir erat in terra Hus . . . Marœnula dicitur uno modo cate-
nula, auri et argenti virguUs contexta. Comme on le voit, ce n'est pas le
début de la glose mentionnée par Sixte de Sienne. Suppose-t-on que
la Lectura de nos manuscrits est un abrégé de cette glose? Cette sup-
position ne paraît guère admissible, la dimension de cette Lectura
dépassant de beaucoup celle d'un abrégé. Sixte de Sienne, qui a
commis de fréquentes erreurs, doit s'être ici trompé.
Dans le catalogue des manuscrits de Bàle sont indiquées trois
gloses de Jacques de Lausanne sur Josué, les Juges et Ruth'''. Nous
ne trouvons ailleurs aucune mention de ces gloses, dont Echard lui-
même n'a pas parlé.
Il s'agit ensuite d'une glose sur les Proverbes, qui nous inspire aussi
des doutes. À la vérité, tous les bibliograpbes nous attestent que
Jacques de Lausanne a commenté les Proverbes, et nous avons, sous
son nom, dans le ms. latin 14798 de la Bibliothèque nationale,
fol. 425, ainsi que dans le ms. latin i4799 ^^ ^^ même biblio-
thèque, fol. 32 , une glose étendue sur les Proverbes qui commence
par : Jwufat epistola . . . Proloqas sancti Hieronymi saper libros Salomonis,
(fuem scripsit Cromatio et Heliodoro. Ainsi voilà des témoignages entiè-
rement conformes. Ajoutons que nos deux manuscrits sont du
XIV* siècle, que, dans fun et dans l'autre, la copie du texte et l'indi-
cation de l'auteur sont de la même main. Enfin, ce qui rend cette indi-
cation encore plus vraisemblable, le style de la glose offerte par nos
deux manuscrits est celui des autres gloses de Jacques de Lausanne;
c'est la même langue, ce sont les mêmes jeux d'esprit et les mêmes
outrages aux mêmes personnes. Cependant, bien que tout cela con-
corde, nous avons lieu de douter. Et d'abord, d'après Ambroise d'Alta-
mura, que cite Casimir Oudin^^^, les frères Prêcheurs de Barcelone
possédaient un commentaire sur les Proverbes qui, portant le nom de
Jacques de Lausanne, commençait par ces mots du psaume lxvii :
Aperiam in paraboUs os meum. (î'était donc un autre commentaire que
celui de nos deux manuscrits. En outre, au fol. 435 de notre
n° 14798, après le récit d'un miracle arrivé dans la ville de Vienne,
en Dauphiné, le glossateur confirme son récit par ces mots : Ego,
<')
Haenei, Cutal. inss., col. r)86. — '*> Comm. de script, ceci, t. H, col. 739.
JACQIES DE LAUSANNE, FRERE PRECHELR. 467
[rater P. de Palma, vidi civeiii (jiii hoc diceret se vidisse; ce qui semble
clairement indiquer comme auteur de la postille Pierre de Baume,
autre Prêcheur, provincial de la province de France en iSaS, mort
général de l'ordre en i343''\ qui, plus jeune que Jacques de Lau-
sanne, a été son imitateur, après avoir sans doute été son élève, On
s'accorde, en effet, à le dire auteur de gloses morales sur l'Ecriture
Sainte. Il est vrai que le copiste du ms. 14798 a pu introduire, par
mégarde, dans le texte une note mise en marge d'un autre exemplaire
par Pierre de Baume.
U Jacques de Lausanne a aussi commenté l'Ecclésiaste , et l'on a
conservé ce commentaire, qui commence par : Incipit prologus super
Ecclesiasten et dividitur in très. Primo ostendit Jeronimus. . . H est dans
le n° 27 des manuscrits de Toulouse (fol. 91 v°-io8), et peut-être
aussi à la bibliothèque de Bàle'*'. Un autre commentaire sur l'Ecclé-
siaste commençant par : Verha Ecclesiastes : Filii David, recjis Jérusalem.
Intentio actoris Salomoms est ostendere veritatem muiidi, se trouve dans
le n" 14798 de la Bibliothèque nationale (fol. 4^7), où il suit immé-
diatement le commentaire sur les Proverbes de Jacques de [..ausanne;
mais le manuscrit ne l'attribue pas expressément à cet auteur, et le
style en est bien moins badin, par suite bien moins intéressant que
celui des écrits authentiques de notre frère Prêcheur.
11 est également certain que Jacques de Lausanne a commenté le
livre de la Sagesse '"'l Ambroise d'Altamura et Sixte de Sienne attestent
avoir vu ce commentaire. H commence, suivant Altamura, par :
Sapientia clamât. Mais nous trouvons dans le n" 27 de Toulouse
(fol. 108 v°), sous le nom du même docteur, une glose sur la Sagesse
commençant par: Sapientiamlocjuimur inter perjectos . . . Incipit prologus
Hieronymi super lihrum Sapientiœ, in (juo triajacit. La dilférence de ces
débuts doit-elle faire douter de l'une ou de l'autre attribution? Nous
croyons devoir nous en rapporter de préférence aux indications du
manuscrit de Toulouse, celles d'Ambroise d'Altamura n'étant pas ha-
bituellement exactes. Quoi qu'il en soit, des extraits d'une glose
quelconque sur la Sagesse ont été publiés sous le nom de Jacques de
Lausanne.
Tous les bibliographes lui donnent encore un commentaire sur
'•) Quétif et Échard, t. I,p. 6i4,6i5. « Quétif et Kchaid , loco cit. Oudin,
C Hœnel, Catal. mss., co\. 586. loco cit.
9
59.
468 JACQUES DE LAUSANNE. FRERE PRECHEUR.
le Cantique des cantiques ''\ et Haenel en indique une copie dans le
manuscrit de Bàle que nous avons cité. Il était aussi, suivant Am-
broise d'Altamura, chez les donainicains de Barcelone, où il commen-
çait par : Circa principiam hujas libri. Nous n'en connaissons aucun
exemplaire.
Mais nous en avons un de sa glose sur l'Ecclésiastique. H existe, eu
elTet, dans le ms. latin i4799 ^^ ^^ Bibliothèque nationale (fol. 69-
12 3), commençant par : In medio Ecclesiœ aperitaros . . . Provisor ei
gubernator com/nunitatis tempore abundantiœ hona recondit. Quand l'au-
teur ne serait pas indiqué, l'on ne tarderait pas à le reconnaître. Il
a la manière, le style de Jacques de Lausanne; le ton de ses censures
est toujours aussi peu mesuré. Dans cette glose, comme dans les
autres, c'est le clergé séculier qu'il traite le plus mal : « Un évêque est,
« dit-il*'^', une façon de roi; il n'y a que les gens de sa famille qui portent
« ses armes. Cependant, ils n'en portent, lui vivant, qu'une partie; il
«est évêque, ils ne sont que doyens, grands chantres, archidiacres,
« Mais est-il mort, aussitôt les uns et les autres réclament ses armes
«tout entières, et c'est ainsi qu'on succède aux évêchés comme aux
« royaumes. » Voici maintenant quelques mots à l'adresse des simples
curés^''^ : «Intermédiaires entre Dieu et le peuple, ils parlent deux
« langues, la langue céleste, quand ils disent l'office, et, descendus de
«l'autel, la langue terrestre. Mais comment parlent-ils l'une et l'autre.-^
M Pour ce qui regarde la langue céleste. Dieu sait comment ils la cor-
« rompent, et, quand ils s'expriment dans la langue terrestre, leurs
M propos sont souvent plus déshonnêtes, plus indécents que ceux des
«mondains.» Ne prenons pas, toutefois, ce dur censeur pour un
ascète. Ennemi des clercs séculiers, il les poursuit sans trêve; qu'ils
aient le front triste ou gai, toujours il leur suppose quelque mauvais
dessein. Mais, s'il demeure quelques instants sans avoir en vue ces
clercs détestés, la morale qu'il prêche n'est plus très sévère : ce n'est
pas un moine du désert; c'est un religieux qui vit habituellement
avec des mondains peu rigides. Voici, par exemple, un de ses apho-
rismes : Splendidum cor inter epalas facit magnum bonum '*' ; et il ajoute
que, même hors de table, mieux vaux être jovial que méditatif, les
méditatifs devenant à l'ordinaire vieux avant l'âge.
(') Quétif et Échard, t. I , p. 548. '') Fol. j^'.
m Foi. 117^ (') Fol. io4.
JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR. 469
Sixte et Antoine de Sienne, Ambroise d'Altamura, presque tous
les bibliographes mentionnent une glose de Jacques de Lausanne sur
Isaïe, et les catalogues nous en signalent deux exemplaires, l'un dans
le n° 27 de Toulouse, l'autre dans le manuscrit de Bâle que nous
avons déjà plusieurs fois cité d'après Haenel. Ce commentaire com-
mence ainsi dans le manuscrit de Toulouse (fol. 62) : Prologus in
(fiio Hieronymus facit primo. . . Visio Jsaiœ prophetœ^^K . . Il en existe
de nombreux extraits dans le n° i83 de la Mazarine sous le titre de
Moralitates magistri Jacobi de Laiisanna [in. Isaiam]. Quelques passages
en ont été cités '^'. D'autres auraient pu l'être, comme étant du même
style et se rapportant aux mêmes personnes, que Jacques de Lausanne
flagelle sans relâche, nous voulons dire les clercs séculiers. Voici,
par exemple , sa glose sur ces mots d'Isaïe Vinum tuum mixtum acjua :
Nota (fuod primi (les premiers, avant les débitants) (fui ponunt aquam
vino snnt (jnadngarii , et fréquenter totum destruunt miscendo vilem et malam
aquam cum vino, non obstante quod sint ductores et vini debeant esse recto-
res et conservatores. Sic personœ ecclesiasticœ, quœ sunt Dei quadrigarii,
quia Dei populum habent ducere , regere, conservare, sunt primi et princi-
pales qui aquas iniquitatis , amaritiœ, carnalitatis miscent cam vino cari-
tatis, et SIC destruunt quod conservare deberent^^K L'anecdote suivante est
également tirée de la glose sur Isaïe '''^ : Nota de quodam qui erat prœ-
bendatus in multis ecclesiis. Dum semel equitaret cum aliquibus de suis,
narravit eis quod nocte prœcedente viderat in somno quod ojferebantur duo
baculi. Tanc fuit anus qui exposuit ei quod o^errentar sibi duo baculi pas-
torales vacantes in duabus ecclesiis in quibus eratcanonicas. Ille, hoc audito ,
incepit multum gloriari et elevari; et, dam ista in corde suo glonando revol-
veret, cecidit equus suus et fregit sibi diias tibias, et tune oblati fuerunt ei
duo baculi non pastorales, sedpœnitentiales.
A ces gloses sur l'Ancien Testament il faudrait encore ajouter, sui-
vant le P. Lelong et Fabricius'*^ un commentaire sur Daniel, autre-
fois conservé chez les ermites de Saint-Augustin, à Paris. Le volume
ici désigné par le P. Lelong et par Fabricius est aujourd'hui le
n" i83 des manuscrits de la Bibliothèque Mazarine, et il contient, en
effet, un commentaire sur Daniel dont telle est la rubrique : Incipit
C Sixte de Sienne donne un autre début : W Ms. 180 de la Mazarine, fol. 111.
Non est bonam. (') Ms. 37 de Toulouse, fol. 78 v°.
(•) Journal des Savants. 1886, p. 682. <•' Bibl. med. et inf. œtat.. t. IV, p. i3.
470 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
pastilla super Danielem secnndum magislrum Jacobum de Lausanna, ordinis
Prœdicatoram. Mais c'est une rubrique erronée que corrige l'indica-
tion finale : Explicit postilla super Danielem édita a fratre Michaele de
Furno, ordinis Prœdicatorum. Le style de celte postille est très simple;
on ne découvre pas chez l'auteur le moindre souci de faire preuve
d'esprit. Cet auteur n'est donc pas Jacques de Lausanne. C'est bien
Michel Dufour, dominicain flamand, comme Fabricius le dit ailleurs
lui-même''', sur le témoignage d'Echard, plus sûr que celui du
P. Lelong. ,
IV. Commentaires sur le Nouveau Testament.
Trois exemplaires d'une postille sur saint Mathieu, qui portent
le nom de Jacques de Lausanne, se lisent dans les n"' 13966
(fol. 217) et 18102 du fonds latin de la Bibliothèque nationale et
320 d'Avignon. Cette postille commence par : Novum Teslamenium est
in meo sanguine. . . Acquisitio familiarium jacit mutare testainentum. Mais,
d'autre part, le nom de Jacques de Lausanne accompagne, dans le
n" 37 de Toulouse (fol. 1-27 ), une autre glose sur saint Mathieu, qui
présente également tous les caractères de l'authenticité, et qui com-
mence par ces mots : Huic evangelio prœmiltitur duplex prologus, anus
Hieronymi, alias (jlossatoris. Faut-il donc croire que Jacques de Lau-
sanne a composé sur le même évangile deux gloses différentes?
Dans le n" 27 de Toulouse (fol. 27) et dans le n" 820 d'Avignon
se lit, sous le nom de Jacques de Lausanne, une glose sur saint Luc
dont tels sont les premiers mots : Fuit in diebus Herodis régis Jadœœ, etc.
Nota quod très fuerunt Herodes. Echard ne mentionne pas cette glose,
que n'ont pas, d'ailleurs, connue les bibliographes plus anciens.
Mais, les manuscrits de Toulouse et d'Avignon étant du xiV siècle,
les copistes contemporains de Jacques de Lausanne n'auront pas
sans doute mis à son compte un écrit de quelque autre. Remarquons,
d'ailleurs, que ces manuscrits proviennent de deux couvents domi-
nicains où l'on devait être bien informé. L'auteur de ce commentaire
multiplie les exemples, qu'il emprunte de préférence à l'histoire natu-
relle; il les indique le plus souvent, sans les développer. C'est une
(')
T. V. p. 70.
JACQUES DE IJ^USANNE, FRERE PRECHEUR. 471
sorte de répertoire de traits et de comparaisons à l'usage des mora-
listes et des prédicateurs.
Pour ce qui regarde l'évangile de saint Jean , nous avons encore l'em-
barras du choix entre deux gloses différentes. L'une se trouve dans
le ms. latin 15966 de la Bibliothèque nationale, à la suite du com-
mentaire sur saint Mathieu, et tel en est le début : Hic est Johannes
evangelista . . . Johannes interpretatur in quo gratia; habuit enim triplicein
gratiam ; et on lit à la fin : Explicit lectnra super Joliannem macjistri Jacobi
de Lausanna, ordinis fratrum Preedicatorum. Échard a vu ce manuscrit
à la Sorbonne et l'a signalé; mais il a signalé de même le n" 109 de
Saint-Victor, qui est aujourd'hui le ms. latin 1 ^798 de la Bibliothèque
nationale, comme offrant la glose de Jacques de Lausanne sur saint
Jean, et cette glose du n° 14798 commence, au fol. 482, par les
mots : Vend ut testunonium . . . Ad hoc ijuod testimonium sit bonum reaui-
ritur (juod suit duo testes. On le voit, les deux gloses sont bien diffé-
rentes. Elles se ressemblent toutefois en ce qu'elles ne sont pas plus
graves fune que l'autre. Disons que nous avons plus de confiance
dans le témoignage du manuscrit de la Sorbonne : ce témoignage est,
en effet, confirmé par le n" 3 20 d'Avignon.
Nous pouvons attribuer avec plus de certitude à Jacques de Lau-
sanne une glose assez longue sur les Lpîtres canoniques, qui porte
son nom dans notre n° 14798 (fol. 46.S) et dans le n° 27 de Tou-
louse (fol. i36). On l'y reconnaît, d'ailleurs, à plus d'une saillie.
Nous en citerons quelques-unes : «Jamais, dit-il''*, un homme dont
«les cheveux sont épais n'aura la tête propre; de même jamais un
« richard n'aura la conscience pure. H n'y a pas de gens, dit-il encore,
«plus mal rasés que les barbiers. Pourquoi!' Parce qu'ils se rasent
« eux-mêmes devant un miroir et ne veulent pas être rasés par les
« autres. Ainsi, nous autres clercs, nous faisons profession de corriger
«les autres, et ils sont bien corrigés; mais nous entendons nous cor-
« riger nous-mêmes, et nous le sommes mal. » Voici maintenant une
argumentation logique contre les évêques; c'est Aristote lui-même
qui démontre le peu qu'ils valent : «Il y a (nous traduisons) deux
«formes, l'une accidentelle et l'autre substantielle. Beaucoup de nos
«prélats nous représentent la forme accidentelle et non substantielle,
C Ms. lat. 14798, fol. 467.
472 JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR.
'< car il y a cette différence entre les deux formes, que l'accidentelle
(I tire son être d'un sujet, aucun accident ne pouvant être sans un
« sujet, tandis que la substantielle communique son être au sujet et le
« fait être. Il en est donc de certains prélats comme de la forme acci-
« dentelle; ils sont tout ce qu'ils sont par leurs sujets; sans leurs sujets
« ils ne seraient rien, et, s'ils passent pour de grands personnages, c'est
« uniquement parce qu'ils ont au-dessous d'eux un grand peuple. ''' »
Cette malveillante plaisanterie doit avoir eu beaucoup de succès dans
le quartier de Garlande.
Nous avons enfin une glose de Jacques de Lausanne sur l'Apoca-
lypse dans notre ms. latin 14798, fol. 470, commençant par : Apo-
calypsis Jesu Christi . . . Iste liber in prima sua divisione dividitur in septem
partes. Elle est plus longue qu'intéressante.
Nous avons dit qu'on a fait des extraits de ces gloses et postilles
sous le titre de Moralités. H y a des copies de ces extraits, qui ne sont
pas toujours conformes les unes aux autres, en diverses bibliothèques,
par exemple dans celle de Bordeaux (n° i48), dans celle d'Avignon
(n° 3o3), dans celle de Clermont-Ferrand (n" 4o) et dans le ms. lat.
6o5 de la Bibliothèque nationale*'^'; la bibliothèque de Munich en pos-
sède au moins six, sous les n°' 565, 665, 694, 8261, 8829, 1 2259. il
en a même été fait une copieuse édition, intitulée : Opus Moralitatnm
prœclarijratris Jacobi de Lausanna cnnctis verbi Dei concionatoribas pro decla-
mandis sermonibus per(fuam maxime nccessarium ( Limoges , Garnier, 1 5 2 8 ,
in-8°). Il faut noter ces mots percjuam maxime necessariam. Le libraire
qui s'exprimait ainsi disait la vérité, les badinages de Jacques de
Lausanne pouvant encore trouver place, au xvi* siècle, dans beaucoup
de sermons. Les postilles don ton peut lire des extraits plus ou moins
considérables dans ce volume sont celles qui concernent la Genèse,
l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le livre de Job, les Proverbes,
l'Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, la Sagesse, l'Ecclésiastique,
les prophéties d'Isaïe, l'évangile de saint Mathieu et l'Apocalypse.
Le n° 226 des nouvelles acquisitions latines de la Bibliothèque
nationale, le ms. 5ii3-5i2ode la Bibliothèque royale de Bruxelles
(fol. 178-222) et le ms. 291 de Prague (fol. 1-60) contiennent un
'■' Ms. 14798, fol. 469. dans le ms. i83 de la Mazarine, et qui ont été
'*' Voir Journal des Savants, 1891, p. i •jG. attribuées à tort à Jacques de Lausanne, voir
An sujet d'autres Moralités sur Job conservées le même recueil , 1 886, p. 683.
JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR. 473
recueil de maximes, de distinctions, rangées suivant l'ordre alphabé-
tique et commençant par les mots : Abjicit mimdus paiiperes et honorât
divites. Nota : Augustinns dicit super hoc quod conms est illins natnrœ. . .
Nous en pouvons citer d'autres copies anonymes dans les mss. 888 de
la Mazarine, 826 et 1272 de Troyes, 8181 de Munich, 1288 et 8609
de Vienne. Dans le n° 4872 de cette dernière bibliothèque, le même
recueil a pour titre : Jacobns de Lausanna , Compendium moralitatiim ex
ejus posli.Uis excerptiim. Si ce titre était exact, nous serions en présence
d'une autre compilation faite à l'aide des postilles de Jacques de Lau-
sanne, sans doute à l'usage des prédicateurs.
V. COMMENDATIO SACRE ScRIPTUR.E.
Echard inscrit avec hésitation parmi les œuvres de notre docteur
un petit traité qui se lit, sous ce titre, dans le n" 14799, ^,^^- i'-^4,
de la Bibliothèque nationale, à la suite des Moralités sur l'Ecriture,
et dont voici les premiers mots : Emitle hicem tuam. . . Sicut videmus
in corporalihus , nihil est lace ulilius. Jean de Tritenheim dit, il est vrai,
que Jacques de Lausanne avait laissé divers traités devenus assez
rares de son temps pour qu'il n'ait pu les rencontrer '''; nous pen-
sons néanmoins, avec Echard, que celui-ci ne lui peut être attribué
que sous toutes réserves. En effet, il ne porte aucun nom.
VI. Sermones de tempore et de sanctis.
Jacques de Lausanne s'est fait surtout connaître par ses sermons.
Hic fuit, écrivait-on, prœdicator gratissimus et copiosus, sicut patet in
collationibus et sermonibus (juos conjlavit^^\ Ces sermons ont eu tant de
succès qu'on en trouve partout Des copies que nous avons rencontrées
dans les bibliothèques de Paris, la plus complète est dans le ms. latin
18181 de la Bibliothèque nationale. Elle appartenait jadis à fabbaye
de Cambron; mais, en l'année 1671, Antoine Le Waitte, abbé de Cam-
bron, en fit don à son ami Quétif, de qui la reçut la maison de .Saint-
Jacques. Elle se compose de deux parties : dans la première, les ser-
mons dominicaux; dans la seconde, les sermons pour les fêtes des
saints. Quelques-uns de ces sermons sont dispersés, pour la plupart
'■' Catal. script, eccles. (éd. de i53i),p. 119. — ''' Denifle, Quell. zur Gelehrtengetch. d.
Predigerord. , p. 216.
HIST. LITTÉR. XXXIII. 6o
474 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
anonymes, dans les mss. latins 3552, SySG, iSSy^i 14799, 14962,
14963, 14964, 14966, 17516, 18181 delà Bibliothèque nationale.
On en indique d'autres copies dans les n°'38, 3o4, 601, 608 d'Avi-
gnon'*', a64 de Saint-Omer, 1209, 1711, 1765, 1779 et 1889 ^^
Troyes, 337 ^e Toulouse, 83 de Charleville, 1018 d'Arras, i36
de Soissons, i48 de Bordeaux, 235 de Chartres, 665 et i3585 de
Munich, 979 et 1 106 de Prague, 266 et 267 de Bruges. Enfin Echard
nous atteste qu'il en existait, de son temps, d'autres encore dans les
bibliothèques d'Angleterre*'^', d'Espagne, d'Allemagne. Ils ont donc
été, répétons-le, très goûtés. Cependant on se trompe quand on dit
qu'ils ont tous été publiés à Paris en i53o. Cette- édition de i53o,
in-8°, mise en vente par le libraire Ambroise Girault, a pour titre :
Sermones dominicales et /'estivales per totum anni circulum, per reverendum
patrem fratrem Jacobum de Laosana (sic), ord. Jr. Prœdicat., declamati,
impressioni mandati per qiiemdum professorem ordinis Minorum, regularis
observantiœ. Les sermons d'un Prêcheur imprimés par les soins d'un
Mineur! Le fait est très rare et l'hommage d'autant plus glorieux.
Mais ce recueil ne contient pas toutes les œuvres parénétiques de
Jacques de Lausanne; on n'y trouve réunis que les Sermones domini-
cales, et nous remarquons même que plusieurs y manquent.
Quel qu'en ait été le succès, Oudin les juge détestables. Il ne faut
pas s'en étonner. « Comme la mode fait l'agrément, dit Pascal'^', aussi
« fait-elle la justice. » Très justement, nous le reconnaissons, Oudin
blâme le ton beaucoup trop libre de l'orateur. Tombée tout à fait en
discrédit vers le milieu du xvii* siècle, cette manière de prêcher n'a
pas repris faveur. Mais en lisant les graves sermons du xir siècle, où
la pompe du style n'est que la parure d'une pensée banale, on s'ex-
plique aisément la réaction qui mit en goût le genre le plus contraire.
Jacques de Lausanne nous déclare, d'ailleurs, lui-même s'être fait une
règle de prêcher autrement que les prédicateurs de son temps, qui,
restés fidèles à la vieille méthode, sont à cause de cela devenus fasti-
dieux. Autrefois, dit-il dans son commentaire sur l'Ecclésiastique, les
chants d'église étaient simples, et tout le monde en comprenait
les paroles; maintenant le chant est tellement saccadé qu'on n'entend
'"' Voir la description de ce» manuscrits ''' C(. CataL Ubr. ms$. Angliœ , t. Il, p. 3i
dans le t. I du Catalogue de M. Lalrande, et 373.
p. 30-33, 3 1 3-333, 336-334, 34o-343. ''' Pensées, VI, 5.
JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR. 475
plus que la mélodie. Il en est de même, poursuit-il, des sermons.
Quand jadis on prêchait simplement, on faisait de nombreuses con-
versions; mais on en est venu plus tard à prêcher d'une manière si
pédante, que l'auditeur, n'étant plus attentif qu'à l'art des distinctions,
des divisions, n'a plus retiré de ce qu'on lui disait le moindre profit
moral *'l C'est donc en recherchant la simplicité que Jacques de
Lausanne est tombé dans le vulgaire.
Mais, si défectueux qu'ils soient au point de vue du goût, ses ser-
mons ont le mérite, comme ses moralités, d'offrir beaucoup d'allusions
aux mœurs du temps. Les clercs, on n'en peut être surpris, y sont
souvent bien mal menés. Sans faire un choix parmi toutes les injures
que le sermonnaire leur adresse, citons ce passage : « Il est singulier
« que nos clercs veuillent être une chose et en paraître une autre. Par
« l'habit, la coiffure et la coupe des cheveux, ils veulent paraître gens
« d'épée, mais ils veulent être clercs pour recueillir le profit des pré-
« bendes et des distributions. Ils ne sont, en réalité, ni l'un ni l'autre,
« puisqu'ils ne combattent pas avec les gens d'épée et n'enseignent pas
« la parole de Dieu comme il convient aux clercs, mais se déchargent
« de cette besogne sur leurs vicaires et leurs chapelains'^'. » Il y a aussi
(les mots très vifs contre les évêques; mais l'orateur trahit le motif de
son mauvais vouloir à leur égard quand il dit: Per Petrum ampatantem
aurem dextram intelUguntur mali prœlati , (juisubditos impediunt abaudiendo
sermones, consiUa et cetera pertinentia ad salutem'^K Qu'est-ce, en effet,
qu'empêcher les fidèles d'entendre les sermons, les avis, etc., etc.?
Ce n'est pas autre chose, on le comprend bien, qu'interdire aux reli-
gieux de prêcher, de confesser sans la permission des évêques.
C'est le clergé séculier que Jacques de Lausanne attaque le plus
fréquemment; mais beaucoup de ses traits portent ailleurs. 11 ne mé-
nage guère, par exemple, les receveurs des finances seigneuriaux ou
royaux. « L'épervier domestique est, dit-il''*', plus redoutable pour les
«oiseaux que l'épervier sauvage. Pourquoi cela? Parce que l'épervier
" sauvage butine pour lui seul, tandis que l'épervier domestique butine
« pour lui-même et pour son maître : Recte sic ministri et consiliarii ma-
ujornm mundi plus nocent rei piiblicœ (juam prœdones silvestres oui lantiim
'•) Bibl. nat., ms. lat. 14799, '""l- 7- ''' M», lat. 18181, fot. 85.
'') Mss. lat. 18181, fol. i5''; 1337/1, <*' Ms. lat. 13374, fol. 1 55.
fol. 159.
60.
476 JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR.
«furantur sibi; alias non starent in ojficiis suis. » Ce dernier trait est contre
les maîtres eux-mêmes, les seigneurs. Plus d'une fois l'orateur traite
ces seigneurs de tyrans, principes, imo potins tyranni, les accusant
de spolier odieusement quiconque passe sur leurs terres, môme les
écoliers, et scolares, (jui debenl esse hberi^^K Notons ce point de doctrine
sociale : l'immunité des écoliers.
Jacques de Lausanne provoque de même à la haine des marchands.
Non seulement ce sont tous ries usuriers; mais il y a plus, quelques-
uns sont des traîtres : ne les voit-on pas trafiquer clandestinement avec
les Sarrasins, et les approvisionner de vivres et d'armes, pour tirer
un faible gain de cet odieux commerce'^'? Ce n'était pas une accusa-
tion mal fondée. Nous avons une bulle de Clément V dont l'objet est
d'excommunier ces marchands chrétiens, et cette bulle dit qu'ils trans-
portaient en Egypte des armes, des chevaux, des vivres, du fer et des
pièces de bois'^'. Au surplus Jacques de Lausanne provoque au mépris
de tous les riches. Ils jouissent dans ce monde et foulent les pauvres;
mais, dans l'autre monde, les pauvres seront au ciel et les riches au
plus profond de l'enfer '''). Il y aurait à faire beaucoup de citations
semblables.
D'autres passages se rapportent aux lois, aux usages, aux mœurs
communes, et même aux arts. Voici, touchant les arts, une informa-
tion digue d'être recueiUie. On connaît peu les commencements de
la peinture à l'huile. Dans le tome XXXVI des Mémoires de la Société
des Antiquaires de France se lisent quelques notes de G. Demay sur des
peintures à l'huile exécutées, soit en France, soit en Angleterre, au
cours des années 1289, 1 269, 1299, i3o4, iSiy, 1820 et 1827. Dans
un de nos sermons, que nous pouvons rapporter à l'année i3oo, on
lit : Quœdam imagines sunt quœ depinguntur oleo. Istœ Jirmius conservantur,
Jacile nondelentur^^K II s'agit, comme on le voit, de tableaux, de figures,
imagines; ce qui rend ce passage très intéressant. Un autre vient con-
firmer les renseignements donnés par Bourquelot sur les attributions
des gardes des foires ^'^^ : quiconque achetait des marchandises à cré-
''1 Ms. lat. 18181, fol. 8''. Édit. de i53o, et de commerce. . . avec les Arabes de l'Afrique
fol. i3, col. a. septentrionale, p. i^-j.
f M», cit. , fol. 1 56. Édit. de 1 53o , fol. i a\ <'' Ms. lat. 1 8 1 8 1 , fol. 1 68'.
'') Bibl. nat., ms. Baluze n* 207, fol. 187. <'' Ibid., fol. iSa.
Cf. L. de Mas Latrie, Hist. de Chypre sous le '*' Bourquelot, Mém. présentés par divers sa-
règne des Lasignans , t. II, p. ia5; Traités de paix vants, 1' série, I. V, p. 218.
\
JACQUES DE LAUSANNE, FRERE PRECHEUR. 477
dit prenait un terme pour les payer, et, si, le terme échu, il ne
s'acquittait pas, il était, lisons-nous dans un des sermons, arrêté par
le garde des foires et mis en prison. Bourquelot ne dit pas que, dans
les foires de Champagne, on accordait dix jours de crédit aux mar-
chands pour le payement des droits d'entrée : c'est une remarque de
notre sermonnaire'''.
Il raconte aussi, suivant la mode, des histoires plus ou moins édi-
fiantes. Jacques de Vitri avait, comme on le sait, recommandé ce
moyen oratoire. Jacques de Lausanne n'en abuse pas, mais il en use
quelquefois. La nuit du vendredi saint, un seigneur brabançon, se
rendant aux matines, passe devant une taverne où quelques jeunes
gens avinés jouaient, blasphémaient et se querellaient. Traversant
ensuite la place publique, il y trouve une grande foule assemblée et,
au milieu de cette foule qui pleure, qui prie, le cadavre tout sanglant
d'un homme qui vient d'être assassiné. Les assassins, tout le monde
les désigne, ce sont les joueurs de la taverne. Le seigneur brabançon
revient donc à ces jeunes gens et leur reproche, plein de colère, le
meurtre qu'ils viennent de commettre. Quel meurtre? disent-ils. Il
n'est entré personne ici; nous n'avons frappé, nous n'avons tué per-
sonne. Aussitôt les joueurs se lèvent et, suivant le seigneur, ils vont
avec lui sur la place. Mais la place est maintenant déserte, silencieuse;
le cadavre, la foule, tout a disparu. On prévoit bien l'explication du
mystère. Ce cadavre évanoui, c'était celui du Christ ensanglanté par
leurs blasphèmes. Mais ce qu'on ne prévoit pas, c'est la dernière scène
de cette fable lugubre. Qui va s'amender.^ Les jeunes gens? Non,
mais le tavernier. Cet homme faisait deux commerces : il était encore
usurier. Ayant donc restitué tous ses profits illicites et, de plus,
donné la moitié de ses biens aux pauvres, il vécut, dans la suite, et
mourut saintement'^'.
Il y a toujours dans les histoires racontées par Jacques de Lau-
sanne quelque trait plaisant. Nous avons déjà reproduit celle-ci. Il y
avait à la cour du roi Henri (sans doute Henri III, roi d'Angleterre'^')
''' Ms. lat. 13374, fol. 188'. donné les premiers mots : Nola qaod hœreticus
'*' Ms. lat. 18181, fol. 49'. cuidam clerico . . . Dans le ms. latin l3374,
''' En publiant le texte de cette anecdote fol. iSg'', de la même bibliothèque, on lit :
d'après notre n° 18181 (Mémoire sur les récits Nota quomodo rex Henricus. . .; ce qui se com-
d' apparitions , dans les Mém. de l'Acad. des prend mieux. Voir A^otice* e/ extr. de quelques
inscr., XXVIII, 11, p. 267), nous avons ainsi manuscrits , t. Il , p. i53.
478 JACQUES DE LAUSANNE, FRÈRE PRÊCHEUR.
un clerc de mauvaises mœurs, qui, sollicitant quelque évêché, avait
obtenu du roi cette réponse : « Tu l'auras bientôt. » L'église même
où ce clerc était chanoine ayant perdu son évêque, on procède à une
élection, et notre clerc n'est pas nommé. Il se plaint alors au roi, qu'il
accuse de l'avoir abusé par une vaine promesse. «Je n'ai jamais eu,
M lui dit le roi , l'intention de te proposer pour un emploi dont tu n'es
«pas digne; mais je pensais avoir à te nommer, car, entre plusieurs
« candidats, tes collègues ont coutume de choisir le pire. Or il parait
«qu'on a trouvé cette fois pire que toi. Persévère, mon ami, et tu
« pourras un jour remplacer celui qu'on vient d'élire. »
.Transcrivons encore un passage relatif au chancelier Philippe de
Grève, dont la légende, souvent racontée, l'est ici de cette façon :
Nota de Philippo, cancellario Parisiensi, qui nolait pluribiis beneficiis re-
sujnare ad sucjgestionem Gaillermi, tune episcopi Parisiensis ; qui postea,
eidem scilicet apparens, dixit se esse damnatum propter tria : primo propter
plarima bénéficia quibus non voluerat resignare, secundo propter contuma-
ciam, tertio propter fructus prœbendarum quos non dederat pauperibas ^^K
On remarquera que cette narration n'est pas entièrement conforme à
celle de Thomas de Cantimpré'^'. La troisième cause de la damnation
de Philippe aurait été, suivant Thomas, un vice «abominable» dont
il n'est pas ici parlé '^'.
Echard suppose que les sermons de Jacques de Lausanne nous ont
été transmis par un de ses auditeurs , les mots français qui s'y ren-
contrent indiquant que le texte n'a pas été revu par l'orateur. Cette
conjecture n'est aucunement fondée. Les sermons de Jacques de
Lausanne ne diffèrent en rien de ses moralités sur l'Ecriture sainte.
Le style en est mauvais, mais il n'est pas négligé. Quant aux mots
français, ce ne sont pas non plus, comme Echard le croit, des
mots écrits ou prononcés à la hâte, le latin faisant défaut à la mémoire
de l'orateur ou bien à la science de l'éditeur; ces mots ont été dits
avec intention, soit pour varier le discours, soit pour faire sourire par
quelque léger propos la docte partie de l'auditoire. Ce qui suit va tout
'"' lidit. de i53o, fol. 22 , col. a. ailleurs (Hauréau, Notices et exlr. de quelques
'•' Voir l'art, consacré à Philippe de Grève manuscrits, t. II, p. i52, \bà à 167; t. III,
(Hist /i«. (fc ?« /'>., t. XVIIl, p. 188). p. 99, 110 à ii3, 118 à 121, ia3, 126 à
''' D'autre» indications sur les sermons de i32 , i35, 343; t. IV, p. 182, i83, i85; t. V,
Jacques de Lausanne ont été déjà données p. 65, 66, 2868289).
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR. 479
aussitôt faire écarter l'hypothèse d'une rédaction précipitée. Voici bien
certainement un mélange volontaire du français et du latin :
In die graciœ homo habet clariorem cognitionem, securiorem spem, mundiorem
conscientiam et honestiorem conversationem. Gailice : plus clere cognoissance , plus
seure espérance, plus nette conscience et plus belle contenance.
Quelques lignes plus bas, commentant ce précepte de saint Paul :
Sicut in die honeste ambulemus, l'orateur s'exprime ainsi :
Ubi tanguntur tria. Quia primo excitamur a torpore : ambulemus. Secundo
revocamur a pudore : honeste. Tertio praeservamur ab errore : sicut in die. Gailice , il
nous admoneste Je notre profist fere : ambulemus. Il nous monstre manière qui doibt a
chascun plaire : honesle. Tertio , il nous dit que le temps nous doibt a ce atraire : sicut in die.
Evidemment il n'y a là péché ni de négligence ni d'ignorance. Et
nous n'avons pas cherché bien loin ces deux exemples; c'est au pre-
mier feuillet de l'édition que nous venons de les emprunter.
On ne lisait plus guère, au temps d'Échard, les sermons du xiii*,
du xiv siècle. C'est pour cela sans doute qu'ayant parcouru ceux de
Jacques de Lausanne, le savant religieux s'est étonné d'y rencontrer
tant d'inconvenances littéraires et s'est efforcé d'en décharger la mé-
moire de son confrère. Mais, en fait, ce mélange grotesque du fran-
çais et du latin n'est pas plus fréquent dans les sermons de Jacques
de Lausanne que dans beaucoup d'autres du même temps.
B. H.C).
PIERRE AURIOL, FRÈRE MINEUR
SA VIE.
Le nom de Petriis Aureoli, qui se lit dans un grand nombre de
manuscrits du xiv* siècle'^', et qu'on trouve fréquemment cité par les
auteurs des âges suivants, n'est autre, si l'on en croit Barthélemi
'"> Avec quelques additions par M. N.Valois. Cambridge, et ms. Roy. 8 G ui, au Musée
'*' Exceptionnellement, on rencontre aussi britannique, xv* s.), de Aariolis (ms. Bodley
les formes y4ureo/a$ (ms. 38 de Nîmes, xv' s.), 4oo, à la Bodléienne, xv' s.) et de Aureolo
de Aureolis (ms. i56 de Corpus Christi, à (ms. i5 de New Collège, à Oxford, xv' s.).
480
PIERRE ALRIOL, FRERE MINEUR.
Albizzi'*', que celui d'un frère Mineur de la province d'Aquitaine. Il
faut donc renoncer à faire de cet écrivain très fécond un Picard,
erreur dans laquelle sont tombés certains copistes du xv*" siècle''^' et
de très nombreux érudits*^', qui ont confondu ce Franciscain avec un
religieux de l'ordre du Val-des-Écoliers du nom de Pierre de Ver-
berie*'"'. Petras Aureoli, en français du Midi, doit se traduire par
Peire ou Pierre Auriol : c'est de cette dernière forme que nous use-
rons dorénavant.
Non contents de i-estituer Pierre Auriol à l'Aquitaine, certains au-
teurs, voulant préciser davantage, n'hésitent pas à le ranger parmi
les Toulousains célèbres ^^'. Beaucoup plus réservé dans ses conclu-
sions, l'érudit qui a consacré à Pierre Auriol l'étude la plus ré-
cente et la plus développée, M. Franz Stanonik, se contente de
remarquer que le nom d'Auriol est répandu à Toulouse depuis long-
temps et qu'un certain Biaise d'Auriol n'est pas sans y avoir acquis,
au XVI* siècle, comme poète et comme jurisconsulte, quelque célé-
brité'«).
Rien n'autorise à préciser l'année de la naissance de Pierre Auriol ,
et la date de i 280, fournie parla Biographie Toulousaine, est purement
conjecturale.
En i3o4, Auriol se trouvait à Paris, peut-être comme étudiant en
l'Université. C'est ce qu'il indique assez clairement lui-même dans
'"' Liber conformitutam , fruct. xi , l' part,
(éd. de Milan, i5io), fol. ia6 r".
'') Ms. 5i8 de Douai (fol. 33) : . Pétri a Ver-
beria dicti Aureoli , ordinis Minorum, quondam
archiepiscopi Aquensis et doctori» Parisiensis
in theologia. . . » — Ms. lat. i5o2 de Munich :
« Pétri Aureoli de Verberia tractatus ...»
''' Le cardinal Boccafuoco, éditeur des Com-
mentaires sur les Sentences de Pierre Au-
riol; P. Frizon, Gallia piirparata, p. 309;
Gallia ckristiana, I, 3ai; Du Boulay, IV,
985; Moréri, VIII, 102; Sixte de Sienne,
393; Bayle,I, 398; C. Oudin, 111,847 ; Fabri-
cius (éd. de 1754),V, a43; P.-J. de Haitze,
L'èpiscopat métropolitain d'Aix [hiit. . 186a,
in- 1 a) , 77 ; A. Stôckl , Geschichte der Philosophie
des Mittelahers ( Mayence , 1 865 , \n^' ) , II , 978 ;
K. Werner, Der Averroismas in der christlich-
peripatetischen Psychologie des spâteren Mittel-
ahers, dans Silzanrjsber. der phil.-hist. Cloue
der hais. Akad. der Wissensch. (Vienne, 188)),
t. XCVIII , I , p. 176, etc. Il n'est pas jusqu'à
l'éditeur de 1620 du Liber conformitatum qui
n'ait accolé au nom de « Petrus Aureoli « l'épi-
thète de «Verberius», se figurant ainsi cor-
riger heureusement Albizzi (Bologne, i6ao;
fol. 98).
'•' Sur ce dernier personnage et sur un
autre Pierre de Verberie qui vivait au même
temps, voir Du Boulay, IV, 986, et Denifle-
Chatelain , Chartul. Univ. Paris. , II , 43 1 .
'*' Nie. Bertrand , De Tolosanonim gestis
(i5i5); Sbaraglia, p. 585; Biographie Toulou-
saine (Paris, 1823), I, 4o5; Biographie géné-
rale, de Didot (III , 772 ) , article inspiré par un
M. d'Avu"iol, bibliothécaire à Toulouse, «qui
parait descendre de cette famille ».
'*' Ueber den àusseren /.^bensgang and die
Schriften des Petrus Aureuli, damDer Katholik,
LXU (188a), p. 3a3.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
^81
son traité intitulé Repercussortum'-^\ où il rappelle que devant lui on
avait, à Paris, soutenu, au sujet de la présence réelle, certaine doc-
trine hétérodoxe en laquelle il n'est point malaisé de reconnaître la
thèse de Jean de Paris '"^'; ce qui nous reporte, ainsi qu'on l'a juste-
ment fait remarquer'^^ à l'année 1 3o4. Rien n'empêche, en ce cas, de
supposer que Pierre Auriol connut et fréquenta, dans l'Université, le
célèbre Jean Duns Scot, arrivé d'Angleterre, vers la fin de cette même
année, pour conquérir le grade de bachelier en théologie'**. Jean Scot
y demeura jusqu'en i3o8 : Pierre Auriol eut le temps d'y suivre ses
leçons.
Appartenait-il dès lors lui-même à l'ordre franciscain dont Jean
Scot depuis longtemps était une des lumières? Nous l'ignorons. Mais,
à coup sûr, il ne tarda pas à en faire partie, s'il est l'auteur de certain
traité De Paupertate et (Jsapaupere que les bibliographes lui attribuent
pour de bonnes raisons : ou nous nous trompons fort, ou cet ouvrage
est antérieur au concile de Vienne.
On sait l'agitation extrême causée dans l'ordre de Saint-François
par les divergences de vues des Spirituels et des Conventuels. Parmi
tant de questions qui échaulïèrent les esprits et mirent aux prises si
violemment les défenseurs et les contempteurs de la doctrine de
Pierre Jean d'Olive, celle de f* usage pauvre » occupe une place des
plus notables. Etant admis que le frère Mineur doit, en vertu de sa
règle , observer la pauvreté évangélique la plus sévère, il ne s'agit plus
de savoir s'il peut posséder quelque chose, mais s'il est obligé d'user
pauvrement même des choses qu'il ne possède pas. Olive traita cette
question dans plusieurs opuscules, notamment dans un ouvrage spé-
cial qu'il consacra à r« Usage pauvre », et la résolut, bien entendu, par
l'affirmative'*'. Dans les années qui précédèrent le concile de Vienne,
'"' «In oppositum illius erroris de paneitate,
«quam aliqui docuenint Parisiis , me prtesente ,
■ — videlicet quod panis non transsubstanlia-
• batur in corpus Christi, nec vinum in sangiii-
• nem in sacramento altaris , sed Christus , me-
tdiante carne, assumebat panem et, mediante
« sanguine , assumebat vinum , ut esset magis
• sacramentum assumptionisquam transsubstan-
■ tiationis, — in oppositum, (inquam), hujus
topinionis est directe canon de Sumina Trinitate
»et Jide. . . » (Pierre d'Alva y Astorga, Menu-
menla anliquu seraphica pro immaculata Concep-
tione Virginis Mariée , Louvaïn , 1 665 , in-fol. ,
p, 67.)
'*' Voir le Contin. de Guili. de Nangis (éd.
Géraud), I, 347. Cf. Hist. Utt. de lu AV., XXV,
2^9, 262.
<'' F. Stanonik, p. 3a4.
'•' Hist. lin. de la Fr., XXV, 409, 4 10.
'') F. Ehrle, Petras Johannis Olivi, sein Leben
and seine Schriften, dans Archivfûr Literatur-
iind Kirchengeschichle , t. III (1887), p. 465,
498, 507-5.7. Cf. Hist. lilt. de laFr., XXI,
46.
HIST. LITTER. XXXHI.
482
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
la question fut reprise et donna lieu à de très longues et vives contro-
verses, auxquelles prirent part, en première ligne, les frères Buona-
grazia et Ubertino de Casale '''. La doctrine de r« usage pauvre » eut
même ses martyrs, s'il faut en croire ce dernier : deux frères du cou-
vent de Villefranche , en Provence, Raimond Auriol et Jean del
Primo, se virent emprisonnés, enchaînés et traités de la façon la plus
dure pour le seul crime de n'avoir pas voulu dire que le vœu de pau-
vreté n'impliquait nullement l'obligation d'user des biens de ce monde
pauvrement; le premier succomba, le second survécut à grand'peine^"'^'.
Pierre Auriol n'eutpoint à craindre de partager le sort de son homonyme
et de Jean del Primo, s'il est réellement l'auteur du traité qu'on lui
attribue De Paupertate et Usii paiipere; c'est un ouvrage concluant plutôt
dans le sens des Conventuels et se distinguant principalement par la
largeur des vues et par la soumission au jugement du souverain pon-
tife. Nous y reviendrons plus loin. En tous cas, il ne mentionne pas,
il semble destiné plutôt à provoquer la solution que Clément V donna
à la question de I'k usage pauvre » dans sa constitution Exlvi de para-
diso^^' : nous en concluons que ce traité est sûrement antérieur au
6 mai 1 3 1 2 .
Après avoir ainsi pris position dans le débat sur la pauvreté qui
divisait si tristement l'ordre des frères Mineurs, Pierre Auriol fil
entendre sa voix dans la querelle relative à la conception de la Vierge,
où ses confrères en religion, unis cette fois pour la plupart, avaient
comme adversaires principaux les fils de saint Dominique. Cet
incident se produisit à Toulouse, où, rev.enu de Paris, Pierre
Auriol professait, dès 1 3 1 4 , dans le couvent des Mineurs. C'est ce que
nous apprend une note manuscrite insérée à la suite d'un traité de Pierre
Auriol, le De Conceptione B. Mariœ virginis^'^K Voici le sens de cette
note : « Le traité de la Conception de la bienheureuse vierge Marie
''' F. Ehrie, Zur Vorgeichichte des ConciU
von Vienne, dans Archiv fur Literalur, t. III,
p. lia et suiv., 62 , i43, i55.
<"> Ibid., p. i83; Archiv fur Literatar. . . ,
t. II, p. 384, 386. Cf. VHistoriu septem tribu-
lationum ordinis Minorant, d'Ange de Cingoii,
ibid. , p. 3oo.
<'' Clémentines, V, xi, i.
'*' La note en question se trouve transcrite
par Pierre d'Alva y Astorga, à la p. 79 de ses
Monumentu antiqaa seraphica pro immacaluUi
Conceptione. Pierre d'Alva paraît s'être servi
pour son édition d'un manuscrit alors conservé
au collège de Foix, à Toulouse, et d'un manu-
scrit de la bibliothèque du chancelier Sé-
guier qui, ni l'un et l'autre, ne se retrouvent
à la Bibliothèque nationale. Le second ne figure
même pas dans le procès-verbal de la prisée
faite, à la mort de Séguier, en 167a (ms. tat.
11878).
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
483
« a été composé par Pierre Auriol à l'occasion suivante. Comme il était
«lecteur dans le couvent des Mineurs de Toulouse, il lui arriva de
« prêcher dans la maison des Dominicains le jour de la Conception
M de la Vierge (8 décembre). Ce sermon s'adressait au clergé. Pierre
«Auriol y prouva, par les raisons touchées plus haut, que c'était une
« pieuse croyance d'admettre que la Vierge eût été préservée de la
« tache originelle. Dieu, certes, le pouvait faire; cela était séant; Dieu
«l'avait fait peut-être. En tous cas, la célébration d'une pareille fête
« était licite. Or, le dimanche suivant (i 5 décembre), un frère Prêcheur,
«s'adressant également au clergé, démontra que la sainte Vierge avait
«participé au péché originel; il réfuta quelques-unes des raisons de
« Pierre Auriol, allégua en faveur de sa thèse des arguments qui ont
« été aussi touchés plus haut , et reprocha à Pierre Auriol d'avoir affirmé
« comme unevérité ce que celui-ci n'avaitavancé qu'avec doute, comme
« étant seulement une pieuse croyance. Ce que voyant, Pierre Auriol
« voulut faire de cette question l'oDJet d'une discussion solennelle dans
M le sein des écoles séculières. Là, en présence de tous les religieux,
« docteurs, maîtres et clercs, à la demande de l'Université, il conclut
M dans le sens indiqué ci-dessus. Cela se passait à Toulouse, l'an du
« Seigneur i 3i4, la veille de la Saint-Thomas apôtre (20 décembre),
«peu après l'avènement de Louis, roi de France, en présence de
« l'évêque de Toulouse Gaillard et durant la vacance du Saint-Siège. »
La précision de ces synchronismes, la forme de la rédaction ne
permettent guère de douter de l'ancienneté de cette note, non plus
que de son exactitude, que tend à confirmer l'observation suivante.
Dans plusieurs manuscrits, le De Conceptione de Pierre Auriol est, en
effet, daté de Toulouse i3i4'''. Nous sommes ainsi fixés sur le lieu de
résidence, sur les fonctions et sur la situation de Pierre Auriol vers
'*' Ms. d'Erfurt , in-4° 1 3 1 ; ms. de Munich lat.
691 (ce ms. se confondrait peut-être, d'après
M. Stanonik, p. 323, avec celui d'Augsbourg
qui est indiqué dans le catalogue de Reiser,
p. 52, n. i3); mss. utilisés par Pierre d'Alva
y Astorga { Monamenta antiqiia seruphica . . . ,
p. 44 ) - — Dans le ms. 876 d'Arras , qui date de
1 439 , le De Conceptione est donné comme ayant
été composé par Pierre Auriol , à Toulouse , en
i3i3; mais le copiste a peut-être oublié un
jambage et écrit .ccc.xiij. pour .ccc.xiiij. — Les
bibliographes , en reproduisant l'indication des
manuscrits (Tractatus de Conceptione B. Ma-
rie Virginis éditas a magistro Petro Aureoli . . . ,
apud ïolosam, anno Domini i3i4), ne l'ont
pas toujours bien comprise : ils ont cru qu'il
s'agissait de la date de l'édition , et quelques-
uns ont pris la peine de relever ce que cette
date aurait d'invraisemblable (Ph. Labbe, Dis-
sertatio philologica de scriptoribus ecclesiaticis ,
Paris, 1660, II, i85; Biographie générale^
111,772).
484 PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
le commencement du règne de Louis Hutin. Il enseignait à Toulouse,
sans doute la théologie. Sa réputation le faisait appeler à prêcher
même en dehors de son couvent franciscain. Sachant, dans la querelle
sur la conception de la Vierge, comme dans la controverse sur V« usage
pauvre», se garder des extrêmes, il se contenta de soutenir que la
célébration de la fête de la Conception était licite. La contradiction
réchauffa : il défendit sa thèse en présence du clergé et des étudiants
assemblés, puis la développa dans un traité spécial, qui se terminait
par un acte de soumission aux décisions futures du Saint-Siège. Cette
attitude à la lois énergique et prudente devait attirer sur lui l'atten-
tion de ses confrères et du souverain pontife.
Il se pourrait qu'il eût élé, quoique simple frère Mineur''', délégué
au chapitre général de son ordre qui se tint à Naples vers la fin du
mois de mai i3i6. On y élut comme général Michel de Césène;
puis on y désigna, pour commenter à Paris le Livre des Sentences, le
professeur de Toulouse Pierre Auriol. Michel de Césène lui-même
souscrivit à ce choix, bien qu'on lui eût assuré que son élection avait
été combattue par Auriol'^'.
C'était un hommage éclatant rendu au savoir de ce dernier. Les
maîtres de Paris jouissaient alors dans l'ordre de Saint-François d'une
faveur singulière, et leur situation privilégiée ne manquait pas d'allu-
mer parmi les Spirituels une vertueuse indignation : «Tout l'ordre,
« disaient ceux-ci, s'incline devant les maîtres et lecteurs de Paris. Dans
«beaucoup de provinces, qu'ils professent ou non, ils se voient dis-
« pensés de l'assistance aux offices et des travaux communs; ils mangent
« à l'hôtellerie ou à l'infirmerie, se font servir, comme il leur plaît, ce
« qui devrait être distribué aux pauvres. Ils voyagent de couvent en
« couvent, ayant avec eux un frère pour les servir, et, en tous lieux,
«ils sont reçus ainsi que des seigneurs*^'. »
Ces avantages, en tous cas, étaient achetés au prix d'un travail
•'' Vfaiddmg [Annules Minor. , III, a-sS) fait <*' Chron. xxiv generalium, citée d'après le
justement remarquer qu'Aurioi ne pouvait ms. d'Assise par Denifle [Charliilarium Univ.
assister à ce chapitre en qualité de ministre de Paris.. II, 2 25). Cf. S, Antonin, Chron.,
la province d'Aquitaine. La raison d'âge qu'il tit. XXIV, cap. ix , S 1 5 ( éd. de Lyon , 1 687 ,
en donne n'est guère concluante, puisqu'on III, 78A).
ignore absolument l'âge de Pierre Auriol. Mais <'' F. Ehrle , Zur Vorgesch. des ConcUs
la vérité est que ce poste était alors occupé par v. Vienne, dans Arckiv fur Literatur, III,
Bertrand de La Tour (cf. Stanonik, p. 4i6). 1 18.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
485
acharné. A la période de l'enseignement de Pierre Auriol à Paris cor-
respond la composition de son vaste ouvrage théologique et philoso-
phique le Commentaire sur les quatre livres des Sentences. Il y en a eu
deux rédactions, comme on le verra plus loin, dans lesquelles les deux
premiers livres et une partie notable du troisième diffèrent. Or, dans
un exemplaire de la première rédaction ''', l'ouvrage se termine par
cette note: « ExplicitquarfusliberSenlentiarum,dereportationefratris
« Pétri Aureoli recollectus, eo leçjenteParisim, annoDornini nfcccf decimo
« septimo. » 1 3 1 7, c'est la première année de l'enseignement -de Pierre
Auriol à Paris. D'autre part, on lisait, paraît-il, dans un manuscrit
de Florence du même Commentaire'^' : « Explicil lectura super se-
« cundum lihrum Sententiarum, sub magistro Petro Aureoli, de
« ordine fratrum Minorum , doctore in sacra theologia, reportata lempore
M cjuo legebat Parisiis Sententias, videlicet anno Domini M"cc(fxriii°^^\ » S'il
s'agit là, comme il se peut, de la deuxième rédaction, ce serait dès sa
seconde année d'enseignement à Paris qu'Auriol aurait complètement
remanié son Commentaire sur les deux premiers livres du Maître
des Sentences. Au plus tard, d'ailleurs, ce remaniement eut lieu
en iSig'*', et le labeur de cette double rédaction, qui embrasse
d'immenses développements sur une multitude de questions des
pluscomplexes, témoigne, dans tous les cas, d'un effort vraiment extra-
ordinaire.
Il fut récompensé. Dès le i4 juillet i3i8, Jean XXII avait ordonné
au chancelier de l'église de Paris de conférer à Pierre Auriol la licence
en théologie. « 11 s'est livré jour et nuit, disait le pape, avec une telle ar-
« deur à l'étude de la théologie, ii y a fait de tels progrès, par la conti-
'"' Ms. 243 de Toulouse, fol. ia4.
''' Ms. 355 de Santa Crocs. Il ne semble
pas figurer parmi les mss. conservés aujour-
d'hui à la Laurentienne.
''' Nous croyons devoir rétablir ainsi le texte
de cette note, mal lu ou mal transcrit par
Sbaraglia (p. 585).
'*' Dans l'édition du cardinal Boccafuoco , la
date de la deuxième rédaction est indiquée ,
à la fin du livre IV, de la façon suivante : « Ex-
« plicit quartus liber Sententiarum secundum
• lecturam fratris Pétri Aureoli recollectam, eo
«legente in scholis Parisiis. . . t [In IV Sent.,
p. 3î6.) Le fait que cet ouvrage fut écrit à Paris
semble résulter également des passages sui-
vants : a Unus vadit ad S. Dionysium in iv ho-
« ris ; claudus ibit in una die . . . Consimiliter
« pone quod in iv horis vadit quis ad S. Diony-
« sium et in iv horis vadit quis ad exitum civi-
«tatis. . . n [In III Sent., d'iit. 11, qu. i, art. i,
p. 34''. ) « Exemplum pono quod unus vadit in
0 duabus horis ad S. Dionysium. » ( Ibid., p. 36'. )
Or, le séjour d'Auriol à Paris ne semble pas
s'être prolongé au delà de iSig. — S'il était
nécessaire de prouver que le Commentaire
sur les Sentences est postérieur à 1 3 1 1 , on
pourrait y relever une allusion à un décret du
concile de Vienne [In II Sent. , dist. xvi , art. 2 ;
cf. K. Werner, Der Averroismas in d. christlich-
peripatêt. Psychologie , p. i8i).
486
PIERRE AlJRIOL, FRERE MINEUR.
« niiité du travail et par l'exercice du professorat, qu'il s'est, croyons-
« nous, rendu digne d'enseigner en la Faculté de théologie*''. » Le pape
fut obéi : Pierre Auriol, qui d'abord n'avait expliqué les Sentences que
dans le couvent des frères Mineurs, fut admis à professer dans l'Uni-
versité même; et c'est en qualité de maître et de régent en la Faculté
de théologie de Paris qu'avec trois autres religieux il prêta serment,
le i3 novembre i3i8, d'observer les statuts, de garder les secrets,
de respecter les privilèges de l'Université'^'.
Un artiste contemporain a voulu perpétuer le souvenir des succès
d'Auriol dans l'enseignement philosophique. La lettre initiale d'un
manuscrit de Sorbonne qui contient le premier livre de son
Commentaire des Sentences (deuxième rédaction) le représente
assis dans sa chaire, enseignant, la main droite levée, à un groupe
de frères Mineurs dont l'un exprime par son geste une vive admi-
ration *^'.
Cet enseignement pourtant ne se prolongea guère. Dès iSig,
si l'on en croit la Chronique des Vingt-quatre généraux'*', Auriol,
rappelé de Paris, fut nommé ministre des frères Mineurs de la pro-
vince d'Aquitaine. Il remplaçait Bertrand de La Tour, qui ne fut
cependant élevé que le 3 septembre 1 320 à l'archevêché de Salerne'*'.
Toutefois nous devons remarquer qu'une lettre pontificale postérieure,
dont il va être question plus loin'''', ne donne point à Auriol le
titre de provincial, mais se contente de lui attribuer les qualités
de prêtre (qu'il n'avait pas en 1 3 18) et de maître en théologie.
Quoi qu'il en soit, cette période de la vie d'Auriol est celle de la
composition d'un de ses ouvrages les plus fameux, le Breviarium
''' Denifle et Châtelain , Chartal Univ. Paris. ,
II, aaS; K. Eubel, BitUar. Francise anum , V,
1 54. — C'est la bulle dont C. Oudin ( De Script.
EccL, III, 85) contestait l'existence, on du
moins l'authenticité , pour des raisons très peu
solides. La même bulle, mal comprise de Wad-
ding [Ann. Min., 111, 168), lui a fait croire
<|ue Pierre Auriol, trop jeune encore pour
professer et même pour être ordonné prêtre,
avait obtenu du pape une dispense d'âge. Cf.
Stanonik, p. 337.
<"> Churtul. Univ. Paris., II, 527. Cf. Du
Boulay, IV, 183.
f Ms. lat. 15363.
i'> Citée par le P. Denifle [Chartal. Univ.
Paris.. Il, 325).
''' K. Eubcl, Hierarchia cuthoHca medii œvi,
p. 453. — Wadding (Ann. Min., III, 168,
338) fournissait à cet égard des renseigne-
ments contradictoires : en un passage, il écri-
vait que Pierre Auriol avait remplacé, comme
provincial d'Aquitaine, Bertrand de La Tour,
lors de la nomination de ce dernier à l'arche-
vêché de Salerne ; en un autre , il prétendait
qu'Auriol avait continué d'enseigner à Paris
jusqu'à sa propre nomination à l'archevêché
d'Aix. Cf. Stanonik, p. 419.
I*' Lettre du 37 février 1 33 1 .
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
487
Bibliorum, ou Compendiuin Scripturœ, qu'il a pris soin lui-même de
dater de i3 19, enindiquant qu'il écrivait ioo3 ans après l'année 3 16''*,
D'ailleurs l'étude des Livres saints ne lui faisait point perdre de vue
les recherches philosophiques : car son recueil de Quodlibeta dut
voir le jour en i32o, si l'on s'en fie à une indication fournie par
un manuscrit du temps '^'.
Vers la fin de cette même année, l'archevêché d'Aix vint à vaquer
par la promotion de Pierre des Prés à la dignité de cardinal ( 1 9 ou
20 décembre i32o). Jean XXII, dont l'attention s'était déjà fixée sur
Auriol, et à qui ce dernier, sans doute par reconnaissance, avait dédié
son Commentaire du Livre des Sentences'^', jugea qu'un religieux
dont la science jetait tant d'éclat sur l'ordre des Mineurs était digne
d'occuper un des deux sièges métropolitains de Provence. La bulle
qui nomma Auriol à l'archevêché d'Aix porte la date du 27 février
i32i; elle loue, entre autres qualités, la gravité de ses mœurs, la
pureté de sa vie, la maturité de son jugement**'. Le pape voulut sacrer
le nouveau prélat de ses propres mains. Cette cérémonie eut lieu à
Avignon, sans doute le i4 juin 1 32 1, jour de la fête de la Trinité et
date d'une nouvelle bulle par laquelle Jean XXII, après avoir certifié
le fait du sacre, autorisait Auriol à gagner son diocèse et lui donnait
sa bénédiction *•'**. Six jours après, le pape chargeait les cardinaux
Orsini, Caelani et Fieschi de lui remettre le pallium. Enfin, comme
Pierre Auriol était parvenu pauvre à l'épiscopat, et que sa promo-
tion, puis son installation devaient l'entraîner à des dépenses en
disproportion avec ses ressources, une dernière lettre, du 1 1 juillet
<'' « Sedit autem Silvester anno Domini 3 1 6 ;
qui si tollantur ab bis qui bodie A)mputantur,
rémanent mille et très » ( Compendiam Scrip-
tarœ, éd. de Paris, i585, fol. 287 v°);
passage déjà relevé par Sbaraglia (p. 584)-
C. Oudin (III, 85o) et Wadding (Script, ord.
Min., éd. de 1806, p. 188) ont fisé, par erreur,
à i345 la date de la rédaction du Compen-
diam : ils la confondaient avec celle de la
transcription du même ouvrage dans un ms.
de Tolède (cf. Stanonik, p. k'^k)-
''' Ms. lat. 1.7/185 (Jacobins de la rue Saint-
Jacques), fol. 84*: «Explicit Quo J/i6e( magistri
Pétri Aureoli , ordinls fratrum Minorum , edi-
tum et completum anno gratie m° ccc° xx°. »
''' Ce fait, rappelé par le cardinal Bocca-
fuoco dans la dédicace de son édition de Pierre
Auriol, a été vainement contesté par Casimir
Oudin (III, 857). La dédicace d'Auriol à
Jean XXII se lisait notamment dans le ms. 354
de Santa Croce, et Sbaraglia (p. 585) en a
reproduit les premiers mots.
'•' Albanés, Gallia christ, now'ss. ^ I , Instr. ,
c. 56; R. Eubel, Bullar. Francise, V, 200. —
C. Oudin (III, 85o) prétendait prouver qu'Au
riol n'avait jamais été archevêque d'Aix.
<'' Albanés, loc. cit. et p. 79; Eubel, V,
200, n. 3.
488
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
1821, l'autorisa à emprunter une somme de 1,000 florins tant en son
nom qu'au nom de l'église métropolitaine*''.
Au surplus, cet épiscopat ne dura pas une année. Malgré les diver-
gences qui apparaissent à cet égard parmi les érudits, dont plusieurs
croient devoir prolonger la vie d'Auriol jusqu'au delà de l'année 1 3 45'^\
il est certain qu'il était mort avant le 28 janvier 1822 *'\ et la date
vraisemblable de son trépas n'est autre que le 10 janvier de cette
même année, qui est indiquée par un ancien Martyrologe francis-
cain*'''. D'accord avec la plupart des historiens provençaux**', nous
n'hésitons pas à préférer cette date à celle du 27 avril, que fournit
Moréri*®' et que semblent adopter les Bollandistes, puisqu'ils men-
tionnent, à ce jour, Pierre Auriol au nombre des saints personnages
que l'Eglise n'aurait pas officiellement béatifiés.
Pierre Auriol avait dû terminer ses jours à Avignon, car il est
indiqué comme étant mort apnd Sedem apostoUcam dans la bulle,
datée du 9 juillet 1822, qui lui désigne un successeur*''. Il est donc
impossible qu'Auriol se soit rendu à une assemblée de prélats tenue,
à Paris, vers la fin de 1822, où il aurait, d'après Pitton, « haran-
« gué puissamment en faveur de l'Église Romaine contre les privilèges
« de la Gallicane » , ce qui aurait déplu à l'assemblée et aurait causé in-
directement sa mort; car, ainsi que fexplique un autre historien pro-
vençal, notre prélat, étant retourné dans son diocèse au plus vite,
« le déplaisir de s'cstre fait une si fâcheuse affaire le fit bientôt partir
« de ce monde*"' ». Auriol ne put être non plus ni ministre général de
'"' Albanés, Eubel, loc. cit.
<') GaUia christ. , 1 , 3a i ; C. Oudin , III , 867 ;
Prantl, Gesch. der Logik, III, 3 19, etc. —
L'origine de cette erreur est la confiision qu'on
a faite, comme il a été remarqué plus haut
(page 487, note 1), entre la date de la rédac-
tion et la date d'une des transcriptions du
Compendium sacrée Scriptarœ.
'*' Il est question, à cette date, dans les
écritures de la Chambre apostolique, de Rai-
mond Auriol, frère du défunt archevêque
d'Aix (Arch. du Vat., Introitas et exilas /|i,
fol. 178; cité par Denifle, Chartul. Univ. Paris.,
II, 718, et par Albanés, Gallia christ, noviss.,
I.8.).
'*' Cité par Pitton [Annales de la sainte Eglise
d'Aix, Lyon, 1668, in-A", p. »7'l), qui ren-
voie également à une Table des anniversaires
des Cordeliers d'Aix. — Nous ne partageons
pas, à cet égard, les hésitations de M. Stanonik
(p. 425).
''' Pitton, loc. cil.; P. Louvet, Abrégé de
l'histoire de Provence (Aix, 1676, in-12), II,
/(3; P.-J. de Haitze, L'épiscopat métropolitain
d'Aix (Aix, 186a, in-ia), p. 78; Albanés,
op. cil. ,1,81.
'"' Dictionnaire, VIII, loa.
''' Albanés , I , Instr. , n" a. — Le P. Denifle
(Chartul. Univ. Paris., II, 718) fait erreur en
avançant que, d'après cette bulle, Pierre
Auriol serait mort à Aix, le 10 janvier.
'') P.-J. de Haitze, loc. cit.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR. 489
l'ordre des frères Mineurs*'', ni archevêque de Narbonne'^', ni car-
dinal, ainsi qu'on l'a maintes fois prétendu ''l Cette dernière erreur,
la plus accréditée, provient de la confusion qu'on a faite entre lui et
son prédécesseur sur le siège d'Aix, Pierre des Prés.
Toute sa carrière, si l'on excepte la dernière année de sa vie, s'est
écoulée dans les maisons de frères Mineurs, soit à Paris, soit à Tou-
louse. Il a été prédicateur; il a été surtout lecteur, et il a composé sur
des sujets d'ascétisme, de théologie, de philosophie ou d'exégèse un
grand nombre d'ouvrages dont il nous reste à traiter.
SES ÉCRITS.
I. De Pàupertate et Usu paupere.
On a vu plus haut dans quelles circonstances a été composé ce
traité, que plusieurs bibliographes attribuent à Auriol'*', dont il
existait au xiv* siècle deux exemplaires dans la bililiothèque des papes
d'Avignon''*', et dont Wadding indique encore un autre exemplaire
manuscrit conservé de son temps au couvent des Franciscains de
Séez(«'.
Le De Paapertate a été édité, sous le nom d'Auriol, dans l'ouvrage
intitulé Firmamenta triuin ordinam beatissimi patris nostri Francisci
(Paris, i5ii)(^'.
Inc. : Supposito quod paupertas evangclica , quam Christus vivendo teiiuit . . .
Des. : ... cum non possit punctualiter et certitudinaliter taxare quœ domus debeat
dici pauper et quae non , qiiis cibus sit pauper, etc.
L'auteur admet que le frère Mineur, en vertu de sa règle, est tenu
<■' Pitton , /oc. cit.
<•' Cf. C. Oudin,lII,85o.
^' Ciaconius (éd. de 1677), 11, À36, etc. —
D'après Sbaraglia (p. 586), ce serait l'Univer-
sité de Louvain qui, la première, aurait, en
1470, attribué le titre de cardinal à Pierre
Auriol (d'Argentré, Collect. judic, I, 11, 271).
La même erreur se retrouve dans plusieurs des
anciennes éditions des œuvres d'Auriol , dans
l'édition vénitienne AuCompendium sacrœ Scrip-
lurœ de i5o7, tl*"i* l'édition de i5i2 du Ùc
PaaperUite et Usa paupere, dans l'édition du
Commentaire des Sentences de 1 J96 , dans l' édi-
tion du Compendium de Rouen, 1649, ''*'^-
('> Fabricius, V, 343; Sbaraglia, 586; Sta-
nonik, 493.
'■'''' F. Ehrle , Hist. hibliothecœ Romanor. ponti-
ficum, I, 476, 496.
''' Script, ord. Min., 188.
<'' Quatrième partie, ff. cxvi-c\x\. — Sba-
raglia (p. 586) cite une édition vénitienne du
même ouvrage d*; l'année i5i3.
HIST. LITTKR.
xxxni.
490 PIERRE AURIOL. FRERE MINEIR.
d'observer la pauvreté évangélique dans toute sa rigueur, telle que
l'ont pratiquée le Christ et les apôtres; mais il se pose des questions,
qu'il ne juge pas peu embarrassantes. Le religieux voué à cet extrême
degré de pauvreté est-il tenu d'observer usam pauperem, d'user pau-
vrement des choses? Et cet « usage pauvre » consiste-t-il en la vulgarité
ou en la rareté des choses dont on se sert? S'agit-il de leur qualité?
S'agit-il de leur quantité? Faut-il que les logements, les vêtements,
les livres, les aliments soient vils, ou bien qu'ils soient tout juste assez
nombreux pour suffire aux besoins d'un pauvre? Cet « usage pauvre »,
de quelque manière qu'on l'entende, est-il de l'essence de la pauvreté
évangélique, ou, au contraire, n'est-il prescrit que par une simple
règle de convenance?
Sur ce dernier point, notre auteur développe successivement le
pour et le contre. Sept arguments tendent à prouver que 1'" usage
« pauvre » rentre essentiellenientdansla pauvreté évangélique. (Cepen-
dant le précepte du Seigneur : In eadem autem domo manete edenles el
bibentes (fuœ apiid illos sant (Luc. x, 7) comporte quelque adoucisse-
ment, au moins quant à la nourriture. Le même esprit apparaît,
semble-t-il, dans la Règle de Saint-François. p]n somme, l'usage des
choses se trouve modéré, restreint par la pratique de certaines vertus
secondaires; mais la pauvreté, dont il s'agit, la pauvreté même la
plus haute, consiste essentiellement flans un renoncement complet à
toute espèce de droit et de propriété sur les choses : la restriction et
la limitation de l'usage sont seulement un accessoire de cette pau-
vreté. Pierre ne possède rien; un riche vêtement lui est prêté par l^aul
pendant trois jours : en est-il plus riche pour cela? Si abondante que
.soit une nourriture, si riche que soit une habitation, ce n'est pas dé-
roger à la pauvreté qu'en accepter provisoirement l'usage. Autrement,
ce qu'Auriol trouve absurde, il faudrait dire qu'un frère Mineur
ne peut jamais dormir dans le palais d'un roi ni manger à la table
d'un pape. A plus forte raison, user de biens mendiés ne constitue
pas une dérogation à la pauvreté, puisque celle-ci, loin d'être
atteinte, ne fait que croître par le fait de la mendicité. Le plus pauvre
des hommes peut boire dans l'or el dormir sur la soie sans cesser
d'être pauvre. Si cet usage se prolonge, il peut constituer un man-
quement à certaines vertus d'humilité, de tempérance, non pas une
dérogation à la vraie pauvreté. Le Fils de l'homme .se nourrissait daii-
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
491
ments ordinaires, était revêtu d'une robe sans couture, acceptait l'iios-
pitalité de Simon, de Marthe et de Marie : saint Jean Baptiste, pour
avoir mené une vie parfois plus austère, était-il plus pauvre que lui?
La conclusion de Pierre Auriol ressort des principes ainsi posés. Il
n'est pas homme à conseiller ni à défendre le relâchement, mais
il est d'avis de distinguer la pauvreté proprement dite, à laquelle le re-
ligieux est astreint par son vœu, de l'austérité, de l'humilité, qui sont
seulement vertus à lui recommandées. Quant aux « usages pauvres »,
le vœu d'obéissance oblige le frère Mineur à observer ceux que prescrit
la Règle de Saint-François; car maints passages de cette règle de-
vraient être considérés peut-être comme des préceptes à cet égard,
bien que le soin d'en décider appartienne au souverain pontife.
Clément V ne répondit-il pas en quelque sorte à cette dernière invite,
quand il définit de la sorte les obligations du frère Mineur dans sa
constitution ExivideParadiso : « Nous déclarons que les frères Mineurs,
« en vertu de leur règle , sont spécialement astreints aux usages pauvres
« que cette règle indique, et dans la mesure où elle l'indique. . . Quant
« à taxer d'hérésie le fait d'afïirmer ou de nier que l'usage pauvre soit
«compris dans le vœu évangélique, nous jugeons cette prétention
« présomptueuse et téméraire » ?
Dans ce traité, le premier qu'ait écrit sans doute Auriol, le philo
sophe se révèle à peine par quelques citations d'Aristote, mais le reli-
gieux se montre déjà plein de modération et de déférence envers le
Saint-Siège.
11. De Conceptione beatm Mari/e Virginis.
De nombreux exemplaires manuscrits de cet ouvrage se conservent
dans les bibliothèques de Chartres''', d'Arras''^', de Douai '^', d'Erfurt'*',
'■' Ms. 428,fT. 156-167 (xi v° s.), sous le titre:
Sermo de Conceptione Virginis.
'*' Ms. 876 (1439; abbaye du Mont-Saint-
Eloi). La fin manque. On y lit cette note :
« Queni[ tracta tum] compila vit denuo quidam
« alterfrater Matui-inus Clementis, ordinis Car-
«melitani, tempore quo fuit lector Sententia-
« rum conventus Metensis. • 11 s'agit là de Ma-
thurin Clément , autrement dit Courtois , célèbre
Carme de Bourges , qui fut , en 1 45 1 , doyen de
la Faculté de théologie de l'Université de Pa-
ris. La liibliotheca Carmelitana (II, 42 1) lui at-
tribue, en effet, un De Conceptione B. Virginis
Maria, ouvrage resté manuscrit, qui ne serait,
d après cette note , qu'un remaniement de
l'œuvre de Pierre Auriol.
<') Ms. 5i8, ff. 33et suiv. (xv's.).
<*' Ms. in^" i3i (xiv's.).
63.
\
492
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
(le Munich''', de Cracovie '"^', de Saint-Floiian près de Linz'^', de
Rome, de Naples'"' et du couvent de Saint-François à Assise'^*. La plu-
part remontent au xiv" siècle; presque tous portent le nom d'Auriol,
et (juelques-uns rappellent que cet ouvrage a été composé, ainsi que
nous l'avons dit plus haut, à Toulouse, en i3i4, sans doute dans les
derniers jours de l'année ou dans les premiers mois de i .'i 1 5 (i 3 1 4,
vieux style), car les incidents à l'occasion desquels il lut écrit se
produisirent, on s'en souvient, les 8, i5 et 20 décembre i3i4-
11 existe de ce traité deux ou trois éditions incunables'^', et nous
en connaissons quatre éditions ou réimpressions faites, au xyii' siècle,
par Pierre d'Alva y Astorga'"' et par Théodore Moretus**'. Plusieurs des
éditeurs assignent à la composition du De Conceptione la date Jau-
tive de 1 338, par suite d'une confusion qui sera expliquée bientôt.
Inc. : Nondum erant abyssi, et ego jam concepta eram (Puov, vin). De Con-
ceptione immaculatîL' \ irginis traclaturi. .
Des. : . . . (pioniam sola ipsa caput lidei et cathoiicœ veritatis a Christo conslituta
est, qui cum Pâtre et Spiritu Sancto vivit et régnât. Amen.
Cet ouvrage, que saint Bernardin de Sienne qualifie de « grand et
« beau traité » *^', est divisé en six chapitres. Dans le premier, l'auteur rap-
porte les textes de l'Écriture ou des Pères qui paraissent défavorables
à la thèse de la Conception immaculée; il y joint un certain nombre
d'arguments qui tendraient aussi à infirmer cette thèse. Dans le
second chapitre, il explique ce qu'il entend par la conception, par
le péché originel et la souillure qui en résulte. Dans le troisième, il dé-
'■' Mss. lat. iSo-J, ir. 60 et suiv. (xv* s.), et
691 (i48o).
<'> Ms. 1600, ff. 1 55-1 63 (xiVs.).
Cl Ms. i38, ff. 1 et suiv. (xiv* s.).
'*' Indirations fournies par le R. P. Ehrie.
— Le nis. de Uome se trouve dans la bibl.
Victor-Ejninanuol .
'*' Ms. 193 (xiv* s.; complété par une main
moderne). — Il existait deux exemplaires de
cet ouvrage, n la lin du xiv' siècle, dans la
bibliothèque des papes d'Avignon (Khrle,
Ilist. bibl. Ronianor. pontificain, I, 34i, ^76,
5o4).
<"' Celle qui est conservée à la Bibliothèque
nationale (liés., D 6365; Pellechel, n° 161 4)
ne porte indication ni de lieu ni do date; elle
est attribuée à Pierre Schœffer, de Mayence.
''' Bibliotheca virginea (Madrid, 1648), ou-
vrage inconnu d'Antonio {Bibl. hitp. nova, II,
168), mais cité par Sbaraglia (p. 585); Monu-
menla antiqua seraphica pro immacalata Con-
ceptione, p. 1 5-/i4.
'"' Principatus incomparabilis primijilii homi-
nii Mcssiœ el priime parcntis matris ViVf/ini.5( Co-
logne, 1671, in-fol.), Append., p. i-l6; ou-
vrage réimprimé, sous un titre quel([ue peu
différent, en 1695 (Musée britann., i'irtb 1 a).
'•' Il en avait trouvé un exemplaire à I\i-
mini {De Conceptione; éd. P. d'Alva, Monum.
iinliq. serapli., p. 7).
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
493
montre que Dieu a pu, en vertu de sa puissance, préserver la Vierge
de cette souillure. 11 énumère, dans le quatrième, les motifs de rai-
son et de haute convenance qui ont pu déterminer dans ce sens la
volonté divine. Il prouve, dans le cinquième, qu'on peut, sans risque
pour la foi, croire que Dieu a effectivement préservé la Vierge de la
tache originelle. Enfin il montre, dans le sixième, que le langage des
saints ne contredit point cette thèse.
Saint Anselme, Richard de Saint-Victor, Alexandre de Halès et
Robert de Lincoln lui fournissent, cette fois, des textes favorables
à la Conception immaculée. Certains Pères de l'Eglise ont opiné
en sens contraire : mais c'est qu'ils n'entendaient pas de même ma-
nière les termes de « conception » et de « péché originel ».
D'ailleurs, il appartient au pape, aux cardinaux et à fEglise ro-
maine de reprendre les erreurs notoires en matière de foi. Or il est
clair que, depuis longtemps, Rome sait à quoi s'en tenir au sujet de
la façon dont se célèbre la fête de la Conception en Angleterre, en
Normandie, à Lyon'", dans l'Université de Paris. Beaucoup d'églises,
même soumises directement au pape, s'associent à cette célébration.
De nombreux et illustres docteurs ont prêché, et prêchent chaque
année, tant à Paris qu'en Angleterre, que la Vierge n'a pas encouru,
par suite de la faute originelle, la haine ni la colère de Dieu. Quel-
ques-uns l'ont même enseigné dans des écrits connus : Pierre Auriol
nomme ici Guillaume Warron, maître de Duns Scot*"^', et Duns Scot
lui-même. Il fait remarquer aussi que toutes les églises françaises ou
anglaises qui fêtent la Conception emploient, dans leurs offices, dos
termes qui seraient intolérables si la Vierge n'avait pas été réellement
préservée de la tache originelle, et les renseignements que Pierre
Auriol fournit à cet égard peuvent intéresser les historiens de la
liturgie; on voit, par exemple, qu'il faut faire remonter au moins jus-
qu'au commencement du xiv" siècle l'usage de chanter l'invitatoire :
''' Lyon n'est pas noiiunc dans 1p De Coiicep-
tione d'Auriol, mais il l'est dans un passage
du Commentaire sur les Sentences relatif au
même sujet : .« Item , licet non i'aciat Ecciesia
« Romana , tamen permittit , ut apparet in eccle-
« siis solemnibusetcathedralibus,ut I^udguni et
«in Anglia et in multis aliis locis. . . t {In III
Sent. , dist. m , <ju, i , art. .S ; éd. de l\onie ,
p. 384'.)
'*' Le Doctor fundatus est surtout coimu par
les citations de Duns Scot (cf. Il Ut. lut. de la
Fr. , XXV, 4o8-/io9). Cependant saint Bernar-
din de Sienne, au xv' siècle, le nomme égale-
ment parmi les auteurs qui ont plaide pour
l'Immaculée Conception : « Elucidât hanc con-
« ceptionem sex viis, respondendo ad argumenta
« opposita. » (De Conceptionc. éd. P d'Alva,
Monam. antiq. serapli., p. 6.)
494 PIERRE AURIOL, FRÈRE MINEUR.
(tordis ac vocisjubiio
Panganms laudes Domino,
Cujus matris conceptio
Mundum porfudit gaudio"'. . .
OU les hymnes :
Celebris dies colitur
In ([ua Virgo concipitur '^' . . .
Conceptus hodiernus Maria; Virginis
Venenum tersit,
Nexum solvit
Vetustae originis *^' . . .
et enfin de réciter des oraisons telles que celle-ci : Da nobis, auœsu-
mns, conceptioms ejns solemnia venerari. . . conceptumque pie solemni-
sare Mariœ. . . Si ces usages, poursuit Auriol, sont mauvais, si cet
enseignement est faux, le Saint-Siège, en ne les combattant pas, s'y
associe et tombe lui-même dans l'eiTcur. Donc, qui déclare la thèse
de l'Immaculée Conception erronée ou dangereuse au point de vue de
la foi, porte par là même contre Rome l'accusation d'erreur. Or,
l'Eglise romaine ne saurait se tromper. Au seul souverain pontife ap-
partient de définir ce qui est douteux en matière de foi et ce ([ui fait
l'objet de discussions dans l'Ecole*''' : privilège si exclusivement propre
au pape que quiconque tenterait de le lui ravir tomberait par cela
même dans une hérésie formelle. On ne saurait affirmer plus nette-
ment que ne le fait Auriol, dans ce passage, l'infaillibilité pontificale.
Il ne laisse pas de garder une prudente mesure. Sa conclusion est
qu'aucune des deux thèses relatives à la conception de la Vierge n'est
article de foi : « Nul ne connaît la pensée du Seigneur; nul n'a été ad-
« mis à ses conseils, et ses jugements sont souvent un abime. . . Il en
« résulte qu'on peut tenir le pour et le contre, au gré de sa dévotion,
« tant que l'Eglise romaine ne se sera point prononcée catégorique-
« ment. «
'"' Dalinghem , Pamasjus jl/anana« ( Douai , ■'' Ici Auriol s'appuie sur une décrctale d'In-
i6a4, in-ia), p. la, 3a. nocent III (Décrétai, III, xt.ii, 3) : i Majores
'"' Ibid.,p. i5. « Ecclesiae causas, praesertim arliculos fidei ron-
''* C'est , sauf quelques variantes , la pièce ca- « tingentes , ad Pétri sedem referendas intelligit
taloguée par M. le chanoine Ulysse Chevalier « qui eum quaerenti Domino qiiem discipuii di-
sons le n° 3706 {Repertoriam liymnologicain , « cerent ipsum esse respondisse notabat : Tu e»
I, aaa). «Christus. ■
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
495
III. Repercussorium.
Barthélemi Albizzi range au nombre des ouvrages (le Pierre Auriol
deux traités spécialement consacrés à la conception de la Vierge*''. Le
])remier est le De Conceptione , dont il vient d'èti-e question; l'autre est
le Repercussorium, qui se lit à la suite du De Conceptione , et sous le nom
d'Auriol,dans deux manuscrits du xiv" siècle conservés l'un à Erfurt '^',
l'autre dans la bibliothèque capitulaire de Saint-Florian près de
L
inz
(3)
Inc. : Justilicationem nieam, quain cœpi tenere, non fleseram (Job 2 7 ). Justiiica-
tionem inviolatae Virginis, quam dudum, auxiliante Domino, suscepimus defenden-
dam, ne vanis latralibus ([uoruiudam mordacium obnubiiari contingat, praxedenti
tractatui de Conceptione ejusdem Virginis hune pra'sentem decrevinius sul)necten-
dum . . .
Des. : . . . neque enim reprehendit nu» cor nieum.
On a cependant contesté, et l'on conteste encore l'attribution de cet
ouvrage à Auriol: Quétif et Echard l'ont combattue'''*; M. Stanonik
reste dans le doute *^'. Le malheur est que la plupart des auteurs par-
lent de ce traité sans l'avoir lu; il a pourtant été imprimé quatre ou
cinq fois, au xv' et au xvir siècle*^', mais les éditions en sont rares :
M. Stanonik lui-même se sert de notes anciennement prises sur l'une
des éditions de Pierre d'Alva y Astorga qu'il n'avait plus sous les
'"' « Compendium sacrae Scripturae edidit et
« postillas ac tractatus , et specialiter de Virginis
« conceptione duos edidit. » (Life, coiiformit. , éd.
de Milan, i5io, fruct. vin, part, i.)
'*' Ms. in-4° i3i, (T. io4-ii4, Repercusso-
rium editum contra adrersarium innocenlùe ntatris
[ûei], compositam per fr. l'etrum Aurcoli, de
ordine Minoriim. anno et loco supradictis.
'' Ms. i38. Le catalogue d'A. Czerny (Die
Handschriften der Stiftsbibliothek Saint- Florin u ,
Fjinz, 1871, in-8°, p. 6.')) confond les deux ou-
vrages en un; mais l'explicit qu'il reproduit
prouve que le Repercussorium se trouve joint ,
dans cet exemplaire , au De Conceptione : « Kx-
• plicit Repercussorium Pétri Aureoli de Concep-
« tione. » — Le Repercussorium se trouvait éga-
lement sous le nom de Pierre Auriol , avec le
De Panpertate et le De Conceptione du même
auteur, dans un manuscrit conservé, en iSjS ,
dans la bibliothèque des papes d'Avignon
(Ehrle, Hist. bibl. Romanor. pontijicnm, 1 , /lyô).
'*' Script, ord. l'rted. , I, Ggô.
<') P. 488 j 489.
'*' Toujours à la suite du De Conceptione :
1° à Leipzig, en 1489 (d'après Pierre d'Alva,
Sol veritatis, c. i3oi); 2° à Madrid, en i648,
dans la Bibliotbeca Virginea de Pierre d'Alva
(d'après Sbaraglia, p. 585); 3° à Louvain, en
1 665 , dans les Monumenta antiqua seraphica du
même auteur, p. 44-68 ; 4° à Cologne , en 1 67 1 ,
dans l'ouvrage de Th. Moretus intitulé Princi-
pattts incomparabilisprimijîliihominis Messiœ. . . ,
App., p. 17-47 (nous avons pu consulter ces
deux dernières éditions à la bibliothèque du
Séminaire de Saint-Sulpice ) ; 5" dans la ré-
impression du même ouvrage faite, en 1695,
sous le titre Principatus . . . Jesu et virginis
Mariœ.
496
PIERRE ALRIOI>, FRERE MINEUR.
yeux au moment où il écrivait sou mémoire ''l On en a donc été réduit
à attacher beaucoup d'importance à une phrase échappée à Pierre
d'Alva dans un autre de ses ouvrages'"'^' : l'éditeur du Repercassoriutn,
qui aurait dû pourtant bien connaître le traité qu'il imprima deux fois,
prétend, dans ses Racla soUs, qu'Auriol y repousse les attaques du
frère Prêcheur Guillaume de Gannat, auteur d'un De vera innocentia
matris Dei^^K II va plus loin : il soutient qu'Auriol, dans le Repercusso-
riiirn, fait allusion à quarante témoignages de saints invoqués par Guil-
laume de Gannat. Sur quoi nos auteurs déclarent que le contradic-
teur réfuté dans le Repercussorium est bien le frère Prêcheur Guillaume
de Gannat, comme le disait Pierre d'Alva : ils n'ont pas iu, à vrai dire,
le traité de Guillaume de Gannat, pas plus que îe Repercussorium;
mais ils savent, par un ouvrage de Jean Capreolus, que Guillaume de
Gannat, adversaire de l'Immaculée Conception, a, elléclivement, allégué
en faveur de sa thèse une quarantaine de témoignages '''l II ne leur en
faut pas plus pour conclure que le Repercussorium a été faussement
attribué à Auriol, vu qu'on sait, d'autre part, que Guillaume de
Gannat vivait beaucoup plus tard, vers la fin du xiv" siècle '^l
Ge raisonnement ne résiste pas à l'examen des textes. D'abord les
quarante témoignages allégués par Gannat ne sont pas, sauf excep-
tions, des témoignages de saints. Ensuite la phrase du Repercusso-
rium où il est question de quarante textes empruntés à des saints '''' n'est
(') Voir p. 488, n. i.
'*' Radii so/is zeli seraphici cœli veritalis pro
linmaculata- Coiiceplionis myslerio Virginis Mti-
riœ (Louvain, 1666, in-fol.), c. loSy. 11 existe
un exemplaire de cet ouvrage au Séminaire de
Saint-Sulpice. Le même ouvrage parait avoir été
publié , à Madrid , la même année , sous un titre
différent : Sol veritatis cum ventilahro seraphico
pro candida aarora Maria in siio conceptionis orlu
sancta (Musée brit. , 101 Q e li).
'^' Il a été trompé sans doute par le titre que
le Repercussorium portait dans certains manu-
scrits : Repercussorium edilum contra mlversa-
rinm innocentie mutrit Dei.
'*' « Hanc conclusionem tenent et tenuerunt
oOrigenes, Ysidoi-us, Bernardus, Anselmus,
« Hugo de S. Victore , Magister Sententiarum ,
« Remigius, Alcuinus, Cassiodorus, Cassianus,
« P. Ravennas, Gratianus, Halanus, Alexander
«Nequam, Innocentius papa, Joannes Beieth,
«Mauritiiis episcopus Parisiensis, ,\ltissiodo-
«rensis, Raimundus de Pennaforti, Alexander
"de Halls. Albertus, Petrus de Tharentasia
« papa, Petrus de Palude, Durandus, Herveus,
«Joannes de Neapoli, Jacobus de Voragine,
« Nicolaus Traveth , Egidius de Ronia , Gregorius
«de Ainmiiio, Bonaventura, Roberfus de Tor-
« naco , Nicolaus de Lira , Adam Goflam , Hen
« ricusde Gandavo, (iodofredus, Joannes de Po-
«liacu, Richardus de Mediavilla et mtdti alii
« quorum dicta récitât frater Guillelmus de Can-
« naco in tractatu quein super bac inateria e<li-
«dit, et intitulatur De vera innocentia matris
« Dei. » ( Defensiones théologie sancti Doctoris, Ve-
nise, i484, in-fol., In III Sent., dist. m,
art. I.)
« Script, ord. Prmd.. 1, 698, 6ç)4.
'"' «Preeterea in eodeui libello adducnntur
« XI. auctoritates quas ipse compositor invenit in
«dirtis sanctorum; possunt auteni plures quam
PIERRK AURJOL, FRERE MINEUR.
497
pas d'Auriol, mais de son contradicteur; si Auriol la reproduit, c'est
seulement pour y répondre; les quarante citations dont il s'agit avaient
été faites par Auriol lui-même dans son premier ouvrage, le De Con-
ceptione'^^K II est presque inutile d'ajouter que Guillaume de Gannat n'est
ni nommé ni visé dans aucune partie du Repercussorium. Cet ouvrage,
bien antérieur à Guillaume de Gannat'"''^, est incontestablement du
mêmeauteurque \e De Conceptione : il sulïlt, pour s'en rendre compte,
de le lire avec quelque attention. L'auteur reproduit, en effet, les cri-
tiques de son adversaire, et l'on reconnaît sans peine que chacune
de ces critiques s'applique parfaitement au De Conceptione. Un seul
exemple le prouvera. Nous mettons en regard le passage d'Auriol tiré
du chapitre v (S 170) de son De Conceptione et l'appréciation de ce
passage par son contradicteur, telle qu'elle est reproduite dans le Re-
percussoruim
(3)
DE CONCEPTIONE.
Esto quod dicta sanctoruin confir-
niata sint per Concilia, nihilominus om-
nia dicta sanctoruin non sunt tenenda
pro fide aut pi"aedicatione Ecclesiae ortho-
doxa,', tuni quia contradictoria oporteret
teneri pro fide . . . , tum etiam quia multa
absurda Ecclesia confuniassct qua; hodie
non docent doctores . . . Ad hoc ergo in
sacris Conciliis dicta sanctorum per Ec-
clesiam sunt recepta ut , ad differtntiani
apocrypboruni et ha'reticonim lii)iorum ,
in Exclesia a catholicis secure legantur.
HEPERCVSSORIVM.
Ineptum videtur, quod continetui' in
prœdicto tractatu, dicta sanctorum non
fuisse confirmata ad hune finem quod
omnia sint vera et determinatio fidei 01-
thodoxa;, sed ad hoc tantum ut in Eccle-
sia secure iegi possint, ad differentiam
haereticorum et apocryphorum scrip-
torum. Hoc quidem dicitur ineptuui,
quoniam Ecclesia nihil approbat nisi
verum.
La question d'authenticité étant ainsi élucidée, il resterait à fixer la
date de cet ouvrage : si l'on s'en fie à l'indication chronologique
fournie par certains manuscrits'*', le Repercussorium a été composé, à
« illœ XL ad idem proposituin reperiri , quas ipse
«nec po&uit, nec invenit : ergo inepte et insuf-
« ficienter se habuit in allegando. » (Ed. P.
d'Alva, Monum. antiq. seraph., p. 63).
''' Voir surtout le chap. iv.
''' C'est ici le lieu de rappeler le passage,
cité plus haut , où l'auteur atteste qu'il se trou-
vait à Paris à l'époque où fut nùse en avant la
thèse de la «panéité».
HISr. MTTKB.
!•) Ed. P. d'Alva, p. 63.
'*' Voir ci-dessus, p. 41)5, n. u , la note re-
produite d'après le ms. d'Erfurt. Une indica-
tion semblable devait figurer dans les mss. uti-
lisés par Pierre d'Alva, qui imprime (p. 44) :
«Incipit Repercastoriam editum contra adversa-
rium innocentiœ niatris Dei, compositum per
fr. Petrum Aureoli, de ordiiie l'ratruin Mino-
ruin , anno Doniini m ccc xi v. »
63
498 PIERM: AURiOL, KRKRK MINEUR.
Toulouse, la même année que le De Conceptione , c'est-à-dire en 1 3 14,
ou plutôt dans les premier mois de 1 3 1 5 ( 1 3 1 /i , vieux style). Effecti-
vement, Pierre Aurioi, quand il fait allusion, dans le second de ces
traités, à la composition du premier, se sert, à deux reprises, de l'ex-
pression dudum'^^^ : il semble se reporter à une époque peu éloignée.
Il Ainsi il demeure établi qu'un contradicteur maussade et peu poli,
dont le nom reste inconnu, traita d'absurde, ineptum, le traité De Con-
ceptione qu'avait publié Pierre Aurioi à la suite de la controverse sou-
levée à Toulouse au mois de décembre i3i/l. Il critiqua les distiftc-
tions faites par notre frère Mineur entre les diverses manières de
contracter, de droit ou de fait, le péché originel. Il lui reprocha
de discuter les paroles des saints. Il prétendit que Pierre Aurioi em-
pruntait au Bréviaire des textes dépourvus de toute autorité. Il le reprit
sur sa façon de comprendre saint Augustin, d'interpréter saint An-
selme. Il soutint que notre auteur n'avait point sous les yeux les traités
complets d'où étaient extraits les textes qu'il avait cités. Et à chacun
de ces reproches il joignait, comme un refrain, la même épilhète
désobligeante : ineptum.
Aurioi, ainsi que l'indique le titre de sa réplique, crut ne pouvoir
repousser cette attaque discourtoise qu'en frappant à son tour : Reper-
cnssoriuml II réfuta chacun des reproches qui lui étaient faits et ren-
voya à son censeur l'épithète d'ineptus, en y joignant les qualifications
de présomptueux et de grossier personnage'^'.
Toutefois, la polémique ne rempht que la moindre partie du
traité'^*. Le reste consiste en éclaircissements théologiques ou phy-
siologiques sur l'appétit sensuel, la fécondation, la matière et la
forme du péché originel, etc., tous sujets délicats, abordés vine
première fois dans le chapitre ii du De Conceptione , repris ici avec
flus d'ampleur et développés dans un style plus philosophique :
auteur invoque fréquemment l'autorité a Aristote, deux fois celle
d'Averroès.
'■' Voir l'incipit reproduit plus haut. On lit (p. /|88, n. i) a tort de s'étonner de ces vi-
aussi, p. 6'À : «Tractatus iste de (lonceptione in- vacitéi.
vioktœ Virginb, ipsius adjutorio dudam con- ''^' Aurioi partage lui-même »on traite, au
fectus...» I (. ■ iii|) ,1.;'/ '.1 I. ;'! début, en dou7^ chapitres ou «conclusions».
<*' •Tractatus iste. . . inte^er remanet, ner En fait, les cinq dernières sont réunies en une,
ineptus, non obstanfe injurialitate et ineplitn- qui porte le numéro 8. C'est seulement dans ce
dine imponentis» (p. 6^). « Salva praesunip- huitième chapitre qu'il répond à son contra-
tione dicentis...» (p. 64). — M. Stanonik dicleur.
PIKRRE AIRIOL, FRÈRE MINEUR. 499
Ses conclusions demeurent toujours marquées au coin de la pru-
dence. Bien qu'il paraisse plus décent et plus conforme à là piété
d'admettre que la Vierge n'ait jamais encouru la colère divine, la
question reste douteuse; l'affirmer ou la nier hardiment serait témé-
raire : le problème ne saurait être résolu que par une décision du
Saint-Siège. Jusque-là Pierre Âuriol continue à plaider la cause de
la Vierge"*. '^''^ ■
En effet, on le retrouve préocupé du même pfoblème et animé du
même esprit à l'époque où il composa un (Commentaire sur les Sen-
tences dont il va être question bientôt. Dans la première rédaction
de ce Commentaire, il recherche si la Vierge a été conçue dans le
péché originel, et, au cas où l'on répondrait par l'affirmative, si elle a
pu être sanctifiée au moment même de sa conception; il rappelle, une
fois déplus, les usages suivis dans un grand nombre d'églises, les
termes employés dans les oraisons et les antiennes ; il conclut qu'une
telle fête peut être célébrée *"■''. C'est ce qu'il répète, en d'autres termes,
dans sa seconde rédaction du même Commentaire'^': il y traite de la
«sanctification» active et passive de la Vierge'''' et s'y prononce d'au-
tant plus volontiers en faveur de la thèse de l'Immaculée Concep-
tion'** qu'il est disposé à accueillir la légende, d'origine anglaise <'*',
suivant laquelle' saint Bernard serait, après sa mort, apparu portant
une tache sur la poitrine en punition du langage malséant qu'il avait
tenu, de son vivant, au sujet de la conception de la Vierge '''.
slOl'wDonec haque sacrosancta Koinana Ec- ' ' Pierre d'Alva , dans ses Monamenta antiqua se-
clesia sic expresse determinaverit , sicut ista raphica {p. 68-76), et par Th. Moretus, dans
expressa sunt, quid de conceptione aut sancti- son Principatas (p. 55 et suiv.).
ficalione immaculatae Virginis tenendum , jus- ^ ^^' Art. ? , p. 38o' ; art. 3 , p. 38 1 '. Cf. art. 6,7.
tificationem ejusdem ' Virginis, quam cœpi ^^ « Non scio absolute quis illorum inodoruin
tenere , non deseram » ( p. 68 ). sit de facto : teneo tamen pie quod non con-
<'' «Fit festuiii de Conceptione ejus in mui- traxit originale peccatum» (art. 4, p. SSa"").
tis ecclesiis . . . Nec potest dici quod festum ''' Cette légende parait remonter à la fin du
fiât de sanctificatione , quia, in oratione et in \ii' siècle , quoique Henri de Langenstein, qui
legendaquae tune legitur in antiphonis.dicitur a pris la peine de la réfuter {Contra discepta-
expresse conceptio. . . » (lib. 111, qu. 12, i3; tiones et contrarias predicationesfratram Mendi-
ms. a43 de Toulouse, fol. 12 v° et i3). cantium saper conceptione B. M. Virginis et con-
'^' Il y suggère cette idée que, même au cas tra maculam S. Bemhardo mendaciter impasitain.
où la Vierge aurait été conçue dans le pèclié, Strasbourg, i5i6), regarde comme l'inventeur
la fête pourrait être célébrée «per respectum delà fable «un certain Anglais du nom de VVar-
infusionis vel unionis animae ad corpus » [In III ron » , sans doute le maître de Duns Scot ( I lart-
Sent., dist. m, qu. 1, art. 5, p. 383'"). Toute wig, Leben nnd Schriften Heinrichs von Langen-
cette distinction m a été réimprimée, à la suite stein, Marbourg, i858, in-8°, I, 78).
du De Conceptione et du Repercassoi-iam , par ''' «Bemardus autem dicitur illam opinio-
63.
500
PIKRRK AUHIOI., FRKKK MINKLR.
_,iPar contre, nous ne voyons aucune raison d'attribuer, comme on
l'a fait^'^, à Pierre Auriol une Explanatio epistolœ S. Bernfirdi ad cano-
nicos Lucjdanemes , où est réfutée l'objection qu'on tirait de la lettre de
saint Bernard contre la thèse de l'Immaculée Conception ^^'. V Expla-
natio, il est vrai, est jointe au De Conceptione d'Auriol dans l'édition
incunable de Mayence ; mais elle y est imprimée sous le nom de Pierre
de Verberie'^', et elle y porte une date relativement récente: iSSB^**^.
Si, trompé par ce rapprochement, Pierre d'Alva a cru devoir attribuer
les deux ouvrages à un même auteur qu'il afifuble d'un nom compo-
site où se trouve amalgamé le nom du rehgieux du Val-des-Ecoliers
avec celui du frère Mineur [Petrus Aureoli de Verberia) '*', ce n'est pas
une raison pour faire honneur à Pierre Auriol d'une œuvre posté-
rieure de seize ans à sa mort. L'erreur, d'ailleurs, s'est propagée; la
confusion persiste dans maint ouvrage, comme on l'a fait déjà remar-
quer *®^ et c'est aussi par suite de la même méprise qu'on a daté de
i338 le De Conceptione d'Auriol'''.
IV. COMMENTARIl IN QUATUOR LIBROS SeNTENTIARUM.
"' ' Nous avons dit qu'il y avait eu deux rédactions de ce Commentaire,
datées, la première de iSiy, la seconde de i3i8 ou,^u plus tard, de
iSig. Ces deux rédactions, à vrai dire, ont des parties communes, ^
fin du livre 111 et tout le livre IV.
Les livres 1 et II de la première rédaction ne nous sont point par-
venus. Le ms. 2-43 de Toulouse (fol. lid'') en contient seulement la
table des chapitres :
Isti sunt tituli quîKstionum super Reportationcs ^'*' prinii libri.
nem rétractasse saltem mortuus, unde «licitur
quod apparuit cuidam monacho post mortem
cuiu macula in pectore propter illa quae dlxcrat
de conceptione Virginis ffloriosœ» (art. i,
p. 379').
'') Sbaraglia, p. 586.
'*' 11 va (le soi que Pierre Auriol s'est pré-
occupé aussi de cette objection : il la réfute,
mais en termes différents , dans les chap. iv
et VI du /)» Conceptione.
<■''' « Deciaratio scntentie B. Bernardi de hac
re Pétri de Verberia. » — Le ms. io49 ''^
Troyes ne contient {Mts, comme le dit par
erreur M. Slanonik (p. 3i(), n. a), celte Ex-
planatio sous le nom de Pierre de Verberie.
''' • Ista scripsit et coinpilavit fr. Petrus de
Verbena anno mcci;xxxviii. •
''' Monum. antiq. seraph. , p. 79.
'•' (;i-(lessus, p. Mio.
''' Cf. ci-dessus, p. Aga.
'*' Nous avons déjà signalé (p. àSb) les ex-
pressions : de report ationefr. Pétri Aureoli , lec-
tara sub mag. Petro Aureoli reportata. Ln de
nos prédécesseurs, qui avait rencontré une
expression analogue dans le catalogue des ou-
vrages de DunsScot, estimait qu'il s'agissait de
PfKRRE Al R10I>, FRERE MINEUR. 501
Utium natura divina in se ex sui propria ratione habcat determinatam certitu-
dinem secundum quampatitur scientificam pcrsci^utationem.
Utrum in habitu theologiœ per studium acquisito articuli fidei sint principia.
Utrum habitus theologicus per studium et naturale ingenium acquisitus sit vera-
sapientiaR, etc.
Isti sunt tituli quîestionum super Repoilatione secundi.
Utrum tempori praeterito , secundum lormaleni rationem suam qua prœteritum
est, répugnât sibi contradictorie ratio infiniti. ^
Utrum secundum opinionem Aristotelis mundus de facto sit productus ab
aetemo , etc. "'.
Au contraire, le livre III de cette première rédaction subsiste dans
le ms. latin 17484 de la Bibliothèque nationale'^'. Il subsiste égale-
ment, ainsi que le livre IV, dans le ms. 243 de Toulouse, déjà cité^^',
et dans le manuscrit xxxii, sinistr. 12, de la bibliothèque Lauren-
tienneC'fp. 1-94). "" "^ '■'1"^'!'"-'
Inc. : Quasi, si sit rota in medio rota; (E/.ech. 1°). Tertii iibri Sententiarum ma-
teria tripiici rotœ comparari posse videtur. . .
Utrum natura individua de génère substantia> possit cadere a proprio. . . suppo-
sito per divinam potentiam . . .
Utrum unio hypostatica natur» ad suppositum sit relatio média. . .
Utrum persona divina possit esse formaliter terminus hypostaticic unionis. . .
Expliciunt très quaestiones ordinarie composit*. Quod sequitur est reportatuni.
Incipit liber tertius.
Utrum possibile fuerit Verbum incarnari . . . '".
A partir de la 47*^ question, autrement dit, de la 4" question de la
notes recueillies par un auditeur de la bouche partie effacée, porte : « Magister [Petrus] de
du maître (Hist. litt. de la J''r., X\V, 4i »; cf. ordine Minoruni, scriptus Barchinone. »
p. 442). Gtant l'ouvrage de Pierre Aurioi, ''' Fol. i' : «Incipit Scriptum supra tercium
Barthélenii Albizzi se sert de la même exprès- Sententiai-um, editum a magistro fratre Petro
sion : « Quod meritura (^hristi sit inlinitum. . ., Aureoli, ordinis fratrum Minorum.» Fol. 4o° :
hoc tenet niag. Petrus Aureoli in Repertione « pjxpliciunt questiones supi-a libruni tercium
(/we3; Reportatione) sua, 111, disi. i3, qu. a.» Sentenciarum édite a magistro (Vatre Petro
(Lib. Conform., xxxii, i, fol. 3i3 r".) Il est à Aureoli, ordinis fratrum Minorum. i C'est un
remaixjuer endn qu'un manuscrit entré dans la ms. soigné, pourvu de lettres ornées; une note
bibliothèque des papes d'Avignon avant i36g presque effacée (fol. 127'') indique qu'il fut
contenait les Reportationes magistri Peiri A a- terminé le mardi après la Saint-Mathias
rioU (Ehrle, Hist. bibl. Romanor. pontijlcum, (aSfévr.) i3a3 (v. st.).
1< 319, 4966. <*) Ancien n° 36 1 de Santa Croce. xrv* s.
H' '"> La table dont nous donnons le début se '*' Les mêmes questions sont quelquefois
poursuit jusqu'au 108* chapitre traitées dans les deux rédactions, mais elles le
''' XIV* siècle. Vers la lin, une note, en sont en termes différents.
502
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
distinction xxiii (art. 3) ^*^, le texte de la première rédaction se con-
fond avec celui de la seconde.
Passons à cette seconde rédaction.
Le livre I" est conservé dans le beau ms. de Sorbonne qui porte
aujourd'hui le n" i5363 du fonds latin de la Bibliothèque nationale
(fol. 9-399)*"^', dans le ms. 2 d'Auch (fol. 1-376), dans le ms. lo^g
de Troyes, provenant de Clairvaux (fol. 19-483), dans le ms. 72 de
Vendôme ''^ dans le ms. 362/i de Bruxelles (fol. 1-537) , dans les deux
mss. Vat. lat. 9^0 et 9^1 de la bibliothèque du Vatican W, et dans le
ms. VII i33 de Saint-Antoine de Padoue'**.
Incipit Prologus : Expandit libmui coram me quiscriptus erat intus et foris. Liber
scriptura; canonicir qui per Proplietam dictus est involutus ratione sua* difficul-
tatis. . .
Le livre II nous est fourni par le ms. de Sorbonne qui porte aujourr
d'hui le n'' 15867 du fonds latin (^' (fol. i-i4o), par le ms. 3624 de
Bruxelles, par le ms. Vat. lat. 942 de la bibliothèque Vaticane et par
le ms. IX 161 de Saint-Antoine de Padoue. Lems. d'Oxford Balliol 63
(fol. 1-18) en contient seulement le commencemeint.
Inc. : Quia doctores communiter m phncipio hujus libn niovere consueverunt
auaestionem unam valde difficilem . . .
* * , )
Nous ne saurions indiquer que le ms. 362 4 de Bruxelles qui ren-
ferme dans sa totalité le livre III de la seconde rédaction.
1 1 1 0 [ 1 1 - : 1 : ' i
::l •-!■
<■' Ms. de Toulouse, fol. 28'-4o".
''' xiv' s. L'ouvrage est accompagné d'une
table des matières ou des mots les plus carac-
ift u
•i,\
téristiques.
!"' Ce ms. porte la datcd* 1 33o.
'*' XIV' siècle. Lettres ornées. — L'ancienne
librairie des papes à Avignon semble avoir
possédé, dès 1369, trois exemplaires de ce
Commentaire du premier livre (Ehrle, I, 3ai,
345, 368,496).
<'l Le m». 109 de Clermonl-Ferrand parait
contenir (fol. i)ii5o) un abrégé de ce pre-
mier livre : Incipiunt Abreviationes super dicta
mag. Pétri Aumoli, ordinis Minoram. Circa Pro-
logiint queritur primo de cotfnilione abstractiva...
Deas autem eqaaliter distat ah omnibus , quia in-
Jinitum. Explicil Scriptum super primum iSenten-
tiarum dalumafi. Petro A ureoli , ordinis fratrum
Miitorum. Un autre abrégé très court du
Commentaire d'Auriol sur les Sentences se
trouve dans le nis. Val. lat. 946 (fol. 43-87):
Circa Prologuin primi lihri Seiiientiarum que-
ranlur quinque questionei : prima qaeslio utrum
nalura Dei compatiatur in se et ex natiira sua. . .
Kxplicit qaedam compilatio brevis facta super
qaestiones ir librorum Sentenliaram secanaiim
opinionem domini Pétri Aureoli, arcliiepiscnpi
quondam Aquensit et sacre théologie magistri
precipai.
'•' On y lit, au foL lAC: tExplicit secun-
dus liber Sententiarum secundum lecturain
fratris Pétri Aureoli recoHectam, eo legente in
scolis Parysius, cui sit salu» et reportatori in
fine seculi. »
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
503
Inc. : \d evidentiam totius (listinclionis primo et pifecipue est possibilitas Incarr
ni^tionis . . . , ,
Quant au livre I¥, qui est commun aux deux rédactions, il sub-
siste, non seulement dans les devix exemplaires indiqués ci-dessus''',
mais aussi dans le ms. ix, i6o de Saint-Antoine de Padoue'^' et dans
le ms. 3624 de Bruxelles.
Inc. : Spiritus vitae erat in rôtis. Sacramentoruni septenarius in curationem lio-
minis semivivi . . .
Des. : . . . sed in justitiam Del apparenteni in pœnis.
i"llif' Mb biijî-ii)(l
1) À lui seul, le premier livre du (iommentaire de Pierre Âuriol (se-
conde rédaction) remplit un fort in-folio imprimé au Vatican, sous la
date de 1696, par les soins d'un cardinal de l'ordre des Mineurs
Conventuels, fort adonné lui-même à l'étude de la philosophie''',
Costanzo Boccafuoco, plus connu sous le noin de cardinal de Sarnano :
Commentariorum in primum Ubniin Sententiarum pars prima auctore Petro
Aureolo Verherio (sic), ordinis Minoram, archiepiscopo A(juensi, S. R. E.
cardinah (sic), ad Clementeni VIIl ponlijicem maximum. Le volume
s'ouvre, en effet, par une dédicace que Boccafuoco adresse à Clé-
ment VIII le 29 décembre 1595. H croit répondre, en donnant cette
édition, aux désirs des savants et surtout de Sixte Quint, autre frère
Mineur, à qui il devait le chapeau. 11 dit avoir exploré beaucoup de
bibliothèques de France et d'Italie, compulsé un nombre considérable
de manuscrits et s'être donné grand mal pour restituer le texte ori-
ginal. Son édition est, en effet, soignée; le volume se présente accom-
pagné de tables. On a exagéré pourtant quelque peu le travail de
l'éditeur, en lui attribuant toutes les rubriques et notes marginales
qui éclairent le texte, celles notamment qui identifient les auteurs cités
<'' P. 5oi. Ms. 343 de Toulouse et tnsl
xxxii, sinistr. i a, de la bibl. Laurentienne.
'*' D'autres exemplaires de divers livres du
Commentaire d' Auriol ont été encore signalés
par Wadding {Scr. ord. Min., 188), Bernard
(Catal. libr. niss. Angl. et Hib.) et Sbaraglia
(p. 585), à Rome (couvent de l'Ara Cœli), à
Florence (couvent de Santa Croce), à Londres,
à Salamanque, etc.
''' Il avait édité précédemment un des ou-
vrages de Duns Scot, In uninerfam Aristolelis
Logicam quœstiones (Venise, i583 et 1610,
in-8°) , ainsi que les œuvres de saint Bonaven-
ture (Rome, i588; Mayence, 1609), et il était
l'auteur d'une Conciliatiodtlucida omnium contro-
versùtrum quœvidoctrinaduornmsummorum theo-
logorum S. Thomee et subtilis Joannis Scoti passim.
leyuntur (Lyon, iSgo, in-8°). Moroni {Dizio-
nario storico ecclesiaslico , V, 261) lui attribue
des œuvres philosophiques restées inédites et
une Somme de théologie imprimée à Rome
en i5(i2.
504 PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
par Âuriol '^'. Cette clef était fournie par certains manuscrits '-' que
Boccafuoco n'a fait que copier. La reproduction de ces notes était,
d'ailleurs, d'autant plus nécessaire que Pierre Auriol , dans son texte,
ne nomme guère que les anciens dont il cite les opinions '^^; la péri-
phrase subtilis et modemus Doctor lui sert généralement à désigner
Di^ns Scot; mais, pour les autres auteurs modernes dont il combat la
doctrine, en se servant de la formule discrète : Alicjm dicere votant. . . ,
on aurait quelque peine, sans le secours des notes, à reconnaître
en eux saint Thomas d'Aquin, Henri de Gand, Guillaume Warron,
Durand de Saint-Pourçain ou Hervé Nédellec.
Le cardinal Boccafuoco survécut peu à ce travail^'"'. La suite du
Commentaire d' Auriol ne vit le jour que dix ans plus tard, et dans de
moins bonnes conditions; le texte est, cette fois, piteusement établi;
les notes marginales font totalement défaut. L'in-folio qui fait suite
au volume de Boccafuoco est imprimé à Rome, chez A. Zanetti, sous
la date de 1 6o5 , aux frais de la Société des libraires de Saint-Thomas-
d'Aquin; il porte le titre suivant : Pétri Aureoli Verherii, ordinis Mi-
nornm, archiepiscopi A(iuensis, S. R. E. cardinalis, Commentariorum in
secundum libriim Sententiarnm tomas secundus. Il se divise en quatre
parties, dont les trois premières contiennent les livres II, III et IV
du Commentaire'*' et le quatrième les Quodliheta, un autre ouvrage
d'Auriol dont il va être question immédiatement.
•1 La Bibliothèque nationale possède trois exemplaires manuscrits des
Quodliheta d'Auriol remontant au xiv' siècle : le n" 1^566 du fonds
latin (fol. 7-81), qui fut achevé au mois de mars 1849'''', le n" 15867
(fol. 1 4 1-2 08), qui vient de la Sorbonne, enfin le n° 17480 (fol. 3-84),
provenant des Jacobins de la rue Saint-Jacques, et qui assigne, comme
'•' Stanonik, p. 48a. <*' Les éditeurs dédient le livre 11 à un car-
'*' Par exemple, parie ms. lat. i5363 de dinal dominicain, Jérôme Bernerio, le livro III
la Bibliothèque nationale. au ministre général de l'ordre des Conventuels ,
'^' Il lui arrive pourtant de nommer Richard et le livre I V au commissaire général de l'ordre
de Saint -Victor et Gilbert de La Porrée, et de l'Observance.
aussi Avicenne; cpiant à Averroès, il le cite '"' Le ms. lat. 1^566 lut acquis pour l'ab-
constamment sous le nom de « Commentator «. baye de Saint-Victor par le prieur .lean La
''> Moroni place sa iiiinl on i,")f)5. Masse, en liaA.
PIERRE AUR[OL, FRKRE MINEUR.
505
on l'a vu plus haut*'', la date de iSao à la composition de l'ouvrage.
Non moins riche, la hibliothèque de Toulouse possède aussi trois
exemplaires manuscrits de cet ouvrage, également anciens, sous les
n"' 180 (fol. 129 et suiv.), y^d et 789 (fol. 189 et suiv.), ce dernier
remontant à i335'^'. Nous en citerons encore d'autres exemplaires
dans la bibliothèque de Clermont-Ferrand'*', dans la Vaticane ''*', dans
la Laurentienne *% dans la bibliothèque de Saint-François à Assise <*'.
L'édition romaine de cet ouvrage, citée ci-dessus, porte le titre :
Qaodlibela XVI Pétri Aureoli Verberii, et est précédée d'une dédicace
au général des Jésuites Claude Acquaviva.
Inc. ; Proposai in uniino meo quterere et investigare sapienter. . .
Des. : . . .sicut partes continui suo modo sunt una quantitas indivisa in actu.
Si l'authenticité des Qaodlibela d'x\uriol n'était pas établie par le
témoignage de tous les manuscrits, elle serait prouvée encore par
deux citations d'un auteur contemporain , Jean de Bacon ihorpe^'l
Dans les Qaodlibeta, Auriol se propose de répondre, avec l'aide
de Dieu, à diverses (juestions récemment posées. Elles sont au
nombre de seize et se rapportent à divers sujets métaphysiques,
théologiques et, psychologiques -.
'■' Ci-dessus, p. 487.
'*' Copié, il Pérouse, par un étudiant du
nom d'Ktienn»' do Villa (|ui lui onsuite reli-
gieux dans le couvent de Montflantpùn.
''' Ms. 109, fol. 5.'5 v'-go, xiv' s. Domini-
cains.
'■'* Ms. lat. Vat. 94<i (fol. 87 V-gi v°). Ce
n'est (juun court abrégé de l'ouvrage. '
<*' Ms. XXXII sinistr. la, p. 95-137, xiv" s.-
Ancien n° 36 1 de Santa Croce.
f Ms. 1 36 , fol. 58-111, XIV' s. — J.-F. To-
masini [Biblioth. Venetœ mss., p. 35) en citait
encore un exemplaire dans la bibliothèque des
SS. Jean et Paul de Venise; Sbaraglia (p. 585)
un autre dans la bibliothèque de S. Juan de
los Heyes de Tolède. Il y en avait un, dès
1369, dans la librairie des papes d'Avignon
(Ehrle , Hist. bibl. Romanor. pontificum , I, Sig,
496).
''' In I Sent., dist. 11, ([u. a, art. 3, et Pro-
log. Sent., qu. 1, art. 3.
'*' 1. Utnim in ali(|ua re formalitas et
realitas distinguantur. — U. Utrum actio
HIST. I.ITTÉB. \X\ni.
agentis dillerat realiter ab agente. — ill.
litrum alius et alius iiiodus unitatis seu indi-
visionis sulFicicnler tollat contradictiones qu*
videntur occurrere in (livinis. — IV-. Utruni
distinctio secunduin quid inter essentiam et
pro|)rietates, vel identitas inconvertibilitatis
sumcienter tollat contradictiones qua; in di-
vinis videntur occurrere absque alio niotlo uni-
tatis vel indivisionis. — V. Utruni sola dis-
tinctio ratioiiis sulliciat ad tollendum oiimcm
conti-adictionem in divinis. — VI. Lilrum
anima intellectiva sit immédiate principiimi
operationis suae. — VII. An anima ratlonalis
sit constituta ex actu possibill et agentc-, lan-
quam ev potentiali et actuali in génère intelli-
gibilium. — VIII. Utniin ad visionein beati-
llcani requiratur aliqua simiUtudo creata. —
IX. Utrum ad visionem beatificam requiratur
ali(|uis habitas vel lumen creatum. — X.
Utrum videns divinani essentiam videat neces
sario quicquid repra;senlatur pc-r eam. — XI.
Utrum virtus, in quantum virtus, sit ens por
accidens. — \II. Utrum virtus uioralis con-
64
506
l>IKRHK \URIOi,, FRKKE MINEUR.
VI. COMPKNDIVM UfiRORVM QUATUOR SkNTESTIARUM.
Aux deux commentaires déjà signalés sur les quatre livres des Sen-
tences Pierre Auriol enjoignit un troisième, beaucoup plus abrégé,
qui a échappé jusqu'à ce jour à tous les bibliographes. Le maïuiscrit
38 de Nimes, qui est d'une main italienne et remonte au xv" siècle''*,
contient (fol. i-i63) un ouvrage commençant par ces mots :
Potrus Aureolus, iniitator S. Thomic, compilavit hoc opus ad honorom Fi-ancisci',
patrisejus. Libroriiin iv Sententiarum Compendium, quod per quuistiones [/acone]
et conclusiones veridicas féliciter incipit. Cupientes aliquid de penuria ac de tenui-
tate nostra, cum paupercula, in gazopliylacium obolum mittere (Luc. xxr, 2), ardua
scandere, opus ultra vires nostras agere pra;sumpsimus.
Le même ouvrage se lit dans un manuscrit de la Vaticane de la fin
du XIV'' siècle, le Vat. lat. 9^^ (fol. 1-67) , sous le titre de Lecturn Pétri
Aureoli saper Ubros Sententiarum^^\ et y est suivi de cette note élogieuse :
Qiuc (juidem lectura tota est aurea, eo quod brevissimo verboram ornatu
omnium doctorum antiquorum opiniones récitât et maxime B. Thomw et
B. Bonaventurœ, approbando verissimis rationibus seniper veriorem.
L'auteur, pour chaque distinction, reproduit les premiers mots du
texte de Pierre Lombard, puis pose et résout brièvement un certain
npmbre de questions '''.
.'j , >i(i'."»i»-i
'Kl
Des. : . . . unde ignisille erit turbosus et fumosus et faeculentus. Expliciunt quicsi-
tiones super Sententias féliciter.
Nous avons comparé plusieurs chapitres de cet ouvrage à ceux du
grand Commentaire où les mêmes sujets sont traités, par exemple
les chapitres De vesligio, Quid sit vestigium, Utrum in omni creatura sit
sistons circa unaiii iiialeriam habeat univprsi-
tatem forma" siinpiicis non constilutie ex luultis.
— XIII. Utruui virtus moralis in appetitu sen-
sitivo sit qualités média essontialitcr constilufa
ex habilitatibus quip inriinant ad passiones
exfrenias. — XIV. Utnim virtiis mnrniis divi-
datur in IV cardinalp», tanqiiam in spprics
snbalternas coniprelicndentfs nrnnes virtutes.
— W. Utnim sppcuialivum <■! practicum distin-
guantnr pones esse et non esse activum princi-
piuni in agentc respecta sui objecti. — XVI.
Utrum i'oniiie niisribiliuni qualitatuni différant
realiter a sua actualitate.
'"' -Et non au xvi', roniine le prétend le
Catalogue in-4*. Le même Catalogue nesuppose-
t-il pas (|ue cet ouvrage se confond avec le
Compendiiim lhenlo(fia; dont il sera question
plus loin P
f Voir aux fol. ao v°, 43 v", 5a v° et 67 r*.
''' Sept, par exemple, au sujet de la pre-
mière distinction, six au sujet de la seconde,
quatorze au sujet de la troisième, etc.
PIERRE AURIOL. FRERE MINEUR. 507
vestigittm^^\ ou encore ceux qui traitent de la simplicité de l'àme et de
l'éternité du monde '"^* : aucune ressemblance ne nous est apparue. Il
est vrai qu'on observe la même difiFérence entre les deux rédactions
successives du grand (Commentaire d'Auriol. Il se pourrait que nous
fussions ici en présence d'un premier travail, antérieur à la venue de
Pierre Auriol à Paris.
Vil. ()UKSTI()NS DIVERSES.
A la suite d'un fragment du grand Commentaire d'Auriol sur les
Sentences, le manuscrit d'Oxford Balliol 63 contient, sous le nom du
même auteur, trois dissertations philosophiques qui ne font partie
d'aucun de ses ouvrages connus.
Fol. 19 : Determinatio ejusdem utrum veritas sit ens per accidens,
contra Thomam de Wylton. Quia sic (juod includitnr. . . .
Fol. 20 v° : Pétri Aureoli Utrum actus différât a forma agentis. Qiiod
Cjuia modus rei non est ... .
Fol. 86 : Pétri Aiireoh Qaœstio utrum videns Deum vident omnia (juœ
in eo reprœsentantur. Quod sic videns reprœsentans necessarinm .... '^'.
Thomas de Wilton, contre lequel Pierre Auriol argumente dans»
le premier de ces morceaux, prend, à son tour, Auriol à partie dans
une dissertation que renferme le même manuscrit (fol. 19 v°) :
Thomœ de Wylton Utrum habitas theologicus sit practicus vel specnlativus ,
contra Aureolum^''\ Ce Thomas de Wilton est un personnage connu '*^:
chancelier de Londres, il séjournait en l'Université de Paris, et ob-
tint, à cet effet, une dispense du pape le 20 août iSao'*^'. Il dut se
rencontrer, à Paris, avec Auriol. Nul doute qu'il soit l'auteur que
ce dernier cite et réfute, plus d'une fois, sous le nom de «Thomas
l'Anglais » *''.
'"' In J Sent., di»t. m, qu. 5 et 7. Fol. ()'' à thorpe [Qaœstiones iti libros Sententiarum , t. II,
6' du ms. de Nimes. P. 182 et suiv. du grand Crémone, 1618, in-fol. , p. 585, 60a, etc. In
Commentaire. // Sent., dist. xix, qu. 1, art. 2; dist. xxiv,
'*' Fol. i3' et ^8° du ms. de Nimes. qu. 1, art. 1, etc.). Tout ce que dit de lui Th.
''' Sujet traité également par Auriol dans Tanner {Bibl. hritannico-hihemica, p. 778),
son dixième Quodiibel. c'est qu'il vivait avant i375.
'*' C'était, en effet, un sujet longuement '"' Chartal. Univ. Paris., II, a/io.
traité par Auriol {In I Sent., Prolog., p. Si" '') Quodl. III. ad. i, p. 16'. Qaodl. XI,
et suiv.). art. 3, p. ll.■)^ Quodl. XV, art. i, p. i38' :
''' Souvent cité et réfuté par .lean xle Bacon- « libi indicnntur mullae didicultates secundum
64.
508
PIEKHE AUaiOL, FRKHE MlNEl R.
•M Ces «Questions» de Pierre Auriol faisaient peut-être partie d'un
Recueil que nous ne retrouvons j)as, mais que, peu après, r\n<^lais
Jean de Baconthorpe cita sous le titre de Paivee (juœstiones AureoU. Les
emprunts qu'il y fait prouvent que ces « Petites questions » ne se con-
fondent ni avec le grand Commentaire d'Auriol sur les Sentences, ni
avec ses QuodJibeta, ni avec son Compendiam Ubrorum Senlentiaram'^^K
Vlll. Dk Principus nature.
Sharagiia '"-' avait remarqué chez deux auteurs franciscains du
xiv" et du xv" siècle, Jean Canon et François Sansone, des renvois à un
ouvrage d'Auriol qu'il ne connaissait pas, un certain traité intitulé
De Principiis natiirw.
Un ouvrage portant ce titre et attribué à Pierre Auriol est con-
servé, effectivement, dans un manuscrit du xiv*" siècle de la biblio-
thèque de Saint-Antoine de Padoue''^; et le même traité, incomplet,
il est vrai'**', figure sans nom d'auteur, dans un manuscrit du même
temps, le n" 1082 de la bibliotli,èque d'Avigiion [fol. 4-4 fi)-
Inc. : Principiorum notitia quantum sit efficax et nécéssaria in perscrutatione
veritatis. . .
Après avoir établi, d'après le témoignage de Platon et d'Averroès,
qu'on ne saurait trop insister sur les principes, et signalé, avec Aris-
tote, les conséquences désastreuses de la moindre erreur à ce sujet,
\uriol consacre un premier livre à l'étude de la forme et de la matière
en général; il étudie les divers systèmes, invoque en faveur du sien
les autorités d'Aristote, de saint Augustin et d'Averroès, se demande
« Thoinam Anjj;liciiin. • 11 est justeihVnt question
dans re dernier Quodlibet du sujet- à pi-opos
duquel Tlioiuas de Wilton argumenta contre
Auriol : la théologie est-elle une scienre pra-
tique ou spéculative ? (Voir p. iSg". )
'"' «liane opinionem ponit aliter Aureolus,
«qu. 1 De Punis Qniestionihas , ul>i miIi ((tiod
« in divinis persona non constituilur per aliquani
« fonnalemrationeniconstitutivani, sicnt alhuni
« per alliedineni , sed persona est ali(|uid consti-
« tutum resultans ex unione pluriiim e\ a-quo
• concurrentium, sirut doinus résultat ex unione
« partiuni. ïuncad projwsiluni dicil quoil pri-
« luuinad quod terininaturunio naturaehuinanie
«iid Verbum non est cssentia, ner proprietas,
«sed est totuni resullans ex illis, sive ipsa tota
« personalitas . . . In (piaestione 'S', qnani exqui-
« site ordinavit, art. a, tenet contrariuni, et
« prohat , et e\ intenlione, ipiod relatio est for-
« midis terminus.» (/« ///.Sent., dist. ii, qu. a,
art. i; t. 11, p. ao\ ai'.)
<" SuppL.p. 586.
'•'i Ms. xni agS.
'*' Les derniers chapitres du livre III et le
livre IV tout entier manquent dans ce ms.
d'Avignon.
PIEHRE ALRIOL, FRERE MINEUR.
509
si l'àme raisonnable est soumise aux mêmes lois que les autres formes
et traite, en dernier lieu, la question des formes accidentelles.
Le second livre a pour objet les principes constitutifs des êtres
incorruptibles, c'est-à-dire des substances séparées et des corps cé-
lestes, autrement dit, des anges et des astres. Il expose, à cet égard,
les doctrines d'Aristote et d'Averroès, puis la doctrine catholique.
11 étudie, dans le troisième livre, les éléments et les corps mixtes.
Dans le quatrième, il s'occupe des êtres animés, particulièrement
de l'homme; ce lui est une occasion d'aborder la fameuse question de
la pluralité des formes substantielles '''.
Dans tout le cours de cet ouvrage, il entreprend de concilier le péri-
patétisme et le christianisme. Il croit y parvenir sans trop de peine :
les discordances, paraît-il, se réduisent à peu de chose '"^*. Ainsi la
thèse de la « simplicité » des corps célestes n'a rien qui puisse effarou-
cher la foi. De nombreux Pères, il est vrai, ou docteurs de l'Eglise
ont considéré les astres comme composés de matière : mais ils par-
laient en philosophes, et non en docteurs de la foi '^'. Cependant faire
du ciel un être vivant, un être intelligent plus noble que l'être hu-
main, n'est-ce pas contraire à la religion ? Non pas ! car cela rehausse
la puissance de Dieu : plus on voit apparaître la noblesse des essences
créées, mieux éclate dans tout son jour la gloire du Créateur**'.
IX. BrEVIARWM BlbLIORUM ou COMPËNDIVM SÀCRIi SCRIPTVRM.
De tous les ouvrages de Pierre Auriol, celui qui a eu la plus Jn-il-
lante fortune est assurément le manuel biblique dont nous allons
paHer. Ce succès est attesté parle nombre considérable d'exemplaires
'"' 1. De forma et materia in liabentibus
animas. — I]. Utmni in talibus entihiis sint
plures substantinles J'onna; ant in ali(|U(> ente.
— III. Quid de anima intellectiva tenuil Aris-
toteles, et suus (x)mmpntalor. — IV. Quid de
anima intellectiva secun<iuin (idem tenendmii
sit et socundum oinnimodam veritatem. — V.
An sola rationalis anima ponenda sit in hominc
subslantialis forma. — • VI. De compositione
totius hominis ex materia et forma.
'*' • In omnibas auteni intendo opiniones
« Aristotelis et philosophoniin dortrinani cum
« veritate fidei concordare , quoniam in paucis
« dissonant et discordant ab ea , prout in se-
«quentibus apparebit. » (Ms. 1082 d'Avignon,
fol. 4 r".)
' '' « Movere non debent , pro eo quod in bac
« materia magis loquuntur ut philosophi, et alio-
« nim oppiniones sectantes , qaam ut doctores
« sanctœ lidei materiam tractantes. » ( Ibid. ,
fol 36 v°.)
'*' « Ex alia parte , fidei videtur consonare
« tamen, quia hoc magnificat valde Del poten-
« liam. ()uanto enim nobiliora essentia Deus
« creavit , tanto magis magnificatur Creator. •
[Ibid., fol. 37 v°.)
510
PJERRK ALRIOL, KRERK MINEUR.
manuscrits qui en subsistent, la plupart remontant au xiv" siècle, tons
on presque tous portant le nom de 1 auteur. Nous citerons ceux de la
Maz.irine''^ de la Bibliothèque nationale'^', de Laon'*', de Rouen'''*,
de Lvon'*', de Bordeaux'"', de Troyes'^', de Tours'*', de Londres'^', de
Cambridge""', d'Oxford "^ de Durham"-", de Munich f'^»), de Reun
en Styrie''"), de Rome"*', de Florence'"^', d'Assise"'" et de Padoue"*'.
D autres ont été signalés, plus ou moins anciennement, à Avignon"®', à
Venise'^"', à Sienne, à Louvain, à Tolède, à Séville, à Salamanque'^'',
à M(Hidonedo'^^'; et nous ne parlons pas des extraits ou abrégés qui en
subsistent dans quelques bibliothèques'^^'.
Après l'invention de l'imprimerie, ce succès se prolongea. Il existe,
de cet ouvrage, une édition incunable donnée, à Strasbourg, chez
'"' Ms. 3 18, provenant des Gordeliers; belle
écriture , lettres ornées et dorées.
''' Ms. lat. 16355 (fol. i5-3o), provenant
du collège de Sorbonne.
''' Ms. 2 , provenant de N.-D. de Laon.
'*' Ms. 648 (fol. 159-318), provenant de
Jumiéges.
'*' Ms. 1 59 , incomplet.
'') Ms. 16, fol. 1-106.
''' Mss. i885 (composé de trois petits vo-
lumes), 781 et i343, ces deux derniers pro-
venant de Ciairvaux.
''' Mss. ào (fol. 3-135) et 39, provenant
l'un et l'autre de Saint-Gatien, le dernier
copié , en 1 4o4 , par un chanoine connu , au-
teur d'un traité sur la Virginité, Georges de
Rayn ou d'Esclavonie.
''' Musée Rrit. , Roy. 2 D xxxvi et Roy. 8
G III , ce dernier provenant de l'église de Lin-
coln , il laquelle il avait été donné par l'évéque
Philippe de Repingdon.
<"•' Ms. i56 de Corpus Christi (art. a3).
'"^ Mss. 13 (fol. 3-7 et ai-78) et a43 de
Merton (fol. 39-118) et ms. 18 de Lincoln
( fol. 1 94-3 17), ce dernier incomplet .
'"' Ms. B. IV 39. 4° de la bibliothèque du
chapitre ( Th. Rud , Codicum mss. ceci. cath.
Diinelmensis calahg us r.lassicii s .Dnvhmn, 18a 5,
in-fol. , p. 333).
'") Mss. lat. 11 36 et 3o63.
<"> Stanonik, p. 484.
'"' Ms. lat. Vat. 945. Exemplaire très soigné,
du xiv' s.
> I"' Mss. XVI 34, XXXII sinistr. 1 1 (fol. 1-108)
etxxxii sinistr. 1 3 de la Laurentiennc, ces deux
derniers provenant de Santa Croce (anciens
n"363 et 363).
'") Ms. 609 du couvent de Saint-François,
fol. 3i-i8t.
'"' Ms. de Saint-Antoine ix i65.
'"' Ehrle, Hist. bibl. Romanor. pontijicnin,
I, 3o8, 317, 33 1, 358, 499.
'"' Tomasini, Bibl. Venetœ mss., 36, io5.
'"' Sbaraglia, p. 731.
<"' R. Béer, HanJdschriftetuchàtze Spanieiu
(Vienne, 1894, in-8°), p. 355.
'"' Le ms. lat. 14796 de la Bibl. nat. (Saint-
Victor), du xv" s., contient( fol. 1-1 1), sous le titre
de Divisio sacrée Script urée Pétri Aareoli, in sacra
Pagina professons , de courts extraits commen-
çant par le début du chap. m (moins la pre-
mière phrase), sorte de résumé sec et froid de
l'ouvrage de Pierre Auriol ; ils ne dépassent pas
le livre des dou/.e Prophètes et s'arrêtent à Ma-
lachie. Inc. : Consideraïuium est qaod Scriptura
divina polesl dividi in riii partes principales . . .
Des. : . . . ctscenderil de Babilone in Jérusalem ,
ttt testatur in libro sao. — D'autre part , le ms. 1 5
de New Collège , à Oxford (fol. 376-380 ,xv' s.),
contient un morceau intitulé : Bibliorum sa-
crornni omnium argumenta secundam Petrum de
Aureolo, ord. Minorum, archiepiscnpnm Aqaen-
sem. Inc. : Considerandnm est qaod Scriptura
dividi potest in r m partes principales. . . Des. :
qae debehant illi eontingereasuifundalione usqut
injinem. — Citons enfin le ms. 346 de Bourges,
qui, sous le titre Peirus Aareoli super libro
Psalmorum, contient (fol. 108-109) '® chapitre
du lireviariam relatif aux Psaumes, avec quel-
ques additions.
PIERHE AL'RIOL. FRERE MiNECR. 511
G. Husner, que l'on lait remonter à i^yG"'; d'autres données à
Venise en iSoy, en i5oS, en 1071'^', à Paris, en i5o8'^', en i565,
en i585, en 1610, en iGi3,^à Louvain en 16/47, *' Rowen en
1696 '" et en 1649, *^ette dernière dédiée à Pierre de (londi et enri-
chie de tables analylitjues'^'. Mentionnons particulièrement celle
qui parut, à Strasbourg, en i5i4, précédée d'une épitre que le
célèbre érudit et poète Jacques Wimpfeling adressait à Jean d'Eck,
professeur d'Ecriture sainte au gymnase d'ingolstadt : l'exemple de
Pierre Auriol lui semblait propre à réfuter ceux qui reprochaient aux
philosophes de négliger l'Ecriture sainte.
D'ailleurs, la plus grande variété apparaît dans les titres que
les copistes ou les éditeurs assignent à cet ouvrage : Breviarium
Biblioriim, Compendium sacrœ Scrtptnrœ, Compendium sensus litteralis
lotius divinœ Scripturœ, Compendium sacrœ Scnpturœ juxta sensain litte-
ralem, Compendium super Bibliam, Compendium saper sacramenla Scriptii-
rarum , Epitome sacrœ Scripturœ secundum sensum lilteralem, Epitome totius
Bibliœ, Divisio totius sacrœ Scripturœ, Divisiones librorum utriuscjue Testa-
menti in viii partes distinctœ cum Prolecjomenis , Tractatus totius Bibliœ
expositorius , etc. '''^.
Inc. : Venite, ascendamus ad montcm Domini et ad domuni Dei Jacob, et do-
cebit nos vias suas rectas (Esaiai, 2, et Micheœ, li). Gregorius, 28" HbroMoralium,
exponens. . . I '"'''
Des. ; ... ex aromatibus myrrha^ et thuris et universi pulveris pigmentarii.
La division des Livres saints la plus accréditée dans l'Ecole était
inspirée de saint Jérôme, de Cassiodore et d'Etienne Langton : elle
consistait simplement à distinguer les livres historiques, les livres
doctrinaux, les livres prophétiques '''. Pierre Auriol en imagina une
nouvelle, beaucoup plus compliquée, fondée, d'ailleurs, comme la
'■' Pellechel, 1 ,n° i6i3;R.Proctor,i4HjWex '"' Le titre signalé par Tomasini (op. cit.,
to llie early printed bookf in the Britisli Mnseum, |). io5) dans un nis. de Venise, Compendium
Sert. 1 (Londres, 1898, in-S"), n° 35i. Le S. Scriplurœ Pe ri Aareoli, ord. Minoram, una
Britisli Muséum Catalogue hasarde la date de cum CItronicis Romanoruiii , ne doit pas faire
i48o. supjKiser l'existence d'un ouvrage d' Auriol
<'' Sbaraglia , p. 584. qui serait inconnu : les derniers mots de ce
'•'' B. N. , Rés. A 6646 , in-8". titre font allusion sans doute aux applications
'*' Sbaraglia, p. 584; Stanonik, p. 484. qu'Auiiol fait des textes de l'Apocalypse aux
'*' B. N., A 6648, in-8°; Biln. Mazar., événements de l'histoire romaine.
333o6. ''' S.Berger,//is<.(ie/«Fa/^a<e, p. 3o2,3o4.
512 PIERRE AL'RIOL, FRÈRE MINEUR.
précédente, sur la distinction des diverses mélliodes employées par
les auteurs sacrés pour instruire les hommes. 11 crut donc voir dans
l'Ecriture huit parties principales : i" une partie politique et législa-
tive, comprenant tout le Pentateuque; 2" une partie historique
(Josué, les Juges, Ruth, les Rois, les Paralipomènes, Esdras, Tobie,
.Tudith, Esther et les Macchabées); 3° une partie poétique, dans
laquelle il rangea les Psaumes, les Lamentations et le Cantique des
cantiques; k" une partie dialectique, composée seulement du livre
de Job et de l'Ecclésiaste; 5" une partie prophétique , où il plaça natu-
rellement les Prophètes, grands et petits; 6" une partie morale (Pro-
verbes, Sagesse, Ecclésiastique); 7" une partie testimoniale ou
authentique, les Evangiles; 8° enfin une partie épistolaire (Epitres,
Actes des apôtres et Apocalypse). Dans chacune de ces classes il intro-
duisit ensuite des subdivisions, parfois un peu factices : c'est ainsi
qu'il distingua trois sortes de poèmes, les chants de joie, les élégies,
les chants dramatiques, et rangea les Psaumes assez arbitrairement
dans la première de ces catégories. \>r'< iw.^ i>uia\\
A tout prendre, cette façon de grouper les livres de la Bible facili-
tait aux commençants l'étude de l'Ecriture, de même que les analyses
fixaient dans la mémoire le sujet de chaque partie et en dégageaient
bien l'enseignement moral ''^
Assez bref dans la flescription des ])remiers livres, Auriol ne
tardait pas à entrer dans plus de détails. C'est ainsi qu'il donnait
d'assez grands développements aux Lamentations de .lérémie et plus
encore aux Epîtres et aux Actes des apôtres. Dans les Prophètes, il
s'appliquait à faire le départ entre ce qui lui semblait relatif au
peuple juif et ce qui lui paraissait se rapporter au futur avènement
du Christ t'^\
Sa manière de caractériser chacun des quatre évangélistes et d'ex-
pliquer le choix des animaux symboliques dont on se servait pour
les représenter*'' rappelait fort ce qu'on lit dans deux proses attri-
buées à Adam de Saint- Victor '''l Mais la lecture du Compendiuin
''' Il ne faudrait pas croire Cépendartf Itjttft «ex prima materia propheta; vertunt se ad se-
Pierre Auriol sacrifiât liabituellpinenl, comme « cundam, et econvei-so. • (Fol. 58 v* de l'édition
on l'a dit {Hist. litt. de la h'r., XXIV, 337), le de Houen de 16/19.)
sens littéral au sons métaphvsiqu»'. ''' Fol. lof).
''' «Est junclura diflirilis ad intclligcnduin *' Plao>n chorus leetabtindo et Jocandare ,
« interistas partes, quia statim,<>rrasione nacta, plcljs /idi-lis (cf. Léon Gauli»'r, Œuvres poil.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR. 513
devient surtout intéressante quand l'auteur se met à interpréter les
difiFérents «âges» de l'Apocalypse''^.
Chacune des visions, suivant Pierre Auriol, correspond à une des
six périodes de l'histoire de l'Eglise. 11 propose d'abord de fixer ces
périodes de la manière suivante : i° l'époque apostolique; 2° l'époque
des persécutions; 3" celle de la prospérité, commençant à Constantin;
4" l'époque des hérétiques; 5" celle de la pacification et de f épa-
nouissement, aux temps de Charlemagne et de ses successeurs;
6° fépocjue de la dernière persécution, celle de l'x\ntéchrist.
Toutefois Auriol fait remarquer que les troisième et quatrième
périodes pourraient être jointes avantageusement fune à l'autre, vu
que l'hérésie arienne a commencé dès le temps de Constantin,
et que, par suite, la cinquième période devenant la quatrième et
la sixième passant au cinquième rang, il resterait une place, la
sixième, pour l'intervalle s'étendant entre la mort de l'Antéchrist
et le Jugement dernier.
Cette combinaison ne le satisfait pas encore. D'autres interprètes,
dit-il, font durer la première période jusqu'à Julien fApostat, la
seconde jusqu'à Jiistinien ou à Maurice; la troisième, en ce cas,
comprendrait le Bas-Empire; la quatrième commencerait à Charle-
magne pour finir à fempereur Henri IV; la cinquième .s'étendrait
jusqu'à la venue de l'Antéchrist, dont la persécution remplirait la
sixième période. Auriol, qui semble décidément pencher pour ce
troisième svstème, reprend l'examen des visions successives de l'Apo-
calypse et en ra])porte chaque trait à quelque événement connu : il
voit ainsi ap])araître, à travers les récits inspirés du voyant de
Patmos, les empereurs romains, les rois des Francs, les rois Lom-
bards; il croit y reconnaître l'annonce de tel concile, de telle croi-
sade; toute l'histoire se déroule sous les yeux de ses lecteurs'^'.
Une difficulté cependant l'embarrasse. Le nombre 666 du cha-
pitre XIII (v. 18) del'Apocalyse indique, suivant les commentaires les
plus autorisés, la durée du Mahométisme. Or, si Ton fait partir ces
666 années de la retraite ou de la mort de Mahomet, ce laps de temps
aurait été depuis longtemps écoulé au moment où Auriol écrivait son
d'Adam de Saint-Victor, 3' éd., 1894, p. 269, '*' «Dici potest quod c|uicquid ibi historiée
25o). " desrribitnr, in lioc libro prophetice conti-
'"' Foi. a42 <■• suiv. «netur. »
IIIST. I.ITTKB. XXXIII. 65
514 PIERRE AURfOI., FRERE MINEUR. ,
Compendium Bihliœ. Déjà <rautres inter])rèles su<;f^éraient, ])araît-il,
l'idée de prenrlre la i-édactiuii définitive du Coran comme |)oint de
départ de la période de 666 ans. Auriol était tenté de recourir à cet
expédient; mais il préférait s'en tenir à une conclusion vague :
M Gomme on ne peut annoncer l'avenir avec certitude , laissons, disait-il ,
à rEs])rit Saint le soin d'interpréter ce nombre. »
Autre difficulté, autre hésitation. Quel sera le point de départ de
la période de mille ans qui semble devoir précéder, d'après le
chapitre xx de l'Apocalypse, l'avènement de l'Antéchrist i* Sera-ce
la naissance de Jésus-Christ ? Mais plus de treize cents ans se sont
écoulés, et l'Antéchrist n'apparaît point encore. Sera-ce le baptême
de Constantin.^ Auriol en fixe la date à l'année 3 16 et en conclut
que l'Antéchrist devrait avoir trois ans. Cette pensée le chagrine. Il
préfère conclure encore une fois avec prudence : « l^'interprétatiou
« exacte de ce nombre doit être laissée à l'Esprit Saint. »
Les idées émises par Auriol au sujet de l'Apocalypse, quelle qu'en
fût l'incertitude, intéressaient tous ceux qui cherchaient à supputer
l'époque de la fin du monde. Elles ne manquèrent pas d'avoir un
grand retentissement dans l'Ecole *'\
Il est à remarquer que Pierre Auriol admire dans l'Ecritui-e sainte,
non seulement le fond, mais la forme. Il se plait à y retrouver no-
tamment les quarante-cinq figures de mots et les vingt-cinq figures
d'idées énumérées dans le livre IV de la Rhétorique à Herennius
(S i3-55)'"'*. Lui-même, à vrai dire, ne donne guère la preuve de .son
bon goût, en employant, chaque fois qu'il passe d'une partie à une
autre de la Bible, des métaphores qui ne gagnent pas à être transpor-
tées du texte sacré dans la prose de son Compendium. C'est par une
«ascension de scorpion*^*» qu'il s'élève jusqu'à la partie historique;
c'est par une « ascension pourpre '*^) qu'il monte à la partie poétique;
c'est pai- une « ascension à cheval'*' » qu'il parvient à la partie dialec-
tique; c'est par une «ascension d'aurore '''' » qu'il pénètre dans la
''' Cf. N. Valois, Un ouvrage inédit de Pierre <*' Cf. Ca.vt. m, 9, 10 : « Ferculuiii fecil
d'Ailly, dans la Bibl. de l'Éc. des ch,, t. LXV, «sibi rex Saloinon de lignis Libani; columnas
1904, !>• 563. «ejus fecit argenleas, rerlinatoritini aureuni.
"' Voir le cliap. 11, De preeeminentia tropica «ascensum purpureuni . . . »
Scripluru! divnue. '*' Cf. Zw.h. i , 8 : « El ecce vir ascendens
''' Cf. NuM. XXXIV, 4 : «Qui circuibunt « super eqiiuni rufuiii ... >
«australem plagam pcr asccnsum Scor- '*' Cf Gkn. xxxii, a6 : •Dimitte me, jaiii
• pionis. . . » «enim ascrndit aurora. >
■ PIERRE ALRIOL, FRERE MINEUR. 515
partie prophétique. Ces jeux d'esprit misérables n'étaient pas, d'ail-
leurs, pour rebuter les lecteurs du xiv* siècle, ni même ceux des
âges suivants.
Parmi les témoignages d'admiration qu'a décernés à cet ouvrage
la postérité, on a cité déjà celui de l'Allemand Georges Eder : le
Compendinm, écrivait celui-ci en jouant sur le nom à'Aweoli, est un
liber aureas. Georges Eder crut découvrir, en i568, le Manuel
d'Auriol, et il s'étonnait qu'un ouvrage d'une si grande utilité eût
passé jus(|u'alors à peu près inaperçu*''; mais, sans parler du témoi-
gnage de Barthélemi Albizzi '^', le nombre des copies qui subsistent
de ce livre prouve assez que d'autres avaient fait cette découverte
avant Eder.
X. ReCOMMENDATIO SACR.E SCHIPTURE.
Un morceau dont ne parle aucun bibliographe, et tout à fait dis-
tinct de l'ouvrage qui précède, se trouve, sous le nom d'Auriol, dans
le ms. latin i/i566 (ff. 2-7) de la Bibliothèque nationale (xiv*s.). Ce
manuscrit contient déjà les Quodlibeta du même auteur. Si, comme
tout le porte à croire, l'attribution à Auriol est exacte, il n'en est pas
de même du titre qui figure à la table (fol. i84 V), et qui tend à
donner de l'ouvrage une idée fausse : ■ Recummendatio et divisio sacrœ
Scripturœ a Petro Aureoli, ordinis Mmoriim. Le mot divisio est de trop :
l'opuscule ne renferme aucune division ou classification des Livres
saints; il en contient seulement féloge, recommendatio.
Inc. : In me omnis spes vitae et virtutis. Eccli. 2 W- Dicit Gregorius , Omelia vu'
super Ezechielem : Divina eloquia cum legente crescunt.
Des. ; ... et foras non egredietur amplius , sed in œternum regnabit cum Christo ,
quod nobis concédât Jésus Christus, etc.
L'un des avantages que nous retirons de la lecture de la Bible, c'est
de guérir l'aveuglement résultant de la chute originelle : la lumière
recommence à luire au milieu des ténèbres où nous étions plongés.
La Grande Ourse n'est pas la plus brillante des constellations; cepen-
'■' Œconomia Bibliorum (Cologne, id68, ''' « Compendiam S. Scripturœ edklit ... Fe-
in-fol.), avertissement. cil Compendinm liihliw. . . > (Fol. 8i r°, i a6 r°.)
65.
516 l'IEHKE ACRIOL, FllÈRE MINEUR.
dant, à cause du voisinage du pôle Nord, c'est d'elle que les marins
se servent pour diriger leur course. Le pôle, c'est-Jésus-Christ; la
Grande Ourse, c'est la Bible, dont tout le développement gravite
autour du Christ. Et, de même que la Grande Ourse se compose de
sept étoiles principales, quatre formant une figure et trois en formant
une autre, l'Ecriture sainte traite principalement de sept vertus,
parmi lesquelles il y en a quatre cardinales et trois théologales; au
nombre de ces dernières, la charité est celle qui se rapproche le plus
de Jésus-Christ, semblable à l'étoile de la Grande Ourse la plus rap-
prochée du pôle '*'.
Auriol poursuit dans le même style imagé sa démonstration et, en
somme, ne considère la Bible qu'au point de vue moral : tota enim
sua intentio est ut, relicto bono commutahilî , ad bonum incommutabile con-
vertamur. Joseph enseigne la continence, Judith la modestie, Job la
pauvreté. Toutes les vertus sont ainsi préconisées tour à tour dans
les Livres saints'^'.
XI. POSTILLA SUPER ISAIAM PROPHETAM.
Parmi les ouvrages de Pierre Auriol, Barthélemi Albizzi comptait
des Postilles ''. Un manuscrit du xiv* siècle, provenant du couvent
de Santa Croce de Florence (ancien n" 3 60'''') et aujourd'hui con-
servé à la bibliothèque Laurentienne (xxxii, lo), renferme, en
effet, un exemplaire, malheureusement incomplet, de la Postilla super
Isaiam prophetam de Pierre Auriol. Il porte le nom de l'auteur et
occupe I 66 feuillets à deux colonnes.
Inc. : Doctrinam quasi propheticam cffundam et relinquam illam quœrentibus
sapientiam. Eccli. xxiv, li6. Quia eximii prophetae Isaiœ vaticinium. . .
Des ; . . . quod iste Ezechias habebat in potestate sua infinitas . . .
'"' Fol. 2''. Scripturw secundam doctrinam Pétri Att-
'*' Il ronviendrait de rapprocher du ms. reoti, etc.
latin i4566 le lus. d'Erfurt in-i' la^, qui con- '■''' Ed. de \filan, ifiio, loi. 81.
tient (fol. i42-i64) une compilation ainsi dé- <*' Et non 707, comme le dit M. Stanonik
crite dans le Catalogue : De peccatis sexuulibus , (p. 492), qui confond ce nimiéro avec celui
de temptationibas Christi, de auctoritatibiis Bi- de la colonne où il figure dans le Catalogue de
Mite, de tan-i virtiitam, de commendatione sucra Bandini (t. IV).
PIERRE ALRIOL, FRERE MINEUR.
517
XII. EXPOSITIO EPISTOLARUM S. HlERONYMI AD PaULINUM
ET AD DeSIDERIUM.
Cet ouvrage, à vrai dire, n'est cité par aucun bibliographe; mais il
ligure, sous le nom de Pierre Auriol et à la suite du Compendium
sacra: Scriptnrœ, dans un manuscrit du xiv* siècle, le n" ix i65 de la
bibliothèque de Saint-Antoine à Padoue.
Inc. : In principio créa vit Deus, etc. Circa librum Genesis ista sunt, etc.
L'une des épîtres de saint Jérôme à saint Paulin est fameuse : c'est
celle où il traite de l'étude de l'Ecriture sainte et qui a servi de pré-
face à un grand nombre de bibles du moyen âge''^. Auriol la cite lui-
même dans son De Conceptione'^^\ et, s'intéressant fort aux études
bibliques, a très bien pu en faire l'objet d'un commentaire spécial.
Quant à la lettre à Didier qu'il aurait commentée en même temps,
elle n'est autre que la préface de saint .Jérôme à sa traduction du
Pentateuque : on sait que cette traduction avait été demandée par
un certain Didier, qu'on croit avoir été un prêtre de Gascogne.
XIII. Sermons.
Les incidents survenus à Toulouse au mois de décembre i3i4,
et qui ont été rapportés ci-dessus, prouvent déjà que Pierre Auriol
n'étaitpas sans jouir (le quelque réputation comme prédicateur. En effet
le couvent des Franciscains de Séez possédait autrefois, parait-il, un
recueil manuscrit de ses sermons de Tempore^^K Un recueil analogue,
commençant au dimanche de la Sexagésime pour se terminer au
jour des Morts'*', remplit encore, à l'heure actuelle, un manuscrit du
XV' siècle, de iog feuillets, qui est conservé, sous le n" 622, au cou-
vent de Saint-François à Assise ^^K
<'' Samuel Bei^'er, Les Préfaces jointe.' aux
livret de In Bible dans les manuscrits de la Val-
gate {Mémoires présentés par divers savants à
FAcad. des inscr. et belles-lettres, i" sér. , XI,
1904), p. 21.
'*' Chap. i" : « Non Jicef ScripUiras ad sen-
« suni trahere repugnantcin secundum Jeroni-
• mum in Epistola ad Paulinuni. >
'^' Trittenheim, De Script, eccles., c. 544;
Du Boulay, IV, 986; Fabricius, V, 243; Wad-
ding, 5cn/)<. or<^. Min., 188.
'*' D'après Sbaraglia, ]). 586.
''' Une autre collection de 92 sermons com-
mençant à l'Avent et allant jusqu'au 34' di-
manche après la Pentecôte se trouve dans le
ms. VI 36 de la Bibl. de Saint-Marc (fol. 7-70)
sous le nom d'un frère Pierre , de l'ordre des
Mineurs. Ne serait-ce pas Pierre Auriol ?
518 PIERRE ALRIOL, FRERE MINEUR,
Inc. : Cum turba piurima convenirent et de civitatibus pioperarent . . .
D'ailleurs, on peut se faire une idée de la manièie oratoire d'Au-
riol en consultant l'édition des sermons de saint Bonaventure donnée
à Bàle en i5o2''l Neuf des sermons d'Auriol y ont été intercalés. Il
y en a un sur la Nativité, ou plutôt pour l'un des premiers dimanches
de l'Avent'^', un pour l'Epiphanie'^', un pour le Lundi saint'*', un
pour le Jeudi saint '^', deux autres sur l'Eucharistie'*^' qui doivent avoir
été prononcés aussi le Jeudi saint, un pour le Samedi saint sur la
Compassion de la Vierge ''', deux enfin pour la fête de l'Ascension'*'.
Le ton en est sérieux, pieux, quelquefois touchant. On n'y trouve
aucune de ces saillies ou de ces vulgarités qui ont été signalées chez
Jacques de Lausanne, non plus qu'aucun de ces traits de mœurs qui
rendent si instructive la lecture de certains sermonnaires de l'époque
antérieure. Le philosophe s'y révèle à peine par de lares citations
d'Aristote. Par contre, la subtilité et le mauvais goût, dont on a ren-
contré maintes traces dans les traités d'Auriol, se reconnaissent en
plusieurs passages''*'.
Nous passons à présent à des ouvrages dont l'authenticité parait
beaucoup plus douteuse.
Telle est une Logica, dont certains auteurs font mention'"^', et qui
se retrouve effectivement dans un manuscrit du xiv*" siècle contenant
divers ouvrages de Pierie Auriol, le n" 9^6 du fonds latin du Va-
tican, à la bibliothèque Vaticane (fol. 1-1 5)'"'; mais le nom d'Auriol
'"' C'est à cette édition , et non à un recueil
manuscrit, comme ie croit M. Slanonik
(p. 497) , que fait allusion Angelo Rocca, l'édi-
teur de S. Bonaventure , dans sa dédicace du
t. III de l'édition du Vatican ( i SgG ) , quand il
dit « se collegisse et segregasse hos sermones
« puros ci genuinos qui antea aliorum sermo-
«nibus, utpote Bonaventurse Paduani, Peiri
«Aureoli et Franrisci Mavronis, confuse per-
« mixti erant ». Cf. 5. BonncenUirw Opéra omnia ,
éd. David Fleming, t. IX (Quaracchi, 1901,
in-fol.), p. XI.
'•' 1" partie, fol. n'-i^'.
C Fol. 16'- 19".
<»' Fol. ^b'■^f.
i>> Fol. 53"-5y.
'•' Fol. bli'-b-]'' et 57°-6o'. Le premier est
qualifié de «senuo aureus».
'') Fol. 87''-90".
'•' Fol. 1 i9''-iua' et laa'-iaô".
'*' Le discours devait être interrompu par-
fois par des chants sacrés. C'est ainsi qu'au
milieu d'un des sermons du Jeudi saint se
lisent deux strophes du Laada Sioti, suivies
d'une hymne où l'on reconnaît des emprunts
an Pange lin(jua (fol. .">,S).
'"' Frizon, Gall. purpiir., 3 10; Ciaconius
(éd. de 1677), H, 437; Fisquet, La France
pontificale, I, 98.
'"' Inc. : Ad radium eruditionem et mei exer-
cilationem opascaliim super Logicam componen-
dum decrevi, uggredieiu quidein rem michi om-
PIERRE ÂURIOT., FRERE MINEUR.
519
n'y figure que dans un titre inscrit plus tard, par une main du xvi'^
ou du xvii'' siècle.
Tel est aussi un traité des Dix commandements, dont il sub-
siste, à Oxiord, quatre exemplaires du xv" siècle; le copiste d'un de
ces manuscrits a terminé le traité par la note suivante : Explicit Irac-
tatus deDecem prœceptis secundiim Petrum de /lurio/w'''; mais aucun nom
d'auteur ne figure dans les trois autres copies du même ouvrage'-'.
Tel est encore un traité du Baptême, De Baptismo, contenu, au dire
de Sbaraglia '^', dans le manuscrit d'Assise qui renferme les Sermons
d'Auriol. Ce manuscrit a été récemment catalogué par M. Mazzatinti,
et il n'y a signalé aucun ouvrage semblable ''^ A vrai dire, l'incipit,
reproduit par Sbaraglia**', donne l'idée d'une «question» relative au
baptême, plutôt que d'un traité complet, et la question est une de
celles auxquelles Auriol a répondu dans son Commentaire des Sen-
tences '•**.
Ou a cité encore, parmi les traités de Pierre Auriol conservés
autrefois chez les Franciscains de Séez, un livre intitulé Rosœ distinc-
twnes'''\ On trouverait, suivant Wadding, dans la Summa angehca
d'Ange de Chivasso de fréquents renvois à ce livre; nous les y avons
vainement cherchés : Ange de Chivasso, ce nous semble, ne cite de
Pierre Auriol que le Commentaire sur les Sentences. Il paraît diffi-
cile, d'ailleurs, d'assimiler cet ouvrage à la Rosa distincdonnm Pétri
cardinalis qui existait autrefois, dit-on, à Santa Croce, mais qui avait
disparu de Florence dès l'époque de Sbaraglia '^'. Et il est encore plus
nino difficilem , allamen tain iiiiclii qaam céleris
parvalis lacté indigentibus ittilem. . . Continebit
aiilem prœsens opiisculum très partes principales,
totam Logicm sahstantiam complectentes. Prima
pars erit de terminis , secunda pars de proposicio-
nihus, tertiapars erit de argumentis... I)es. : ... et
sic de similibas est dicenaam. Et hwc de falla-
ciis dicta sajficiant.
''' Ms. Bodl. 4oo,fol. 1-49. Inc. : Aon lia-
hebis deos aliénas. Exod. 20. In hoc primo man-
data, sicat liqaet ex glosis, prœcipitar unins
salins veri Dei caltus. . . Des. : . . . ausus est
prœsamere divinitatem ut , quia vidit ceteros in-
feriores, seipsam prœfert ut Deum.
m Ms. Bodl. 687 ;ms.DigJ)y lyS.fol. lo-Sg;
ms. Magdal. i3, M. io3-i56. — F.e texte de
ces copies présente (|uel(|nes variantes. Ln an-
cien catalogue attribuait ce traité , sans raison
apparente, à Robert Grossc-Téte (G.-D. Ma-
crav, Caialogi codicum manuscript. Bihl. Bod-
leianœ, pars IX, p. i83). Cf. Stanonik, p. ^gS.
m Suppl, p. 586.
'*' Inventari dei manoscritti délie biblioteche
d'Italia. t. IV (Forli, 189^, in-8°), p. 102.
'*' Inc. : Ad regenerationis Christi mysterium
tontemplandum fuit facta qaiestin : Utrum bap-
tismus qao Christasfuit baptizatus fuerit ejusdeni
rationis cam baptismo quo nos baptizamiir.
!"' In IV Sent., dist. 11, art. 3 , p. 37'' : De
baptismo Joannis, atrum Jaerit verum sacra-
mentam.
<') Wadding, Script, ord. Min.. 188; Fabri-
cius, V, 243.
m Snpp/., p. 586.
520
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
invraisemblable de supposer que ces Hosœ distinct'wnes soient seule-
ment un extrait du cinquième Quodlibet d'Auriol*''.
L'attribution à Pierre Auriol est encore moins fondée pour les
quatre ouvrages qui suivent :
Des Postilles sur Job*^', qui figurent à bon droit, semble-t-il, ])armi
les œuvres de saint Thomas d'Aquin'^';
Un Comput, conservé dans un manuscrit d'Assise, qu'un certain
frère P. aurait dédié à un certain A., évêque de (ilermont''*';
Un ouvrage bien connu, le Compcndium theologicœ veritatis, tour à
tour attribué à saint Thomas d'Aquin, à Albert le Grand, à saint
Bonaventure, à Hugues de Saint-Cher, à Alexandre de Halès, à Pierre
de Tarentaise, à Gilles de Rome, etc.'^', et que Pelbart de Temesvar
a cité, par mégarde, sous le nom de notre auteur'*';
Enfin la Diœta salatis, qu'un seul manuscrit du xv" siècle, conservé
sous la cote li. iv. 5 flans la bibliothèque de l'Université de Cambridge
(fol. 33-70), fournit sous le nom d'Auriol, mais qui a été nombre de
fois, à partir de là^^-, imprimée sous celui de saint Bonaventure, et
qu'on s'accorde aujourd'hui à attribuer, .sui- la foi du plus grand
des manuscrits, au frère Mineur Guillaume de Lavicea, Lancea ou
Lanicia'^K
Quel que soit le nombre des traités mis indûment, ou sans preuve
suffisante, sous le nom de Pierre Auriol, ce religieux demeure, comme
on l'a vu, l'auteur incontesté de beaucoup d'importants ouvrages qui
'"' M. Stanonik (p. 496) fonde cette hypo-
ihèso sur ce (p'Auriol prend l'exemple de la
rose dans un passage de ce Quodliiïet (arl. 2,
p. 58') : «Primus [conceptus] individui signati
de hac rosa concipitur; secundus vagi, duin
concipitur rota qaœdam; tertius naturae speci-
lîcai, duin concipitur rosa simpliciter . . . • C'est ,
d'ailleurs, un très court passage.
1') Cf. Sbaraglia, p. 585.
l'I Ed. Vives (1876), t. XVIII, p.
1-227.
Oudin ,
Cf. Quétif et Echard, t. I, p. 3a3;
m, 3 10, etc.
'*' Inc. : Verbum abbreviatum qaodfeci super
Coiupiilam, vobis, pateret domine domine A. , epi-
scope Claromontensis . . . (Sbaraglia, p. 586). —
Pour identifier ce frère P. à Pierre Auriol, il
ne sulTit peut-être pas de remarquer, comme
le fait M. .Stanonik (p. 498), qu'entre 1286 et
i,^3(i, il V eut trois évêques de Clermont dont
le nom commençait par un A.
''' Cf. l'article consacré à Hugues de Stras-
bourg, i/is(. litt. delà Fr., XXI, i57i63.
'•' Aureiim sacrœ theologiœ rosariam ( Brescia,
1.590, in 4°), t. II. fol. i', 3i8', 319". —C'est
cet ouvrage peut-être qu'ont en vue Wadding
(Script, ord. Min., 188), C. Oudin, Sbaraglia
et Cl. -Et. Novelletius, l'éditeur daCompendiam
Bibliœ (Houen, 1649), •T"'*"'^ •'* attril)ucnt à
Piei're Auriol un Compeiidium llieoloijiie in vili
libros partitam ( cf. Stanonik , p. 494).
''' Sur lui voir un court article de Ilau-
réau (//ÙJ. litt. de la Fr., XXVI, 552-555). Cf.
S. lionaveiiturtB opéra omnia, éd. D. Fleming,
I.X, p. i4.
PIERRE AURIOJ., FRERE MINEUR. 521
lui assurent une place considérable parmi les théologiens et les phi-
losophes du XIV* siècle.
Entre ceux-ci il se distingue par son originalité. « Une doctrine
« célèbre, écrit saint Antonin de Florence, fut celle de Pierre Auriol :
« dans son livre sur les Sentences, il s'éleva contre tous les philosophes,
« remettant en question ce qu'ils avaient démontré; aussi tous à leur
«tour s'élevèrent-ils contre lui*''...» Appréciation reproduite, à
peu de chose près, par Bayle, dans son Dictionnaire^^^ : « C'était un es-
« prit subtil , dit-il , mais trop avide de se distinguer par des opinions
« nouvelles. »
Les érudits qui, au siècle dernier, se sont appliqués particulière-
ment à l'étude de la philosophie scolastique ont tous reconnu chez
Auriol cette tendance à critiquer les doctrines scotistes, aussi bien
3ue les thomistes, et cette indépendance avec laquelle il se formait
es opinions personnelles qui constituaient en quelque sorte une doc-
trine de juste milieu*^*. On a même été jusqu'à prononcer les mots
de « défection » et d'« apostasie » , en songeant au trouble que de telles
nouveautés avaient dû jeter dans l'école franciscaine, « queDuns Scot,
« par l'éclat de son mérite , avait réussi à discipliner '*' ». Ce qui n'est pas
exact, c'est de prêter à Auriol un stratagème dont nous n'avons nulle
part trouvé trace. Comme fransciscain , dit-on, il avait le droit, et
presque le devoir d'attaquer saint Thomas, mais il devait respecter
Jean Duns Scot : aussi nomme-t-il constamment le premier, tandis
3u'il tait le nom du second , chaque fois qu'il lui arrive de réfuter sa
octrine *^'. La vérité est qu'il ne prononce que rarement le nom des
auteurs modernes; cependant, nous l'avons dit ■^', Duns Scot est peut-
être, avec saint Thomas ''', celui qu'il prend à partie le plus volon-
tiers et le plus ostensiblement, en le désignant par son surnom très
reconnaissable de Docteur subtil'*'.
Les universaux, enseigne Auriol, ne sont pas quelque chose d'ob-
jectif possédant l'existence, hors de l'intellect, au sein de la nature.
'■> Chron., tit. XXIV, c. 8, S 3 (éd. de scolastique, 2° édition, t. II, part. 11, p. 3i5.
Lyon,, 1587, III, 772). (>) Ibid.. p. 317.
<*) Ed. de 1 730, t. I, p. 398. '•) Ci-dessus, p. 5o4.
'') Prantl, Gesch. d. Logik im AbendL, III, C In III Sent., dist. xiv, qu. 3, art. i,
319; Stôcki, Gesch. d. Philos, des Mittelalt., II, p. 433\ 434", i^']\ etc.
973. (*' Iii III Sent., dist. viii, art. 3, p. 95',
''' B. Hauréaa, Histoire de la philosophie 1/1 /K Sent., dist. x, qu. 3, art. 3, p. 91'', etc.
IIIST. LlTTÉli. XXXIH. 66
522 PIERRE ALRIOL, FRERE MINEUR.
Le prétendre, ce serait retomber dans l'erreur de Platon. Il n'y a^
dans la réalité, que des choses individuelles. L'idée d'homme et l'idée
d'animal, par exemple, en tant qu'elles se distinguent de Socrate,
ne sont rien qu'un concept, un produit de l'intelligence hu-
maine'''. Par suite, la recherche du principe d'individuation, qui
tient tant de place notamment dans la philosophie thomiste, est tout
à fait oiseuse, au dire de Pierre Auriol. Elle n'a point de sens, puisque
l'universel n'est pas objectivement réel : Realiter locjuendo, fiuwstio
nulla est. Toute chose réelle est par là même individuelle; toute chose
universelle est par là même une conception : Omnis res est seipsa
singulans, et per nihil aliud, sedper illam^'^K
\ Une matière universelle qui aurait l'être sans avoir de forme n'existe
pas. « Une chose, avant d'être créée, est seulement en puissance, n'est
«pas en acte : donc elle n'est rien*^'. » C'était la condamnation, ainsi
qu'on l'a remarqué'*', d'une thèse de Duns Scot consistant à soutenir
que «la matière en elle-même est un être du genre de la substance,
« le plus imparfait des êtres sans contredit, puisque toute perfection
« vient de la forme, mais toutefois un être réel ».
On comprend dès maintenant que Karl Werner ait pu définir
le système d'Auriol « un Scotisme allié à des tendances nomina-
« listes'^'».
Les mêmes tendances apparaissent dans la négation des espèces,
ces images indispensables à la connaissance suivant la théorie tho-
miste. Auriol estime qu'il faut éviter toute multiplication inutile des
êtres, et que l'invention de cesformœ speculares ne contribue nullement
à nous faire mieux saisir le phénomène de la connaissance'*'.
Il assume, en somme, le rôle de simplificateur. De même qu'il su]>-
prime les intermédiaires de la connaissance, il rejette la thèse de
Scot suivant laquelle, dans une même chose, peuvent subsister
plusieurs « formalités » réellement distinctes '''. Ce dédain pour la plu-
part des fictions réalistes a fait dire qu'il avait donné le signal de la
'"' /n /iSe«/., dist. XXIII, art. 2 ; in // iSe/it. , ''' Der heilige Thomas von Aqaino (Ralis-
(list. IX, qu. a, art. i, p. io3', io6'. bonne, 1869, in-8°), III. 180.
''' In II Sent. , dist. ix, qu. 3, art. 3, p. 114". '*' In II Sent., dist. xii, qu. 1, art. i\inl
Cf. Hauréau , p. 3 1 g. Sent. , dist. ix , art. 1 , p. 3 1 9", 3ao'. Cf. Prantl ,
''> /n 7/ ScHt.. dist. XII, qii. I, art. a. III, 3a3.
W Hauréau, p. 3 18, 3 19. C Quodl I, p. a'. Hauréau, p. 3a4, 3a5.
PIERRE ALRIOL, FRÈRE MINEUR.
523
réaction prochaine qui devait toutes les anéantir ''*, et l'on a pu recon-
naître en lui le véritable précurseur d'Occam ^^'.
Ce n'est pas à dire pour cela qu'il soit exempt d'un défaut commun
à la plupart des philosophes de cette époque, une subtilité excessive
et une manie de multiplier des distinctions souvent inintelligibles.
On le voit s'embarrasser mainte et mainte fois de questions tout à fait
oiseuses. Il serait, d'ailleurs, beaucoup trop long d'entrer ici dans le
détail de ses théories métaphysiques et psychologiques; ce travail,
commencé notamment par Prantl '^', a été plus récemment mené à
bien par Karl Werner'*"'.
Constatons seulement qu'on s'est mépris en signalant une pré-
tendue contradiction entre sa croyance religieuse et sa doctrine phi-
losophique. Non seulement il n'a pas soutenu, comme on l'a dit'^*,
la thèse averroïste de l'éternité du monde, mais il s'est rangé résolu-
ment parmi ceux qui croyaient que la création pouvait être démontrée
par des raisons philosophiques'®'. En d'autres cas, d'ailleurs, il ne
faisait aucune dilFiculté de reconnaître que certains faits du domaine
de la foi se trouvaient soustraits entièrement au contrôle de la raison
naturelle : telle était la croyance plaçant le séjour des bienheureux
dans la région immuable du Ciel empvrée*^'.
En morale'^', Auriol se livre souvent a des analyses délicates,
comme quand il recherche si le mensonge est toujours unpéché. Il croit
devoir distinguer bien des sortes de mensonges : le mensonge fait par
plaisir, très fréquent chez les femmes; le mensonge d'orgueil; le
mensonge facétieux; le mensonge utile, moins entaché de malice;
''' Hauréau, p. 326.
"1 Stôckl,p. 970.
P' P. 32/i et suiv.
'*' K. Werner s'applique surtout à discerner
en quoi les thèses d'Auriol s'écartent de la doc-
trine thomiste [Der h. Th. von Aquino, III,
ii3, i8o, 182, i83, 186-190, 194, 196-
2i5, 218-229, a3i, 235-239) ^^ ^" quoi elles
se rapprochent de la doctrine d'Averroès [Dcr
Averroismas in der christlich-peripatetischen Psy-
chologie, Vienne, 1881, p. 177-231). On peut
regretter seulement que le savant autrichien
n'ait pas connu le De Principiis natarœ.
''' Bayle (I, 399) l'affirme, mais il ne le
sait que par Théoph. Raynaud,qui lui-même,
n'ayant pas In Auriol , se borne à renvoyer à
un passage des Defensiones théologie; divi Tltomee
de Jean Capreolus : or ce dernier ne dit rien
de pareil. On est plus surpris de rencontrer
une affirmation semblable sous la plume de
R. Werner(op. cit., p. 226, et Die Scholastik des
spâteren Mittelalters ,\ienne , 1887, in-8°, t. IV,
1" partie, p. i4i ).
'"' In II Sent., dist. l, qu. 1, art. 4, p. i6'.
!'' In II Sent. , dist. 11 , qu. 3 , art. 3 , p. 54\
55^
'*' Les points de morale sur lesquels Auriol
est en contradiction avec l'école thomiste ont
été indiqués par K. Werner [Der h. Thomas
V. Aquino, III, 239-242; Der Averroismas in
der christlich-peripatetischen Psychologie , p. 5i
et suiv.).
66.
524 PIERRE AURIOI., FRERE MINEUR.
enfin le mensonge nuisible, qui fait tort au prochain. Tous sont des
péchés, mais le dernier seul est un péché mortel. Cependant qui se
place, en quelque sorte, dans la nécessité de mentir par suite de la
mauvaise habitude qu'il en a contractée peut pécher mortellement.
Il faut tenir compte aussi des circonstances de personnes : un prélat,
un religieux doivent être tout à Dieu; il en résulte qu'un mensonge
même facétieux peut atteindre, dans leur bouche, les proportions d'une
faute mortelle; telle semble être du moins la doctrine de PitM-re Lom-
bard. Sur ce, Pierre Auriol entreprend d'excuser Abraham alors qu'il
dit, à Gérara, que Sara était sa sœur, Jacob quand il se fit passer
pour Esaù; il est plus sévère pour Rachel, mais plein d'indul-
gence pour Judith'''. On peut, en somme, le compter au nombre des
moralistes austères.
Comme théologien, il se préoccupe du sort des âmes de ceux qui
meurent souillés de la tache originelle : question, dit-il, très diffi-
cile. Pour les uns, ces âmes demeurent plongées dans les ténèbres,
complètement ignorantes des joies du Paradis. Suivant d'autres, elles
comprennent que ce bonheur n'est pas pour elles et ne souffrent pas,
d'ailleurs, de sa privation : c'est ainsi, dit Auriol, que je ne souflre
nullement de n'être pas roi de France. Même incertitude quant au
lieu où séjournent ces âmes. Auriol a entendu quelques-uns soutenir
qu'elles parcourent la terre entière, acquérant une connaissance
étendue de la nature, passant leur temps à se promener, à se dis-
traire, à discuter : mais, en l'absence de preuves et d'autorités suffi-
santes, il s'abstient prudemment de conclure'^'.
Pour sauver les âmes sous l'empire de la loi de nature, il admet
qu'une croyance au Sauveur, même rudimentaire et indirecte, était
suffisante. Les Juifs pouvaient ainsi se contenter de croire d'une ma-
nière générale ce qu'avait cru leur père Abraham , de même que beau-
coup de chrétiens, flans leur simplicité, se contentent de croire tout
ce que l'Eglise enseigne. Job, parmi les gentils, eut la révélation de la
foi : il en résulte qu'une multitude de gentils, disciples de Job, ont eu
en Jésus-Christ une sorte de foi dérivée. Mais que penser des philo-
sophes grecs, auxquels les auteurs scolastiques recouraient si volon-
tiers? Pour Platon, Auriol aimait à se persuader, en s'appuyant sur
<"' In Sent. III, disl. xxviii, p. 536'. — '*' In II Sent.. <lis\. xxxin, ait. a, p. a88.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
525
saint Augustin, qu'il avait eu communication de la foi au Christ par
Jérémie, avec lequel il avait dû s'aboucher en Egypte'''. Le casd'Aris-
tote lui paraissait encore plus embarrassant, et, celte fois, l'opinion de
saint Augustin semblait peu rassurante'"''. Toutefois notre frère Mi-
neur rappelait la légende suivant laquelle une profession de foi en
« celui qui devait naître d'une vierge » avait été trouvée dans le tom-
beau d'Arisfote. D'autres soutenaient que, pour être sauvés, il avait
sulll aux anciens Grecs de croire en un dispensateur de tous biens,
ce qui équivalait implicitement à croire que Dieu ferait le nécessaire
pour opérer le salut des hommes. Mais cela était-il sûr.-^ Aristote,
d'ailleurs, n'avait jamais admis que Dieu fût ce dispensateur. Bref,
Pierre Auriol demeurait perplexe'^'.
Il développait ailleurs la théorie des indulgences''"', puis se pro-
nonçait énergiquement pour le secret delà confession, secret que nul
prêtre ne peut violer, même sur l'ordre du pape, même pour déjouer
des projets funestes à l'Eglise qu'aurait avoués un hérétique'^'. Sont as-
treints à la même obligation du secret et celui qui, se trouvant à portée
de la voix du pénitent, aurait entendu son aveu, et celui à qui un
prêtre indigne aurait révélé quelque fait appris en confession'*'.
Sur d'autres points de la théorie des sacrements, on a relevé quel-
ques divergences entre Pierre Auriol et l'école thomiste'^'; mais il n'est
pas tout à fait exact dédire, comme Pierre Allix'*' et Pierre Bayle'^',
que sa foi en la transsubstantiation était uniquement fondée sur
l'autorité des saints''"'.
'"' Aug. , Enarr. in Ps. CXL, 19. Auriol ne
parait pas avoir connu le passage de la Cité
de Dieu ( VIII, 1 1 ) où saint Augustin démontre
l'impossibilité de cette rencontre.
'*' De Doctr. christ. II, 28.
<*' In IV Sent., dist. xx, p. i48et suiv.
<*' In IV Sent., dist. i, qu. 3 , art. 3, p. 3r.
'*' Sur l'état de la question au xiv' siècle ,
voir H.-Ch. Lea, A kistory oj aaricular confes-
sion and indulgences in the latin Cluirck (Phila-
delphie, 1896, in-S"), t. II, p. 431.
'*' In IV Sent., dist. xxi, art. 2, p. i53'*
''' Par exemple, au sujet de l'eucharistie et
du mariage , de même au sujet de la résurrec-
tion des corps. D'une manière générale, on
découvre dans la théologie de Pierre Auriol
des influences nominalistes (voir K. VVerner,
Der heilige Thomas von Aqaino. t. III, p. 243).
'*' « Petrus Aureolus, Romanie Ecclesia; car-
• dinalis [sic), hoc profitetur : «Propter solas
0 authoritates sanctorum teneo ipiod transsui)-
« stantiatio est verus transitus et conversio
• totius panis in totum corpus Domini. » [Prœ-
fatio historien de dogmate transsuhstantiationis ,
Londres, 1686, in-8°, p. 66.)
'') Dict. hist. et crit.. 1, 399.
''") Voici ce que dit Pierre Auriol : « Prima
«[conclusio] est quod, dato quod intellectui
• moflo non appareret ratio et modus, tanien
« propter solas auctoritates sanctorum teneo
« quod transsuhstantiatio est verus ti'ansitus et
« conversio totius panis in totum corpus Do-
«mini. . . Secunda propositio est quod, licet
« sit valde difficile videra et intelligere quo-
526
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR.
Tout favorable qu'il se montrât à la suprématie du pape, Pierre
Auriol déclarait le souverain pontife coupable de simonie quand il
vendait des choses spirituelles ou des biens dont la vente entraînait
celle de choses spirituelles. C'est ainsi que la vente d'une pré-
bende, par exemple, entraîne nécessairement la vente de l'autorité
spirituelle attachée au canonicat. En pareil cas, le pape est coupable,
bien qu'il n'encoure pas la peine, qui est de droit positif. Auriol
admet, d'ailleurs, que le pape mette la main sur les richesses de
l'Eglise, en vertu de sa souveraineté et de son autorité plénière; il lui
dénie seulement le droit de s'en approprier la moindre partie comme
compensation du don qu'il aurait fait d'un bénéfice'*'. Ces principes
étaient posés, ne f oublions pas, vers i3i8, au début du règne de
Jean XXII, sous lequel allait donner lieu à tant de critiques, fondées
ou non, la fiscalité pontificale: s'ils justifiaient la perception au profit
du Saint-Siège des décimes ou même, à la rigueur, des annates
et services communs, n'étaient-ils pas la condamnation formelle des
taxes perçues en cour de Rome à l'occasion du don des grâces ex-
pectatives.^ Saluons cet acte de courage chez un religieux qui devait
déjà beaucoup et qui allait bientôt devoir plus encore à la protection
du pape.
Le nom d'Auriol a survécu en dépit, ou plutôt à cause des attaques
dont ses doctrines subtiles ont été l'objet dès le début. Sans parler
de ses contemporains Jean Canon et François de Meyronnes, qui le
citent fréquemment, Jean de Bacontliorpe, qui mourut en i34(),
s'applique constamment à le prendre en défaut, à prouver, par
exemple, qu'il n'a pas bien saisi la pensée de Duns Scot*^'. 11 en est
de même, au xv" siècle, du dominicain Jean (>apreolus, le «prince
« des Thomistes » : à tout propos, il reprend Auriol, parfois avec une
extrême aigreur, dans ses Dejensiones theologiœ sancti Doctoris'-^K
« modo potest dici quod aliquid transeat in
taliud, ubi vero est aliud commune, possu-
« mus tanien dicorc quod vere transit aliquid. »
(In IV Sent., dist. xi, qu. i, art. 3, p. 9l)^)
« In IV Sent., dist. xxv, art. 3, p. i66\
''' In I Sent. , t. I,p. i5, 60, 76, lai, lijy,
i45, 160, 16A. 178, 1 83 et suiv., 186, 209,
ail, ai6, a3i, 237, 266 et suiv., 280 et
suiv., 289, 296 et suiv., 334, 34o et suiv.,
345, 362,363, 383 et suiv., 4 1 3, etc.
'^' « Iste [Aureolus] valde impudenter, false et
« tnincate dicta S. 'i'Iiomie récitât in hac parte. »
[VA. des PP. G. Pabau et Tti. Pègues, Tours,
1 900- 1902, t. II , p. 280.) — Cependant, d'après
Oldoini [Athenœam romanum , Pérouse, 1676,
in-4°, p. 176), le cardinal Boccafuoco, l'édi-
teur d'Auriol, serait l'auteur d'un ouvrage,
sans doute demeuré inédit, dans lequel il s'ef-
forçait de concilier les doctrines d'Auriol et de
Capreolus : Auréola.'! cam Capreolo conciliatus.
PIERRE AURIOL, FRERE MINEUR. 527
Par contre les éloges n'ont pas manqué à notre frère Mineur, à
commencer par ceux que lui décernait Albizzi dès la fin du xiv* siècle.
Deux fois celui-ci accole au nom d'Auriol l'épithète très méritée de
facnndus^^\ ce qui a fait croire, sans doute à tort, que Pierre Auriol
fut connu dans l'École sous le surnom de Doctorfacandus^^\
Lors de la seconde translation des cendres de Duns Scot, vers 1 5 1 3 ,
à Cologne, on sculpta sur le nouveau tombeau du Docteur subtil les
effigies des principaux maîtres de l'ordre de Saint-François : entre
celles de Guillaume de Ware et de Nicolas de Lire figurait, paraît-il,
l'image de Pierre Auriol'^'.
Pour ne parler que des modernes, Karl Werner se plaît à recon-
naître en lui, en regard d'Anglais tels que Bacon, Scot ou Occam,
un « véritable représentant de l'esprit Irançais qui trouva plus tard
« son expression dans Descartes '*' » ; et Prantl va jusqu'à dire que Pierre
Auriol laisse bien loin derrière lui Albert le Grand et saint Thomas
d'Aquin'^l
Sans nous porter garants de l'exactitude de ces appréciations,
nous nous bornerons à constater qu'à côté du religieux soumis à
l'autorité du Saint-Siège et adversaire d'un rigorisme excessif,
à côté du défenseur convaincu, mais prudent, de la thèse de l'Imma-
culée Conception de la Vierge, à côté enfin de l'interprète méthodique
de l'Ecriture, il y a chez Pierre Auriol un penseur original qui, en
aucune des matières de l'enseignement philosophique, ne se contenta
des solutions fournies par les maîtres anciens ou modernes le plus en
vogue à son époque, que ces maîtres se nommassent Aristote ou
Averroès, Thomas d'Aquin ou Duns Scot, et qui toujours eut l'am-
bition de parvenir par son effort personnel le plus près possible de
la vérité.
N.V.
'"' «Fr. Petrus Aureoli , facundus in theolo- ''' Wadding, Annales ordinis Minorum, III,
« gia , magister in theologica facidtate , scripsit 1 68.
«pluraetbene. . . »■ Istaprovincia Aquitaniae. . . ''' Ibid. , p. 81.
« nabuit iUum magistrum facundum fr. Petrum <*' Die Scholaslik des spàteren Miltelalters ,
«Aureoli, qui luculenter scripsit super Sen- t. IV, i, p. 6.
«tentias. . . » {Lib. conformit., fol. 81, 126.) '*' Gesch. der Logik, HT, 337.
528
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
AUTEURS DU DEFENSOR PACIS.
Parmi tous les ouvrages de polémique religieuse publiés dans la
première partie du xiv" siècle, il n'en est point qui ait fait autant
scandale, qui ait eu autant d'influence sur les événements et de reten-
tissement prolongé que le célèbre Defensor pacis. Un Champenois et
un Padouan s'associèrent pour le composer.
Ce n'est point le seul motif qui nous porte à rapprocher dans une
même notice les noms de Jean de Jandun et de Marsile de Padoue :
tous deux appartenaient à l'Université de Paris; ils se lièrent d'amitié
et se rendirent des services réciproques; l'effet de leur collaboration
fut de les lancer dans les mêmes aventures, de les faire entrer au ser-
vice du même prince, de les exposer aux mêmes condamnations.
Malgré ces nombreux points de contact, chacun a son œuvre spé-
ciale et sa physionomie propre. C'est pourquoi, tour à tour, il nous
faudra les étudier ensemble et les envisager séparément.
I
Nombre d'auteurs ont confondu Jean de Jandun et Jean de Gand'"'.
''' Cette confusion remonte au xv' siècle.
Un ms. de Florence daté de i438 (Laurent.,
Medic.-Fesul. 160) contient, sous le nom de
Jean de Gand, les Questions sur les livres de
l'Ame, ouvrage qui appartient notoirement à
Jean de Jandun. Il en est de même d'un ms. de
la bibliothèque de Saint-Marc de Venise (cl. x,
76) : • Expliciunt Questiones trium librorum
« de Anima , édite ab excellentissimo doctore ac
« magistro Johanne de Gandavo in Flandria. »
Cette erreur a été aussi commise par quelques-
uns des premiers éditeurs des écrits philoso-
})hiques de Jean de Jandun. Ses Questions sur
e De Siibstanlia orbis, par exemple , publiées à
Venise en i ^93 et en 1 5 1 4 1 portent le nom
de Jean de Gand , ainsi que l'édition des Ques-
tions sur les livres de l'Ame de 1 /tgy et celle
des Questions sur les Pana naturalia de i5o5.
Quant aux Questions sur le livre du Ciel et du
monde, elles ont paru, à Venise, en i5oi et
en i5i9, sous le nom composite de «Jean de
«Jandun de Gand». Marc-Antoine Zimara dé-
signe Jean de Gand comme l'auteur des Ques-
tions sur la Métaphysique qu'il commentait vers
l'année 1 5o5 , et les vers suivants accompa-
gnent l'édition de i525 du même ouvrage :
Quantus Arislotc-Ios , tantus Gaiulavus habetur.
Qui solus claram focit Arislotolem.
Des manuscrits et des éditions l'erreur a
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
m
Jean de Gand, maître en théologie et chanoine de l^aris''^, n'a rien
de commun, si ce n'est le prénom, et l'âge peut-être, avec l'écrivain
que les textes contemporains dénomment Johannes Gendini ^^\ Glian-
doni^^\ de Gandinio, de Gendinio^'*\ de Ganduno^^\ de Gandonc^'^\ de
Gandono^'\ de Jandono^^\ de Gendano^^\ de Jandano^^^\ Ces dernières
formes, les plus répandues, sont aussi les meilleures, car il résulte
d'un document digne de foi que notre auteur était originaire du
diocèse de Reims*") : il ne peut donc tirer son nom que du village
champenois de Jandun, aujourd'hui compris dans le département des
Ardennes ''■^'.
Si haut que l'on remonte, on trouve Jean de Jandun se livrant à
la composition de traités philosophiques. Deux de sfes ouvrages sont
datés de i3oo et de i3io. Il est vrai que ces deux dates sont contra-
dictoires : car le Commentaire sur le traité de l'Âme d'Aristote, dont
le second livre aurait été rédigé en i3oo suivant un manuscrit d'Ox-
ford''^', contient, dans ce second livre, une citation du De Sensu
a(jente^^'^\ et ne saurait être par conséquent, antérieur à cet ouvrage;
tout naturellement passé dans les ouvrages de
bibiio^aphie. On la trouve chez FlaciusIUyricus
(Catalogus testium verilatis , i56a), chez Valère
André [Bibl. betgica, i73g, II, 644), chez
Ellies du Pin {Bibl. des autears ecclès. ou hisl.
des controverses du xir" siècle, 1701, p. '.iSSj,
chez Wharton (Guill. Cave, Script, eccles. hist.
litter., II. Suppl. , 36), etc.
''' Mentionné en i3o3 et en i3lo : voir
Denifle et Châtelain , Chartularium Universitatis
Parisiensis. II, io3, i42.
'*' Chronographia regum Francorum, édit.
Moranvillé, I, a65.
''' Bibl. nat., ms. lat. 6532, fol. 61.
'*' Ms. 23 1 d'Utrecht, fol. i. 56 V, 74.
<•' Bulle du 3 avril 1327 [Chartul. Univ.
Paris., II, 3oi); Henri de Rebdorff (Bôhmer,
Fontes rer. Germanie, IV, 554); m». d'Osford,
Bodl. , Canonici Miscell. 407, fol. 8; ms. de
Bruxelles 868.
'•' Jean Villani (Muratori, Rer. ital. script.,
XIII, 56o).
''' Ms. d'Oxford, Bodl., Canonici Miscell.
466.
<"' Ms. d'Oxford, Bodl., Canonici Miscell.
226.
'•' Bibl. nat.,ms. lat. 16089, fol. 161, 166;
HIST. LITTER.
XXXIII.
Arch. nat.,,1 i55, n" 3; S 6/n(), n° i3; Bibl.
Bodl., ms. Canonici Miscell. 242; Bibl. im-
per, de Vienne, ms. 4753; continuateur de
Géraud de Frachet {Rec. des Hist. de Fr.,
XXI, 68).
'"' Bibl. Bodl., mss. Canonici Miscell. 226,
242, 466; ms. 43 1 de Turin; lettre de Michel
de Céséne (S. Riezler, Die litterarischen Wider-
sacher dcr Pàpste zur Zeit Ludwigs des liayers ,
Leipzig, 1874, in-8", p. Sog); continuateur
de Guill. de Nangis, 11, 1 4- ^
'"' Theiner, Cod. diplomat. dominii tempor.
S. Sedis, I, 556.
''*' Arr. Mézicres, cant. Signi-l'Abbaye. —
La version allemande d'un acte impérial de
i336 désigne notre auteur sous le nom de
«Johann von Gandunn » (Riezler, p. 3i6).
Cf. C. Oudin, Commentar. de scriptoribiis
Eccl. antiqais, III, 883; abbé Bouillot,
Biographie ardennaise (Paris, i83o, in-S"),
II, 52.
'"' Bodl., Canonici Miscell. 242 : « Expli-
« ciunt questiones super secundnm de Anima ,
« ordinale per magistrum .lohannem de Gén-
ie duno, anno Domini mcoc. »
'"' Lib. II, qu. 16 : «Ad hujus autem con-
« clusionis probationem adducit unus multas ra-
«7
530 JEAîiiiDE JANDUN ET MARSIF^E DE PADOUE.
or, c'est précisément le De Sensu agente qui , dans le ms. latin 1 60891,
porte la date de i3io''l
Quoi qu'il en soit, Jean de Jandun, décoré, dans ces textes, du titre
de « maître » , ce qui indique peut-être qu'il était simplement maître
es arts de l'Université de Paris, devait jouir, au commencement du
XIV* siècle, d'une certaine réputation dans l'Ecole: car, dès la fondation
du collège de Navarre, on le voit y exercer la charge de « maître des
«artiens». C'est ce que nous apprend un acte des exécuteurs testa-
mentaires de la reine Jeanne, femme de Philippe le Bel,, fondatrice
du collège : le 3 avril i3i6, ces exécuteurs firent comparaître tous
les maîtres et écoliers du collège de Navarre pour les obliger à jurer
l'observation du règlement; parmi eux se trouvait Jean de Jandun,
qualifié dans l'acte de magister artistaram, et chargé d'enseigner les
arts et la philosophie à vingt-neuf ico/ares in logica seu artium fatultate^'^h
D'après le testament de la reine Jeanne, complété par le règlement de
i3i6, le maître de philosophie du collège de Navarre devait être ori-
ginaire de Champagne ou de la province de Sens, bien instruit dans
les arts, capable de former non seulement les esprits, mais les mœurs
de ses élèves par ses leçons et ses exemples'^'; de ces diverses condi-
tions, les premières, à coup sûr, se trouvaient réunies en Jean de
Jandun : nous aimons à supposer qu'il remplissait également bien
la dernière.
Ce qui tendrait à le faire croire, c'est que, le i3 novembre de la
même année, Jean XXll, en lui conférant un des canonicats du cha-
pitre de Senlis, crut devoir louer la droiture de son caractère, probi-
tatem, attestée, disait-il, par des personnes dignes de foi''*'.
Il ne faut point chercher d'autre explication que cette provision
i>tiones,qaaraminelioresetfortioresad prsesens « randae sunt ia duobus tractatibus. . . » (Ed.de
«inducam; reliquac autem consideratae sunt in Venise, iSoy.)
« secundo tractatu de Sensu agente , quem ordi- '"' Fol. 166 : «Explicit Sojihisnia de Sensu
« navi contra illain positionem. » — Dansd'autres « agente ordinatum a magistro Johanne de Gen-
raanuscrits , le Commentaire de Jean de Jandun « duno , anno Domini m°ccc°x°. »
sur le Traité de l'Ame d'Aristote se présente ''' Arch. iiat. , J i55, n° 3; Launoi, Reffii
sous une forme notablement différente ; on y Navar. gYmnasii hist. , 1 , 38.
trouve cependant, au liv. II, qu. 16, le même <'' Launoi, 1,8, 37.
renvoi au De Sensu agente, mais avec quelques '*' Ant. Thomas, Extraits des Archives du
variantes : • Reliquœ autem consideratse sunt in Vatican pour serrir à l'histoire littéraire du
« duobustractatibus de Sensu agente, quos ordi- moye/i âge, dans les Mélanges d archéologie et
« navi contra iilam positionem. • ( Dodl. , Cano- d'histoire publiés par l'Ecole française de Kome ,
nici Miscell. 466.] «Relique autem conside- II, 4^>'
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 551
apostolique à la présence de Jean de Jandun en la ville de Senlis,
constatée à plusieurs reprises durant les années suivantes. Jean de
Jandun prenait sans doute ses devoirs de chanoine au sérieux; le cha-
pitre de Senlis n'entendait peut-être pas raillerie au sujet de la rési-
dence. En tous cas, il n'est nullement nécessaire de supposer, comme
l'ont fait gratuitement Le Roux de Lincy et Tisserand'"', on ne sait
quelle persécution qui aurait forcé le philosophe, quelque peu
suspect d'averroïsme, à chercher un refuge hors de Paris, à Senlis,
dont l'évêque était alors conservateur des privilèges de l'Université.
Jean de Jandun avait beau envelopper dans une même admiration
Aristote et son commentateur arabe '^'; il. avait beau présenter sous
un jour favorable les doctrines les plus aventurées de la philosophie
averroïste : il ne parait avoir jamais été inquiété à ce sujet. Le moyen
de détourner les soupçons et de vivre en paix avec l'Eglise était de
multiplier les professions de foi orthodoxe : il le connaissait bien.
Nous verrons de quelle manière constante il en usait. Cela paraît
lui avoir assez bien réussi. N'est-ce pas lui qui , en 1 3 3 3 , constatait
que, moyennant cette soumission notoire aux articles de la foi catho-
lique, les philosophes jouissaient, à Paris, d'une entière liberté et
pouvaient y exposer les thèses les plus contraires et s'y disputer à
leur aise '^'.-^ ino) \\
Jean de Jandun était donc à Senlis le 3 juillet i323, quand il
reçut d'un de ses amis, «homme de haut caractère et de profonde
«sagesse», une lettre contenant, entre autres, ces mots d'une saveur
toute scolastique : « Tu dois avouer, je pense, qu'être à Paris, c'est être,
«dans le sens absolu, simpliciter ; être ailleurs, c'est n'être que d'une
« façon relative, secundam qmd^'*\ » Froissé dans ses goûts provinciaux,
Jean de Jandun répondit en énumérant, non sans verve, les moda-
lités qui constituaient, suivant lui, l'existence à Senlis. Etre à Senlis,
c'est exister au milieu d'une ceinture de forêts ombreuses, mais non
*'' Paris el ses historiens aux xiv" et xv' siè- ''' Paris et set historiens aux xiv' et xv' siè-
cles (1867, in-4°), p. 9-1 1 ; cf. p. 29, note 3. des, p. 4o. — Jean de Jandun applique cette
'*' •Averroes praecipuus et perfectissimus remarque aux théologiens, mais lorsque
• Aristotelis imita tor», dit-il quelque part (Pe/-- ceux-ci disputent sur des matières philoso-
spicacissimispeculatorisJoannisGrtindarensis super phiques. Il est clair que la même observation
Parvis naturuUbus Aristotelis questiones peratiles pouvait s'entendre des philosophes de la
flc eleganter discusse, Venise, i5o5, in-fol., F'aculté des arts,
fol. AS']. '') Paris et set histor.. p. 7^.
67.
532 JEAN DK JANDUN ET M.\1\SILE DE PADOIJE.
pas impénétrables, où les concerts des rossignols réjouissent les
oreilles de l'homme. Etre à Senlis, c'est exister dans des jardins bien
arrosés, dans des vergers chargés de fruits, dans des prairies émail-
lées de fleurs, à portée de ruisseaux limpides. Etre à Senlis, c'est
exister en un pays de vignobles, où abondent aussi les céréales. Etre à
Senlis, c'est demeurer dans des maisons bien bâties en bonnes pierres
et sur caves, où ie vin se consei>e trais même au cœur de lété. Etre
à Senlis, c'est habiter sur une hauteur, en une ville bien pavée et
exempte de crotte, où des brises tempérées apportent les senteurs
des bois, où l'abondance des vivres, du gibier, du poisson garnit les
tables à souhait, même les jours d'abstinence, où le laitage, le beurre,
le fromage fournissent aux personnes de condition modeste une nour-
riture saine et apaisante. Etre à Senlis, c'est se mêler à une popu-
lation française, douce, aimable et fidèle; et, pour tout dire d'un
mot, Senhs possède les divers biens que Dieu, la nature et l'art ont
produits pour le bonheur de l'homme : c'est, en quelque sorte, une
image de la beauté du Paradis'"'.
Ce charmant plaidoyer eut le malheur de déplaire à un habitant
de Paris, qui, pour venger la capitale, entreprit de célébrer, dans un
style boursouflé, les incontestables mérites d'une ville qui défiait et
défierait toujours toute comparaison. Il termina son panégyrique
pédantesque en appelant les vengeances du Ciel sur l'ingrat effronté
qui se permettait d'instituer un parallèle entre Paris [Parisius) et
Senlis [Silvanectum) : autant valait comparer le Paradis [Paradisum) à
un bois aifreux [silva). «Cet éloge, ajoutait-il ironiqueinenl, n'est
«point complet : l'auteur a omis de citer, parmi les agréments de
«Senlis, la multitude de ses mouches et les harmonieux coassc-
« ments de ses grenouilles'^'. »
Jean de Jandun ne crut pouvoir mieux répondre aux attaques de
ce maussade écrivain (^dictator : c'est sous ce nom seulement qu'il le
désigne) qu'en lui prouvant que, sans cesser de rendre justice à
Senlis, il y avait moyen de faire de Paris un éloge beaucoup plus
complet, plus persuasif, et où les faits tiendraient la place des creuses
métaphores, des généralités froides. Ainsi piqué au jeu, il rédigea
tout un traité, où la recherche du style ne nuit heureusement pas
'*' Paris et ses histor., p. 74-78. — '*' Ibid., p. 222^.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 533
à l'élévalion des idées, où l'observation inattendue des règles du cursus
sert seulement à montrer que le philosophe, chez lui, se double, au
besoin, d'un rhétoricien"^, et qui, dans ses deux premières et phis
longues parties, présente une description extrêmement précieuse du
Paris de iSaS*'^'.
Dans cet éloge composé par un universitaire, le Paris intellectuel,
en d'autres termes l'Université, lient naturellement la première place.
La rue du Fouarre, où siégeait la Faculté des arts, y apparaît comme
le rendez-vous de ce que la philosophie naturelle, la logique, l'astro-
nomie, les mathématiques, la métaphysique et la morale comptaient
de maîtres distingués et fameux. La « très paisible » rue de Sorbonne
et les nombreux couvents environnants y sont représentés comme les
sanctuaires de la théologie. A travers le respect que témoigne l'auteur
à ces « pères vénérables », à ces « satrapes divins », parvenus au som-
met de la perfection humaine, qui interprétaient l'Ecriture et s'effor-
çaient de faire pénétrer dans les cœurs les vérités de la foi, on sent
percer peut-être quelque jalousie professionnelle. Jean de Jandun
exprimait une admiration sans mélange pour le « très suave
« nectar » de la philosophie enseignée à la Faculté des arts : il semblait
qu'à force de scruter les secrets de la nature, les maîtres es arts fus-
sent plus enclins à rendre grâce au Créateur. Au contraire, ce n'est
pas sans quelque ironie sceptique qu'il dépeint les débats des maîtres
en théologie, débats portant aussi cependant sur des questions philo-
sophiques, celle de l'unité ou de la pluralité des formes substan-
tielles, celle des universaux, celle de la connaissance. L'un, dit-il, fait
une objection, qu'un autre s'empresse de résoudre; un ti'oisième
réplique, mais est bientôt réfuté par un quatrième; ils s'efforcent à
qui mieux mieux de s'annihiler mutuellement. En quoi, ajoute-t-il,
cette gymnastique profite-t-elle aux intérêts de la religion.' c'est le
secret de Dieu. Les maîtres en philosophie de la Faculté des arts ne
faisaient guère, à vrai dire, autre chose : mais au moins ne se posaient-
ils pas en défenseurs de la foi. C'est sans doute ce que Jean de Jandun
''' Les règles du rythme sont constam- par le diclalor anonyme. II va sans dire qu'au-
ment observées dans le De Landibiis Parisius cune trace de rythme n'apparaît non plus dans
de Jean de Jandun proprement dit. Il n'en le Defensor pacis ni dans les nombreux traités
était pas de même dans son éloge de Senlis, philosophiques de Jean de Jandun.
non plus que dans l'éloge de Paris compose '*' Paris et ses histoi: , p. 32-74.
534 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
reproche intérieurement à ses confrères de la rue de Sorbonne : il
leur en veut d'empiéter sur son propre terrain et de se mêler de ce
qui ne les regarde pas. Ce seul passage suffirait à prouver que Jean
de Jandun n'a point appartenu, comme on l'a quelquefois prétendu,
à la Faculté de théologie de l'Université de Paris.
De là, l'auteur du De Laudibus Parisius conduit ses lecteurs dans
la rue du (^los-Bruneau, où s'enseigne le droit; il apprécie par-
ticulièrement, en sa qualité de chanoine, les services que peut rendre
aux églises la connaissance du droit canon. Il montre enfin les méde-
cins dans l'exercice de leur profession, facilement reconnaissables à
leurs riches habits et à leurs bonnets de docteur, si nombreux qu'on
ne saurait descendre dans la rue sans en rencontrer un. Quant aux
apothicaires, ils tenaient boutique au Petit-Pont et dans les rues
avoisinantes; leurs devantures étaient déjà ornées de ces pots décora-
tifs qui sont encore recherchés par les collectionneurs.
On aime à voir Jean de Jandun sensible aux beautés artistiques de
la capitale. Cette première génération qui ait connu Notre-Dame
achevée éprouvait déjà pour le plus harmonieux chef-d'œuvre de l'ar-
chitecture gothique une admiration analogue à celle qu'expriment
nos contemporains : Vix ex ejas inspectione possil anima satiari'-^^ Tout
au plus ces sentiments difieraient-ils des nôtres en ce qu'il s'y mêlait
quelque épouvante : Jean de Jandun qualifie Notre-Dame de terri-
bilissima, tant la masse de la cathédrale lui semblait écrasante. Au
contraire, en pénétrant dans la Sainte-Chapelle, il se figurait être
introduit dans une des plus belles chambres du Paradis.
Ce n'est pas le lieu de rappeler ici tout le parti que les historiens
de Paris ont tiré de la description du Palais de la Cité et des halles
des Champeaux. Jean de Jandun énumère les diverses industries pa-
risiennes; il loue particulièrement l'habileté des boulangers. Il parle
de la sécurité qu'inspire aux Parisiens la multitude des armes amon-
celées dans leurs murs. Il décrit l'abondance des vivres, et reconnaît
dans la Seine la grande voie d'approvisionnement. Chez les habitants,
il signale, au milieu de beaucoup de qualités, quelque penchant à la
''' 11 faut lire cette description des tours, une croix sculptée la croix figurée par le plan
des voûtes, des roses, des verrières, de la croix de l'édifice lui-même. • Tantae magnitudinis
du transept. À ce propos signalons un contre- «crucem.cujus uniun brachium chorum distin-
sens des éditeurs (p. 1 5 , 45) : ils ont pris pour « guit a navi. »
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PA1X)UE. 535
vantardise. Les femmes, sauf exceptions, lui semblent irréprochables,
en dépit de leur beauté et de leur élégance.
Nous glissons à dessein sur la dernière partie, très inférieure aux
précédentes : Jean de Jandun y recourt à des arguties misérables pour
convaincre d'inconséquence son contradicteur, le dictator anonyme ^^'.
Il reconnaît lui-même, d'ailleurs, que cette argumentation n'est qu'un
jeu '"^^ : triste jeu, en vérité, et qui ne nous semble guère divertissant!
Mais il faut, au contraire, insister sur un passage qui n'a point été
jusqu'ici suffisamment remarqué; c'est celui auquel l'auteur attachait
peut-être le plus d'importance. Il était destiné à attirer sur Jean de
Jandun l'attention du roi de France : « Je ne songe point à flatter,
«écrivait le philosophe'^', mais je suis bien forcé de reconnaître la
M vérité : la monarchie universelle appartient aux très illustres rois
« de France, du moins par le droit d'un penchant natif vers ce qui
« est mieux. Si l'on m'objecte que j'attribue aux Français une préroga-
« tive qu'Aristote, le plus grand des philosophes, reconnaissait aux
« Grecs, je répondrai , ou du moins je m'elforcerai de répondre, suivant
«les lumières que Dieu me fournira, lorsque l'ordre m'en aura été
« donné par mon seigneur le Roi. » Suit, peu après, un chapitre tout
rempli de plates louanges à l'adresse des rois de France, disposées
sous forme de tableau **'. Ainsi Jean de Jandun n'attendait qu'un signe
de Charles le Bel pour prendre la plume et étayer sur un échafau-
dage de rhétorique les prétentions du roi de France à la monarchie
universelle'^'. Charles le Bel, en effet, songeait sérieusement à l'Em-
pire, qui est théoriquement la monarchie du monde. Le De Laudibas
Parisias de Jean de Jandun fut achevé, comme celui-ci nous l'apprend
lui-même, le 4 novembre i323 : or, au commencement de 1824, un
voyage que le roi fit à Toulouse donna lieu de penser qu'il se rendait
à Avignon pour se faire octroyer l'Empire'®'; en tous cas, ce fut le
sujet de pourparlers qu'il ne tarda pas à entamer avec le roi de
Bohême, et il conclut même à cet effet un accord, le 17 juillet sui-
vant, avec Léopold d'Autriche'^'. Cependant Charles IV ne paraît pas
''• Paris et ses histor., p. 64-74. française et le droit populaire, dans la Revue des
<'' Ibid., p. 70, 74. qaest. hisl., XVI, 369).
''* P. 60. (') J. ViUani (Muralori, XIII, 553).
'*' P. 62. (') K.Mïiïler,Der KampfLudwigs des Bayern
'*' Pierre du Bois avait déjà mis cette idée mit der rômischen Kurie (Tûbingen, 1^79,
eiiavant(Ch. Jourdain, Mémoire sur la royauté in-S"), I, 107.
536
JEAN DE JANDLN ET MARSfLE DE PADOUE.
s'être soucié de l'appui littéraire que Jean de Jandun se montrait si
disposé à lui fournir'''. Qui sait si le dépit résultant de cet échec ne
contribua pas à jeter notre philosophe d'un tout autre côté ? Le cha-
noine pourvu par Jean XXll, l'écrivain dévoué aux intérêts de la
monarchie capétienne allait désormais employer sa dialectique et son
érudition à servir la cause du roi des Romains contre le souverain
pontife.
Toutefois on ne saurait méconnaître l'influence exercée sur cette
détermination par un homme que Jean de Jandun qualifie quelque
part de son très cher ami, dilectissimus meus^'^K Mais avant d'étu-
dier les rapports de Jean de Jandun avec Marsile de Padoue, il im-
porte de se faire une idée plus complète de ceux de ses écrits qui
sont antérieurs à sa collaboration avec ce fameux personnage.
II
Kl L'œuvre personnelle de Jean de Jandun, on le sait déjà, est pour
la plus grande partie philosophique, et la plupart de ses traités, qui
représentent sans doute son enseignement à l'Université de Paris ou
au collège de Navarre, ne sont autres que des commentaires sur
divers ouvrages d'Aristote.
Nous commencerons par celui qu'il semble placer lui-même en
tête de tous les autres.
1" QUMSTIONES SUPER UBROS PhYSICORUM.
Il existe des manuscrits de ce traité à Oxford (Bodl. , Canonici
Miscell. 407; XV* s.) et à Rome (Bibl. Vatic, Reg. 444)'^'. H y en
avait un troisième autrefois à Venise'''*.
I /ne. ; Sicut vita sine ti'istitia est eligibilis, ita ratio sensata amabilis. . .
'■' Le Koux de Lincy et Tisserand (p. 61,
note 3) ont compris, au contraire , que Jean de
Jandun ne se souciait pas de réfuter l'assertion
d'Aristote : c'est pour cette raison qu'il aurait
mis à sa rérutatioii une condition irréalisable ,
c'est-à-dire un ordre exprès du roi.
''1 Bibl. nat. , njs. lat. 65^2 , fol. i r'.
''^' Le ms. 3446 de la Bibliothèque impé-
riale de Vienne contient aussi quelques frag-
ments du même ouvrage. — - Quant au ms.
XVII 180 de la bibliothèque de Saint-Antoine de
Padoue (xiv' siècle), il contient, sous le nom
de Jean de Jandun , des Questions sur la Phy-
sique , toutes différentes de celles-ci.
'*' Dans la bibliothèque, aujourd'hui dé-
truite, de Sant' Antonio in Casiello (J.-F. To-
masini , Bihliothecœ Venetœ maniiscriplm , Udine ,
i65o, in-4°i p. a).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
53:
Des. : ... Et ipsum alterabile potest simiie esse sub diversis partibus ipsius qua-
litatis quœ est acquisita , etc. Amen.
Diverses éditions en ont été données à Venise, en i488 et en
i5oi''\ à Paris, en i5o6'"^', à Venise encore en i54o, en i544*^',
en i552 et en lôyS. Elles ne contiennent point la dernière question,
fort peu développée d'ailleurs, que nous avons trouvée reproduite
dans le manuscrit d'Oxford : Quœritar utrum (jiiod movetar continue per
alKjaodspatium sit accidenter, scilicet in aliquo istoram. locorum. medioruni. . .
En revanche, elles contiennent des additions et annotations du mé-
decin et philosophe juif Elie de Crète, ainsi datées : Hoc opnsculum
annotationum, etc., finituni fuit anno Lalinorum iâ85, mjîne julii, Flo-
rentiœ, ce qui a fait admettre, à tort, l'existence d'une première édition
faite à Florence et remontant à i ^85'*'. En outre, l'une au moins des
dernières éditions, celle de i552, renferme des interpolations dues
au dominicain allemand Jean Romberch'^^, qui vivait dans la première
moitié du xvi* siècle '^'.
Jean de Jandun a fait précéder cet ouvrage d'un préambule dans
lequel il trace une sorte de programme de l'enseignement de la philo-
sophie naturelle. 11 la divise en six parties principales, et énumère
les divers traités, correspondant à ces parties, auxquels les étudiants
pouvaient avoir recours. Ainsi, pour la première partie, traitant du
mouvement, ils avaient à leur disposition les huit livres de Physique
'"' Par les soins de Boneto Locatelli.
'*' Chez Nicolaus Deprati». Un exemplaire
de cette édition , enriclii de notes manuscrites ,
se trouve au Musée britannique. Suivant
.). Simler [Bibliolheca inslhuta et collecta pri-
mam a C. Gesnero , Zurich, i583, in-fol. ,
p. 46o), une édition du même ouvrage aurait
été aussi donnée, en i5o6, à Venise.
''* D'après H. Wharton (Cave, II, Suppl.,
36).
*'' Panzer, Annal, typoqr., t. 1, p. 4i3,
n° 78; Simler, p. 46o;C. Oudin, II[,883. Cf.
Hain, Repertor. bibliogr., 1, 11, n° 7457.
''' Lib. Il, qu. 10 : « Consequenter inqui-
« rendum est utrum finis sit causa. Sed hanc
« qaœstionenï reposai inter alias de quibas singa-
« lariler opinatus sum. Et ideo quœre circa hoc
« capitulum de Casa elfortuna. Plaçait aatem mihi
«Johanni Romberck hue relatam {ut et ceeteras
nhujus operis) a scabiis eniacalare. Et arguitur
IIIST. l.lTTKn. XXXIII.
«primo quod non, quoniam omnis causa est
« principium, sed finis non est principium. . . »
— Aucun des mots imprimés ci-dessus en
italique ne se trouve dans le texte original,
tel que le fournit, par exemple, le manuscrit
d'Oxford.
'*' Voir Qnétif et Echard , Script, ord. Prœ-
dicat., II, 88. Antoine de Sienne [Chron.fratr.
Prœdicat., i53) cite Jean Romberch comme
ayant corrigé et complété, en plusieurs en-
droits, les Questions de Jean de Jandun sur le
De Physico audila d'Aristote , et affirme que
cette édition fut imprimée, à Venise, en i3'20
(lisez sans doute : iSao). Altamura [Biblioth.
dominic. , 97) fournit le même renseignement
et ajoute que l'édition vénitienne de i320 [sic)
fut enrichie d'un triple index et dédiée par
Jean Romberch à Antoine de' Fanti de Trévise.
Il aggrave son erreur de date en déclarant que
Jean Romberch florissait vers i3i4.
G8
538 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PÂDOUE.
d'Aristote; pour la seconde, qui a trait aux corps célestes et aux
quatre éléments, ils pouvaient se servir du livre du Ciel et du monde;
et, comme les autres scolastiques , Jean de Jandun semble désigner
sous ce titre le traité authentique d'Aristote du Ciel, non point le
petit traité apocryphe du Monde. La troisième partie de la philosophie
naturelle traite de la génération et de la corruption en général, puis
de l'accroissement et de l'altération : ici Jean de Jandun nous renvoie
au traité de la Génération d'Aristote et au second livre de son traité
de l'Âme, au De Nutrimento et nutribili d'Albert le Grand'^', puis, pour
suppléera l'absence d'un traité sur la santé et la maladie, au Colliget
d'Averroès, qui avait compilé, disait-il, beaucoup de remarques sur
cette matière. Au sujet du froid et du chaud, de l'humide et du sec,
qui constituent la quatrième partie de la philosophie naturelle, Jean
de Jandun recommande le livre des Météores d'Aristote. Pour la cin-
quième partie, relative aux métaux et aux pierres, il regrette de
n'avoir à citer aucun livre du Stagirite, mais il rend hommage à
« Tassez bon traité « qu'Albert le Grand avait rédigé sur la matière (le
De Mineralibas] . La sixième partie, traitant des corps animés, se sub-
divise elle-même en quatre sections : celle de l'àme, pour laquelle
Jean de Jandun renvoie au traité de l'Ame d'Aristote; celle des pas-
sions communes au corps et à l'àme, au sujet de laquelle il recom-
mande les Parva nataralia du même philosophe; la section des êtres
animés d'une àme sensitive, et enfin celle des êtres animés d'une âme
végétative : à ce propos, Jean de Jandun cite les deux traités d'Aris-
tote de l'Histoire des animaux et des Végétaux et des plantes, dont le
premier seul est d'une authenticité reconnue. Il termine cette sorte
de bibliographie par l'indication de quelques ouvrages complémen-
taires : le livre des Lignes indivisibles, attribué alors à Aristole, au-
jourd'hui plutôt à Théophraste, et qu'il rattache au sixième livre de la
Physique; le De Substantia orbis d'Averroès, qu'il joint au livre du
Ciel et du monde; le traité attribué à Aristote des Propriétés des
éléments, qu'il considère comme une addition au livre des Météores,
ainsi que le petit traité de l'Inondation du Nil; le petit traité, plus
ou moins apocryphe, des Couleurs, qu'il rapproche du De Sensu et
sensato, l'un des Parvi libri naturales; enfin le livre, sans doute apo-
''' Cf. Am. .lourdain, Recherches crit. sur l'dge et l'nrig. des Iradnct. lut. d'Aristote (édit. de
l843), p. 3i().
JEAN DE JANDUN ET MARSIF.E DE PADOUE. 539
cryphe, de ia Physionomie, qui lui paraît devoir être joint à l'Histoire
des animaux. Reste le livre des Problèmes d'Aristote, contenant une
foule d'observations relatives aux différentes parties de la philosophie
naturelle : Jean de Jandun constate que le texte en est généralement
corrompu et incorrect , qu'il n'a guère été commenté par les philosophes
connus, que peu d'étudiants s'en servent, et qu'un plus petit nombre
encore l'entendent sulïlsamment. Cependant il renferme quantité
de beaux théorèmes d'un charme merveilleux : celui-là s'acquerrait de
nombreux titres à la reconnaissance des étudiants qui corrigerait et
expliquerait avec compétence le texte de ce livre trop négligé. Nous
verrons dans quelle mesure Jean de Jandun fut à même de com-
bler la lacune qu'il signalait ainsi dans l'enseignement scolastique.
Après ce préambule, il pose une série de questions, auxquelles il
ne manque pas, suivant l'usage, de donner des solutions contradic-
toires. Bien que la dernière soit plutôt celle vers laquelle il penche,
on ne réussit pas toujours, au milieu des objections, des réfuta-
tions et des distinctions qu'il indique, à démêler sa pensée propre. 11
cherche plutôt à dresser un inventaire complet de toutes les opinions
connues ou soutenables, en faisant étalage de son érudition, qu'à
résoudre les difficultés et à fixer la doctrine.
Nous apprenons cependant qu'il existe une science des choses
naturelles; puis, que cette étude des choses de la nature est nécessaire
au bonheur de l'homme. En effet, point de bonheur sans la sagesse,
c'est-à-dire sans la connaissance des substances immatérielles, dont la
première est Dieu; or, l'homme ne peut connaître les substances
immatérielles que par la connaissance des substances matérielles,
puisque les premières ne sont sensibles que par leurs effets sur les
secondes ^'l
Un peu plus loin, Jean de Jandun s'écarte de Duns Scot en ce que
celui-ci estime que l'intellect humain saisit d'abord et connaît en
premier lieu les espèces les plus spéciales, celles qui se rapprochent
le plus de l'individu : Jean de Jandun croit, au contraire, que l'esprit
humain conçoit d'abord quelque chose de plus général (1, 6).
Dans la suite de son traité, il recherche, par exemple, si la sub-
stance matérielle est divisible en soi (1, 9); si l'indivisible peut être
<•' Lib. I, qu. 1. Cf. Hauréau, Hist. de la philos, scolast., a* partie, U, p. aSS.
68.
540 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
infini (1 , 1 1 ); si les principes de la nature sont contraires (I, 18); si
tous les êtres susceptibles d'être engendrés et de se corrompre ont
une matière unique (1, 2 4); si la matière et la forme constituent la
nature (II, 3); si la fortune et le hasard sont des causes accidentelles
(II, 12); ce que c'est que le mouvement (III, 2, 3); si la grandeur
est divisible à l'infini (III, 12); ce que c'est que le lieu (IV, 1, 3,
5 , 6 ) ; si le lieu de la terre est la surface de l'eau (IV, 7 ) ; si l'existence
du vide est nécessaire, et si, dans le cas où le vide existerait, le
mouvement local pourrait s'y faire (IV, 10, 11); ce que c'est que
le temps (IV, 17, 19, 26), et s'il a une existence objective en dehors
de l'âme humaine (IV, 27); si la génération est un mouvement (V, 2);
si quelque chose peut être mû par soi (VII, 1 ); si l'animal se meut
lui-même (VIII, 9); si le mouvement circulaire peut être perpétuel
(VIll, i8); si le premier moteur possède une vigueur infinie (VIII,
22), etc.
L'examen de ces diverses questions nous entraînerait beaucoup
trop loin. Mais ce qu'il importe de remarquer, c'est la prudence avec
laquelle Jean de Jandun renouvelle sa profession de foi catholique
dès que son argumentation semble devoir l'amener à des conclusions
hétérodoxes. Ainsi, en fidèle disciple et admirateur d'Avorroès, il dé-
montre l'impossibilité d'une création; mais aussitôt il ajoute : « Il faut
« admettre simplement, et en conformité avec la foi chrétienne, que
« Dieu a tout fait de rien . . . C'est ce qu'ont ignoré les philosophes
« païens. En effet, cela ne peut se prouver par l'observation des
■I choses sensibles . . . D'ailleurs cette création n'a eu lieu qu'une
«fois, il y a fort longtemps, et ceux qui en ont eu connaissance
M l'ont apprise de la bouche des saints ou l'ont sue par révélation »
(I, 22).
Ici encore Jean de Jandun, au moyen d'une distinction subtile,
cherche à dissiper l'antinomie existant entre la foi chrétienne et la
doctrine péripatéticienne : mais ailleurs il renonce à toute conciliation.
Par exemple, après avoir prouvé, avec Aristote et Averroès, l'éternité
du mouvement, il proclame, suivant la foi catholique, que le mouve-
ment a eu un commencement, de même qu'il doit avoir une fin.
<i Cependant, ajoute-t-il, je ne prouve pas cela par raison démonstra-
« tive, non plus que les autres vérités de foi; je ne pense même pas
M qu'il soit possible à l'hon)nie de le démontrer par des raisons em-
JEAN DE JANDLN ET MARSILE DE PADOLE.
541
« pruntées aux choses sensibles. Je dis seulement que rien n'est impos-
« sible à la toute-puissance de Dieu. . . » (VIll, 3).
Ce sont là déclarations fréquentes chez les averroïstes, et dont
Siger de Brabant se montrait particulièrement coutumier*'^. Cette
école, a-t-on dit, mit au jour la doctrine de «la double vérité» :!
comme pbilosophes, ces hommes se déclaraient ouvertement les
adversaires de ces mêmes vérités dont ils prétendaient, comme chré-
tiens, se faire passer pour les défenseurs fidèles et soumis ^^^
2° QVMSTIO DISPUTATA SUPER LIBRO PhYSICORVM.
i.iUliJlIlU 1-1, i|.
. . . ■ "-•\
Il convient de rapprocher de la dernière partie de ce traité un
opuscule conservé dans un manuscrit d'Oxford (Bodl., Canonici
Miscell. 226, fol. 2 8-3i), qu'il y a tout lieu de croire inédit. Cet
opuscule a pour sujet précisément la question de l'éternité du temps
et du mouvement.
bic. : Est quœstio utrum fuerit possibiie entia successiva , ut tempus et rnotum ,
fuisse ab acterno . . .
Des. : Non sequitur quod aeternitas prœcedat esse temporis ; sed tempus nec instans
prîecessit primum, et sic de isto. Amen, amen. Expîicit quaestio disputata super
Hbro Physicorum per reverendum doctorem magistrum Johannem de Jandoncv
' iiii ' _ !(io-tf)i .r '»ijj)tf7iiM (i
Après avoir exposé successivement le pour et le contre, Jean de
Jandun se rallie à l'opinion qui lui paraît la plus conforme à la foi et
à la raison naturelle, et il conclut'^', cette fois par des motifs ration-
nels, que ni le temps, ni le mouvement, ni le monde, ni rien de
success f n'a pu exister éternellement''''.
3° QujEstiones super libros Aristotelis de CjElo et mundo.
On n'a signalé de ce traité de Jean de Jandun qu'un exemplaire
'' Mandonnet, Siger de Brabant, p. clvii,
CI.XVII, CLXIX.
'^' Snlvat. Talamo, L'Aristolélisme de la sco-
laslique dans l'histoire de la philosophie (Paris,
1876, in-ia), p. 38a.
•'^ Fol. aS'' : « Circa solutionem hujus
«ralionis sic procedere oportet, quia, cum hic
" suntopinata privative etutraque comprehendit
• doctores magnos magistros . . . , ideo primo
• ppnam rationes tenentiuin quod sit possibiie
« mundum . . . fuisse ab aeterno ; secundo ponam
« opinionem ei contrariam , scilicet quod non
« luit possibiie fuisse ab aeterno ; tertio eligam
(I secundam opinionem , quie mihi videlur magis
n consona fidei et rationi naturali . . . >>
'*' Fol. 29'' : «De islis duabus opinionibus
« videtur mihi secunda melior et intellectui capa-
« cior : unde ipsam teneo ad praîsens, quod nec
« tempus, nec motus, nec niundus, nec aliquid
« successivum potuit fuisse ab ;pterno. »
542 JEAN DE JANDLN ET MARSILE DE PADOUE,
manuscrit, celui qui était encore conservé au xvir siècle dans la
bibliothèque, aujourd'hui détruite, de Sant' Antonio in Castello de
Venise*'^. Mais il en existe plusieurs éditions, imprimées également
à Venise. La plus ancienne est celle que donna, en i5oi,Boneto
Locatelli, d'après un texte revisé par le philosophe Nicoleto Vernia,
de Chieli''^l D'autres éditions sont datées de i5o6, de i5i9,de i552
et de 1589.
Inc. : Ptolomaeus scribit, in principio Centiloquii, sic: Mundanorum ad hoc et ad
illud mutatio . . .
Des. : . . . propter hoc lapis velocius ibi movetur : ideo non valet.
ail 9Ji(;il '»■) sl> ^filituj
La première question que pose notre philosophe est celle de l'in-
fluence des corps célestes sur les faits du monde inférieur. Il la résout,
comme la plupart de ses contemporains, en admettant que tous les
phénomènes du monde sensible et matériel ont pour cause les mouve-
ments des astres, et en ne soustrayant à celte influence nécessaire et
universelle que les actes de l'intelligence et de la volonté humaines.
Encore attribue-t-il aux influences sidérales le développement des
inclinations qui déterminent si souvent les actions des hommes. C'est
ce qu'il répète ici, après l'avoir expliqué déjà dans ses Questions sur
la Physique (I, 1) : «Incontestablement, dit-il, beaucoup d'hommes
« se gouvernent d'après les inclinations que leur communiquent les
« corps célestes au moment où ils sont engendrés ou postérieurement
«à ce moment. Si quelques-uns réagissent contre ces inclinations,
« c'est le très petit nombre. Qu'un homme ayant, de par la configu-
« ration du ciel, une inclination violente pour la colère et la luxure
«soit parfaitement doux et chaste, cela est possible assurément,
«mais bien difficile et bien rare '^'. »
La plupart des autres questions examinées par Jean de Jandun pré-
sentent moins d'intérêt pour nous : n'y a-t-il que trois dimensions
(I, 5)? tout l'univers est-il parfait (1,6)? le mouvement circulaire est-il
plus parfait que le mouvement recliligne (I, 1 1) ? les corps célestes
f*' Tomasini, Bibliothecœ Venclœ manu- édition vénitienne des Qaeestiones de Ctelo et
scriptœ, p. 4. mando et des Qmestiones de Substantia orbis
''' H n'est pas vrai qu'il existe à la biblio- remontant n i488. Elle est pourtant indiquée
thèque de Saint-Marc de Venise, comme le par H. Wharton (Cave, II, Suppl., 36) et par
rapporte M. Bald. Labanca {Manilio da Pa- C. Oudin (III, 883).
dova, Padoue, 1883, in-8% p. 118), une ''' Quwst. mper libr. Physic, \IU, qu. 6.
JEAN DE JANDUN ET M.\RSILE DE PA130UE. 543
sont-ils légers ou lourds (I, i3)?le ciel est-il altérable (I, 17)? une
sphère infinie a-t-elle un centre (I, 20)? le ciel est-il un composé
de matière et de forme (1, 28) ? peut-il y avoir plusieurs mondes (1,
24)? le ciel est-il mû avec fatigue et peine (11, 2)? le ciel est-il
animé (II, 4)? est-ce la lumière qui engendre la chaleur (II, 12)?
la terre est-elle le milieu du monde (II, 16)? etc. Il va sans dire
que, pour la solution de ces divers problèmes, dont quelques-uns
sont du ressort de fastronomie , les raisonnements subtils et les citations
d'Aristole ou d'Averroès, parfois aussi de saint Thomas d'Aquin,
tiennent lieu d'observations personnelles.
Dans ce traité, d'ailleurs, comme dans les Questions sur la Phy-
sique, Jean de Jandun se montre également attentif à dégager les
vérités religieuses. S'agit-il de la création? «Nous devons, dit-il,
«croire fermement que Dieu a tout créé de rien, conformément à
«l'enseignement des saints docteurs » (I, 29). S'agit-il de la toute-
puissance divine.^ «En y croyant, dit-il, nous avons un mérite, car
«le mérite, suivant saint Augustin, commence là où finit l'obser-
« vation rationnelle» (I, 34)- Et ailleurs, il déclare encore : «Dans
« notre loi, tout est vrai, et prouvé par des miracles de Dieu » (II, 2).
4° et 5" ExposiTio et qujEstiones super libro
DE SUBSTANTIA ORBIS.
Deux manuscrits de cet ouvrage existent dans la bibliothèque de
Saint-Marc de Venise*'' (cl. xii, 17 et 19). Le même ouvrage a été
imprimé à Venise dès i48i, puis à Vicence, en i486, de nouveau à
Venise en i488'^', en i493, par les soins de Boneto Locatelli, après
revision du texte par les deux frères Ermites Secondo Contareno
et Paul de Palerme, puis en 1496, en i5oi, en i5o5, en i5i4 et
en i552*^'.
Inc. : In hoc tractatu intendimus perscrutari de rébus ex quibus componitur
corpus caeleste. . . [Texte d'Averroès.) Liber iste qui intituiatur De Substantia orbis
dividitur in proœmium et executionem . . .
<'' Un troisième est signalé par Tomasini ''' D'après J. Valentinelii , Bibliotheca manu-
(Bihliothecœ Patavinœ manascriplœ , Udine, scripta ad S. Marci Venetiarum, i. \\o. i^.
1639, in-4°, p. 36) comme existant dans la ''' Hain, n°' 7464, i55o4et iSSoy; Panzer,
bibliothèque de Saint-Antoine de Padoue. Il ne III, n° 546; Graesse, III, 23. Cf. plus haut,
figure plus dans le Catalogue Josa. p. 542 , note 2.
544
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Des. : . . . Non oportet rorpora cœlestia corruptibilia esse sicut inferiora, propter
appetitum ad diversas formas cjuas nata est habere materia, et non habet; causa
jam dicta est '''.
Il ne s'agit point ici d'un commentaire direct sur un traité d'Aris-
tote, mais d'une exposition, puis d'une série de questions relatives à
ce traité d'Averroès De Sahstantia orbis que Jean de Jandun, dans sa
préface aux Questions sur la Physique, désignait lui-même comme
le complément des livres du Ciel et du monde *^'. Notre auteur repro-
duit le texte même du philosophe arabe, ou du moins de la com-
pilation admise, sous son nom, dans le corps des écrits aristoté-
liques^^'; il y entremêle sa propre glose, souvent assez développée;
puis il pose et résout un certain nombre de questions que lui a sug-
gérées l'élude de ce livre. Plusieurs figurent déjà dans les Ques-
tions sur le livre du Ciel et du monde, une au moins dans les Questions
sur les livres de Physique '*'. '
6" Qv.ESTIO NVM AUGMENTATIO SIT POSSIDILIS.
Un opuscule portant ce titre se trouve sous le nom de Jean de
Jandun dans un manuscrit du xv' siècle conservé à la bibliothèque
de Saint-Marc de Venise (cl. x, 221, fol. 198-200).
Inc. : Quaeritur utrum augmentatio sit possibilis . . .
Il est permis de se demander si ce n'est pas un fragment de cer-
tain traité De Augmenta auquel renvoie Jean de Jandun dans Ses
Questions sur la Physique '*'.
'"' Cependant ie» trois dernières questions
ne sont peut-être pas de Jean de Jandun; en
ce cas , l'ouvrage de ce phiioso|)he se termine-
rait par les mots suivants : Imo reducunlur
ad ipsum simpliciter primum, el sic palet ad
(juœstionem.
'"' Beaucoup de gens, écrit-il, font peu de
cas de ce traité , parce qu'Averroès y somlile
emprunter toutes ses pensées à Ai-istote ; en
réalité, c'est un commentaire, précieux dans
sa brièveté . d'une des parties les plus obscures
de la philosophie péripatéticienne : « Semper
■ Aristoteles de natura corporum celestium cl
•ceorum motoribus obscura necnon et dubia
«dicere videtur. » Jean de Jandun reproche.
d'ailleurs, aux philosophes modernes de ne
point comprendre Averroès, faute de le raj)-
procher du texte d'Aristott; qu'il commente.
<'• Voir Benan , Averroès ( a* éd.) , p. 45 et s.
<'' Qu. 12 : «An primiis motor sil iniiniti
« vigoris. » Voir aussi Pbysic, VIII, qu. aa.
Cf. Renan , p. 34 1 •
''> Lib. V, qu. 8 : «Consequenter quieri
« soletutnun ad quantitatem possit esse motus.
« Sed quia de hoc dictum est in tractatu De
«Augmenlo, ideo hic non scribo : sed cui fuerit
« curae videat illud opus. » — Dans le ms.
d'Oxford Canonici Miscell. 407 (fol. 8i')
ce passage présente quelques variantes, qui
n'en modifient point le sens.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE. 545
7° et 8° De Sensu agente.
Un manuscrit du xiV siècle provenant de la maison de Sorbonue,
le latin 16089 de la Bibliothèque nationale, contient, sur le sujet du
Sens actif, deux dissertations, vraisemblablement inédites, dont la
première seule (fol. 160-166) porte le nom de Jean de Jandun'''.
Inc. : Sophisma de Sensu agente, scriptum a Johanne de Genduno per scptom
folia. — Licet humana natura multis modis aliis entibus pneferatur, verumtamen
hune dignitatis excessum ab omnibus vigentibus intellectu conceditur obtinerc
quod non solum operatur, sed etiam suae operationis comprehendit subjectum atque
modum . . .
Des. : Si autem vera sunt omnia aut major pars, ut credimus, regratietur iiii
vero doctori qui mentem illuminât et veritatem ostendit. Explicit Sophisma de
Sensu agente, ordinatum a magistro Johanne de Genduno, anno Domini m° ccc° \".
La seconde dissertation (fol. 167-170) n'est précédée d'aucun
titre, mais paraît faire suite à la première :
Inc. : In antécédente praedicto dubitaverunt priores et posteriores ; et fuit et est eis
quaestio non modica quid in hoc fuerit mens Aristotelis . . .
Des. : Et rogo ut videntes hoc plus moveat commune et veriim quam proprium
aut dilectum.
Cette seconde dissertation est, comme la première, évidemment
l'œuvre de Jean de Jandun^^' : elle contient des développements fort
semblables par le fond et la forme à ceux qu'on retrouve dans le
traité de l'Ame du même auteur'^', au chapitre correspondant, et,
de plus, elle est citée par Jean de Jandun, dans ce traité de l'Ame,
comme un de ses ouvrages antérieurs''''. Nous avons relevé plus haut
cette citation pour montrer qu'il n'y avait point à attacher grande
importance aux dates de i3io et de i3oo assignées respectivement
par les manuscrits de Paris et d'Oxford aux traités de Jean de Jandun
du Sens actif et de l'Ame.
''> Toinasini ( Bibliothecœ Patavinœ manu- qui renfermait le De Setuu agente de Jean de
scriptœ, p. âg) a signalé un manus<;rit du De Jandun.
Sensu agente de Jean de Jandun dans la biblio- '*' C'est ce que M. Hauréau inclinait à
thèque de San Giovanni di Verdara de Padoue. croire, quand il publia la description du nis.
Beaucoup de manuscrits de cette abbaye ont latin 16089 {l^otices et extraits, XXXV, aag).
passé à la bibliothèque de Saint-Marc de Ve- '^' Lib. Il, qu. 16.
nise: tel ne parait pas avoir été le cas de celui '*' Voir plus haut, p. 629, note i4-
UIST. LITTÉB. XXXnl. 69
546
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Y a-t-il quelque action dans la sensation, en d'autres termes, un
sens actif dans l'àme sensitive ? Telle est |a question qu'Averroès avait
laissée indécise *'', et qui ne manquait pas de préoccuper beaucoup
l'École à cette époque. Jean de Jandun estime qu'il existe dans l'àme
sensitive un principe actif pour recevoir la sensation et en avoir con-
science'^'. A ce propos, il argumente contre deux de ses contemporains
et confrères {socii) , docteurs fort experts, dit-il, en philosophie aristoté-
licienne, qu'il désigne seulement par ces expressions «le plus vieux»
et «le plus jeune». A l'un comme à l'autre il fait des concessions,
mais il se sépare d'eux sur certains points. Il ne réussit pas, d'ailleurs,
à donner de son système une idée bien précise et bien nette *^'.
9" Qu.ESTIONES SVPER TRES LIBIiOS ArISTOTELIS DE AnIMA.
Il existe deux rédactions des Questions sur l'Ame de Jean de
Jandun, l'une et l'autre postérieures aux deux petits traités du
Sens actif'*'. L'une des deux, la seule qui ait été, croyons-nous,
publiée'*', subsiste dans le ms. latin 653 i delà Bibliothèque nationale
(fol. 6 1-1 8^), dans le ms. Canonici Miscell. /i66 de la bibliothèque
Bodléiennne ^*', dans le ms. xx. 432 delà bibliothèque de Saint-Antoine
''1 Fol. i6o r° : « Commentator . ... in 11°
« De Ariiiim , movet istain qnaestionein ... ; in ea
«dubitans, eam indeterminatatn posteriorutn
« deterininationi dimisit. • Cf. Renan , Averroès ,
«p. 349, 35o.
'*' Fol. 161 r° : «Poneinus sensum agentem
« principium elTectitium immediatum sensa-
11 tionis, quiB recipitur in sensu passive disposito
« per speciem sensibilem ei impressam a sensi-
« bili et imaginatione. >
''' Fol. 1 69 v° : « Gonvenit ergo dictio nos-
« tra cum sententia Senioris magistri in hoc quod
« vim sensitivain putamas unum principium om-
• nino secunduni essentiam et actum. Diversatur
« tamen in hoc quod dicit ipse species sensibilium
« actus primos aut motores propinquos ad opéra
« sensuum : nos autem dicimus quod motor per
« se ad ipsum sentire fuit generans sensum ; sen-
« sus autem secundum primam perfectionem ex
« se exit in actum , sine per se motore , nisi ali-
« quid prohibeat aut dcficiat. Juniori vero conve-
« niemus in hoc <|uod non dicimus sensum se-
« rundum primam perfectionem receptionem
« pure ipsius senlire, sicut dicebat Senior : imo
« dicimus ipsum actum , quo modo dici potest
« agere , quod ex prima perfectione exit in pos-
«tremam, cum fuerit potentia, non per se.
« Diversamur tamen ab ipso , quia non dicimus
» vini sensitivam distingui in activum , quod
« vocat sensum agentem , et receptivum , quod
« vocat sensum passivum: imo dicimus vim sen-
« sitivam quamlibet unam essentia et diffini-
«tione, incedendo via quasi média inter eos,
« cum convenientia tamen et diversitate. »
'*> Voir plus haut, p. big, note i4.
'*' Venise, 1473, i48o (à deux reprises),
1487, i488, i/ig4, 1497, i5oi, 1607, i55a
eti56i. — J.S'iimeT {Bibliotheca . ... p. 46o),
H. Wharton (Cave, II.Suppl., 36)et C.Oudin
(III, 883) citent aussi une édition de cet ou-
vrage datée de Vicence , 1 486 , la même peut-
être que M. B. Labanca [Manilio da Padova,
p. 118) cite sous la date de Vicence, i484.
<•' Bel exemplaire, orné de lettres peintes,
que le scribe Simon d'Alcmaria acheva de
transcrire , le 8 juillet 1 463 , en la demeure
de M* Louis « de Serevallo » , alors étudiant à
Padoue.
JEAN DE JANDUN ET MARSH.E DE PADOUE.
547
de Padoue et dans le ms. cl. x. yS de la bibliothèque de Saint-Marc de
Venise.
Inc. : Prohœmium. Inest enim mentibus hominum veri boni naturaiis inserta
cupiditas, sed ad falsa devius error adducit'''.
Des. : Ea quae fides catholica réfutât falsa esse non dubito , reliqua verp esse vera
aut probabilia dicere non diflido, ad laudem Dei bealissimaeque Virginis Mariœ.
Amen l^'.
Une autre rédaction des Questions sur l'Ame de Jean de Jandun,
probablement antérieure, est fournie par le ms. Canonici Miscell.
242 de la bibliothèque Bodléienne, qui peut remonter à la fin du
xiv" siècle, par le ms. Medic. Fesul. i6o de la Laurentienne, qui date
de i438, par un manuscrit de Coventry (King Henry VIII School),
daté de i44i'^', par le ms. 43 1 de Turin'*', par le ms. cl. x. 74 de
la bibliothèque de Saint-Marc de Venise et par le ms. xvii. 38 1 de la
bibliothèque de Saint-Antoine de Padoue**'.
Inc. : Bonorum honorabilium notitiam opinantes, etc. Circa istum librum de
Anima primo quœritur utrum de anima possit esse scientia.
Des. : Ea quœ fides cathoiica réfutât faisa esse non dubito ; reliqua autem vera
esse aut probabilia dicere non diffido. Expliciunt Quœstiones super librum de Anima
ordinatœ per magistrum Johannem de Janduno. Deo gratias.
Les questions traitées dans les deux premiers livres de cette
rédaction n'y sont pas toujours les mêmes que dans l'autre, y sont
moins nombreuses et se présentent dans un ordre différent. Nous en
donnons ci-dessous la liste, en indiquant entre crochets le numéro
' ' Le ms. de Paris ne contient pas ce préam-
bule ; le traité y commence par ces mots : « Circa
« hune librum quœritur primo utrum de anima
a sit scientia ...»
''' Le traité finit autrement dan» le ms. de
Paris : • Ad alias rationes patet solutio per dis-
« tinctionem positam, pro cujus operum com-
« pletione Deus, una cum sua matre gloriosa,
« sit benedictus in sccula secuiorum. Amen. »
''' Le nombre des questions ( 89 ) que ren-
ferme , dans le manuscrit , le traité de Jean de
Jandun parait convenir à cette rédaction , plutôt
qu'à ceue qui a été signalée en premier lieu.
D'après le Catahgus gêner, nianuscriptor. Angliœ
de Bernard (II,n° i46o), le manuscrit de Co-
ventry aurait été copié , en 1 44 1 , par Thomas
Clare, moine de Bury-Saint-Edmund's.
'*' N" du catalogue Pasini. Ce manuscrit a
beaucoup souflFert lors de l'incendie de igo4-
''' Deux autres manuscrits de la bibliothèque
de Saint-Marc (cl. x. ^5 et 76) contiennent
le même ouvrage de Jean de Jandun, nous
ne savons d'après quelle rédaction. Dans un
manuscrit du xvi' siècle de la même biblio-
thèque (-cl. X. 82 ) , des extraits du même traité
de Jean de Jandun sont intercalés au milieu
d'un ouvrage de Pierre Trapolino (fol. 2i-a3,
64, 65). Quant au ms. aSi d'Utrecht, il ne
contient que les Questions de Jean de Jandun
sur le troisième livre d'Aristote.
69.
548 JEAN DE JVNDUN ET MARSILE DE PAIX)UE.
d'ordre qu'occupent dans les éditions celles de ces questions qui sont
communes aux deux rédactions :
LiB. I.
1. Utrum de anima possit esse scientia [i].
2. Utruin scientia de anima sit una.
3. Utrum anima sit subjectum in ista scientia, et intelligitur subjectum de quo,
non in quo [3].
4. Utrum omnis notitia sit de numéro bonorum honorabilium [4].
5. Utrum scientia de anima sit utHis [5].
6. Utrum ista scientia sit de numéro difïiciUimorum [6].
7. Utrum conférât ad cognoscenduni substantiam [ lo].
8. Utrum anima habeat aliquam operationem sibi propriam [i i].
9. Utrum logicus dii&niat per formam [j a].
10. Utrum naturalis diffiniat per materiam [i3].
LiB. II.
1 . Utrum anima sit substantia [ i ].
2. Utrum omnis anima sit actus primus corporis [5].
3. Utrum diffinitio anima; sit bene assignata [3].
4. Utrum ex anima et corpore fiât unum per se [4].
5. Utrum unumquodque iiïorum sit anima.
6. Utrum tota anima sit in qualibet parte corporis animati [7].
7. Utrum potentia; animœ fluant ad esse animae.
8. Utrum generare sibi simile sit naturale viventibus [11].
9. Utrum generare sibi simile et nutriri et augmentari sit ab anima [12].
'" 10. Utrum potentia generativa et augmentativa et nutritiva sint diversae potentiie
animœ [1 3].
1 1 . Utrum sensus sit virtus passiva [1 4].
12. Utrvun sensibile redurat sensum de potentia ad actum [1 5].
13. Utrum in anima sensitiva sit aliquis sensus agens [16].
14. Utrum sensus particularis possit decipi circa suum proprium sensibile [17].
15. Utrum sensibilia communia sint sensibilia per se [18].
16. Utrum écho sit idem sonus cum primo sono et cum sono pra-cedente
ipsum [23].
17. Utrum odor se faciat in medio realiter [24]-
18. Utrum lux conférât colori formam vel habitum per quem moveat visum [19].
19. Utrum lumen sit corpus [20].
20. Utrum color sit primum objectum visus [ai].
2 1 . Utrum sonus sit realiter in aère ut in subjecto [22].
22. Utrum homo habeat pejorem olfactum cœleris animaiibus'" [28].
'■' Cette question fait partie des Questions de Jean de Jandun sur les Pann natiiralia d'Aiis-
totp [De Sensu et seiisaUi, (ju. 20).
JEAN DE JANDLIN ET MARSILE DE PADOLE.
549
23. Utrum tactus sit unus sensus [2 y].
24. Utium tactus indigeat medio tîxtraneo [28].
25. Utrum sensibile positum supra sensum faciat sensationem [29].
26. Ulnim ista propositio sit vera : Omnis sensus est receptivus specieriim sine
materia [3o].
27. Ûtrum species rei sensibiiis recepta in sensu sit idem essentialiter cum ipso
sentire [3i].
28. Utrum sensus sint quinque [32 ] .
29. Utrum sensus particularis cognoscat suam propriam operationem [33].
30. Utrum sensibile agat in sensum [34].
31 . Utrum exceilens sensibile comimpat sensum [35].
32. Utrum sensus communis sit unus sensus [36].
33. Utrum phantasia sit idem cum sensu [37].
34. Utrum animalia respirantia et non respirantia habeant eumdem odoratum'^'
[26].
Ce traité, l'un des plus fameux et des plus recherchés de Jeau de
Jandun, à en juger par le nombre des manuscrits qui en subsistent et
des éditions qui en ont été anciennement données''^*, aborde quelques-
uns des problèmes philosophiques les plus discutés dans l'École, tels
que celui de l'antériorité des universaux ou des individus'^', celui
du sens actif (II, i6), dont Jean de Jandun avait fait précédemment
l'objet de deux dissertations spéciales, celui de l'unité de l'intellect
humain (III, 7, 10).
L'intellect est-il unique dans tous les hommes? Sur cette question
capitale notre auteur a bien de la peine à .se décider entre les raisons
contraires'*'. Il expose d'abord la thèse d'Averroès, donne ensuite les
arguments opposés, « qu'il présente sous le nom d'Albert le Grand.
« Puis il argumente très longuement contre ces raisons, cherchant
« à prouver qu'Aristote a frayé le chemin dont Averroès ne s'est
«pas, comme on le pense, écarté. Enfin, il aborde les objections
'"' C'est à la suite de cette dernière question
sur le livre II du traité de l'Ame que se lit la
date de i3oo, que nous avons mentionnée plus
haut (p. 529, note i3), et au sujet de laquelle
nous avons fait toutes les réserves nécessaires.
'*' Karl Werner en a fait l'objet d'une étude
spéciale [Der Averroismus in der christlich-peri-
patetischen Psychologie , dans Siiziingsber. der
phil.-hist. Classe der k. k. Akad. der IVissensch.,
Vienne, 1881, t. XCVIII, i, p. 366-388 ). Cf.
du même auteur, Der Endausgang der mittel-
alterlichen Scholastik (Vienne, 1887, in-8°).
''' Lib. I, qu. 8, 9. — Ici et dans toutes
les citations suivantes, nous renvoyons au texte
des éditions.
'*' Voir dans Renan [Averroès, p. 34i), et
mieux encore dans K. Werner [Der Aver-
roismus, p. 371 et suiv.), un résumé des
arguments de Jean de Jandun et de ses objec-
tions sur ce point.
550 JEAN DE JANDUN ET MAUSILE DE PADOUE.
« faites à cetto thèse dans l'intérêt de la foi catholique, les trouve sans
M valeur : il est impossible de démontrer l'individualité native des
a âmes. Cependant, il faut croire, ou se faire compter parmi les héré-
« tiques. Il y croit donc, mais solajide, comme à un miracle ''l Sa rai-
M son proleste : néanmoins elle doit se soumettre, et très humblement
« elle se soumet'^'. »
À propos du fameux problème de la pluralité des formes substan-
tielles, il nous donne le même spectacle de son incapacité à concilier
ce qu'il croit être la science avec la foi catholique. S'il finit par se ran-
ger contre Aristote du côté de saint Thomas, ce n'est point du tout
qu'il juge la thèse thomiste logiquement défendable, c'est parce qu'il
ne découvre pas d'autre manière de sauvegarder le principe d'une in-
telligence créée et néanmoins immortelle : « Quelle que soit l'opinion
« d'Aristote et d'Averroès, et bien qu'ils ne puissent en avoir d'autre
« d'après l'observation des choses sensibles, je me sépare d'eux sur ce
« point, écrit-il. Je dis que l'àme intellective de l'homme est une forme
« communiquant son être à tout le corps humain; je dis qu'elle est ab-
M solument indivisible, qu'elle n'est pas par elle-même étendue, qu'elle
« ne l'est point non plus par accident , et qu'elle parfait l'ensemble
« du corps humain , ainsi que toutes les parties de ce corps, sans le con-
« cours d'aucune autre forme substantielle inhérente à la matière; je
« dis que cette àme intellective a commencé d'exister, qu'auparavant
« elle n'existait point, qu'elle n'a pas été engendrée, mais qu'elle a été
a créée de rien, et que la puissance de Dieu la rendra désormais im-
« mortelle. Tout ce que professent à cet égard les catholiques fidèles,
«je le déclare vrai, sans la moindre hésitation, mais je ne saurais le
« démontrer. S'il en est qui le savent, tant mieux pour eux! Quant à
« moi, je me bornerai à faire ici un acte de foi. Je répondrai de la
« même manière aux objections : oui , sans doute, toute forme inhérente
« à la matière est corruptible; cependant je dis qu'il est en la puissance
« de Dieu de rendre une forme perpétuelle et de la préserver étemelle-
« ment de la corruption. Comment cela? Je l'ignore. Lui le sait^^'. »
'"' • Hoc non video possibile nisi solum per sommes inspirés de sa traduction. — Jean de
divinum miraculum. • Jandun reproduit la même déclaration presque
'*' B. Hauréau, Hisl. de la philos, scolast., dans les mêmes termes un peu plus loin
a'partie, 11,285. (lib. lll,qu. ag) : «Sicdiceretur adquœstionem
''' Lib. III, qn. i a. Ce passage important a «secundnm Arisfotelem et Commentatorem.
été traduit par M. Hauréau (p. a86); nous nous « Sed dico et indubitanter assero quod anima
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
551
Plus loin encore, c'est à propos de la théorie du libre arbitre que
Jean de Jandun, obligé de se séparer d'Aristote, déclare renoncer à
faire usage de sa raison : « J'affirme simplement , dit-il , que la volonté
« humaine est tellement hbre qu'elle peut repousser ce qui lui est
€ présenté comme un bien par l'intellect pratique. Je ne saurais le
«prouver, mais je le crois, par un simple acte de foi'*'. »
Celte aflFectation à déclarer les principes de la philosophie chré-
tienne indémontrables ou, pour mieux dire, irrationnels, cette habi-
tude constante d'opposer à une foi aveugle et résignée une science
soi-disant irréfutable, la science d'Aristote ou celle d'Averroès, ont
fait douter de nos jours de la sincérité des déclarations orthodoxes
de Jean de Jandun : on l'a soupçonné de ne tant insister sur le mérite
de sa croyance que parce qu'il ne croyait guère; et dans sa façon
d'étayer uniquement sur la révélation les thèses de la philosophie
catholique, on a vu comme un parti piis de décrier celte philo-
sophie *'^. Pour qui connaît la suite de la carrière de notre auteur et
l'évolution que marquent ses dernières années, cette appréciation
semble séduisante. Il serait cependant téméraire de taxer d'hypo-
crisie des actes de soumission aux enseignements de l'Église qui pou-
vaient être sincères en i3io ou en iSao. On peut admettre au moins
que l'espèce de fascination exercée sur l'esprit de Jean de Jandun par
les doctrines néo-péripatéticiennes et le trouble jeté dans ses croyances
par ses études philosophi([ues l'ont prédisposé à devenir l'audacieux
novateur et le prélat schismatique qu'il fut dans la dernière période
de sa vie.
• intellectiva humana non est seterna a parte
« anle , sed incipit esse de novo , non quidem per
« gênera tionem ab aliquo agente particulari , sed
• per creationem ab ipso Dec , creatore omnium ;
• et tamen erit aeterna in futurum Dei voluntate.
« Sed istas veritates demonstrare aut verbis aut
« principiis philosophorum gentiliiun concordes
«esse ostendere non pr;Esumo, nec credo esse
« possibile. Melius autem reputo dicere eos esse
« deceptos quam falso aliquid eis imponere cujus
• contrarium intellexerunt. Per se enim menda-
• cium pravum est et fiigiendum, secundum
• Aristotelem, IV° Etkic, Has ego conclusiones
« assero simpliciter esse veras sola fide , quia
« credo potentiam Dei omnia posse facere. Et
« eodem principio responderem ad omnes ra-
« tiones quibus contra illam veritatem arguitur.
« Concède enim omnia quae ex eis necessarlo
« sequuntur esse possibilia divinae potentiae.
« Quod si quis demonstrare sciât et principiis
« philosophorum concordare , gaudeat in iflo ,
«et ego ci non invideo, sed eum dico meam
« capacltatem excellere. »
<'l Lib.IlI,qu. 41.
'*' B. Haureau, Hist. de la pliilos. scolasl. ,
a* partie, 11, p. 288.
552 JKAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
10" Qu^sTioNES IIS Parva naturalia Aristotelis.
Sous ce titre collectif on comprenait d'ordinaire les sept petits traités
d'Aristote De Sensu et sensato, De Memoria et reminiscentia, De Somno et
vigilia, De Causa longitudinis et brevitatis vitœ, De Juventute et senectute
et de inspiratione et exspiratione , De Morte et vita et De Motibus animalium.
Tous les sept ont fourni à Jean de Jandun le sujet d'un certain nombre
de Questions, qui se trouvent réunies dans le manuscrit de la biblio-
thèque Bodléienne Canonici Miscell. 222, daté de 1421*'', et qui
paraissent avoir été publiées, pour la première et la dernière fois, à
Venise, en i5o5, par les soins d'un éditeur déjà souvent nommé au
cours de cette notice, Boneto Locatelli. Le philosophe bien connu
Marc-Antoine Zimara ne fut pas étranger à la préparation et à l'anno-
tation de cette édition, qui comprend également un opuscule do
lui'^l A la hn du volume, on lit un petit dialogue, dans lequel Jean
de Jandun est supposé remercier Marc-Antoine Zimara d'avoir tiré de
l'oubli ses Questions sur les Parva naturalia, qui semblaient con-
damnées à ne jamais voir le jour.
In librum de Sensu et sensato. Inc. : Utrum de communibus passionibus animae
et corporis possit esse scientia . . .
In librum de Memoria et reminiscentia. Inc. : Circa istum librum primo qu<eritur
utrum de fiituris possit esse scientia . . .
In librum de Somno et vigilia. Inc. : Circa librum de Somno et vigilia primo
quaeritur utrum de somno et vigilia possit esse scientia . . .
In librum de Causa longitudinis et brevitatis vitae. Inc. : Circa libnim , etc. , qu;e-
ritur primo utrum de longitudine et brevitate vitae possit esse scientia . . .
In librum de Juventute et senectute. Inc. : Circa librum , etc. , quaeritur et primo
circa quasdam suppositiones . . .
In librum de Morte et vita. Inc. : Circa librum, etc., quaeritur utrum scientia de
morte et vita sit naturalis . . .
In librum de Motibus animalium. Inc. : Circa istum librum , etc. , quaeritur utrum
de motibus animalium sit scientia . . .
A titre d'exemple, nous citerons cette question : un homme sourd
'•' Un autre manuscrit du xv* siècle , conservé !* 1 7 ) s* *ur le De Motibus animalium ( fol. a66-
à la bibliothèque de Saint-Marc de Venise (ci. X, 389).
76), contient seulement les Questions de Jean <*' Qutestio de Movente et moto, de intentione
(le Jandun sur le De Sensu et sensato (fol. 217- Aristotelis et siii magni commentatoris Averroys ,
266), sur le De Somno et vigilia (fol. 188- contra moder nos.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 553
de naissance est-il nécessairement muet? Jean de Jandun ne manquait
pas d'y donner une réponse affirmative ''l Et cette autre : quelle langue
parlerait un enfant élevé dans une forêt, loin du commerce des
hommes? Notre auteur repousse fort judicieusement l'opinion de
quelques personnes qui supposaient que ce serait l'hébreu : il conteste
à cette langue le titre de langue primitive , et conclut que l'enfant en
question émettrait des sons inarticulés'^'.
Y a-t-il une science des choses futures contingentes ? Non , à propre-
ment parler. Il est possible pourtant de former des conjectures : c'est
à quoi s'efibrcent de parvenir les arts magiques, la nécromancie, la
pyromancie. Jean de Jandun se montre assez sceptique sur les résul-
tats obtenus; toutefois il n'ose proclamer la vanité de ces procédés'^'.
Au moins les songes peuvent-ils annoncer l'avenir? Non, puisqu'ils
ne sont ni les effets, ni les causes des événements futurs'^'. Si, pour-
tant, car telle est l'opinion d'Aristote; telle est aussi l'universelle
croyance, et ce que tout le monde admet ne peut être entièrement
faux. Cependant Jean de Jandun estime que l'art d'interpréter l'avenir
par les songes n'est pas une science certaine à l'égal des mathéma-
tiques : il peut se faire que les faits annoncés n'arrivent pas. On ne
devrait se servir que de formules prudentes : il est possible, il est
probable que tel événement s'accomplisse. De plus, cet art exige une
expérience consommée et une science presque universelle. Il est diffi-
cile de l'acquérir, et peu de gens s'y essaient'*'. Autre difficulté : les
songes qui font prévoir l'avenir sont-ils envoyés par Dieu? Oui, d'après
Socrate, Platon, Apulée, Simonide, Avicenne et Al Farabi; non,
d'après Aristote. Pour Jean de Jandun, il est de l'avis d'Albert le
Grand, c'est-à-dire qu'il n'en sait trop rien : ce qui l'embarrasse, c'est
3u'Aristote est, sur ce point, bref et obscur, qu'Averroès l'aban-
onne, et qu'il y a sur ce sujet, pour ainsi dire, autant d'avis que de
philosophes'^'. Il se demande encore si un homme peut par des lu-
mières naturelles prophétiser l'avenir, et, cette fois, il répond affirma-
'"' De Sensu et sensato, qu. 7. ''' Jean de Jandun se reprend un peu plus
Ibid. loin : les songes sont parfois la cause de laits
'') De Memoria et reminiscentia , qu. i : qui se produisent postérieurement, et, d'autres
«Pauci taies inveniuntur veridici. Non tamen fois, ils sont amenés par la même cause que
« puto esse impossibile taies artes habere , quod certains phénomènes subséquents,
«quidam fide digni dicunt se fuisse expertes '*' De Somno et vigilia , cfa. aa.
«veritatem earum.i <'l Ibid., qu. aS.
niST. LiTTÉB. — xxxm. 70
554 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PAJXUJE.
tivement, parce que le monde sublunaire subit l'influence des cieux :
en d'autres termes, s'il ne croit guère à la divination , et si les songes lui
paraissent obscurs, il se montre, au contraire, plein de confiance dans
l'astrologie '*l
Les Questions de Jean de Jandun sur les Parva naturalia paraissent
postérieures à ses Questions sur le traité de l'Ame : au moins avons-
nous relevé un passage de celles-ci où l'auteur annonce les développe-
ments qu'il compte donner ultérieurement à propos du livre de la
Mémoire et de la réminiscence'"^'.
11° Qu.^STJONES IN LIBRUM DE BONA FORTUNA.
Le livre De Bonaforlnna, attribué à Aristote, se compose d'extraits
de la Morale à Eudème. Les sept questions que la lecture de cet opus-
cule a suggérées à Jean de Jandun se trouvent jointes à ses Qaœstioncs
in Parva naturalia dans le manuscrit d'Oxford'^' (fol. 126 v°-i42] et
dans fédition de Venise due à Marc-Antoine Zimara.
Inc. : Circa iibellum qui de Boua fortuna inscribitur, quœrendum est primo
utrum de bona fortuna sit scientia.
Des. : Per hoc aulem patet solutio ad quœstionem; argumenta autem procedunt
viis suis , sicut intuitu patet.
1 2° Nouvelle rédaction dv Commentaire des Problèmes d' Aristote
PAR Pierre d'Abano.
On se souvient que , dans le préambule de ses Questions sur la Phy-
sique, Jean de Jandun déplorait fabsence d'un texte correct et d'un
commentaire suffisant des Problemata d'Aristote. Aussi dut-il recevoir
avec une singulière satisfaction, des mains de son ami Marsile de Pa-
doue, le texte d'un ouvrage tout récent qui comblait cette lacune : il
s'agit du Commentaire des Problemata que le célèbre médecin et alchi-
miste padouan Pierre d'Abano avait commencé à Paris et terminé à
Padoue, en i3io'''. Les démêlés de cet auteur avec flnquisition ne
lui avaient fait, paraît-il, aucun tort dans l'esprit de son compatriote
Marsile, non plus que dans celui de Jean de Jandun'*'. Ce dernier le
'"' De Soiimo et vigilia, qu. 24- les dernières phrases de la septième Question.
''' Lib. ni, qu. i5 : «De hoc tamen troc- '*' Tel est, du moins, le renseignement
■> tandum est diiTusius in De idemoria et remi- fourni par l'édition donnée à Mantoue, en
aniscentia.' li'jb.
''^' 11 manque seulement dans ce manuscrit '') On a cru à tort que l'ouvrage de Pierre
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
555
qualifiait de « glorieux docteur» et se vantait d'être le premier parmi
les régents de philosophie de Paris à connaître ce précieux travail.
Il le recopia de sa main; ou bien c'est Marsile de Padoue qui, vou-
lant lui épargner le désagrément de lire Pierre d'Abano dans un texte
incorrect, prit soin de transcrire lui-même la glose de son compatriote :
il est permis d'interpréter de ces deux façons une phrase incorrecte et
obscure'^'. En tous cas, Jean de Jandun se proposait de faire entrer
le livre de Pierre d'Abano dans son enseignement, se réservant de le
commenter ou de le compléter, devant les étudiants de l'Université de
Paris, par des explications orales.
En attendant, il en donna un texte quelque peu abrégé, qu'il fit
précéder d'une préface où sont relatées les circonstances qui viennent
d'être rappelées.
Les deux manuscrits qui nous ont conservé cet ouvrage, et qui ont
peut-être été copiés l'un sur l'autre, se trouvent aujourd'hui à la Bi-
bliothèque nationale (latin 6642) et à la bibliothèque de l'Arsenal
(n° 728). Le premier remonte à l'année i385; le second, plus soigné,
est sans doute postérieur et a appartenu aux artiens du collège de
Navaire, c'est-à-dire aux successeurs des propres élèves de Jean de
Jandun*"^'.
Inc. : Jaxta sententiam Aristotelis in prohœmio sui libri de Anima, quanto res
humanae . . .
Des. : Caro enim rara vel densa talem colorem repraesentat vel alterum *^'.
La comparaison de ces deux manuscrits avec l'ouvrage original de
Pierre d'Abano, dont il existe des éditions anciennes''"', prouve qu'en
d'Abano communique par Marsile à Jean de
Jandnn était son Conciliulor differenliurnm (Bald.
l.abanca, Marsiglio da P(idova,p. •j4).
''' « Et ego, Johannes de Genduno, ^ni.Deo
« gratias , credo esse primus inter Parisius regen-
« tes in philosophie ad quem predicta Expositio
« pervenit, per dilectissimum meum magistrum
« Marciliiun de Padua , illorum Expositionem
« manibuspropriis michi scribere dignum daxit,
« ne malorum scriptorum corruptiones damp-
• nose delectationem meam in istius libri studio
« minorarent .librumque prenominatum , secun-
« dum illius gloriosi doctoris sententias propono ,
« Deojubente, scolaribusstudii Parisiensis verbo-
« tenus explanare , et , si aliqua per diiigentiam
• considerationis mee debilitati visa fuerintappo-
« nenda, vel declaranda , ea non scriptis dogma-
« tibus apponere aut manifestare curabo. » —
Dans cette phrase , que l'eproduisent de même
façon les deux manuscrits de la Bibliothèque
nationale et de l'Arsenal , quel est le sujet de
diixit? Si c'est Marsile de Padoue, il faut
transporter après Marcilium de Padua le qui
qu'on lit après Johannes de Gendano. Si c'est
Jean de Jandun , il faut changer duxit en duxi.
''' On lit à la fin du volume : « Hic liber est
« de libraria collegii Navarre artistarum. »
<'' Cette phrase est aussi la dernière du
commentaire de Pierre d'Abano.
'*' Mantoue, li^jb, et Padoue, i48a.
70.
550 JEAN DE JANDUN ET MARSILÉ DE PADOUE.
dehors de la préface , la part de Jean de Jandiin s'y réduit à peu de
chose. Son travail a surtout consisté en coupures et en remaniements
sans importance. C'est en ce sens que peut se justifier le titre placé
en tête du ms. 6542 : Expositio Pétri de Ebano. . . per excellentissimam
artiiim doctorem magistnim Johannem de Genduno elacidata et declarata.
13° QVMSTIONES IN DUODECIM UBROS MeTAPHYSICM ArISTOTELIS.
Cet important ouvrage de Jean de Jandun, dont un exemplaire
manuscrit subsiste en la bibliothèque de Saint-Antoine de Padoue
(xvii, 366), nous est connu, en outre, par les éditions données à
Venise en 1 525, en 1 553, en i56oeten 1 586, qui contiennent en
même ten)ps des remarques du philosophe Marc-Antoine Zimara,
datées du i" février i5o5. Zimara, tout en rendant justice à Jean de
Jandun, «qui, jusqu'ici, dit-il, a tenu le premier rang parmi les
«commentateurs d'Averroès » , relève un certain nombre de passages
où notre auteur se serait indûment écarté de la doctrine péripatéti-
cienne'''.
Inc. : Circa istum librum primo solet quîeri utrum félicitas humana consistât in
sapientia.
Des. : Sed sufïicit diversitas in causatis, ut dictum est. Et hoc de toto libro
Metaphysicae.
C'est dans les Questions sur la Métaphysique qu'il y avait chance de
rencontrer l'expression d'une doctrine arrêtée permettant d'assigner à
Jean de Jandun une place précise parmi les philosophes du moyen
âge, et c'est effectivement de cet ouvrage que Prantl a tenté de dégager
sa théorie des universaux*"^'. Mais, à y regarder d'un peu près, on ne
trouve, au milieu de ses distinctions multiples et de l'étalage fatigant
de .son érudition, aucune idée bien personnelle, aucun point de vue
original. Il expose la théorie des idées de Platon, qu'il rejette bien en-
tendu, et reproduit les objections d'Aristote et d'Averroès. Quant à sa
propre réponse à cette question très claire : les universaux sont-ils
réellement distincts des individus? elle peut, malgré sa longueur et
'"' C'est à tort que Va^uot {Mèm. pour servir ces critiques de Zimara aux Questions de Jean
à l'hist. Uttér. des d'uc-sepl provinces dvs Pays- de Jandun sur le De Substantia orhis.
Ba.« , I.ouvain , 1766, in-fol., I, 48.'i) rapporte ''' Gesch. der Logik im AbendL, III, 273.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 557
sa complexité apparente, se ramener aux termes suivants : Oui, si l'on
entend par universel une conception de l'intelligence humaine; non,
si l'on entend l'objet même de celte conception''^. Autrement dit,
l'universel homme est réellement distinct de Socrate et de Platon dans
notre esprit, mais pas ailleurs. C'est le conceptualisme classique de
beaucoup de successeurs d'Abélard. Il est vrai que, dans un autre
chapitre, Jean de Jandun soutient que l'espèce a une unité réelle et
objective différente de l'unité individuelle. Mais il n'y a pas contradic-
tion entre ces deux principes. Notre auteur pense simplement que, si
l'on pouvait retrancher de Socrate, par exemple, tout ce qui n'est en
lui qu'accidentel, il resterait seulement l'unité spécifique, et cela
quand bien même il n'y aurait aucune intelligence humaine pour le
concevoir, en d'autres termes, que le fait d'appartenir à une même
espèce suppose entre les individus des rapports, des liens qui existent
réellement et indépendamment de l'idée que nous pouvons nous en
faire '^'. Tout cela aurait pu être dit en beaucoup moins de mots.
Ailleurs, Jean de Jandun confesse franchement son embarras et ne
sait pas comment choisir entre les différents systèmes. Il s'agit du
principe d'individuation. Les uns disent que c'est la matière qui indi-
vidualise, les autres que c'est la forme; ceux-ci appellent ce principe
quiddité indivise, ceux-là indivision, d'autres encore eccéilé; les
uns parlent de « forme individuelle formellement distincte » ; d'autres
de forme spécifique; d'autres enfin font intervenir les propriétés acci-
dentelles. Pour conclure, Jean de Jandun ne sait que développer deux
opinions, dont il nous laisse le soin de choisir la meilleure'"^'. Cette
hésitation, ce manque d'originalité, frappants en bien des endroits,
nous empêchent de souscrire tout à fait au jugement porté sur Jean
de Jandun par un de nos prédécesseurs, qui loue chez lui précisément
l'indépendance, la résolution''''. Qu'il n'ait voulu être «le disciple
« fidèle de personne », nous n'en disconvenons pas; mais c'était pour
devenir le disciple de tout le monde.
''' Lib. VII, qu. a4. Cf. lib. I, qu. 16; « Plato magis actualiter conveniunt et realifer
lib. III, qu. 7, 9. «quain Socrales et BruneUus. »
f) Lib. V, qu. 12 : .Dicendum est ad !'' Lib. VII, qu. 17. Cf. lib. XII, qu. i3 :
« qnaestionem quod unitas speciei est extra ani- « Tangam duas opiniones cum suis rationi-
« mam actu et realiter distincta ab unitate nu- « bus ... ; et quilibet tune eligat qu» sibi vide-
• merali . . . Individua ejnsdem speciei veriori « bitur probabilior. »
«modo habent unitatem inter se quam indivi- <*' B. Hauréau, Hist. de la philos, scolast.,
«dua diversarum specienim, quia Socrates et a' partie, t. II, p. a8i, a83, aSg.
558 JEAN DE JANDUN ET IMARSILE DE PADOUE.
Au surplus , les Questions sur la Métaphysique ne seraient pas l'œuvre
de Jean de Jandun, si l'on n'y retrouvait la perpétuelle contradiction
que nous avons signalée entre ses principes philosophiques et sa foi
religieuse, au moins apparente. Ici, c'est à propos de la puissance in-
finie de Dieu''', de la création et de la fin du monde '^', de la pluralité
et de l'immortalité de l'intellect humain'^' qu'il répète les déclarations
déjà si souvent entendues : « Cela ne résulte pas de l'observation du
« monde sensible, cela ne se démontre pas;j'y crois et j'ai du mérite à
« cela. L'on nepeutme demander autre chose. » Gesphrases, auxquelles
nous sommes maintenant accoutumés, sont comme la signature des
écrits philosophiques de Jean de Jandun.
14°. Qv^.sTioNEs SUPER Rhetoricam Aristotelis.
Un manuscrit de la fin du xiv" siècle, le n° 868 de la Bibliothèque
royale de Bruxelles, contient, sous le nom de Jean de Jandun, une
longue série de questions an sujet de la Rhétorique d'Aristote.
Inc. : Rhetorica est assecutiva dialecticiE. Circa librum Rhetoricœ Aristotelis, prima
quaestio sit ista : utrum rhetorica sit assecutiva dialectica;.
Des, : Si vero omnes istos superflue agere dicas , satis est mihi te ad tantae prœsump-
tionis excessum incontradicibiliter perduxisse.
Cet ouvrage n'occupe pas moins de trente feuillets d'une écriture
très fine; il est divisé en trois livres et comprend soixante et un cha-
pitres.
On peut donc supposer que, chez Jean de Jandun, le maître de
philosophie était doublé d'un professeur de rhétorique ou, du moins,
que, à l'exemple de Gilles de Rome'"', il voulut porter son attention
sur un des traités d'Aristote les plus négligés dans l'enseignement de
l'École.
15° ET 16°. De Lavdibvs Silvanecti et De Laudibus Parisius.
Nous avons suffisamment parlé de ces ouvrages en rappelant dans
quelles circonstances ils ont été composés.
Le texte en est conservé dans deux manuscrits du xiv"' siècle : l'un.
<■' Lib. Il, qu. 4. c Lib. Xn, au. 4.
'') Lib. Il , qu. 5 , 6 , 7, 9 ; lib. V, qu. 3-j. <') Hist. liU. delaFr.. XIII , 466.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 559
le latin i4884 (fol. 170) de la Bibliothèque nationale, provenant
du fonds de Saint-Victor; l'autre, le n" lx']b?) (fol. 209) de la Bi-
bliothèque impériale de Vienne, qui seul fournit le nom de l'auteur,
Jean de Jandun, et seul contient la dissertation du « dictator » anonyme
dont l'apparition servit de prétexte à la rédaction du De Laudibus Pa-
Signalés par Michel Denis, dès 1 800*^', ces curieux ouvrages ont été
analysés avec assez de détail, en i855, par Le Roux de Lincy ^^\ puis
publiés, en 1 856, par Le Roux de Lincy et Taranne dans le Bulletin
du Comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France^^^ et enfin, en
1867, par Le Roux de Lincy et Tisserand dans le volume de la col-
lection de Y Histoire générale de Paris intitulé Paris et ses historiens aux
XIV' et XV' siècles (p. 1-79). Cette dernière édition est accompagnée
de notes, d'éclaircissements, de fac-similés et d'une traduction fran-
çaise due à M. Alexandre Bruel.
Si nombreux que soient les ouvrages de Jean de Jandun qui nous
sont parvenus, nous ne possédons peut-être pas tous ceux qu'il a
composés.
Dans le manuscrit de Vienne qui contient l'Éloge de Paris, la note
marginale suivante se lit en regard d'un passage où il est dit que le
gouvernement de la France est une monarchie héréditaire : Quod mul-
tipliciter electiva inslitutione melius esse monstravi^'^\ On pourrait assez
vraisemblablement en conclure qu'avant iSaS Jean de Jandun avait,
dans un écrit spécial, ou peut-être dans quelque commentaire, par
exemple sur la Politique d' Aristote '*^, célébré la supériorité de la
monarchie héréditaire sur la royauté élective.
Au contraire, rien n'oblige à attribuer à notre auteur une Qaœstio
super Epicyclis et eccentricis qui se trouve dans le ms. du Musée bri-
tannique Harley i (fol. i52-i54), sous le nom de Jean de Gand'^':
'"' Voir la description détaillée de ces deux <'' T. III ( i855-i856), p. 5o5-54o.
manuscrits dans Le Roux de Lincy et Tisse- '*' Paris et ses histor., p. 62.
rand, p. 18-20. '"' C'est l'hypothèse vers laquelle semble
'*' Codices mss. theologici bibl. pal. Vindoho- incliner M. R. Mûller [Gôlting. gel. Anzcigen,
nensis latini aliarumqne Occidentis linguariim , i883, p. 916).
t. II, part. II, c. 1648. ''' • Hic incipitquestio magistriJ.de Gandavo
'■'* Description de la ville de Paris au xr' siècle « super Epicyclis et eccentricis. Quoniam per ac-
par Gtiillebcrt de Metz (in-8°). « quisitionem prime philosophie invenitur homo
560
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Jean de Jandun a traité le même sujet dans ses Questions sur la
Métaphysique''' et en termes tout différents.
11 n'y a pas non plus à se préoccuper de l'attribution faite à Jean
de Jandun par Goldast*'^' ou Fabricius*^' d'un traité De Potestale Ec-
clesiœ, d'un Quodlibetum, d'un Commentaire sur les quatre livres des
Sentences, etc. Le premier de ces ouvrages est probablement le De
Potestate regia et papali du frère Prêcheur Jean de Paris, surnommé
Jean Qui dort, dont il a été question dans un de nos précédents
volumes'*'. Le Qnodlibetum'^^^ et le Commentaire sur les livres des
Sentences pourraient bien être aussi du même auteur'^'.
Un de nos prédécesseurs, E. Renan, a dit quelque part avoir
examiné, à la bibliothèque de Saint-Marc de Venise, la « Logique» et
les «Questions dialectiques» de Jean de Jandun*^'. Mais ces titres ne
correspondent à aucun des ouvrages de notre philosophe conservés à
Venise, et E. Renan lui-même n'a eu garde de reproduire cette indi-
cation dans les pages qu'il a consacrées plus tard à Jean de Jandun'*'.
III
La vie de Jean de Jandun va être désormais intimement mêlée à
celle d'un personnage qui, malgré sa célébrité et le nombre des mé-
moires qui lui ont été consacrés, est loin de nous être encore suffi-
samment connu.
Marsile de Padoue est désigné parfois sous les noms de Marsilius
Menandrinas, Menardinus , Mainardinns^^\ de Maynardino''^'^\ une fois aussi
« in sua perfectione essentiali , ut dicit Commen-
« tator, xii° Meteoram, ad cujus nobilioris partis
« evidentiam valet cognitio diversorum motuum
« corporum celestium et maxime planetaram... •
Le ms. Haii. i est du xiv' siècle.
'■' Lib. Xll.qu. 20.
''' Monarch., I, Praefat.
") T. IV, p. 219.
(*' Hist. litt. de la Fr., XXV, 269.
''' Le ms. lat. 1457a de la Bibl. nal. con-
tient des Qiiodlibeta de Jean de Paris. Cf.
Hist. lia. de la Fr., XXV, a5o,
'*' Goldast , après avoir attribué aussi a Jean
de Jandun \' Infonnatio de nullitate processuum
Joannis XXII papte conlra Ludovicam impera-
torem, qu'il a publiée au t. I" (p. 18-21) de sa
Monarchia, a reconnu lui-même son erreur
dans la dissertation sur les auteurs placée en
tête du volume. N'empêche que cet ouvrage
est encore parfois cité sous le nom de Jean de
Jandun ( voir Guill. Cave , II,Suppl. , 36; B.
Labanca, p. 120).
''' Arch. des Missions scientifiques, I (i85o),
p. 397
" Averroès , p. 339 cl »"iv-
''' Bibl. impér. de Vienne , mss. 384 , 464 ,
809, 5369. Bernardino Scardeoni, Hisloria
Patavina (Grxvius et Burmann, Thés, antiqu.
ItaL, VI, III, c. 170).
''"' Protocole du 20 mai i328 (Baluze, Mis-
cellanea, II, 280). Bulles du i4 octobre i3i6
(A. Thomas, dans Mélanges d'archéol. et
d'histoire, U, 448) et du 5 avril l3i8 (Denifle
et Châtelain, Chartul. Univ. Paris., 11, 717).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
561
sous celui de Raymundini''^\ Bien que certains historiens paraissent
disposés à accorder la préférence à cette dernière forme '"^^ il nous
semble hors de doute que Marsile appartenait à l'ancienne famille
padouane des Mainardini*^'. On sait même le nom de son père, Bnon-
matteo Mainardino. C'est ce qui résulte d'une bulle de iSiô'*' et
d'un vers du poète Albertino Mussato*^', qui nous apprend, en outre,
que Marsile était de souche « plébéienne ».
La lettre en vers de Mussato est, d'ailleurs, la seule source qui
puisse nous renseigner sur le début de la carrière de Marsile'*^'. Le
style en est obscur, ce qui explique qu'elle ait été fort mal inter-
prétée. Mais, de plus, elle a été, croyons-nous, mal datée, et de deux
façons différentes. La date de i3o8, proposée par M. Labanca, est
purement hypothétique^^'; celle de i3i6 ou des années suivantes,
hasardée par M. Ant. Thomas'®', ne repose que sur un mot qui n'ap-
parlient pas au texte de l'épître '"'. On eût mieux fait de se reporter à
l'hémistiche suivant :
. . .Paduœ duni régna manebant.
Cette réminiscence de Virgile indique d'une façon claire qu'à
l'époque où Mussato écrivait son épître , Padoue avait perdu son indé-
pendance politique. Or cet événement se produisit durant l'été de
i3ii : quand le roi des Romains Henri VII descendit en Italie,
Padoue, qui , depuis trente-cinq ans, jouissait de sa liberté, fut obligée
de prêter serment, de payer tribut et de recevoir un vicaire impérial;
cette sujétion dura jusqu'au soulèvement populaire qui eut lieu au
''' Albertino Mussato, Ludovicus Bavarus
( Bôhmer, Fontes reram Germanicarum , t. I ,
p. 175).
'*' Tiraboschi, Storia délia letterat. ital.
(1783), V, i5o; Muratori, X, 773; Riezier,
Die lit. Widersacher d. Pâpste . p. 3o; Alfred
Huraut, Elude $iir Marsile de Padoae (Paris,
1892, in-8°), p. !•!.
'^' M. Labanca (p. 10) cite un membre de
cette lamille qui vivait au xii* siècle.
'*' Cette bulle est adressée « Marsilio nato
■ Bonmathei de Maynardino de Padua». (A.
Thomas, loc. cit.)
•^l Praedilecta Boni proies bene iausta Mathaei.
'*' GrsBvius et Bunnann, Thés, aniiqu., VI,
HIST. LITTEB.
XXXII
II, Suppl., c. 48. — M. Labanca (p. 327) a
réimprimé cette lettre d'après l'édition de
Venise de i636.
''' M. Labanca suppose, comme Tiraboschi
(V, 1 5a ) , que Marsile de Padoue se trouvait à
Paris à répo(|ue où cette épître lui fut adres-
sée : c'est une hypothèse entièrement dénuée
de vraisemblance.
<*' Mélanges d'archéologie et d'histoire, II,
45o.
<*' La qualification de « magister » n'est attri-
buée à Marsile de Padoue que dans le titre de
l'épitre d' Albertino Mussato : ce titre a pu être
rédigé après coup ou même imaginé par un
copiste ou par un éditeur.
7'
562 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
printemps de 1 3 1 2 '''. Est-il téméraire d'en conclure que lYpître de
Mussato fut écrite durant le second semestre de i3ii ou, au plus
tard, dans le commencement de l'année 1 3 1 2 ?
Ce premier point acquis, il serait intéressant d'extraire de cette
lettre les renseignements précis qu'elle peut fournir sur Marsile de
Padoue.
Antérieurement au mois de juin 1 3 1 1 , Marsile Mainardino, qui se
trouvait encore à Padoue, avait demandé conseil à Albertino Mus-
sato : devait-il se tourner du côté du droit ou de la médecine?
Quaesi[s]ti num te leges audire forenses
Maluerim , medicœ potius intendere physi '**.
La réponse n'est point claire. Toutefois on peut comprendre que
Mussato, voyant son jeune ami dominé par la passion du gain^^\ avait
cherché à le prémunir contre une double tentation : celle de vendre
misérablement sa « parole essoufflée » , celle aussi de se confiner dans
la pratique vénale de la médecine''''. Était-ce donc là le but qu'il avait
poursuivi en se livrant à l'étude, à la «sainte étude'^'»? Mussato lui
conseillait plutôt d'approfondir, dans une recherche désintéressée,
les secrets de la médecine, en cultivant pour elle-même cette science
spéculative qui le ferait presque l'égal de Dieu et qui, par surcroît,
lui procurerait toutes les richesses désirables :
Quantas fundet opes etiam acceptare neganti
Prodiga ! Non tantas Venetum fert littus arenas.
Marsile parut goûter l'avis. Il s'arracha à l'affection des siens pour
aller, hors de Padoue, savourer, dans quelque école ou chez quelque
maître étranger, la «coupe du divin nectar». Il emportait ses livres
<'' Moratori, X, 4a i ; G. Cappelletti, Storia V, i5i ), Mussato n'avait fait que remontrer à
di Padova (Padoue, iSyS, in-8°), t. I, p. 197, Marsile les dangers du barreau et lui avait, au
lOQ. contraire, recommandé la carrière de la mé-
f^' Il n'y a pas lieu de dire, comme M. La- decine.
banca(p. i4). que Marsile exerçait à Padoue <'' Plusieurs fois Mussato, en parlant de
les profession» de médecin et d'avocat. l'étude, emploie l'épithéte sacer. Il ne faudrait
'^' Corcerno luum : tua viscera torrent pas croire, comme on l'a fait (Labanca, p. 16),
^^ Auri sacra famé» et avaro vivere quœstu. qu'y joit question d'tétude» sacrées » , de théo-
; '*' Suivant Tiraboschi (Stor. rf. /e«e^a^ ita/., logie.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 563
de médecine et un trésor de connaissances acquises qui lui présa-
geait le succès. Mussato lui souhaita bon courage et la gloire :
Macte tua virtute ! Sacris splendoribus esto
Clara lucerna tu;e mundo notissiina terrae.
Cependant, à peine parti, Marsile se laissa séduire par les invita-
tions de Cane Grande délia Scala '*' et circonvenir par les caresses de
Matteo Visconti "^'; en d'autres termes, il s'attarda du côté de Vérone
et négligea de gagner la côte ligurienne , où il devait trouver sans doute
l'enseignement qu'il cherchait. C'est ainsi qu'on peut du moins inter-
préter les vers suivants, assez énigmatiques'^' :
Carpis iter. Sed proh ! Sors dira sub oniine laevo !
Calle quidem primo, demuisus ab orc Canino,
Replesti faciles saîvis hortatibus aures.
Inde répons , Ligures ut non migraveris oras '*',
Fama subit ipioà te sœva mujcedine captum
Impl[icu]it torta sa^vissima Vipera cauda . . .
A ce moment, l'ambition inconstante de Marsile lui fit rechercher
divers emplois : il tâtonna sans réussir. Cela fit renaître en lui
l'amour pur de la science : revenant à son premier dessein, il se
rendit auprès d'un des célèbres docteurs de l'époque et, sous sa di-
rection, approfondit successivement les diverses parties de la phy-
sique. Déjà la philosophie naturelle n'avait plus guère de secret pour
lui quand son ami Mussato apprit que, de nouveau, il avait inter-
rompu ses études, cette fois, pour coiffer le casque, pour endosser
l'armure, pour ceindre l'épée germanique :
. . . Numquid vox improba lamae
Vera refert quod tu studii de tramite sacri
Lapsus ad infandos hominum te verteris actus?
'"' Cane Grande venait de recevoir, ainsi '"' Cl. ïiraboschi, V, i5i; Riezler, 3i.
que son frère Alboino, le titre de vicaire im- M. Labanca (p. ao) croit comprendre que la
pénal à Vérone (C. CipoUa, Storia délie si- première station de Marsile, hors de Padoue,
gnorie italiane dal 1313 al i530 , Milan, 1881, fut Milan.
in-8°, p. 3o). (*) Tiraboschi a fait à ces deux vers des cor-
'*' Ex-capitaine et vicaire impérial à Milan , rections inadmissibles :
Matteo Visconti, alors évincé du pouvoir, s'é- Impleth faciles sœvis latratibiu aures.
tait retiré près de Vérone (ibid., p. 21). Inde repens Ligures ut mox migraveris oras.
564 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Diceris ecce cavo contectus tempora ferro
Loricam perferre gravein ...
Quidam aiunt tibi quod germanus cingitur ensis ,
Quidam aiunt quod tu germano accingeris ensi "'.
Sans doute il avait pris service dans la troupe de quelque prince
allemand, peut-être de Henri VII lui-même, qui se trouvait alors en
Italie, et auprès duquel accouraient quantité de barons cisalpins.
Mussato fut fort peiné de cette nouvelle incartade : c'est l'oc-
casion de son épître en vers. D'abord, par un artilice littéraire, il pa-
raît abonder dans le sens de son jeune ami; il trouve que la science
est vaine, que la richesse est tout, que la faveur du public tient lieu
de vraie valeur, qu'il faut s'accommoder aux mœurs de son temps, que
la licence de la guerre est préférable à l'observation des lois, qu'il est
juste de chasser les gens de leur demeure et de se faire concéder des
territoires pontificaux : l'important est d'avoir son loi. Toute puis-
sance est juste ... Il n'y a point que le pape. . . Point de piété ni de
bonne foi pour qui vit dans les camps !
Forsitan est melius vitœ cessisse modernœ ,
Pellere Marte viros tectis et vivere rapto ,
Quodlibet ut liceat, scripta quam vivere lege.
Crédita de summo sit quaeque potentia cœlo
Justa; nec unius teneantnos vincula papa; :
Quid prohibet multos hoc nostro tempore papas
Concessisse suis fundos et praedia posse ?
Accipiat sibi quisque libens , provisus ut assit 1
Nulla iides pietasque viris qui castra sequuntur !
Mais cette tirade, qui a pu donner le change, n'est, en réalité,
qu'un amer persiflage, et, comme dit l'auteur, le langage des roués :
vafer ait. Mussato redevient sérieux et redevient lui-même quand,
dans ses derniers vers , il évoque l'idée de la Justice éternelle , de la
règle infaillible. Marsile est jeune encore : il a l'avenir devant lui.
Rien ne l'empêche donc de s'amender, s'il a du cœur et de la vo-
lonté :
Fertile tempus habes, pulchra florente juventa,
Quo te restituas , si te regat in$ita virtus.
'•' Imitation du mot prêté a Cicéron (Ma- Marsile fut d'aussi petite taille que le mari de
crob., Saturn. Il, 3). Serait-ce à dire que Tullia , P. Cornélius Lcntulus Dolabella :'
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
565
Que faut-il entendre pourtant par ces insinuations au sujet d'en-
treprises sur les États pontificaux ? Peut-être qu'à l'époque où Mar-
sile s'enrôlait sous la bannière impériale, l'opinion à Padoue, très
montée contre Henri Vil , prêtait à ce prince des desseins menaçants
contre les États de l'Église. Il suffit de lire le discours que prononça
Roland de Piazzola, devant le Sénat de Padoue, au retour d'une am-
bassade à Gênes, pour comprendre l'idée défavorable que conce-
vaient certains Italiens des projets impériaux'''. À la vérité, Mussato
ne partageait pas ces préventions, ou du moins, par prudence, il
essaya de représenter à ses concitoyens f accord régnant alors entre le
pape et f empereur'^' : mais, dans sa correspondance privée, il pou-
vait se montrer moins optimiste à cet égard et, en tout cas, désap-
prouver la coopération du jeune Marsile à des entreprises plus ou
moins justifiées'^'.
Quoi qu'il en soit, l'éloquence de Mussato fut sans doute persua-
sive. Presque aussitôt, Marsile de Padoue renonça au métier des
armes pour se replonger dans l'étude. C'est alors qu'il dut prendre le
chemin de Paris.
En le voyant exercer, le 1 2 mars 1 3 1 3 , les fonctions de recteur
de f Université de Paris'*', on a supposé naturellement que, depuis
longtemps, il avait établi sa résidence dans cette ville. Or on vient
de voir qu'en i3i 1 il était encore en Italie, oîi il se laissait distraire
de ses études médicales par toutes sortes de préoccupations belli-
queuses ou autres. Mais on a vu aussi qu'il avait derrière lui un long
passé d'études, et probablement déjà une célébrité naissante. Dès son
arrivée à Paris, sa science put lui faire une place à part dans la Fa-
culté des arts. Il avait pris sans doute ses grades à Padoue : on lui tint
compte de son stage dans cette Université. Il fut nommé maître-
<"' Muratori, X, 4i4.
<•' Ibid..c. 4 19.
'^' M. Riezier (p. 3a ) n'a point saisi le sens
de ce passage de l'épitre de Mussato : il le croit
corrompu et pense qu'on n'en peut déduire
que des conjectures incertaines. Il suppose ce-
pendant, et c'est aussi l'avis de M. F. Scaduto
(Stato e Chiesa nelli scritti politici dalla Jîne délia
lotta per le Investiture sino alla morte di Ladmico
il Bavaro, Florence, 1882, in-i", p. 1 15), que
Marsile de Padoue songeait alors au service du
pape, mais déjà combattait la puissance ponti-
ficale.
''' Chartul. Univ. Paris.. II, i58. — La
présence dans un manuscrit de Vienne de
deux actes expédiés le 1 a mars 1 3 1 3 par les
quatre Facultés de Paris a fait croire que Mar-
sile de Padoue avait été recteur à Vienne.
Cette erreur, qui se trouve notamment dans
Fabricius (V, 33), a été déjà expliquée et
réfutée plusieurs fois (Riezier, p. 3/i, note 1 ;
Labanca, p. a3, note a).
566
JEAN DE JANDLN ET MARSILE DE PADOUE.
régent, et, aucune condition de temps n'étant exigée pour le rec-
torat'*', il parvint, peu avant le 2,5 décembre i3i2'^', à la plus haute
magistrature universitaire.
Cependant il serait difificile de placer dans la vie de Marsile, avant
sa venue à Paris, un séjour à l'Université d'Orléans, où il aurait fait
des études de droit. C'est une légende maintes fois reproduite'^' : elle
repose sur un contresens'*'. Rien n'est, d'ailleurs, moins établi que
les connaissances juridiques de Marsile de Padoue : son Defensor pacis
atteste plutôt l'ignorance où il était du droit romain, et, quelque
part, il se plaint de la partialité des papes en laveur des avocats'*'.
Après l'expiration de ses trois mois de rectorat, Marsile dut con-
tinuer d'enseigner à Paris, tout en y exerçant quelque peu la méde-
cine'®'. Un de ses élèves, François de Venise, qui le servait parfois à
table, comme c'était l'usage parmi les écoliers italiens, témoigna plus
tard qu'il l'avait, à diverses reprises, accompagné dans la visite de
ses malades'''.
'■' Chartul. Univ. Paris. , I , p. xxvi.
'*' Le recteur était alors renouvelé quatre
fois par an , notamment dans les jours précé-
dant la Noël. Or Emeric de Danemark était
encore recteur le i3 septembre i3i2, et Mar-
sile de Padoue avait cédé la place à Nicolas de
Vienne à la date du 6 mai 1 3 1 3 ( ibid. , Il , 157,
16a).
P' Le fait est affirmé par Bayle {Dict., III,
379), par Schwab {Johaimes Gerson, p. 3o),
par Friedberg (Die mittelalterlichen Lehren àber
lias Verkâllniss von Staat a. Kirche; Aiigastinus
Triomphas, Marsilins v. Padua.àans Oove et
Friedberg, Zeitschrifi fàr Kirchenrecht , VIII,
111), par Le Roux de Lincy et Tisserand
[Paris et ses historiens, p. 6), Paul-E. Meyer
( Étude sur Marsile de Padoue , Strasbourg , 1 870,
in-S", p. 7 ) , Ad. Franck (7oarn. des Sav. , 1 883 ,
p. ii8),iO. Lorenz {Deutschlands Geschichts-
quellen irIMittelalter. 3" éd., III, 348), Alfr.
Huraul [op. cit., i3), etc., et, avec quelque
hésitation, par B. Labanca (p. 6, ai, io4).
''' On a mal compris le passage suivant du
Defensor pacis (U, xviii, p. 262) : «Sic etiam
« qui libruni liunc in lucem deduxit sludiosorum
« Universitatem Aurelianis dcgentem vidit, au-
« divit , et scivit per suos nuncios et epi»tolas
« reqiiirentem et supplicantem Parisiensi Uni-
«vcrsitati, tanquam famosiori et vénération,
« pro ipsius habendis regulis , privilegiis atque
« statutis , cum tamen Parisiensi Universitati nec
« ante nec post esset in auctoritate apostolica vel
« jurisdictione subjecta. « De ce que Marsile de
Padoue a eu connaissance d'une démarche faite
par l'Université d'Orléans auprès de l'Univer-
sité de Paris, il ne s'ensuit pas qu'il ait été
membre de la première. Cf. Riezler, p. 33.
''' Def.pac, II, XXIV, p. 372.
'*' On peut se demander si Marsile de Pa-
doue n'est point l'auteur d'ouvrage» de méde-
cine. Le ms. a45 de Vendôme contient (fol.
194-196) des PillulfP editœ per mag. Petram de
Tusiunanu et mag. Marsiliiim Padaentem. D'autre
part, le médecin milanais Jean de Marfiano,
dans son De Reactione, composé en i444 (bibl.
de Saint-Marc , cl. x , 2 1 9 ; édité à Pavie , 1 48a ,
in-fol. ) , discute les opinions soutenues anté-
rieurement sur la matière par Marsile de Pa-
doue ( 0. Valentinelli , Bibl. manuscr. ad S. Marci
Venet., FV, i64)- Mais nous croyons plutôt
qu'il s'agit là d'un autre médecin padouan,
Marsile de Sainte-Sophie, qui vécut jusqu'aux
premières années du xv' siècle et fiit contem-
porain du médecin bolonais Pierre de To»«-
gnano.
''' • Quia idem Massilius sciebat in medicina
« et interdum practicabat. • ( Baluze , Miscetl. , Il ,
a8o.)
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 567
A un moment quelconque, et peut-être pour des motifs peu désin-
téressés, Marsile de Padoue fit le voyage d'Avignon. Cela lui permit,
dans la suite, de parler en témoin oculaire de l'aspect mercantile de
la cour pontificale ('\ Ce voyage eut peut-être lieu lors de l'avènement
de Jean XXII. Profitant d'un moment notoirement favorable à l'ob-
tention des grâces, Marsile Mainardino se fit recommander au nou-
veau pape par deux cardinaux amis des lettres, Jacques de' Stefaneschi
et François Caëtani. Grâce à leur entremise, il obtint, le i4 octobre
1 3 1 6 , des lettres de provision pour un des canonicats de l'église de
Padoue !^'. Dix-huit mois plus tard, le 5 avril i3i8, Jean XXII voulut
encore lui réserver le premier des bénéfices qui viendraient à vaquer
à la collation de l'évêque de Padoue'^'. Cette double concession suffit
à réfuter ceux qui ont voulu faire de Marsile soit un frère Mineur W,
soit un simple laïque '^'. N'est-il pas piquant enfin de voir Marsile de
PadoUe, comme d'ailleurs son collaborateur et ami Jean de Jandun,
commencer par recevoir les faveurs du pontife qu'ils allaient bientôt
combattre avec tant d'animosité'®'?
'"' « Qui vero vidi et affui , videre videor
«quam {Dan. a) Nabuchodonosor terribilem
• itatuam in somnio recita tur vidisse. • (Def.
pac, II, XXIV, p. 274.)
'*' Ant. Thomas, op. cit. , p. 448. — L'omis-
sion du titre de «magister» devant le nom de
Marsile ne nous semble pas prouver, comme
le croit M. Thomas (p. 45o), que Marsile
n'avait pas encore, en i3i6, le grade de doc-
teur en médecine : l'ancien recteur était sûre-
ment pour le moins maître es arts, et cela
suffisait pour lui donner le droit de porter le
titre de «magister». Il faut donc croire tout
simplement à une négligence du copiste. —
D'autre part, les éditeurs du Chartal. Univ.
Paris. ( II , 1 58 , 717) ont émis , à propos de
cette bulle , un doute qui nous parait injustifié ;
ils ont pensé qu'il s'agissait peut-être d'un
Marsilio Mainardino autre que l'ancien recteur
de l'Université de Paris, vu que les exécu-
teurs désignés dan» la bulle appartiennent tous
au clergé d'Italie. Mais l'usage n'était-il pas
de prendre ces exécuteurs dans le voisinage de
l'église où se trouvait le bénéfice conféré ? or
c'est un canonicat de Padoue que Jean XXII
donnait à Marsilio Mainardino.
''' Vatikanische Akten zur deutschen Ge-
schickte in der Zeit K. Ludwigs des Bayem
(Innsbmck, 1891, in-4°). p. 66. — On a
émis, sans raison suffisante, l'hypothèse qu'à
ce moment Marsile avait dû s'en retourner à
Padoue (O. Lorenz, loc. cit.; S. Sullivan, Mar-
siglio of Padua and William of Ockam, dans
The American historical Review , t. II, 1896-
1897, p. 4ii).
''> B. Scardeone, De Antiqaitate urbis Pa-
tavii { Bâle , 1 56o , in-fol. ) , p. 1 49 ; Papadopoli ,
Hist. gymnasii Patavini ( Venise , 1726, in-fol.) ,
l. II, p. i54; Fabricius (éd. de i858), V, 33;
Renan, Averroès, p. 360; Le Roux de Lincy
et Tisserand, Pan» et ses historiens, p. 6.
'*' Labanca, p. i5; Ad. Franck, Jouni. des
Sav., i883, p. 119.
'*' Il est bien invraisemblable que Marsile
de Padoue soit, comme on l'a supposé, le per-
sonnage désigné par les mots « cet Italien
« appelé Marcillo » dans une lettre de Jean XXII
au seigneur Bernard Jourdain de l'Isle, du
29 avril i3i9 : «Ceterum, fili, nosse te volu-
« mus nos , non absque turbatione grandi animi ,
« percepisse quod virum illum nequam priorem
« Montis Falconi et illum Ytalicum qui dicitur
« Marcillo ad presenciam dilecti filii nostri Ca-
« roli , clare memorie régis Francie filii , comtis
568
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
IV
On sait maintenant à quel moment put se faire le rapprochement des
deux futurs collaborateurs. Jean de Jandun n'avait pas été, comme
on l'a écrit '•', professeur à Padoue. Marsile Mainardino n'était proba-
blement jamais venu à Paris avant i3i i. C'est à partir de cette date
qu'ils ont pu commencer à se lier, sans qu'il soit nécessaire de sup-
poser qu'ils habitèrent la même maison ^^\ ou que l'un ait été le dis-
ciple de l'autre. On veut généralement que Marsile ait servi de maître
à Jean de Jandun *^^ : mais rien ne prouve qu'il lui ait été supérieur
même par l'âge ''^'. Ils se rencontrèrent; la physique et peut-être une
certaine communauté de vues les réunirent; Marsile, on s'en souvient,
fit connaître à Jean de Jandun le précieux Commentaire de Pierre
d'Abano sur les Problèmes d'Aristote : ainsi naquit une collaboration
qui aboutit à la rédaction du plus surprenant ouvrage politique et
religieux que le xiv" siècle ait vu paraître.
Avant d'analyser le livre connu sous le titre de Defensor pacis , cher-
chons à préciser l'époque de sa composition.
Tout d'abord il faut faire justice d'une légende suivant laquelle le
fameux livre aurait été, d'un bout à l'autre, compilé en deux mois.
L'invraisemblance d'un pareil tour de force n'a pas empêché de
graves historiens d'y croire'^'. En remontant aux sources, ils se fussent
« Marchie, nd instanciam tirannorum partis ge-
« heline Ytalie destinasti , ad traclandum quod
« idem cornes capitancatum partis gebeline
«Ytalie debeat acceptare. . . » (Abbé L. Gué-
rard, Documents pontificaiiw sur la Gascogne
d'après les Archives au Vatican; Pontificat de
Jean XXII, t. I, p. j36.)
(" Fabricius, 111, 363; Du Boulay, IV,
ao5; Renan, Averroès. p. SSg. — Ce der-
nier savant n'est pas éloigné de reconnaître en
Jean de Jandun le « maestro Giandino » , phy-
sicien distingué , auquel Dino Compagni adressa
un sonnet (F. Ozanam, Documents inédits pour
servir à l'histoire littéraire de l'Italie, Paris,
1 85o, in-8°, p. 319) . et M. K. Mùller {Gôtting.
c/clehrte Anzeigen, i883, p. 9i4) ne trouve
aucune objection à faire contre cette hypo-
thèse.
gi^i') C'est ce qu'affirment MM. P.-E. Meyer
(p. 8) et A. Huraut(p. 1 5), trompés peut-être
par un passage du continuateur de Guillaume
de Nangis (éd. Géraud, t. 11, p. i4) : « Circa
« ista tempora, de flore liiii l'arisius studii exie-
« runt duo iilii nequain... > Dans son style
imagé, le chroniqueur compare l'Université à
une fleur de lis; il n'entend nullement dési-
gner une maison spéciale connue sous le nom
de Fleur-de-lis.
'*' Labanca , p. 1 1 8 ; Franck , p. 119.
'*' Dans la phrase de Jean de Jandun, re-
produite plus haut (p. 555, note 1) , les mots
dilectissimam meum maqistrum Marciliuin de
Padua ne doivent pas, croyons-nous, se tra-
duire par : « mon très cher maitre Marsile
«de Padoue 1- mais par : «mon très cher ami
« M' Marsile de Padoue ».
''' Tisserand et Le Rowx de Lincy, p. 9:
Riezler, p. 36 ; K. Millier, Der Kampf Ludwitjs
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
569
convaincus que l'erreur provient d'un contresens : on s'est mépris
sur la signification d'un passage, pourtant parfaitement clair, de la
déposition de François de Venise *''. La seule inspection du Dejensor
pacis prouverait, au contraire, qu'il est le résultat de longues recher-
ches, quand bien même la déclaration d'un des auteurs ne nous ren-
seignerait pas à cet égard ''^'.
Dans la rédaction définitive, le Defensor pacis contient des allusions
à plusieurs événements connus, à f excommunication de Louis de
Bavière'^*, prononcée par bulle du 2 3 mars iSa^''*', et à la circulaire
adressée par le pape aux Electeurs (^' le 26 mai suivant '*''. D'autre
part, il prévoit et annonce seulement comme possible facte par lequel
Jean XXII déclara Louis de Bavière privé de ses droits à l'Empire'^*.
des Bayem mit d. rôin. Carie, t. f, p. 368;
Scaduto, p. ! 16; J. Sullivan, The Americ. his-
tor. Rev. ,U, 4 1 1 •
''' « AucHvit dici , post recessum dicti Massilii
« perdiiosmenses, quod dicti Massiliuset Johannes
« tantuin compilaverunt dictum libellum » ( Ba-
luze, Miscell., éd. Maiisi, II, 180). Cela ne
veat point dire (pe Marsile et Jean de .landun
n'ont mis que deux mois à compiler leur ou-
vrage, mais qu'ils ont été seuls à le l'aire, et
que le témoin a recueilli ce renseignement deux
mois après le départ de iVlarsile (cf. O.Lorenz,
II, 35 1, note a).
'*' Def. pac, I, I, p. i55 : «Sequentium
«sententiarumsummasposttempus diligentiset
« intentai perscrutationis scripturse mandavi. »
''* Def. pac. , II , XMv, p. 27a : « In supradic-
« tum principem christianissimnm venena . . .
t effudit et sparsit , dum ipsum , cum sibi singu-
« lariter adhœrentibus.excommunicaDit, et com-
«munitatibus fidelium eidem, tanquam régi
«Romanorum, praestantibus aut praestituris
«auxilium, consilium aut favorem divinorum
« officiorum exercitium interdixit. »
'•' Thés, anecd. , II, 65a. — C'est à tort que
M. R. MûUer (I, p. 98, note 1) a soutenu que
cette bulle ne prononçait pas l'excommunica-
tion contre Louis. Elle ajourne seulement la
publication de cette sentence.
''' Def. pac, II, XXVI, p. 288 : « Concitat ad-
11 versus jamdictum catholicum principem in
« rebellionem ejus subditos atque fidèles , per
«saa qaœdam scripta diabolica, quœ tamen apo-
« stolica vocat , ipsos absolvendo a juramento
« fidelitatis quibus sa-pedicto principi fuerant et
Il sunt secundum veritatem astricti.»
<•) Rinaldi, V, 269.
''' Def. pac, II, XXVI. — Il ne faut pas lire
ce passage dans l'édition de Bàle ni dans celle de
Goldast (p. 283), où le texte a été altéré, et où
^e mélange de futurs et de prétérits rend le sens
obscur. Dans tous lesnianuscrits que nous avons
consultés, les verbes pronunciabit et privahit
sont au futur, aussi bien que le verbe emittet :
« Demum vero sue malicie aculeum , quem in no-
« cumento et exterminatione crédit extremum,
« foras emittet ^r/aji.«e, in predictum principem
« figere credens , biasphemiam videlicet suam ,
« quondam ab ipso vocatamsentenciam , licet re-
« vera supremam dementiam, qua supradictum
«principem cum adherentibus, obedientibus
11 aut faventibus sibi omnibus tanquam régi pro-
ie nunciabit hereticos et Ecclesie inimicos sive re-
« belles , suorum temporalium omni mobilium et
« immobilinm jure privabit, jam dictam senten-
«tiam indigne vocatam publicando, ipsaque
« occupare volentibus aut occupantibus conce-
« dendo, et hoc licite fieri posse per suas voces
« atque menibranasinscriptas per se vel pseudo
« quosdam predicatores aliosin omnibus provin-
11 ciis nunciando, ipsosque rursiis ad mortem
« dampnando , et occidentibus aut invadentibus
« culparum atque penarum omnium commisso-
«ruui criminum veniamconcedendo, et, si vivi
«capiantur, ubicumque fuerint, in servitutem
«redigendo. " (Bibl. nat. , ms. latin )45o3,
fol. 125 r°; cf. ms. latin 15869, ^°'- ^^°'
Oxford, Magd. Coll. 86 , fol. 1 36 v" ; Bibl. Bodl. ,
HIST. LITTER.
■XXXIII.
570
JEAN DE JAîNfDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Cette pénalité, dont le pape se bornait à menacer le prince le 2 3 mars
i32^, ne fut appliquée que par bulle du 1 1 juillet suivant'''. Il serait
donc naturel de placer l'achèvement du Defensor pacis entre le mois
d'avril et le mois de juillet i324. Dans ces conditions, il est difficile
de récuser le témoignage de deux manuscrits du xiv" siècle qui assi-
gnent précisément à l'achèvement de ce traité une date comprise entre
ces deux termes extrêmes : le livre fut achevé le 2^ juin 1 324 , lit-on
dans le ms. 464 de la bibliothèque impériale de \^enne f'^' et dans le
ms. 1 4 1 de la bibliothèque du chapitre de Tortose '^l Cette date nous
paraît extrêmement vraisemblable'*'.
Une lutte violente venait d'éclater entre le pape et le chef de l'Em-
pire. Jean XXIl s'était borné d'abord à citer devant son tribunal les
deux prétendants au trône laissé vacant par la mort de Henri VII de
Luxembourg; puis, las de voir Louis de Bavière favoriser en Italie ses
ms. Canonici Miscell. 188, fol. SS**, etc.) Les
mêmes fulm-s se rencontrent dans les mss. 464 ,
809 et 45 16 de la Bibl. impér. de Vienne;
seiJ, le ms. 5369 de la même bibliothèque
porte emittit et proniinciavit , d'après les ren-
seignements qui nous ont été fournis par
M. G. Gutmensch. Cf. 0. Lorenz, II, 349,
note 1.
(') Thes.anecd..n, 660.
<*' « Anno tricenteno milleno quarto vigeno
Il Defensor est iste perfectus, festo Baptiste.»
(Denis, Cod. mss.theol. Vindob., II, i5i8).
''' Note rédigée exactement dans les mêmes
termes ( Denifle et Châtelain , Inventariam codi-
cam nus. capitali Dertnsensis, Paris, 1 896 , in-8°,
p. 28). Ces deux manuscrits ont une parenté
certaine.
'*' La date de i324 avait été admise par
Goldast(lI, i54). Riezler (p. 196) penchait
pour l'été de i3a4, tout en admettant que le
Defensor pacis pût , à la rigueur, avoir été écrit
dans les années suivantes, mais sûrement avant
la fin de i3a6. MM. K. Mùller {op. cit., I,
368, et Gôtting. gelehrte Anzeigen, i883,
fi. 919) et J.Sullivan [The Americ. histor. Rev.,
I, 4ii) admettent la date du 34 juin i3a4.
— Cependant M. Rilter ( Reusch's Tkeolog. Lite-
raturblatt, 1874, n" a6; cf. Hist. Zeitschrift ,
1879, p. 3oa) avait cru apercevoir dans le
préambule et dans le chap. xxvi de la H' partie
(p. a86) des traces de remaniements, qu'il
datait de i3a8. Mais il n'y a rien de surpre-
nant à ce que, dès i3a4, et dans un ouvrage
qui lui était dédié, le roi des Romains ait été
appelé empereur par anticipation , et , quant aux
légats mentionnés au chap. xxvi, il faut recon-
naître en eux le cardinal Bertrand du Poyet et
l'abbé de Saint-Sernin Ameilh de Lautrec , dont
les légations en Lombardio et dans la Marche
d'Ancône remontent l'une à i3ao, l'autre pro-
bablement à i324 (cf. Vatik. Akten, p. a5a,
Sai). — Enfin, l'on ne saurait s'appuyer pour
dater le Defensor pacis sur im passage (II,
XXV ) où il est fait allusion à la nomination d'un
archevêque de Lund languedocien (cf. Riezler,
p. 319): cet archevêque n'est autre qu'Isarn
de Fontiès (cf. Ant. Thomas, Annales du Midi,
XVII , 1 906 , p. 5 1 1 et suiv. ) , dont la nomination
remontait au 1 1 avril i3oa. — Dans un article
tout récent, M. J. Sullivan [Tlie manuscripts
and date of Marsiglio of Padaa's Defensor pacis ,
dans The English historical Review, avril 1906,
p. 393 et suiv. ), revenant sur cette question de
la date du Defensor, conclut de nouveau en
faveur de l'été de i3a4 (p. 299); tout au plus
admet-il que le chapitre 1 " ait pu être ajouté
postérieurement au couronnement de Louis de
Bavière ( 17 janvier i3a8), ou ffu'au moins le
mot rex ait pu être, dans cette circonstance,
remplacé, à cet endroit, par le mot imperator.
Cette dernière hypothèse nous semble de
beaucoup la plus rationnelle si l'on veut, à
toute force , admettre une interpolation , ce qui
n'est pas nécessaire.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 571
ennemis les Visconti, il venait de le dénoncer comme fauteur d'hé-
rétiques, de le frapper d'excommunication, de lui enjoindre de se
désister, dans les trois mois, de l'administration de l'Empire, sous
peine d'être déclaré déchu de tous ses prétendus droits. Malheureuse-
ment cette menace se produisait à un moment où Louis, vainqueur
de son rival qu'il gardait prisonnier, maître du Palatinat et du Bran-
debourg, ne se croyait plus obligé de garder aucune mesure. Aux
sommations et aux censures du pape d'Avignon il avait répondu par
des provocations nouvelles, notamment par l'appel de Saxenhausen,
tissu d'accusations violentes contre l'orthodoxie de Jean XXII.
Les auxiliaires de Louis de Bavière dans cette première campagne
menée contre le Saint-Siège avaient été des Franciscains. Deux hommes
pensèrent que, si, à leur tour, ils établissaient par de bons arguments
la suprématie de l'Empire, son indépendance à l'égard du Saint-Siège
et l'inanité des prérogatives «usurpées» par les souverains pontifes,
cette démonstration instructive, et surtout opportune, ne serait pas
inutile à la cause impériale et leur conférerait peut-être à eux-mêmes
quelque titre à la reconnaissance de Louis de Bavière : Jean de Jandun
et Marsile de Padoue se mirent à composer le Defensor pacis.
On a nié de nos jours cette collaboration : le rôle de Jean de Jandun
s'est trouvé réduit à celui de conseil^'', ou même de simple copiste '-).
A vrai dire, le nom seul de Marsile de Padoue apparaît dans le
Defensor pacis. Nous ne parlons pas seulement des titres qui accom-
pagnent l'ouvrage dans quelques manuscrits; mais le contexte lui-
même semble déceler uniquement la main du physicien padouan.
Antenorides ego, c'est par ces expressions que l'auteur se désigne dès
le début : or, Antenorides équivaut à «Padouan», car Anténor, prince
troyen, passait pour le fondateur de la ville de Padoue. Marsile Mai-
nardino se met seul en avant. En maint passage on croit reconnaître
l'Italien P', le Gibelin , et aussi le médecin , qui emprunte ses exemples
aux choses de la médecine <*>.
'" Labanca, p. 121 et suiv. <') Dès le début (I, i), voulant montrer les
<'' Friedberg, p. 11 4. — Ceux qui ont émis inconvénients de la discorde, il tire exemple
cette étrange hypothèse ignoraient évidemment de la situation actuelle de l'Italie. Cf. I,xix,
l'importance littéraire et philosophique de Jean et II, vin , p. 202.
de Jandun. Cf. Riezler, p. igS; J. Sullivan, '*> II, vi, p. ao8, 210; II, ix, p. 21 4, 217,
Marsiglio of Padaa a. W. ofOckam, dans The 218; II, xxiv, p. 280, etc.
Americ.hist. Rev., II, 4i2.
572 JEAN DE JAADUN ET MARSILE DE PADOUE.
La collaboration de Jean de Jandun cependant est un fait avéré :
les contemporains, qui savaient sans doute mieux que nous à quoi
s'en tenir, ne nomment jamais un des auteurs du Dejensor f^ans l'autre.
C'est le pape, dans ses lettres, ce sont les continuateurs de Guillaume
de Nangis et de Géraud de Frachet, c'est le propre disciple de Mar-
sile , François de Venise , c'est le versificateur normand auteur du De
Bavari apostasia^^\ qui associent toujours le nom de Jean de Jandun à
celui de Marsile de Padoue, et nomment assez souvent le Français
avant l'autre.
A y regarder d'un peu près, il n'est pas impossible de retrouver
dans le DeJ'ensor pacis des marques du style de Jean de Jandun'^'. On
y reconnaît surtout sa tournure d'esprit philosophique'^', sa façon de
distinguer le domaine de la foi de celui de la science *■ et son habi-
tude d'invoquer l'autorité d'Aristote. Une grande partie du Dejensor
n'est qu'un commentaire de la Politique, ouvrage sur lequel Jean de
Jandun ne paraît pas avoir laissé de glose, mais qu'il cite à plusieurs
reprises dans ses divers traités, notamment dans le De Laiidibus Pari-
sius. Il ne serait pas surprenant que Marsile de Padoue eût eu recours
à son ami pour donner à son système politico-religieux une base
philosophique.
Au surplus , qu'il y ait contradiction entre les théories du Dejensor
pacis et certaines opinions émises ailleurs par Jean de Jandun, par
exemple, au sujet des avantages respectifs de la monarchie élective et
de la royauté héréditaire, ce n'est point là ce qui rendrait plus diffi-
cile à concevoir la collaboration de notre philosophe : il est certain
que, pour s'engager dans la voie du schisme en compagnie de Louis
de Bavière, le Français dévoué aux intérêts de son prince, l'ancien
protégé de Jean XXII, le maître respectueux des enseignements
de l'Eglise se condamnait d'avance à plus d'une palinodie.
Tout ce qu'on peut supposer, c'est que la situation de Jean de
'"' Eklité, en 1899, par 0. CarteHieri [Neues p. 200) : « Reliqunm autem et his habitum est
Archiv , XXV, 71a, 7i3). «ostendere. . . ».
'*' Ainsi, dans le De Laadibas Parisius (II, <'' Voir notamment les distinctions psvcho-
4, p. 5a), on lit : t Hahittim autem est hiis, si logiques qui se lisent au chap. viii de la seconde
« considerare non displicet de manu artificibus partie.
«annectere. . . » dans le sens de «visuni est, '') A propos de l'institution divine du pon-
«conveniens est». Et dans le Defensor pacis (I, voir chez Moïse, du sacerdoce chez Aaron.l'on
XV, p. 175) : «Hujus ergo partis elTiciente lit au chap. ix de la première partie : • Sed
• monstrato, habitum est dicere . . . » ; (II, v, «simplicicredulitate,absqueratione,tenemus. •
JEAN DE JANDUN ET MARSiLE DE PADOUE.
573
Jandun au collège de Navarre le força de garder une certaine réiorve,
et l'empêcha de mettre, en quelque sorte, sa signature au bas de
l'œuvre commune.
Jamais on n'a douté, au xiv" siècle, de la participation de Jean de
Jandun à l'œuvre de Marsile de Padoue; mais une autre question s'est
posée dès le début : n'avaient-ils pas d'autres collaborateurs ? Ainsi le
disciple de Marsile déjà mentionné, François de Venise, fut soup-
çonné de leur avoir apporté son concours pour la rédaction ou la
compilation du Dejensor pacis. Interrogé à ce sujet, en présence de
l'archevêque d'Arles, délégué du Saint-Siège, il protesta que, s'il avait
eu connaissance des doctrines erronées de ces deux hommes, il aurait
fait part de sa découverte à l'évêque de Paris. Jamais, d'ailleurs, il
n'avait su ni entendu dire que personne, en dehors de ces deux maî-
tres, eût été mêlé à la composition du Dejensor pacis'^^K
De nombreux manuscrits de valeur fort inégale, mais dont la plu-
part remontent au xiv" siècle, nous ont conservé le texte du Dejensor
pam. Ce sont, à Paris, les n"" 1778 (Golbert), i45o3, 14619, 1^620
(Saint-Victor), 16690 et 16869 (Sorbonne) du fonds latin de la
Bibliothèque nationale'-', à Auxerre, le n° 19 de la bibliothèque mu-
nicipale, à Bruges, le n° 667, à Oxford, le n° 86 de Magdalen Col-
lege'^* et le ms. Canonici Miscell. 188 de la Bodléienne (fol. 2-66),
à Londres, le ms. lo.A.xv du fonds royal du Musée britannique, à
Cambridge, le ms. 16 de Caius Collège, à Vienne, en Autriche, les
n"' 464, 809, 45 16 et 5369 de la Bibhothèque impériale, à Turin,
le ms. 121 de la Bibliothèque du Roi'*\ à Piome, le n° 3974 de la
'"> hahue , Miscellanea (éd. Mansi), II, 380.
'*' Les mss. lat. i45o3 (xiv* siècle), idGit)
et 14620 (xv' siècle) sont peut-être ceux qui
présentent le texte le moins corrompu. En tête
du dernier figure une miniature représentant
deux maîtres (évidemment Marsile de Padoue
et Jean de Jandun) qui, agenouillés dans une
prairie> et accompagnes de deux autres clercs
également à genoux, offrent leur livre à une
assemblée de docteurs. Au fond du tableau,
l'on aperçoit, sur deux trônes qui se font pen-
dant, le pape et l'empereur, environnés de
leurs cours. Quant au ms. latin 1778 (xiv" siè-
cle), la copie en est fort défectueuse; dans le
latin 16869 ("'V siècle), le premier feuillet
manque; dans le n° 16690 (xiv* siècle), on re-
marque l'absence des deux derniers chapitres.
— M. K. Millier [Gôtting. gelehrte Anzeigen,
i883, p. 931, 92a) a tenté un essai de classi-
fication des manuscrits de Paris du Defensor,
mais en s'aidant surtout des incipit et sans
pousser bien loin la comparaison. — M. J.
Sullivan ( The Engl. histor. Rev. , 1 906 , p. 296 )
estime que les mss. latins i45o3 et 14619,
ainsi (pe le ms. d' Auxerre , dérivent du latin
16690.
''' Le plus bel exemplaire que nous ayons
consulté; 168 feuillets de parchemin sont cou-
verts sur deux colonnes d'une grosse écriture
du xiv° siècle , fort soignée ; les initiales sont
dorées.
'*' J.Sullivan, p. 396, 396, 298.
574
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
bibliothèque Vaticane, à Tortose enfin, le n" i4i àe la bibliothèque
du chapitre '''.
L'ouvrage commence tantôt par les mots Omni (juippe regno deside-
rabilis débet esse trancfuillitas . . . '^', tantôt par ceux-ci : Desiderabilis
débet esse tranciaiUitas^^^ ou Desiderabilis esse débet tran(^uillitas^'*\ sans
que cette différence d'incipit corresponde à deux rédactions dis-
tinctes.
La plupart des manuscrits contiennent un dernier chapitre, qui a
été supprimé dans les éditions*^', et se termine de la façon suivante :
Ipsumque corrigendum atque determinandum supponimus auctoritati Ecclesiae
catholicae seu generalis Concilii fidelium christianorum. Explicit tertia dictio Defen-
soris pacis, etc. Deo gratias. Amen.
D'après le préambule, l'ouvrage se divise en trois parties, dictiones :
dans l'une, les arguments tirés de la raison humaine; dans l'autre,
les arguments tirés de l'Ecriture sainte ou des docteurs de l'Eglise;
dans la dernière, un certain nombre de maximes pratiques. Cette
division ne donne, d'ailleurs, qu'une idée imparfaite du plan suivi
par les auteurs : la première partie est, en réalité, un exposé de leur
doctrine de l'État'^', la seconde une étude sur l'organisation de l'Eglise
et sur ses rapports avec l'Etat, Ja troisième une énumération des prin-
cipales conclusions de l'ouvrage.
La paix est le bien indispensable à la société, comme la santé est
le bien indispensable au corps. En s'en instituant le «défenseur»,
Marsile de Padoue — puisque Jean de Jandun s'efface derrière lui
— écrit un livre nécessaire à qui veut jouir du bonheur «civil», le
plus désirable de tous les biens qu'on puisse souhaiter sur terre.
'"' M. J. Sullivan ( The Americ. histor. Rev. ,
II , p. 4 1 a ) fait remarquer que le inanusciit
de Munich signalé par M. K. Mûller (loc. cit.)
n'est qu'une copie, faite au xvii* siècle, de
l'édition de i5aa. Ailleui-s [The Engl. histor.
Rev., igoS.p. aggj.un manuscrit de Hanovre
lui suggère la même observation. Quant au ms.
b. 35 de Brème, il ne contient qu'un sommaire
des deux premiers livres du Dejensor.
*'' Mss. d'Oxlord de Londres et de Tortose.
''' Latin i45o3; ms. 19 d'Auxerre.
'*' Ms. 557 de Bruges.
''' Il n'a été publié qu'en 1 883 , par M. Kari
Mûller ( Gôtting. gelehrte Anzeigen , p. 93 S-ga 5 ) ,
d'après les mss. de Paris lat. 1778, 1^619 et
4630. — Pour nos autres citations, nous avons
renvoyé et nous renverrons encore à l'édition
publiée par Goldast en i6l4.
'*' Le prêtre y tenant une place , même dans
la cité antique, il fallait expliquer le rôle du
prêtre dans la société chrétienne : de là une
longue digression , qui n'est pas bien à sa place
dans cette première partie, sur le péché ori-
ginel et le dogme delà rédemption (I, vi).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 575
Presque toutes les causes de discorde ont été décrites par Aristote;
mais il en est une, inconnue de l'antiquité, qui forcément devait
échapper aux regards du plus grand des philosophes : c'est celle-là
que Marsile de Padoue se propose de faire connaître. Cette cause une
fois écartée, la paix pourra renaître dans les cités modernes.
L'amour de la vérité, de sa patrie, de ses frères, la pitié à l'égard
des opprimés, tels sont les sentiments qui dictent ces pages à Marsile
de Padoue. Il les dédie au roi des Romains Louis de Bavière, qu'il
qualifie prématurément d'empereur, et en qui il loue la naissance, la
vertu, l'héroïsme, un grand zèle pour défendre la science et la foi,
pour faire régner la paix; il voit, déplus, en lui le ministre de Dieu
destiné à faire passer ses propres théories dans le domaine de la
réalité*''.
La royauté, qui est peut-être le meilleur des pouvoirs tempérés,
s'éloigne d'autant plus de la tyrannie que la soumission des sujets au
prince est plus volontaire : les préférences de l'auteur sont donc pour
la royauté élective'"^' — en vérité il ne pouvait guère tenir d'autre lan-
gage dans un traité dédié à Louis de Bavière. — Il ajoute gracieuse-
ment que c'est le seul mode d'institution qui puisse donner le pouvoir
à un prince excellent : Hoc solo modo mstitutionis habetar principans
optimas (I, ix).
Suivant la doctrine des Apôtres et des Pères , tout pouvoir provient
indirectement de Dieu; d'autre part, le pouvoir, chez Moïse, était
d'institution divine: sans contester des faits, qu'il déclare indémon-
trables, Marsile se borne à étudier l'origine humaine du pou-
voir (I, IX ).
L'auteur véritable de la loi, le législateur, c'est le peuple, c'est-à-
dire l'universalité, ou du moins la plus notable partie [valentior^ des
citoyens. Cette dernière formule est assez élastique. Le peuple édicté
les lois par l'entremise de délégués, ou en exprimant sa volonté lui-
même dans une assemblée générale (I, xii; III, ii, concl. 6); c'est
aussi par son autorité que les lois sont promulguées, modifiées,
interprétées, abrogées (I, xii; III, ii, concl. 8). Il serait peu sûr de
confier le pouvoir législatif à un petit nombre d'hommes sages, la
multitude ayant mieux qu'eux ce qu'il faut pour discerner le bien de
'■' Def. pac, I, I, p. i55. — ''' H revient plus loin (I.xvi) sur cette question et la discute fort
longuement.
576 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
l'État : et, à ce propos, Marsile de Padoue énonce ce paradoxe étrange
que les gens instruits n'ont point d'avantage sur la multitude, vu que
la multitude comprend les gens instruits avec ceux qui ne le sont pas.
En dépit de ce beau principe, Marsile de Padoue est disposé à charger
de la préparation et de la proposition des lois quelques personnages
compétents, mais à condition d'en réserver le vote à la multitude, et
pourvu que chaque citoyen conserve le droit de discussion et d'amen-
dement. 11 estime que les moins doctes peuvent apercevoir un défaut
dans un projet de loi qu'ils ne seraient pas capables d'élaborer. Ainsi
votées par tous, les lois n'en sont que mieux observées (I, xiii).
Le peuple élit lui-même ou du moins institue le chef du gouver-
nement, lequel, à son tour, détermine, suivant les lois et coutumes
reçues, la qualité, le nombre des personnes jjropres à remplir les
fonctions publiques, civiles, militaires et même ecclésiastiques, choisit
qui bon lui semble, règle les affaires de la cité (I, xv; III, ii, concl. 12).
La prudence, la vertu, la justice sont requises de ce détenteur du
pouvoir exécutif, qui, pour n'être pas tenté de se mettre au-dessus
des lois, n'aura à sa disposition qu'une force armée restreinte, dont
l'importance, d'ailleurs, sera réglée parle peuple (I, xiv). Cependant
il faut prévoir une violation possible de la loi divine ou humaine. En
ce cas, le prince peut être réprimandé par l'évêque ou le prêtre, mais
en termes modérés; seul le peuple a le pouvoir de lui infliger une
punition. H n'abusera pas, d'ailleurs, de ce droit et pardonnera les
fautes légères, de peur que le prince, souvent châtié, ne perde tout
son prestige : dans les cas graves, le peuple peut aller jusqu'à envoyer
au supplice le chef du gouvernement (I, xviii; II, xxx, p. 307).
On s'est étonné, non sans raison, de la hardiesse avec laquelle les
auteurs du Dcfensor pacis proclamaient, en l'empruntant d'ailleurs à
Aristote, le principe de la souveraineté populaire'''. Il ne faudrait pas
cependant perdre de vue la restriction contenue dans les mots valentior
pars civium. La souveraineté appartient-elle à la majorité des citoyens,
ou aux plus capables, ou aux plus riches.^ Les auteurs gardent sur
ce point un silence qui prête à bien des interprétations ''■'^. Leur Etat
'■' L. .lourdan, Etude sur Marsile de Padoue '*' M. Labanca (p. 87) voit dans cette ex-
(Montauban, 1893 , in-S"), p. 76; Aug. Nimis, pression un emprunt aux statuts de la répu-
Marsilias' von Padua republikanische StaaUlehre blique de Padoue. M. Scaduto (p. 119) conclut
(Manheiin, 1898, in-8°). que les auteurs n'avaient peut-être pas eux-
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
J77
idéal ne difiFère peut-être pas autant qu'on pourrait le croire de cer-
taines républiques que Marsile de Padoue avait vues fonctionner
en Italie.
L'audace de nos auteurs ne fait que croître à mesure qu'on avance
dans la lecture du Defensor pacis. Dans le dernier chapitre de la pre-
mière partie, ils dénoncent cette cause nouvelle de discorde à laquelle
ils avaient fait allusion au début, qui trouble, notamment dans le
royaume d'Italie, l'action du pouvoir civil, y ruine la paix et y
engendre mille calamités : elle n'est autre que la papauté. Cette puis-
sance « fictive » est, suivant eux, d'institution humaine, à la différence
du sacerdoce , qui avait été fondé par Jésus-Christ. Et ils esquissent déjà
l'histoire de la série d'usurpations par lesquelles les papes seraient
parvenus à établir leur prééminence sur tous les autres prêtres et
évêques, puis à étendre, en dernier lieu, leur autorité jusque sur les
peuples, les communautés, les princes et l'empereur des Romains :
la prétention des souverains pontifes serait d'avoir hérité de la pléni-
tude de pouvoir et de juridiction que Jésus-Christ avait sur tous les
hommes. Ici sont visées directement les théories théocratiques de
Boniface VIII, de Clément V et de Jean XXII'''. Quant à la politique
des papes, elle consisterait à s'immiscer dans les affaires temporelles,
sous prétexte d'assurer la paix parmi les hommes, à frapper d'ex-
communication ceux qui n'obtempèrent pasà leurs ordres, surtout les
moins redoutables, tels que les communautés ou princes d'Italie;
enfin à empiéter lentement et sournoisement sur la juridiction des
souverains plus puissants. Mais Marsile de Padoue a reçu de Dieu le
pouvoir de saisir et de dévoiler le sophisme sur lequel se fonde la
fausse puissance des évêques de Rome (I, xix).
En commençant la seconde partie, notre auteur nous annonce —
et cela ne surprend pas après ses précédentes déclarations — qu'il
mêmes une idée bien précise de ce (ju'ils enten-
daienlparlà. Cf. Riezler.p. 2o3,(;tOttoGierke,
Johannes Althasias u. die Entwicklang der natur-
rechtlichen Staatstheorie , dans le t. VII des Un-
tersuchangen zur deatschea Staats- a. Rechls-
geschichte {Breiïau , 1880, in-8°), p. 54, note 3.
''' On peut voir dans le passage suivant une
allusion à la bulle du 3 1 mars 1 3 1 7 ( Thés,
anecd. , II, 64 1) : «Quorum novissime atque
• manifestissime niodernus jam dictorum epi-
HIST. r.ITTÉR. — XXXIIl.
« scopus ad Romanorum principem , tam in Ita-
«licorum provinciis quam Germanorum, ad
« omnes quoque jam dictarum provinciarum
« inferiores principes , communitates , collegia et
« pcrsonas singulares , cujuscumque dignitatis
« et conditionis existant , ac super omnia ipso-
« rum feudalia et reliqua temporalia supremam
«jurisdictionem se scripsit habere» [Def. pacis,
I,xix,p. 188). Cf. ifciVi. , Il , XX , p. 269; II, XXI,
p. 261.
73
578 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
s'attend à avoir contre lui le Saint-Siège et ses partisans, les routiniers
et les jaloux (II, i). En effet, après avoir énuméré les textes favorables
à la juridiction apostolique (II, m), il en cite d'autres à l'aide desquels
il prétend établir que l'évêque de Rome n'a aucune juridiction coactive
sur les prêtres, princes, communautés ou personnes quelconques. Il
ne s'agit pas, en effet, de rechercher ce que le Christ a pu trans-
mettre de pouvoirà ses apôtres, mais ce qu'il avoululeuren transmettre
et ce qu'il leur en a transmis en effet (II, iv). Or, il résulte de l'ensei-
gnement des Apôtres et des saints que tout homme, de quelque con-
dition qu'il soit, doit obéir aux princes de ce monde en tout ce qui
n'est pas contraire à la loi du salut. Les évêques et le pape ne sauraient
donc avoir ici -bas de juridiction coactive ni sur les clercs, ni sur
les laïques, à moins qu'elle ne leur ait été concédée par le peuple,
auteur de toute loi*'', et, dans ce cas même, le peuple resterait le
maître de révoquer sa concession pour une cause qu'il jugerait rai-
sonnable (II, v; III, II, concl. 7).
De là une curieuse conséquence. L'excommunication entraîne des
dommages matériels. Son efficacité au point de vue surnaturel laisse
nos auteurs sceptiques: ils n'y voient guère qu'un acte d'intimidation,
dont l'utilité est d'arrêter le pécheur sur la voie de la perdition; c'est
ainsi que les médecins, par exemple, prononcent d'alarmants pro-
nostics pour décider leurs clients à suivre une meilleure hygiène
(II, VI, p. 210). Mais, au point de vue temporel, les suites de l'excom-
munication consistent dans la diffamation et dans l'exclusion de la
société civile. Pour cette raison, l'on ne doit point abandonner aux
prêtres le maniement dune arme aussi redoutable. Contre les
princes, il va de soi que le clergé ne saurait procéder par censures ;
ce serait vouloir détourner les sujets de leurs devoirs et s'arroger le
droit de disposer des couronnes. Mais même contre de simples parti-
culiers le clergé ne peut lancer d'excommunication. Il faut que cette
mesure soit approuvée par les fidèles de la ville, de la communauté,
ou par le Concile général ou par le supérieur de l'intéressé. En
somme, le rôle du prêtre ne consistera guère qu'à définir dogmati-
quement les cas susceptibles d'entraîner l'excommunication, puis à
''' Si une juridiction coactive a été concédée toujours en appeler au pouvoir civil (III, il,
à un évêquo ou à un prôtre, l'intéressé pourra concl. 87 ).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 579
prononcer la sentence, en tant qu'elle peut intéresser l'àme et la vie
future (II, VI, p. 207-209). Il en est de même de l'interdit: le clergé
ne le prononcera qu'avec l'assentiment du peuple (III, 11, concl. 16).
Au moins les clercs transgresseurs de la loi ont-ils le droit de ne
comparaître que devant une juridiction spéciale? Nullement. Il fau-
drait, en ce cas, autant de tribunaux qu'il y a de catégories de justi-
ciables, autant de médecins qu'il y a do conditions différentes parmi
les malades. Qui l'oserait soutenir.^ Tous les coupables seront jugés
parle pouvoir séculier. S'il y a une différence à faire, le crime sera,
chez le prêtre, plus sévèrement puni. Quant à la prétention actuelle
des papes de se soustraire et de soustraire tous les clercs à la juri-
diction civile, elle n'aboutirait à rien de moins qu'à l'annulation
complète des tribunaux séculiers. C'est à quoi les prélats, dans une
pensée de lucre, travaillent, à grand renfort d'excommunications,
et nos auteurs citent les derniers accroissements du privilège du
for, invoqué désormais même par les clercs mariés, même par les
«Frati Godenti'*'» (II, viii, p. 212; II, xxiii, p. 270).
Mais n'v a-t-il pas toute une catégorie de fautes contre la loi divine
dont les ministres de Dieu doivent seuls connaître? La réponse de
nos auteurs est encore des plus nettes. Suivant l'esprit de l'Évangile,
suivant la doctrine des Pères, nul ne peut, ici-bas, être contraint
d'accomplir les préceptes de la loi divine ^^'. L'infidèle ne doit pas être
forcé d'embrasser la religion, encore moins le fidèle de la pratiquer.
Le Christ, souverain juge, fait crédit au pécheur jusqu'au jour de sa
mort : appartient-il aux prêtres, aux évêques, de se montrer en cela
plus exigeants? Les schismatiques, les hérétiques seront donc punis
par Jésus-Christ, non pas dans ce monde, mais dans l'autre. Le rôle
des prêtres ne consistera qu'à les instruire, à les exhorter, à les répri-
mander, à les épouvanter même par l'annonce des peines qui les atten-
dent, non pas à les contraindre. C'est ainsi que les médecins avertissent
leurs malades: telle chose vous guérira ; telle autre vous donnera la mort.
Les peines, ici-bas, d'une manière générale, ne sont applicables qu'aux
transgresseurs de la loi humaine. Au surplus, dans certains pays, on
''' Sur cette sorte de congi'égalion laïque , de la Loi nouvelle , joints à ceux de la morale
voir Du Gange, v° Fratres Gaudentes. rationnelle; il ne nous est aucunement néces-
'*' Dans l'intérêt même de notre salut, nous saire d'observer tous les préceptes de l'ancienne
ne sommes tenus d'observer que les préceptes Loi (II, ix; III, 11, concl. 3,4).
580 JK\N DE JANDUN ET VIARSILE DE PADOUE.
interdit la résidence aux hérétiques, aux infidèles : mais cette inter-
diction est le fait de la loi civile; et, si les transgresseurs de cette loi
encourent un châtiment, voire un supplice, c'est aux juges de l'in-
fliger, aux juges civils investis de l'autorité par le peuple. Si, au con-
traire, la loi civile tolère la présence de tels hommes, personne n'a le
droit de les molester. Supposons maintenant un procès d'hérésie :
aux prêtres, aux docteurs, appartient de déterminer si tel acte ou tel
discours est hérétique; quant à la culpabilité du prévenu, elle pourra
être établie par des témoignages de toutes sortes ; après quoi la sentence
sera prononcée par le pouvoir civil, s'il a reconnu que l'hérésie est,
en effet, interdite par la loi (II, x, p. 217-219; III, 11, concl. i4,
i5, 3o). On le voit, Marsile de Padoue et Jean de Jandun ne sont
pas ces défenseurs résolus de la liberté de conscience dont on a tant
admiré la tolérance précoce'*' : ils se bornent à récuser les tribunaux
ecclésiastiques, mais admettent fort bien que la loi civile prononce
le châtiment des hérétiques.
Abordant ensuite une question qui était à l'ordre du jour en 182 4,
les auteurs du Defensor pacis reconnaissent, comme Jean XXII ^^' et
comme l'Université de Paris '^', que le Christ et les Apôtres ont exercé
le droit de propriété. Ils ajoutent cependantque qui veut observer, à un
degré parfait, la pauvreté évangélique, ne doit garder aucun immeuble
en sa possession, si ce n'est avec la ferme intention de s'en défaire
le plus vite possible et d'en distribuer le prix aux pauvres; il ne doit
même pas chercher à se défendre devant les tribunaux contre ceux
qui auraient envie de s'approprier ses biens'*' (II,xiii,xiv; 111, 11,
concl. 38). Ce conseil, notons-le, s'adresse non seulement aux reli-
gieux qui font profession de pauvreté, mais aux évêques et surtout
au pape, bien que ce ne soit pas pour celui-ci une obligation rigou-
reuse de conformer ainsi sa vie à l'idéal évangélique'^'. Le peuple, de
■ ;*'' Ad. Franck, Journ. des Sav., i883, priété des chose» (De/", pnci». Il, Xiv, p. a 36).
p. 135,129. '*' "Status paupprtalis et mundi contemptus
'''Constitutions du a6 mars et du 8 dé- « decet omnem perfecluin, pr.Tcipue Christi
cembre 1 3a a, du la noYembre i3a3 et du «discipulumetsuccessorem inofficiopastorali. »
10 novembre i3a4. (II, xi, p. aao.) — «Si temporalia j)ossidcre
<'' Cliartal. Univ. Paris. , Il , 274. «quarit [papa vel aller episcopus] hisque domi-
''' Nos auteurs dévcIop[)pnt ici une théorie « nari, hoc licite fortasse potest, etiam in statu
compliquée d'après la(|uelle le « parfait » serait « salutis existens , non tamen summ<E paup<'r-
frappé d'une sorte d'incapacité d'acquérir et de « tatis seu perfectionis, instar Christi et Ajwsto-
conserver, sinon la jouissance, du moins In pro- ilorum, statum observons. » (11, xiv, p. 338).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE. 581
son côté, est obligé do fournir aux ministres de Dieu le nécessaire,
non pas le superllu : il n'est nullement tenu, par exemple, de leur
payer la dîme (III, ii, concl. Sq). Une fois pourvus suffisamment du
vivre et du couvert, les prêtres peuvent être contraints par le pou-
voir civil de célébrer l'office divin et d'administrer les sacrements
(concl. 4o). Ailleurs, nous apprenons qu'une fois la part faite au
culte, aux prêtres et aux pauvres, le prince ou le peuple ont le droit
d'user de tous les biens ecclésiastiques pour la défense du pays, pour
le rachat des prisonniers, pour tontes sortes de dépenses d'intérêt
public (II, xvii, p. 201 ; III, n, concl. 27).
Ainsi dépouillé de ses richesses, de ses privilèges, de sa juridic-
tion, le clergé va se voir, en outre, privé de son indépendance. Il ne
se recrute plus lui-même : c'est à l'ensemble des fidèles ou à leur
délégué, le prince, qu'il appartient de choisir les sujets destinés à
recevoir les ordres (II,xvii, p. 2^8; III, 11, concl., 21). Au peuple, de
nommer son pasteur; au peuple également ou au prince, de distribuer
les bénéfices, ceux au moins dont les fondateurs n'ont pas la libre dis-
position'"'(p. 249, 2 53), de fixer le nombre des églises, celui des des-
servants (concl. 22), d'autoriser les établissements religieux, les
ordres (concl. 29) , de conférer tous les notariats, de donner la licence
d'enseigner (II, xvn, xxi, p. 261, 262; III, 11, concl. 28, 2^, 2 5), de
déposer les prêtres indignes, d'accorder des dispenses de mariage'^',
de légitimer les enfants naturels (concl. 20, 21),
L'autorité suprême dans l'Eglise, c'est le Concile. En principe, il
comprend l'universalité des fidèles; dans la pratique, il se compose
de leurs délégués. Que ces délégués soient des clercs ou ^es laïques,
peu importe, pourvu qu'ils soient dignes et instruits, ce qui n'est
pas toujours le cas des clercs : Marsile de Padoue ou Jean de Jandun
connaissent des prélats incapables de s'exprimer correctement; ils
citent un jeune homme de vingt ans, fort ignorant de la religion, qui,
sans être même sous-diacre, s'est vu placé à la tête d'un diocèse (II,
XX, p. 256, 258).
Mais qui convoquera le Concile général.^ Celui que nos auteurs,
dans leur langage volontairement obscur, appellent « le fidèle légis-
''* On admet seulement c[ue le prince devra <'' Seulement dans les cas prohiljés parla loi
consulter des docteurs, des prud'hommes civile; car nul ne peut accorder de dispense
(p. 360). pour les cas prohibés par Ja toi divine.
582 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
(dateur humain qui n'a personne au-dessus de lui, fidelem legisla-
n torem humanum superiore carentemn. C'est sans doute (Je l'Empereur
qu'ils veulent parler''', et c'est ainsi qu'on l'a compris'^'. En tout cas,
si d'antres que ce puissant personnage ou que ses délégués se mêlaient
de réunir un Concile, les décrets de cette assemblée n'auraient au-
cune valeur'^' (II, xxi, p. 253, 268; III, 11, concl. 33).
Quel sera donc le rôle du Concile général légitimement convoqué?
Il instituera des rites; il édiclera des règlements obligatoires pour
tous les fidèles; il prescrira les jeûnes et les abstinences; il accor-
dera des dispenses; il réglementera le célibat des prêtres; il canonisera
les saints; il déterminera les cas dans lesquels les princes, les pays, les
cités peuvent être frappés d'excommunication ou d'interdit; il inter-
prétera enfin d'une façon décisive les passages douteux de f Ecriture
sainte (II, xxi, p. 203, 263; III, il, concl. 2, 5, 33-36); car, si nos
auteurs proclament qu'il suffit de croire ce qui est contenu dans la
Bible ou ce qui en découle nécessairement, ils ajoutent que, pour fin-
telligence des Livres saints, il est nécessaire de suivre finterprétation
des Conciles (II, xxi, p. 254; HI, n, concl. 1 ).
On se demande peut-être ce que, dans cette république chrétienne,
subordonnée à un pouvoir laïque, devient l'autorité du pape. Marsile
de Padoue et Jean de Jandun nous ont déjà fait pressentir, à cet égard,
leur réponse. Laissant bien loin derrière eux les auteurs qui avaient
déjà, en quelque manière, appliqué à f Eglise le principe de la souve-
raineté populaire, les Jean de Paris, les Guillaume Durand'*', ils ad-
mettent sans doute finstitution divine du sacerdoce, mais non pas
de la hiérai;chie ecclésiastique'*' (II, xv). Pour eux, tous les évêques
ont une autorité égale, qu'ils tiennent immédiatement de Jésus-
Christ : la subordination des uns aux autres ne résulte point de la loi
divine (III, 11, concl. 17). Pierre n'a reçu du Christ aucune autorité
.il/
I < )oil) nu Iv ji'jt fe! ^ . .
<"' La même expression se rencontre p. 365 : •'' M. I-. Jourdan [Et. sur Marsile de P.,
«Generalis Concilii aut, secundum ejus dicta- p. 71) va un peu loin en disant que, d'après
« men , fidelis legislaloris humani superiore ca- Marsile de Padoue , c'est l'Etat qui nomme les
« rendis ...» On pourrait croire que le mot legis- membres du Concile.
iator désigne ici, comme en beaucoup d'autres '*' CI. Scaduto, p. 126, ia8.
passages, une collectivitë, l'ensemble clés fidèles, '*' En marge de ce chapitre, un contempo-
si, dans la phrase suivante, il n'était appliqué rain a écrit, dans le ms. latin 15869 ^^ '^
à l'empereur Constantin. Bibl. nat. (fol. 36 r") : « Istud capituium vide-
'*' Bulle de Jean XXII du a3 octobre iSay. « tur loqui angelice. •
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 583
spéciale sur les autres apôtres. Tout ce qu'on peut concéder, c'est qu'il
fut le premier, ou par l'âge, ou par l'importance des fonctions, ou en
vertu de la désignation de ses compagnons, bien qu'on ne trouve
dans l'Ecriture aucune trace d'une élection semblable (II, xvi,
p. 2^42). Cette audacieuse explication n'est pas, à vrai dire, de l'in-
vention de Marsile, ni de Jean de Jandun. Hervé Nédellec, qui
mourut en 182 3, en avait déjà connaissance et la signalait comme
une nouveauté dans son De Potestate Papœ^^K Jamais, ajoutent nos
auteurs, Pierre n'exerça sur les autres apôtres de juridiction coactive.
Son successeurne devrait-il pas en user de même? Qui est, d'ailleurs,
son successeur? L'évêque de Rome, ou celui d'Antioche, ou celui de
Jérusalem? Pierre a successivement occupé ces trois sièges (II, xvi,
p. 244)- Ou plutôt, de ces trois sièges, le seul qu'il n'ait peut-être
jamais occupé, c'est Rome. Sait-on seulement s'il y est venu? En
tout cas, on ne pourrait le prouver par des textes de l'Ecriture; et aux
récits légendaires des Apocryphes, Jean de Jandun et Marsile de
Padoue opposent le silence de saint Paul dans les Epîtres, de saint
Luc dans les Actes des apôtres (p. 2 45).
Ils reconnaissent pourtant que la suprématie de l'Eglise de Rome
remonte aux premiers temps du christianisme. Ils l'expliquent par le
consentement spontané des autres Églises, et ils y voient, sinon un
droit, du moins un usage respectable, utile même en ce qu'il assure
l'unité de l'Église militante (II, xxiii, p. 266, 267).
Qu'un évêque, celui de Rome, conserve donc une certaine préémi-
nence, qu'il puisse signaler au prince les circonstances graves ou
urgentes propres à motiver la convocation d'un Concile général, que,
dans cette assemblée, il occupe la première place, qu'il y mette les
questions on délibération, qu'après avoir fait recueillir, recopier et
sceller les décisions des Pères, il les notifie aux différentes Eglises ,
et que même il punisse d'excommunication les transgresseurs de ces
décrets, pourvu que ce soit au nom du Concile : Marsile de Padoue et
Jean de Jandun n'y voient pas grand inconvénient; mais, une fois ces
concessions faites, ils pensent avoir suffisamment sacrifiéà l'unité de
l'Eglise et aux traditions romaines (II, xxii, p. 264, 265).
Ils déclarent que l'évêque de Rome ne saurait exercer, sur les
")
Impr. par J. Barbier, en i5o6, in-4°.
584
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PA1X)UE.
autres Églises, que l'autorité qui lui est dévolue par le Concile général
ou par le «fidèle législateur humain qui n'a personne au-dessus de
«lui» (II, xviii,xxii, p. 253, 265). Ils lui dénient le droit d'interpréter
rÉcriture sainte, de définir le dogme, de distribuer les bénéfices et
de courber les autres Eglises sous sa juridiction coactive (II, xxii,
p. 2 63). Le choix des prêtres destinés à l'assister de leurs conseils ap-
partient au Concile général ou au « fidèle législateur humain qui n'a
« personne au-dessus de lui » ^''. Lui-même ne doit être élu que par le
peuple chrétien, ou par le délégué du peuple, le prince, ou encore
par le Concile; ces mêmes autorités ont également le pouvoir de le
châtier, de le suspendre et de le déposer, lui et les membres du collège
qui forme son conseil (n,xxii, p. 2 66;Il,ii, concl. 42)'^'. En somme,
le pape, si réduitque soitson rôle, nel'exerceque parla volonté et sous
le contrôle d'une autorité vague et mal définie qui s'appelle tour à tour
Concile général, «législateur fidèle», « principant », ou «fidèle légis-
«lateur humain n'ayant personne au-dessus de lui»; à travers ces
formules élastiques ou obscures , nous croyons, le plus souvent, recon-
naître l'Empereur, absorbant en lui, grâce aux délégations multiples
dont on le suppose investi, la puissance spirituelle suprême avec le
gouvernement temporel du monde '^'.
La réalité ne correspondait guère à l'idéal imaginé par les auteurs
du Defensor pacis. Aussi, pour expliquer l'état actuel de l'Eglise et
l'importance de la papauté, entreprennent-ils de développer l'histoire,
qu'ils n'avaient fait qu'ébaucher au début, des empiétements succes-
sifs des évêques de Rome. Ils montrent le souverain pontife s'afFran-
chissant peu à peu de la tutelle impériale (II, xxv, p. 276 et suiv.},
!■ 'l'iK
'"' P. 265. Ici encore les auteurs usent de
la périphrasey/rfe/iJ Icgislalor htimaims superiore
carens.
''' Cf. la concl. 18 : le consentement du
«législateur lidèle » (du peuple chrétien) per-
met aux évêques, ensemble ou séparément,
de châtier, d'excommunier l'évêque de Rome ,
et réciproquement.
'"' Ad. Franck a bien fait comprendre le
vague de la pensée de Marsile de Padoue: « Tan-
« lot, s' appuyant sur l'exemple des temps pri-
« mitifs de l'Eglise , il semble croire que prêtres
« et évêques doivent être nommes par le suflrage
« des populations au milieu desquelles ils sont
« appelés à exercer leur ministère. Dans d'autres
« moments , il laisse supposer que la dignité
« épiscopale et la prêtrise elle-même doivent
0 otre conférées par les représentants du législa-
" leur fidèle , c'est-à-dire par le Concile. Enfin ,
< d'après plus d'un passage , toute la hiérarchie
«ecclésiastique, depuis le pape jusqu'aux sim-
«ples prêtres, est laissée à la discrétion de celui
« qui commande par l'autorité du législateur
« fidèle , per sulum fidetein legislatorem aat cjtis
«aiicloritate principantem , à la discrétion de
H l'Empereur. » [Joum.deiSav., i883,p. i^'y.)
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 585
pour en arriver à se proclamer seul vicaire de Jésus-Christ sur terre,
roi des rois et seigneur des seigneurs; d'où résulterait que tous les
royaumes du monde lui appartiennent, qu'il peut les distribuer, les
reprendre à son gré (II, xxii, p. 268). Ils critiquent également l'im-
portance excessive des diacres, décorés du nom de cardinaux, qui
prétendent occuper dans la hiérarchie ecclésiastique un rang supé-
rieur à celui des évêques et des prêtres.
Les abus de la cour de Rome n'ont pas, bien entendu, de plus
sévères censeurs. En ce qui concerne le droit de dépouille, nos au-
teurs assurent que le souverain pontife défend aux bénéficiers do
tester sans sa permission, puis s'attribue les biens des bénéficiers in-
testats : remarque qu'il conviendrait peut-être de ne point généra-
liser, Jean XXII, ainsi qu'il resuite des plus récentes recherches,
semblant s'être borné à se réserver, dans des cas isolés, la succes-
sion de certains prélats'''. H ne revendiquait pas non plus, d'une ma-
nière générale, la disposition des legs faits pour des œuvres pies :
c'est cependant ce que lui reprochent amèrement nos auteurs*^'. La
cour de Rome, à les entendre, n'est qu'une maison de commerce :
au milieu des intrigues de simoniaques et des criailleries d'avocats, on
ne s'y soucie guère du salut des âmes; il n'y est question que d'en-
vahir les Etats chrétiens et d'en dépouiller par les armes les posses-
seurs légitimes (II, XXIV, p. 27/4). Les prélatures sont distribuées à des
ignorants et à des illettrés, grâce à la recommandation ou par l'effet de
la simonie (p. 2 78) : autre critique à laquelle nos auteurs se gardent
sans doute de donner un sens trop général, puisqu'ils ont été eux-
mêmes (ils s'en souviennent peut-être) pourvus de canonicats par
Jean XXII. Mais ici la diatribe dépasse toute mesure. Le pape n'est
plus que «le grand dragon, le vieux serpent, digne d'être appelé
« diable et Satan » (II, xxvi, p. 286). Et Marsilede Padoue, enflant sa
voix, s'adresse à toute l'humanité : «Je vous le dis et je vous le crie,
«comme un héraut de vérité: Rois, princes, peuples, tribus de toutes
« langues . . . , ces évêques de Rome cherchent à vous réduire en leur
« sujétion !» (II, XXIV, p. 280.)
'"' L. Kônig, Die pâpstliche Kammer miter cale en matière de droit de dépouille dans la
Clcmens V a. Johann XXII (Vienne, iSgd, seconde moitié da xir' siècle, dans^ \es Mélanges
in-8°), p. 42; Kirsch, Die pâpstlichen Kollekto- d'archéol. et d'hist., ig02, p. i42, i43.
rien in Deutschland (Paderborn, 1894, in-8°), '^' Def.pacis, II, xxiv, p. 274; cf. II, xvi,
p. XXIX; Ch. Sainaran, La jurisprudence pontifi- p. 243; III, 11, concl. 28. Cf. Kirsch, p. xxx.
HIST. LITTER. XXXIII.
74
586 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
Nos auteurs se souviennent cependant que leur ouvrage est destiné
spécialement à Louis de Bavière, et ils s'attachent, en terminant, à
prouver que les usurpations pontificales intéressent particulièrement
l'Empire. Les papes soutiennent que nul ne peut, sans leur assenti-
ment, prendre le titre de roi des Romains : par là ils annulent le droit
des Electeurs de l'Empire, qu'ils prétendaient sauvegarder. Ils veu-
lent que l'élu leur prête serment de reconnaître leur juridiction et de
leur conserver la jouissance des provinces italiennes qu'ils détiennent
injustement. En cas de vacance , ils se figurent succéder aux droits de
l'Empereur, ce qui entraînerait pour eux la faculté de recevoir les
serments de tous les princes et feudataires de l'Empire (II,xxvi,
p. 281 et suiv. ; cf p. 3o8). Rappelant alors les démêlés de Clément V
avec Henri VII de Luxembourg (II, xxiii,xxiv, p. 270, 279), nos au-
teurs insistent plus longuement et plus acrimonieusement sur le
conflit actuel de Jean XXII avec Louis de Bavière. Le pape, aidé de
ses complices, a semé déjà la division en Italie : il s'apprête à faire
subir le même sort à l'Allemagne. Il profite des différends, il les sus-
cite au besoin, pour que la partie la plus faible en soit réduite à
implorer son secours. Que les autres princes, instruits par cet
exemple, sachent bien ce que cet évêque leur prépare! (Il, xxvi,
p. 283 et suiv.)
La troisième partie du Defensor pacis se termine par une déclara-
tion qui semblerait presque ironique, si les auteurs ne nous avaient
prévenus dans quelles conditions seulement ils admettent l'autorité
des Conciles : « Si l'on découvre dans ces pages quelques propos ou
«conclusions peu catholiques, loin de les soutenir avec obstination,
« nous les soumettons à la correction et à la décision souveraine de
« l'Eglise catholique et du Concile général des fidèles chrétiens *'l »
Tel est ce fameux ouvrage, plein d'obscurités, de redondances et
(le contradictions, où le fil de la pensée se perd parfois dans le dédale
des raisonnements et des citations profanes ou sacrées '"^\ mais qui
énonce cependant, tant en religion qu'en politique, des idées si auda-
''' K. Mùller, GôU. gel. Anzeigen, i883, connaître dans un passage du chap. xvi de la
p. q;i5. première partie une allusion à la Monarchia de
" On trouve dans l'ouvrage de Riezler Dante ( iiiV/. , p. 2o5; F.-X. Kraus, Da/ite, sci'/i
). 197) la nomenclature des sources citées Leben u
dans le Defensor pacis. En outre, on a cru re- p. 759).
JEAN DE JANDUN ET jM\RSILE DE PADOUE. 587
cieuses ou si neuves qu'on a pu y reconnaître comme une première
ébauche des doctrines développées avec éciat aux époques de la
Réforme et de la Révolution française. Théorie purement démocra-
tique, mais déjà toute prête à se transformer, grâce à une série de
fictions et de sous-entendus, en doctrine impérialiste; plan chimé-
rique de réformes, qui aboutit, non pas à la séparation de l'Eglise et
de l'Etat, mais à l'asservissement de l'Église à l'Etat : la hiérarchie
ecclésiastique bouleversée, le clergé dépouillé de tous ses privilèges,
le pape ravalé au rang de président d'une sorte de république chré-
tienne qui se gouverne elle-même, ou plutôt qui se laisse gouverner
par César (^' : tel est le rêve que forment, en iSs^, deux maîtres de
l'Université de Paris. 11 sert trop bien la cause, il flatte trop les pas-
sions de Louis de Bavière, auquel il est communiqué, pour qu'on le
suppose, comme on l'a fait'"^', conçu a priori, en dehors de toute pré-
occupation actuelle. Marsile de Padoue et Jean de Jandun ne sont pas
tant qu'on se l'imagine des « scolastiques incliiférents à la réalité'^'».
Lorsque le Defensorpacis fut achevé, il est probable que les auteurs
cherchèrent à le faire passer sous les youx du roi des Romains, mais
qu'ils n'eurent garde de le répandre dans Paris, ni de divulguer
autour d'eux leurs thèses aventureuses. Interrogé à ce sujet, un des
disciples de Marsile de Padoue se défendit plus tard d'avoir con-
tribué à publier ce libelle en France, et il ajouta qu'il ne croyait pas
que son maître, non plus que Jean de Jandun, eût osé hasarder de
telles doctrines à Paris**'.
'*' Cf. Ad. Franck, p. ia8 : ■ De telles doc- ''' E. Gebhart, Revue historique, t. XXV,
« trines mettent le clergé , et avec lui la religion , p. 1 67.
« les matières de dogme et de foi aussi bien que '*' Baiuze, MwceWanea, II, 280. — C'était,
« de hiérarchie et de discipline , dans la plus en- à ce qu'il semble , l'opinion de Jean XXII lui-
«lière dépendance d'une assemblée laïque, même (bulle du 3 avril 1337) : « Dum in
« nommes par le saiTrage du peuple et dominée « eodem studio , cum in eo catholici principis
• par l'Empereur, c'est-à-dire par la polititpie. » « actoritas vigeat, ac studium ipsum orthodo-
Voir aussi Otto Gierke, Johannes Althusius, « xorum theologorum et canonistarum copia sit
p. 328. «munilum, vesanie sue virus efFundere nonau-
''' Labanca, p. i45. «derent. . . » (Chartul. Univ. Paris.. II, 3o3.)
74-
588
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
À cet égard, un document d'archives fournit une précieuse indica-
tion sur l'attitude et les projets de Jean de Jandun au moment même
où s'achevait la rédaction du Defensor pacis. Le 1 9 juin 1824, comme
il résulte d'une charte de l'officialité de Paris, une maison du Gloître-
Saint-Benoit, aboutissant à la rue de Sorbonne''' et appartenant aux
maîtres et écoliers de Sorbonne, fut louée à M" Nicolas de Vienne, dit
Amyel, clerc du roi, pour toute la durée de sa vie, et, après lui, à
M" Jean de Jandun, chanoine de Senlis, également pour la durée de
sa vie. La location fut faite moyennant le payement de 18 livres pa-
risis de cens annuel et l'obligation d'entretenir l'immeuble en bon
état. Les deux preneurs furent présents devant l'official et s'obligèrent
par serment à exécuter les clauses du bail''^l Ainsi, Jean de Jandun
croyait, à ce moment, ou paraissait croire sa situation en France
si peu compromise, qu'il projetait de s'installer à demeure à Paris;
il faisait choix d'une maison, au cœur du quartier des écoles, et
comptait l'occuper après la mort de Nicolas de Vienne, un maître sans
doute plus âgé que lui ^^'. Cela tendrait à prouver qu'il n'avait nulle-
ment l'intention d'ébruiter sa collaboration avec Marsile de Padoue.
Quant à ce dernier, rien ne transpirait non plus de ses secrètes
doctrines. 11 paraît s'être tourné vers les études sacrées. Un jour, il
annonça l'intention d'ouvrir un cours de théologie, et ce lui fut une
occasion d'emprunter de l'argent à ses amis , 9 florins d'or à Robert
de' Bardi. alors simple étudiant'*', 10 livres parisis à André de Rieti,
chirurgien, 10 livres ou 10 florins à Pierre de Florence, l'égent en
médecine'^', une autre somme encore à André de Florence, qu'un
témoin qualifie de « maître du roi de France m'®'. Cependant, ce besoin
d'argent avait une autre explication. Un ou deux mois plus tard, les
prêteurs eurent le désappointement d'apprendre la disparition sou-
'"' Elle était contiguë , d'un côté , à la maison
de M' Jean de Villerose , de l'autre , à la mai-
son dite À la Rose, et se trouvait située au-
dessous des écoles du futur cardinal Annibaldo
de Ceccano, alors proviseur de Sorbonne.
'*' Arch. nat. ,S 6iig, n° i3.
''' Nicolas de Vienne avait été recteur en
i3i3 (Charlul. Univ. Paris., II, 162).
'*' Le texte imprimé par Baluzc porte :
« Roborto de Baris. » Los éditeurs du Chartul.
Univ. Paris. (II, 719), en transcrivant ce pas-
sage, impriment : ■ Roberto de Bardis. » Il
s'agirait d'un futur docteur en théologie qui
devint, en i336, chancelier de Paris (ibid.,
p. 43i).
''' Sur lui, voir ibid., p. 287, 35o, 454.
'*' Il s'agit sans doute d'André Ghini Mal-
pigli , secrétaire du roi, plus tard évéque d'Arra»,
de Tournai, enfin cardinal [Gall. christ., III,
336; Baluze, Vitte paparum, I, 844).
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PAIX)UE.
589
daine de Marsile de Padoue. En compagnie sans doute de son ami
Jean de Jandun^'', il était parti ponr l'Allemagne'^'.
Que s'étail-il passé? Avaient-ils reçu l'assurance que leurs semces
seraient largement récompensés par Louis de Bavière? Avaient-ils lieu
de craindre quelque indiscrétion qui rendît dangereuse la prolongation
de leur séjour à Paris '^>? Toujours est-il que leur départ semble avoir
précédé l'éclat qu'ils étaient en droit de redouter. Ce n'est qu'environ
deux mois après la fugue de Marsile que François de Venise entendit
des religieux de l'ordre des Ermites et des maîtres de l'Université de
Paris prononcer, pour la première fois, les noms de Jean de Jandun
et de Marsile de Padoue comme ceux des auteurs du Defensor pacis^''\
C'est à la date de i326 qu'un des continuateurs de Guillaume de
Nangis rapporte en ces termes l'exode de nos deux philosophes : « Vers
« ces temps-là, ces deux fils du diable vinrent à Nuremberg **l » D'autre
part, la première bulle lancée par Jean XXll contre Jean de Jandun
et Marsile de Padoue doit être du mois de juillet ou du mois d'août
1 3 2 6 : car elle fut publiée dans le diocèse de Passau avant le 6 sep-
tembre de cette même année '*^'. Cette circonstance rend vraisemblable
la date fournie par le chroniqueur. Nous savons, en elïet, par le
témoignage de François de Venise, que la divulgation du nom des
auteurs du Defensor pacis suivit de près leur départ de Paris ; leur
citation en cour de Rome ne put se faire longtemps attendre; par
conséquent, leur arrivée à la cour de Bavière dut à peu près coïncider
'"' Jean de Jandun n'entra jamais en jouis-
sance de la maison du Cloitre-Saint-Benoit :
Nicolas de Vienne l'habitait encore à une
époque où, depuis longtemps, notre philo-
sophe avait pris le chemin de l'étranger {Char-
tul. Univ. Par., n, 669).
''* Déposition de François de Venise (Ba-
luze, Mhcellaneu, II, 280).
''• Rien de vrai, d'ailleurs, dans ce qu'on a
semblé croire [Paris et ses histor., p. 1 1 ) que
les théories du Defensor pacis avaient été cen-
surées dans les conciles provinciaux d'Avi-
gnon , de Marciac , de Ruiîec et de Toulouse.
'*' Balnze, Miscellanea , II, a8o.
'*' Ed. Géraud, t. II, p. 74. La traduction
française qui se trouve dans les Grandes Chro-
niques a permis de reconstituer le texte altéré
du continuateur.
''' À cette date, l'évêquc de Passau adressa
pour la seconde fois à la cour pontificale les
procès -verbaux de la publication faite dans
les principales localités de son diocèse. Il avait
envoyé à Avignon ces documents une première
lois , mais craignait qu'ils ne se fussent égarés en
chemin (W. Preger, Auszûge ans den Urkun-
(len des Valikanisclien Archivs, dans Abhand-
langen der histor. Classe der bayerisch. Aka-
demie der Wissenschaften , t. XVII, 1, p. 199).
— Henri de Rebdorff se trompe en faisant
remonter la condamnation des deux auteurs à
i3a/i. H commet une erreur également fla-
grante en attribuant à leur inspiration l'appel
de Saxenhausen (Bôhmer, Fontes rerum Ger-
manicarum , ]\ , 554). Une confusion analogue
est à relever dans la chronique de Villani
(Muralori, XIII, 56 1).
590 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
avec cette bulle de Jean XXII que nous croyons devoir dater de l'été
de i3u6(".
M Pour Dieu, qui vous a engagés à quitter un pays pacifique et gio-
« rieux et à venir dans une contrée désolée par la guerre ? » C'est en ces
termes que Louis de Bavière aurait apostrophé les auteurs du De-
Jensorpacis, suivant le continuateur de Guillaume de Nangis. « L'er-
« reur, répondirent-ils, à laquelle nous voyons que l'Eglise est en proie
« nous a forcés de prendre le chemin de l'exil. Incapables de tolérer
« plus longtemps cet état de choses la conscience en repos, nous recou-
« rons à vous. L'Empire vous appartient de droit : à vous aussi de
« redresser l'erreur, de rétablir l'ordre légitime ! » Ils présentèrent
alors, s'ils ne l'avaient déjà fait, leur ouvrage à Louis de Bavière, et
s'offrirent à défendre les principes de ce livre contre quiconque les
attaquerait, au besoin jusqu'au supplice et à la mort '^l
L'esprit qui régnait alors à la cour de Bavière n'était rien moins
que favorable au Saint-Siège; la présence d'un grand nombre d'ad-
versaires de Jean XXII y entretenait chez le prince une animosité
violente à l'égard du pape d'Avignon. Cependant les théories de Mar-
sile de Padoue et de Jean de Jandun dépassaient tellement en audace
les conceptions des Franciscains dits Spirituels, qu'elles produi-
sirent, au premier abord, sur le roi des Romains, une impression
déconcertante. Il réunit des personnes compétentes; on lui remontra
que, s'il acquiesçait à ces doctrines empoisonnées, il encourrait le
reproche d'hérésie et, déchu par là même de ses droits à l'Empire,
fournirait ainsi au pape le moyen de procéder contre lui. On lui
conseillait d'appliquer simplement aux deux maîtres le châtiment
réservé aux hérétiques'^'.
Cependant Marsile de Padoue et Jean de Jandun avaient retrouvé
à la cour de Nuremberg des lettrés qui se souvenaient les avoir
connus à Paris**'. Il répugnait, d'autre part, à Louis de Bavière d'en-
C Ce» considérations ont échappé à Univ. Paris., II, 3oi ) et du 33 octobre i5ti
M.J.Sullivan {The Americ. histor. Rev., Il, (Rinaldi, V, 343). Cf. K. Millier, p. i63,
p. 4 1 a ) , qui croit devoir placer le départ pour note a .
1 Allemagne peu après le mois de juin i3a4. '*' Nangis, loco cit. — Cette opposition est
Cependant M. K. Mùller plaçait l'arrivée à rappeléejusquedanslesbuUesde Jean XXII des
Nuremberg vers l'été de i3a6 (t. I, p. i6a, 3 avril et a3 octobre 1337, et dans celle de
368). Clément VI du 13 avril i343 (Riezler, p. 39).
''' Nangis, II, 75. Bulles du 3 avril (Chartul. <*' Voir Rie/Jer, p. 35.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
591
vover au bûcher des hommes qui, pour suivre son parti, avaient
abandonné une situation honorable et prospère. Etranger, comme il
l'allégua plus tard pour son excuse"', aux subtilités de la littérature,
il laissa donc les deux auteurs du Dejensor pacis s'établir près de lui.
Bientôt même, il les retint au nombre de ses familiers, les combla
d'honneurs et de présents, leur permit d'exposer plusieurs fois leurs
doctrines publiquement devant lui ^'. Marsile de Padoue devint son
médecin *^l Ce Gibelin contribua peut-être à inspirer la politique
italienne de Louis de Bavière. Il se retrouve aux côtés du roi des
Romains à Trente *', durant les mois de janvier, de février ou de
mars 1827, lors de cette brillante assemblée des Gibelins d'Italie où
la marche du prince sur Rome fut résolue, et où le «prêtre Jean»
(c'est en ces termes qu'on désignait désormais Jean XXII) fut déclaré
hérétique et pape indigne. Plus tard, probablement quand le Bava-
rois ceignit la Couronne de fer (3i mai), Marsile de Padoue fut de
ceux qui prêchèrent ou répandirent des libelles contre le pape dans
la ville et dans le diocèse de Milan ^^K
Emerveillé de ses succès, son vieil ami Albertino Mussato lui
adressa, de Chioggia, une nouvelle épître en vers, pleine de compli-
ments et d'encouragements'®'; il comptait maintenant sur lui pour
venir au secours de l'Italie, et il exhortait les Padouans à se réjouir
de l'élévation glorieuse de leur concitoyen :
Hic patronus erit vere certissimus ; hic est
Unus qui nobis cunctando restituet rem.
Ergo vale , bene fauste ! Deus te dirigat atque
Regem istum , sibi quem totus desiderat orbis !
Prévoyant que Marsile allait suivre les camps, il le priait de noter
les marches, les rencontres, les actions d'éclat dont il serait témoin.
''' Vatikanische Akten, p. 64o, 780.
''' Nangis, II, 74, 75. Bulles du 3 avril et
du a3 octobre 1337.
''' C. Gewold, Defensio Ludovici IV impe-
ratoris ratione ekclionis contra Abr. Bzovium
(Ingolstadt, 1618), col. 187.
■'' Bulle du 3 avril 1327. — M. K. Millier
( [ , p. 1 70 , note 5 ) suppose que Jean de Jandun
se trouvait aussi à Trente, bien que la bulle
ne fasse mention que de Marsile de Padoue.
''' Supplique des ambassadeurs Milanais :
« Multaque erronea tani per dictum Marsilium
« quam plures alios diversis temporibus praedi-
« dicari et iibellos diflamatorios conscribi , divul-
« gari et in publico appendi in civitate et diœcesi
« praedictis mandavit. • (Rinaldi, V, 533.)
''* Graevius et Burmann , Thés, antiq. , VI , 11 ,
Suppl. ,col. 5i. — M. Labanca (p. 229) réim-
prime cette lettre et la date d'environ i3a6.
Cf. Riezler, p. 43.
592 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOCE.
ayant envie lui-même de s'en faire l'historien et tout disposé à consa-
crer par sa prose ou ses vers l'immortalité du Bavarois. Mussato écrivit,
en effet, dans la suite, mais sur un autre ton, l'histoire de Louis de
Bavière : on ignore si Marsile de Padoue lui avait fourni des rensei-
gnements''l
Cependant l'attention du pape s'était, pour la première fois,
comme on l'a vu , portée sur les auteurs du Defensor pacis durant l'été
de i326. Par bulle du 3 avril iSay, il reprocha à Louis de Bavière,
entre autres faits pouvant motiver une condamnation nouvelle,
d'avoir accueilli deux « hommes méchants », deux « fds de perdition »
qui « se faisaient appeler Marsile de Padoue et Jean de Jandun » : le
rang qu'il leur avait laissé prendre parmi ses familiers, la permission
qu'il leur avait donnée de publier des erreurs manifestes et déjà con-
damnées indiquaient suffisamment qu'il partageait leurs doctrines'"-'.
Une des bulles fulminées le jeudi saint suivant (9 avril iSay) vise
également Marsile de Padoue et Jean de Jandun, en même temps
que d'autres personnages qui avaient accompagné Louis de Bavière
en Italie : ils étaient frappés de suspense et d'excommunication, dé-
clarés déchus de leurs bénéfices et cités à comparaître en personne,
dans le délai de quatre mois, pour présenter leur justification'^'.
En même temps, une série de propositions extraites du Defensor
pacis furent soumises à l'examen d'une commission constituée à Avi-
gnon et composée de cardinaux, de prélats et de docteurs, (anq de ces
propositions furent retenues, et le Saint-Siège ne dédaigna pas de les
réfuter longuement dans une bulle datée du 28 octobre 1327''''. La
première intéressait le temporel de l'Eglise : de ce que le Christ,
d'après saint Mathieu (xvii, 26), avait consenti à payer, pour lui et
pour saint Pierre, le tribut à César, nos auteurs avaient conclu que
tous les biens de l'Eglise étaient soumis à l'Empereur, qui pouvait se
les approprier. Le pape faisait observer que l'impôt du didrachme, en
admettant qu'il fût dû par saint Pierre et par le Sauveur, constituait
une contribution personnelle et n'impliquait pas la sujétion de leurs
''1 Cf. Riezler, p. 44, noie a. portes de Notre-Dame-des-Doms, et il fui décrété
'*' Chartnl. Univ. Paris., II, 3oi. que cette publication équivaudrait à une cita-
''' Thés. nov. anecd., II, 692. — Les circon- tien personnelle (Rinaldi.V, 343). Cf. Nangis,
stances empêchant que cette huile fût signifiée II, 76.
aux intéressés, on se contenta de i'ailicher aux '*' Rinaldi, V, 347.
.JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 593
biens aux exigences du fisc. La seconde proposition était la négation
de la primauté de saint Pierre : ici la réfutation prenait une grande
ampleur, s'appuyant sur les textes de fEcriture et sur les aveux des
Empereurs. Suivant la troisième proposition relevée dans le Defensor
pacis, le droit d'élire, de destituer, de punir, au besoin, l'évêque de
Rome appartenait à l'Empereur : .lean XXII objectait qu'un tel droit
n'avait pu se fonder dans les premiers temps du christianisme, alors
que les Empereurs étaient païens; que, dans la suite, les Empereurs
chrétiens n'avaient pu hériter d'un droit que ne possédaient pas leurs
prédécesseurs; il discutait, avec plus ou moins d'à-propos, les cas
embarrassants fournis par l'histoire du moyen âge, et il rappelait que
les lois impériales interdisaient à fEmpereur de destituer même un
simple clerc. Aux termes de la quatrième proposition, qui, dans sa
forme absolue, dépasse peut-être un peu la pensée de nos auteurs,
pape, archevêques, évêques et simples prêtres étaient égaux de par
l'institution du Sauveur; ils ne devaient le plus ou moins d'autorité
qu'ils exerçaient qu'à une concession de l'Empereur, l'évocable à sa
volonté''^: Jean XXII établissait, au contraire, l'origine divine et
l'ancienneté de la hiérarchie ecclésiastique.' Enfin une cinquième
proposition extraite du Defensor pacis contestait à fEglise, fût-elle
assemblée tout entière, le droit d'infliger une peine de nature coactive
sans la permission de l'Empereur''^': l'exemple d'Elymas, celui d'Ana-
nie et de Saphire, d'autres encore, servaient au pape à démontrer
que l'usage de la contrainte corporelle avait été permise par Jésus-
Christ à ses apôtres. Cette réfutation terminée, le pape constatait
que Marsile de Padoue et Jean de Jandun n'avaient point comparu
dans les délais fixés : déclarés contumaces, ils ne demandaient
point à rentrer dans le giron de l'Église, ils cherchaient plutôt à
entraîner d'autres malheureux à leur suite. En conséquence, Jean XXII
les déclarait hérétiques et hérésiarques, évoquant à ce propos le sou-
venir d'Arius, de Manès, de Nestorius et de Dioscore, les condamnait,
■'' Jean XXII généralise ici re que Marsile duit toujours par « l'Empereur » les expressions
de Padoue et Jean de Jandun disent des évê- de «legislator humanus» et de «principans
ques. De plus, là où la bulle ne fait allusion «auctoritate legislatoris humani» qui se ren-
qu'à la volonté impériale , nos auteurs font contrent dans le Defensor pacis ; en cela , nous
aussi intervenir le consentement des églises, avons dit (p. b8A) qu'il ne dénaturait pas la
on même le vote d'un Concile général. pensée véritable de Marsile de Padoue et de
'*' On le voit , le rédacteur de la bulle tra- Jean de Jandun.
HISÏ. LITTKR. XXXIII
75
594 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
ainsi que leur livre, défendait de les recevoir, de leur prêter appui,
ordonnait qu'on les arrêtât, partout où l'on pourrait les prendre, et
qu'on les livrât à l'Église.
A l'époque où cette bulle, transmise en des copies multiples aux
archevêques de la chrétienté, parvenait à la connaissance dxi clergé
et des fidèles''', Marsile de Padoue et Jean de Jandun, montés au plus
haut degré de la faveur impériale, croyaient presque voir s'accomplir
la révolution qu'ils avaient rêvée : les événements donnaient raison à
quelques-unes de leurs plus folles utopies.
Le 7 janvier 1 3 28, le roi des Romains était entré dans Rome. Le 1 7,
il s'était fait couronner empereur par Sciarra Colonna, député à cet
effet, avec trois autres Romains, comme syndics du peuple. C'était,
au moins en apparence, l'investiture populaire substituée, suivant la
théorie du Defensor pacis, à l'investiture pontificale.
Le 18 avril suivant, Louis, revêtu des insignes impériaux, prit
place sur un trône, entouré de ses prélats et de ses chevaliers, au
milieu de l'assemblée du peuple. Un religieux appela trois fois l'avocat
chargé de défendre «le prêtre Jacques de Cahors, qui se faisait
« nommer Jean XXII ». Après quoi lecture fut donnée d'une proclama-
tion impériale : sur la demande des syndics, mandataires du clergé
et du peuple de Rome, Louis déclarait le pape déchu de toutes ses
dignités et soumis à la juridiction du pouvoir séculier. La- vacance
du Saint-Siège était ouverte, et l'Empereur promettait de pourvoir
le plus tôt possible à la nomination d'un pasteur légitime'^'. Cejour-là,
le fidelis legislator humaniis superiore carens, comme l'appelaient les
auteurs du Defensor pacis, inaugura son rôle de représentant de
la chrétienté et de juge des évoques de Rome. On a remarqué, d'ail-
leurs, que les motifs invoqués en faveur de la déposition du pape
n'étaient plus les doctrines hétérodoxes qu'on lui reprochait naguère,
au temps où Louis de Bavière subissait l'influence exclusive des Fran-
ciscains révoltés, mais des considérations d'ordre politique, emprun-
tées pour la plupart au livre de Marsile de Padoue : l'usurpation de
''' Voir une lettre du a3 janvier iSaS or- la publication de la sentence du aS octobre
donnant à l'évêque de Sien de faire publier iSay dans la ville de Rome et aux environs
dans son diocèse ce procès, qui avait été [Thés. nov. anecd.. Il, -j-ji).
transmis notamment à l'archevêque de Be- <*' J. Villani (Muratori, XIII, 64i ) ; Balme,
sançon (VatikanischeAkten,p. 364). Une lettre Vitœ papanim , II, Sia. Cf. K. Mûller, I, i83
postérieure, celle du 5 mai iSag, mentionne et suiv.
JEAN DE JANDUN ET M\RSILE DE PADOUE. 595
la puissance séculière, le gaspillage des biens de l'Eglise, la mauvaise
distribution des bénéfices, etc. '^'.
Enfin, le 12 mai suivant, fête de l'Ascension, l'Empereur de nou-
veau trôna dans une assemblée populaire tenue sur la place Saint-
Pierre. On introduisit le frère Mineur Pierre de Gorbara; Louis se
leva et lui fit prendre place sous le baldaquin qui abritait son trône.
Après un discours où le souvenir des excès du pontife déchu faisait
d'autant mieux ressortir la noble figure du candidat présent, l'évèque
de Castello demanda, par trois fois, au peuple s'il voulait de Pierre de
Gorbara pour pape. Bien qu'on eût espéré le succès d'un Romain,
■ des acclamations approbatives se firent entendre. Aussitôt fut donnée
lecture du décret impérial qui confirmait la prétendue élection po-
pulaire. Louis imposa au nouveau pape le nom de Nicolas V, lui
remit ses insignes, lui confirma les possessions dont les papes jus-
. qu'alors avaient joui, disait-il, par la permission de l'Empereur. Gette
journée fut le plus beau triomphe des idées développées dans le
Defensor pacis : le prince et le peuple concourant à l'élection du pape,
à l'exclusion des cardinaux; le pouvoir temporel reçu des mains de
l'Empereur; un religieux Mendiant élevé sur la chaire de Saint-
Pierre pour rappeler que le vicaire de Jésus-Ghrist devait donner le
premier l'exemple de la pauvreté évangélique'^'.
Marsile de Padoue et Jean de Jandun n'avaient pas seulement
reconnu avec orgueil l'influence de leurs doctrines dans cette série
étrange d'événements imprévus : ils y avaient joué leur rôle.
Venus à Rome avec Louis de Bavière, ils y avaient prêché ouverte-
ment leurs doctrines révolution naires'^'. Investi du titre de vicaire im-
périal, Marsile de Padoue avait abusé de cette commission pour per-
sécuter les clercs romains qui observaient l'interdit mis sur la ville
par Jean XXII; il s'en était pris même aux parents et aux alliés de
ces ecclésiastiques'*'. On cite un prieur des Augustins de San Trifone
qui, pour ce motif, avait été exposé à la dent des lions du Gapitole*^'.
''' K. Millier, I, 187. écouter les deux maîtres (Thés. nov. anecd. , II,
••' Riezler, p. 48; R. Millier,!, \(jk. Cf. 7^1 )• Le même fait est rappelé dans les bulles
Ritter, Historische Zeitschrift, XLIl, 3o3. du i5 avril iSaS ( Vatikanische Aklen, p. 378)
''' Le fait est déjà mentionné dans la bulle et du 5 mai 1329 [Thés. nov. anecd., 11,
du 3i mars 1828, qui maintient l'interdit mis 773).
sur la ville de Rome, et reproche aux Ro- '*' Bulle du i5 avril i328.
mains la laveur avec laquelle ils semblaient '5) D'après le récit de Gilles de Viterbe (C.
75.
596
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
Si Marsile de Padoue est l'auteur de ce jeu cruel , il poussait un peu
loin les conséquences de son principe que nul interdit ne peut être
prononcé sans la permission de l'Etat.
Si l'on en croit Albertino Mussato, l'ami de Marsile, celui-ci aurait
été, avec Ubertino de Casale, l'instigateur et le rédacteur du réquisi-
toire prononcé le 18 avril contre Jean XXII, dans lequel on a cru re-
connaître tant d'emprunts au Defensor pacis^'^K C'est Jean de Jandun
qui, d'après le témoignage d'un chroniqueur français, aurait, avec le
frère Mineur Buonagrazia, ameuté la foule romaine et provoqué une
manifestation en faveur de l'élection d'un nouveau pape^^'. Enfin,
Marsile de Padoue et Jean Colonna, fils de Sciarra, paraissent avoir
composé de clercs de leur choix une sorte de Comité de salut public
(^pro bono statu Urbis), qui, sous leur influence, approuva le projet
d'élection de Pierre de (>orbara'^'.
Il n'est pas jusqu'aux lettres de Jean XXII qui n'attestent l'impor-
tance du rôle joué par nos deux maîtres dans la révolution romaine.
Le i5 avril, le pape écrivit, à leur sujet, à son légat, Gian-Gaetano
Orsini, cardinal de Saint-Théodore : les circonstances empêchaient
celui-ci de se rendre à Rome; mais il devait, par un édit auquel serait
donnée toute la publicité possible, exhorter le peuple et les magistrats
Hôfler, Beitràge zur Gesch. Kaiser Ladwigs IV,
dans Oberbayerisches Archivf. vaterlânJ. Gesch . ,
I, iSSg, p. 109), il semble l)ien que le pauvre
religieux en ait été quitte pour la peur. 11 y
avait , à cette époque , au pied du Capitole ,
une sorte de fosse aux lions destinée à l'amu-
sement des promenevu"s. Le prieur de San Tri-
fone fiit attaché , au-dessus de cette l'osse , à une
poutre qui s'abaissait progressivement, de façon
à le rapprocher de plus en plus de la gueule
des lions. Ceux-ci , en bondissant , déchiraient
les pans de son vêtement.
'"' «In personam et actus ejus [Johan-
«nis XXII], prout jam dicti Marsilius et Uber-
«tinus, consultores ac etiam processuum dicta-
« tores, conscribcre atque componere multo
«studio sciverunt, edicta a senatu populoque
« Romano promulgata snnt. » ( Albertiiii Mussati
Ludovicus Bavaras , dans Bôhmer, Fontes rer.
Germanie, 1, 175.) Cf. Riezler, p. 5a; K.
Millier, 1, 369, II, 16, 189; L. .lourdan,
p. 18. — A certains indices, M. K. Mûller croit
plutôt reconnaître dans ce document la trace
de la collaboration de Marsile de Padoue et de
Sciarra Colonna.
''' « Ludovicus de Bavaria et rives Romani ,
• convocato consilio contra sanctam Ecclesiam ,
« hortamento duonim clericorum quorum unus
« erat cordiger et vocabatur Bona Gratia, et alter
« magister Johannes Gendini , qui erat nacione
« Normannus, qui commoverunt populum taiiter
«quod omnes pariter clamabant quod papam
«vellent habere, elegerunt ergo. . . » [Chrono-
graphia regam Francor., I,a65.) — Nul doute
que le chroniqueur ait en vue .lean de Jandun ,
bien qu'il le qualifie à tort de Normand.
''' C'est ce que déclarèrent plus tard nu
pape lés ambassadeurs romains : « Clerus etiam
« dictae urbis per Joannem, dicti Jacohi Sciarra
• fdium , et Marsilium de Padua , haereticum , ad
« eiigendum certos clericos urbis ejusdem pro
«bono statu, sicut fmgebant, ipsius, fraudu-
«lenter et deceptorie fuit inductus; quos qui-
« dem clericos prsefati Johannes et Marsilius
« procurarunt electioui dicti Pétri de Corbario
« in antipnpani consentire. • (Rinaldi, \', 485.)
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE P.ADOUE.
597
à s'emparer de Jean de Jandun et deMarsilc de Padoae pour les livrer
sans pitié à la justice ecclésiastique*''. Le pape chargea encore, le
2 1 mai suivant, d'une commission semblable le chanoine Jacques
Colonna'^', qui, quelques semaines auparavant, avait eu le courage
de lire et d'afficher une de ses bulles en pleine ville de Rome.
En même temps, à Avignon, Jean XXII faisait interroger, dans son
palais, par l'archevêque d'Arles, camerlingue, le jeune François de
Venise, élève de Marsile de Padoue, soupçonné, on l'a vu, d'avoir
collaboré au Defensor pacis, d'avoir exécuté ensuite plusieurs copies
de cet ouvrage, porté des livres à Marsile, eu Allemagne, et entretenu
avec lui toute une correspondance. L'accusé fournit sur les circon-
stances du départ de son maître un certain nombre de renseigne-
ments, que nous avons utilisés, mais prétendit avoir cessé, à partir
de ce moment, toutes relations avec lui^^'.
On s'explique sans peine qu'un clerc des environs de Coutances,
désireux de se concilier la faveur de Jean XXII, auprès duquel il se
rendait alors, n'ait cru pouvoir mieux y parvenir qu'en composant,
sur «fapostasie » de Louis de Bavière, un poème latin dans lequel il
flétrissait les doctrines perverses de Jean de Jandun et de Marsile de
Padoue'*'. Il se souvenait d'avoir suivi autrefois les leçons des deux
maîtres sur les sciences naturelles'*' : il n'en jugeait pas moins ces
«serpents jumeaux» dignes des pires châtiments et faisait des vœux
pour que le pape en débarrassât l'Eglise '"' :
Sicut sub nequani Nerone defecit Symon impius
Et Jannes sub Pharaone ac Mambres , ejus socius t",
Ita sub isto praedone Johannes et Marsibus
Deficiant , Jesu bone , ne sequatur deterius !
<"' Vatikaiiische Akten, p. 378. — M. J. Sul-
livan ( Ï7ie Americ. histor. Rev., II, b(jA) croit
à tort qu'un ordre semblable avait été déjà
donné par lettres du ai janvier et du 27 fé-
vrier i3a8 [Thés. nov. anecd., II, 716, 723).
M. Labanca (p. 37) doit faire aussi confusion
en parlant d'une lettre adressée, le 16 fé-
vrier, à Ange, evêque de Viterbe.
''' Lettre citée sans indication de date par
Rinaldi (V, 366), à laquelle M. K. MûUer (1,
ao3 , note 1 ) assignait par conjecture une date
comprise entre le 26 février et le 7 mars
iSaS, et qui est, en réalité, du 21 mai sui-
vant (W. Preger, Die Vertràge Ladwigs des
Baiera mit Friedrich dem Schônen in den J.
J325 a. 1326, dans Abhandlungeii der hist.
Cl. der bayerisch. Akad. d. Wissensch., XVII, 1,
p. 257)/
C Interrogatoire du 20 mai l328 (Baluze,
Miscellanea , II, 280).
'*' De Bavari apostasia, strophes 5-7, i3-20,
22 (Neues Archiv , XXV, 712-713).
Vos audivisse mcmïni legentes naturalia.
(•)
Dignum est illos destrui hœresiarcharum more.
<') 2 r™. 111,8.
. Pro tam stupendo errore
598 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
A Moyse légifère Janes et Mambres devicti
Fiuctu fuerunt aspero cum ^Egyptiis amicti :
Sic , dante Rege supero , a Papa magi piiïdicti ,
Ut a Moyse altero , cum suis erunt afflicti.
La faveur dont jouissaient Marsile de Padoue et Jean de Janduu
auprès de Louis de Bavière les mettait à même de braver les menaces
de Jean XXII. Par une curieuse application des principes du Defensor
pacis, Jean de Jandun venait d'obtenir de l'Empereur l'évêché de
Ferrare (i" mai iSaS)^''. Ce n'est pourtant pas du peuple, mais
de Dieu que Louis de Bavière, dans cet acte, déclarait avoir reçu le
gouvernement de l'univers; mais il s'appuyait sur le prétendu consen-
tement de tout le clergé et de tout le peuple de Rome pour prononcer
la déchéance de l'évêque actuel de Ferrare, Gui de Capello, et, à sa
place, il nommait Jean de Jandun, son «conseiller», auquel il don-
nait, par surcroît, le titre de «docteur en théologie»'^*. Bien que le»
pouvoirs qu'il conférait au nouvel évêque fussent fort étendus , il est
à remarquer qu'il laissait au clergé et au peuple « fidèle » le droit de
pourvoir par élection aux bénéfices et prélatures ayant charge d'âmes,
ne reconnaissant à Jean de Jandun que la faculté de confirmer de tels
choix. La moindre désobéissance ou opposition au nouvel évêque en-
traînait une amende dont le montant se partageait entre Jean de Jan-
dun et le fisc impérial. On ne pouvait appeler des sentences du prélat
ni de celles de ses officiers, si ce n'est en la cour de l'Empereur. Ses
actes d'administration épiscopale, collations, translations de béné-
fices, etc. , pouvaient aussi être annulés par l'Empereur; l'Empereur
enfin demeurait maître de révoquer, quand il le voudrait, la com-
mission d'évêque décernée à Jean de Jandun. C'était bien là le type
d'épiscopat subordonné au pouvoir laïque dont le Defensor pacis avait
préconisé les avantages'^'.
1'' Déjà, peu après son départ de Milan,
Louis avait osé nommer, de sa propre autorité,
trois évéques , à Crémone , à Côme et à Castello
(Muratori, XIII, 620; XVIII, M-])-
<*' A la suite d'une enquête faite , plus tard,
à Paris, il fut reconnu que Jean de Jandun
n'avait jamais été maître , ni même gradué en la
Faculté de théologie. On suppose donc que ce
titre lui fut conféré par l'Empereur (Cnarlnl.
Univ. Paris. , 111, aaS).
''> Theiner, Cod. diplomal. dominii temp. S,
Sedis, I, 356; Vatikanische Akten, p. 376.
— Si cet acte était , comme on l'assure ( Giartul.
Univ. Paris., II , 7 1 8), conservé en original dans
les archives du Château-Saint-Ange (Arch. du
Vatican, Armar. xv, caps. 6, n* 5i), nous ne
comprendrions pas l'altération que le texte a
subie : l'Empereur s'adresse d'abord à Jean
de Jandun lui même , et ensuite parle de lui
à la troisième personne. Le plus probable est
JEAN DE JANDUN ET MÂRSILE DE PADOUE.
599
Ayant ainsi pourvu d'un évêché Jean de Jandun, l'Empereur ne
pouvait moins faire que de procurer un archevêché à Marsile de
Padoue. Ce dernier, effectivement, ne tarda pas à être nommé arche-
vêque de Milan, si l'on en croit un historien contemporain'"'. L'acte
de nomination ne nous est point parvenu; mais, l'antipape Nicolas V
ayant été élu dans l'intervalle, il est probable que cette nomination
fut expédiée sous la forme d'une lettre apostolique plutôt que sous
celle d'un acte impérial. En tout cas, il ne semble pas qu'il y ait,
comme on l'a cru, contradiction entre cette nomination et celle de
Jean Visconti comme cardinal-légat de l'antipape en Lombardie'^'.
Cependant ni Jean de Jandun ni Marsile de Padoue n'allaient
jouir des hautes prélatures qu'ils devaient à la munificence impériale.
Le rêve qu'ils avaient conçu, et que Louis de Bavière s'était si bien
mis en devoir de réaliser, n'allait pas tarder à s'évanouir.
Aussi bien nous touchons à la fin de la carrière de Jean de Jandun.
Mais la date de sa mort est difficile à déterminer. L'embarras dans
lequel se sont trouvés plongés les historiens, en présence de textes en
apparence contradictoires, va nous obliger à entrer ici dans quelque
détail.
Si l'on s'en tenait aux documents de provenance avignonnaise, on
serait tenté de prolonger la vie de Jean de Jandun de plusieurs
années encore : des lettres de Jean XXII du 5 *^' et du 3o mai 1 329'*',
du 25 juin suivant, du 6 septembre i33o, du 4 janvier i33i*'*'
nomment Jean de Jandun, en compagnie de Marsile de Padoue,
comme s'ils étaient tous deux vivants. Cela prouve simplement que la
que la pièce des Archives vaticanes est une
copie ancienne où l'on aura amalgamé le texte
de l'acte de nomination adressé au prélat avec
celui du mandement envoyé au clergé ou aux
autorités de Ferrare.
'■' Galvaneus Flamma , auteur du Manipulas
Florum : «Hic [Nicolaus, antipapa] dédit in
« archiepiscopum Mediolanensem quemdam
« M arsilium Paduanum , multosque episcopos in
« aliis civitatibus lecil. » ( Muratori , XI , ySa .) Le
même fait parait avoir été aussi attesté par
certaines Annales padouanes que cite Bernar-
dino Scardeone [Historia Patavina, dans Grae-
vius et Burmann , Tkes. antiquit. Ital. , VI , m ,
170); elles le rapportaient à l'année i328. On
s'explique mal l'opinion , citée par Papadopoli
[Hist. gymnasii Patavini, II, p. i65), d'après
laquelle Marsile de Padoue, s'étant réconcilié
avec l'Eglise , aurait été nommé archevêque de
Milan par Jean XXII.
''' M. Riezler (p. 55, note a), comprenant
que Jean Visconti fut nommé par l'antipape ,
au mois de janvier iSag, à la fois cardinal et
archevêque de Milan , en concluait que la no-
mination de Marsile de Padoue par l'Empereur
n'avait point eu d'efifet. Mais Galvaneus Flamma
dit expressément que Jean Visconti fut nommé
légat de l'antipape en Lombardie et non ar-
chevêque de Milan.
'*' Tkes. 7101). anecd., II, 778.
'') Chartal. Univ. Paris.. II, 3a6.
'*' Tkes. nov. anecd., II, 778, 8i3, 817.
600
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
cour d'Avignon était mal renseignée au sujet de la fin d'un hérétique
sur lequel le silence avait dû se faire après sa mort. Il est plus malaisé
de justifier les termes dont se sert Louis de Bavière dans un acte du
28 octobre i336 : «Nous extirperons les hérétiques et schismatiques
«désignés par l'Eglise, spécialement Jean de Jandun, Marsile de
«Padoue, etc.'*'. >« Cependant ce document, comme on l'a fait remar-
quer*^', est une sorte d'amende honorable dictée à l'Empereur par la
cour pontificale elle-même : il ne prouve pas nécessairement que
Louis de Bavière crût Jean de Jandun vivant en i336.
Ce qui empêche de faire survivre notre philosophe à l'année i32 8,
c'est le témoignage formel de Michel de Césène, le célèbre Francis-
cain révolté contre l'autorité du Saint-Siège : «Tu mens, écrivait-il
« en i332 au général des frères Mineurs, tu mens quand tu prétends
«que j'ai communiqué avec M" Jean de Jandun. On sait qu'il était
« mort à Todi, avant que je vinsse à Pise. Or je n'ai jamais mis, je
« n'ai jamais songé à mettre le pied à Todi'^'. » Or Michel de Césène,
s'étant enfui d'Avignon, parvint à Pise dès le 8 juin i328'''' : par
conséquent, c'est avant cette date qu'il faudrait placer la mort de Jean
de Jandun.
H y a bien une difficulté. Les archives du Vatican renfermaient
autrefois une pièce qui semble aujourd'hui égarée'^', mais qui nous
est connue par une analyse faite lors du séjour de ces archives à
Paris au commencement du xix" siècle'**' : il s'agit d'un acte, daté du
i4 juillet 1328, par lequel Louis de Bavière retenait Jean de Jandun
au nombre de ses familiers. Jean de Jandun n'aurait pu être l'objet
de cette faveur, s'il était mort, comme le prétend Michel de Césène,
avant le 8 juin i32 8. Cependant on fait remarquer que le répertoire
'"' Vatikaiiische Akten, p. 643-
m RieïJer, p. 58.
''1 Chronica fr. Nicolai Glassberger [Analecta
Franciscaiiu , IF, Quaracchi, 1887, in-4°),
p. 157.
<*' Croiiica Sanese (Muratori, XV, 81 ).
''' La recherche que feu le P. Denifle avait
bien voulu faire à notre demande est demeurée
infructueuse.
'*' Cette analyse est ainsi conçue.: tCapsule
« 199 , n° 25. Lettres de Louis do Bavière , qui
«accorde son amitié, et qui prend au nombre
« de ses_yaHiih'ares, courtisans, Jean de Geniluno,
« homme de mérite et dont il fait beaucoup de
« cas. Parchemin signé à Home , le 1 4 juillet
« i3a8. » (Arch. nat., L 873, liasse 8.) VVaitz
et Bôhmer [AcUlitamentum primum ad Regesla
Imppiii , i84i. p- 376) n'ont connu l'acte
de Louis de Bavière que par cette analyse,
qu'ils ont , du reste , assez inexactement citée : ils
impriment « Jean de Gelduno >. De là le doute
de M. Riezler (p. 67), qui hésite naturellement
à identifier ce « Jean de Gelduno • avec Jean de
Jandun.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 601
d'où est tirée cette analyse fourmille de fautes'^', et que Louis de
Bavière, d'après Villani*'^', n'étant retourné de Tivoli à Rome que le
20 juillet, n'aurait pu expédier en cette dernière ville un acte sous
la date du i^. Nous ajouterons que Jean de Jandun est déjà qualifié de
« conseiller» de l'Empereur dans le diplôme du i" mai qui le nomme
évêque de Ferrare, que l'on conçoit mal une retenue de «familier»
succédant à une retenue de conseiller, et qu'enlin le prétendu acte
du 1 4 juillet ne paraît pas attribuer à Jean de Jandun ce titre d'évêque
de Ferrare qu'il portait sans nul doute depuis le 1" mai. Pour toutes
ces raisons, il y a lieu d'écarter l'objection fondée sur cet acte suspect,
il fut probablement expédié à imc date très antérieure à celle que lui
assigne l'analyse fautive conservée aux Archives nationales.
Le témoignage de Michel de Césène demeure donc inattaquable,
et Ton peut supposer, par exemple, que Jean de Jandun périt à Todi,
dans le courant du mois de mai i328, en se rendant de Rome dans
son nouvel éyéché de Ferrare.
Toutefois nous serions tentés d'accorder la préférence à une se-
conde hypothèse. La présence de Jean de Jandun à Todi est encore
plus facilement explicable au mois d'août suivant. A ce moment, on
vit s'abattre sur Todi Louis de Bavière, chassé de Rome avec toute
sa cour, y compris l'antipape et sa suite *^*. Rien de plus naturel que
d'admettre que Jean de Jandun, entraîné dans la commune déroute,
suivit à Todi l'Empereur, dont il n'eût guère été prudent à lui de
s'éloigner dans des circonstances aussi critiques. Quelques jours plus
tard, Louis de Bavière repartit avec tout son monde, pour Viterbe,
de là pour Corneto, et de Corneto,le 10 septembre, pour Pise. Ici,
laissons la parole au chroniqueur Jean Viliani : « Ils partirent de
«Corneto le 10 septembre 1828, et, en route, mourut à Montalto le
« perfide hérétique, et maître et inspirateur du Bavarois, M" Marsile
« de Padoue*'*'. » Ces quelques lignes renferment une erreur manifeste :
comme on le verra plus loin, Marsile de Padoue vécut au moins
jusqu'en iS^a*^'. Mais il se pourrait fort bien qu'un «pel-fide héré-
tique», confident de Louis de Bavière et facile à confondre avec
'■> K. MûUer, I, i63 , note 4- ''' Muratori, XIII, 664-
'•' Muratori, XIII, 6d6. C Km. Friedherg (Zeitschr, f. Kirchenrecht ,
''' J. VUiani (Muratori, XIII, 660); Cro- VIII, 117) admettait pourtant que Marsile
nica Sanese (Muratori, XV, 83). était mort à Montalto, le i4. septembre iSaS.
HIST. I-ITTÉR. XXXIII. 76
602
JEAN DE JANDUN ET MARSU.E DE PADOUE.
Marsile de Padoue, fût mort effectivement, à Montalto , vers ie i o sep-
tembre'*' : ce serait Jean de Jandun, et ainsi cette simple erreur de
nom vme fois corrigée, le renseignement du chroniqueur pourrait
être accueilli avec une certaine confiance '"^\
Cependant comment concilier cette hypothèse avec le témoignage
de Michel de Césène? Celui-ci ne se sera souvenu, en i332 , que du
séjour fait à Todi par l'Empereur et sa suite : partant, sachant que
Jean de Jandun était mort à un moment où il accompagnait Louis de
Bavière , il aura supposé que cette mort avait eu lieu à Todi. Il la place
avant sa propre arrivée à Pise : autre confusion. C'est avant l'arrivée
de Louis de Bavière à Pise qu'il aurait dû dire, soit avant le 21 sep-
tembre 1828. Mais l'important pour lui était de se disculper du re-
proche d'avoir frayé avec Jean de Jandun, et, de fait, cette rencontre
n'avait pu avoir lieu, puisque la mort de l'hérétique avait précédé le
moment où était parvenue à Pise la troupe fugitive des schismatiques
escortés par Louis de Bavière.
En résumé, l'on peut choisir entre deux dates pour la mort de
Jean de Jandun : au mois de mai ou, plus probablement, du 10 au
i5 septembre 1828.
VL
La vie de Marsile de Padoue ne présente plus guère d'incident
connu à partir de la disparition de son collaborateur.
Il est peu probable qu'il ait pu exercer les fonctions d'archevêque
à Milan. Azzo Visconti, qui gouvernait la ville, bien qu'il eût accepté
le titre de vicaire impérial, n'attendait qu'un moment favorable pour
traiter avec le pape d'Avignon *^l
Marsile de Padoue demeura sans doute à la suite de Louis de Ba-
vière '*'. On a relevé encore un emprunt au préambule du Defensor
'*' Montalto est situé un peu au nord de
Corneto, sur la route de Grosseto, où l'armée
de Louis de Bavière campa le 1 5 septembre
(J. Villani, c. 664; Cronica Sanete, c. 84).
Par conséquent , la mort de l'hérétique se place-
rait entre le lO et le i5.
<•> Cf. R. Mûller, 1, 10-], note 4.
''' Il est vrai que l'archevêque légitime Ai-
cardo da Intimiano était exilé et ne put rentrer
en possession de son siège qu'en i335 (Galva-
neusFlamma, Muratori, XI, 73a). Mais d'autres
membres du clergé exilés étaient rentrés à Mi-
lan dès le 1 février i33i (Annales Mediolan.,
Muratori, XVI, 706).
'*' Le fait qu'un nommé Matteo da Pergamo
est désigné comme médecin de l'Empereur le
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
603
pacis dans des lettres que l'Empereur adressa, de Crémone, le 27 oc-
tobre iSag, aux villes de Spire et de Worms*'l
Dans la suite, Marsiie dut retourner avec Louis en Allemagne. Nous
parlerons bientôt du nouveau service qu'il lui rendit vers 1 3 4 2 . Ce
fut la fin de sa carrière. Sa mort est mentionnée dans un discours du
pape Clément VI du lo avril i343*^'.
Mais il nous reste à parler d'écrits de Marsiie de Padoue posté-
rieurs au Defensor pacis. L'un surtout, inédit et qui n'a point été
encore étudié ^'\ mérite d'attirer tout spécialement notre attention.
1° De Translatione Imperii Romani.
On lit au chapitre xxx de la seconde partie du Defensor pacis : « Il
« est écrit dans la décrétale de Jurejurando^'^\ et dans certaine épître
«du prétendu pape de Rome à l'illustre Louis, des ducs de Bavière,
Il élu roi des Romains, que l'Empire romain fut raisonnablement et
«justement transféré des Grecs aux Germains, en la personne de
« Charlemagne, par le Siège apostolique, autrement dit par le pape de
«Rome, soit seul, soit avec le concours du collège de ses clercs **'.
« Supposons cela exact quant à présent, bien que le pape et ses
« clercs n'aient point pu le faire de leur autorité propre. Mais com-
« ment cette translation fut accomplie de fait, c'est ce que nous
« comptons dire dans un autre traité spécial '"'. »
36 mars i33o [Zeitschrift far Kirchen-Ge-
fchichle, VI, 87) ne prouverait peut-être pas,
comme on l'a dit (0. Lorenz, II, 35o), que
Marsiie de Padoue eût cessé, à cette date,
d'exercer ces fonctions.
'■' Bôhmer, Fontes, I, 2o4- Cf. K. Millier,
1,373.
<*' « Ipse enim [Ludovicus Bavarus] Marsilium
«de Padua etJohannem de Janduno, heresiar-
II chas et de heresi condempnatos , sustinuit et
II secum traxit usque ad mortem eorum. » ( Hôfler,
Aas Avignon, dans Abhandlangen der k. bôhm.
Greselbchaft d. Wissensch., 6* série. II, 1869,
p. ao.) — M. H.-J. Wurm (Z« Marsilius von
Padua, dans Historisches Jahrhach, 1893,
t. XIV, p. 68) a vainement cherché à faire re-
monter beaucoup plus haut la mort de Marsiie
de Padoue. La date de 1 342-1 343 est aujour-
d'hui généralement admise.
''' Ces liifnes étaient écrites avant la publi-
cation du dernier article de M. J. Sullivan,
The maniiscripts and date ofMarsiglio of Padua' s
Defensor pacis (The English historié. Review ,
avril 1 906 ) , dans lequel , d'ailleurs , n'est étudié
que le dernier chapitre du Defensor minor. Dès
le mois de novembre 1 903 , nous avions fait de
cet ouvrage de Marsiie de Padoue l'objet d'une
communication à l'Académie des inscriptions et
belles-lettres (voir Comptes rendus, i goS, p. 60 1 ).
'*' Clémentines, II, 9.
<'' La bulle citée ici est celle du 8 octobre
iSaS, qui contient les mots suivants : «trans-
« lato ab oliin per Sedem apostolicam prsedicto
« Imperio de Graecis in personam magnifici Ca-
« roli in Germanos . . . » ( Thés. nov. anecd. , II ,
64 1).
'°' « De hac enim translatione quantum de
« facto processerit , dicturi sumus in altero
76.
604
JEAN DE JANDUN ET M.ARSILE DE PADOUE.
-'«'Cet autre traité, que l'on suppose avoir été composé en Allemagne
à la demande de Louis de Bavière'"', est conseiTe en divers manuscrits
de Vienne''^', d'Erfurt (in-4°, i25), de Londres (Harley 2^92),
d'Oxford (Bodl., Canonici MiscelL 188, fol. 67-70) et d'Épinal (n° 8),
et a été plusieurs fois publié : à Bàle, en i555 , dans YAnthologia papœ
de Flacius Illyricus et de W. Weissembôurg; à Bàle, de nouveau en
i566, dans le De Jarisdictione , auctoritate et prœeminentia imperiali de
Simon Schard (p. 234-237); à Heidelberg, en 1599, avec le De/é«sor
pacis; à Francfort, en i6i4, dans le t. II de la Monarchia sacri Imperii
de Goldast*^' (p. 147-1 53), enfin à Londres, en 1690, dans le t. II du
Fasciculus rerum expetendarum et fugiendarum deBrown (p. 55 et suiv.).
Inc. : Primum capituium est de intentione n.irrandorum . . .
Des. : . . . patet rationabiliter intuenti et attendent!.
C'est une imitation ou, pour mieux dire, une reproduction presque
littérale du traité composé sur le même sujet, vers le commencement
du XIV* siècle, par Landolfo Colonna'*'. Marsile de Padoue n'a puisé
à aucune source nouvelle; il reproduit de confiance les mêmes
récits, les mêmes légendes, se bornant à supprimer les citations de
textes juridiques, qu'il remplace par des renvois au Defensor pacis , et
à corriger ce qui lui paraît, dans le livre de Colonna, attentatoire aux
droits et à l'indépendance de l'Empire'*'. Ainsi il admet fort bien,
ce que ne faisait point Arnaud de Brescia, la donation constanti-
nienne : mais il supprime la phrase par laquelle Colonna justifiait ce
prétendu acte de déférence envers le vicaire de Jésus-Christ**''. II
« quodam ab hoc tractatu seorsuiii. » ( Bibl. nat.,
ms. latin 1A619, fol. i 18 v"; passage inexacte-
ment reproduit dans l'édition de Goldast,
p. 3o8.)
'■' Rieder, p. 1 79 et suiv. — Tout ce qu'on peut
dire , c'est qu'il est postérieur au Defensor pacis .
auquel il renvoie fréquemment. Ces citations,
audiredeM.O.Lorenz (II, 3^9 , note 3), sont
m6me plus nombreuses dans les manuscrits
que dans l'édition de Goldast.
('' Bibl. impér. , mss. lat. 464 ( fol. 117-123)
et 384 (fol. 3a-37); ms. 197 du couvent de
Sainte-Marie ad Scntos (fol. i83-i88).
(^> Goldast assigne à ce traité la date inad-
missible de i3i3.
'*' Le De Translatione Imperii de Landolfo
Colonna a été imprimé par S. Schard (De Jaris-
dictione . . .imperiali, p. a84 et suiv.) et par
Goldast (t. II , p. 88 et suiv.). Cf. Riezler, p. 1 7 1
et sq.
'') • Ejus scripturae in quibusdam nostra sen-
« tentia dissonat, prxsertim in quibus jura leesit
« Imperii secundiun sententiam propriam , abs-
« que demonstratlonc suiricienti.» (Chap. i ; Gol-
dast, U, i48.)
'*' Voici cette phrase : t Indignum judicans
Il religiosus Imperator ibi terrenum Imperatorem
« digiiitateni et potestatem habere ubi caelestis
«Imperatoris vicarius morabatur. » (Goldast, II,
p. 89; cf. p. i48.)
JEAN DE JANDUN ET M\RSILE DE PADOUE.
605
glisse le plus qu'il peut sur les marques de respect données par Pépin
le Bref au pape Zacharie'''. Dans l'acte d'Etienne II transférant en
principe des Grecs aux Francs l'autorité impériale, il ne voit que de
l'ingratitude à l'égard des Empereurs et un calcul ambitieux^'^l II sup-
prime l'énumération des défauts de Constantin Copronyme'^', l'éloge
d'Adrien I"'*', ainsi qu'un passage expliquant la chute des Carolin-
giens par le refroidissement de leur zèle à l'égard du Saint-Siège*^'. Il
prétend enfin que Charlemagne reçut du pape Adrien I" le pouvoir
d'élire l'évêque de Rome et de donner l'investiture aux archevêques
et aux évêques de toutes les provinces '®l Voici encore un passage qui
peut bien faire comprendre le genre de travail enfantin auquel Mar-
sile s'est livré sur le texte de Landolfo Colonna. Il s'agit des démêlés
de Grégoire III avec Léon l'Iconoclaste :
Landolfo Colonna, p. 91 : Marsile de Padoue, p. i5o :
Ipsum Imperatorem solenniter ana- Propter quod dictus Gregorius pra»-
themate condeinnavit , Apuliam ei abs- dictum Leonem anathematizare prœ-
tulit, tuncque Italiam ab ejus dominio
et obedientia recedere fecit , ei([ue vecti-
galia solenniter interdixit.
sampsit , et totam Apuliam totamque Ita-
liam et Hispaniam ab ejus obedientia
separari suasù, et, quantum in ipso fuit,
hoc opus, quamvis minus débite, adim-
plevit. Eidem etiam vectigalia , nescio
qua auctoritate, sed bene qua temeritate,
solenniter interdixit.
En somme, ouvrage de polémique, dont le mérite n'est, certes,
pas celui de l'originalité. On a dit avec raison de Marsile de Padoue,
que l'histoire n'était point son fait'''. C'est même ce qui a donné lieu
de croire que, pour satisfaire à un désir de Louis de Bavière, il avait
abordé, tant bien que mal, une tâche à laquelle ses études ne l'avaient
aucunement préparé *^'. (
'"' Goldast, II, p. i5o; cf. p. 93.
''' « His autem beneQciis Stephanus papa
«allectus, et videns illius lemporis Imperatoris
« imbecillitatem , procura vit Ronnanuin Impe-
« rium de Gnecis transferri in Francos, minime
« reminiscens beneQcioruin per Imperatores Ro-
« manae Ecclesiae concessorum , in aliènes atque
«remotos Iraperium Iransferre satagens, ut,
« Graecis oppressis , Galiicis haec parum curan-
«tibus, posset papa Itaiia; liberius dominari. »
(Goldast, p. i5i; cf. p. 92.)
''' Goldast, p. i5o; cf. p. 91.
'*' Goldast, p. i5i ; cf. p. 93.
<*' Goldast, p. i5a; cf. p. g4.
'°' Goldast , p. 1 5 1 . — Sur le succès qu'eut
cette légende au moyen âge, voir P. Viollet,
Hist. des institut, polit, et administr. de la
France, 1, 266, note 3.
''' Riezler, p. 177.
'*' La phrase citée plus haut (p. 6o3) prouve
cependant qu'en écrivant le Defeiisor pacis,
c'est-à-clire dés i3a4, Marsile de Padoue proje-
606
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
2° Defensor minor.
Tout autre est l'intérêt de l'ouvrage inédit qu'il convient à présent
de faire connaître.
Le manuscrit de la Bodléienne Canonici Miscell. 188, d'une écri-
ture italienne très fine, qui peut remonter à la dernière moitié du
XIV* siècle, contient, comme on l'a vu''', divers ouvrages de Marsile
de Padoue. Les dix derniers feuillets (70 v°-8o r°) sont remplis par la
transcription d'un traité dont aucune autre copie n'a été signa-
lée, et qui est précédé de ce titre : Incipit liber intitulatus Defensor
minor, editns a magistro Marsilio Paduano post Defensorem pacis majo-
rem. Ainsi, Marsile de Padoue, après avoir publié, en collaboration
avec Jean de Jandun, son fameux Defensor pacis, aurait composé un
autre traité, plus court, sur le même sujet, le Petit défenseur, Defensor
minor.
Tout, en effet, tend à prouver l'exactitude de cette attribution.
Dès les premiers mots, fauteur dit : «Nous avons exposé précédem-
« ment, suivant l'esprit du Maître des Sentences, que le prêtre possède
« certain pouvoir de lier et de délier. . . *^'. » C'est une allusion au chap. vi
de la dernière partie du Defensor pacis (p. 2o5) , où la théorie du pou-
voir des clefs est accompagnée de fréquents renvois au livre de Pierre
Lombard*^'. Les citations du Defensor pacis se succèdent ensuite
presque à toutes les phrases. Mais bornons-nous à relever les passages
où l'auteur se donne expressément comme l'auteur du Defensor : De
quibus omnibus et aliis plarimis et paupertate Christi et apostolorum seriose
tractavimus 12", 13" et là" II' (fol. 7 1 v"). . . Qnid autem dijferant prœcepta
tam ajffirmativa (juam negativa, qiiœ prohibita vocari soient, et cjiiœ permissa
legibus atfjiie consilia, sujficienter diclum est nobis II" Defensoris, cap. 8"
at(jne 12° (fol. 78 v")...***'. Dico prioritatem B. Pétri ab alioriim aposto-
tait la composition du De Translatione Imperii.
Il est difficile de supposer qu'à cette date il ait
pu recevoir les instructions du roi des Romains.
''' Voir plus haut, p. SyS et 6o4.
<*' C'est ïincipit de l'ouvrage : « Quoniam
«autem in prioribusrecitavimus, juxtaMagistri
« Sententiarum intentionem , potestotem quam-
• dam ligandi atqne solvendi sacerdotem ha-
« bere ...»
''' « Secundum mentem Magisfri Senlen-
« tiarum . . . dicamus quod . . . Quod autem prœ-
« dicta Christus operetur probnt Magister...
« Quod autem hoc facint Deus ante omnem sa-
<< cerdotis actionem , deducit Magister ex dictis
Il Augustini . . . Consequenter autem repetit Ma-
il gister auctoritates Psalmistœ atque sanctorum
« prius adductas. »
w Cf.Goldast, II, ail, 322, 223.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 607
lorum electione processisse sive consensu, cjnemadmodam dixit Anacletus,
et ejus seriem induximus 16° II'. . . ''' Aut eorum valentwr pars, guemad-
modiim diximus et demonstravimns 12''I'^^\.. De reliqiiis vero ex (juibus
integrari seu constitai deheat générale Concilmm jidelinm christianorum ,
dictum est nobis 21" IV (fol. 76 v°)... Quorum etiam diffinitio et diffe-
rentia sujficienter dicta sunt nobis in Defensore pacis, divisione II", capi-
tulo 12' (fol. 76 v°). Enfin le traité se termine par cette dernière
phrase qui reproduit le titre dont a fait choix Marsile de Padoue : De
(juibus omnibus, siippositis vel probatis, et commemorata et etiam expîicata
suntplura in hoc tractatu, ex majori Pacis Defensore pro necessitate tam
secfuentia (jiiam dedncta : propter (jiiod Defensor minor deinceps vocabitur
tractatus iste. Amen. Laus Deo!
La question d'authenticité étant ainsi tranchée, il est à peine besoin
de faire observer que la forme et le fond du Defensor minor dénotent
une étroite parenté avec le Defensor pacis. On y remarque seulement
l'absence presque complète de citations d'Aristote'^'; c'est peut-être que
Marsile était, cette fois, privé de la collaboration de Jean de Jandun.
En tout cas, il est évident qu'à un moment qu'il reste à préciser, Mar-
sile de Padoue éprouva le besoin de compléter son grand ouvrage
par un certain nombre d'éclaircissements sur plusieurs points parti-
cuhers.
Ces points sont les suivants : la juridiction ecclésiastique; la péni-
tence, les indulgences, les croisades et les pèlerinages; les vœux; l'ex-
communication et l'interdit; la primauté du pape; le pouvoir légis-
latif suprême du peuple romain et de son prince; le Concile général;
le mariage et le divorce.
Après avoir de nouveau distingué la loi divine, émanée de Dieu et
n'ayant de sanction que dans l'autre monde, et la loi humaine édictée
par le peuple, munie de sanctions dès cette vie, Marsile de Padoue
déclare qu'il n'est au pouvoir d'aucun homme de rien changer à la
première, soit par des retranchements, soit par des additions. Ainsi,
d'une part, aucun homme ne saurait accorder de dispense au sujet de
l'application de la loi de Dieu; d'autre part, aucun homme, fût-ce
le pape, ne saurait intimer aux fidèles de commandement ou de dé-
<"' Cf. Goldast, n, a 44- ''' Nous en avons relevé une cependant,
(') Cf. Goldast, II, 169, 170. fol. 76 r°.
608
JEAN DE JANDUN ET M\RSILE DE PADOUE.
fense, par exemple, prohiber l'emploi de certains mets, interdire les
œuvres serviles en vue de la célébration d'une fête , etc. '*^.
En ce qui concerne la loi humaine, Marsile de Padoue dénie à tout
membre du clergé, fût-il évêque, le pouvoir d'en rien retrancher ou
de dispenser de son application : ce droit n'appartient qu'au roi des
Romains, en tant que « législateur humain »'^l Ni le pape, au moyen
de ses bulles et de ses décrétales, ni aucun évêque, prêtre ou diacre,
ni aucune assemblée d'ecclésiastiques ne sauraient s'arroger un tel
droit. Marsile de Padoue répète ici, ce qu'il avait dit déjà, que le
pape, non plus qu'aucun membre du clergé, ne peut exercer en ce
monde de juridiction coactive sur aucun homme, clerc ou laïque, cet
homme fût-il un hérétique. Ses déclarations à cet égard n'ont jamais
été plus nettes : se plaçant dans l'hypothèse où soit la majorité, soit
l'universalité des fidèles, soit le prince lui-même, voudraient renier la
foi de Jésus-Christ, il se demande si les prêtres devraient les en em-
pêcher, et il répond hardiment : non'^M Quant à l'évêque de Rome et
aux autres ministres de Dieu, ils sont eux-mêmes personnellement et
réellement soumis à la juridiction séculière de ceux qui tiennent leurs
pouvoirs du «législateur humain ». Ces considérations amènent Mar-
sile à protester vigoureusement contre les prétentions contraires du
clergé: « C'a été depuis longtemps une cause de discordes perpétuelles
« entre les chrétiens, et cela continuera de l'être, tant qu'on n'aura point
« dépouillé entièrement les clercs de cette puissance usurpée '''l »
Dans le Dejensor pacis^^\ Marsile avait seulement manifesté, au
sujet de la pénitence, quelque disposition à restreindre le rôle du
prêtre, en s'appuyant sur Pierre Lombard et sur Richard de Saint-
'*' Voilà, ajoute-t-il, — et, en cela, il n'est
plus bien conséquent tivec lui-même, — qui
serait du ressort du « léL'islateur humain » , du
Concile général de tous les fidèles chrétiens ou
de leurs représentants (fol. 73 v").
''' « Unde per necessitatem sequitur quod
« nullus pra;fatorum ministrorum ecclesiastico-
«Tum auctoritatem habet dispensandi aut rela-
« xandi aliquid in contrarium prœceptoruni aut
« prohibitorum humana lege, sed talem dis-
« pensationem seu relaxationem ad Romanum
«principem, in quantum legislatorcm huma-
« num et auctoritatem, solummodo pertinere.»
(Fol. 70 V".)
P' « Interrof,'aati vero, si tota nmltiludo fide-
« lium aut ejus valentior pars vel princeps decli-
« nare a fide Christi vellent, aut declinarent de
« facto, utrum por sacerdotes aut ipsorum coHe-
« giuin in contrarium deberent aut ])oss«nt ar-
» ceri , dicendum utiquequod non. » ( Fol. 7 1 r°. )
'*' « Et dudum hactenus fuit et erit causa
» dissensionis perpetai; inter Christi fidèles, nisi
« a prii'Iatis clericis hujusmodi usurpata potestaa
« sive auctoritas totalitcr auferatur. » [Ibid.)
('1 11, VI, p. ao5, ao6. Cf. H.-Ch. Lea,
A Ilistory of atiricular confession and indal-
yences in tlie latin Ckurdi (Philadelphie, 1896,
in-8°), t. 1, pviSg.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
609
Victor. Cette fois, il énonce des idées toutes nouvelles sous sa plume.
A s'en tenir aux textes de l'Ecriture, dit-il, l'accusation des péchés à
un prêtre n'est pas nécessaire, mais seulement utile pour le salut,
rentre, en un mot, dans la catégorie non des préceptes, mais des con-
seils: il suffit de se confesser à Dieu, avec le repentir et le ferme pro-
pos. C'est ce qu'il établit à l'aide de citations des Psaumes, de saint
Mathieu et de saint Jacques, en interprétant à sa manière les témoi-
gnages embarrassants de divers Pères de l'Eglise, notamment de saint
Jean Chrysostome et de saint Augustin''*. Cependant la jîortée pra-
tique de cette doctrine, qui semblait conduire directement à l'aboli-
tion de la confession, comme le voulaient les (îathares etlesVaudois,
se trouve restreinte singnlièrement par la concession que Marsile croit
devoir faire : la confession, sans être un précepte divin, peut être une
institution humaine; c'est-à-dire qu'elle peut avoir été prescrite par
le Concile général ou par l'Eglise universelle, et les commandements
de cette sorte obligent les fidèles, même sous peine de péché mortel,
tant qu'ils n'ont point été révoqués'^'. Voilà donc la confession main-
tenue dans l'Eglise, au moins à titre provisoire : Marsile s'incline de-
vant la pratique consacrée, notamment par la décision du quatrième
(Concile de Latran'^l
En dépit de l'autorité de Pierre Lombard, notre auteur conteste
aux prêtres le droit d'imposer des pénitences. On peut, dit-il, proba-
biliter s'écarter, sur ce point, de l'opinion du Maitre des Sentences,
en présence du silence de l'Ecriture. Le pécheur, ajoute-t-il, qui con-
fesse sa faute et qui s'en repent est visiblement absous de la damna-
'■' iNos autem dicamus secundum Sacram
« Scripturam nequaquam posse convinci talem
« confessioneiu peccatorum fiendam sacerdoti-
« bus esse de necessitate salutis aeternae , sed uti-
• lem et fortasse expedîentem , sicut Sacrae Scrip-
« turae consiiiuni , non praeceptum : sed sufficit
« soli Deo confiteri peccata ipsa in recognoscendo
« et de ipsis pccnitendo , cum proposito taie
« ulterius non committendi. Sic enim legimus
« Psalmistam dixisse atque fecisse [ix, a] : Con-
«fitebor tibi. Domine, ex tolo corde meo; et rur-
«sum psalmo [cv, i ] : Confitemini Domino qui
« honiis, etc. Amplius, sic Christum dixisse legi-
« mus atque fecisse , cuin , Matth. xi , dixit :
« Confiteor tibi. Domine, patri cœliet terrœ, cum
« reliquis similibns plurimis quae in Scriptura
Il reperiuntur intuentibus eam. Nec obstat etiam
«quod inducunt ex Jacobi idtima. Non enim
Il dixit Jacobus : Confitemini sacerdoti; sed: Confi-
« temini alleratrum peccata ve.stra, indiflFerenter
Il loquens ad Christi fidèles; et fuit verbum
«consilii, non priecepti. Ubi glossator quidam
« dicit : Coiifitemini alterutrum peccata vestra ad
usuperhiam evitandam. . . » (fol. 72 v").
''' « Obligantur Christi fidèles ad hujusniodi
« praecepta et humana statuta per Concilium
t générale , quamdiu revocata non fuerint, prop-
« ter quod liumanie leges sunt , et propter
ocommunem utilitateni» (fol. 78 r°).
''' Can. 21 : Oninis atriusque sexas. . .
IlIST. LITTEH. XXXIII.
77
610
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
tion éternelle, quand bien même il n'effectuerait en ce monde aucune
satisfaction. 11 est vrai que, suivant la croyance universelle, il serait
puni plus gravement ou plus longuement dans l'autre monde, mais
non pas éternellement*'*.
La question des indulgences entraîne Marsile de Padoue à dire son
sentiment sur les croisades et les pèlerinages. Il déclare illicite d'ame-
ner de force les infidèles à la foi (ce dont on convenait volontiers,
mais ce qu'on n'énonçait pas toujours aussi franchement'"^') ; partant,
un voyage d'outre-mer ayant pour but de convertir les infidèles par
le glaive ne serait nullement méritoire, necjuacjaam meritorius. Au con-
traire, il admet la légitimité et même le caractère méritoire d'une
expédition guerrière qui aurait pour but de soumettre les infidèles à
la domination du prince et du peuple de Rome, parce que ce serait,
suivant lui, une œuvre tendant à la paix et à la tranquillité du
monde ^^K Ainsi il proclame le droit de conquête s' exerçant en faveur
de son prince (le roi des Romains); mais il réprouve formellement
toute guerre ayant un caractère de prosélytisme religieux.
Quant aux pèlerinages entrepris par les pécheurs à tel ou tel sanc-
tuaire, comme témoignage de respect envers les saints, ils peuvent
être méritoires; pourtant ce serait amasser cent fois plus de mérites,
aux yeux de Dieu, de distribuer aux veuves, aux orphelins, aux ma-
lades et aux pauvres l'argent que coûtent ces voyages. D'ailleurs, ni
évêques ni prêtres ne peuvent mesurer l'effet de telle ou telle oeuvre :
cela regarde Dieu seul, qui connaît les sentiments du pécheur, sonde
le cœur du pénitent, et apprécie la quantité, la qualité de ses mérites,
comme de ses démérites. Il pourrait bien y avoir là une négation du
principe des indulgences, différente du simple doute qu'émettaient
timidement un Guillaume Durand*** ou un Durand de Saint-Pour-
çain
(5)
Le vœu étant une promesse solennelle librement faite à Dieu ou
''' « Unde satisfactionem facere in hoc seculo
« pro peccatis est consilium , non prseceptum »
(fol. 73 V').
'•' Pour une autre raison , Raymond Lulle
déconseillait ia guerre contre les infidèles :
c'est qu'il en reconnaissait l'inefficacité , et qu'il
se flattait d'obtenir de meilleurs résultats par la
persuasion [Hist. Utt. de la Fr.. XXIX, a 33).
'■''' • Sed , si fieret talis transitas ultrama-
0 rinus pro cogendis infidelibus ad obedien-
« tiaui principis et populi Romani in praeceptis
ncivilibus et tributis debitis exhibendis . . . ,
« talis transitus , ut puto , meritorius esset cen-
« sendus, quoniam ad pacem et tranquillité tem
« omnium universaliter viventium ordinatus »
(fol. 73 V').
<*' Spectil. , lib. IV, partie, iv, n" 1 a .
I*) In IV Sentent., dist. XX, qu. nr, $ i-g.
JEAN DE JANDLN ET MARSILE DE PADOUE. 611
aux saints, l'accomplissement en doit être sanctionné par une peine :
peine civile, si cette promesse comporte une obligation envers d'au-
tres hommes, peine réservée à l'autre vie, si cette obligation ne re-/
garde que Dieu. En tout cas, si le vœu est simple, non conditionnel,
c'est-à-dire non subordonné à l'assentiment de tel ou tel, il n'est au
pouvoir d'aucun évêque, fût-ce celui de Rome, de dispenser de
l'exécution. Ici Marsile songe peut-être au pape Clément V, à qui les
Spirituels avaient contesté le droit de dispenser de l'exécution stricte
du voeu de pauvreté. Mais il ajoute aussi qu'aucun religieux, moine
ou Mendiant, ne saurait être tenu d'observer une promesse ou un
vœu faits par ses frères en religion relativement à la règle, et que lui-
même n'aurait point faits lors de sa profession, à moins que ce ne
soit une conséquence nécessaire de la règle qu'il s'est engagé à ob-
server'•'; et, cette fois, on se demande s'il ne se prononce pas contre
les Spirituels, qui voulaient imposer à tous les frères Mineurs les aggra-
vations de discipline qu'ils jugeaient plus conformes à l'esprit de Saint-
François.
Marsile répète ici, ce qu'il avait dit déjà dans le Defensor pacis , que
l'excommunication, entraînant un préjudice civil, ne saurait être pro-
noncée par un prêtre ou un évêque , ni par une assemblée de prêtres
ou d'évêques, ni même par le pontife de Rome, sans le consentement
de la multitude des fidèles du lieu ou de la partie la plus notable de
cette multitude. Mais il insiste aussi sur d'autres points : l'impossi-
bilité de justifier parla Sainte Ecriture le châtiment de l'excommuni-
cation, ce fait de priver un pécheur, quels que soient son péché ou son
crime, du bénéfice des prières de l'Église, des suffrages des saints,
l'impossibilité également d'établir sur des textes sacrés le droit pour
les évêques ou les prêtres, ensemble ou isolément, do frapper d'in-
terdit des cités qui refusent de leur obéir f"^'. Enfin il déclare catégori-
quement : tout évêque ou prêtre commet im péché mortel quand il
prive de la célébration du saint sacrifice, de la prédication de la parole
de Dieu ou de tout autre secours spirituel une population chrétienne
désireuse d'entendre cette parole , d'assister à ces messes, de recevoir
ces sacrements'^'.
Sur la question de la primauté de saint Pierre , il renvoie à ce qu'il
<'' Fol. 74 r°. — (') Fol. 74 v°. — I») Fol. -jb r°.
77-
612 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
en avait dit dans le Defensor pacis. Mais il y ajoute ces curieuses ré-
flexions :
« Je dis que cette croyance peut être admise par tous ies fidèles
« comme une coutume et une tradition, mais non comme un dogme
« nécessaire au salut éternel. Ainsi l'Église universelle dit et peut
«dire, suivant une coutume et une tradition auxquelles l'évéque de
«Rome et le collège de ses clercs ont donné ou, du moins, ont pu
H donner naissance, que saint Pierre et l'Eglise romaine ont eu cette
« prééminence sur le reste des évêques et des prêtres et sur toutes
«les autres Églises, soit qu'on se soit imaginé que tel était le sens
« de l'Écriture sainte, soit qu'on ait voulu, dans une intention pieuse,
« favoriser f unité de l'Église par cette exacte subordination. Mais je
« ne me souviens d'avoir lu aucun passage de fÉcriture qui prouve,
« directement ou indirectement, que Jésus-Christ ait fait lui-même
« cette concession de prééminence à saint Pierre ou à l'Eglise de Rome.
« Or, il n'est pas nécessaire pour le salut de croire ce qui n'est pas
«article de foi, ce qui n'est pas ordonné par la Sainte Ecriture.
«Rachetés par Jésus-Christ, qui a toujours été le chef de f Église,
« les fidèles peuvent faire leur salut sans croire que saint Pierre ait
« été le chef de l'Église , ou que l'Église de Rome soit à la tête des
« autres Églises. Si saint Pierre avait eu quelque supériorité sur les
«autres apôtres, cela pourrait s'expliquer par une raison de conve-
« nance, saint Pierre, le plus respecté des apôtres, ayant siégé en qua-
« lité d'évêque à Jérusalem. . . De même la primauté de l'Église romaine
« s'expliquerait par cette même convenance, ou par la tradition , ou par
« une constitution du Concile général des fidèles chrétiens, ou par la
«volonté du suprême législateur humain, bien qu'à vrai dire, cette
«primauté semble plutôt convenir à l'Église de Jérusalem, où ont
«siégé, comme évêques, d'abord le Christ, le premier des pasteurs,
«puis, avant de siéger à Rome, le plus illustre des apôtres... 11 en
« est donc de cette primauté concédée en fait à l'évéque et à l'Église
« de Rome par le suprême législateur humain fidèle, comme de tous
« les règlements des Conciles généraux concernant la discipline ecclé-
« siastique, la paix et la tranquillité des chrétiens : les fidèles doivent
« les observer, mais ne sont nullement tenus, sous peine de damnation
«éternelle, de les croire utiles et convenables pour tous les temps,
« attendu qu'ils peuvent fort bien être révoqués, en totalité ou en partie.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
613
a par le même Concile, quand les circonstances viennent à se mo-
« difier ■'•. »
11 était souvent arrivé à Marsile de Padoue de parler, dans le De-
fensor pacis, du «suprême législateur humain», et l'on comprenait
par là le plus souvent le peuple, l'universalité ou la fraction la plus
notable des citoyens. Mais de quel peuple s'agissait-il? C'est ce qu'il
n'expliquait pas clairement, et l'on pouvait croire qu'il parlait de n'im-
porte quel peuple indifiFéremment. Ses déclarations ici sont bien plus
nettes. Il n'y a, décidément, qu'un peuple qui compte à ses yeux, il
n'y a même qu'un homme , celui qu'il se plaît à considérer comme le
délégué de ce peuple. Ecoutons-le plutôt : « Depuis l'avènement du
« Christ, et peut-être depuis une époque quelque peu antérieure, » —
Marsile semble songer ici à l'établissement de l'Empire romain, — «le
li suprême lécjislateur humain n'est autre que l'universalité des hommes
«auxquels s'appliquent les dispositions coercitives de la loi, ou la
«partie la plus notable, valentior, de cette multitude, dans chaque
«pays, dans chaque province. Mais, comme l'universalité des pro-
« vinces, ou la partie la plus notable, valentior, des provinces, a trans-
«féré cette autorité législative au peuple romain, à i-aison de la
« supériorité de sa force ou de sa valeur, propter excedentem virtutem
'"' « Dico talia posse credi a tidelibus omnibus
• propter consuetudinem seu fainositatein jain
« dictam , non tamen de necessitate salutis
« aetemae. Ex hoc modo dico quod dicit et dicere
« potest Ecclesia universalis , secundum consue-
• tudinem et famositatem quae ortum habuit seu
« habere potuit a Romano episcopo et suorum
« collegio clericorum , quod B. Petrus et Ecclesia
« Romana prioritates praefatas habuerint super
• reliquos omnes episcopos et sacerdotes et Ec-
« clesias universales , hoc forte credentes Scriptu-
« ram sentire , vel fortasse pia quadam intentione ,
• ut ad unitatem Ecclesias Christi deducerent
• facilius observandam et reliquas Ecclesias ad
«obedientiam superiorum facilius induce[rent].
« Unde per Scripturam non memini me legisse ,
« neque per aliquid quod ad Scripturam per ne-
« cessitatem sequatur, praefatas prioritates B. Pe-
« tro aut Ecclesiae Romanae per Deum sive Chris-
« tum immédiate concessas , propter quod ea
• crederem : quoniam non sunt articuli fidei atque
« praecepta Scripturae , non est de necessitate sa-
• lutis aetemae. Redempli namque per Christum
« fidèles , qui caput fuit et est semper Ecclesiae ,
« salvari possunt absque eo quod credant B. Pe-
« trum fuisse caput Ecclesiae aut Romanam Eccle-
« siam aliarum principaliorem et caput. Et si
« aliquaprioritas B. Petro super apostolos conve-
« niret aut convenisset , et Ecaesiae Romanae super
« rehquas, ex congruentia quadam, quia B. Pe-
« trus, qui reverentiorinterapostoloshabebatur,
B Jherosolimae sedit episcopus, dico prioritatem
« B. Pétri ab aliorum aposlolorum electione pro-
■ cessisse sive consensu. . . Sic igitur prioritatem
« Romanae Ecclesiae super reliquas a congruitate
ajam dicta fortasse vel a traditione seu constitu-
« tioneConciliigeneralisfideliumchristianorum,
« vel ab humano et supremo legislatore dicimus
«proce8sisse;qunmvis,secundumcongruentiam,
« talis prioritas Ecclesiae Jerosolomitanie luagis
« videtur deberi, uno quidem quoniam princeps
«pastorum, videlicet Christus, ibidem sedit
utanquam episcopus, et apostolorum famosior,
«cum reliquis duobus famosioribus apostolis,
« priusquam Romac , ibidem rexit et officium
1 pastoris exercuit. . . p (fol. 7.") v°).
614
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
« ipsius, le peuple romain a eu, et a aujourd'hui encore le droit d'édicler
II des lois pour toutes les provinces du monde. Enfin, si le peuple
« romain a transféré à son prince le pouvoir législatif, il faut dire
« également que ce pouvoir appartient au prince des Romains. Cette
« autorité législative du peuple romain et de son prince doit durer
« et durera, suivant toute raison, tant que l'universalité des provinces,
« d'une part, le peuple romain , de l'autre, n'auront pas révoqué les
« pouvoirs par eux transmis : et j'entends une révocation régulière,
«faite, après délibération, soit par l'universalité des provinces ou
« par leurs délégués ou par la partie la plus notable des provinces,
«soit par le peuple romain'^'. » En somme, ce que nous n'avions fait
que présumer, avec grande vraisemblance, à la lecture du Defensor
pacis, est énoncé ici avec une clarté parfaite : la théorie démocra-
tique de Marsile de Padoue aboutit à la proclamation de l'omnipo-
tence impériale'^'. C'est l'idée chère aux partisans de l'Empire, que
le monarque allemand est le légitime successeur des Empereurs
romains
(3)
Quant au « Concile général des fidèles chrétiens » , Marsile renvoie
ici à ce qu'il en avait dit dans le Defensor pacis , et cite, de plus, une
opinion vers laquelle il semble incliner, suivant laquelle aucun Con-
cile ne mériterait le titre de « général » , à moins que l'Eglise grecque
n'y eût été convoquée. En réalité, fait-il observer, la croyance des
Grecs au sujet de la procession du Saint-Esprit ne diffère point de
celle des Latins : c'est une simple querelle de mots. Les Grecs ne doi-
vent donc pas être rangés parmi les schismatiques, — c'est « parmi les
« hérétiques » qu'il devrait dire , — bien que févêque de Rome et son col-
lège de cardinaux ne se fassent point faute de leur appliquer, sans
grand profit, cette épithète. C'est à quoi doivent mettre ordre le peuple
romain et son prince : il faut convoquer un Concile des Grecs et des
Latins, comme a fait le premier Constantin; il faut que, par le moyen
'*' Fol. 75 v°. — 11 définit encore, au fol.
77 r", le législateur de la façon suivante : « Est
« etiam similiter secundum legem humanam
« legislator, ut civiutn universités aut ejus pars
« valentior, vel Romanus princeps summus, Im-
« perator vocatus. »
C Ce sont presque les derniers mots du
Defensor minor : « Et quod factorum anctoritas
« et coactiva potestas sit universitatis civium
«aut imperantis primi principis, Romanorum
« Imperatoris vocali , et per veras raciones hu-
i< manas et per Sacram Scripturam sive legem
a divinam christianam ac dicta sanctorum expo-
« nentium ipsam, necnon per cronicas et appro-
« bâtas historias, evidenter monstratum est in
n Defensore pacis » (fol. 80 v°).
'^ Cf. P. Viollet, Hist. des institut, polit, et
administr. de la France, II, aa5, 3a6.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE. 615
de ce Concile, ce schisme ou, du moins, cette apparente division
prenne fin, et que l'Église soit ramenée à l'unité chrétienne, non seu-
lement de doctrine , mais de symbole '''.
A propos du mariage , Marsile se demande à quel juge appartient de
prononcer l'annulation requise par un des deux conjoints ou par l'un
et l'autre en même temps. Il laisse aux évêques, aux prêtres, aux doc-
teurs en droit canon le soin de statuer théoriquement sur telle ou telle
cause de nullité, en d'autres termes, de décider si le mariage dans
telles ou telles conditions est prohibé par la loi divine, si, par exemple,
l'impuissance constitue un motif suffisant de « divorce »; mais il reven-
dique pour le pouvoir séculier le droit de trancher les questions de
fait et de prononcer sur ces matières des jugements coactifs''^'.
Après avoir remarqué que les empêchements inscrits dans la loi
mosaïque ne subsistent pas tous dans la loi de Jésus-Christ, il essaie
de prouver que les empêchements actuellement invoqués, par exemple
ceux qui proviennent de la consanguinité, font partie de la loi hu-
maine, et il en conclut que le droit d'accorder des dispenses à ce sujet
n'appartient qu'au « législateur humain » ou à celui qui gouverne par
son autorité, au prince des Romains, à l'Empereur. Il déclare, d'ail-
leurs, pur sophisme le raisonnement consistant à dire que, les mariages
prohibés par la loi divine entraînant à des péchés mortels , la connais-
sance en doit appartenir aux ministres de Dieu '^'.
Nous en avons dit assez pour qu'il soit possible de déterminer, avec
uelque vraisemblance, la date de la composition du Defensor minor.
e n'est pas avant d'être entré effectivement au service de Louis de
Bavière que Marsile de Padoue a pu donner d'une façon aussi nette à
sa conception du « législateur humain » cette forme concrète : « l'Em-
«pereur». D'autre part, ce n'est pas après tous les déboires essuyés
dans la seconde partie de l'année iSsS, et alors que le Bavarois, ex-
pulsé de Rome et retourné piteusement en Allemagne, n'avait plus
grand fond à faire sur l'amitié des Romains, que notre auteur aurait
développé ce système paradoxal du peuple romain seul dépositaire
depuis treize siècles de la puissance législative universelle : singulier
rêve qui avait déjà pris corps au xii*^ siècle dans l'imagination d'Ar-
naud de Brescia, mais auquel la réalité n'avait point cessé d'infliger
Cl Fol. 76 T". — (•) Fol. 77 v». — (') Fol. 80 r°.
?
616 JEAN DE JANDUN ET M.\RSILE DE PADOUE.
le plus continuel démenti. L'idée de reconnaître aux habitants des
Sept collines le pouvoir de donner des lois à l'univers n'a pu germer
dans l'esprit de notre auteur qu'au moment où son protecteur Louis
de Bavière se flattait, avec l'appui apparent des Romains, de renverser
le pape régnant et de fonder un nouveau gouvernement de l'Eglise.
Cela nous reporte aux premiers temps du séjour de Louis à Rome,
époque de succès faciles et d'espérances sans limites. En proie aux plus
folles illusions, Marsile de Padoue a pu alors concevoir aussi le projet
d'un Concile œcuménique se réunissant à la voix de l'Empereur pour
terminer le schisme grec, et même d'une expédition d'outre-mer
aboutissant au couronnement de Louis comme roi de Jérusalem : de
là l'approbation donnée, dans le Defensor minor, à ce genre de croisade
intéressée. Il n'est pas jusqu'à cette déclamation violente contre l'usage
de l'interdit, dont nous avons cité quelque traits, qui ne convienne à
une époque où Marsile de Padoue, vicaire impérial à Rome, pour-
suivait impitoyablement les clercs coupables d'observer l'interdit mis
sur la ville par le pape Jean XXII. Les premiers mois de 1828 sem-
blent donc être, suivant toute apparence, la date de la rédaction de ce
traité, ou du moins de la majeure partie de ce traité, qui complète,
d'une façon si curieuse, les développements depuis longtemps connus
du Defensor pacis.
En ce qui concerne seulement le dernier chapitre, consacré au
mariage et au divorce, on peut concevoir un doute. Ce chapitre
contient des théories qui trouvèrent leur application quatorze ans
plus tard, en i342; si bien qu'on peut, à la rigueur, admettre qu'il
ne fut rédigé qu'en vue de circonstances dont il va être question.
Toutefois, comme ce chapitre servit en i342, ainsi qu'on va le voir,
à composer un autre mémoire spécialement adapté aux circonstances
du moment, il nous paraît plus naturel de supposer que, dans sa
forme originale, il remonte à l'époque où furent rédigées les autres
parties du Defensor minor, c'est-à-dire à iSaS *''.
'"' M.i.Sviliyan{TheEngliskhistoricalReview, s'être portée que sur ce dernier chapitre, a cru
1905, p. 3o5), <|ui, a pris connaissance du devoir assigner la date de i3/i2 il la composi-
DefensoT minor, mais dont l'attention ne semble tion de tout l'ouvrage.
JEAN DE .I\ND11N ET MAHSir.K DE PVrM^liË.
017
3" De jvRisnicTioNE Imperatoris m causa matrimonial!.
A quelques années de là, Louis de Bavière, convoitant pour son
fils Louis, margrave de Brandebourg, l'héritage du Tyrol, lui fit
épouser la comtesse Marguerite à la Grande bouche, dont le mariage
avec Jean , (ils du roi de Bohême, avait dû être préalablement annulé
ou plutôt considéré comme nul ( lo février iS^^)- Ce fut l'occasion
de divers mémoires, dont fun porte, notamment dans le ms. b 35
de Brème, antérieur à i 36o, le nom de Marsile de Padoue.
Inc. : Ad ainpiiorem i-videntiani tani dictoium quam ot dicendorum, ad ledar-
guendum quoque voces. . .
C'est une sorte d'apologie mise dans la bouche de fEmpereur,
établissant qu'à lui seul appartient de statuer sur les causes matri-
moniales''l Elle est accompagnée de deux actes impériaux non datés,
l'un prononçant le divorce entre la comtesse de Tvrol et Jean, fils du
roi de Bohême, pour cause d'impuissance de ce dernier'""', l'autre ac-
cordant dispense de consanguinité à Marguerite à la Grande bouche
et à Louis, margrave de Brandebourg'^'.
L'opinion la plus vraisemblable veut que ces actes soient de simples
projets, composés par Marsile de Padoue antérieurement au second
mariage et présentés par lui, en même temps que son mémoire,
à Louis de Bavière, qui, d'ailleurs, n'adopta point la procédure qu'ils
indiquaient, jugée sans doute trop radicale'*'.
En ce qui concerne l'authenticité de ces écrits, il est impossible de
soutenir, comme on l'a fait jadis, qu'ils sont de la fabrication de l'édi-
teur Goldast. On y a reconnu sans peine les idées et jusqu'aux ex-
pressions favorites de Marsile de Padoue. Mais ce qu'on ignore, c'est la
'"' Elle a été publiée une première fois par
Freher, en 1598 (in-d"), sou» le titre Ludo-
vicilIII senleittia separationis inter Margaretnm,
ducissam Caiintliiœ , et Johannem .régis Bohemite
Jilium..,, cuiii consaltationibus et responsis . . .
Menandrini de Padiia et Giiilbelmi Occami ....
puis par Goldast, op. cit., t. Il, p. 1286-
lagi.
(') Goldast, ][, 1283.
P' Ihid.. p. 1285.
HIST. I.lTTRIl. ■ XXXIII.
'*' Bôhmer. Regesta Impeni,Die Urkund. K.
Ludwigs des liaiern (1839), p. iSg; Riezler,
op. cit., p. 234-24o, et llistorische Zeitschrijï ,
1878, p. 328; P. Sclipirer-Boichorst, Jenaer
Litteratiirzeitniig , i884, n" 43, p. 674 etsuiv.;
K. Millier, t. II, p. iSg, 160; H. Tlieobald,
Neues Archiv, XXUI, 1898, p. 772; cf. Sul-
livan, The Americ.histor. Rev.,U, p. 4i2; Tlie
Engl. histor. Rev., 190.5, p. 3o5; A. Huraut,
p. 2 1 .
78
618 JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PAIX)DE.
façon dont , pour les composer, Marsile s'est servi d'un de ses ouvrages
antérieurs : nous parlonsde ce traité, jusqu'ici inconnu, dont la rédac-
tion, si nos conjectures sont exactes, remonterait à i3'i8. Le projet
d'acte de dispense pour le mariage de Marguerite et de Louis margrave
de Brandebourg est, en grande partie, composé d'extraits du Defcnsor
minor. On en trouve de plus longs encore dans la dissertation elle-
même. C'est presque tout son chapitre relatif au mariage que Mar-
sile a replacé ici, en en modifiant à peine quelques tournures de
ph
rases
(1)
VII
L'influence exercée par Jean de Jandun et Marsile de Padoue s'est
prolongée longtemps après leur mort.
C'est principalement comme philosophe que le premier a survécu.
Le succès de ses commentaires d'Aristote et d'Averroès, particuliè-
rement en Italie, est attesté par le grand nombre de copies qui en
subsistent, par le soin que prirent des philosophes, tels que Vemia et
Zimara, de les publier, parla multitude des éditions qui en parurent,
surtout à Venise, dès les premiers temps de l'imprimerie et pendant
toute la durée du xvi" siècle'"^'. Les éditeurs lui décernaient les titres
d'« homme très perspicace ^^' », de « philosophe clarissime ''*' », « très ex-
« cellent *^' » ou « très pénétrant'^' » , ou bien encore de • très éminent*'^ »
et « très perspicace péripatéticien *"* ». Encore au xvii® siècle. César Cre-
monini, le dernier représentant de la scolastique averroïste, faisait de
Jeande Jandun un usage journalier et volontiers lui empruntait le texte
de ses leçons '^^.
Mais ce succès d'école obtenu par les écrits philosophiques de Jean
de Jandun n'approche pas du retentissement prolongé qu'eut la publi-
'"' Au sujet de la part qxie Marsile de Pa- orhis , éd. de Vicence, i486; le» Qaœstiones sii-
douea pu prendre à la rédaction du document per III lihros de Anima, éd. de Venise, iiii)3-
commençant par les mots Fiilem catholicnm ''' Même ouvrage, éd. de Venise, 1497.
publié par Louis de Bavière le 6 août i338, '*' Quœstiones saper VIII librns PhYsicorum,
voir J. Sullivan, The Engl. histor. Rev., 190.^, éd. de Venise, i55a.
p. 3o6, 307. ''' Qaœstiones super III Ubrof de Anima , éd.
<*' Voir plus haut, p. 537, 542. 543, 54fi . de Venise, 1497.
55a, 554,556. '*' Quteslioncs super Parvis naittralibiis , éd. de
''' Qntestiones de Cielo el niando, éd. de Ve- Venise, i5o5; Qnœstiones in XII libros Meta-
nise, i5oi. physicoram, éd. de Venise, i553.
'•' \oiT]eiQnœstionessttperlibrodeSnbstanlia <*' Renan, v4renw,«, p. 4io.
JE.\N DE JANDUN ET MARSILE DE PADOUE.
619.
cation du Defensorpacis. Nous ne parlons pas du Defensor minor, qui
semble avoir été vite oublié.
Ouvrage presque sans précédent, — car, quoi qu'en ait dit le pape
Clément VI'*', nos auteurs ne devaient rien à Occam<'''\ — ■ le Defensor
imcis, écrit en i324, provoqua, à partir de 1826, un scandale à peu
près ininterrompu. On se souvient des condamnations portées contre
le livre et les auteurs par la cour d'Avignon.
La mort de Jean (le Jandun, qui, d'ailleurs, semble avoir passé
inaperçue en France, n'interrompit pas l'effet du ressentiment de
Jean XXII. Il nomma les deux maîtres et rappela leur rôle dans des
lettres du 3 mai et du 25 juin i^ag*^', du 22 juillet i33o'"' et du
/( janvier i33i '^K Le 3o mai 1829, il avait ordonné au chantre de
Paris de faire de nouveau publier le procès de Jean de Jandun
el de Marsile de Padoue, ces « détestables hérétiques » , en même temps
que ceux de Louis de Bavière et de Pierre de Corbara '*'. L'ordre fut
exécuté le 1 1 juin, et, à l'issue de la cérémonie, le provincial des frères
Mineurs de France prit la parole, au nom du chapitre général alors
assemblé à Paris, pour donner aux sentences pontificales son entière
approbation'*''. On a prétendu, en s'appuyant sur un passage de
Du Boulay, que la Faculté de théologie de Paris avait montré peu
d'empressement à s'associer à cette censure , et qu'elle n'avait finalement
condamné, en i33o, que quatre des propositions relevées par
Jean XXII '*'. Mais il est reconnu aujourd'hui que le document cité
])ar Du Boulay, d'après le premier volume des Conclusions de la Fa-
culté, se rapporte à l'année 1375'"', et que les théologiens de Paris
î'' IMscours du 1 1 jïiillet 1 343 : • Hoc dicl-
« mus propter illum Wilhelnmm Occam , qui
« diverses errores contra polestatem...S. Sedis
« docuit et docet. Et ab illo Guillebiio didicit
« et recepit errores ille Marsilius et multi alii »
(Hôfler, Ans Avignon, p. ao).
''' Voir la dissertation très concluante de
M. Sullivan, The Aiiieric. histor. Rev., II,
p. di8 et suiv.
''' Thés. nov. anecd.. Il, 773, 778.
f Rinaldi , V, 48o.
'^' Thés. nov. anecd., II, 817.
W Chwtul. Univ. Paris.. II, 3a6; Eubel,
Ballarittm Frauciscanum , V, 397.
''' Contin. de Guill. de Nangis, II, 109.
'*' Paris et ses histor., p. 7, 8.
'*' Le registre cité par Du Boiday (IV, a 16)
n'est autre <[ue le Liber censuraruin sacrée
Facultatis récemment acquis en Angleterre
par la Bibliothèque nationale (Nouv. acq. lat.
i8a6); il ne contient que le procès- verbal de
l'enquête conunencée le 1" septembre 1376,
qui avait été publié une première fois par
d'Argentré [Collect. judic. de nov. errorib.,
I, 397), d'après ce registre, et qui l'a été une
seconde fois, d'après l'original, dans le Char-
tal. Univ. Paris. (III, aa3). C'est ce que les
savants éditeurs du Chartularium n'avaient pas
bien aperçu d'abord (II, 3o3), mais ce qu'ils
ont reconnu dans la suite (III, 327, note 5).
78.
020
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOIE.
n'eurent point, en i33o, à se prononcer d'une façon spéciale au sujet
fies erreurs de Marsile de Padoue.
Lorsque l'antipape se soumit, il dut déclarer hérétique, conformé-
ment au jugement de Jean XXII, la proposition extraite du Defensor
pacis qui reconnaissait à l'Empereur le droit de déposer et d'instituer
les papes**'. Le -i i janvier 1 33 1 , le pape , s'adressant aux prélats et aux
inquisiteurs de Provence, prescrivit encore des poursuites contre les
frères Mineurs ou autres qui professaient les doctrines condamnées
du Defensor pacis ''^'. Vers i 3 3 1 , le général des frères Mineurs nommé en
remplacement de Michel de Césène reprocha à celui-ci ses relations
sacrilèges avec les deux maîtres condamnés'^'. Enfin, vers i334, le
cardinal Napoléon Orsini ne projuit de seconder les projets de Louis
de Bavière au sujet de la réunion d'ini Concile général que dans le cas
où l'Empereur remettrait entre ses mains Marsile de Padoue "l Cepen-
dant les doctrines du Defensor pacis étaient vivement prises à partie
])ar Alvaro Pelayo dans son Collynum advenus hœreses^^^ et dans son
De Pldnctu Ecclesiœ, par Alexandre de Sant' Elpidio dans son De Juris-
dictione Imperii et aucloritate Summi Pontijicis. Elles le furent encore,
plus tard, par Conrard de Megenberg dans ses Œconomica^^K
Sous Benoit XII, il est encore beaucoup question de nos deux maî-
tres dans une procuration datée de Nuremberg, le 28 octobre i336,
sorte d'amende honorable dictée à Louis de Bavière par la cour d'Avi-
gnon elle-même. On y fait dire à l'Empereur que, s'il a retenu auprès
de lui Marsile de Padoue et Jean de Jandun, ce n'était point qu'il vou-
lût se mêler de leurs opinions hétérodoxes, mais parce que c'étaient
de bons clercs, qui prétendaient en savoir long sur lesdroits de fEm-
pire : il désirait se servir d'eux et voulait les réconcilier avec l'Eglise.
11 avait eu tort de les laisser parler contre le pape; mais, vivement
attaqué, il avait usé de représailles, il désavouait les cinq erreurs du
Defensor pacis et jurait d'exterminer les hérétiques, s'ils refusaient
de rentrer dans le giron de TEglise ''l
Benoit XII jugea, d'ailleurs, insuffisante la censure du livre de Mar-
sile et de Jean de Jandun faite par son prédécesseur. Il chargea de
''' Thés. iioi\ aiiecd.. Il, 81 3.
C Uinal.li, V,5oo.
*"» 7W.,p. 50").
<*' Hôfler, .4(1.» Aviijnon, ^i. 12.
(•) Voir Rinaldi.V, 353.
<*' O. Lorenz , Deulschlaiids Gcchicliisqiielleii ,
11, 359.
<'' Vatikaiiischc Aklen , p. 64o.
JEAN DE JANDDN ET M.\RSILE DE PADOLE. 021
l'examiner à nouveau le cardinal Pierre Roger (le futur Clément VI),
(lui réussit à y relever plus de deux cent quarante erreurs *''.
Plus tard, devenu pape, ce même Clément VI déclarait qu'il n'avait
jamais, dans ses lectures, rencontré de pire hérétique que Marsilede
'Padoue(^).
En i343, une ambassade reçut de Louis de Bavière la mission de
se rendre à Avignon, d'y confesser ses torts, au nondjre desquels figu-
rait l'appui donné à Marsile de Padoue et à Jean de Jandun, et d'y
maudire, en son nom, les erreurs professées par les deux hérétiques'^'.
Assez tôt, une traduction française du Defensor pacis dut être mise
en circulation , car ce texte français fut lui-même traduit en italien
dès i363. Il subsiste un exemplaire n)anuscrit de la version italienne
dans la bibliothèque Laurentienne de Florence'"'. Cependant l'exis-
tence de la traduction française ne fut révélée qu'assez tard au Saint-
Siège. C'est seulement en i375 que Grégoire XI, recevant une délé-
gation de la Faculté de théologie de Paris, se plaignit fort de la
publicité ainsi donnée à un ouvrage depuis longtemps condamné, qui
pouvait fournir des armes aux ennemis de l'Eglise; ses soupçons
paraissaient se porter sur quelque théologien de Paris. Au retour de
la délégation, la Faculté s'assembla, et une commission fut chargée de
rechercher le coupable. Du i" septembre au 3i décembre iSyô,
quatre réunions se tinrent chez le chancelier Jean de La Chaleur, et
trente et un maîtres en théologie, parmi lesquels les fameux traduc-
teurs Nicolas Oresme et Jean Golein, furent successivement inter-
rogés sous la foi du serment : étaient-ils auteurs de la traduction
française du Dejensor paris? ou du moins savaient-ils qui en était l'au-
teur.^ Tovitesles réponses furent négatives. L'un, Jean de Dieudonne,
exprima même son étonnement et prétendit qu'il n'avait jamais rien
su de cette traduction. Cependant Richard Barbe avait entendu dire
que l'auteur du livre était aussi celui de la traduction française. Pour
mieuxdégager encore leurresponsabilité, quelques maîtres affirmèrent
qu'ils tenaient de leurs anciens que ni Marsile ni Jean de Jandun
<"' Souvenir rappelé par Clément VI le pacie e tranqiiillità dedicalo a Laigi , travaleiite e
lO avril 1343 (Hôfler, Ans Avif/non, p. ao). tiaiiobile Imperadore de' Romani, Iraslatato di
*"' Ibid. franciescoinJiorentinol'annoiStiS. (xv' siècle;
P' Vulikanische Aklen, p. 780. 266 feuillets.) Cf. F. Scaduto, Stato e Chiesa ,
'*' Ms. xi.iv a6 : // libro del Difenditore délia p. lia.
622
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADOLE.
n'avaient jamais pris aucun grade en la Faculté de théologie de
Paris'"'. p
On pourrait suivre encore longtemps l'influence exercée par le
Dejensor pacis , et M. James Sullivan, auteur d'un mémoire inséré dans
ï American historical Review, serait ici le guide le mieux informé. Sans
parler de Guillaume d'Occam, qui ne se rencontre guère avec Marsile
et Jean de Jandun que sur le terrain politique'^', on verrait les em-
])runts faits au célèbre ouvrage par l'auteur anonyme du Songe du
Fermier''', par Wicliff*''*, par Thierry de Niem'*', par Grégoire Heim-
hurg'''', par Nicolas de (îusa, par Mathias Dôring, par Luther'^',
peut-être même par (îalvin**'.
Eni52 2 , un Allemand qu'on a identifié avecValentinCurio'*' donna,
à Bàle, sous le pseudonvme de Licentius Evangelns, la première édition
à\i Dejensor pacis ^^^\ Son intention, comme il ressort clairement de sa
préface, était de mettre entre les mains des Réformés la meilleure
arme contre l'Eglise catholique.
En Angleterre, lors du conflit de Henri Vlll avec Home, un certain
William Marshall, voulant servir la cause royale, traduisit en anglais
l'édition de Licentius Evangelus, non sans en retrancher les chapitres
imprégnés d'un esprit trop démocratique; il réussit à intéresser à son
entreprise le chancelier de l'Echiquier, Thomas Cromwell. Terminée
vers le i" avril i533, cette traduction ne parut pas avant le 27 juillet
i535'*''; quatre jours après, le chapelain du roi, Thomas Starkey, en
conseillait la lecture à Reginald Pôle, le futur cardinal*'"^'.
Quand com mença , soit à Louvain , soit à Paris , soit à Rome , la publi-
O Charlal Univ. Paris.. III, 2a3.
''' J. Sullivan, The Americ. histor. Rev. ,
p. 417 et siiiv.
''> Voir K. Mûller, Dos Somniuin viridarii,
dans ZeitschriJÏ f. Kirchenrecht , XIV (1878),
p. 189 et suiv.
'*' Cf. une bulle de Grégoire XI du a a mai
1377 (Rinaldi, VII, a94) et Walshingham ,
Hist. Anglic. (éd. Riley), I, 345.
''• H. Finke, Zii Dielrich von Niem. u. Mar-
silius von Padua, dans Rômiscke Quartahchrift ,
VII, aa6. J. Sullivan, p. 599.
'*' P. Joachimsohn , Gregor Heimburg, dans
Historische Abhandluiigen aas dem Mânchener
Seminar, 1 (Bamberg, 1891, in-8°), p. a 33.
''' Cf. B. Labanca, Mwsilio da Padova e
Martino Lutero, dans Nuova Anlologia , XIA
(i883), p. ao9-3a7.
<" Cf. Pastor, Gesch. d.Pâptte,l{i^oi), 84.
'•' Kiezler, p. igS; O. Lorcnz, II, 35 1,
note 4; cf. J. Sullivan, p. 600, note 3.
'"' Sous le titre : Opiis insigne cai tituhnn
fecit aulor Defensoreni pacis, quod queslionem.
illam jam olini conlroversam de polestate Papœ
et Imperatoris . . . tractât. ( In-fol. )
<"' The Défense of Peace. lately translated
out of laten into engfysshe. R. Wyer, [ London ] ,
i535, in-fol.
'"' Letters and papers. . . of the reign of
Henry VIII. I. Vil, n" 4aa,433;t. VIII.
n" il56; cf. 1. IX, n" 5a3; f. XI, n" i355;
.1. Sullivan, loco cit.
JEAN DE JANDUN ET MARSILE DE PADODE.
(i23
cation des listes de livres prohibés, l'ouvrage de Marsile de Padoue y
trouva naturellement place. En i538, Albert Pigghe consacra à la
réfutation du « rival de Luther » une grande partie de sa Hiérarchise
ecclesiasticœ assertio. En i545, Max Mûller, de Westendorll', publia, à
Neuboiirg, une traduction abrégée du DeJensor^^\ qu'il dédia à Othon-
Henri, comte Palatin. Puis ce fut, en lôga, le tour du calviniste
bien connu Francis Gomar, qui, en rééditant, à Francfort, le Defen-
sor pacis, le recommanda, comme particulièrement utile, au roi
de France Henri IV, pour établir l'indépendance de son royaume à
l'égard du Saint-Siège'^'. D'autres éflitions, également copiées sur
celle de 1622, se succédèrent ensuite, en lôgg, à Heidelberg, en
i6i2 , en ] 61 3'^*, en 1614'*', en 1622'^ , en 162 3'®' et enfin en 1692,
à Francfort.
Ces quelques indications sullisent à faire mesurer le grand succès
posthume de Marsile de Padoue et de Jean de .Jandun. 11 n'y a rien
d'excessif à prétendre que le Defensor pacis a eu sa part d'influence
dans le mouvement de la Réforme'^'.
N. V.
- ' '"' Sous ce titre : Ain kartzer Atisziig des iref-
fenUchen Wercks tind Fridschirmbuches Mar-
sili von Padua. ( In-lbl. )
(*' Voici le titre entier de cette édition : De-
fensor pacis I sive || Advenus | asarpatain Rom.
pontijtcis jaridictio \\ nem Marsilii Patavinipro j]
invictiss. et constantisf . Bow. Imperatore Lu || do-
ricoIV Bavai ico, a tribus || Rom.pontijtcibus in-
digna Il perpesso \\ Apologia [| Qua politicœ et
ecclesiasticœ potestatis limites \\ doctissime expli-
cantar : circa annam |] Domini m ccc xxir ||
contcripta. \\ Nunc vero ad omnium principum,
magistratuum et || ecclesiœ catholicœ ac nomina-
tim ckristianiss. \\ Galliarum et Navarrœ Régis,
etc. Henrici IV, || (a tribus etiam Rom. Pontiji-
cibns inique oppa \\ gnali], ejnsqne regni et eccle-
siarnm anctorita |( iem ac libertatem demons-
trandam ntilissima. || Franciscus Gomarus Bru
Il gensis recensuit : capitam argamentis et {{ notis
ad marginaiii illustravil. {{ Francofurti |{ Excu-
debat Joannes Wechelus. || Vœnit in ojficina Vigno-
nania. \\ c/a lo xcii. Suit une dédicace en vers
à Frédéric IV, comte Palatin. — Certains auteurs
(Labanca, p. 112; A. Hnraiit, j). 23, note 1)
citent une prétendue édition du Defensor pacis.
de Krancfort, i/iga : d'autres pensent (ju'il y
a eu confusion avec l'édition de 1692 (MûUer,
Gôtting. gel. Anz. , i883, p. 921 ; J. Sullivan,
p. 4 1 3 ).
''' Ces deux dernières éditions (in-8°) sont
données par Daniel Patterson , de Dantzig , la
seconde sous le titre de Legislator Romanus de
jurisdictione et potestate tam seculari quam
ecclesiastica.
'*' Goldast, à cette date, comprend le De-
fensor pacis dans sa grande collection , Monar-
chiœ S. Romani Imperii sive tractatuum de Juri-
dictione imperiali seu regia et pontiftcia seii
sacerdotali , tomus secundns, qui fut réimprimée
en l6ai et en 1668. Il édita séparément dans
son tome I" (p. 647-653 ) la préface de Llcentius
Evangelus.
''' Sous le titre : Opus insigne Defensor pacis.
(In-fol.) — Le P. Lelong (1,475) mentionne,
sous le même titre , une édition de 1 5 1 5 , qu'il
a peut-être confondue avec celle de 1622.
'*' Sous le titre singulier d'/ze/i/rMinno/i/icH;/!
(in-8-).
''' Cf. Ad. Franck, Journal des Sav. , i883 ,
p. ng.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Page 17, ligne 6, à partir du bas. — Dans les pages consacrées ci-
dessus (p. 17-22) à la traduction française des Otia imperia'ia de
Gervais de Tilbury par Harent d'Antioche, nous n'avons pu compa-
rer celte traduction avec celle que donna Jean du Vignai dans la
première moitié du kiy*" siècle. C'est après coup que nous avons pu
consulter le seul manuscrit connu de la traduction de Jean du Vi-
gnai qui ait été jusqu'à présent signalé. Ce manuscrit, qui a fait partie
jusqu'en 1901 de la collection Barrois chez le comte d'Ashburnham,
est passé depuis dans les mains de M. Gh. Fairfax Murray, qui a bien
voulu nous le communiquer. C'est un exemplaire copié avec soin ,
du temps de Philippe de Valois ou de Jean le Bon. H est orné de nom-
breuses et assez médiocres miniatures, dont nous ne citerons que
celle du frontispice ; elle est flivisée en deux compartiments : dans
celui de gauche, Gervais de Tilbury est représenté offrant son livre
à l'empereur Olhon; dans celui de droite, nous voyons Jean du Vi-
gnai remettant sa traduction à un clerc ou à un religieux, peut-être
au prieur de sa maison. Le, nom du traducteur ne nous est révélé que
par les rubriques des folios 5 et 9 : « Cy commence le livre des
« Oisivetez des emperieres translaté de latin en françois par Jehan du
« Vignay, frère de Haut pas. » — « Ci commencent les chapitres de la
«division du livre descript et translaté du latin en françois par Jehan
« du Vignay, frère de Haut pas. »
Dans le manuscrit la traduction, précédée d'une table des 199 cha-
pitres, est absolument dépourvue de préface et de dédicace. Nous
manquons ainsi de renseignements sur les conditions dans lesquelles
l'infatigable traducteur Jean du Vignai mit en français les Olia impe-
rialia. Vraisemblablement, il ignorait que l'ouvrage eût déjà été tra-
duit. Ce qui est certain, c'est qu'il n'a point fait usage de la traduction
de Harent d'Antioche.
Pour en être convaincu, il suffira de se reporter aux deux chapitres
que nous avons imprimés (p. 19 et 2 1) comme exemples du style de
Harent d'Antioche, et de les comparer au texte de ces deux mêmes
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 625
chapitres traduits par Jean du Vignai, que nous allons publier d'après
le manuscrit de M. Fairfax Murray.
... Et la tierce merveille que je vi et esprouvai a Naples, je la vous dirai ci-
après. Et si ne l'esprouvai pas pour ce que je l'eusse oï avant dire, mais dioitement
par cas de fortune ; car se je ne l'eusse esprouvé , je ne l'afermassc jamès.
L'anée que Acre fu assisse, environ la fesle Saint Jehan Baptiste, que je estoie en
la cité de Salerne, soustement il me sorvint un mien hoste, pour la venue duquel
je fui moult lié, tant pour ce que il estoit mon cousin que pour ce que je l'amoie
moult, car nous avions esté longuement ensemble a l'escolle, et hanté en la court
de monseingnor le roy Henry d'Engleterre, vostre ayeul''', très noble prince, et li
et moi estions tout un et d'une volenté , et mon cuer s'esjoï moult de s;i venue , pour
la grant affeccion que je avoie de li veoir et de oïr des nouvelles de nos amis; car
je ne peusse avoir plus certain mesage. Et quant nous eusmes ensemble délivré nos
besongnes, nous venismes d'ilueca Naples, pour passer la mer a venir en nos par-
ties. Et celui mien ami avoit non Phelippe, et estoit filz du noble conte de Sale-
bieres. Et a Naples nous venismes en l'ostel d'omme honnorable et discret inestre
Jehan Pynatel, arcediacre de Naples, qui avoit esté mon auditeur a Boulongne en
droit canon, cpii nous reçut moult joieusement, comme celui qui estoit noble et
sage. Et quant il nous ot demandé l.t ctiuse de nostre venue, et nous li avions dit que
nous avion trop grant hastede passer la mer, et ii nous mena au port, et la, sanz
demeurer, par l'espace d'une heure, nostre nef pour passer fu alouéea si dou[s] pris
con nous vousismes, et fu tantost incontinent aprestée de passer, tant comme l'eu
atourna le disner, et puis nous revenismes a l'ostel pour disner. Nous commençâmes
a parler de ce que nous avions toutes nos choses trouvées a point a nostre volenté,
et en avions si grant merveille de ce que si bien nous en estions pris. Et adonc l'arce-
diacre nous demanda par quel porte de la cité nous estion entrez en la ville. Et
cpiant nous li eusmes dit par laquole, il nous demanda de quel costé de la porte
nous estions entrez. Et nous li deismes, quant nous feusnies avisez de ce : « Nous vou-
« lions entrer en la ville par le senestrc costé de la porte , mes nous encontrasmes un
« asne chargié en nostre voie, si tournasmes a la destre partie, et par la entrasmes
« en la cité. » Et dont nous dit il : « Je vueil que vous sachiez quel merveilles Virgile
« establi en celé porto. » Et après disner nous mena a la porte, et nous monstra ii testes
de marbre entailliées de diverses manières : car la teste qui estoit au destre costé
estoit belle et plaisant et rioit, et celle qui estoit au senestre estoit laide et ploroit
et faisoit trop laide chiere, et dont nous dist l'arcedyacre la merveille : car touz cens
qui entroient en la ville par devers le costé de la teste noire, qui est a senestre, il
ne feront ja riens en la ville de chose que il quierent, ne leurs choses ne pueent ve-
nir a point; et ceus qui entrent par devers la partie destre, la ou la belle teste est,
font volentiers ce que il quierent , et leur choses leur viennent bien a point. Et ce ,
se nous <*' dist il , que nous avions entrelessié qui nous fist tourner a la destre partie ,
''' Henri H, aïeul de l'empereur Olhon IV. — '■''' Le ms. porte : « Et ce se non dist. . . >•
HIST. LlTTÉn. XXXIII. "jg
626 A1)I>ITI0NS ET CORRECTIONS.
nous estoit il bien pris de nostre besongne. Et je ne vous escri pas cesle nierveille
comme la ligniée de Saducciens, qui disoient que toutes vertus de choses cstoient en
Dieu et en marmene*'', c'est a dire en destinée et en fortune, mes toutes choses sont
en l'ordenance et en la volenté de Dieu. Et je vous ramembre ceste meneille, car je
la vi , et Virgille la fist par art magique.
Des provinces et des citez de France.
Après nous deviserons les villes et les citez des Frances et deviseron Gallie , France ,
Bourgoigne en la manière que l'eglyse de Romme les devise et ordenne. Et premiè-
rement France si a vu archeveschiez et ses suffraganes. Et premièrement Lyon, et
fu le premier siège des Gallies, c'est à dire de toutes les Frances, et sont ses suEfra-
ganes Otun , Mascon, Chalon et Lengres. — Rainz a ces suffraganes : Soissons, Cluia-
lons, Cambrai, Tornai, Teroenne, Arraz, Amiens, Noion , Sanliz , Biauvès , Laon. —
Neibonne'^' est i archeveschié de Gascoigne, et a ces evesques soz lui: Quarcas-
sone, Biterre, Agathenseium, Lodoveum, Tholouse, Magalonne, Nemausen., Uti-
cen. , Elnen. ou Arelen. '''. — Sens est i archeveschié en France, qui a ces suffra-
ganes et evesques souz lui : Paris, Chartres, Orliens, Nevers, Aucerre, Troies,
Miaus. — L'archevesqué de Bourges a ces suffraganes souz lui : Clermont en Aur
vergne, Ruthenen. , Caours, Limoges, Mende, Abbigois, Avicenen.'*', cjui est
du pape. — Bordiaus si a ces evesques souz lui : Poitiers, Saintes, Engoulesme,
Pierregort, Agien. — Tours si a ces evesques souz lui : Le Mans, Angicrs, Nantes,
Venues, Cornoaille, Léon, Trigier, Saint Briot, Resnes, Saint Malou, Dol. —
Rouen a ces evesques souz lui : Avrenches, Constances, Baiex, Ses, Lisuies, Evreus.
— En Gascoigne, si a ii archevesqués. L'archevesqué d'Aus, qui a ces evesques
souz lui : Aquen., Lectore, Couvenaz, Cousurarer, Bigorre, Tarvien. ou Aduren. ,
Oloten. , Lascuren. , Balacen. (iicj, Bayonne. — En Bourgoigne a vi archevesqués, et
Besençon est le premier, et a ces evesques desouz lui : Basilien. , Larisane (51c), Be-
licen. — Tarentasien. est archeveschié , et a ces evesques souz lui : Sedunen., Au-
gustien. — Ebredunense a ces evesques souz lui : Dignen., Nicien., Antipolitan. ,
Glandeten., Seneren. (^sic^, Vencien. — L'archevesqué d' Aqueuse en Borgoigne a
ces evesques souz lui : Apiense [sic), Regen. , Foroben. {sic), Vapinen. , Cisteriten.
— L'archevesqué d'Arelate en Bourgoigne est le ch'ief de la province. Si a ces suf-
fraganes souz lui : Masilien., Avignon, Aurasiten., Calleliten., Tricastrinen., Car-
pentras, Tolonen. — Vienne en Borgoigne est archeveschié, et est le chief du règne
et chancelier, et a en sa description de sa digneté le très grant siège des Gallies;
qui est apelé charre '^' de l'Empire, et jadis i fu dampné Ponce Pylate de Tyberio , qui
adonc estoit emperiere. Et a ces evesques souz lui : Valentinen., Viviers, Dionen.,
Greinnoble, Maurianen. , Gebennen. , et a de la cité de Gebennen. xiui mille jusques
au lac de Losane '*', et queurt le Rosne parmi le lac, et est assis entre les Alpes, dii-
'"' Les dernières lettres de ce mot ont été O Le traducteur avait sous les yeux un des
surchargées; le copiste avait dû écrire marbre, manuscrits qui donnent ici la leçon : Elnen-
leçon que nous trouvons dans le manuscrit sein vel Arlensem.
de Harent d'Antioche , et qui est la bonne. <*' Ponv Aniciensem.
''' Jean du Vignai a interverti l'ordre des <*' Carcer.
provinces ecclésiastiques. <•) A capite Lemanni lactu. Texte latin.
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 627
quei lac il est leu en la vie des Thebeiens , que Mauximien emperiere se tenoil a tra-
vaillié de l'errer en viii jours''' entour ce lac, et la compaignie des Thebeiens s'aresta
par angoisse desus ce lac , et le commun l'apele le lac Saint Morise de Cambials ;
jagaite (ja soit?) ce que le chaste! des Solodeiens est sus le flueve d'Arule, non pas
ioing du Rin , ou aucuns de celé compaignie souffrirent mort.
On ne peut lire les deux traductions du chapitre relatif aux en-
chantements virgiliens d'une des portes de la ville de Naples, sans re-
connaître que la version de Harent d'Antioche est bien supérieure à
celle de Jean du Vignai. Elle suit de beaucoup plus près le texte origi-
nal. Jean du Vignai, en supprimant ou en abrégeant un certain nombre
de phrases, a singulièrement diminué la clarté et la vivacité du récit.
Si on examine le chapitre où sont énumérés les archevêchés et les
évêchés de la Gaule, l'avantage reste également à Harent d'Antioche.
Les deux traducteurs ont piteusement échoué quand il s'est agi de
trouver la forme française des noms des cités mentionnées en latin
par Gervais de Tilbury. Assurément Jean du Vignai connaissait mieux
que son devancier la géographie des provinces septentrionales de la
France. Il a su quelles formes françaises correspondaient aux formes
latines Tomacensem , Morinensem, Silvanectensem , Redonensem , Corisopi-
tensem, Venetensem, Briocensem, Trecorensem, Leonensem, Sagienscin,
Lexoviensem , que son devancier avait rendues comme il suit : Doay,
Monnence, Silvanence, Redone, Corisopience , Vendosme, Briençon (ou
Briosence] , Tegrorene , Leonence, Sagience, Lizionence. Mais les deux
traducteurs ignoraient absolument la géographie du midi de la
France.
Ce qui, pour le second chapitre, donne incontestablement l'avan-
tage à Harent d'Antioche, c'est qu'il n'a point commis les non-sens
et les contre sens dont Jean du Vignai s'est rendu coupable et dont
les exemples suivants permettront d'apprécier la gravité :
Gervais de Tilbury. Harent d'Antioche. Jean du Vignai.
Vienncnsis , Burgundie L'arcevesque de Vienne Vienne en Borgoigne
archiepiscopus , et regni souloit tenir ung des grei- est archeveschié , et est le
canceilarius , cujus numis- gneurs sièges de France , si chief du règne et chance-
matis inscriptio habet : comme il contient en l'es- lier ; et a en sa descripciort
Maxima sedes Galliaram, cripture de la monnoie qui do sa digneté : le très giant
'"' Circa Oclodnnim ilinere fessai:.
79*
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
que et ipsa carcer dicitur dit ainsy : Le siège de siège des Gallies, qui est
oiim fuisse imperii , unde Vienne est très grant siège de apelé charre («c) de l'em-
Pontium Pilatum , a Tyl)e- France. Et aussy dit on que pire ; et jadis i fii dampné
rio dampnatum , in carcere la cité de Vienne souloit Ponc(î Pylate de Tyberio ,
tcnuit. estre pièce [a] la prison de qui adonc estoit empcriere.
i'empeieur ; et la fut Ponce
Pylate en prison, (juant
Tliibere César le chaça hors
de Jérusalem.
Maximianus iuiperator, C'est le lac [de Lozenne] , Duquel lac il est leu en
circa Octodurum, itinere dont nous lisons, en la vie la vie des Thebeiens que
fessus, se tenebat; legio des Theheyens , (|ui dit que Mauximien emperiere se
vero in Agauncnsibus an- l'empereur Maximien estoil tenoit a travaillié de l'errer
gustiis substitit quas vulgo las du chemin ; si demoura en vin jours entour ce lac ;
sanctum Mauritiuni de près du chastel Ottoidoire , et la compaignie des The-
Camblais nominant. Porro ou Seledoire, et en ce chas- beiens s'aresta par angoisse
Solodorum , ubi quidam de tel y en eut aulcun d'ycelle desus ce lac ; et le commun
legione ista passi sunt, cas- compaignie qui soullrirent l'apelelelacSaintMorisede
trum est super Aruram flu- martire. Ce chastel est sur Cambia s. Jagaite (ja soit.^)
vium, non longe a Reno. la rivière d'Arule qui est ce que le chastel des Solo-
près du Rosne. deiens est sus le llueve d'A-
rule, non pas loing du Rin.
Nous ne croyons pas que Jean du Vignai ait ajouté beaucoup dol)-
servations personnelles au texte dont il avait entrepris la traduction.
En parcourant rapidement le manuscrit de M. Fairfax Murray, nos
yeux se sont arrêtés sur une phrase qui a été intercalée, dans la des-
cription de Rome (ch. xxxi) , en tête du paragraphe relatif aux théâtres :
« De rechief il y a places communes, aussi comme seroil h place Mau-
« bert. La place Tyti et Vaspasien, assise en catecombes. . . »
La mention de la place Maubert à propos des théâtres de Rome
est une interpolation parisienne qu'on peut bien attribuer à Jean du
Vignai. L- D-
Page 65. Cette traduction française et des fragments importants
d'une traduction normande ont été édités par M. Joseph Tardif, sous
ce titre :
Contumiers de Normandie T. J" , Deuxième partie. Le Très
ancien coutumier de Normandie. Textes français et normand. Rouen et
Paris, 1900 (Société de l'histoire de Normandie).
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 029
La traduction française est intercalée dans le manuscrit de Sainte-
Geneviève 1743, entre la traduction du recueil des Assises et celle de
la quatrième compilation des Jugements de l'Echiquier. L'éditeur
modifie sur l'âge de cette traduction française des Statuta et consuetu-
dincs son opinion première : il estime qu'elle n'a pu être commencée
que dans les premiers mois de l'année 12 48.
Dans le même volume M. J. Tardif a publié une traduction de
lenquête de i2o5. P. V.
Pages 69 et 1 1 1 . En 1 3 1 7, un Guillelmus Chapus est qualifié reclor
parochialis ecclesiœ Sarmesiis (Sermaise) jaxta Durdanum (Dourdan),
Carnotensis diocesis (Mollat, Jean. XXII, Lettres communes, n° 4 1 60]. Ce
Guillaume Chapus, recteur de Sermaise, est très probablement
l'auteur de la traduction en vers du Grand Coutumier normand.
P. V.
Page 74- L'enquête de 1809 dont nous parlons en cet endroit n'avait
pas jusqu'à ces derniers temps été éditée tout entière. Elle a été publiée
intégralement par la Société jersiaise sous ce titre : Rolls uftlie asshes
held in the Ckannel islands in the secondyear ofthe reign ofKimj Edward II,
anno Domini 1309, Jersey, igoS, iu-4". Cf. un compte rendu impor-
tant par M. Léopold Delisledans le Journal des Savants, 1 906, p. 457-
463.
Dans le passage de cette enquête auquel nous faisons allusion, les
éditeurs ont lu Mancael (p. 73) au lieu de Maucael. P. V.
Page 190. Dans notre article sur les Coutumiers de Normandie,
nous n'avons point parlé d'une grande charte de Henri II relative aux
franchises et aux coutumes du duché de Normandie, (iette pièce a
été publiée, en 1727, par Brussel, dans le Nouvel examen de l'usaçie des
fiefs, t. II; Appendice, p. i-vi, qui l'intitule «Lettres patentes en forme
« de charte de Henri II, roi d'Angletex-re et duc en Normandie ». L'édi-
teur ne dit pas à quelle source il l'a puisée. Bréquigny, en 1783, a
simplement enregistré la pièce dans sa Table chronologicjue , parmi les
actes de l'année 1 155. Elle a été employée par les continuateurs du
Glossaire de Du Cange (au mot Bidelus).
Ce document, dont il n'y a pas de trace ancienne, doit être consi-
63« ADDI'IMONS ET CORRECTIONS.
déré comme non avenu. 11 a été calqué sur la Giamle charte promul-
guée par Henri III à Westminster, le 1 1 février 1227. L. D.
Page 327. La compilation du xv* siècle que nous avons men-
tionnée d'après le manuscrilB. N. fr. 2291 1, daté de i/igô, se trouve
encore dans un très beau manuscrit de la Bibliothèque royale natio-
nale de Turin , qui, heureusement, n'a pas beaucoup souffert de l'in-
cendie de janvier 1904. Ce manuscrit, actuellement coté L. i. 2
[Catalogue de Pasini, t. II, p. 482), est l'exemplaire de présentation
oiïért au cardinal Charles de Bourbon, archevêque de Lyon (1447-
i488), dont les armes sont peintes au bas du premier feuillet du
texte. C'est pour ce personnage, ami des beaux livres''', que cette
compilation fut faite. On lit, en effet, en tête d'un prologue du trans-
lateur, qui manque au manuscrit de Paris : «Ci après s'ensuit très
«dévote, très louable et recommandable vye des anciens saintz pères
«hermites, nouvellement translatée de latin en françois et diligem-
« ment corrigée en la cité de Lyon, l'an de Nostre Seigneur mil .iiij".
« .iiij**. et six, sur ce que en ont escript et aussi translaté de grec en
«latin Mons*' saint Jerosme, très dévot et approuvé docteur d'Eglise,
« et autres solitaires religieus après lui. » P. M.
T'Page 34o. Barbe (Sainte). Une vie de sainte Barbe, en 2 1 sixains
de vers décasyllabiques , se trouve dans le ms. B. N. nouv. acq. lat. 61 5
(fol. 124), de la fin du xv* siècle. Premier vers :
Vierge excellant, de haulte dignité.
Page 342. Catherine d'Alexandrie (Sainte). Une douzième vie
versifiée de cette sainte vient d'être reconnue dans un manuscrit exé-
cuté en Angleterre et appartenant à un savant bibliophile anglais,
M. F.-W. Bourdillon. Cette version, qui contient près de 900 vers
octosyllabiques assez irréguliers, paraît avoir été composée par un
écrivain anglais du xiii'" siècle. Premier vers :
A loenge lui gtoriose père. ' liiyniMlqmi<*.
P.M.
'"' On sait qu'il avait fait composer une vie possède deux manuscrits faits pourlui (Delisle,
de saint Louis, et la Bibliothèque nationale Le Cabinet des manuscrits, I, Q^, 169-170].
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 631
Page 359. Joseph. Une nouvelle édition, fort améliorée, du poème
sur Joseph vient de paraître comme dissertation de doctorat. En voici
le titre : luEstoire Joseph. Inaugural-Dissertation zur Erlangung der
Doktorwûrde genehmigt vor der philosophischen Fakultât der Fried-
rich-Wilhelms-Universitat zu Berlin, von Ernst Sass. 19 mai 1906.
Buchdruckerei des Waisenhauses in Halle a. S. ln-8", 1 19 pages.
P. M.
Page 369. Martin (Saint). On aurait pu noter ici qu'il existe une
rédaction en prose de la vie de saint Martin , par Péan Gatineau , dans
le manuscrit 1026 de Tours (xv" siècle). P. M.
Page 3 80. Parmi les anciens traducteurs français de vies de saints
on aurait pu mentionner Lambert le Bègue, prêtre du diocèse de
Liège et fondateur de Tordre des Béguines, qui, au rapport d'Aubri
de Trois-Fontaines (Pertz, Scriptores , XX.[ll , 855), « multos libros, et
«maxime vitas sanctorum et Actus apostolorum, de latino vertit in
«romanum». Cf., pour plus de détails, Roinania, XXIX, 535.
P. M.
Page 434, ligne 2. Ajouter, entre «saint Paul l'ermite» et «saint
André », un n" 4 1 bis « saint Adrien ». P. M.
Page 44o, ligne 4 du bas. La vie de saint Nazaire est comprise
aussi dans le ms. de Saint-Pétersbourg; voir p. 436.
Page 445, ligne i4- Supprimer les mots «et saint Mammès» : on
possède en effet une version française de la légende de ce saint dont
on a indiqué une copie p. 436 et deux copies p. 44o.
P. M.
Pages 466, 467. Un manuscrit du xv*" siècle conservé à la Biblio-
thèque Vaticane, le Palat. lat. 119, contient (fol. 1-201) un ouvrage
intitulé : « Jacobi de Lausanna reportacio in Sapientie et Proverbio-
rum libros. » N. V.
Page 473. Aux manuscrits qui contiennent sous le nom de Jacques
de Lausanne le recueil des maximes commençant par les mots : Ab-
632 ADOniONS ET CORRECTIONS.
jicit mundiis pauperes , il convient do joindre le manuscrit 5i 1 3-5 120,
de la Bibliothèque royale de Bruxelles, le manuscrit 291 de Prague
et le manuscrit 5o^ de l'Université de Pavie. Toutefois le même ou-
vrage a été attribué aussi à jNicolas Biart (voir une note du xvii'' siècle
en tète du manuscrit latin 16490 de la Bibliothèque nationale), à un
certain frère Maurice (^Script, ord. Prœd., I, 124) que Daunou (Hist.
lltt. de la Fr., XXI, 182 et suiv.) inclinait à croire Anglais et domini-
cain, enfin, dans un manuscrit de Melk, en Autriche, à Nicolas de
Lire. Toutes ces attributions sont douteuses. On remarquera que ce
même recueil porte, dans le manuscrit latin 16490, le titre iVAbicius
mnndi et, dans le manuscrit de Melk, celui d'Abyssus mundi, étranges
déformations des premiers mots de fouvrage : Abjicit miindas. C'est
d'ailleurs par erreur qu'on a signalé dans cet ouvrage de nombreux
emprunts à un recueil qui figurerait dans le tome II des Œuvres
de Hugues de Saint-Victor. N. V.
TABLE DES AUTEURS ET DES MATIERES.
Abacac. Voir Maiiiu.
Ahano [Pierre d').
Àhbreriatio ou Siunma de ritu sanctorwn , 43o-
hhi.
Abdallah ibn- Almoyajfa , traducteur arabe du livre
lie Kalilah et Dimnah, a i 4.
Abdioj [T^e Pseado-). Ses Apoitolica Hiatoriie mises
en français. SpS.
Acarin [(iuiltuume).
Adam de liot. auteur d'une traduction en vers de
la Vision de saint Paul, 3'y3.
Adgar. dit Guillaume, auteur d'un poème sur
Théophile, S^fi.
Idoralion des maget. Voir Apparition,
Adrien (5aint), vie en prose, 63 1 ; version lyon-
naise, 445.
Adton de Montieriînder. Son traité de l'Antéchrist
rais en vers, SJg; en prose, Sga.
Agapet (.Saint), vie en prose, 434, 436, 44o.
Agathe (Sainte], vie en vers, 337; vies en prose,
4oî, 407, 4iJ, 419, 4^3, 433, 434, 437, 446-,
>ersion lyonnaise, 44à.
Agnès [Sainte), vie en vers, 337; vies en prose,
'103,407, 4ii, 4i8, 4i3, 433, 434, 437, 446.
Aide-chevel . 5o.
Aides. Voir Auxilia.
Aimeri Picaad, auteur d'une compilation latine
sur les miracles do saint Jacques, 38 1.
Aine, ses droits de justice en Normandie, 1^10.
Aic-en-Provence. Archevêques, 487.
Alban (Saint), vie en vers, 337.
Albert le Grand. Ouvrages de lui recommandés
par Jean de Jandun. 538. — Cité par Jean de Jan-
dun, 54g, 553.
Albertino Mussato, poète, ami de Marsile de Pa-
doue, 56i-565, 591, 693, 596.
Alboino délia Scala, 563.
Alexandre (Saint), vie en prose, 433.
Alexandre de Sant' Elpidio, 620.
Alexis (Saint), vies en vers, 337; vie en prose,
4i3, 4a3, 436, 44o, 44^.
Alfred, traducteur français de la vie de saint An-
toine, 38o, noie 5.
Alleu roturier, i36, 137.
Alva y Attorga (Pierre it), igi, igâ, 496, 5oo.
Aharo Pelayo, 620.
Ami et Amite, vies en vers, 338.
IIIST. I.ITTKB.
XXXIII.
Amieie de Courtenai . é|)ouse de Robert II, comte
d'Artois, 166, 167, 172, 173.
Amiens (Lie bourgage d'), i38.
Amyel (Nicolas),
Anastasie (Sainte), vies en prose, 407, 419, 423.
André (Saint), vie en vers, 339; vie, passion,
miracles, 398, 3g9, 4o4, 4o8, 4og, 4i3, 417,
43o, 43i, 434, 435; version lyonnaise , 444, 445.
André de Coutances , auteur d'une \ersioii en >ers
de l'Evangile de Nicodème, 357.
André de Florence, «maître du roi de France»,
588. Peut-être le même qu'André Ghini Malpigli.
André de Rieti, chirurgien, 588.
André Ghini Malpigli, secrétaire du roi, évé(|U('
d'Arras, puis de Tournai, enfin cardinal, 588.
Angleterre, La Conception de la Vierge y est
fêtée, 4g3.
Annibaldo de Ceccano , |)i'oviseur de Sorlionne,
cardinal, 588.
Annonciation Notre-Dame, sermon français, iti,
'i4i.
Antéchrist, époque de son avènement, 5i4.
Antéchrist (Traité de 1'), par Adson, moine dc^
Montiercnder, mis en vers, 33g; en prose, 3g2,
4o3, 4o8, 4i4, 43o, 443.
Antioche (Jkas d').
Antoine abbé (.S'oint), vie traduite par Wauchier
de Denain, aSg, 260, 263-364, 3g8, 436, 44o;
autres versions, 297, 422, 43o, 433, 439,
Antoine de Chourse (Manuscrit d'), 17.
Antoine de Padoue (Saint), vie en vers, 339.
Antonini ItinerariunH Voir Itinerarium.
Apocalypse (Commentaire suri'), 472, 5i3, 51/1.
Apollinaire (Saint), vie en prose, 44o.
ApiMrition ou Epiphanie (Homélie sur 1'), 4i0,
427, 43g.
Arbitrage, ])ar Robert <l'Artois, entre Mahaut et
Philippe d'Artois, 172.
Archives des vicomtes en Normandie, i83.
Aristote. La Métaphysique, la Logique et la Rhé-
torique citées par Jean d'Antioche, 5, 6, 8. —
Le sort de son âme d'après Pierre Auriol, 535.
— Emploi que Jean de Jandun conseille de faire
des traités d'Aristote, 537-ô3g. — Commentaires
sur le traité de l'Ame, Sag, 53o, 5 46-55 1; sur le
De Bona Jortana, 554 ; sur le traité du Ciel et du
monde, 54 1-543; sur la Métaphysique, 556-558;
80
634
TABLE DES AUTEURS
sur les l'arva nalaralia, 55a-ôô/i^ '<ur la Physique,
536-54 ■; sur ia Politique, 559, 571; sur le livre
des Problèmes, 539, 554-556; sur la Rhétorique,
558.
Arnaud de Brescia , 6o4 , 6 1 5 .
Arnoul [Saint), évéque de Tours, vie en prose,
4o4, 4o8, 4ii, di8. 433.
Arresta communia de Scaccario, i8a-i86.
Akrêtsde l'Ilcuiqdier de Normandie, 175-183.
^rjène (6'ain(i, vie en prose, 407, 4io, 417.
Assises ns Normandie, 186-190.
Assomption Notre-Dame (L'), poème attribué à
Gautier de Coinci, 366; récit en prose, 4o3, 4o8,
4i3, 4i8, 443.
Assomption [ou Trespaisement) Notre-Dame . poème
par Wace, 365.
Astrologique (Doctrine) de Jean de Jandun. 543 ,
554.
Attourné, 147.
Audijax. Voir Marius.
Audrée [Sainte), en latin Etheldreda, sa vie mise
en vers, 34o.
Aagmento [De), traité de Jean de Jandun, 54'i.
Augustin (Saint), vie en prose, 443.
Aumône (Don en), 55. Voir Franche aumône.
Aurigny, i64.
Auriol (Pierre).
Auriol [Raimond),
Auxilia [Tria), 189, 190.
Avantparlier, avocat, i48.
Aventin [Saint), vie en vers perdue, 34o.
Averroès ,81; cité par Pierre Auriol , 5o4 . 5o8 ,
509; imité par le même, 539; admiré, suivi ou
cité par Jean de Jandun, 53i, 538, 54o, 544.
549-551, 553, 556. — Son traité De Substantia
orhis, commenté par Jean de Jandun, 543, 54 '1.
Avicenne, cité par Pierre Auriol, 5o4.
Avignon. 487, 488, 567. Concile, 589.
Avocat [L'), d'après le Très ancien Coutumier
de Normandie, i48.
Avranchin. 79, 161, 186.
j4zo, jurisconsulte, 66, 81, 116, 117.
Azto Visconti, 603.
B
Babylas [Saint), vie en prose, 407, 4io, 436,
439.
Baconthorpe [Jean de).
Bailli en Normandie, i4i. Bailli de Gisors, de
Caux, 170.
Bailli [Thomas de).
Banlieue, 5i.
Baptême (Traité du) attribué à Pierre Auriol,
519.
Barbe [Sainte), vie en vers, 34o.
Barbe [Richard).
Bardi [Robert de).
Barlaam et Josaphat, vie en vers, 34o; en prose ,
313,391, 4i8,433, 436, 443, 445. — Le conte
des Deux frères tiré originairement de cette lé-
gende, 3 ' 8.
Barnabe [Saint) , vie en prose, 409, 417, 435,
44i. . . . '
Barthélemi [Saint), vies en prose, 393, 395 , 397,
399, 4oi, 4o6, 409, 4i3, 417, 43o, 43i, 433,
434, 435, 44 1; version lyonnaise, 444, 445.
Barzoûyah, auteur de la rédaction peldvie de Ka-
Itlah et Dimnah, 303, 3o5, 349.
Bathilde [Sainte), vie en prose, 433, 435.
Baudouin, empereur de Constantinopic, 389.
Baume [Pierre de).
Bayeux , 64 , 186.
Beaamanoir, 75, 136.
Belle (Extraits de), traduits en français, 309.
Belet ou Beleth [Jean de).
Bnié/ices ecclésiastiques. Droit d'en disposer attri-
bué au peuple ou au prince par le Defensor pacis,
58i.
Benêt [Frire), auteur d'une vie en vers de saint
Thomas de Cantorbéry, 377.
Benoit [Saint), vie traduite par Wauchier, a-jS ,
379, 381-383, 4i3, 433, 43o, 436, 438; trans-
lation, 4i4. 433.
Benoit XII. pape, 6ao.
Bernard [Saint). Apparition de ce saint portant
une tache sur la poitrine, 499. Sa doctrine sur la
conception de la Vierge, 499, 5oo. — Vie en prose,
435, 438.
Bernard du Chemin , trésorier des Hospitaliers ,
33, 34.
Bernardin de Sienne (.Saint), 493.
Berri [Jean, duc de).
Bertille (Sainte), vie en prose, 435.
Bertrand de la Tour, provincial des fi-ères Mineurs
en Aquitaine, 484, 486.
Biart [Nicoltti).
Bible (Classification des livres de la),5ii, 5i3.
BienJ'ete [Etienne de).
Biens ecclésiastiques. Droit pour le prince ou
pour le peuple d'en user d'après le Defensor pa-
cis, 58 1.
Biaise (5aint), vie en prose, 433. 434; version
lyonnaise, 445.
Blanche de Bretagne , 166.
Blanche de Navarre, épouse de Thibaut III, comte
de Champagne. Version en prose des Vies des Pères
qui lui est adressée, 393, 395.
Blanchelande , 79.
Boccafuoco (Cottanzo), cardinal de Samano, 5o3,
5o4, 536.
Bois [Vente des), 63.
ET DES MATIERES.
635
Bon ou Bonet (Saint), vie en vers, 31 1.
Boniface VIII, pape, g», 577.
Botti, tradiicleur syrien de Kalilah et Dimnah.
JOi, }od-ioS.
Bouillon [Gode/roi de),
Bourbon [Charles de).
Bourbon [Louis, duc de).
Bourdons dans les manuscriU du Grand Coutu-
mier de Normandie, 9S, 99, 110.
Bourgage, 106, i36-i38, i56.
Bourses, 46 1.
Bourgogne (Coutume de), imprégnée de droit nor-
mand, 157-160.
BoutiUier, ses emprunts au Grand Coutumier
normand, i33, iSl.Cité, lig, i54-i56.
Bo.on [Nicole).
Brubant [Siger de).
Bracton, 66, 67.
Brandebourg [Louis, margrave de), 617, 618.
Brefs dans la procédure normande , 1 5 1 .
Brendan [Saint) , vie en vers, 34 1 ; en prose, 387,
'io3, 4o8, 417, 4u. 438.
Brescia [Arnaud de).
Bretagne (Coutume de), i46.
Bretagne [Blanetie de).
Brice [Saint), vie traduite par Wauchier, 278,
■!79, !i85, 4i3, 4îî, 43o, 434.
Bris (Droit de), 75.
Bruer Temple, maison de l'ordre du Temple, dans
le comté de Lincoln, 237.
Brunetto Latini, il.
Brunner. Ses vues sur le Très ancien Coutumier
de Normandie, 44. 45. Cité, 63.
Buonagratia, frère Mineur, 482, 596.
Cuen. 169, 186-188.
Caëtani (François).
Caitani [Jacgaes).
Calvin [Jean). 6îî.
Cane Grande délia Scala, 563.
Canon [Jean).
Cantique des cantiques (Commentaire sur le),
468, 47».
Capreotus [Jean), dominicain, 5^6.
Cardinaux. Leur importance excessive d'après le
Defensor pacis, 585. *
Carentan, 161.
Casai [ Ubertino de).
Cassien. Voir Excerpta.
Cassiodore (Extraits de), traduits en français,
3 1 o , 3 1 1 .
Catalla, biens meubles, i33.
Catherine d Alexandrie [ Jointe) , vies en vers , 3 '1 3 ,
63o; en prose, 4i3, 4 18, 4»3.
Caux (Pays de), 187.
Ceccano [Annibaldo de).
Cécile [Sainte), vie en prose, 407, 4n, 4i8,
4î3,434.
Césène [Michel de).
Cession de biens, i84.
Chaire de saint Pierre (Homélie sur la), 417,
43i, 44i.
Chambellenc [Renaut le).
Champagne (Province de), 53o. Voir Blanche de
Navarre.
Chandelle d'Arras (ta), légende en prose, iig.
Chapu [Guillaume).
Charles de Bourbon, archevêque de Lyon. Manu-
scrit exécuté pour lui, 639.
Charles le Bel, roi de France. Offres de service»
que lui adresse Jean de Jandun, 535.
Charles V, roi de FVance , possè<le une copie de la
traduction de« Otia imperialia de Gervais de Til-
bury, 17, 18.
Charles II, roi dp .Sicile. Projet de croisade,
36.
Charondas Le Caron, 76, 77.
Charte aux Normands, 73-74. /
Chartres. Saints du diocèse, 456.
Chemin [Bernard du).
Cherbourg, 79.
Cheraliers pauvres, i83, i84.
Chourse [Antoine de).
Chrestien , auteur d'une version en vers de l'Evan-
gile de Nicodème, 356.
Chrestien de Troyes. Voir Cligès et Perceval.
Christine [Sainte), vie en vers, 344;vies en prose,
àoi , 407, 4i 3 , 4 18, 433, 434 ; version lyonnaise,
445.
Christophe [Saint), vie en vers, 344; en prose,
398, 4o3 , 407, 4 10, 4i3, 417, 436, 439; version
lyonnaise, 444.
Chrysant [Saint) et Daire [Sainte), vie en prose,
4io, 433, 433, 434; version traduite de Jacques
de VaraEze, 898.
Cicéron. Ses ouvrages cités par Guillaume de
Saint-Etienne, 35-39. — Traduction française par
Jean d'Antiocbe de la Rhétorique, comprenant le
De Inventione [Rhetorica vêtus) et la Rhetorica ad
Herennium [Rhetorica nova), 3-16. Titre donné dans
les manuscrits à ces deux ouvrages, 3. — Premières
traductions françaises de la Rhétorique et d'autres
traités du même, 12, i3.
Clarendoii (Constitutions de), 53.
Clément [Saint), vie en vers, 345 ; en prose, 409 ,
4i2, 433, 433, 434; version faite à Lyon ,447.
Clément V. pape, 476, 482, 491, 577, 586,
611.
Clément T/.pape, 6o3, 619, 63 i .
80.
mê
TABI.E DES AUTEURS
clément [Mailiurin).
Clément de Tours, 76, 77.
Clerc suicidé, n8.
Clerijé. Son recrutement d'après le /Je/êiworpacw,
581. Voir For.
Cligès, |x>èmc de Chreslien de Troyes cité par nn
éi'rivain du .\iii° siècle, 3g3, Jigb.
CloitreSaint-Benoit {Le ) , i Paris, 588, 689.
Cojurateura, io3, io4.
Colonna [Jacquet).
Colonna [Jean).
Colonna [Sciarra).
Came et Damien [Saints), vie en prose, Sgg ,
Aoo, 4o3 , 407, l'île, 417, /|35, ''137, Og.
Commendatio ou Recommendatio sacra Scripturie ,
473.
Compagni [Dino).
Compendium tlicoloyicw veritalis, ouvrage attribué à
saint Thomas d'Aquin,à Alltert le Grand, etc., ô'Jo.
Comput, traité attribué à tort à Pierre Auriol,
5îo.
Conception de la Vierge. Controverse à ce sujet,
h8t , 491-600.
Conception Notre-Dame, poème sur l'établissement
de celte fcle, 363; mis en prose, 455.
Conches, 166-168, 173.
Concile général. Sa composition et son roie dans
le Dejensor pacis , 381; dans le /)e/«nior minor de
Marsile dePadoue, 6i4.
Conciles. Voir Avignon, Paris, Vienne.
Confession. Opinion de Pierre Auriol sur le secret
de la — , 5^5. Opinion de Marsile de Padoue sur
l'utilité de la — , 609.
Conrard de Megenberg, 6ao.
Consorce [Sainte), vie en prose, 447.
Consultations sdr la co0tcme de Normandie,
166-175.
Contareno [Seconda) revise le texte d'un traité
de Jean de Jandun, 543.
(îonteur, avocat, i48.
Conversion de saint Paul, homélie en prose fran-
çaise, 409, 4 1 6, 437, 43 1. A
Corhara [Pierre de).
Cotentin, 78, 79, 169.
Coar de liome. Abus d'après le Defensor pacis .
585.
Courtois [Mathurin). Voir Mathurin Clément.
Coutanres, 78, 7g, 161, i8s.
Coutume, définition dans le Grand Coutumicr
normand, 118, 1 ig.
Coutume de Bourgogne, imprégnée de droit nor-
mand, 157-160.
CouTvuiEits DE Normandie (Les), 4i-igo. 618-
629. — Voir Grand Coutumikr. Thîb ANcmN Coi-
TCMIER.
Crète [Elle de), auteur d'additions et d'annota-
tions à un traite de Jean de Jandun , 537.
Croisade (Projet de) par Charles II, roi de Si-
cile, 26.
Croisades. Opinion de Marsile de Padoue,
610.
Croix. Légende del'arbre dont elle iîit faite. Voir
Seth.
Croix [Invention de la).
Crucifiés [ I^s Dix mille ] , légende mise en vers ,
345.
Cucufat [Saint) , vie en prose, SgS, 434, 430,
439, i-'io-
Curés (Élection des) d'après le Defensor pacis.
58i.
Cario [Valentin), 6iJ.
Cursus, observé par Jean de Jandun dans le De
laudibus Parisius, 533.
CttJO [Nicolas de).
D
Daire [Sainte). Voir Chrysant.
Damien [Saint). Voir Come.
Daniel (Commentaire sur le livre de), 469.
Daniel de Saint-Etienne , hospitalier de Saint-Jean
de Jérusalem, 3 3.
Dauphiné, i46.
David (Saint), vie en prose. 4î8.
Débiteurs du roi. 184.
Décalogue (Traite du) attribué à Pierre Auriol,
519.
Defensor pacis , ouvrage de Marsile de Padoue et
de Jean de Jandun, 568-587, ^^9' ^g^-^Q'i : ''^'^
de sa composition, 569-570; ses théories poli-
tiques, 575-577; religieuses, 578-585; son reten-
tissement prolongé , 619-633; ses traductions, 6ti-
6i3; ses éditions, 633.
Denit (5oint), vie en vers, 345; vies en prose,
385-387, ^99' i^"- 402,407, 409, '117, 434.
437, 438.
Denis Pirumus , poète anglo-normand, 346.
Denis Tavernier, vicomte de Montivilliers, 16g.
Dépouille (Abus du droit de) d'après le Defensor
pacis, 585.
De quo warranta (Action), 163, i63.
Descente de Jésus au.r enfers, poème francai'-,
356.
Desconfis , 1 2 3.
Desperati en Normandie, 1 3 3-135, 139.
Desresne, un des trois groupes de procéduri'
dans le Grand Coutumier normand, io5, i48,
.49.
Deutéronome (Commentaire sur le), i65.
Diaita salutis , ouvrage attribué à tort i Pierre
Auriol, 530.
Dieudonne [Jean de).
Dieudonnée [Sainte), vie en ver», 345.
Dimc (Obligation de payer la) contestée <lans le
Defensor pacis, 58 1.
ET DES iMATlÈUES.
oy,
Dino Compagni, 568.
Direcloriiun vite humane, de Jean de Capoue,
Dispenses de mariage. Droit de les accorder attri-
bu' au prince par le Defcnsor pacis , 58 1.
Dispate tic saint Pierre. Voir Pierre {Saint).
Doctor facandns , surnom qui aurait été attribué
à Pierre Aurioi, 5 a 7.
Dominique {Saint), vie en vers, 346.
Domitilla (Sainte), vie en prose, '|3,'$.
Dôring {Mathias), 6 a.
Dormants (Les Sept), légende en vers, 346; en
|>i'use, 3gg, dSg.
Dot. Voir Mariage.
Douaire, 55.
Droit. Différentes espèces de ilroit suivant Guil
laume de Saint-Etienne, 32.
Droit positif, locution empruntée à Averroès
81.
Duel judiciaire , 47, 6a, 84, i33, i83.
Dufour {Michel).
Dans Scot {Jean).
Durand {Guillnanie).
Durand de Mende. Voir Guillaume Durand.
Durand de Sninl-Pourrain , '160, 5o4 , 610.
E
EccUtiaste (Commentaire sur l"), 467, 47».
Ecclésiastiiiue (Commentaire sur 1'), 468, 475.
Echéance de côté , 168, 170.
Échiquier de \ormandie, 5 1,64, i4i. Recueils
de jurisprudence, 175-186.
Edmond {Saint), archevêque de Cantorbéry, vie
en vers, 340.
Edmond {Saint), roi d'Kstanj^ie. vie en vers,
346; en prose, 4 18.
Edouard le Confesseur {Saint), roi d'Angleterre,
vie en vers, 346.
Edouard III , roi d'Angleterre, i63.
Egalité parfaite entre certains cohéritiers en
droit normand, i3i.
Egards, esgards, statuts de l'ordre de l'Hôpital,
•»6, S7.
Eleutlwrias, Voir Lehire ( Saint ).
Elisabeth de Hongrie {Sainte), vie en vers, 347;
en prose, 4î3, 438.
fc'/oi (Saint), vie en vers, 347; *" prose, 4î3,
44o, 44î.
Empereur. Son rôle d'après le Defensor pacis ,
58 1, 582, 584, 5g3; d'après le Defensor minor.
6i3-6i5.
Empire (Immixtion des papes dans les affaires
de 1') d'après le Defensor pacis, 586.
Enfance {Evangile de C).
Enfants naturels. Droit de les légitimer attribué
au prince par le Defensor pacis, 58 1.
Bnçu^te ( Procédure d'), 53, 54, iSi.
Enthymème (ms. Entremène) en logique, 8, 9.
Epicycles et ercentriqnes (Question sur les), 55().
Epiphanie. Voir Appnrition.
Epitres (Commentaires sur les), 471.
Esclaeonic {Georges d'). Voir Georqes de hayn.
Elahlissrments de saint iMuis , cités, 1 56.
Etampes, 132.
Etheldreda, Voir Andrée.
Etienne {Saint), vie en prose, 409, 417. 43i,
436, 44o, 446.
Etienne de Bienfete, 169.
Etienne de Saint-Luc, 5i.
Eudes liigaud, archevêque de Rouen, 18-!.
Eugénie {Sainte), vie en prose , version lyonnaise ,
445.
Eulalie [."iainte) , version lyonnaise, 445.
Euphémie {Sainte), version lyonnaise, 445.
Euphrasie {^ainte), vies en prose, 4i4, 438.
Euphrosyne {Sainte), vie en vers, 348; en prosr,
307, 3i4, 439, 442.
Eustache (.Snint), vies en vers, 348; vies en prose,
382-384, 4io, 4i4, 442 ; version française faite à
Lyon, 447.
Evangélistes. Animaux symboliques les représen-
tant, 5 12.
Evangile de l'Enfance, version en vers français.
356.
Evangile de Nicodème, version en vers français,
356; en prose, appelée dans certains manuscrits
< la Passion de Notre-Seigneur», 893, 394, 4i6.
427, 439, 44 1,.
Evêques à l'Échiquier de Normandie, i84, i85.
Evrea.r, 5i.
Evroul {Saint), vie en vers, 349.
Excerpta de Cassien et de Sulpice Sévère tra-
duits en français, 3o2-3o4, 3o6 , 3i4.
Excommunication (Théorie de 1') dans le Defensor
pacis, 578; dans le Defensor minor, 611.
Exmes, 186.
Exode (Commentaire sur 1'), 464, 472.
Exposition ou Glose du Grand Coutnmier de Nor-
mandie. Voir Glose.
638
TABLE DES AUTEURS
Fabien, vie en prose, iio.
Falaise, i86. ,,^\
Famille. Droit de correction du chef, ilio. ,<'
Fanuel {Saint), légende en vers, S/ig, 364.
Félice ou Félicité (Sainte), vie en prose, iot,
Ito-j , 4ij, 4i8, 4»3, 434. 437. \ oir Perpéta«,i\
Félicien (Saint). \o\r Prime. ,',1
Felicula [Sainte), vie en prose, 407, 4j8.
Félix de Noie (Saint) , vie en prose. '107. 4io,
4ï3, 436.
Femme. Faiblesse de ses droits successoraux en
Normandie, i3i. Soumise au droit de correction
du mari, i4o.
Feodvan. traduit par ferre dans le Grand Cou-
tumier normand, 88, 89.
Fetrare (Evêqne de), 698.
Fiacre (Saint), vie en vers, 35o.
Fief, sens divers de ce mot en droit normand ,
i33, 1 36. Fief et aumône, loa. Voir Feotium.
Fieschi (Laça), cardinal, 487.
Firmin (Saint), vie en prose, 4î5.
Flaijrant délit . i4i, i4î.
Florence (André de).
Florenct (Pierre de).
Foi (Sainte), vie en vers, 3&o; en proie, 4i3.
Foires (Régime des), 476.
For (Privilège du), 71, i4i, li^; attaqué dans
le Dffensor pacis , 679.
Formalisme, i/i-j.
Formes substantielles (Pluralité des). Opinion de
Jeau de Jandun, 55o.
Foulifue de ['illaret. maître de l'Hôpital de Saint-
Jean de Jérusalem, 33, a 4.
Fournival (Itichard de).
Franche aumône , i35.
François Caëtani, cardinal, 567.
François d'Assise (Saint), vie en ver». 35o; en
prose, 435.
Frnnro'is de Venise, élève de Marsile de Padouc,
566, 569, 573, 589, 597.
Frères jumeaa.f (Les trois). Voir Jumfau.v.
Fronton, Frontin , tFrontoniust (Saint), vie» l'n
prose, 3o8, 3'!6.
Fursi ( .Saint ) , vie en prose ,4>4,4>3,43o,438.
Ftueien et Victorique (Saints), vie en prose, 44o.
G
Cnillard, évêque de Toulouse , 483.
Gand (Jean de].
(iandone, Gandono, Ganduno (Jokannesde),\<àT
,Iean DR Jandun.
Gannat (Guillaume de).
Garde des mineurs , b6-58, i56, 171. 18Ô.
Garnier de Pnnt-Sainlc-Maxence , auteur d'une
vie en vers de saint Thomas de Cantorbéry, 376.
(ioud'er de Coinci, auteur présumé d'un poème
sur l'Assomption, 366; d'un poème sur Théophile,
376.
Gavreio (Radidfus Gillanus de).
Gefrni des Nés , auteur de la vie en vers de saint
Magloire, 36 1.
Gendini (Johannes), Voir Jean DE Janddn.
Gendinio , Genduno (Johannes de). Voir Jean de
Jandun.
Généalogie Notre-Dame (La), poème, 366.
Gènes, 565.
Genèse (Commentaire sur la), 463, 47».
Geneviève (Sainte), vie en vers, 35o; en prose,
4îa , 4^3, 435.
Georges (.Saint), vies en vers, 35 1 ; vies en prose,
4oi, 4>o, 4i3, 417, 433, 436, 439, 436; version
lyonnaise, 445.
Georges de Hajn ou d'Esclavonie, 5 10.
Germer (Saint), vie en ver», 35 1.
Gervais et Protnis (iSom(i), 436, 44o.
Gervais de Tilbitry. Ses Otia imperialia . traduits
par .Tean d'Antioche, 17-23. Autre tracjjartion par
Jean duVisnai, 18,634.
Geufroi de Paris , auteur d'une traduction en vers
du Purgatoire de saint Patrice, 373; remanie une
version en vers de la Vision de saint Paul, 371.
Ghandoni (Johannes). Voir Jban de Janddn.
Ghini Malpigli (André).
Gilbert de La Porrée, cité par Pierre Auriol,
5o4.
Gilbert de Vascceuil, 5i.
Gillanus (Radulfus).
Gilles (Saint), vie en vers, 35a; en prose, 4i3,
433, 434, 436, 443; version abrégée, 3 18.
Gilles de Rome, 558.
Girart de Rotissillon , traduction française de s»
légende faite en Bourgogne, 437.
Glanville, auUnirdu Tractaius de legibus , 49.
Glose du Grand (x>utumier de Normandie, du
xv' siècle, 69, 91, 96, 137, laS, 161.
Godefroi de liouillon. Charte fausse, 36, 39, 3o.
Godefroi III , duc de Lothier. Charte de lui attri-
buée A Godefroi de Bouillon, 39, 3o.
Godric (Saint), vie en prose, 433.
Golein (Jean),
Grand Coctumier de NoRMANniE ou Summa de
legihut Normannie. 6,5-i65, 639. Auteur et tra-
ducteur; critique du texte, 65-1 16. Analyse de l'ou-
ET DES MATIERES.
639
vrage, 116-157. Coutume de Bourgogne appa-
rentée au Grand Coutuniier normana , 157-160.
Cité, 5o, 173, i85, 189.
Grec*. Opinion de Marsile de Padoue, 6i4.
Grégoire, saint apocryphe, vie en vers, 35ï.
Grégoire le Grand [Saint]. Le Dialogue, traduit
par VVauchier, iSg, 269-172; traduction du Pasto-
rale, 4iï , 4^3, 44o (note 8) ; vie en vers, 35a ; vie
en prose, ha, 433, 434, 'i38, 44o, 44».
Grégoire XI, pape, 631.
Grive [Philippe de).
Gripeel [ Guillaume du ).
Guernesey, 74, 76, 165-16D.
Guerre privée, 4^.
Gtiido, scribe, 77.
Guillaume. Voir Adi/ur.
Guillaume, clerc normand, auteur présumé du
|>oème de Tobie, 377.
Guillaume, évéque de Coutances, 177.
Guillaume, prieur de kenilworth, 377,
Guillaume, roi d'Angleterre, saint a|M}crypbe, vie
en vers, 353.
Guillaume ( Frère) , de l'ordre de l'Hôpital de Saint-
Jean de Jérusalem ,3.
Guillaume Acarin , attaché au grefife de l'Echi-
quier, 181.
Guillaume Chapu, auteur de la traduction en
vers du Grand Contumier normand . iii-ii5, 639.
Guillaume de Bordigni , 168.
Guillaume de Cayeux , l'un des protecteurs de
Pierre [de Beauvaisl, 38 1.
Guillaume de Gannat, frère Prêcheur, auteur
du traité De nera innocentia matris Dei. 496,
*97- . , . . .
Guillaume de Saint-Etienne , hospitalier de Saint-
Jean de Jérusalem, i-3, a3-4o; commandeur dans
l'ile de Chypre, 34, 3 5. Ses statuts de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem, a3-3o; sa lettre à Guil-
laume de Villaret, 3i. Son sens critique, 37. Ses
idées sur le gouvernement de l'ordre de l'Hôpital,
3o. Sa connaissance de la littérature ecclésiastique ,
34 , 35. Emploi fait par lui de textes empruntés à
Cicéron, 35-39.
Guillaume des Nés, traducteur de la vie de saint
Teliau, 438.
Guillaume de Villaret, maître de l'Hôpital de
.SaintJean de Jérusalem, 16. Lettre à lui adressée,
3i.
Guillaume de PVare, 527.
Guillaume dOccam, 533, 619, 632.
Guillaume du Gripeel , vicomte de Caen, 169.
Guillaume Durand, i33, 583 , 610.
Guillaume Fils Raoul, sénéchal de Normandie,
âi. Sa , 53, 54.
Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, 43,
Guillaïune te Maréchal, 65.
Guillaume le Rouillé, d'Alençon, 161.
Guillaume le Roux, roi d'Angleterre, 4i.
Guillaume Patri , 46.
Guillaume fVarron, maître de Ouns Scot, 493,
499, 5o4.
H
Harens [De), surnom de maître Jean d'An-
tioche, 3.
//nro(Cride), <43.
Heimburg [Grégoire), 622.
Hélie ( Thomas ).
Henri K empereur, 133.
Henri V, roi d'Angleterre, 45 , 46.
Henri H, roi d'Angleterre, 63, 64, 78.
Henri UI, roi d'Angleterre, i63, 477.
Henui d'Ahci, auteur d'une traduction en vers
des Vies des Pères, 257-358; de la Vision de saint
Paul , 373.
Henri VH de Luxembowij , roi des Romains , 56 1 ,
564,565,586.
Hérétiques. Droit de les juger réservé au pouvoir
civil dans le Defensor pacis , 58o.
Herman de Valenciennes , auteur d'un poème sur
la Passion, 358 ; de L'Assomption Notre-Dame , 366.
Hervé Nedellec , général des dominicains , 46 1 ,
5o4.
Heures canoniques , en français , 4 'i 1 .
Hiérarchie ecclésiastitiue attaquée dans le Defensor
pacis, 593,
Hilaire [Saint), vie en prose, 423.
Hilarion [Saint), sa vie traduite par Wauchier,
359, 365-a66, 43o, 434; autres versions, 3ii,
3i4.
Hildevert [Saint), vie en vers, 353.
Hilduin, abbé de Saint-Denis, sa vie de saint
Denis traduite en prose, 385.
Hippolyte [Saint), vie en prose, 4o3, 4o8, 4 10,
4i3, 417, 434, 437, 43g.
Histoire ancienne jusqu'à César, compilation dé-
diée à Roger, châtelain de Lille, et attribuée à
Wauchier de Denain , 389, 391.
Histoire de Jésus après son enfance, poème fran-
çais, 357.
Histoire de Jésus jusqu'à son baptême, poème
français, p. 358.
Histoire de Jésus jusqu'à la Passion, poème fran-
çais, 357.
Histoire de Marie et de Jésus, poème français,
355 , 364.
Histoire des Trois Maries, poème, 364.
Historia Monachoram. Voir Ru/in d'Aquilée.
Homicide dans le Très ancien Contumier, 61.
Hommage. i34, i35, i46, i55, i56; sans con-
cession de terre , i33, i33.
(i40
I ABLE DES AUTEURS
Hôpital de Saint-Jean de Jéimulcin. Statuts «le
l'ordre, 3 3-35. Addition faites aux statuts, 4o. Ori-
i;ines fabuleuses de l'ordre, 37. Droit suivi dans
l'ordre, Sî.
Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Voir Hô-
pital.
Hoidlebec, 127.
Hue de Paris, 76, 77.
Huyues de Morville , étèque de Coutanres, 78.
Hugues de Saltrey, auteur du Purgatoire de saint
Patrice, Sgi.
Huijues de Vaucemain, prieur de* dominirains,
46i.
Hymnes intercalées dans des sermons, 5 18.
Ignace {Saint), vie en prose, 133, 433.
lldejonse [Suint), miracle en vers, 353.
Iles Normandes , 70 (note), 74, 76, i63-i65.
Indulgences. Opinion de Marsile de Padoue, G 10.
Infaillibilité du pape (Doctrine de T), 494.
Innocents [I^s), martyre, en prose, 4'lo, 443.
Institutes de Justinien, 76. Mises en vers fran-
çais, 1 13.
/n(e//ec( (Unité de 1'). Opinion de Jean de Jandun,
549.
Intestat, n3-i36, 129.
Invention de la Sainte Croix, légende en vers,
345; en prose, 4o3, 407, 4io, 4>8, 435, 44i,
443; version lyonnaise, 445.
Irène (Sainte), vie en prose, 4i3.
Irénée [Saint], vie en prose, 447-
haïe (Commentaire sur), 469, 473, 5i6.
Ilinerarium Antonini martyris , version en prose,
3«3, 3i4.
Jacobns de Osanna, 469.
Jacques Caëtani, cardinal, 487.
Jacijues Colnnna, 597.
Jacques de Ladsanse, frère Préclieur, auteur de
commentaires sur l'Ecriture et de sermons, 45g-
479, 63i; provincial de France, 46>; son goût
pour les traits plaisants, 46i, 4O3, 466, 471;
ses satires contre le clergé séculier, 463, 464, 468,
469, 475 ; sa façon de prêcher, 474-I79.
Jacques de .Stefaneschi , cardinal, 567.
Jacques de Varazze (ou de Vorayinc), 4oo, 436,
448.
.Jacques le Majeur (Saint), vie en prose r.'digée
d'après un poème français, 353, 388, SgS; tra-
duite du latin, 397, 399, 4oi, 4o6, 4>o, 4i3,
417, 43o, 43i, 433, 434; version lyonnaise, 4^4.
446. Voir Liber de miraculis .S. Jacobi.
Jacques le Mineur (.S'oint), vies en prose, 397,
399,401, 4o'i, 409, 4i3, 4i3, 417, 433, 434;
version lyonnaise, 444.
Jandun, commune du déparlement des Ardennes,
5a 9.
Jandun (Jkan de).
Janvier (.Saint), vie en prose, 433.
Jean , diacre. Les Verba seniorum traduits en
latin par cet écrivain, puis mis en français, 3o6.
Jean , <luc de Berri , 1 3,
Jean XXII, pape, 036, 069-573, 577, 58o,
585-587, 694 ,616. Faveurs accordées à Jacques de
Lausanne, 4 60; à Pierre AurinI, 485, 487; à .lean
de Jandun, 53o, 536; a Marsile de Padoue, 567.
Bulles dirigées contre Jean de Jandun et Marsile
de Padoue, 58g, 5go, 5g3-594, 596-5gg, 619, 630.
Jean, prêtre de Larcliant, auteur d'une vie en
vers de saint Matliurin, 369.
Jean, roi d'Angleterre, i63.
Jean-Baptiste (Saint), vie en vers, 354; vies en
pro^e, 393, 409, 44 1.
Jean lielel. Sa Snmma traduite en français, 45o.
Jean lielet ou Beleth , auteur inconnu à qui cer-
tains mss. attribuent un recueil de vies de saints
en prose française, 43 6.
Jean Bouche d'or [Saint). Sa légende introduite
dans celle de sainte Dieudonnée, 345, 354.
Jean Canon ,536.
Jean Colonnu, 596.
Jean d'Axtiocue ( Maître) , 1-33; surnommé de] la-
rens, 3; appelé maiire Harent d'Antioclie, 18, 19;
réside à Saint-Jean-<rAcre en 1383, 3,3, i3. Ses
idées sur la façon de traduire les auteurs anciens,
7. Sa traduction de la Rhétorique de Cicéron, 3-
1 6. Comment il a fondu ensemble le De Inventione
et le traité Ad Ilerenniuin, 4. Prologue et annexes
ajoutés par le traducteur, 4. Gloses comprises dans
la traduction de la Rhétorique, et parfois indùni/nt
insérées dans le texte , 9 , 1 6 , 1 7. Le manuscrit de la
traduction de la Rhétorique conservé à Chantilly,
2 1. Son caractère d'originalité et corrections qu'il a
subies, i3-i6. Exemple du style de la traduction di'
la Rhétorique, 9. Auteur d'un traité élémentaire de
logique, 8. Traduction des Otia imfierialia de Cer-
vais de Tilbury, 18-23. Exemple du style de cette
traduction des Otia imi>erialia, 19.
Jean de B<iconthorpe , 5o5, 607, 5o8. 5»6.
Jean de Capoue, auteur du Dirrctorium rite hu-
mane, 308, 319, 330.
ET DES MATIERES.
641
Jean de Chanteloii , 1 68.
Jean de Dicadnnne , 621.
Jean de Forest , 169.
Jean de Gand, ronfondu avec Jean de Jaiulun,
338, 529, 539.
Jean de Janduk, maitre es arts et maitrc de phi-
losophie au collège de Navarre, 528. Oiiyiiif de
son nom, 339. Ses écrits philosophiques, 329. 536-
558. Son traité de rhétorique, 538. Chanoine de
Senlis, 53o. Ses éloges de Sentis et de Paris, 5.3 1-
536 , 538-56o. Ses rapports avec Marsile de Padoue ,
i^^ , 555, 568. Sa collaboration au Defensor imcis ,
571-573. Son projet d'étahlissementau Cloîlre-Saint-
Benoit, 588. Son séjour en Allemagne, 389-591;
à Rome, 596. Nommé évéque de Ferrare par Loui^
de Bavière , 5g8, 601. Lieu et date de sa mort.
399-602. Succès de ses ouvrages philosophiques,
618.
Jean de La Chaleur, chancelier de l'église de
Paris, 611.
Jean del Primo , frère Mineur, 48».
Jean de Mai-liano, médecin milanais, 366.
Jean de Paris, 48 1.
Jean de Paris, ou Jean Qui dort, 56o, 582.
Jean de Saint-Lyenart , bailli de Caen, 169.
Jean dEssei, évéque de Coulaiices, 182.
Jean de(oudu) FiV/nai.Sa traduction des Otia inipe-
rialiade Gervais de Tilbury, 18, 62.4-627; de la Ijé-
gcnde dorée, 45o. Son ignoi'anrc de la géogiapliie
de la France , î 1 .
Jean du Fay, 168.
Jean Duiu .Scot, 48 1, 493, Su, 5i3, 326, 327,
539.
Jean du Viijnai. Voir .Jean de Vignai.
Jean Golein , 621.
Jean l'Aumonier (Saint) , vie en vers, 353.
Jean l'Evangélislc (Saint), vie en ver», 354; vie et
passion en prose, 393, 397, 399, 4oi, 4o6, 4og,
in, 417, 424, 43 1, 433, 434, 435, 443; mar-
tyre, 4oi, 4o6, 409, 4i2 , 417. 435; version lyon-
naise, 444. Commentaire sur l'évangile de — , '171.
Jean Patdiu [Saint), vie en vers, 354; la même
vie mise en prose, 448.
Jeanne de Flandre, fille de Baudouin, empereur
<le Constantinople; écrits de Wauchier de Denain
composés à sa requête, 289, 291.
Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel; la
traduction castillane de Kalilali et Dimnah lui est
offerte, 191. Mentionnée, 53o.
Jérôme [.Saint]. Sa vie tra<luile |>ar Wauchier,
378, 381, 4i3, 423, 43o, 436, 438, 438, 44o,
44 1. Pierre Auriol commente une de ses épîtres à
saint Paulin et sa préface à la traduction du Penta-
leuque, 517.
Jersey, 7'!, 75, 162-165.
Jérnsalem. Voir Hôpital.
Jésus-Christ, poèmes français sur sa vie, 355.
Voir Histoire de Jésus.
Job (Le livre de) mis en vers, 359.
Joh (Commentaire sur), 465, 472, 020.
Josaphat. Voir Barlaam et .Josaphal.
Joseph, lils de Jacob, vie en vers, SSg, 63o.
Jossc (.S'oint), vie en vers, 339.
Josué (Commentaire sur), 466,
Judas, vie en vers, 36o.
Jude. Voir Simon,
Jugement. Théorie do l'auteur du Grand Coutu-
niier normand, 130.
Jui]es (Comnientaira sur h's), 466.
Julien [Saint) et liasilisse [.Sainte], vie en prose,
44o.
Jidien de Brioude ou l'Hospitalier (Saint) , vie en
vers par aRogieri, 36o; rédaction en prose de ce
poème, 388, 4o3, 4o8, '117. 43i, 433, 435,
437,443,443.
Julien du Mans (5aint), 4i4, 433.
Julienne [Sainte), vie en vers, 36o; en prose,
i 33, 433, 434.
Jumeaux (Les trois Jrères), vie en prose, 407,
'110, 436, 439.
Jurés dans les îles de Jersey et Guernesey, i63.
Juridiction coactive déniée au pape et au clergé
par Jean de Jandun et Marsile de Padoue, 078,
608.
Juridiction ecclésiastique d'après le Defensor jMcis ,
579, 58 1, 593; d'après le Defensor minor de Mar-
sile de Padoue, 607, 608.
Jurisprudence normande, 174-190.
Jurypn Normandie, i'i3, i44. Laïque, mixte, 82.
Jus, définition dans le Grand Coutumier noi-
mand, io5 , 117.
Justice du duc de Normandie, 42.
Justitia. Sens de ce mot d'après le Grand Cou-
tumier normand ,117.
Kaldak et Dimnah [Le livre de), traduit en cas-
tillan, 191, 198-199; de castillan en latin, par
Kaimond de Béziers, 192; les deux exemplaires
de celte traduction, 192-197; version syriaque,
201; version arabe, 202, 2i3-2i5; version hé-
braïque, 220; la vei-sion de Raimond de Béziers
comparée avec le Directorium vite Aumône de
Jean de Capoue, 228-243.
Klimra'h. .Son opinion sur l'origine du Grand
<]outumier normand, 76-77.
iST. i.rnKR.
81
642
lABT.K DES \tTEURS
La Chaleur (Jean de).
Im Foy [De). Critique de son opinion sur l'au-
U'iir (lu Grand coutumier normand, yâ, 76.
Lambert (Saint), vie en prose, 4o3 , 4o8, 4>o,
4ia, 417, 434 , 437, 439.
Ijimhrrt le Bègue traduit en français des vie» des
saints, 63o.
[Mndolfo Colonnn . 60 r, 6o5.
Landri de fVahen, auteur d'une version perdue du
Cantique des cantuiues , 38o.
La Porrée (Gilbert de).
Tjiiini (Brunetto).
La Tour [BerOand de).
Laurent (Saint), vie en ver», 36o; en prose,
4oa , 4o8, 4io, 4i2, 417, 433, 437, 439, 44i.
Lausanne. Couvent de SaintrDominique , 459-
Évéques, 459, 461.
Lausanne (Jacques de).
Lazare (Saint). Compilation française sur — ,
438.
LÉGENDES MAGldGRAPHIQUES EN PROSE, 378-458.
LÉGKNDF.S HAGIOGRAPHIQUES EN VERS, 339-378.
Légemlier de Chartres, 455-456.
Léfjendiers manuscrits. Liste, 457.
LÉGENDIERS CLASSES SELON l'ORDRE DE l'aNNÉE
LITURGIQUE, 448-456.
Léger (Saint), vie en vers, 36 1.
Lehire (Saint), Ëleutherius, vie en vers, 36 1.
fjéocttdie (Sainte), vie en vers, 36 1.
Jjéonard (Saint), vie en prose, 4^8.
Le Rouillé ( Guillaume ), 1 5 1 .
Leu (Saint), vie en vers, 36 1.
Lévitigue (Commentaire sur ie), 464, à^i.
Lex apparens, i48, i5o.
Lex probabilis oa monstralis, i48-i4g.
Le.c simple.!-, i48.
Liber de miraculis .S'. Jacobi , traduit m l'rauiai'*,
38i.
Lieux (Les) en logique, 9.
Ligier, cité, 119, 110.
Lille. i54.
Lire (Nicolas de).
fjogicn, attribuée à Pierre Auriol, 5 18.
Logique. Ses caractères selon Jean d'Antiochp, 8.
Loi. DéGnition du Grand Coutumier normiind .
118, ii9<
Lombard (Pierre).
Ijongastre (Rogier de). ^■
fjongin (Saint) , vie en prose, 398, 399, 40»V
407, 4io, 4u, 4i8, 439, 44i. ' " '■
Lonque évangile ( [m) , en pTn}ie , fn'i.
Lothicr ( Godejroi IIÏ, duc de ).
Loui'j (5aint), roi de France, 73, 83, 89.
fjouis X, roi de France, 75-74.
Louis de Baviire, empereur, 536 , 569-57« , 586 ,
594. 61 5, 616; ses relations avec Marsile de
Padoue et Jean de Jandun, 571, SSg-Sga, 696 ,
600, 60 a, 6o3 , 6o5, 617, 6i8, 610, 631; li'
Defensor pacis lui est dédié, 576, 586, 587.
Louis le Bon, duc de Bourbon, i3.
Luc (Saint), vie en prose, 4o4 , 407, 409, 417.
Lac (Commentaire sur l'évangile de saint), 470.
Lucie ou Luce [Sainte), vie envers, 36i ; vies en
prose, 4o2, 407, 4i', 4»3, 434, 437, 438;
version lyonnaise, 445.
Luther (Martin), 6a».
Lyon. Légendier en dialecte de — , 443; légen-
dier français composé à — , 446; fête de la
Conception de la Vierge célébrée à — . Voir j|f«r-
tjrs.
M
Madeleine. Voir Marie-Madeleine.
Magloire (Saint), vie en vers, 36i.
Mahaut i Artois , épouse d'Othon IV, comte de
Bourgogne. Procès avec son frère Philippe, i66-
174.
Mainardino (Bannmatteo ).
Manardino. Mainardinus (Marsilius). Voir Mar-
sile DE Padode.
Maître, son droit de correction, i4o.
Majorité. Vues de l'auteur du Grand Coutumier
normand, 110.
Malckas (Saint), vie traduite par Wauchier,
259, 266-267, 'i3o; autres versions, 3i2, 3i4,
325.
Mamertin (Saint), vie en prose, 4i4.
Mammis (.'iaint) , vie en prose, 398, 436, 44o;
version lyonnaise, 445.
Mantucrits des légendes hagiographiques en prose .
457-458.
Manuscrits des traductions françaises des Vies des
Pires et de quelques vies de saints , faites par Wauchier
deDenain, 269, 278-279.
Manuscrits des traductions françaises des Viei des
Pères, 327-328.
Marc (Saint), vies en prose, 398, 399, 4oi .
ET DES MATIERES.
643
407, àog, 4i2, iisS, /i3i , 433, 434 , 44i ; version
lyonnaise, 445.
Atarciac (Concile de), 589.
Margat (Etablissement du), partie des statuts de
l'ordre des Hospitaliers, 24 , 2g.
Marguerite (Mainte), vies en vers, 36î; en prose,
4i4. 423, 433, 44o, 443.
Marguerite à la Grande Bouche , 617, 618.
Mariage. Idées de Marsile de Padoue, 61 5.
Mariage ou dot en droit normand, 168-170.
Mariaqe Noire-Dame (Ay«), poème français, 366.
Marie, mère du Sauveur, célébrée en divers
poèmes, 363. Voir Annonciation , Astomption , Con-
ception , Histoire des Trois Maries . Purification.
Marie la pécheresse, nièce de l'ermite Abraham,
vie en pro"«>, 307, 3i^i, 442-
Marie l' Égyptienne [Sainte), vieen Ter», 367 ; vies
en prose, 4o4 , 4o8, 4i4. 4i8, 423, 438, 44i'
Marie-Madeleine (Sainte), vie en vers, 368; vies
en prose, 389-3go, 3g3, 4o4, 4o8, 4i8, 423,
437,438,43g, 44i, 443; version lyonnaise, 445.
Marie* [Les Trois), poèmes, 367.
Wan'ne [Sainte), vie en vers, 36g; en prose,
.307, 3i4, 423, 44».
Warijojfiani. 55, 60, 167, 187, 188. Voir Ma-
riage.
Marins [Saint), sainte Marthe et leurs fils Andifa.r
et Abacuc, vie en prose, 407, 4 10, 436, 439.
Marliano [Jean de).
Marsile de Padode ou Mainardino, 528. Son
origine, 561; ses premières aventures, 563-565;
ses études de médecine et de physique, 56», 563;
recteur de l'Université de Paris, 565, 566; cha-
noine de Padoue, 567; ses rapports avec Jean de
Jandun, 554, 555, 568; auteur du Defensor
imcis, 568-587; son séjour en Allemagne, 58g-
ôgi; à Rome, 595-5g7, 616; nommé arclie-
\ëque de Milan, 5gg, 602; son De Translatione
htiperii iiomani , 6o3-6o5; son Dejensor minor,
606-616, 618; son De jurisdictione Imperatoris
in causa matrimoniali , 617-618.
Marsile de .Sainte-Sophie , médecin padouan, 566.
Marthe [Sainte), vie en vers, 36g; vies en prose,
288-28g, 2gi, 423, 438, 439, 443.
Marthe [Sainte), Voir .Wari'iu.
Martial [Saint), vies en prose, 3g8, 4i3, 423,
43o, 436, 44o; version lyonnaise, 444.
Martin de Tours [Saint), vie traduite en vers par
Péan (ou Paien) Gastineau, 36g; traduite en prose
par Wauchier de Denain, 278, 27g, 282-285,
'112, 417, 422, 43o, 434, 443; version en prose
faite à Lyon, 44?.
Martinien (.Saint). Voir Procès et Martinien
[Saints).
Martyrs (Le* quarante-huit) de Lyon, 447.
Mathias [Saint), vie en prose, 4» 7, 433, 44 1.
Matliieu (.Saint), vies en prose, 3g7, 3gg, 4oi,
4o6, 4og, 4i2, 417, 43o, 43i, 433, 434, 435;
version lyonnaise, 444, 446.
Mathieu. (Commentaires sur l'évangile de saint),
470, 472.
Mathurin (.Saint;, sa vie mise en vers par Jean,
prêtre deLarchanl, 36g.
jValAurin Clément ou Courtois . doyen de la Fa-
culté de théologie de Paris, 4g 1.
Matteo Visconti , 563.
Maucael, auteur probable du Grand Coutumier
normand, 74, 75, 78, 79, 81, 16».
Maur [Saint), vie en prose, 4i4, 422.
Maurice (Frère), 63 1.
Maurice [Saint), vie en prose, 427.
Maynardino [Marsilius de). Voir Marsile de Pa-
DOCE.
Megenberg [Conrard de).
Melaine [Saint), vie en vers, 370.
Menandrinus , Menardinus [Marsilius). Voir Mar-
sile DE Padoie.
Metz. Légendes de saints appartenant à ce diocèse ,
45i.
Meyronnes [François de).
Michel de Césène , général des frères Mineurs,
484, 600-602, 620.
Michel Du four, dominicain, 470.
Milan, 563, Sgi.
Milan (Archevêque de), Sgg, 602.
Mineurs [Les Jrhes) , 61g, 620.
Mitinm , groupe de personnes liées par une obli-
gation de pleigerie, 147.
Modwenne [Sainte), vie en vers, 370.
Moïse [Saint), vie en vers, 370.
Malins [Bocfer de y
Monetagiuni, 121, 122.
Monnaie (Droit de battre), en Normandie, 4».
Montalto, 601, 602.
Montmorency [Le connétable de), manuscrit lui
ayant appartenu, 17.
Mont:Saint-Micbel , 7g.
Moralités (Recueils de). Recueil extrait des Pos-
tiiles de Jacques de Lausanne, 472. Recueil disposé
par ordre alphabéti(|ue , 472, 473.
Moretas [Théodore), 492.
Mortain, 78.
Morville [Hugues de).
Mussato [ Albertino).
N
Na/iles. Chapitre de l'ordre de .Saint-Dominique,
460. Chapitre de l'ordre de Saint-Franrois, 484.
Napoléon Orsini, cardinal, 620.
Nativité Notre-Dame [La), poèmf^ français, 366.
81.
644
TABLE DES AUTEURS
Nativité de Jésus (£a), poème français, 35?;
sermon français sur la — , 4i5, /|i6, .'137, ASg,
Ui.
Nararre (Collège de), 53o, by'i.
Sataire (.Saint), vie en proso, 4»o, 436, Mo.
Nédellec [Hervé].
Néel, év<^(|HO <\'VA), \6.
Nicaite (Saint) dr Heims . vie en prose, i^o,
/i4i.
Nicaise (Saint) de lioaen . vie en prose, 4 3. S.
Nicodème (Evangile de).
flicolas (Saint), vie» en vers, 370; en prose,
398, 4i3, 417, 432, 43o, 434, 436, 44o.
Nicolas V, antipa))e. Voir Pierre de Corbara.
Nicolas Biart , 63 1.
Nicolas de Casola . auteur présumé d'un poème
sur la Passion, 359.
Nicolas de Casa ,622.
Nicolas de Lire, frère Mineur, .ist, 63 1.
Nicolas de Véroiie . auteur d'un poème sur la Pas-
sion, 3.Î8.
Nicolas de Vienne, dit Amycl,rlercdu roi, 588, 589.
Nicolas de Vilters , l>ailli de Cotentin, 169.
Nicolas Oresme , 622.
Nicole Boton , francisrain anglais, auteur de vies
de saints en vers, 336, 337, 344. 368, 37»,
373.
Niem [Thierry de), 622.
Nombres (Commentaire sur les), 465, 472.
Nomincoart , 166-169, 173.
Normandie, durs, 42, .57,60, 83, 121, I23,
1 29. — F^a Conception de la Vicr<;e y est fêtée , 493.
V9ir AlU<E.STA (:OMML."IIA OF. SCACCARTO; ArRÊTS
DB l'Echiquier dk Normandif.; (^onsui.tatioxs sir
LA coiTiMF. oE Normandie; Cram) Coutumier i>f.
NoRtiANDiE; Recueils de jurisprideuce normande;
Très anc.ik»! Coutcuier.
Nuremberg, 589, 590.
0
Occam [Guillaume d'\.
Olive (Pierre- Jean d').
Onuphre (Saint), vie en vers, 370.
Onze mille rierges [ f^es), légende en prose, 4 ' 9 .
423, 439.
Opportune (.Sainte), vie en vers, 3-i.
Oresme (Nicolas).
Orléans , 122.
Orléans [ Université d') , 566.
Orsini [Ginn Gaetano), rardinal. ^87, 596.
Orsini [Napoléon).
Osanna (.Jacobas de).
Ositka (Sainte) , vie en vers, 371 .
Oswald (Saint), vie en prose, 427.
Otion IV, comte de Bourgogne, époiu de Maliaiit
d'Artois, 166, 172, 173.
Padoue, 56i , 562, 565, 567, 568, 591.
Padoue (Marsile de).
Palerme (Paul de) révise le texte d'un traité de
Jean de Jandun, 543.
Palestre (Im) eu temps de Jean d'Antioche ,
9, 10.
Pancrace (.Saint), vie en prose, 433.
Pantaléon (Saint), vie en prose, 4 11, 4i2,
43o.
Pape. Ses droits et ses devoirs d'après Pierre Aii-
riol, 526. Hôle subordonné qui lui est attribué par
le Defensor pacis , 584. Ses usurpations d'après le
Drfensor pacis.
Parages, i35, i56.
Paris. Concile de 1212, n6. Assemblée du
clergé, 488. Chapitre de l'ordn- de Saint-Domi-
nique, 46o. Couvent de Saint-Jacques, 459, 46o.
Sermons prêches dans les églises, 46o. Eloges de
cette ville par un dictator anonyme, 532 ; par Jean
de Jandun, 532-535, 558. 5,59. Université, 48o,
482, 484, 486, 493, 528, 5.3o, 555, 565; sa
description par Jean de Jandun , 533 , 534 ; Fa-
culté de théologie, 611, 622.
Paris [Jean de).
Pnscltasius. Les Vrrba seniorum traduits en latin
par cet écrivain, pnis mis en français, 3o5. 3o6.
l'dssau, 589.
Passemer (Raimon).
Passion du Christ (Poèmes français sur la), 355.
358, 359, 364. Voir Evangile de Nicodhne.
Patri [Guillaume).
Patrice [ Le Purgatoire de saint ) , par Hugues de
Salfrev, mis en vers, 371; en prose, 391, <o3.
'108, 4i3, 4i8, ^22, 43o, 437. 438. 'M3.
Patronage. 81, 82, i43-i45.
Paul, apâtre [Saint), passion, en prose, itf'i,
394, 397, 399, 4oo, 4o6, 409, 4 12, il 7. 4.3o.
43i, 433, 434. — Voir Pierre (.Saint).
Paul (Vision de saint), composition apocryphe
mise en vers, 372.
Paul Fermilc (Saint), vie en vers, 372; vie en
prose, parWauchier, 259, 260, 363, 398; «ntri's
traductions en prose, 296-297, 4i3, 422, 434.
436.
Paul le Simple, sa vie tra<luite par W aiirhier,
259. 267-268. 43o.
ET DES MATIERES.
(')'ir>
l^aule (Sainte) , vie en vers, 373.
l'aulin de fiolr [Saint'. Sa vio tivro II <lu Di<i-
Inijiie Je saint Grégoire) traduite par Wanchicr,
■f-i-jyî, 43o; vie en ver», 873.
l'aalus (Jean).
Pauvreté évanijéliijtie (Controverse sur la), A81,
'iSi, 489-491, 58o.
Péan (ou Paien ) Gatineatt . auteur d'une vie en vers
(II' saint Martin, 369.
Peinture à l'huile (C^oninioncements de la . 476.
Pelage (IjC diacre). Verlia seniorum traduits par
lui du grec; version française partielle, 3o4-3o7,
3i'i, 317, 319; versions complètes, 3as-354, 397.
Pélagie (.S'oinlc), vie en prose, 037, note 2, 4i4 ,
44i.
Pelayo (Alvaro).
Pèlerinages. Idées de Marsile de Padoue , 610.
Pénitence. Idée» de Marsile de Padoue, (io8.
Percerai, poème de Chreslien de Troyes continué
par Wauchier de Denain, 290; cité par un écrivain
du lin' siècle, jgS, îgS. — Voir Chrestien de
Troyes.
PÈRES (Vies des), \ersion eu vei-s par Henri
(l'Arri, 3,17158; versions en prose. !ii>8-3j8; ver-
sion de Wauchier de Denain, 3.18-378; version
cliani|>enoise, 392 Si'i-
Perpétue et Félicité [Saintes), vie en prose,
433.
Pétronille ou Péronelle [Sainte) , vie en prose, 407,
'118, 423, 433.
Philippe (Saint), vies en pros»!, 397, 899, 4oi,
'106, 409, 4l3, 423, 43o. 'l3l, 433, 434, ^3.1;
version lyonnaise. 444, 446.
Philipi>r , comte de Namur, protecteur de Wau-
chier de Denain , 3,58, 360, 381, 386, 391.
Philippe Auguste, roi de France, 47, 63, 64, 83,
97, i43.
Philippe d'Artois, époux <le Blanche de Bretagne.
Procès avec sa sœur, Mahaut d'Artois, 166-173.
Philippe de Dreu.r, évoque de Beauvais, fait com-
poser divers écrits par Pierre de Beauvais, 38i.
Philippe de Grire . chancelier de Nolre-Danie,
478.
Philippe le Bel , roi de France, 70, 71. i44.
Philippe le Hardi, roi de France, 76, 77, 167.
Philippe le Long, roi de France, s'intéresse à
Jacques de Lausanne, 46o.
Philosophie. Son origine et son caractère selon
Jean d'Antioclic, 5.
Philosophie naturelle. Programme d'enseignement
dans Jean de Jandun, .S37 oSi).
P'tazzola (Roland de).
Picaud [Aimeri],
Pierre (Saint). Dispute de — et de saint Paul
contre Simon le magicien, 897, 4oo, 4ifi, 409,
4 1 3 , 417, 43o, 43 1, 433; passion, 3g3 , 897, 899,
4oo, 4o6, 409, 4 13, 417, 43o, 43i, 433, 434,
435; version lyonnaise,
saint Pierre, Pierre h tiens.
Voir Chaire de
Pierre Aurioi.. l'rère Mineur, auteur de sermons,
de commentaires sur l'Kcrilure, d'ouvrages de théo-
logie et de philosophie, 479-537. Sa vie, 479- '189.
Intervient dans la controverse sur la pauvreté évan-
gélique, 48i, 483, 489-491; dans le débat sur la
conception de la Vierge, 483-48'i, 491-500. Son
enseignement à Paris, 484-480. Provincial d'Aqui-
taine, 48(i; areheièqiK^ d"Ai\, '187. Ses ouvrages,
489-527. Il prend à partie Thomas de Wilton,
Ô07. Il entreprenil de concilier le péripatélisme et
le christianisme, 309. Il l'ait l'application des
visions di- l'Apocalypse aux différentes périodes de
l'histoire de l'Kglise, 5i3; n'ose se prononcer sur
l'époque de la lin du monde, 5i4. Son mauvais
goi'il , 5i4. Sa manière de prêcher, 5 18. Ses doc-
trines philosophiques, 521-Ô34; tliéologiques, 530-
530. Son opinion sur le sort des non-clirétiens ,
524. 535; sur les droits et les devoirs du pape,
536. Jugements de la postérité sur lui, 53C, 537.
Pierre dAbano , commentateur des Problèmes
d'Arislole, 554-556, 568.
Pierre de Baume, général des Dominicains, 467.
Pierre (de Beauvais), auteur d'un po«;me sur les
Trois Maries, 367; de traductions en vers de plu-
sieurs vies de saints, 348, 35 1, 359; •'"'•■'f' version
en prose du Lilier de miraeulis sancti .facobi , 38 1.
Pierre de Carvilte, maire de Rouen, 169.
Pierre de Corbara, antipa|)e, SgS, 596, tiig.
Pierre de Courtenai (de la branches des seignetiis
deChampignolles). Débat avec Marguerite, sa sœur.
173, i7'i.
Pierre de Florence, régent en médecine, 588.
Pierre de Fontaines , 75-77.
Pierre de Houssemagne , 168.
Pierre de Pommerucl , 168.
Pierre des Prés, archevêque d'Aix, puis cardinal,
i87, 489.
Pierre de Tossignano , médecin bolonais, 560.
Pierre de Verberie, religieux de l'ordre; du Val-
des-f>oliers , confondu avec Pierre Auriol, 48<i,
5 00.
Pierre es liens (Fête de la Saint-), homélie fran-
çaise, 425.
Pierre-Jean dOlive, 48i.
Pierre l'acolyte (.Saint), vie en prose, 433, 430.
Pierre le Petit, jurisconsulte! normand du
\v* siècle, cité, i36.
Pierre Lombard. 5o6, 608, 609. Voir .SVii-
tcnces.
Pierre Roger, Voir Clément VI.
Pilate (Légende de), en vers, 378.
Pise, 600-601.
Placide (Saint) , vie en prose, 4 1 4 , 'i35.
Plainte de Notre-Dame, version en prose du
Planctus beatie Mariœ attribué i« saint Be^niurd ou à
saint Anselme, 44 1, 440.
Planctus beatœ Mariw. Voii' Plainte de Notre-
Dume.
Platon. Opinion de Pierre Auriol sur le sort tle
son 4me, 52 4.
6/l6
r\HLE DES \IJTEURS
l'ififirrir du vassal poiii- le suzoï'aiii, i.'iO, 147.
PoùU et mesures . n 1 .
Pnmmercl [Pierre de).
Pons (Couvcnl de), 46 1.
Pont-Audemer, 16g.
Préaujc (Abbé de), 178.
Prés [Pierre des).
Prescription, 72-74, 107, 108.
Preuve, à la charge du défendeur, liig, i5o.
Preuve écrite des jugements, i53.
Primauté de l'Eglise de Rome niée dans le De-
fensor jiacis , .iSa-ôSS, SgS; dans Ir Drjensor
minor, 611, 6 m.
Prime et Félicien [Saints), vie en prose, 433.
Primo [Jean detj.
Priscien. cité par Jean d'Antioclif. 6.
Procédure dans le Grand Coutumier normand,
i48-i5î.
Procès et Martinien [Saints), vie en prose. 4ic),
43o, 43 1.
Procureur, 147.
Protais (5omt). Voir Gervais.
Proverbes (Commentaire sur les), 466, 472.
Pui (Raimond du).
Purgatoire. \oir Patrice [.Saint],
Purification \olre-l)nnie , sermon français, 4iâ,
4i6, 427.
Q
Quentin [.Saint 1, vie en vers, .^73; en prose, SgS,
436, 439.
Qui dort [Jean). Voir Jean de Paris,
Qaintilien, cité par Jean d'Antiocbe, (j.
Quiriaifue [Saint), vie en prose, -ios, '107, 4 10,
430, 439.
Quo warraiilo (Plaid /)(■) , 163.
R
Radulfus Gillanus de Gaereio . 176, 177.
Raimond Auriol, 488.
Raimond Auriol, frère Mineur, 482.
Raimond de Béziers , traducteur et compilateur,
igi-îSS.
Raimond du Pui, fie l'ordre des Hospitaliers de
Saint-Jean. Sa Règle, 25, 26, 29.
Raimond Passemer, vicomte de Pont-Audemer,
169.
Raimond ini [Marsilins). Voir Marsile de
Padoue.
Raoul dEstrées , 1 73.
Rayn [Georges de).
Record, 91-96, io5, i53. Record d(^vue, 90.
UeCUEILS DR JURISPRUDENCE NORMANDE, 174-190.
Reginald, moine de Durham, auteur de la vie de
saint Godric, 423.
/Jcinu , synode , 439.
Reine [Sainte) , vie en ler», 374.
Relief, 5o. Relief de fief, quinze livres, 177,
178.
Rémi (5oinf) , vie en vers, 87'! ; en prose, <22.
Renaut du Mesnil , 168.
Renaut le Chambellenc , 169,
René [Saint), vie en vers, 874.
Représentation, en droit successoral, i3o, i3i.
t Requenoissant de fié et de gage t, 63.
t Requenoissant de jieu ou daumosnet, 52-53.
Retrait lignager. iSS-iSg.
Rex Anglia vel Gtdliie, 48-49-
Rex Gallia, 48-49-
Rhétorique, Son caractère selon Jean d'Anlioclie ,
6,7. — Voir Âristote, Cicéron.
Richard [.Saint), vie en vers, 374.
Richard Barbe, 621.
Richard Coeur de Lion , roi d'Angleterre, 63-64.
73-74.
Richard de Bois-Yvon , 180-181.
Richard de Fournival. 3.
Richard Dennebanlt, Donebault, ou Dourbault .
111-112.
Richard de Saint-Denit, 177.
Richard de Saint-Victor, 5o4 , 608.
Richart le Gualois. 168.
Richart Rufaul . 1 68.
Rieti [André de),
Rigaud [Eudes),
Robert II, comte d'Artois, époux en premières
noces d'Amicie de Courtenai , en secondes noces
d'Agnès de Bourbon, i66, 172.
Robert dArtois, fils de Philippe d'Artois, rival
de Mahaut, 173,
Robert Courte-Heuse , dur de Normandie. 4i.
Robert de Bardi. 588.
Robert de Bois—Yvon , 1 80- 1 8 1 .
Robert de Courçon, statuts de iïi5, i4o.
Robert du Mesnil fVares , douaire de sa femme,
>79-
Robert Gerart, 168.
Robert le Normand, 77.
Roger (Pierre). Voir Clément VI,
Roger, châtelain de Lille, 289, agi.
ET DES MATIERES.
ùfi:
Hoqer de Molins, grand maître de l'ordre de
Saint^Iean de Jrrusalem. Ses statuts, i5.
Roger de Saint- André, 5i.
Rogertu de Brottona , 178.
Rotjier, auteur de la vie en vers français de saint
Julien l'Hospitalier, 36o.
Rogier de Courçon, 168.
Rogier de Longa^tre, auteur d'une \ie de saint
Léonard en prose, 4 3 8.
Roland de Piazzola, 565.
Rôles dans les tribunaux normands, i53, i54>
Romberch [Jean], auteur de passages interpolés
dans un ouvrage de Jean de Jandun, o.Sy.
Rome, 584-597, 601, 616.
Rome [Gilles de).
Ros [Adam de).
Ros(e distinctiones , traité attribué à Pierre Au-
riol ,519.
Rouen, ni, ia5, 169; archevêque, i4i, i'i2;
corps de ville, 85.
Ravier de Portes , 168.
Ruffec. Concile, 589.
Rufin d'AtjaiUe. Son Historia monachoram tra-
duite par WaHchier, aSg, 273-276. Autres traduc-
tions, 297-802, 3i4, 3i5-32o, 324-325. Verhn
seniorum traduit» par Wauchier, 276-278.
Ruttt (Commentaire sur) , 466.
■Sa^cMC (Commentaire sur le livre de la), 467,
47a.
Sainte-Sophie [Marsile de).
Saint-Etienne (Daniel, Guillaume de).
Saint-James, 78.
Saint-Jean-d Acre . a, 3, i3, 17; manuscrit
probablement copié dans cette ville, 18.
Saint-Luc [Etienne de).
Saint-Oaen de Rouen , i44.
Saint- Pourçain [Durand de).
Saint-Qaentin , i4o.
Saints. Ijégendes traduites en français. Voir Char-
t)es, IJgendes , Ugendier, Metz et les noms des
saints.
Saint-Sauveur-le- Vicomte , 7g.
Suint-Victor [Richard de).
Salerne (Archevêque de), 486.
, Salvaing , cité, i46.
Sant' Elpidio [Alexandre de).
Sarnano (Cardinal de). Voir Boccafaoco [Cos-
tanzn).
Sarrasins (Commerce illicite avec les), 476.
Saterian ou Satterian , nom donné au recueil des
statuts de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem en
souvenir de la I^ex satariana, 33, 34.
Sauveur [Saint), miracle mis en vers, 875.
Saxenhaasen (Appel de), 589.
.Scala [Alboino délia).
Scala [Cane Grande délia).
Sciarra Colonna, bgh, 696.
.S'cot [Jean Dans).
.Scriptum générale , cité par l'auteur du Très an-
cien Coutumier normand, 58, 59,60.
Sébastien (.Saint), vies en vers, 376; en prose,
397, 4oi, 407, 4io, 4i2, 4i8, 432, 433; version
lyonnnaise, 444, 446.
Sénéchal de Normandie, 83, 97-98.
Senlis, 53o, 53i; éloge de cette ville par Jean
de Jandun, 53i, 532, 558, 559.
Sens (Province de), 53o.
Sens actif. Dissertations de Jean de Jandun sur
ce sujet, 545, 546, 549.
Sentences (Commentaires sur le Livre des), 463,
487, 499-504 , 5o5.
Sergents du roi instrumentant sur les terres des
hauts justiciers, i84.
.Sermons de Jacques de Lausanne, 473-479; de
Pierre Auriol , 517, 5 1 8.
Seth, Jils d'Adam, récit apocryphe concernanl
l'arbre dont fut faite la Croiï, en vers, 373.
.S'iuer de lirabant , 34 <•
Silvestre [Suint], vie en vers, 875; en prose,
4o3, 4o8, 4i8, 422, 433, 438.
Siméon [Saint], vie en prose, 4i4, 423.
Simon et Jade [Saints], vies en prose, 897, 899,
4oi, 4o6, 409, 4i2, 417, 43o, 43i, 434. 435;
version lyonnaise, 444-
Simon de fValsingham, auteur d'une vie en vers (le
sainte Foi , 35o.
.Simon dOumoi, 177.
Sixte [Saint] , vie en prose, 4o2 , 4o8, 4io , 417,
434.437. 439.
.Sixte Quint, pape, 5o3.
Somme de Maucael, i63-i63.
Songe du Vergier [Le], 622.
.Songes. Opinion de Jean de Jandun sur l'ait
(le les interpréter, 553.
Souveraineté populaire. Théorie du Defensor pacix ,
575-577.
Spinetam, fief, 178.
5pire .122.
Spiridion [Saint], évêque en Chypre, 3i 1.
Spirituels [ Les ), 611.
Stejaneschi [Jacques de'].
Successions, i3o, i3i, i55, 168-170.
Suicide, i23, 126-128.
Snlpice Sévère. Vie de saint Martinet Dialogues,
traduits par Wauchier, 278, 279, 286-287, 4i3.
Voir Excerpta.
Summa de legibus Normannie. Voir Grand Coi-
TCMiER DE Normandie.
.Suzanne (.Soinfe), récit en prose d'après le livre
de Daniel, 442.
.Symon de Aneseio , 177.
()'i8
TABI.K DES AUTEURS
Tardif (Joseph) , cité, 44-48, ,'>9, 63, 7O, 78,
79, 85, 92, 97, 99, (iî8, 629.
Tavernage (Droit de), 84.
Tavernier [Denis),
Teliau (Saint), vie en prose, 4 a 8.
Terrien , cité , 1 36 , 1 38 , 1 G 1 .
l'hais (Sainte), vie en vers, 307, 370; en
prose, 3o8, 3i4, 3ai, fi'm.
Théodore (Saint), vie en prose, 4 10.
Théophile, sa légende, mise en vers, 376.
Théroudc , 127.
Thibaut de Provins (Saint), vie en vers, 376;
en prose, 4 18.
fhieni de Vaucouleurs . auteur d'une vie en ver»
(le saint Jean l'évangélistc , 355,
Thomas d'Aquin (Saint), combattu par Pierre
Auriol, 53 1.
Thomas de liailli , chancelier de Notre-Dame,
'itio.
Thomas de Cantorbérj (.Saint), vies en vers, 376;
homélie sur ce saint traduite en français, 4o3,
'108, 4 10, 4 18; vie en prose, 44o.
Thomas de Wilton, chancelier de Londres, 007,
5o8.
Thomas Elie de Biville (Le bienheiu'eux) , sa \ie
mise en vers, 377.
Thomas l'apôtre (.Sain(),viesen prose, 39g, 4og, 417,
434,433, 434, 435, 44o; version lyonnaise, 44'i.
Tilbury (Gervais de),
Tobie, poème français altrihué à Guillaume,
clerc normand, 377.
Todi , 600-602.
Tossignano (Pierre de),
Toulouse, 480, 482-484, ^92, '198. Concile,
589.
Tournaisis , 1 3 '1 .
Traductions, Règles suivies |)ai' Jean d'Antioche
pour traduire en français les ouvrages latins, 7, 8.
Scrupules occasionnés aux traducteurs par le carac-
tère des textes liturgiques, 21. Traduction delà
Rhétorique de Cicéron, 1-17; d'autres ouvrages
de Cicéron, i3; «les Otia imperialia de Gervais de
Tilbury, 17-23, 624; des Statuts de l'Hôpital de
Saint-Jean de .Jérusalem, 23.
Trente, Sgi.
Très a\c.ikn (JoiiriiMiKH de Normandie, 43-65.
Cité, i5'i, 188, 189.
Trespas \ostre-Dame (fjt), poème, 367.
u
Ubcrtino de Casai, frère Mineur, 483, 096.
Uniicrsaux, Théorie de Jean de Jandun , 556 , 557.
Usage, Définition de l'auteur du Grand Coutu-
mier de Normandie, 118-119.
Vsances de l'ordre de l'Hôpital de Jératalem ,
'}. 27.
Usure , "jci, 83 , 85, 133, 1 39.
Vaine pâture, 120, i3i.
\'alentin (.Saint), vie en prose, 4io, 432.
Valoijnes , 78, 79, 161.
Varazze [Jacques de),
Vascœuil (Gilbert de).
Vassaux liges du duc de Normandie, 121.
Vast (.S'oint), vies en prose, Sgs, 43o, 448.
Vauiemain (Hugues de),
Vavasseur, 58.
Vengeance de Notre-Scigneur , légende en prose,
ii8.
Venise (François de),
Verba seniorum. Voir Paschasitts, Pélagie, fiujin
il' iquilée,
Verberie (Pierre de).
Veriscutn , 121.
Vermandois, i54.
Vrrnia (Nicnleto), de Chieti, revise le texte d'un
ouvrage de Jean de Jandun, 543.
Vérone, 563.
Véronique (Histoire de la), en prosi!, 3g'i.
Victor (Saint), vie en prose, 4i 1 , 433.
V'ictoriijue (Saint), Voir Fuscien.
Vie des Pères , recueil de contes dévots en vers ,
356-257.
Vienne en Autriche, 565.
Vienne en Dauphiné, 466. Concile, 124, 1^3,
ii5,48i.
Vienne (JSirolas de).
Vies de.s Pèbes. Voir Pkrk.s.
Vies des saints, traduites en vers, 328-378; en
prose, 378-458. Voir au nom de chaque saint.
Vignai (Jean de ou du),
Villaret (Foulque, GuUlaume de).
ET DES MATIERES.
649
Villefranche , en Provence (Couvent de), 48».
Vincent [Saint) , \\e en prose, 4oi, 407, 409,
4)2 , 417, 43a, 433, 44i.
Virçjile. Traduction de la légende de Virgile rap-
portée par Gervais de Tilbury, 10, 6î5. Cité, 5î.
Visconti [Atzo),
Visconti (Matteo).
Visio languoris . go , 91.
Vision de saint Paul, î58.
Vitm (ou Vitas) Patrum, titre de diverses con>-
piiations manuscrites ou imprimées, a45-a55.
Vœux. Idées de Marsile de Padoue, 610, 611.
Forajine. Voir Jacques de Varazze.
Vues, enquêtes en Normandie, i83, 184.
w
fVaben (Landri de).
fVace, auteur du poème de la Conception Notre-
Dame, 364; de VAssomption, 365; des vies de
sainte Marguerite , 36a, saint Nicolas, 370. Manu-
scrit de la Conception, aSg.
fVare (Guillaume de).
Warron (Guillaamt).
VVacchier de Demain, traducteur en prose
des Vies des Pères, de diverses vies de saints,
des Dialogues de Sulpice Sévère, a58-a92, 38o,
4i3, 43o,43i, 434.
fViclif {Jean) , 61 a.
fVill. le Normant, 77.
fVilton (Thomas de).
fVimpfelinif (Jacques), 5ii.
lY
Yolant, comtesse de Saint-Pol, fait faire une tra-
duction du Liber de miraculis sancti Jaeobi, 38 1.
Yves (Saint), vie en ver», 378.
Zimara (Marc-Antoine), 5î8, 55a, 556.
HIST. LITTER. •
XXXIII.
82
TABLE
nES ARTICLKS CONTENUS DANS CE TRENTE-TROISIEME VOLUME.
Page'.
AvEHTISSEMBNV Ill
Notice sur Gvstos Paris (P. M.) vu
Ql'ATORZlÈME SIÈCLE.
Maitre Jean d'Antioche , traducteur, et frère Guillaume de Saint-Etienne (L. D.) i
Les Coulumiers de Normandie (P. V.) 4i
Kaimond de Béziers, traducteur et compilateur (G. P. j 191
Versions en vers et en prose des Vies^des Pères (P. M.) a54
Légendes hagiographiques en frnnçais (P. M.) :
I Légendes en vers 3a8
II Légendes en prose 378
Jacques de Lausanne, frère Prêcheur (B. H.) 45g
Pierre Auriol, frère Mineur (ÏS. V.) 479
Jean de Jandun et Marsile de Padone, auteurs du Defensor pacis (iN. V.) 528
Additions et cobrectioxs 624
Table des auteurs et des matières 633
n
PUBLICATIONS
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bliothèque nationale et autres bibliothèques,
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épuisés; XI à XXVI; XXVII, 1" et 2° fascicules
delà i" partie, et XXVII, a* partie; XXVIII à
XXX, i"et 2" parties (contenant la table des tomes
XVI à XXIX); XXXI à XXXVI, 1" et 2" parties;
tome XXXVII; tome XXXVIII, i" et 2' parties.
À partir du tome XIV jusqu'au tome XXXVIII
(sauf le tome XXXVII, qui est en un seul volume),
chaque tome est divisé en deux parties; du
tome XIV au tome XXIX, la première partie de
chaque tome est réservée à la littérature orien-
tale. Prix des tomes XI, XII, XIII et de chaque
partie des tomes suivants i5 fr.
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— Tome II, i" et a' partie», in-fol. Prix de chaque
demi-volume 33 fr. 5o
— Tome IV, in-fol. Prix du volume 5o fr.
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— Tome I, fasc. i et 11. Prix du fascicule. 5o fr.
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4* partie , Inscriptions himyarites :
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Recueil des historiens des Gaules bt de la France.
Nouvelle série, in-4° : Documents financiers,
Obituaires, Pouillés, eU:.
Recueil des historiens des croisades. Historiens
arméniens. Tome II.
Histoire littéraire. Tome XXXIV.
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BERGER (S.). Notice sur quelques textes latins
inédits de l'Ancien Testament (iSgS). 1 fr. 70
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CHAVANNES. Dix inscriptions chinoises de l'Asie
centrale , d'après les estampages de M. Ch.-
E. Bouin (190a ) 6 fr.
CUQ (Ed.). Lé colonat partiaire dans l'Afrique ro-
maine, d'après l'inscription d'HenchirMettich
(1897) 3rr.
DELABORDE (H.-F.). Les inventaires du Trésor des
chartes, dressés par Gérard de Montaigu
(1900) 3 fr. 5o
DELISLE (L.). Notice sur un psautier latin-francais
du xii' siècle (ms. latin 1670 des Nouvelles
acquisitions de la Bibliothèque nationale,)
avec fac-similé (1891) 1 fr. 10
— Anciennes traductions françaises du traité de
Pétrarque sur les Remèdes ie l'une et l'antre for-
tune (i8gi ) 1 fr. 40
— Notice sur la chronique d'un anonyme de
Béthune du temps de Philippe Auguste
(1891) 1 fr. 70
— Fragments inédits de l'histoire de Louis XI par
Thomas Basin, tirés d'un manuscrit de Gœt-
tingue, avec trois planches (1893). . a fr. 60
— Notice sur les manuscrits originaux d'Adémar de
Chabannes, avec six planches (1896). 6 fr. 5o
■ — Notice sur la chronique d'un dominicain de
Parme, avec fac-similé (1896) a fr.
— Notice sur un livre annoté par Pétrarque (ms.
latin 3201 de la Bibliothèque nationale ), avec
deux planches (1896) 1 fr. 70
— Notice sur les Sept psaumes allégorisés de Chris-
tine de Pisan (1896) o fr. 80
— Notice sur un manuscrit de l'église de Lyon du
temps de Charlemagne, avec trois planches
(1898) 1 fr.70
— Notice sur une Summa dictuminis jadis conservée
à Beauvais (1898) i fr. 70
— Notice sur la Rhétorique de Cicéron, traduite
par maître Jean d'Antioche, avec deux plan-
ches (1899) 3 fr. 5o
^ Notice sur un registre des procès-verbaux de la
Faculté de théologie de Paris, pendant les
années i5oo-i.533 (1899) 3 fr. 80
— Notice sur les manuscrits du «Liber Floridus»
composé en 1 1 ao par Lambei-t chanoine de
S' Omer 8 fr. 60
DELOCHE (M.). Saint-Remy de Provence au moyei}
âge, avec deux cartes (189a) 4 fr. 4o
— De la signification des mots pax et honor sur les
monnaies béarnaises et du s barré sur des
jetons de souverains du Béarn (i8g3). 1 fr. 10
I .
PUBLICATIONS DE L'ACADEMIE.
DELOCHE (M.). Le port des anneaux dans l'antiquité
et dans les premiers siècles du moyen âge
(1896) 4fi-. 40
Des indices de l'occupation par les Ligures de
la région qui fut plus tard appelée la Gaule
(1897) ofr. 80
Pagi et Vicairies du Limousin aux ix*, x" et
XI* siècles, avec une carte (1899).. . 3 fr. 5o
DEVÉRIA (G.). L'écriture du royaume de Si-Hia ou
Tangout, avec deux planches (i8g8). . 2 fr.
DIEULAFOY (M.). Le Château Gaillard et l'architec-
ture militaire au xiu* siècle, avec vingt-cinq
figures (1898) 3 fr.
— La bataille de Muret (1899) 2 fr.
EUTING. Notice sur un papyrus égypto-araméen de
la Bibliothèque impériale de Strasbourg
(1903) » fr-4o
FERRAND (G.). Un texte arabico-malgache du
xvr siècle ( 1904 ) 5 fr.
FOUCART (P.). Recherches sur l'origine et la na-
ture des mystères d'Eleusis (1895).. 3 fr. 5o
Les grands mystères d'Eleusis. Personnel. Céré-
monies (1900) 6 fr. 5o
Formation de la province romaine d'Asie
{i9o3) afr.
— Le culte de Dionysos en Attique (igoi). . 8 fr.
— Sénatus-consulte de Thisbé (170), 1906 . 2 fr.
— Étude surDidymos, d'après un papyrus de Berlin
(1907) '^'■'■•
FOUCHER (A.). Catalogue des peintures népalaises
et tibétaines de la collection B.-H. Hodgson
à la bibliothèque de l'Institut de France
{1897) » fr-70
FUNCK-BRENTANO (Fr.). Mémoire sur la bataille de
Courtrai {11 juillet iSoa) et les chroniqueurs
qui en ont traité, pour servir à l'historiogra-
phie du règne de Philippe le Bel ( 1 89 1 ). 4 fr. /(O
(llRï(A.).Étudecritiquedequelquesdocumenls ange-
vins de l'époque carolingienne (i 900). 3 fr. 5o
GRAUX (Ch.). Traité de tactique connu sous le titre
HepJ xaxaaiaaeat «»Ai)xTo«, Traité de castranw-
talion, rédigé par ordre de Nicéphore Phocas,
texte grec inédit, augmenté d'une préface par
.Mbert Martin (1898) 2 fr. 60
HAURÉAU (B.j. Notices sur les numéros 3i43,
14877, 16089 et 16409 des manuscrits latins
de la Bibliothèque nationale, quatre fascicules
(18901895). o fr. 80, 1 fr.40, 1 fr.70 et 2 fr.
— Le poème adressé par Abélard a son fils Astra-
labe (1893) 2fr.
— Notices sur les inanuscrils n"' 583, 657, 1249,
2945, 2900, 3i45, 3i46, 3437, 3473, 3482,
3490, 3498, 3653, 3702, 3730 (1904). a fr.3o
HELBIG (W.). Sur la question Mycénienne
(1896) 3 fr. 5o
— Les vases du Dipylon et les Naucraries, avec
vingt-cinq figurés (1898) 1 fr. 70
HELBIG (W.j. Les î)nr£« athéniens (1903]. 5 fr.
— Sur les attributs des Saiiens ( 1906) . . . 3 fr. 20
JOULIN (L.). Les établissements gallo-romains de
Martres-Tolosanes (1901 ) 18 fr. 80
LANGLOIS (Ch.-V.). Formulaires de lettres du xii*,
du xiii' et du xiv" siècle, six fascicules, avec
deux planches (1890-1897) 8 fr. 10
LASTEYRIE (Comte R. de). L'église Saint-Martin
de Tours, étude critique sur l'histoire et la
forme de ce monument du v* au xi* siècle
(1891) 2 fr.6o
— La déviation de l'axe des églises est-elle symbo-
lique ? I fr. 70
LE BLANT (Edmond). De l'ancienne croyance à
des moyens secrets de défier la torture
(1892) o fr. 80
— Note sur quelques anciens talismans de bataille
(1893) o fr. 80
— Sur deux déclamations attribuées à Qnintilien ,
note pour servir à l'histoire de la magie
(1890) 1 fr. 10
— 700 inscriptions de pierres gravées inédites
ou peu connues, avec deux planches
(1896) 8fr. 70
— Les commentaires des Livres saints et les artistes
chrétiens des premiers siècles (1899) . . 1 fr.
— Artémidore ( 1899) * '■'•
LUGE ( S. ). Jeanne Paynel à Chantilly (1 892 ). 4 fr. 70
MAS-LATRIE (Comte de). De l'empoisonnement
politique dans la république de Venise
(1893) 2 fr. 90
MENANT (J.). Kar-Kemish, sa position d'après les
découvertes modernes, avec carte et figures
(1891) 3fr. 5o
— Éléments du syllabaire hétéen (1892). 4 fr- 4o
MEYER (P.). Notices sur quelques manuscrits fran-
çais de la bibliothèque Phillipps à Cheltenham
('1891) 4 fr. 70
— Notice sur un recueil d'Exempla renfermé dans
le ms. B. IV. 19 de la bibliothèque capitulaire
de Durham (1891 ) 2 fr.
— Notice sur un manuscrit d'Orléans contenant
d'anciens miracles de la Vierge, en vers fran-
çais, avec planche ( 1893) i fr. 70
— Notice sur le recueil de miracles de la Vierge,
ms. Bibl. nat. fr. 818(1893) 1 fr. 70
— Notice de deux manuscrits de la vie de saint
Rémi , en vers français , ayant appartenu à
Charles V, avec une planche (1896). 1 fr. 4o
— Notice sur le manuscrit fr. 24862 de la Bi-
bliothèque nationale, contenant divers ou-
vrages composés ou écrits en Angleterre
(1895) 2fr.
— Notice du manuscrit Bibl. nat. fr. 6447 : traduc-
tion de divers livres de la Bible ; légende des
saints (1896) 3 fr. 20
PUBLICATIONS DE L'ACADÉMIE.
MEYEB (P.). Soiice sur les Corrogationes Promethei
d'Alexandre Neckam (1897) 2 fr.
— Notice sur un Légendier français du xm* siècle,
classé selon l'ordre de l'année liturgique
(1898) 3fr.
— Le LivreJournal de maître Ugo Teralh , notaire
et drapier à Forcalquier ( 1 33o- 1 333 ), avec une
planche (1898) 3 fr. 5o
— -Notice sur trois Légendiers français attribués à
Jean Belet {1899) '. 3 fr. 5o
— Notice d'un Légendier français conservé à la
Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg,
avec planche (1900) q fr. 5o
— Notice d'un manuscrit de Trinity Collège (Cam-
bridge) contenant les vies en vers français de
saint Jean l'aumônier et de saint Clément,
pape (1903) a fr. 5o
MORISSE (G.). Contribution préliminaire à l'é-
tude de l'écriture et de la langue Si-Hia
(1904) 3fr.5o
MORTET (V.) et TANNERY (P.). Un nouveau texte
des traités d'arpentage et de géométrie d'Epa-
phroditus et de Vitruvius Rufiis, avec deux
planches (1896) a fr. 60
MONTZ (E.j. Les collections d'antiques formées par
les Médicis au xvi* siècle ( 1895) ... 3 fr. 5o
— La tiare pontificale du vin* au xvi* siècle, avec
figures (1897) 3 fr. 80
— Le Musée de portraits de Paul Jove, contri-
bution pour servir à l'iconographie du moyen
âge et de la Renaissance, avec 55 portraits
(1900) 3fr. 80
NOLHAC (P. de). LeDeviris illustribus de Pétrarque ,
notice sur les manuscrits originaux , suivie de
fragments inédits (1890) 3 fr. 80
— La Vii^ile du Vatican et ses peintures, avec une
planche (1897) /, fr. 70
OMON"! (H.). Journal autobiographique du cardinal
Jérôme Aléandre (i48o-i53o), publié d'après
les manuscrits de Paris et Udine, avec deux
planches (1895) 5 fr. 3o
— Notice sur un très ancien manuscrit grec de
l'évangile de saint Matthieu en onciales d'or
sur parchemin pourpré et orné de minia-
tures, conservé à la Bibliothèque nationale,
avec deux planches (1900) 4 fr.
— Notice du ms. nouv. acq. franc, looôo de la
Bibliothèque nationale, contenant un nouveau
texte français de la Fleur des histoires de la
terre d'Orient de Hayton ( 1903) ■>. fr. 60
OMONT (IL). Notice du ms. nouv. acq. lat. 763 de
la Bibliothèque nationale et de quelques au-
tres mss provenant de Saint-Maximin de
Trêves (i9o3) 2 fr. 60
PÉLISSIER (L.-G.). Sur les dates de trois lettres
inédites de Jean Lascaris, ambassadeur de
France à Venise, i5o4-i5o9 (1901) 2 fr.
RAVAISSON (F.). La Vénus de Milo, avec neuf
planches (1892) 6 fr.
— Une œuvre de Pisaneilo, avec quatre planches
(1895) 2fr. 3o
— Monuments grecs relatifs à Achille, avec six
planches (1895) 4 fr.
ROBIOU (F.). L'état religieux de la Grèce et de
l'Orient au siècle d'Alexandre, deux fascicules
(1893-1895) 4 fr. et 4 fr. 4o
SCHWAB (M.). Vocabulaire de l'Angélologie , d'après
les manuscrits hébreux de la Bibliothèque na-
tionale (1897) la fr.
— Le manuscrit n° i38o du fonds hébreu à la
Bibliothèque nationale. Supplément au Voca-
bulaire de l'Angélologie (1899) 2 fr. 3o
— Le manuscrit hébreu n° i388 de la Bibliothèque
nationale, Haggadah pascale [igo^) . i fr. 5o
SPIEGELBERG (W.). Correspondances du temps des
rois-prêtres, publiées avec d'autres fragments
épistolaires de la Bibliothèque nationale , avec
huit planches ( 1895) 7 fr. 5o
TANNERY (P.). Le traité du quadrant de maître Ro-
bert Angles (Montpellier, xiii' siècle); texte
latin et ancienne traduction grecque, avec
figures (1897) 3 fr. 5o
TANNERY (P.) et CLERVAL. Une correspondance
d'écolàtres du xi" siècle (1900) 2 fr. 60
TOUTAIN (J.). Fouilles à Chemtou (Tunisie), sept.-
nov. 1893 , avec plan (1893) i fr. 70
— - L'inscription d'Henchir Mettich. Un nouveau do-
cument sur la propriété agricole dans l'Afrique
romaine, avecquatreplanches (1897). 3 fr. 80
VIOLLET( P.). Mémoire sur la Tanistry (1891). 2 fr.
— La question de la légitimité à l'avènement de
Hugues Capet (1893) 1 fr. 4o
— Comment les femmes ont été exclues en France
de la succession àla couronne (1893). 2 fr. 60
— LesÉtatsdeParisenfévrieri358 (1894). 1 fr. 70
— Les communes françaises au moyen âge
(1900) • 6 fr. 00
VVEIL (H.). Des traces de remaniement dans les
drames d'Eschyle (1890) i fr. 10
DaleDu«
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